Ballade en novembre - Roland Simon

mercredi, 23 novembre 2005

Submitted by Craftwork on June 15, 2017

"Toute la nuit durant, dans différents district de Paris, on trouve une racaille des plus douteuse, cette pègre organisée dont la présence contamine ceux qui l’acceptent et, plus encore, ceux qui la sollicitent." (L’Humanité Dimanche, 26 mai 1968)


Du monde au quartier : un même modèle

La révolte des banlieues françaises est un événement mondial. Jamais, depuis l’accumulation primitive du capital, il n’y eut, comme maintenant, une telle conformité et une telle intrication entre l’organisation de la violence et l’économie, jusqu’à effacer la distinction entre guerre et paix, entre opérations de police et guerres. Dans les favelas du Brésil, les prisons des Etats-Unis, les banlieues des grandes métropoles (et des petites villes), les zones franches de Chine, les contours pétroliers de la Caspienne, la Cisjordanie et Gaza, la guerre policière est devenue la régulation sociale, démographique, géographique, de la gestion, de la reproduction et de l’exploitation de la force de travail.

La production de plus-value relative façonne un monde à son image, dans lequel aucune spécification sociale, historique ou géographique, conservée et/ou produite, ne vient entraver la reproduction du capital et la remise en cause constante de ses conditions. La mondialisation n’est pas une extension planétaire, mais une structure spécifique d’exploitation et de reproduction du rapport capitaliste.

La reproduction du capital qui se bouclait plus ou moins sur une aire délimitée, nationale ou régionale, perd ce cadre de références et de cohérence. L’Etat assurait la cohésion de cette reproduction en ce qu’il émane du pôle dominant (celui qui subsume l’autre) de l’implication réciproque entre prolétariat et capital, il était le garant de cette implication réciproque, c’est ce que l’on appelait assurer le « compromis social ». Le principe de cette perte de cohérence réside dans la scission entre le procès de valorisation du capital et la reproduction de la force de travail.

La valorisation du capital s’échappe "par le haut" en fraction ou segment du cycle mondial global du capital, au niveau des investissement, du procès productif, du crédit, du capital financier, du marché, de la circulation de la plus-value, de la péréquation du profit, du cadre concurrentiel.

La reproduction de la force de travail s’échappe "par le bas". Au « mieux », on trouve une déconnexion du salaire et de la productivité et la transformation du welfare en un pré-achat uniformisé, global et minimum de la force de travail abaissant sa valeur lors de son achat individuel. Au pire : autosubsistance, solidarités locales, économies parallèles, ce qui retravaille d’anciennes cohésions sociales en conférant, selon les circonstances, au domaine religieux de nouvelles significations d’être-ensemble. Aucune de ces situations n’est exclusive de l’autre. Le capital est devenu indifférent à la mise en forme du social. « Ceux d’en-bas » ont droit à une assistance policiaro-compassionnelle, et « ceux d’encore plus bas », à des missions militaro-humanitaires. Là où il y avait une localisation jointe des intérêts industriels, financiers et de la main-d’oeuvre peut s’installer une disjonction entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail.

L’espace du monde capitaliste restructuré est un zonage qui se déploie de façon « fractale » à toutes les échelles : monde, continents, aires, pays, régions, métropoles, quartiers. A chaque niveau d’échelle, se côtoient et s’articulent : un noyau « surdéveloppé » ; des zones constellées de focalisations capitalistes plus ou moins denses ; des zones de crises et de violence directe s’exerçant contre des « poubelles sociales », des marges, des ghettos, une économie souterraine contrôlée par des mafias diverses.

Dans un tel « nouvel ordre mondial », la question de la distinction entre opération de guerre et opération de police n’a plus un grand intérêt. La restructuration actuelle est une autre organisation de l’espace de la reproduction du capital et une autre organisation de la violence. Les formes d’interventions sont celles de la discipline. Si le principal résultat du procès de production c’est la reproduction du face-à-face entre le prolétariat et le capital, que de ce face-à-face découle ipso facto le premier moment de l’échange entre le capital et le travail (achat-vente de la force de travail) ne va pas de soi. Au "centre" ou à la "périphérie", ces distinctions ont été mises en abimes à tous les niveaux d’échelle, la situation de la force de travail est fondamentalement la même : la force de travail existe face au capital comme force de travail sociale globale. Alors qu’elle est dans les aires développées globalement achetée par le capital et individuellement utilisée, il n’y a pas d’achat global dans les nouvelles périphéries. D’où l’importance partout de la disciplinarisation de la force de travail face à un prolétaire redevenu, en tant que prolétaire, un pauvre.

Un peu partout s’installe un système de répression prépositionné dans une étroite conformité entre l’organisation de la violence et celle de l’économie. Il s’agit d’une gestion globale et démographique de la main-d’œuvre. La répression est permanente, non pas partout, mais partout possible : interventions « coup de poing », missions de pacification forcée, missions policières, missions humanitaires. Dans les banlieues françaises, nous avons aperçu les lueurs de ce monde nouveau.

Vous avez dit revendicatif ?

"La bourgeoisie ne peut plus régner parce qu’elle est incapable d’assurer l’existence de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu’elle est obligée de se laisser déchoir au point de le nourrir plutôt que de se faire nourrir par lui". (Marx, Le Manifeste du parti communiste). Les prolétaires peuvent revendiquer d’être nourris et de ne pas nourrir, mais la bourgeoisie cherchera toujours à conjurer une telle "déchéance".

Contrôle policier des chômeurs ; radiation des Assedics ; resserage du RMI, chômage massif largement supérieur aux moyennes nationales ; disparition des subventions à toute forme de vie sociale "légitime" ; dégradation de l’habitat, des transports ; ghettoïsation urbaine, scolaire ; flicage permanent ; segmentation racialisée du marché du travail ; délocalisation européenne et mondiale rendant illusoire un avenir même incertain de main-d’œuvre précaire et sous-payée, etc. Cette toile de fond de la "misère" dans les banlieues s’est trouvée encore obscurcie durant les derniers mois par une rafale de mesures et de déclarations qui pour provocatrices qu’elles soient ne font que révéler la façon dont le "social" est dorénavant traité. Bernard Thibault peut alors déclarer : "On n’a pas vu de banderoles, de drapeaux syndicaux certes, mais il est bien question d’emploi, de moyens pour vivre et de dignité." Jacques Chirac lance une série de promesses répondant à ces revendications, paroles en l’air ou annonces suivies d’effets.... Il ne faut pas prendre Bernard Thibault ou Jacques Chirac pour des ânes, s’ils voient la révolte comme revendicative c’est qu’elle l’est. La violence ne change rien à l’affaire, on peut revendiquer avec un fusil (cf. les mineurs américains d’Harlan County) du salaire, du salaire socialisé, du RMI, des stages rémunérés et pourquoi pas des embauches véritables. Dire que la lutte a été absolument non-revendicative, qu’aucune revendication n’était formulée, c’est se laisser aller à l’enthousiasme radical et à la cécité volontaire.

Cependant la question est celle de la revendication dans les luttes actuelles. Si cette révolte peut dans ses causes être revendicative, c’est le revendicatif de cette révolte qui, de façon interne, est problématique. Revendiquer et se remettre en cause dans l’attaque de tout ce qui nous définit ne sont plus les termes exclusifs l’un de l’autre d’une alternative. Une vision devenue actuellement obsolète de la lutte revendicative amène à rejeter unilatéralement l’aspect revendicatif de cette révolte, inversement la même vision obsolète ramène tout l’événement à cet aspect. Depuis longtemps déjà la lutte revendicative ne s’identifie plus aux gros bataillons syndicaux, à la légitimation réciproque de la classe ouvrière dans ses organisations et du capital comme terre nourricière du travail. Depuis longtemps la lutte revendicative n’est plus la voie royale de la montée en puissance de la classe ouvrière se renforçant, s’unissant pour devenir l’avenir du monde. De son côté, pour la classe capitaliste, la grève revendicative n’est plus légitime dans un processus interne national d’accumulation appelé "fordiste". Il existe maintenant une intrication structurelle entre d’une part être en contradiction avec le capital, ce qui inclut la revendication et, d’autre part, se remettre soi-même en cause comme classe. Nous supposons acquis que les chômeurs, les "exclus" sont des prolétaires, que leur rapport au capital est celui de la contradiction qu’est l’exploitation dont le principal résultat, le résultat essentiel, est la reproduction du face à face entre la force de travail libre et le capital potentiel.

En décembre 2002-janvier 2003, lors de la grève ACT d’Angers (matériel informatique, filiale de Bull), trois lignes de fabrication sont momentanément remises en route, ce qui n’empêche qu’ensuite des produits finis sont brûlés. L’usine est occupée, mais personne ne sait dans quel but. De même, dire que la lutte de Cellatex était « suicidaire », ce n’est en aucune façon lui enlever toute son importance. « Suicidaire », parce que les formes autonomes de la lutte de classe ne sont plus de mise, ayant jeté leurs derniers feux avec les coordinations des années 80 (et encore...). Si, à partir de son existence de lutte revendicative, la lutte de Cellatex déborda l’encadrement syndical c’est pour affirmer que le prolétariat n’est rien sans le capital, la force de cette lutte fut dans cette affirmation qui ne contient pas l’autonomie du prolétariat mais sa négation, qui part de la revendication et trouve en elle la nécessité de la dépasser. De Cellatex aux banlieues, tout est différent parce qu’il n’y a pas d’unité du prolétariat qui puisse exister sans que celui-ci n’entame sa propre abolition comme classe, mais tout est identique. Si la dynamique est unique il est vain est proclamatoire d’espérer à voix haute ou pire d’appeler, sur cette base, à l’unité de la classe, qu’on l’appelle, ce qui n’a pas d’importance, classe ouvrière ou prolétariat. Les prolétaires ne trouvent dans le capital, c’est-à-dire en eux-mêmes, que toutes les divisions du salariat et de l’échange et aucune forme organisationnelle ou politique, aucune revendication, ne peut plus surmonter cette division. Le prolétariat n’est rien en soi, mais un rien plein de rapports sociaux qui font que, contre le capital, le prolétariat n’a d’autres perspectives que sa disparition.

Nous sommes amenés à ne plus pouvoir concevoir la lutte revendicative comme relevant d’une contradiction entre le prolétariat et le capital comportant la capacité pour le prolétariat de se rapporter à lui-même comme classe, contre le capital. La revendication n’est plus ce qu’elle était. Elle ne construit plus un rapport au capital comportant la capacité pour le prolétariat de trouver en lui-même sa base, sa propre constitution, sa propre réalité, sur la base d’une identité ouvrière que la reproduction du capital, dans ses modalités historiques, venait confirmer. Corollairement, c’est la distinction entre lutte offensives et défensives qui s’efface. C’était une distinction liée à la problématique programmatique de la montée en puissance de la classe. Le prolétariat reconnaît le capital comme sa raison d’être, son existence face à lui-même, comme la seule nécessité de sa propre existence. Doit-on considérer la révolte des banlieues comme une lutte « offensive » en ce qu’elle réclamerait une situation meilleure pour la force de travail ou en ce qu’elle est la remise en cause de tout ce qui définit les émeutiers dans le cadre de cette société ; doit-on la considérer comme défensive en ce qu’elle réagit à une aggravation évidente de la reproduction globale de la force de travail active ou surnuméraire. Si l’on pose la question spécifique du rapport de la communisation aux luttes quotidiennes, celui-ci se situe dans le fait que, dans une lutte, agir en tant que classe soit la limite reconnue de l’activité de la classe, le fait que la remise en cause de la classe par elle-même soit l’enjeu de la lutte.

Les salariés licenciés de Moulinex mettant le feu à un bâtiment de l’usine ou les émeutiers de banlieues s’inscrivent dans la dynamique de ce nouveau cycle de luttes qui fait, pour le prolétariat de sa propre existence comme classe, la limite de son action de classe et contient sa propre remise en cause. Le refus de soi. Si j’évoque ici les "luttes suicidaires" c’est à cause d’une connivence formelle, je pourrais parler de bien d’autres faits des luttes actuelles où l’appartenance de classe est extériorisée comme une contrainte extérieure objectivée dans la reproduction du capital. Le prolétariat voit son existence comme classe s’objectiver dans la reproduction du capital comme quelque chose qui lui est étranger et qu’il est amené à remettre en cause. Trivialement, cela se joue dans une situation où les émeutiers peuvent dire "nous voulons du boulot et pour cela on est prêt à foutre le feu au quartier", tout en sachant parfaitement que ce boulot c’est "un boulot de merde payé des clopinettes", celui dont on ne veut pas, qu’il n’y en a pas et qu’il n’y en aura pas d’autres pour eux.

Les émeutiers de novembre 2005 n’ont pas revendiquer un "travail de merde payé des clopinettes" (ils ont de toute façon rarement vu leurs parents travailler de manière stable et continue), ni des centres sociaux, des Maisons de la culture, une "école démocratique" ou une "police de proximité". Dans une situation revendicative, ils ont transformé la revendication en attaque de leur propre condition. De l’école à quelques usines en passant par les transports, les postes de police, d’assistance sociale et les ANPE, ils se sont attaqués à tout ce qui les produit et les définit.

Mais si les émeutiers de novembre ont refusé les causes de leur révolte en ce qu’ils n’ont rien revendiqué sans s’attaquer simultanément à leur propre condition, ils ne les ont pas dépassées. Le mouvement est demeuré (pour l’instant) tout du long un mouvement des banlieues. Le mouvement est parti d’une situation particulière (largement exposée : échec scolaire, chômage, précarité, niches d’emplois racialisées, absence d’avenir, dégradation urbaine, ségrégation, ghetto...), il a su ne pas s’y enfermer et surtout il a su élever les caractéristiques de cette situation particulière au rang de caractéristiques générales. L’émeute a su promouvoir les caractéristiques générales de cette situation particulière mais n’est pas sorti de sa particularité. Si l’immense majorité des émeutiers sont issus de l’immigration maghrébine, noire, turque..., l’émeute n’a jamais été une émeute arabe, noire ou turque au sens où l’ennemi aurait été le "blanc", le "français", le "gaulois" et durant laquelle on se serait battu en tant qu’arabes, noirs, turcs.... La revendication de l’intégration à la française ou communautariste avait fait long feu avant même d’exister. Alors qu’il y a un an, en période de "calme", les synagogues brûlaient dans les banlieues, ces jeunes qui d’après les journalistes "jouaient à l’intifada" n’y ont pas prêté attention, une seule église a été attaquée. Les émeutiers de novembre ont retrouvé l’inspiration de ceux de la fin des années 70 et du début des années 80 avant que SOS racisme, s’appuyant sur un laminage de la lutte de classe et la défaite consommée d’un cycle de luttes, ne leur explique qu’il fallait lutter contre le racisme et non contre la segmentation du marché du travail et tout ce qui racialisait leur lutte. Si nous n’avons pas eu droit à la énième sympathique Marche des beurs version Mitterrand 1983 (au moment où Mauroy et Deferre traitaient les grévistes de l’automobile de non-français manipulés par les ayattollas), nous n’avons pas eu non plus les limites de la beaucoup plus intéressante Convergence 84 (souvenez-vous des mobylettes).

Ce mouvement était exemplaire dans la mesure où se fixant pour objectif “l’égalité” et la “nouvelle citoyenneté” il était lui-même conscient de l’insuffisance de cet objectif et de ce qu’il “masquait” : “ Nous savons que l’égalité des droits en matière de citoyenneté, ne consiste qu’à revendiquer les inégalités sociales qui traversent déjà la société française - mais uniquement celles-là !... Mais cette avance de l’idée d’Egalité rebondira sur l’ensemble de la société, mobilisant également des couches discriminées “à l’intérieur de la société française” “ (4° de couverture de la brochure rédigée par les initiateurs de la convergence : “La ruée vers l’égalité” Ed Mélanges 1985). “Nous sommes d’une catégorie qu’on a installé dans la cave de la société et dont on ne veut ni entendre le champ, ni voir l’âme. Nous revendiquons donc nos droits : des droits destinés à nous porter à la hauteur des citoyens reconnus. En chemin, nous avons appris que le sous-sol est plus grand que nous l’avons cru et qu’il comprend des pièces que nous ne connaissions pas. Nous avons rencontré des citoyens moins égaux que d’autres. Eux aussi exigent leurs droits : parfois les mêmes que les nôtres, parfois non. Nous avons compris qu’il s’agit de leur part d’égalité, comme nos droits sont notre part. Nous nous sommes dit que ces luttes diverses - les nôtres et les leurs- se confortent et doivent se rejoindre pour élargir le champ d’application de l’égalité.” (ibid, “Texte d’appel”). Les initiateurs du mouvement soulignaient eux-mêmes que, dans le texte d’appel, pas une fois le mot racisme n’était prononcé, “parce que pensions-nous, à tant rabacher le racisme, on finit par occulter les véritables problèmes.”. Mais à tant rabacher l’Egalité ont fini aussi par occulter les véritables problèmes.

Les initiateurs de ce mouvement considéraient qu’il n’y avait pas que des “inégalités sociales” ou plutôt que celles-ci se complétaient d’inégalités diverses contre lesquelles ont pouvait lutter au niveau du droit : des inégalités “formelles”. L’existence de ces inégalités est indéniable, insupportable et on a mille fois raisons de lutter contre elles. Mais, revendiquer l’égalité, c’est revendiquer la neutralité de la justice, de la police, de l’école, des employeurs, de l’aménagement du territoire, de l’Etat etc., c’est revendiquer que “la cave” soit traité par ces institutions comme “les étages supérieurs” dont elles sont leurs institutions. Les inégalités devenaient des objets de luttes et de revendications particulières. Ces revendications réclamaient alors une solution à leur niveau, celui de l’Egalité et de la citoyenneté. Ainsi, une lutte indispensable contre les inégalités se transformait en une litanie de revendications démocratiques ne changeant absolument rien à ce qui est sa raison d’être (l’existence des classes, l’exploitation, les conditions générales de reproduction de la force de travail et de sa segmentation) et surtout la niant. On aboutissait à l’invention d’une “solution” qui traitait les inégalités comme existant pour elles-mêmes et par elles-mêmes.

On peut soutenir que les émeutiers de novembre revendiquaient d’être traités en "prolétaires ordinaires", mais la généralité du mouvement (une de ses caractéristiques essentielles qui le distingue des émeutes de cités depuis le début des années 1980), son intégration et son dépassement en interne (comme émeutes des banlieues) de la racialisation de la force de travail et de la distinction entre actifs, chômeurs, précaires, étaient, de fait, l’aveu même qu’ils étaient le prolétariat ordinaire dont les "autres" ne sont qu’un segment particulier. Cette année, en novembre, les inégalités sont demeurées des inégalités réelles et en tant que telles sans solutions car reconnues comme le fonctionnement même du système. En cela, il ne s’agissait plus même d’inégalités. Tout le monde parle d’inégalités, mais la lutte ne s’est pas située à ce niveau dans ses objectifs, son déroulement et la conscience qu’elle avait d’elle-même.

On a dit qu’elle avait dépassé le piège de la racialisation et même, à ses débuts, l’enfermement dans la catégorie des "jeunes". Ce n’était pas d’inégalités mais d’exploitation dont il était question. Dans le capitalisme actuel, c’est l’ensemble de la force de travail qui est acheté et qui correspond pour le capital au travail nécéssaire

Avec le développement général de la précarité, de la flexibilité et de toutes les formes de contrats déterminés, le chômage n’est plus cet en-dehors de l’emploi salarié qu’il était durant les « Trente Glorieuses ». La segmentation de la force de travail se résoud en un achat global de celle-ci par le capital et une utilisation de chaque force de travail individuelle selon les besoins ponctuels de la valorisation. Cet achat global modifie de fond en comble le fonctionnement de l’Etat-providence, celui-ci, là où il existait, ne disparaît pas. Il se segmente lui aussi pour assurer l’employabilité permanente de la totalité de la main-d’œuvre disponible, il ne joue plus seulement sur la population salariée, mais sur le taux d’activité et la population disponible. C’est le passage du Welfare au Workfare. C’est une évidente « régression » au niveau des droits acquis, mais c’est également une extension du système : C.M.U. ; R.M.I. ; R.M A. Une telle extension est beaucoup plus développée dans les pays anglo-saxons. Le système du Welfare ne régresse pas en demeurant identique dans sa nature, sa « régression » est plus fondamentalement une modification de la nature générale du marché du travail en organisation du travail.

La force de travail est alors présupposée comme propriété du capital, non seulement formellement (le travailleur a toujours appartenu à toute la classe capitaliste avant de se vendre à tel ou tel capital), mais réellement en ce que le capital paie sa reproduction individuelle en dehors même de sa consommation immédiate qui pour chaque force de travail est accidentelle. Le capital n’est pas soudain devenu philanthrope, dans chaque travailleur il reproduit quelque chose qui lui appartient : la force productive générale du travail devenue extérieure et indépendante de chaque travailleur et même de leur somme. Inversement, la force de travail directement en activité, consommée productivement, voit son travail nécessaire, lui revenant en fraction individuelle, défini non par les besoins exclusifs de sa propre reproduction, mais en tant que fraction de la force de travail générale (représentant la totalité du travail nécessaire), fraction du travail nécessaire global. Il tend à y avoir péréquation entre revenus du travail et revenus d’inactivité.

La lutte de novembre 2005 a parfaitement intégrée cette restructuration du marché du travail et de l’exploitation au point même qu’apparaisse la volonté de faire jouer "à son profit" les espaces intersticiels du système. Dans son déroulement, les objectifs visées, son dépassement dans le cadre des banlieues de la segmentation racialisée de l’exploitation, dans la façon dont elle exprimait son rapport au salariat et au "possibilités d’employabilité" elle s’est d’emblée située au niveau présent du rapport d’exploitation. C’est pour cela que la lutte de novembre 2005, même si elle n’a pas quantitativement l’ampleur des émeutes anglaises de l’été 1981 se situe immédiatement à un niveau supérieur.

La violence de ces émeutes avait témoigné de toute la dificulté du capitalisme anglais à réaliser cette double nécessité : débloquer l’assistance et le chômage comme ghetto et briser la rigidité de la classe ouvrière. Ce sont toutes les instances de la reproduction de la force de travail qui étaient entrées en crise et étaient attaquées : famille, école, urbanisme, système d’assurances sociales tant comme Etat-providence que sous les formes privées du libéralisme, en ce qui concerne les équipements urbains par exemple. Le capital était bien attaqué au niveau de sa reproduction mais cette reproduction ne se retrouvait que sous la forme de la reproduction de la force de travail, jamais l’autoprésupposition du capital n’est attaquée comme reproduction de la valorisation. C’est au niveau de la reproduction de la force de travail que ces émeutes attaquaient la restructuration en cours. La restructuration des modalités de reproduction de la force de travail pouvait encore être abstraite du mouvement général de la valorisation dont elles ne sont qu’un moment. C’est ce qui formait la substance même de la restructuration qui était attaqué (articulation chômage / activité ; assistance / salariat ; formation / vie active ; segmentation de la force de travail, travail temporaire, sous-traitance), mais en s’attaquant à des formes de reproduction solidifiées à côté des formes directes de l’activité salariée, la lutte sur la reproduction pouvait encore s’effectuer comme abstraite du cycle de la valorisation, comme existante pour elle-même.

En France, vingt-cinq ans après, la restructuration a fait son chemin, on ne peut plus séparer la reproduction et l’activité. Lutter sur la reproduction de la force de travail c’est directement lutter sur son emploi, sur son exploitation. La réponse communautariste qui avait été celle de Thatcher n’est plus possible maintenant en France (elle sera tentée), non seulement parce que le capital français n’a pas la marge de manœuvre que le capital financier donnait à la Grande Bretagne mais surtout parce que le rapport entre la continuité de la reproduction de la force sociale du travail et son intégration dans le procès productif n’autorise plus une telle solution (reproduction assistancielle d’un côté, travail de l’autre) qui, en Grande-Bretagne même, atteint ses limites.

Toute la difficulté de l’analyse de cette révolte réside dans une formule qui peut paraître au premier abord dénuée de sens : la particularité de son universalité.

Une généralité bien particulière

Si les jeunes issus de l’immigration représentent à l’extrême la disparition de tout ce qui pouvait constituer le "vieux mouvement ouvrier" (n’en déplaise à Thibault qui lui-même n’en est plus) et si inversement ils condensent non seulement les conditions actuelles de l’exploitation mais encore simultanément leur dissolution, en tant que jeunes-des-banlieues-issus-de-l’immigration cette généralité est une particularité (particularisation). Le contenu général de la révolte s’oppose à sa forme particulière (là on a une forme sociale confirmée et repérable, reproductible, qui de détermination de classe passe dans la catégorie d’une détermination d’ordre). Si bien que le contenu général qui fut la raison d’être de ces émeutes et contre lequel elles se sont élevées existe dans une particularité comme si c’était en elle que résidait ce contenu général (en outre ce renversement se trouve confirmé pour les intéressés eux-mêmes dans la segmentation reproductible du marché du travail et de la société civile). C’est toute l’ambivalence de ces émeutes : la remise en cause de ce que l’on est non seulement part de ce que l’on est (ce qui va de soi) mais encore fait de ce que l’on est la catégorie particulière devant exprimer la dissolution générale des conditions existantes. Quand, tant policièrement que dans ses promesses, l’Etat répond à ce niveau, il n’est pas totalement "à côté de la plaque". La réponse de l’Etat est au niveau de ce contenu général, l’état d’urgence (prolongé pour trois mois) est non seulement une effet d’annonce à visée électorale etun effet du marquage àla culotte entre De Villepin et Sarkozy, mais aussi un avertissement donné à toute le prolétariat précaire. La reproduction du face à face entre la force de travail et le capital devient une affaire de discipline.

Dans ces luttes s’est produit un amalgame entre jeunes français issus de l’immigration, immigrés légaux ou clandestins, jeunes de l’ancienne classe ouvrière totalement précarisés. De fait, cet amalgame attaque les politiques d’immigration visant à accentuer les séparations en rendant plus fragile le statut légal de l’immigré, voire en le niant. Au moment où l’immigration à statut permanent ne répond plus aux besoins actuels de la valorisation du capital, où les Etats essayent d’institutionnaliser une immigration tournante, où la refonte des politiques d’immigration est menée de pair avec la réforme de l’Etat providence, ces émeutes ont signifié que l’insécurité est la condition normale de la classe ouvrière. Les secteurs encore "protégés" du salariat ne sont pas appellés à disparaître mais leur sens n’est plus en eux, ils ne sont plus eux-mêmes qu’un segment particulier dans la segmentation générale de la force de travail. Compris dans la structure d’ensemble de la restructuration, la mondialisation de la force de travail n’est que la forme la plus élaborée de la disparition de l’identité ouvrière. Il n’est qu’à voir le désarroi des fossiles de Lutte Ouvrière qui dans le n° du 18 novembre 2005 de leur journal appelle l’Etat à prendre toutes les mesures qui ressusciteraient la classe ouvrière d’antan pour conjurer la "violence aveugle" (expression répétée jusqu’à l’écoeurement) et appelle les vrais ouvriers, les enseignants, les travailleurs sociaux à s’interposer "Entre voitures incendiées et occupation policière" (titre programme d’un article du n°).

Les émeutes révélèrent et attaquèrent la situation de prolétaire maintenant (dans le mode de production capitaliste, "faire voir les choses" c’est déjà la lutte de classe, fétichisme réification, idéologie sont des réalités). Mais refuser d’être cette force de travail mondialement précarisée rend immédiatement contradictoire au sens de caduc dans le moment même où une telle revendication s’énonce de vouloir être un "prolétaire ordinaire". Dans l’existence même de cette force de travail, c’est le prolétaire ordinaire qui est en voie de disparition et la suppression du ghetto ne signifierait que la généralisation de son contenu. La classe ouvrière dans laquelle ils voudraient se confondre est déjà morte (abolie) dans leur propre existence et ils le savent.

Cependant, toute lutte du prolétariat se produit et se développe dans les catégories de la reproduction et de l’autoprésupposition du capital. La lutte de classe n’existe toujours que “surdéterminée” parce qu’elle est lutte de classe, c’est le rêve programmatique qui veut une classe qui se dégage de son implication réciproque avec le capital et s’affirme en tant que telle dans une pureté autodéterminée, une classe subsistant par elle-même. Dans ce “plus”, cette "surdétermination", ce n’est pas un manque ou un détournement qui réside, mais c’est l’existence et la pratique en tant que classe que l’on trouve, c’est-à-dire la reproduction réciproque du prolétariat et du capital dans laquelle c’est toujours le second qui subsume le premier qui agit à partir des catégories définies dans la reproduction du capital. En cela le contenu général des émeutes n’existe que dans une forme particulière qui loin d’être une simple enveloppe est sa possibilité même d’existence. Cette particularisation s’est même exacerbée dans le phénomène de bande, le localisme de l’action et une certaine continuité entre l’émeute et la "déliquance ordinaire".

On peut voir le contenu général mais le voir de façon abstraite : la situation de cette force de travail ne serait qu’une forme transitoire et annonciatrice en attendant que les acquis sociaux du monde du travail aient été éliminés par le processus de dérégulation. En quelque sorte un terrain d’expérimentation de statuts entièrement précarisés qui seront ensuite généralisés en totalité ou en partie à l’ensemble des salariés. Dans une telle vision, la généralité de la fraction de la classe ouvrière qui s’est révoltée est abstraite pour trois raisons. D’abord, la précarisation n’est pas comprise comme segmentation, dans sa généralité elle n’est pas particularisée. Ensuite cette généralité, comme généralisation, est une simple extension quantitative qui n’est pas comprise comme rupture historique, restructuration du rapport entre le travail et le capital, engageant en cela des figures historiques du prolétariat différentes. Enfin, à partir de ces deux premières incompréhensions, la précarité n’est pas comprise comme générale en ce qu’elle structure l’ensemble du rapport d’achat-vente entre le travail et le capital, mais en ce qu’elle éliminerait purement et simplement ce qui n’est pas elle, c’est encore ici la rupture historique et la segmentation qui disparaissent.

Ainsi ce contenu ne devient général qu’exprimé par une fraction et par les conflits que l’existence même de cette fraction implique à l’intérieur de la classe ouvrière. La généralité n’est pas quantitative, elle n’est pas non plus cachée sous la gangue des apparences, elle inclut les discontinuités et les ruptures historiques, elle se produit. Même si la fraction "stable" de la classe ouvrière ne possède plus en elle-même sa propre raison d’être mais n’est qu’un segment de la décomposition de la force de travail, elle ne peut que voir dans ces émeutiers sa propre déstabilisation.

"Des contradictions au sein du peuple"

Nous avons déjà insisté sur l’intrication (il ne s’agit ni d’une confusion ni d’un germe) dans le rapport d’exploitation actuel entre revendication et remise en cause par les prolétaires de leur propre condition. Ici de cette intrication et de la généralité d’un contenu ayant sa raison d’être dans une particularisation de la force de travail naît une caractéristique perverse (au sens d’effet pervers) de la remise en cause par les prolétaires de leur propre condition. Le prolétariat affronte sa propre condition (ce qu’il est et ne veut plus être) non seulement parce que son être est tout entier en face de lui dans le capital, mais encore comme opposition interne. Le prolétariat affronte sa propre existence non seulement contre le capital mais comme conflits internes.

Le fondement de ces conflits n’est pas "stabilité" contre "précarité", mais bien plutôt la situation de vulnérabilité de masse (pour reprendre l’expression de Robert Castel) : la détérioration des conditions sociales d’existence (niveau de vie, insécurité, angoisse de l’avenir), la concurrence au travail, la diminution des espoirs de promotion (pour soi et ses enfants), la hantise du déclassement social, l’espoir et la déception liés à la poursuite d’études. Tout cela ne produit pas forcément une " cristallisation raciste ", la "menace" vient moins des parents immigrés, à l’usine, aux champs, sur le chantier ou même au chômage que de leurs enfants à l’extérieur. Ce n’est pas l’ouvrier immigré qui a vingt-cinq de boîte qui est le miroir de la vulnérabilité sociale générale du prolétariat et du " déclassement "mais les jeunes de la deuxième ou troisième génération dont certains en arrivent à endosser et à revendiquer ce rôle de "groupe repoussoir ". Ces jeunes font peser sur les autres enfants et sur leurs familles le plus gros des risques, celui qui consiste à faire capoter la stratégie d’ascension sociale dans le travail, par l’école ou par le quartier habité. Ce qui n’empêche pas, simultanément, de penser que, lorsqu’ils se révoltent, ils n’ont pas "complètement tort et que ce n’est pas sans raison", mais c’est " la respectabilité ouvrière" (Beaud et Pialloux) qui est en jeu.

Il serait dangereusement angélique de ne pas s’apercevoir que dans les cités le refus de tout ce qui fait maintenant l’exploitation nous donne un conflit aux allures absurdes et barbares entre ce refus même et ce qui continue à être et être vécu comme la "respectabilité ouvrière" : la respectabilité de personnes qui ont travaillé dur toute une vie pour acquérir leur maison, "bien élever leurs enfants", se construire une "bonne réputation", etc. Cette "respectabilité", qui effectivement peut paraître dérisoire, les ouvriers peuvent aujourd’hui la perdre brutalement. De diverses manières : par le chômage qui frappe le ménage, par le déclassement de leur lieu d’habitat (comme pour ceux qui, il y a vingt ou trente ans, ont construit dans un endroit aujourd’hui menacé par la paupérisation sociale ou ont acheté dans une cité " à la dérive "), mais aussi par la contestation diffuse de leur système de valeurs, que ce soit le localisme ou l’autochtonie disqualifiés au profit (dans les discours) du "cosmopolitisme" ou du " métissage". Ce qui par exemple nourrit l’exaspération des ouvriers "français" (et souvent des immigrés anciens), c’est le contraste entre le discours sur l’immigration des hommes politiques - l’arrêt de l’immigration légale et la lutte prioritaire contre l’immigration clandestine - et les réalités locales. Ces nouveaux immigrés qui arrivent le plus souvent dans le cadre du regroupement familial, sont soupçonnés d’avoir eu recours à d’autres voies, illégales. Si cette nouvelle immigration est accueillie avec défiance et amalgamé à "ceux qui sont nés ici", ce n’est pas nécessairement par réflexe " raciste" mais parce qu’elle ne fera, aux yeux des habitants de ces quartiers, qu’aggraver les problèmes structurels rencontrés à l’école et dans le quartier, dans les formes les plus concrètes de la concurrence sociale auxquels les ouvriers sont confrontés au jour le jour.

Depuis plus de vingt ans, le chômage de longue durée, la relégation liée à la perte d’emploi, la réclusion dans les HLM dégradées, la compression des revenus, l’échec scolaire des enfants, rapprochent les conditions de l’ex noyau dur de la classe ouvrière de celles des groupes dont ils pouvaient se croire éloignés, ou qu’ils pouvaient imaginer moins bien armés qu’eux. L’affirmation de la "respectabilité", exprime la hantise d’être précipité à nouveau dans le monde auquel ils entendaient échapper, une manière de restaurer une identité, de conjurer le déclassement. Il n’est pas jusqu’au racisme ordinaire qui ne soit, alors, une façon de marquer la distance qu’ils voudraient ne pas voir abolie avec ceux qui sont encore un peu moins qu’eux. Cette "respectabilité" ne peut plus être celle du métier, de la solidarité dans la lutte (si celle-ci existe ponctuellement, c’est quotidiennement une situation de concurrence individuelle qui domine), ni celle générale de la condition ouvrière devenue si instable. Le procès de travail, les conditions de reproduction de la force de travail, atomisent les ouvriers et les mettent en concurrence jusque dans leur organisation matérielle : responsabilisation individuelle sur la qualité, les délais ; éloignement physique des postes de travail ; éclatement des horaires ; évaluation personnelle et entretien avec le supérieur direct, file d’attente à l’ANPE, liste d’attente dans les offices de HLM.... L’atomisation est telle et la perte de l’identité ouvrière confirmée par et dans la reproduction du capital si inexorable que l’Etat et la Nation, les communautés les plus abstraites et parce que les plus abstraites, peuvent seules être fantasmées comme la communauté de cette individualisation (comme ailleurs la religion, lorsque les communautés traditionnelles éclatent). Cette identité se forge dans la délimitation et la différence d’avec les exclus de la vie nationale, immigrés et même chômeurs " nationaux "auxquels on reprochera les " avantages "octroyés par les "élites liées au cosmopolitisme". Tout se mêle ici : l’identité nationale et l’ancienne fierté du travail. L’identité nationale revendiquée c’est avant tout le mépris vis-à-vis des "exclus ", reposant sur la crainte d’en être, le rejet de voir ses problèmes traités par le RMI, la RTT, la CMU, l’ANPE, les assistantes sociales.

Cette "respectabilité" implique la délimitation entre " nous "et les " autres ", elle s’inscrit dans un mouvement interne au rapport entre travail, welfare et services publics (habitats, écoles, hôpitaux, Poste ...), elle est la revendication d’un Etat "qui marche". Le critère de la délimitation c’est l’ordre qui surdétermine le " bon fonctionnement "de l’accès au travail, au welfare, aux services publics. Cet ordre c’est la légitimité exclusive du travail salarié que menacent le "chômeur professionnel " (toujours l’autre), le " clandestin ”, le " dealer ", " celui qui vit des allocations familiales ", tous ceux dont une identité particulière peut être imaginairement la source d’un " avantage ", d’une dérogation à la règle commune. Cet ordre implique immédiatement la " sécurité " (au sens sarkozien : on ne traine pas dans les halls d’immeubles) qui se présente comme la garantie de l’obligation au travail et à la règle commune. La délimitation va passer entre cet ordre et ce qui le menace dont la figure paradigmatique est le "jeune arabe" et, comme le nazisme avait inventé les " enjuivés ", ceux dont le comportement quotidien est assimilé à ce paradigme. Comme toujours le groupe " racial " (puisque c’est de cela dont il s’agit) est une complète construction historique qui suit les linéaments des circonstances particulières : le jeune " gaulois " peut être " arabe "et l’Algérien qui a 25 ans de chaine derrière lui " français ".

La défense de cet enjeu de la "respectabilité ouvrière" qui vise un groupe construit comme la menaçant ne va pas, par ailleurs, sans une haine sociale vis des "élites" et des gouvernements ce qui s’exprime dans l’entrecroisement de quatre assertions simultanées : "on les (les jeunes) comprend" ; "ils nous emmerdent" ; "on est bien ici (la cité)" ; "on veut se tirer".

L’abolition des classes sera tout sauf un dîner de gala.

Commentaires :


  • > Ballade en novembre, , 24 novembre 2005

    ’’Les émeutes révélèrent et attaquèrent la situation de prolétaire maintenant (dans le mode de production capitaliste, "faire voir les choses" c’est déjà la lutte de classe, fétichisme réification, idéologie sont des réalités). Mais refuser d’être cette force de travail mondialement précarisée rend immédiatement contradictoire au sens de caduc dans le moment même où une telle revendication s’énonce de vouloir être un "prolétaire ordinaire". Dans l’existence même de cette force de travail, c’est le prolétaire ordinaire qui est en voie de disparition et la suppression du ghetto ne signifierait que la généralisation de son contenu. La classe ouvrière dans laquelle ils voudraient se confondre est déjà morte (abolie) dans leur propre existence et ils le savent.’’

    Où retrouve-ton cette revendication claire d’être un prolétaire ordinaire, comment réduire le contenu de ces émeutes à des revendications quelles qu’elles soient. Est-ce que décrire une situation d’exploitation de pauvre immigré... revient à revendiquer quelque chose ?

    Que faire de textes d’émeutiers comme ceux-là (?) :

    Si aux mains de l’État, la force s’appelle droit, aux mains de l’individu, elle se nomme action. C’est maintenant qu’il faut agir… Les commissariats, préfectures, commerces, doivent brûler, pour que le capitalisme -et tous les dégâts de la course aux profits- cesse de nous affecter, et que pour l’État n’intervienne plus dans notre vie quotidienne. La religion est un danger, il ne faut pas l’oublier. Elle ronge nos libertés, nos désirs… Elle sert à nous rendre docile. Nos ancêtres ont trop donné… Enfin, il est facile de nous faire peur en trouvant l’adversaire « terrorisme ». Ils ne pourront pas toujours régner en désignant un ennemi. Nous ne devons rien attendre des partis politiques ou des centrales syndicales. Il n’y a pas de dialogues possibles avec le pouvoir, que ce soit l’État ou mon patron. Je ne veux rien négocier, je veux ni État ni patron. Et maintenant ? Brûlons, sabotons, rêvons, créons… Bada

    (en direct de France)

    guérilla urbaine NE COMPTEZ PLUS NOUS MANIPULER

    La révolte fait rage, la guérilla urbaine s’est installée dans tous nos quartiers. L’injustice sociale et la violence quotidienne, en sont les causes : discrimination, marginalisation, conditions de vie insupportable. Il est aujourd’hui trop tard pour les grands ducs, d’adopter de nouvelles mesures, pour établir des conditions de vie supportable dans nos quartiers, qui de toute façon n’ont jamais été vivables et ne le seront jamais. Nous ne voulons plus de dialogue avec le gouvernement, nos pères, nos familles, ont suffisamment été abusés par les discours. Le dialogue est définitivement rompu, n’envisagez plus de nous endormir. NE COMPTEZ PLUS NOUS MANIPULER, ceci même malgré l’utilisation d’Imams et portes paroles que vous instrumentalisez, que vous poussez à diffuser des appels au calme. Nous n’avons aucunes armes de destruction massive, juste quelques canettes explosives, pas de bombardiers, juste nos poches, mais tremblez petits barons de Neuilly, aujourd’hui nous sommes dans nos quartiers, dans quelques jours à vos portes. La lutte qui s’engage sera longue, et notre combat juste. La société nous a créés, cela prouve que cette civilisation court à sa perte. Nous n’avons plus rien à perdre, nous préférons mourir dans le sang, que dans le « caca ».

    Des combattants émeutiers du 93


    • > Ballade en novembre (1ère contribution à Meeting), Gilles St-Gelais, 30 janvier 2006

      Le paradoxe contradictoire entre l’acte et la raison trouve son dépassement dans le produit des émeutes. D’abord, une émeute dans un système d’exploitation, c’est une forme de catharsis contre l’ordre de cette exploitation. Le rapport fragile entre exploitant et exploité se trouve au bord du gouffre ; mais irrationnel - l’inconscient se chargeant de tout pour laisser au conscient le soin de décharger - pourvu qu’il y ait décharge, c’est-à-dire explosion et multiplication des actes à la frontière du raisonné, tel l’automatisme auto-régulateur de l’être qui ne connaît pas son aliénation mais la ressent. Il s’agit d’une pluie d’automne qui prépare l’hiver des conditions subjectives, et où le non-salarié exige plus que le salaire qui le gouvernera mais sans savoir FORMELLEMENT, plutôt que RÉELLEMENT, qui est cette gouverne.

      Engendré par le conflit moderne entre un salariat et un non-salariat qui se contredisent parce qu’ils ne subissent pas la même réalité et parce qu’ils ne comprennent pas ce qui les sépare justement, l’émeute est (pour le non-salariat) la séparation entre la volonté de participer à l’accumulation du capital, et la volonté de dépasser cette dynamique objectivante. L’émeute est l’expression même du sujet qui se trouve devant l’objet dont il a besoin à un moment donné de l’histoire, mais qu’il ne convoite pas. Ainsi, les conditions se trouvent réunis pour le dépassement qualitatif de l’objet, c’est-à-dire que pour le salariat et le non-salariat, la question se pose et est répondue dans le même temps.

      Ainsi, dès lors, les sujets salarié et non-salarié s’affrontent pour mieux se saisir l’un l’autre ; en fait pour que les deux s’étreignent et se retrouvent. L’acte second est l’identification commune des deux catégories prolétarienne face à l’antagonisme qui les oppose (et veut les garder opposé), les regarde s’étreindre et cherche à les contenir : les possédants. L’auto-organisation contre l’objectivation des conditions ambiantes se trouve ainsi confirmé du fait que l’émeute possède se caractère qui les a unis, non dans l’acte mais dans la pensée comme un pain de poudding. L’émeute trouve donc son "immunité" sociale - à présent en actes - dans le melting-pot de saveurs qui se dégage de l’affrontement pour produire la qualité de ce dépassement : la compréhension des catégories exploitées en train de mettre la main à la pâte (l’auto-organisation) pour lancer le poudding (le produit organisé) à la face des forces du capital.

      Gilles St-Gelais

      Sherbrooke, 30 janvier 2006



  • > Ballade en novembre, Patlotch, 26 novembre 2005

    Relativement aux questions que je posais le 19 novembre (suite sur les "émeutes"), et particulièrement sur la caractérisation de "luttes défensives et revendicatives", en souhaitant quelque chose de plus "dialectique", je suis globalement satisfait (je ne suis pas de ceux qui considèrent cette lutte comme "absolument non-revendicative" et d’ailleurs il est difficile de globaliser des positions somme toute diverses chez les "émeutiers")

    « Dire que la lutte a été absolument non-revendicative, qu’aucune revendication n’était formulée, c’est se laisser aller à l’enthousiasme radical et à la cécité volontaire.

    Cependant la question est celle de la revendication dans les luttes actuelles. Si cette révolte peut dans ses causes être revendicative, c’est le revendicatif de cette révolte qui, de façon interne, est problématique etc. »

    Je m’interroge toutefois sur la pertinence de cette catégorie de "luttes revendicatives" vu que RS en vient à écrire (je souligne en gras) :

    Nous sommes amenés à ne plus pouvoir concevoir la lutte revendicative comme relevant d’une contradiction entre le prolétariat et le capital comportant la capacité pour le prolétariat de se rapporter à lui-même comme classe, contre le capital. La revendication n’est plus ce qu’elle était . Elle ne construit plus un rapport au capital comportant la capacité pour le prolétariat de trouver en lui-même sa base, sa propre constitution, sa propre réalité, sur la base d’une identité ouvrière que la reproduction du capital, dans ses modalités historiques, venait confirmer. Corollairement, c’est la distinction entre lutte offensives et défensives qui s’efface. C’était une distinction liée à la problématique programmatique de la montée en puissance de la classe.

    En d’autres termes, s’il convient de distinguer la nature de la "revendication" dans le cycle de luttes précédent et dans celui-ci, pourquoi ne pas inventer tout simplement une autre catégorie ? Est-il à craindre qu’on ne saisisse plus en quoi "il n’y a pas transcroissance des luttes revendicatives à la révolution" ?

    Il n’est sans doute pas étonnant que l’intervenant du 24 novembre pose la question « Où retrouve-ton cette revendication claire d’être un prolétaire ordinaire, comment réduire le contenu de ces émeutes à des revendications quelles qu’elles soient. Est-ce que décrire une situation d’exploitation de pauvre immigré... revient à revendiquer quelque chose ? » bien qu’il me semble excessif de prétendre que RS réduise "le contenu des émeutes à des revendications". Les textes de ’combattants émeutiers du 93" qu’ils rapportent me semblent davantage relever de "l’immédiatisme" révolutionnaire, avec un discours ’politique’ explicite qui n’est sans doute pas très représentatif du mouvement général. Ils témoignent néanmoins de la diversité que j’évoquais plus haut, qui rend difficile une explication univoque de l’événement, ce qui n’empêche qu’elles relèvent bien des contradictions développées par RS dans ce texte ou ailleurs.

    Toujours est-il que ce texte très riche tombe à pic, ou comme un pavé dans la mare des interprétations socio-politiques de l’heure. De quoi être persuadé de l’intérêt de la théorie, quand elle est en prise directe sur les luttes. Et comme ça se passe "près de chez nous", il serait dommage de ne pas le mettre à profit pour élargir le débat.

    Patlotch, 26 novembre



  • > Ballade en novembre point de détail, Amutio Denis, 3 décembre 2005

    Salut"

    Grosso modo l’analyse me va ; pourtant je lis" ce n’est pas nécessairement par rélfexe"raciste"..." que les nouveaux venus sont mal acceptés(euphémisme).pourquoi donc les nouveaux,depuis toujours,on a eu un réflexe anti rital, anti espagnol,etc, Je pense plutôt à un fond de commerce dont on ne parvient pas à se débarrasser, peut-être parce qu’intimement lié au mode de production,une idéologie.

    Pour la même raison ça vote Le Pen,pas seulement pour faire bisquer les autres partis,un vieux fond qui prend ce tour, tu te référes à "enjuivés", les boucs émissaires c’est une invention de type religieux, une cérémonie.

    Salutation cordiales



  • Vous avez dit "revendicatif" ?, Denis, 16 décembre 2005

    Il est très juste d’observer, comme le fait Roland, que « la revendication n’est plus ce qu’elle était », et que la différence entre lutte revendicative et lutte non revendicative tend à s’estomper dans la mesure ou « revendiquer et se remettre en cause dans l’attaque de tout ce qui nous définit ne sont plus les termes exclusifs l’un de l’autre d’une alternative » . Il faudra largement revenir, dans l’analyse des luttes actuelles, sur cet aspect des choses. Il n’en reste pas moins qu’appliqué aux évènements qu’à connu la France au mois de novembre, le raisonnement est quelque peu étrange.

    En substance, Roland nous explique que puisque la différence entre lutte revendicative et lutte non revendicative s’est estompée, il n’y a aucune raison de ne pas considérer l’insurrection de novembre comme une lutte revendicative, et ce bien qu’elle n’ait formulé aucune revendication. Bien plus, ne pas la considérer comme une lutte revendicative serait « se laisser aller à l’enthousiasme radical et à la cécité volontaire » et faire preuve d’une « vision devenue actuellement obsolète de la lutte revendicative ». Il faut donc admettre avec Roland qu’une vision non « obsolète » de la lutte revendicative doit nous conduire à appeler « revendicative » une lutte ou l’on ne revendique rien du tout... Je le cite : « les émeutiers de novembre 2005 n’ont pas revendiqué un "travail de merde payé des clopinettes" (ils ont de toute façon rarement vu leurs parents travailler de manière stable et continue), ni des centres sociaux, des Maisons de la culture, une "école démocratique" ou une "police de proximité". Dans une situation revendicative, ils ont transformé la revendication en attaque de leur propre condition. »

    Soyons clairs : ce qui peut être revendicatif, ce n’est pas la « situation », c’est la lutte. Novembre 2005 n’a pas été revendicatif parce qu’aucune revendication ne s’y exprimée directement, autre que celles mises dans la bouche des émeutiers par les journaux. Il faut éviter de tomber dans des constructions de catégories telles que le choix des mots qui servent à les désigner finisse par apparaître comme la négation littérale des faits. En l’absence d’expression de la revendication, une lutte ne peut pas être « revendicative dans ses causes ».

    Il est vrai que tous ceux qui prétendent parler maintenant au nom des « jeunes de banlieue » tiennent un discours démocrate radical et citoyen, voire républicain (Indigènes de la république, Devoir de mémoire, « ma lettre au président »...). Il ne s’agit pas ici de dire que ces représentants auto-proclamés seraient des « traîtres » (ils ne « trahissent » rien de ce qui se serait dit de différent, puisqu’il ne s’est rien dit d’autre) mais il faut quand même se souvenir que ce discours n’est tenu que par ceux qui ont une position qui les distingue déjà du tout-venant prolétarien : militants politiques et associatifs, artistes musiciens, éducateurs, etc...

    De fait, « l’émeute » a effectivement pour cause des discriminations réelles (et avant tout le rapport quotidien avec la police) et si elle avait exprimé une revendication celle-ci aurait été une revendication d’égalité. Pour autant, on ne peut pas ignorer le fait qu’elle ne l’a pas fait. Le choix des objectifs attaqués a été son mode de communication unique, tant interne, entre petits groupes organisés d’une cité à l’autre qui agissaient dans le même sens mais sans échanges directs, qu’externe, vis à vis de l’ensemble de la population et de l’Etat. Ces objectifs ont laissé peu d’ambiguïté sur la nature du message : l’ennemi en premier lieu c’est l’Etat et son système répressif, mais aussi ses « services publics », en second lieu ce sont les entreprises et le système économique. Comme le dit très bien Roland (c’est la suite de la citation précédente) : « De l’école à quelques usines en passant par les transports, les postes de police, d’assistance sociale et les ANPE, ils (les émeutiers) se sont attaqués à tout ce qui les produit et les définit. »

    L’hypothèse qui me semble la plus juste, en l’absence d’une machine à sonder les reins et les coeurs des insurgés (celle de BL, qui a vu les émeutiers revendiquer le RMI, ne me semble pas encore au point), est de supposer que si rien n’a été dit durant ces émeutes, c’est qu’il n’y avait rien à dire : c’est que la seule revendication qui aurait pu être portée par le mouvement est une revendication auxquels les acteurs du mouvement ne croient guère. L’intégration à la société française par le travail et la méritocratie se fonde sur un état dépassé du capital, les politiciens, les responsables flics et les jeunes prolétaires révoltés le savent très bien.

    Je précise que quand je dis qu’aucune revendication n’a été exprimée, je ne fais qu’observer qu’il n’y a eu durant cette période, à aucun moment, d’expression d’une demande ou d’un slogan, même vague, dont on aurait pu dire qu’il aurait pu servir de point d’identification pour l’ensemble des actions qui ont été réalisées. Ce mouvement n’a pas connu son « ya basta » ou son « que se vayan todos », et même « Sarko démission » n’a jamais été son mot d’ordre. Qu’on ne dise pas que les conditions même de n’énonciation des revendications n’existaient pas : quand une parole trouve un écho, même dans un mouvement aussi éclaté et semi clandestin comme celui-ci, elle se reprend et se décline sur toutes les bouches et sur tous les murs. Les vecteurs pour que ce type de revendication émerge existent, et s’ils n’ont pas été utilisés, je le répète, cela ne peut être par hasard. Il n’y a qu’à voir le silence dans lequel la foultitude des appels citoyens ou indigénistes résonne actuellement.

    Quand aux discours tenus dans les médias, même par d’authentiques jeunes-de-banlieue (il ne s’agit pas pour moi ici de faire mon pro-situ et de prétendre qu’ils n’étaient pas authentiques), ceux qui ont accepté de répondre (et déjà c’est un sacré discriminant) ne sont précisément jamais situés sur le terrain de la revendication mais toujours sur celui de la justification ou de l’explication. Comme le dit Pépé quelque part dans les forums : « quand on voit, à la télé, un de ces jeunes prolétaires dire, devant les restes fumants d’une usine : « cette entreprise est venue en zone franche pour se gaver de subventions. Elle devait nous embaucher. Pas un seul jeune de la cité n’a pu y rentrer donc on l’a cramée et plus personne n’y rentrera. On a fait 20 chômeurs mais nous, ça fait 20 ans qu’on est chômeurs.... » Cela vaut dix heures d’analyses de journalistes, syndicalistes, gestionnaires politiques et militants qui se succèdent au micro pour éteindre l’incendie. » Patloch fait le même constat dans un de ses messages.

    Il n’existe pas, pour le prolétariat, de luttes, d’émeutes ou d’insurrections qui n’ait pour point de départ une « situation revendicative » : salariés, chômeurs, précaires, sans-papiers, mal-logés, prolétaires en butte à telle ou telle discrimination, ce qui est le moteur de l’action c’est toujours une situation particulière ( qui dans sa particularité exprime la généralité de la position du prolétariat dans le capital et ce tout en restant irréductiblement particulière, et ne pouvant se départiculariser, à mon avis, que dans la lutte, et qui plus est dans la lutte auto-organisée, on y reviendra... Pas de conclusion hâtive, il ne s’agit pas de nier sa particularisation pour s’affirmer prolétaire, mais de se positionner dans la lutte contre tout ce que l’on est dans le capital). Quoique exprimer ou ne pas exprimer la revendication ne soit pas un discriminant pour une remise en cause, ou non, de ce qui nous définit dans le capital, il n’empêche que les deux attitudes ne sont pas strictement équivalentes et qu’il est de fait plus radical de ne pas exprimer la revendication. Plus radical parce que le discours revendicatif, qui est forcement une articulation forte à ce que l’on est dans le capital, n’a même plus cours. Plus radical, mais pas forcément plus « avancé » vers un dépassement possible, et c’est là qu’on voit qu’il faut savoir faire une distinction entre les deux. De fait, l’insurrection radicale des jeunes prolétaires en novembre est restée, de bout en bout, une « révolte des banlieues », et il existe bien des raisons puissantes pour qu’il en soit ainsi. (J’espère qu’on voit bien que je ne fais preuve ici d’aucun « enthousiasme radical »...)

    Un mot encore sur le caractère « racial » des émeutes : il est tout simplement absent. Si les discriminations ont bien entendu une dimension raciste qui est, comme souvent, une des forme que prend la domination de classe, la réponse, elle, ne l’a pas été. On peut juger de la différence avec les évènements actuels en Australie par exemple. Je pense donc que le nouvel acronyme de Bernard Lyon, les « JPR », doit se traduire par « jeunes prolétaires radicalisés » et non par « jeunes prolétaires racisés ». Quoique le concept de « racisation » soit intéressant en ce qu’il montre quel processus est à l’oeuvre, l’adjectif « racisé » laisse entendre que ce même processus est achevé : or les émeutes de novembre nous montrent justement que, pour la France au moins, c’est loin d’être le cas et que ce l’est même beaucoup moins que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Il serait plus juste de parler de « jeunes prolétaires en voie de racisation », mais, malgré le goût de TC pour les sigles, je pense que même BL trouvera JPEVDR un peu long...

    Denis


    • Vous avez dit "radical", Bernard Lyon, 28 janvier 2006

      « quoique qu’exprimer ou ne pas exprimer la revendication ne soit pas un discriminant pour une remise en cause de ce qui nous définit dans le capital, il n’empêche que les deux attitudes ne sont pas strictement équivalentes et qu’il est de fait plus radical de ne pas exprimer la revendication. Plus radical parce que le discours revendicatif qui est forcemment une articulation forte avec ce qu’on est dans le capital n’a même plus cours. Plus radical mais pas forcemment plus "avancé" vers un dépassement possible, et c’est là qu’on voit qu’il faut savoir faire une distinction entre les deux. De fait l’insurrection radicale des jeunes prolétaires en novembre est restée de bout en bout une "révolte des banlieues" et il existe bien des raisons puissantes pour qu’il en soit ainsi ».

      Donc puisqu’il n’y a pas eu de « discours » revendicatif, la révolte n’était pas revendicative et donc elle était "radicale" par là même, par l’absence de revendications « exprimées » mais cette radicalité n’en n’est pas plus avancée vers un dépassement. Le choix du terme radical en devient étrange la non-expression d’une demande ne serait plus une défense de sa condition sans du tout se rapprocher de son abolition ! Denis nous dit qu’il faut distinguer ces luttes de celles qui seraient plus proches du dépassement, celles que justement on aurait tendance à appeler "radicales" !

      Bref je ne sais pas si ma machine à sonder les reins et les coeurs n’est pas au point, mais Denis remplace revendicatif par radical dans mon acronyme jpr sans du tout donner à radical un autre contenu que celui de la mutité. On comprend donc ainsi la graduation :

      1° niveau :Revendication, donc défense sa condition actuelle dan le capital.

      2° niveau : Non revendication donc non-défense de sa situation, destruction " négative" d’éléments du capital représentant sa condition (c’est le niveau radical)

      3° niveau : Abolition de sa situation dans l’emparement des éléments du capital qui nous font face (dépassement)

      Denis dit que le niveau 2 n’est pas "forcèment" plus avancé (donc il peut l’être, ce qui confirme ma serie ascendante)

      C’est ce niveau 2 "intermédiaire" dont la caractèrisation fait problème et que Roland positionne justement, dans certaine situation la revendication n’ a pas besoin du "discours" revendicatif, l’explicitation des causes suffit totalement, la description de la misère, de l’oppression policière, et de l’ostracisme raciste, est l’exigence de la normalité prolétarienne (le respect) , qui postule la possibilité effective de la salarisation, sous toutes ses formes.

      Le choix du terme "radical" est une positivation forte dans la vision du monde de la mouvance qui se dit elle-même radicale, Cette positivation est très lièe à la forme violente (relativement) du mouvement, même si ensuite ce terme ce trouve positionné en retrait dans un entre deux qui est décrit dans le texte de Roland : "....la revendication n’est plus ce qu’elle était"

      Et je proposerai donc pour le sigle JPEVDR : JEUNES PROLETAIRES EN VOIE DE RADICALISATION

      BL


      • Vous avez dit "radical", Patlotch, 29 janvier 2006

        C’est vrai qu’affirmer qu’« il est de fait plus radical de ne pas exprimer la revendication » paraît bien optimiste quant à ce qu’on peut attendre de ce type de révolte d’un point de vue "communisateur". Exprimé ou non, le caractère revendicatif n’est en tout cas pas dépassé. S’il est "dans ses causes" (RS), on peut même supposé qu’il peut devenir explicite, et pour une part c’est à cela qu’on assiste. Pour une autre, il ne reviendra plus à l’expression de revendications.

        Le niveau 2 (non-revendication donc non défense de sa situation, destruction "négative" d’éléments du capital représentant sa condition), ça me fait penser au texte de Debord sur les émeutes de Watts, en 1966 :

        Le pillage du quartier de Watts manifestait la réalisation la plus sommaire du principe bâtard : « À chacun selon ses faux besoins », les besoins déterminés et produits par le système économique que le pillage précisément rejette. Mais du fait que cette abondance est prise au mot, rejointe dans l’immédiat, et non plus indéfiniment poursuivie dans la course du travail aliéné et de l’augmentation des besoins sociaux différés, les vrais désirs s’expriment déjà dans la fête, dans l’affirmation ludique, dans le potlatch de destruction. L’homme qui détruit les marchandises montre sa supériorité humaine sur les marchandises. Il ne restera pas prisonnier des formes arbitraires qu’a revêtues l’image de son besoin.

        La caractérisation comme "radical" me semble relever du même faux espoir que cela puisse aller au-delà, avoir "un contenu non-revendicatif" devenant "avoir un contenu abolisateur" (?), "tendre à dépasser les limites", pour ne pas dire "entreprendre la communisation"... On pourrait établir toute une gradation interprétative et prendre la température communisatrice des luttes sur une échelle négatif>positif : eaux glacées, zéro radicalité, petite fièvre, gros feu ! Je préfère constater que cela traduit d’une façon singulière la notion de "luttes aux limites", et pourquoi pas d’écart, sans considérer comme je le disais ailleurs que cela soit plus avancé. En tout cas, ça ne participe pas de ce qui serait une aire de la communisation (ce que, sauf erreur, personne ici ne prétend). En même temps, c’est intéressant dans la forme, ça prouve qu’en certaines circonstances, le prolétariat n’hésite pas à détruire. Il faudra être attentif à ces formes dans les prochaines luttes y compris revendicatives. Avec une telle ampleur, on peut y voir un tournant, un signe annonciateur, pour ce qui est de la France.

        Je n’ai pas compris si le nouveau sigle de BL (JPEVDR) relève de l’ironie. Si non, je ne peux pas le suivre. C’est encore mettre le tout dans le même sac. Or ça dépend. Si un jour certains brûlent la bourse, ce sera encore "radical" mais un peu moins "revendicatif", et pas du tout "défensif", dans ses causes comme dans ses conséquences, même s’il n’y a pas davantage à en attendre dans l’immédiat, le capital pourra un certain temps se refaire les bourses. Peut-être que certaines luttes pourraient exprimer une tendance à dépasser les limites de la reproduction (du capital, du prolétariat)... Mais là ce n’était clairement pas le cas, car pour l’être il faudrait que cela soit dit de l’intérieur de ces luttes, et pas par des observateurs extérieurs. Les émeutes ne se sont emparées d’aucune théorie, d’aucune "conscience communisatrice", et elles l’auraient fait qu’on y pourrait mais... elles ne seraient pas davantage communisatrices.

        Patlotch, 28 janvier


        • Vous avez dit "radicalisés", Bernard Lyon, 30 janvier 2006

          Salut

          Bien sûr JPEVDR est "ironique"ou plutôt est une blague en réponse à celle de Denis, qui propose ce sigle pour souligner que le processus de racisation n’est pas achevé, ce en quoi il a raison puisque personne n’ a pu faire avaler le mensonge qu’il s’agissaient d’émeutes raciales. Cependant ils sont racisés, même s’il ne reprennent pas à leur compte les qualificatifs qu’on leur colle, car il suffit qu’ils soient désignés comme arabes ou noirs, pour que tout fonctionne pour eux ainsi, ils sont ségrégés et ce qui compte.

          BL


          • Ô ÉMOTION URBAINE, QU’AS-TU À NOUS DIRE, Amer Simpson, 1er février 2006

            En ce qui concerne les émeutes en France, je résumerais mes réflexions comme ceci : prenant naissance sur le terrain du capital, de sa division du travail, entre autre, tendant à la fois vers une forme universelle du salariat et une caducité définitive de l’identité ouvrière, d’où son caractère initialement revendicatif qui n’est plus ce qu’il était, ces émeutes sont l’expression d’une impossibilité pour ses protagonistes de trouver dans ce qu’ils sont, donc dans le fait d’agir comme classe, des éléments pouvant servir à construire du nouveau qui ne soit pas déjà de l’ancien reproduit avec quelques nouveautés, peaufinant ainsi l’achèvement de la restructuration qui est le terrain sur lequel ces émeutes ont pris naissance. Et c’est dans cette impossibilité que les émeutes trouvent à se taire, selon moi.

            Je m’explique.

            Pour commencer, si le Capital ne confirme plus l’identité ouvrière, il trouve toutefois bien d’autres identités à confirmer. Et c’est peu dire qu’il en confirme une quantité assez grande et de toutes les sortes. En fait, je suis tenté de dire que pratiquement n’importe quoi peu servir d’identité et c’est la raison pourquoi elles tendent à devenir équivalentes dans le procès d’exploitation. Donc, s’il y a des prolétaires qui sont définits par leur identité de race, d’autres le sont par leur identité de genre, d’âge, d’origine sociale et plus souvent qu’autrement par les différents statuts sociaux qui vont du travailleur syndiqué au sans-emploi, passant par les multitudes sous-produits en lien avec la formation, l’état de santé ou même les aptitudes personnelles.

            L’important, pour la classe capitaliste, c’est à mon avis de trouver dans chacune des situations particulières un critère d’identification permettant de retravailler les anciennes catégories sociales dans le but de fragmenter et dévaluer la force de travail en générale. Cette nécessité de retravailler les anciennes catégories à pour conséquence directe de transformer la division du travail, de la rendre fluide et propre à cristalliser temporairement la moindre identité comme critère de dévaluation. Il n’y a donc plus d’identité en soi qui ne soit déjà la confirmation du procès d’exploitation. C’est donc en raison de cette fluidité qu’il est possible de parler d’universalisation du salariat et d’uniformité de la gestion policière des conflits entre prolétariat et capital.

            (Personnellement, je ne partage ni le concept de Jeunes Prolétaires Racisés de B. L., ni celui du JPR en devenir de Denis. Je crois tout simplement que se sont là des identités parmi d’autres qui ont leur utilité dans la fragmentation de la classe et dans le développement actuel de la division du travail. Il est pour moi évident qu’aucune de ces identités n’est à même d’être celle qui contiendra toutes les autres. Ce n’est rien de plus qu’un jeu de balancier entre diverses identités dont parfois quelques unes ont plus d’efficacité que d’autres.)

            C’est là le terrain sur lequel les luttes du prolétariat naissent et meurent et les émeutes des banlieues n’y échappent pas. Mais il ne serait pas juste de traduire en généralité se qui relève d’une lutte particulière sans faire état de ce qui justement donne une singularité à cette lutte, de ce qu’elle peut avoir à nous dire.

            Dans ces émeutes, ce qui semble ressortir est la situation d’impossibilité de reproduire les catégories sociales et n’avoir que ça à reproduire, de se retrouver face à la limite d’agir en tant que classe. Premièrement, ce qui fut attaqué dans ces émeutes c’est l’ensemble des identités qui sont parties intégrantes de la reproduction des conditions de vie et d’exploitation du prolétariat. Les différentes institutions qui ont goûtées aux flammes de la révolte et du ras-le-bol correspondent aux différentes identités qui reproduisent chacun des prolétaires dans ce qu’ils sont déjà. À mon avis, il n’était pas question de mettre de l’avant son statut d’éternel chômeur victime de coercition raciale, ni celui travailleur précaire qui mérite mieux qu’un job de merde dans une shop de merde et encore moins de jeune scolarisé qui en a marre de survivre dans son ghetto. Rien de tout ça ne pouvait être défendu et c’est pourtant tout ce qui avait à défendre : une amélioration générale des conditions de vie et d’exploitation déjà présentes.

            Ensuite, ces émeutes devaient produire leur dépassement à partir de ce rien. Produire du nouveau qui ne soit pas de l’ancien réaménagé pour l’améliorer. Je ne dis pas que tous et chacun avait en tête ce nouveau mais que la situation rendait nécessaire cette production et que sans elle, n’importe qui pouvait dire pratiquement n’importe quoi, tout les revendication pouvaient être bonnes puisque la situation générale le permettait. La limite était en quelque sorte atteinte, d’un côté, parce que chacun des émeutiers cherchait à détruire chaque identité qui le contraint à la reproduction de son statut (dans l’émeute ne trouvant rien à revendiquer), de l’autre, parce que rien d’autre ne pouvait être défendu que l’ensemble de ces statuts (la revendication devenant le terrain sur lequel l’émeute trouvait sa fin).

            À partir de ce constat, il est effectivement possible pour certain de dire que ces émeutes ont produit quelque chose qui n’est plus de l’ordre du revendicatif, puisqu’il n’y eu effectivement rien à revendiquer. Mais en revanche, comme dirait d’autres, ce ne fut pas pour autant les premier pas de la communisation, elles sont restées sur le terrain du revendicatif. D’après moi, les deux façons de voir ont du bon pour la très simple raison qu’elles sont les deux faces de la même situation. Vouloir trancher entre le revendicatif d’un côté et son contraire de l’autre, c’est à mon avis perdre de vue et la limite et son dépassement. Si la limite est dans ce que fait la classe en tant que classe, le dépassement est donc dans ce que produit la classe à partir de cette limite : la rupture, la destruction par les prolétaires de leur condition de vie et d’exploitation. Conséquemment, si la rupture naît de la lutte revendicative, la limite sera donc de n’avoir rien à revendiquer sur le terrain de la revendication. Là se trouve finalement les raisons du silence revendicatif de ces émeutes, de n’avoir rien à dire sur la situation sinon ce qu’elle dit déjà.

            Finalement, le fait qu’il y ait quelque chose qui émerge et ne confirme aucune revendication sans être la négation des rapports sociaux capitaliste, n’est-ce pas là ce fameux écart que nous cherchons à voir et promouvoir ?


            • Ô ÉMOTION URBAINE, QU’AS-TU À NOUS DIRE, Jester, 4 février 2006

              J’ai donc une question à te poser : lorsque tu mentionnes le salariat, la classe ouvrière, et le prolétariat, quelle distinction fais-tu entre les trois termes ? J’aimerais que tu me précises ta pensée s’il vous plaît. Parce qu’il y a une nette différence entre la difficulté à s’identifier prolétaire et la difficulté à s’identifier classe ouvrière. Pour ce qui est du salariat, c’est une autre question plus générale.


          • Et bien oui, j’ai dit « radical »..., Denis, 9 février 2006

            « Plus radical mais pas forcément plus "avancé" vers un dépassement possible, et c’est là qu’on voit qu’il faut savoir faire une distinction entre les deux. »

            Cette formule, livrée sans plus d’explications dans un commentaire que j’ai posté le 16 décembre dernier, a provoqué la réaction de BL puis de Patloch sur le forum. Il semblerait que le seul usage du terme « radical » pour qualifier les événements de novembre suffise, dans l’esprit de Patloch et de BL, pour sombrer dans toutes les illusions possibles concernant ce genre de mouvement.

            C’est ainsi que Patloch nous explique que « la caractérisation comme "radical" me semble relever du même faux espoir que cela puisse aller au-delà, avoir "un contenu non-revendicatif" devenant "avoir un contenu abolisateur" ( ?), "tendre à dépasser les limites", pour ne pas dire "entreprendre la communisation"... »

            Dans cette intervention de Patloch, il n’y a strictement aucun autre argument : c’est l’emploi et l’emploi seul de « radical » qui le conduit à assimiler ma position à celle qui affirmerait que les émeutes auraient un « contenu abolisateur » ou encore pourraient « entreprendre la communisation » (expressions que Patloch cite entre guillemets, mais qui ne sont pas dans mon texte). Peu importe que je n’ai jamais tiré de telles conclusions, peu importe que j’ai justement pris la peine de distinguer « radical » et « avancé vers un dépassement possible », peu importe, donc, qu’en fait j’ai dit explicitement le contraire, pour Patloch l’affaire est entendue. Le choix, c’est soit reconnaître avec Roland que ces émeutes sont revendicatives, soit tomber dans ce que ce même Roland a d’avance qualifié « d’enthousiasme radical » ou de « cécité volontaire », et en lequel Patloch ne saurait voir autre chose qu’un « faux espoir ».

            L’argumentation de Bl est plus subtile mais lui aussi (et même, lui d’abord, puisque Patloch n’a fait que surenchérir sur BL) a réagi uniquement vis-à-vis du choix d’un terme, choix qu’il juge « étrange » mais qui n’est étrange que par rapport à l’usage que BL attendait que j’en fasse.

            La clé de l’argumentation de BL se trouve dans son avant-dernier paragraphe. Si je comprends bien ce que nous dit BL, en gros j’aurais décidé de parler de « radicalité » parce que « le choix du terme "radical" est une positivation forte dans la vision du monde de la mouvance qui se dit elle-même radicale ». Mais, en même temps, j’aurai du mettre de l’eau dans mon vin radical : pour ne pas paraître céder à un enthousiasme trop débordant, il m’aurait fallu distinguer « radical » et « avancé vers un dépassement », ne retenant des lors du terme radical qu’un usage « étrange » parce que ne s’appliquant pas à ce que « justement on aurait tendance à appeler [radical] ». J’aurai donc « positionné [ce terme] en retrait dans un entre deux » , entre-deux que BL a détaillé dans une graduation des luttes qu’il semble m’attribuer (bien qu’il n’y ait jamais rien de tel dans mes textes). Or, et c’est là le point final de ce que veut suggérer BL, cette étape 2, l’étape radicale, revient peu ou prou à ce « qui est décrit dans le texte de Roland ». Autrement dit, je me serais contenté, sans rien amener de nouveau sur le fond, de remplacer le terme « revendicatif » par celui de « radical » et cela par seul amour du mot « radical » et sans craindre de tordre le sens de ce mot (BL ajoute que le seul contenu que j’aurai donné à cette radicalité serait la « mutité »).

            Je vais donc répondre point par point à BL non seulement parce que son interprétation de mes propos n’est pas exacte, mais aussi par ce qu’il me prête des intentions qui ne sont pas les miennes. Ceux que la quelque peu fastidieuse mise au point qui va suivre lasseraient d’avance (et je les comprends, mais je ne peux pas faire autrement que de répondre à BL, et qui plus est de lui répondre aussi sur son terrain, c’est à dire en tenant compte d’éventuelles interprétations de ce que je dis comme relevant de quelque mission secrète au service de la mouvance radicale) sont invités à aller directement au dernier paragraphe de mon texte (« En guise de conclusion provisoire »)

            Passons à présent à la réfutation point par point des arguments de BL.

            - le contenu de la radicalité

            Selon BL, je n’aurais pas donné au terme radical « un autre contenu que celui de la mutité ». Mais attention : ne pas exprimer de revendication ne signifie pas que le mouvement est muet. Le choix n’est pas, comme semble le croire Bernard Lyon, entre soit exprimer une revendication, soit ne rien dire du tout ! En l’occurrence, j’ai précisément soutenu qu’il y avait bien un mode de communication du mouvement, mais que celui-ci résidait tout entier dans le choix des objectifs attaqués (la citation exacte est : « Le choix des objectifs attaqués a été son mode de communication unique, tant interne, entre petits groupes organisés d’une cité à l’autre qui agissaient dans le même sens mais sans échanges directs, qu’externe, vis à vis de l’ensemble de la population et de l’Etat. Ces objectifs ont laissé peu d’ambiguïté sur la nature du message : l’ennemi en premier lieu c’est l’Etat et son système répressif, mais aussi ses « services publics », en second lieu ce sont les entreprises et le système économique. »)

            Il va donc de soi que, s’il est plus radical de ne pas exprimer de revendication que d’en exprimer une, c’est à la condition de dire autre chose par ailleurs. Il n’est pas radical en soi de se taire ! La citation que BL a extraite de mon intervention ne peut évidemment se comprendre que par rapport au sens général de mon texte.

            Je dois ajouter, puisque cette question a été soulevée, que je me fous totalement de la « positivité » du mot radical, et je ne me considère pas comme appartenant à une « mouvance qui se dit elle-même radicale », encore moins en être le porte-parole. Je ne défends aucune position qui voudrait « positiver » le mouvement de novembre en raison de sa violence. Si j’ai employé le terme de « radical », ce n’est pas parce que je serai moi-même un « radical » qui voudrait à tout force voir de la « radicalité » partout.

            J’ai dit dans mon premier message ce que je trouvais radical : la revendication est une articulation forte à ce qu’on est dans le capital, c’est effectivement, si on veut, une « défense de sa condition », y renoncer tout en délivrant un message clair par les objectifs attaqués (tout ce dont on ne veut plus : le contrôle social, les emplois de merde...) c’est en effet montrer qu’on ne croit guère à l’amélioration de certaines situations de prolétaire dans le monde du capital.

            Au-delà de cela quelles peuvent être les motivations qui ont conduit à ne pas exprimer la revendication ? Peut-être parce que de toute façons les politiciens ne tiennent pas leurs engagements : ou parce ce que l’Etat, même s’il le voulait, n’a pas les moyens d’accorder ce qu’on peut lui demander : ou même parce ce que si les politiciens voulaient tenir leurs engagements et l’Etat pouvait accorder ce qui est demandé, la situation qui en résulterait ne serait pas forcément si enviable pour autant. Ou un peu tout cela en même temps...

            Pour ma part, je ne cherche pas à trancher entre ces différentes motivations possibles, et je trouve même que le fait de chercher à trancher est vain et périlleux. Vain parce qu’aucune enquête sociologique, même si certaines sont intéressantes, ne pourra nous donner le fin mot de tout ce qui s’est passé et de tout ce qui a été pensé. Périlleux parce qu’il n’y a pas de raison de chercher à parler à la place d’un mouvement qui a choisi de s’exprimer par ses actes, et par ses actes seuls.

            - « les luttes proches du dépassement »

            Citons encore BL : « Denis nous dit qu’il faut distinguer ces luttes [celles de novembre] de celles qui seraient plus proches du dépassement... ». Et bien non, précisément je n’ai pas dit cela. J’ai dit qu’il était, dans des luttes comme celles de novembre, « plus radical de ne pas exprimer la revendication, mais pas forcément plus "avancé" vers un dépassement possible ». Depuis quand dire que les luttes de novembre ne sont pas plus avancées vers un dépassement possible implique-t-il l’affirmation qu’il existe d’autres luttes qui, elles, seraient avancées vers un dépassement possible ? Ais-je jamais, dans ce texte ou ailleurs, laissé entendre que je pense que de telles luttes existent ?

            Même la lutte qui poserait actuellement de la manière la plus claire et la plus complète certaines questions ayant trait à la communisation (et là je ne parle plus de novembre, mais d’une lutte hypothétique) ne serait pour autant en rien plus « avancée vers un dépassement possible » que d’autres luttes, tout simplement parce qu’aucune lutte particulière ne pourrait par elle-même entamer ce chemin. Ce qui peut « s’avancer vers un dépassement possible », ce n’est pas une lutte donnée, c’est une situation de crise sociale généralisée dans laquelle une multitude de luttes prendraient des mesures communisatrices.

            - la « graduation » des luttes

            Dès lors que je n’ai jamais dit que les luttes actuelles pourraient être plus ou moins avancées vers leur dépassement, il va de soi que tombe à l’eau la « graduation » que propose BL dans une sorte de systématisation de ce qu’il croit être ma position.

            On ne peut pas voir les luttes comme plus ou moins « avancées » séparément sur une échelle du dépassement : ce qui peut produire un jour peut-être un dépassement de ce monde, c’est la lutte des classes dans son ensemble, et avant ce moment il n’y a pas beaucoup de sens à penser que certaines luttes pourraient être « en avance » sur d’autres (En avance comment ? En avance sur leur époque ? D’une autre époque que la leur ? Rien qu’en posant la question de cette manière on conçoit qu’elle est absurde).

            Les étapes 1 et 2 que nous propose BL ne sont donc pas des étapes, mais des différenciations possibles entre des luttes actuelles, différenciations qui justement doivent nous conduire à dire que, radicales ou non, ces luttes ne sont pas pour autant « plus avancées vers leur dépassement » les unes que les autres. Et l’étape 3 n’a rien à voir, elle est le moment de la révolution et non quelque chose qui pourrait caractériser une lutte actuelle.

            - sur l’emploi d’un adverbe

            BL a fondé beaucoup de sa démonstration sur l’interprétation de l’adverbe « forcément », lorsqu’il écrit « Denis dit que le niveau 2 n’est pas "forcément" plus avancé (donc il peut l’être, ce qui confirme ma série ascendante) ». Passons sur le fait qu’encore une fois BL me met dans la bouche des propos que je n’ai jamais tenus (le « Denis dit que » utilisé à deux reprises pour me faire dire ce que je n’ai pas dit, à croire que BL va bientôt écrire mes articles à ma place). Mais bref, concentrons nous sur l’adverbe « forcément », mais cette fois appliqué à ce que j’ai vraiment écrit, c’est à dire à « plus avancé vers un dépassement possible ».

            Pour BL, si les luttes radicales ne sont « pas forcément plus avancées vers un dépassement possible », c’est que donc elles peuvent l’être. Et bien non.

            Si j’avais employé une formule moins lapidaire, j’aurais écrit exactement : « Plus radical, mais ce qui ne doit pas forcément nous conduire à penser plus "avancé" vers un dépassement possible ». Le « pas forcément » ne porte pas sur la lutte elle-même, mais sur ce qu’on peut en dire. Il vise à ce que justement on n’établisse pas un lien nécessaire entre « radical » et « avancé vers un dépassement possible », parce que c’est ce lien précis que je cherchais à mettre en débat : ce lien qui vient naturellement à l’esprit de BL lorsqu’il écrit que « celles que justement on aurait tendance à appeler "radicales" » sont justement ces luttes qui seraient avancées vers leur dépassement.

            Ce n’était pas un hasard si le « avancé » de ma citation première était mis entre guillemets, car il s’agissait de récuser à l’avance une position qui n’est pas mienne et dont je craignais (et à juste titre...) que l’on ne me l’attribue.

            On me dira que l’adverbe « forcément » était trop faible, et que j’aurais dû dire quelque chose de plus net (du style : « Plus radical, mais absolument pas plus avancé sur la voie d’un dépassement possible »). C’est vrai, mais alors, en écrivant ce qui n’était tout de même qu’une réaction à chaud sur le forum, je n’avais pas anticipé les commentaires qui verraient dans ce que j’ai écrit strictement l’inverse de ce qui s’y trouve.

            En guise de conclusion provisoire

            Il me reste à répondre à une question, plus intéressante à mes yeux, qui ressort du message de BL. Comment concevoir qu’une lutte, radicale parce qu’elle n’est plus une « défense de sa condition », ne soit pas en même temps une manière de se rapprocher de « l’abolition » de cette même condition ? (la citation exacte de BL est : « la non-expression d’une demande ne serait plus une défense de sa condition sans du tout se rapprocher de son abolition ! »). Mais précisément on peut très bien ne plus vouloir de sa condition de prolétaire sans pour autant savoir le moins du monde comment on pourrait l’abolir et même qu’on puisse seulement envisager que ce soit possible... Il n’y a que pour BL pour qui remise en cause de sa condition par le prolétariat, abolition de celle-ci et communisation paraissent s’enchaîner sans heurts dans les développements d’un syllogisme bien huilé. Si l’abolition de la condition de prolétaire et la communisation impliquent en effet la remise en cause de la condition prolétarienne, le contraire n’est pas nécessairement vrai. La remise en cause par le prolétariat de ce qu’il est dans le capital est une condition nécessaire et non suffisante de la production du communisme : elle peut donc apparaître partiellement, ici ou là, dans les luttes actuelles, sans qu’il faille pour autant crier à la révolution déjà en marche. C’est bien là aussi le raisonnement que fait Roland avec sa théorie de l’écart.

            Je précise au passage que j’ai parlé de « condition nécessaire et non suffisante », et pas « d’étape ». Une condition peut apparaître en même temps que le phénomène qu’elle conditionne, au point d’être éventuellement (mais donc pas nécessairement) une partie du phénomène en question, tandis qu’une étape présente une antériorité nécessaire. De plus, une étape est quelque chose qui se franchit, tandis qu’une condition peut surgir et disparaître tour à tour sans que ce qu’elle conditionne soit advenu pour autant. Pour le dire autrement, il est possible qu’au moment de la révolution remise en cause de la condition prolétarienne, abolition de cette même condition et communisation soient un seul et même processus : mais cela n’empêche pas que dans les luttes actuelles puissent exister des tentatives de remise en cause de ce qu’ils sont par les prolétaires sans que ce soit pour autant nécessairement le début de la révolution. Et ces tentatives ne nous donnent pas pour autant la clé de ce que sera le déroulement d’une éventuelle révolution : ce n’est parce que les émeutes radicales de novembre s’accompagnent d’un refus de défendre sa condition prolétarienne qu’une remise en cause plus globale de cette condition allant jusqu’à son abolition prendrait nécessairement à ses débuts la forme d’une série d’émeutes radicales.

            On le voit, j’applique ici le même raisonnement que quand je parle de luttes qui posent des questions ayant trait à la problématique de la communisation. Quoiqu’on en dise, elles ne sont pas des luttes d’avant-garde (elles ne sont pas « avancées »), et elles ne tracent aucun chemin. Elles ne sont que la marque de l’existence dans les luttes actuelles et sous une forme actuelle de ce qui peut un jour donner éventuellement (et sûrement pas nécessairement) la révolution.


            • ce que ne dit pas "radical" : une fonction idéologique floue, Patlotch, 10 février 2006

              Dans cette intervention de Patlotch, il n’y a strictement aucun autre argument [...] c’est l’emploi de "radical" [...] expression que Patlotch citre entre guillemets [...] qui ne sont pas mon texte

              C’est vrai qu’il n’y a pas « strictement » d’autres arguments. C’est d’une part, parce qu’ils ne sont jamais chez moi très "stricts" (nous n’avons pas la même conception de la rigueur théorique, ni de son rapport aux réalités), d’autre part que ces arguments sont ailleurs, dans la mesure où mes interventions forment un tout, et que je ne reformule pas ce tout à chaque fois, surtout dans ce genre d’échanges de forums. C’est donc à lire aussi relativement à la position que j’ai prise par exemple dans mon intervention du 28 janvier : de la critique de l’auto-organisation aux modalités concrètes d’organisation "auto-communisatrices"

              Limiter le problème à l’emploi du mot "radical" me semble surtout utile à la polémique, à son aspect rhétorique, dans ce qui est une réduction du problème en cause à un débat formel, dont témoigne l’allure que prend le bras de fer Denis-BL, et dont j’ai dit ailleurs comment je le situais relativement à Meeting et son Invite. Autrement dit, confirmation du fait qu’on ne peut pas intervenir ici sans être aspiré par l’une ou l’autre des approches les plus formalisées (l’écart ou l’aire de la communisation). C’est ainsi que pour Denis, je n’ai pu que « surenchérir sur BL »...

              Enfin, les guillemets que j’ai mis ne prétendaient pas mettre ces expressions sous la plume de Denis. Mais il y a bien un moment où il faut trancher, et c’est vrai que dans ce débat là (qui n’est pas exclusif d’autres sur la communisation où ce n’est pas le cas), je me rapproche davantage des positions de TC telles que formulées par RS, plus que par BL, même si celui-ci est plus "subtil" que moi. La polémique autour de "radical" prend ainsi des allures contorsionnistes et dialectiques au sens de Schopenhauer (l’art d’avoir toujours raison). Mais sans doute ne suis-je pas assez « subtil » pour en percevoir les enjeux.

              Pour le reste, dont certains penseront qu’il est l’essentiel, je n’ai rien à ajouter. Je ne sais vraiment pas à quoi ça sert tant ça finit par être auto-référentiel sans matière sociale, plus dissertant ad nauseum que théorique. Les distinguos me paraissent de plus en plus relever d’un enfermement dans le bras de fer évoqué plus haut, où tout ce qui se passe est passé à la moulinette de ces interprétations binaires dans une projection qui ne relève pas pour moi d’une posture d’observation et d’analyse théorique, mais d’une construction intellectuelle qu’il s’agit de valider, voire de promouvoir. D’où le style, qui porte comme forme son contenu.

              Autant dire que ça ne me donne aucun complexe quant à mon supposé manque d’arguments.

              Patlotch, 10 février


            • Et bien oui, j’ai dit « radical »..., , 11 février 2006

              je voudrais faire une intervention qui peut paraître marginale mais qui pour moi n’est pas dénuée d’importance face à la tournure que prennnent les échanges sur "Ballade en Novembre". Je ne voudrais pas que le débat se résume et se fige entre "soit reconnaître avec Roland que les émeutes sont revendicatives..." soit "l’enthousiasme radical". On peut en poitant des faiblesse de mon texte le résumer en disant "luttes revendicatives" ; mais une lecture attentive montre que je suis très "prudent" sur le terme, ce qui je le reconnaîs est bien le signe d’un certain embarras que Denis a immédiatement relevé, avec raison, dans son premier commentaire de mon texte. Et je suis toujours, sur ce sujet, dans l’indécision, pensant de plus en plus que nous nous faisons piéger par des catégories obsolètes qui ont servi un temps à rendre compte d’une réalité dans un discours et des problématiques dépassées. Je ne voudrais pas qu’au fur et à mesure que les échanges se succèdent on fige les positions dans un "soit", "soit" qui petit à petit nous ferai régresser (du moins pour moi) en deça de nos positions premières contenant les doutes qui fesaient leur intérêt.

              RS


              • « radical » : catégorie floue, Patlotch, 12 février 2006

                Il n’est pas inutile de rappeler que la discussion sur la caractérisation des "émeutes de novembre" avait commencé avant que RS ne publie son texte "Ballade en novembre", ici : Réunion publique, Marseille..., autour de leur définition comme "défensives et revendicatives" (BL 14 novembre)

                Je crois que c’est Pépé qui avait ouvert le 13 novembre, en réponse à Théoricisme sans racine, qui suivait une de mes interventions "Démocratisme radical sans racine" (20 octobre, donc avant les émeutes), où j’interrogeais la pertinence du concept et du terme radical, parce qu’il ne renvoie pas aux racines de l’exploitation (selon la formule de Marx : « être radical, c’est prendre les choses à la racine »). RS répondait à juste titre (28 octobre) que « le démocratisme radical prend les choses à la racine, à la racine... de la démocratie »

                Quand "Ballade en novembre" a été mis en ligne (23 novembre), j’ai dit ma "globale satisfaction" (26 novembre) aux considérations plus "dialectiques" de RS quant à cette caractérisation, et je l’ai comprise aussi comme une prise en compte de la discussion qui s’était engagée. Je suggérais qu’on était peut-être amenés à « inventer une autre catégorie" pour qualifier ces luttes, et que cela posait pour le moins un problème terminologique.

                Malgré la polémique plus haut, je rends acte à Denis de réagir contre un procès d’intention que lui fait BL, que je rapporte à la difficulté d’échapper à des étiquetages binaires, même si je pense qu’ils sont comme programmés par nature et genèse de Meeting. Je rends acte aussi à Denis qu’avec "radical", et ce qu’il a mis et seulement mis derrière, il cherche justement à caractériser de type de luttes de façon nouvelle, comme je l’ai souhaité, et comme RS y invite le 11 février, en rappelant son "embarras", son "indécision".

                En affirmant, mais sans m’en expliquer, que "radical" ne dit pas sa "fonction idéologique floue", j’avais en tête l’ensemble de ces discussions d’avant et d’après les émeutes. Denis, par "radical", entend un renoncement à la revendication de ce qu’on est dans le capital, à sa condition : « on ne croit guère à l’amélioration de certaines situations de prolétaires dans le monde du capital ».

                Pour ma part, je crois qu’il faut effectivement rattacher "radical" soit au "démocratisme", soit à l’essence du capital, mais que mettre l’adjectif à "luttes" porte le flou, d’autant que l’adjectif est revendiqué partout, comme le substantif "radicalité", "radicalités"... pour tout ce qui, relativement au capital, ne l’est pas, au sens de prendre les choses à la racine. C’est son côté, disons, de surenchère gauchisante verbale. Personne n’ira penser que la position de Denis relève de cette surenchère démocratiste, mais en utilisant "radical", il prête le flan à la critique que lui fait BL, compte tenu du contexte "soit/soit". En somme, peut-on dire que ces luttes seraient radicales parce qu’elles prendraient les choses à la racine ? Oui et non. Aucune lutte n’est étrangère aux racines de l’exploitation, de façon plus ou moins directe et explicite, et surtout "consciente", au sens d’une compréhension interne (théorique, si on veut). Ces émeutes le sont donc plus directement que par exemple, la grève des fonctionnaires, mais sans doute pas plus que celles contre le CPE (du moins dans certains aspects... radicaux ;) et dans le fait qu’elles portent d’emblée sur le précariat, qu’y participent aussi bien des salariés que des chômeurs, donc luttes en phase avec la définition du prolétariat par le précariat, ce qui n’est évidemment pas le cas des luttes corporatistes. C’est un débat à ouvrir, il me semble.

                Voilà, j’ai beau afficher de ne pas être "strict", je suis assez demandeur d’une terminologie précise et rigoureuse en la matière, du fait même des enjeux qu’elle recouvre, et qui ne sont pas éclaircis par l’allure que prenait cet échange.

                Mon sentiment est que, pour autant qu’une nouvelle catégorie soit nécessaire pour caractériser un ensemble de luttes de façon adéquate aux analyses somme toute partagées ici, il vaudrait mieux trouver autre chose que "radical". Même si dans l’esprit, ce terme permet de poser la question, est-ce la bonne question, la bonne manière, ou n’est-ce pas déjà une mauvaise réponse à une question mal posée ? Voilà ce que j’entendais par "fonction idéologique floue".

                Patlotch, 12 février


            • Et bien oui, j’ai dit « radical »..., Denis, 12 février 2006

              Je tiens à dire ici que je suis entièrement d’accord avec Roland. Lorsque j’ai écrit que « le choix, c’est soit reconnaître avec Roland que ces émeutes sont revendicatives, soit tomber dans ce que ce même Roland a d’avance qualifié “d’enthousiasme radical” ou de “ cécité volontaire », je résumais ce qui me semblait se dégager de la position de Patloch dans le premier message qu’il a envoyé.

              Exactement de la même manière, je pense qu’il ne faut surtout pas interpréter les débats autour de la communisation comme relevant nécessairement de « l’une ou l’autre des approches les plus formalisées (l’écart ou l’aire de la communisation) » (cette fois je cite Patloch dans son deuxième message). Je ne sais pas si Roland est « le théoricien de l’écart » (ce serait à lui de nous le dire) mais je ne suis pas pour ma part le « théoricien de l’aire de la communisation ». D’abord parce que loin d’être « formalisée », mon approche, au contraire, est encore très intuitive : la notion « d’aire de la communisation » est si peu centrale pour moi que je pense que je vais y renoncer, dans la mesure ou certaines des critiques qui lui sont adressées me semblent justes. Ensuite, parce que c’est commettre une erreur grossière de croire qu’il n’y a que deux positions dans Meeting. « L’aire de la communisation » et les réflexions qui l’accompagnent n’ont jamais concerné que moi, et les articles d’ « Anonyme » ou de Joachim Fleur dans Meeting 2 révèlent des points de vue qui tournent autour d’autres problématiques. Problématiques qui sont d’ailleurs moins dans le droit fil des thèmes de réflexion impulsés par Roland que les miennes, et c’est très bien comme cela.

              Patloch fait en partie le même constat, puisqu’il regrette de ne plus pouvoir intervenir sur le forum sans être « aspiré » par l’une ou l’autre de ces « approches formalisées ». On pourrait lui retourner les reproches qu’il nous adresse en lui disant que c’est lui qui se laisse facilement « aspirer », mais ce serait un peu vain, d’abord par ce que cela va encore le vexer (et donc cela va provoquer une nouvelle réponse de sa part, etc...), ensuite par ce que la question n’est pas tant de trouver des responsabilités que de tenter de corriger l’impression qui pourrait se dégager de nos débats.

              Je suis d’accord aussi avec Patloch pour dire que polémiquer autour du mot « radical » est réducteur (je n’irai pas jusqu’à « rhétorique »). J’ai d’ailleurs hésité avant de répondre à BL, et je ne l’ai fait qu’en me justifiant abondamment (voir le paragraphe de mon message qui commence par « je vais donc répondre point par point à BL... »). Mais il est certain que cette réponse a été faite au risque de donner l’impression une fois de plus que la théorie s’occupe du sexe des anges plutôt que de la réalité des luttes. Ceux qui ont récemment envoyé une voiture s’écraser sur les grilles de l’hôtel de police de Chanteloup les Vignes n’ont peut-être pas passé des heures à se demander si ce qu’ils faisaient était plutôt « radical » ou plutôt « revendicatif »...

              Cette dernière remarque est aussi une boutade, car je suis bien persuadé que la théorie telle que nous tentons de l’élaborer en commun est directement connectée aux luttes actuelles. Mais j’ai peur en effet que cela ne saute pas directement aux yeux de ceux qui viendraient s’attarder sur notre site Internet, et singulièrement sur les messages de forum.

              Je n’ai rien contre les échanges un peu vifs mais à condition que cela fasse avancer les débats : si c’est pour donner le sentiment qu’il y a deux camps qui cherchent à avoir raison l’un sur l’autre, c’est inutile. Là encore, Patloch, en venant fourrer ses grands pieds dans le plat (mince ! je crois que je l’ai encore vexé !), va certes d’un côté paradoxalement renforcer ce qu’il dénonce, mais en même temps révéler ce qui peut facilement nous guetter.

              C’est, vu ces difficultés, sur l’opportunité même de l’existence du forum que je m’interroge.


              • « radical » (suite) / sur le forum de Meeting, Patlotch, 12 février 2006

                J’ai réagis avant de voir cette intervention de Denis, qui recoupe sur plusieurs points la mienne (« radical » : catégorie floue). Quelques mots donc, et puisque je suis dans un bon jour (c’est dimanche) je ne vais pas me "vexer", pour autant que ce soit le cas précédemment. Je reconnais plutôt un manque pathologique de patience.

                Dans mon insistance à focaliser sur les "approches les plus formalisées" (c’est BL qui les a caractérisées, en substance, comme ça), j’ai sans doute eu la main lourde, et que la définition d’une opposition entre "Parisiens", supposés dionysiens (d’une bande à Denis, pas des saints), et Marseillais (plus réellement técéistes, c’est comme ça), ne rend pas compte de la diversité. J’ai par ailleurs eu l’occasion de faire référence aux textes de Joachim Fleur et tout récemment de l’Anonyme relativement à des problématiques qui ne sont pas celles en cause ici, comme le relève Denis en les citant. Sans doute convient-il de distinguer entre des problèmes de fond liés à la génèse de Meeting et le consensus de l’Invite, et le fait que les interventions de Meeting ne s’inscrivent pas tous dans cette dichotomie, bien qu’elle soit étouffante.

                Dont acte, par conséquent, d’une part sur l’abandon annoncé ou probable de "l’Aire de la communisation" qui n’engageait que son auteur, et d’autre part sur la nécessité de ne pas en rajouter, "paradoxalement", à ce que je dénoncerais.

                Concernant l’opportunité de l’existence du forum, et sans revenir sur les questions du champ d’interventions relative à la "communisation" que Meeting ne permet actuellement pas de couvrir, il y a sans doute moyen d’en sortir par le haut. Des pistes ont été évoquées :

                - d’une part en considérant que le genre forum ne se prête pas à faire de la théorie (comme dans les textes proposés pour la revue papier, ou chez d’autres, pour autant que toute la théorie se fasse ailleurs, comme semble le croire Charrier), et que certains sont peut-être trop exigeants à cet égard.

                - d’autre part en admettant que des interventions plus spontanées ou de témoignages et commentaires des luttes auraient toute leur place, y compris si elles ne sont pas théoriciennes dans leur formulation. A cet égard, je crois qu’il ne faut pas rêver. Si l’on veut que le forum, ou la revue, donnent à voir une prise sur les luttes, et que cela "saute aux yeux", il faut en rabattre sur le niveau d’exigence, et amorcer la pompe.

                Peut-être que l’on pêche par modestie (ou manque de -), soit en sous-estimant les effets de la théorisation sur le cours des luttes, soit en considérant que ce que l’on peut dire des luttes de façon plus descriptive qu’analytique, comme matériau brut, n’a pas d’intérêt, soit parce qu’on ne veut l’exprimer que de façon hyper soignée. Autrement dit, on se ligote sans doute à mettre la barre trop haut, et ce faisant, on a un peu de mal à se situer soi-même dans la période, dans "l’écart", y compris pour les tenants de ce concept. C’est-à-dire qu’on ne donne pas forcément de Meeting l’image qu’on souhaite, par défaut d’exemplarité, et que cela n’incite pas trop à la participation. Une certaine régression par rapport à des textes dans le mouvement de 2003, avant donc l’existence de Meeting. Nous n’avons rien vu, par exemple, sur les luttes de Marseille, la SNCM et les Transports urbains.

                Sans en faire un problème uniquement de forme, le type forum à la queue des textes proposés génère une certaine inertie, puisqu’on ne peut a priori aborder un sujet qu’une fois que quelqu’un a proposé un texte élaboré pour la revue.

                Pour rester dans le sujet de ce fil, j’ai suggéré de mettre en relation "émeutes de novembre" et luttes contre le CPE, à travers la caractéristique commune de luttes du précariat, du prolétariat remis en cause comme caractérisé par le salariat, ce qui leur confère à des degrés divers un caractère différent des luttes revendicatives traditionnelles, de résistance "nostalgique", voire conservatrices de ce qui est irrémédiablement caduque : la perspective d’une alternative néo-keynésienne, d’un nouveau New-Deal, comme le prétend Moulier-Boutang.

                Quoi qu’il en soit, ne pas intervenir dans ces luttes "en théoricien" me semble contre-productif, ou dommageable de ne pas en témoigner. Reste à savoir, effectivement, si une discussion sur Internet peut être considérée comme une telle intervention, puisque nous ne sommes pas "en situation", ou plutôt ce n’est pas en tant que certains de Meeting y participent qu’ils interviennent ici. Voilà qui mérite réflexion. Après tout ils peuvent aussi le faire sous un autre pseudonyme... Debord soulignait le rôle du téléphone, en mai 68, et même des voitures, "détournées" de leur usage habituel pour servir à la jonction entre usines occupées. Notre virtuel vaut bien quelques réalités. A chaque époque une manière de vivre la théorie des luttes.

                Patlotch


                • « radical » (suite) / sur le forum de Meeting, , 13 février 2006

                  Je suis d’accord avec Patlotch sur le caractère relativement "bloquant" de ne pouvoir s’exprimer sur le site qu’en réponse à un article déjà là . Il faudrait qu’on puisse envoyer des messages qui ne s’inscriraient pas dans un "fil" . De même il est vrai - et cela va tout à fait avec ce que je viens de regretter - qu’on place la barre très haut dans ce qu’on à dire des luttes,si on prend le cas des grèves de la SNCM et de la RTM à Marseille, nous nous sommes dit que, bien que sur place et ayant participé aux manifs, nous n’avions rien à dire de plus que ce tout le monde savait c’est à dire qu’elles butaient totalement sur leurs limites, de défense du service public. Le refus acharné, pendant 40 jours de grève, à la RTM de voir s’établir une concurence avec un métro relevant du privé n’a strictement rien obtenu et on peut craindre que le bras de fer de la mairie, en lien direct avec le gouvernement, n’ait brisé pour longtemps la combativité des traminots (la plus longue grève aussi en 1995). De manière générale Marseille est considérée dans le DR comme la "capitale des luttes". Avec une cgt encore bien réelle et relativement en opposition à ladirection nationale (la campagne interne pour la non au référendum a été très active) avec un QUOTIDIEN local d u PC, avec des quartiers prolétariens/immigrés qui n’explosent pas avec des revenus à 60% d’origine publique, Marseille est un cas très spécifique en France on y a une cooexistence d’un mouvement ouvrier plus ou moins maintenu et de formes très modernes de segmentation du prolétariat.

                  L’exception marseillaise est une exarcerbation de " l’exception française " les manifs monstres de Marseille en sont l’emblème

                  Salut à tous BL



  • Ballade en février, Patlotch, 8 février 2006

    Bon, comme ya pas encore de fil ad’hoc, question :

    Peut-on considérer que les protestations contre le CPE témoignent d’un tournant subjectif relativement à cette considération théorique : "Le chômage définit le travail salarié" (RS > FONDEMENTS CRITIQUES D’UNE THÉORIE DE LA RÉVOLUTION, chap. 1 Un renversement théorique) ?

    Tournant très relatif, dans le cours du "démocratisme radical", mais annonce d’une jonction du prolétariat entre salariés réels et potentiels, ’possédés’ du capital ? Tout ça dans l’instabilité générale et les fractures internes au prolétariat tels que les annoncent les révoltes de novembre ?



  • Ballade en novembre, Bernard Lyon, 18 février 2006

    MC fait la leçon aux JPR

    Commençons par lire l’extrait le plus important de l’article de la lettre n° 19 de « Mouvement communiste » de décembre 2005 (www. Mouvement communiste.com)

    « ...En l’absence de tout message ou revendication émanant explicitement des émeutiers, force est de s’en tenir aux actes pour essayer d’apprécier la situation.

    Des milliers de véhicules ont été livrés aux flammes dans les mêmes quartiers d’où sont issus les émeutiers ; des écoles ont été prises d’assaut ; des salles de classes détruites ; des pompiers, des travailleurs des transports publics et des prolétaires isolés ont été dépouillés et, parfois, sauvagement attaqués. Un aspect de ces événements aura été de concentrer en peu de temps ce qui se passe d’habitude aux mêmes endroits toute l’année.

    Ces faits déplorables ne se sont pas déroulés en marge d’un mouvement aux objectifs et aux formes de lutte différents et compatibles avec la lutte indépendante du prolétariat. Malheureusement, ils ont représenté l’essentiel des actes recensés. C’est pourquoi nous considérons que ces faits sont dépourvus d’un quelconque fondement politique de classe.

    L’expression de la haine contre la condition subie n’est aucunement tolérable lorsqu’elle s’exprime en visant d’autres prolétaires, d’autres secteurs de la classe exploitée et opprimée.

    La guerre entre pauvres est la pire des manifestations de la domination du capital, celle qui ôte tout espoir de transformation radicale du présent.

    La haine de classe dans ses différentes formes (défensive et politique) est, au contraire, la meilleure manifestation de la volonté du prolétariat d’exister par et pour lui-même, dans un processus de combat pour son unification politique contre le capital et l’Etat. Rien de cela n’apparaît des carcasses de voitures et de bus et des intimidations et des violences contre d’autres travailleurs. L’apparition, dans les quartiers visés par ces émeutes, de secteurs amples de population ouvrière qui en appellent à l’Etat pour qu’il restaure l’ordre n’est guère de bon augure. Ces comportements confirment à leur tour l’incapacité actuelle de surmonter les profondes divisions et le « chacun pour soi » qui règnent dans les cités comme ailleurs.... »

    « MOUVEMENT COMMUNISTE » se permet de déclarer la révolte des banlieues « intolérable » (on se demande ce que ce terme signifie, puisque MC ne peut rien faire pour ne pas la « tolérer » on ne voit que la police pour s’en charger, espérons pour eux que leur mots ont dépassés leur pensée) et de faire la leçon aux racailles sur le comment faire pour que le prolétariat ait une « lutte indépendante » et qu’il ‘existe « pour et par lui -même »

    La profonde myopie de MC, produit de son indécrottable programmatisme, a un incontestable avantage : Il suffit de connaître la position de MC pour savoir à tout coup qu’est ce qui peu être annonciateur un dépassement révolutionnaire.

    MC se lamente devant les destructions de la même manière que tout l’appareil politique et médiatique, MC n’est même pas capable de la compréhension de la révolte que font les sociologues. Mc invente de toutes pièces : « L’apparition, dans les quartiers visés par ces émeutes, de secteurs amples de population ouvrière qui en appellent à l’Etat pour qu’il restaure l’ordre n’est guère de bon augure » alors que tous les commentaires, un minimum lucides, disent qu’au contraire les familles comprenaient et même approuvaient les actes des jeunes (l’enquête qu’il cite dans laquelle 60% des habitants des banlieue seraient scandalisés ne prouve qu’une chose : On ne se dénonce pas devant un enquêteur)

    L’argument massue aux allures de radicalité :La guerre entre pauvres est la pire des manifestations de la domination du capital, celle qui ôte tout espoir de transformation radicale du présent. Oublie deux choses :

    1° Ce n’était pas une guerre

    2° Toutes les guerres, quand il s’agit de guerre, se font entre les pauvres

    MC a quand même raison ces fait sont dépourvus d’un quelconque fondement POLITIQUE de classe, il n’y a pas eu et il n’y aura pas de d’unification POLITIQUE du prolétariat contre le capital et l’Etat

    La révolution communiste ne sera pas politique, elle sera même contre la politique

    Salut à tous BL


    • Dérive chez les faux-frères ennemis ?, Patlotch, 19 février 2006

      C’est vrai que la position du groupe critiqué (je n’en connais aucun spécimène vivant, d’autant qu’ils ne vivent que déjà morts) est suffisamment caricaturale pour mériter de la considérer comme emblématique. Car il y en a tant d’autres qui nagèrent en ces eaux troubles (à LO par exemple).

      Cela dit, c’est aussi en ce que cette position est caricaturale que sa critique est plus aisée, je veux dire qu’elle s’impose sur les principes. "Sur le terrain", c’est une autre histoire, parce que les mêmes arguments ne se présentent pas souvent avec autant de pureté.

      Enfin bon, nous avons tous nos ennemis de l’intérieur préférés, MC, moi pas connaître. Ma fausse famille, c’est plus le genre PC-LCR... et quelques syndiqueux que je connais de l’intérieur professionnel, des ’amis" de trente ans, l’avant-garde du démocratisme radical, l’auto-mise à mort de leur dernier neurone révolutionnaire.

      Ben voilà, chacun ses ploucs, marchons au coude à coude et frappons ensemble !

      Schüss Bernard, maintenant qu’on se connait, je peux t’appeler par ton prénom ?

      Amical’ for alles, by love, of classe

      Patlotch

      (... et merde à la politique !)


      • Dérive chez les faux-frères ennemis ?, Salbert , 24 février 2006

        Peut être que ’afforce de critiquer ceux qui leur ressemble le plus d’abord les anticitoyens, qualifiés de démocrates radicaux puis confondus sous le joli mot de programmatisme, nos communisateurs vont finir par se rendre compte qui sont leurs véritables ennemis.


        • Dérive chez les faux-frères ennemis ?, , 24 février 2006

          Nos véritables ennemis sont ceux qui déclarent intolérable la révolte des banlieues, démocrates radicaux ou programmatistes archéo.

          La critique des positions ouvertement contre-révolutionnaires est peut -être trop facile, mais elle est notre fondemment, le reste est plus difficle mais on s’en occupe, y qu’à lire ! La prochaine fois il faut penser à penser un peu plus,

          BL


          • Dérive chez les faux-frères ennemis ?, Salbert , 28 février 2006

            Que les ennemis de vos ennemis ne soient pas tous vos amis, je le conçoit, mais que vos pires ennemis soeint vos anciens frères, les programmatistes car anciens et frères, j’ai du mal à le comprendre. La prochaine fois il faut argumenter un peu plus.


            • Il n’ y a pas de faux frères, nous n’avons que vrais amis ou de vrais, BL, 4 mars 2006

              Donc argumentons un peu plus :

              Meeting n’est pas un rapprochement de tous les partisans du communisme, mais

              de partisans de la communisation, dans le but de mener un débat permanent

              entre eux, mais aussi une polémique contre toutes les expressions qui nous

              paraissent s’opposer véritablement à l’élaboration de la théorie de la

              communisation dans ce cycle de lutte, les amis et les ennemis ne le sont pas

              à priori, mais dans les conceptualisations qui s’élaborent :

              1°Nous n’avons pas de pires ennemis à part le capital et l’Etat (surtout l’Etat,

              existence immédiate de la société capitaliste dans son indépendance et sa

              nature de pouvoir de classe sans pitié)

              2°Les anticitoyennistes ne sont nullement nos ennemis, ils s’opposent, comme

              nous, à la constitution par le Démocratisme Radical militant des limites des

              luttes, en force politique potentiellement contre - révolutionnaire, la

              critique que leur faisons c’est de poser le DR comme non produit

              naturellement par les limites intrinsèques des luttes de classes actuelles,

              comme pouvant ne pas exister. Nous les critiquons donc aussi par conséquent,

              sur la possibilité qu’ils supposent d’un dépassement révolutionnaire

              immédiat, en dehors de la crise généralisée du capital encore à venir, même

              si un écart est déjà visible dans le bouclage des luttes dans la

              reproduction du capital.

              3° Les Ultra-gauches archéo - programmatiques du genre de MC, ou bien pire

              du GCI ou du CCI développent des argumentaires ouvertement opposés aux

              luttes de classe qui ne correspondent pas à leur fantasmagories de "l’autonomie

              du prolétariat", certes ils critiquent de DR, mais ils le font d’une manière

              si anachronique et si politicienne que leurs critiques en sont totalement

              contre -productives, occultant complètement le dépassement révolutionnaire

              produit par le nouveau rapport entre les classes, après la restructuration

              dont nous sortons : la communisation

              4° Notre critique a comme présupposé qu’il existe un courant communisateur

              de par l’existence d’un écart dans le bouclage des luttes de classe, que l’auto-organisation

              des luttes se contredit dans le cours de la reprise de cours de l’accumulation

              capitaliste et pose comme seul dépassement l’abolition immédiate des classes

              par les prolétaires insurgés. Ce courant communisateur c’est simultanément l’existence

              des productions théoriques "communisatrices" qui commencent à exister comme

              courant empiriquement matériel et théorique (revues, rencontres, sites,

              etc. ), il implique une polémique avec les programmatistes et les

              anticitoyennistes - qu’il ne faut pas confondre, tant les anticitoyennistes

              sont probablement plus à même de critiquer et de dépasser leurs positions

              immédiatistes - fait partie de la prise de conscience de soi du courant

              communisateur (au sens restreint et "matériel") . Autre exemple : Comme

              nous, « Trop loin »" est issue de l’Utra-gauche, et pose la révolution comme

              communisation, c’est un élément du courant communisateur théorique, ce qui n’exclut

              évidemment la polémique avec la thèse développée dans l’article "Il va

              falloir attendre" où est posée la nécessité de la réussite de la

              restructuration, au sens d’un retour à une prospérité, qui puisse rejetée,

              comme elle l’aurait été paraît-il été dans la fin des années 60, afin que l’on

              puisse avoir une communisation qui ne soit pas "contrainte" par la misère,

              mais libre, sous peine qu’elle ne soit rien d’autre qu’une nouvelle mouture

              du socialisme réel.

              BL


              • Existentialisme ?, N., 12 mars 2006

                Bonjour,

                J’ai relu les deux textes critiques de d’Appel dans Meeting n°2. J’avais envisagé de rédiger un petit texte sur les questions posées dans ces deux interventions, mais je me suis rapidement rendu compte que j’en étais incapable et que je finissais par faire, soit du mauvais marxisme, c’est-à-dire du gauchisme, soit du mauvais Heidegger... Donc, je préfère m’abstenir pour l’instant de prendre position dans ce débat : d’une part, je n’ai pas les ressources théoriques nécessaires pour apporter des éléments de réponse satisfaisant dans une discussion qui, je m’en rends compte maintenant,s’est transformé imperceptiblement en une guerre interne au milieu radical parisien. D’autre part, la situation politique actuelle, en France et dans le monde, (pour parler comme les journalistes), ne me paraît pas donner raison aux uns ou aux autres...

                Je m’autorise juste une remarque : le mérite des auteurs de l’Appel, comme de ceux de Tiqqun n°1 et 2, me paraît être d’avoir remis au coeur de la question politique la question existentialle, (je dis « existentialle » pour éviter l’évocation du folklore existentialiste de Saint-germain des Prés dans les années 50) la question de notre présence immédiate au monde. Certes, il est facile, dès lors, de faire du mauvais Heidegger, comme je tends moi-même à le faire, mais il est aussi facile et hâtif de leur reprocher un certain "existentialisme petit-bourgeois", ou de recourir à n’importe quelle formule à l’emporte-pièce pour tenter de discréditer l’adversaire. Quoiqu’il en soit, il me semble que cette question existentielle, Meeting refuse tout simplement de la prendre en compte, de prendre la peine d’y réfléchir, quand bien même ce serait pour la réfuter. C’est là une carence, je crois, et je ne sais pas trop à quoi elle tient....

                Et je termine ce message en risquant une question un peu provocante : est-ce que la prise en compte de la question existentialle dans une problématique communiste (qui passerait notamment par une confrontation avec la philosophie du 1er Heidegger, et de tous les courants philosophiques sérieux qui s’en sont réclamé) n’amènerait pas Meeting à une réévaluation si profonde de ses hypothèses qu’elle ne serait pas en mesure de l’affronter ?

                N.

                p-s : je ne sais pas où placer ce message dans le forum. J’ai donc choisi au hasard de le joindre à la dernière réponse du forum publiée sur ce site. Mais il n’y est probablement pas à sa place...


                • Existentialisme ?, , 14 mars 2006

                  La question n’est du tout provocatrice, on est tellement ailleurs que ça ne nous concerne pas . L’appel est une pure et simple alternative de survie badigeonnée en noir et si le "milleu radical parisien" est en guerre interne ça ne peut lui faire que du bien


                • l’existentialisme est de la pensée séparée, , 15 mars 2006

                  Les questions posées traditionnellement et sous leurs formes post-modernes par les divers branches de l’existentialisme ne résolvent pas les questions de tactiques et de stratégies politiques, dans la pratique réelle du combat que nous menons. Les concepts utilisés par les existentialistes n’atteignent pas la réalité affective des conditions d’existence de la lutte ou si peu et de manière infantile et égocentrée. Ils ne sont que des fabrications subjectives certes poétiques et profondes mais généralement mystifiées par la vision d’un penseur en particulier. Quant aux jeux de langage qu’ils entrainent ce n’est que pur psittacisme. Tiqqun n’échappe pas à ce fantasme de vouloir normer les affects (voir toute la prose autour de la "joie", et des "passions tristes", les "bons" et les "mauvais" affects). d’autre part, il n’y a pas d’embrouille interne au "milieu" mais des désaccords de fonds sur l’analyse de la conflictualité historique. Cette histoire d’embrouille interne n’est qu’une rumeur pour mieux noyer les divergences de fond. Puisque tu sembles avoir lu Tiqqun, je te renvois à l’article paru dans le n°2, "Ceci n’est pas un programme", où il est affirmé que l’opposition entre exploité et exploiteur, la notion de classe sont des modèles d’analyse obsolètes. Nous pensons le contraire. Les évenements actuels sont des luttes de classes.


                  • "Les hommes sont toujours partis d’eux-mêmes..." (Marx), Patlotch, 15 mars 2006

                    La "question existencielle" (ou -cialle peu importe) n’est pas à la "mesure" de "réévaluer" la question communiste, parce que celle-ci s’est, dès son origine chez Marx à partir des Thèses sur Feuerbach (l’essence de l’humain est son rapport social), pour autant qu’on juge bon de les restituer aujourd’hui, a réglé au fond la question que tu poses. Et ceci n’est pas de l’ordre de ce que Meeting, dans sa singularité communiste, peut "affronter" ou non. C’est grosso-modo la question de l’humanisme (théorique mais pas seulement) telle qu’elle doit être posée à nouveaux frais aujourd’hui, ce qui dépasse Meeting et ses présupposés théoriques chez Théorie communiste et ses marges critiques dans le registre de la "communisation", telles qu’elles s’expriment de façon limitée pour ne pas dire étroite sur ce site.

                    La question est donc effectivement "provocante" mais peut-être pas où elle pense l’être, à partir de l’Appel, et personnellement, je partage au fond la réponse sur "l’existencialisme comme pensée séparée". Même des marxistes classiques, même des "anti-staliniens" (Sève) ont ’réglé’ avec ça, comme avec la psychanalyse, le freudo-marxisme, et d’une certaine façon avec le situationnisme sur le mode Vaneigem.

                    (accessoirement, , si j’ai bien compris le sens de la remarque, Meeting n’est pas un milieu parisien, il chante aussi la marseillaise)

                    Pour revendiquer la dimension poétique, au sens fort, du communisme, et c’est celà qui justifie que j’interviennes ici malgré le peu de goût qu’il m’en demeure, je tiens à me démarquer des considérations sur "les concepts [] qui n’atteignent pas la réalité affective des conditions d’existence de la lutte [qui ne résolvent pas] ou si peu et de manière infantile et égocentrée. Ils ne sont que des fabrications subjectives certes poétiques et profondes mais généralement mystifiées par la vision d’un penseur en particulier."

                    Il faudra encore m’expliquer comment on peut concevoir le communisme comme « immédiateté ’sociale’ », intersubjectivité entre individus non, de fait, "sociaux", tout en rejetant toute élaboration (peu importe qu’elle se présente comme théorique) d’un "penseur particulier", car il suffirait alors qu’un "penseur" non moins "particulier" s’exprime de façon impersonnelle, affublé du nom d’un courant ou d’un groupe, pour qu’il échappe à cette sentance : c’est prendre le lecteur pour un demeuré, et c’est le point aveugle de la théorisation à l’occidentale, qui n’a même pas ici les mérites, ni les scrupules et l’humilité, de la pensée asiatique (la distanciation ’à la Brecht’ pour faire court). Charrier a au moins compris ça : ce lieu d’où l’on parle, et une façon de dire. Mais quand deux ou trois personnes, d’où elles parlent impersonnellement, se posent comme théoriciens descendus du ciel de l’observation objective (comment la percevoir autrement, de la part de ceux qui ne se privent pas eux de critiquer le militantisme objectiviste : encore un effort, camarades...) d’une avant-garde désubjectivée (avant le monde entier), il ne reste, mis à nu, que le ton, le langage, le style, et il faut bien le dire, la suffisance de l’argument d’autorité.

                    (Lecture symptomale, ou plutôt subliminale, ’formaliste’, à qui sait entendre)

                    Soyons donc attentifs, et pensons sept fois avant d’envoyer paître ceux qui ne se contentent pas, quels que soient leurs arguments, de ladite autorité théorique en son langage : même le "démocratisme", en sa "radicalité", est parfois plus exigeant, sur le plan argumentaire, et son mérite est de l’auto-organiser, en attendant mieux... C’est bien où le bât blesse, d’un certaine façon de concevoir la théorie, en l’enlisant fort peu, et la noyant beaucoup.

                    Cela dit, Tiqqun m’emmerde. J’ai carrément la haine contre ce genre de talent qui se présente avec amitié. Parce que trop d’autres sont considérés comme "pauvres couillons" qui ne font pas l’objet d’autant d’attention théorique. Derrière, je cherche la matérialité, y compris celle de mes problèmes non matériels (existenciels ?) et je ne la trouve pas. Je trouve des petits bourges et leurs façons parfois sympathiques mais le plus souvent gerbante et inutile aux autres de s’en tirer, ou de s’enfuir. Rédhibitoire. Le singularisme critique a atteint ses limites avec l’IS, il est heureux que même des "démocrates" les renvoient à leur particularisme : avis aux amateurs ! Nous sommes tous des nègres, mais n’est plus marron qui veut : trop facile. C’est fini : l’esclave "post-moderne" est un esclave réel, il n’est que ça, il n’a pas d’ailleurs, aucune autonomie à revendiquer. Mais esclave, l’est-il comme strict prolétaire ou à titre humain ? Pour moi, non, définitivement, contre les deux TC de Théorie communiste et de Temps critiques, qui ne tiennent pas la route, dans la logique même de leurs supposées rigueur théorique. Manque d’humilité sur lequel je reviendrais ailleurs, parce que je le trouve par trop, au nom du communisme et de sa théorisation, contre-productif, déligitimant, décridibilisant. N’étant pas théoricien, j’ai néanmoins assez de neurones, ayant touché aux mathématiques (cf une remarque de Denis), pour ne pas être leurré par de prétendues démonstrations de logique abstraite (qui me rappellent les écrits arithmétiques de Pascal, au demeurant passionnants, du temps où l’on ne disposait ni de symboles, ni d’équations, ni de formules... mais la théorie communiste n’est pas un carré magique)

                    « Les évenements actuels sont », entre autres, « des luttes de classes ».

                    Amical’

                    Patlotch’, 15 mars


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