L’Ultra-gauche

Submitted by Craftwork on May 5, 2017

BIBLIOGRAPHIE

∑ F.Domela Nieuwenhuis: “ Le Socialisme en danger ” postface de J.Y Bériou. Ed. Payot.

∑ S.Bricianier: “ Pannekoek et les Conseils Ouvriers ”  Ed. EDI.

∑ Rosa Luxembourg: passim ...

∑ M.Dommanget: “ La commune de Berlin ” Ed. Spartacus.

∑ D.Authier & J.Barrot, “ La Gauche Communiste en Allemagne ” Ed. Payot.

∑ D.Authier: “ La Gauche Allemande ” Ed. La vieille Taupe/Invariance

∑ Courant Communiste International (CCI):

“ La Gauche Hollandaise ” Ed. CCI

“ La gauche Communiste d’Italie ” Ed. CCI

∑ P.Nashua: “ Perspectives sur les Conseils, la gestion ouvrière, et la Gauche Allemande ” Ed. de l’Oubli.

∑ Pannekoek, Rühle, Wagner, Mattick, Korsh: “ La Contre-Révolution Bureaucratique ” Ed. 10/18.

∑ Théorie Communiste n° 12: “ La révolution prolétarienne 1848-1917 ”

∑ Rühle, “ Fascisme brun, Fascisme rouge ”  Ed. Spartacus

∑ Gorter, “ Réponse à Lénine ” Librairie Ouvrière

∑ Barrot, “ Critique de l’idéologie ultra-gauche ” in Communisme et Question Russe, Ed. La tête de feuille

∑ Canne Meijer, “ Remarques sur l’histoire des conseils ouvriers en Allemagne ” ICO, n° spécial

∑ Groupe Internationaliste Communiste, (GIC), “ Les fondements de l’économie communiste ” ICO n° spécial

∑ Pannekoek, “ Les Conseils Ouvriers ” Ed.Spartacus

∑ Bilan, “ Contre révolution en Espagne ”, Préface de Gilles Barrot, Ed. 10/18

∑ Chazé, “ Chroniques de la révolution espagnole ”, Ed.Spartacus

∑ Programme Communiste, “ Défense de la continuité du programme ” Ed. Programme Communiste

∑ Programme Communiste, “ Parti et Classes ” Ed. Programme Communiste

∑ Invariance, “Texte des gauches dans les numéros de la série 1 et 2

∑ Camatte, “ Bordiga et la pasion du communisme ”, Ed. Spartacus

∑ Histoire du marxisme contemporain, tome II (Luxembourg et Pannekoek) Ed. 10/18

 

SIGLES UTILISÉS

AAUD: Union générale ouvrière d’Allemagne, (avril 1920)

AAUD-E: Union générale ouvrière d’Allemagne - Organisation unitaire (1921)

CPN: Parti communiste néerlandais, (Novembre 1918)

GIC: Groupe de communistes internationalistes (1927-1940)

IWW: Ouvriers industriels du monde

KAI: Internationale communiste ouvrière (avril 1922)

KAPD: Parti communiste ouvrier d’Allemagne (avril 1920)

KAPN: Parti communiste ouvrier des Pays-bas (septembre 1921)

KAU: Union communiste ouvrière (décembre 1931)

KPD: Parti communiste d’Allemagne (décembre 1918)

MLL Front: Marx, Lénine, Luxembourg Front (1940-42)

NAS: Secrétariat national du travail

SDAP: Parti ouvrier social démocrate (1894)

SDP: Parti social-démocrate “ tribuniste ” (1909)

USPD: Parti socialiste d’Allemagne indépendant (1917)

 

Pourquoi étudier les “Gauches” et l’ancien cycle de luttes  en général

La rédaction de ces quatre petits textes sur les Gauches germano-hollandaise et italienne répondait à un triple objectif : ils sont un résumé de l’état d’un travail entrepris depuis longtemps sur l’histoire du programmatisme dans l’entre-deux-guerres, afin d’écrire la suite du texte sur le programmatisme classique paru dans T.C.12 ; plus immédiatement ils correspondent à la nécessité de dire ce que fut l’Ultra-gauche, face à l’amalgame : Ultra-gauche égale révisionnisme. Ils sont enfin le résultat des notes préparatoires à la réunion des 11 et 12 avril à la “Bonne Descente”, dont nous parlons dans l’éditorial.

Ces trois raisons ne disent pas cependant pourquoi en dehors de l’intérêt historique lui-même, toujours capital pour la théorie communiste si elle se veut toujours théorie du prolétariat, il est nécessaire maintenant de revenir sur l’analyse des Gauches. Le bilan de l’Ultra-gauche n’a jamais été fait en la considérant comme une chose absolument passée. Pour effectuer cela, il fallait que nous entrions dans un nouveau cycle de luttes, il fallait l’accomplissement de la restructuration du capital, l’accomplissement d’une contre-révolution qui rendit absolument et définitivement caduque la problématique des Gauches. Il fallait que l’on ne soit plus en situation de s’y référer comme à un ensemble de positions dans lesquelles nous puiserions tel élément en en rejetant tel autre.

 

En quoi cette analyse du cycle de luttes qui va de 1917 au début des années 70, est-elle actuellement productive théoriquement ?

  1. a) Les avancées politiques, pratiques et théoriques extrêmes des révolutions russe, allemande et espagnole posent l’affirmation de la classe comme une contradiction en procès, et montrent de façon absolue que la révolution ne peut plus être qu’abolition du capital et donc du prolétariat lui-même. C’est  l’affirmation de la classe en elle-même, qui constituait la limite de ce cycle, et non quelques modalités de sa réalisation, ou des conditions immatures.
  2. b) L’analyse de cette vague révolutionnaire de l’après guerre est directement analyse de la subsomption réelle, de sa constitution dans ses caractéristiques historiques, et se trouve donc à la base de sa possible périodisation. On ne peut comprendre ce que dans la subsomption réelle dépasse la restructuration actuelle, et en quoi celle-ci est contre-révolution, si l’on ne sait pas ce qu’a pu être la nature de l’ancien cycle de luttes. On ne comprend réellement la restructuration comme contre-révolution qu’en définissant l’ancien cycle comme le fait de poser le travail et la montée en puissance de la classe comme rival du capital à l’intérieur de lui même, dans le moment où celui-ci les définit, en subsomption réelle, comme un moment de son cycle propre, de sa propre reproduction.
  3. c) L’analyse du cycle antérieur correspond aussi à la nécessité de produire une périodisation de la subsomption réelle du travail sous le capital. La compréhension du cycle antérieur comme contradiction en procès de l’affirmation de la classe, comme phase finale du programmatisme, impose de concevoir la crise comme restructuration et la révolution comme ne pouvant résulter que du dépassement d’un nouveau cycle de luttes.
  4. d) En les caractérisant historiquement comme décomposition du programmatisme, on arrête de considérer les formes les plus avancées de ce cycle, comme le modèle absolu de la lutte de classe, ce qui dans ce cas ne laisserait que deux possibilités.  Soit chercher à encore faire mieux, ou face à l’échec, considérer que le communisme ne peut plus être l’oeuvre du prolétariat.
  5. e) Le passage à une conception de la révolution comme abolition du capital et donc du prolétariat, ne se pose pas seulement de par le développement de la subsomption réelle du travail sous le capital, mais est produit à partir et dans la décomposition du programmatisme elle-même . Cela d’une part parce que le procès du capital est lutte de classes et d’autre part parce que c’est la situation et la pratique spécifiques du prolétariat dans le mode de production capitaliste qui fait que celui-ci porte son dépassement.
  6. f) En analysant que c’est à partir de la décomposition du programmatisme, et d’abord dans les termes du programmatisme lui-même, qu’apparaît la nécessité de considérer la révolution comme abolition du prolétariat, on relie le cycle de luttes actuel au cycle antérieur. On montre que la genèse de ce cycle ne réside pas dans les modifications du rapport entre les classes effectuées dans la restructuration, ou plus généralement dans la subsomption réelle, considérées en elles-mêmes. Si on ne relie pas les cycles de luttes entre eux, la restructuration n’est pas considérée comme contre-révolution, elle devient alors quoi qu’on en dise, un ensemble de conditions objectives. On ne ferait alors pour parler du dépassement communiste du mode de production capitaliste que se situer dans un développement en général de celui-ci, sans en spécifier les situations et les pratiques respectives du capital et du prolétariat quant à son dépassement.
  7. g) Si le cycle de luttes actuel, qui porte la révolution comme abolition du prolétariat, se relie à toute l’histoire du programmatisme, c’est que malgré la spécificité de son dépassement (pour la première fois le communisme comme abolition du prolétariat), il ne porte et produit celui-ci, qu’en n’étant qu’un cycle de luttes, qu’un moment historique particulier de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Analyser jusque dans ses avancées extrêmes le cycle de luttes antérieur montre que l’on ne situe le dépassement du programmatisme, dans une perspective révolutionnaire, qu’en considérant la spécificité des pratiques du prolétariat dans les cours du mode de production, qu’en considérant le dépassement du programmatisme comme produit en cohérence et à partir des termes du programmatisme lui-même. Il y a une “dynamique” du programmatisme, dans la mesure où ce qui est déterminant, l’évolution de la contradiction entre le prolétariat et le capital, ne produit son dépassement que par la spécificité du prolétariat dans cette contradiction. Le cycle de luttes qui produit le communisme (l’abolition du capital et dans le même mouvement du prolétariat), n’est que l’aboutissement de la lutte des classes dans le mode de productions capitaliste. Dans ce cycle de luttes, c’est dans son immédiateté, dans ses caractéristiques comme cycle de luttes, que nous situons la production de son dépassement communiste et la production de la théorie.

 

L’Ultra-Gauche (Gauche germano-hollandaise)

--Exposé historique et thématique --

1) Les prémisses (la fermentation).

Fin XIX°s.forte contestation ouvrière de la social-démocratie dans la plupart de pays d’Europe (du nord-ouest principalement). Dans ce contexte :

--   Fraction des Jungen dans la social-démocratie allemande (cf T.C.12)

-- Nieuwenhuis (1891) : rejet du parlementarisme dans la social-démocratie hollandaise (cf “Le socialisme en danger”, voir bibliographie).

--  Dans les années 90, le mouvement social-démocrate en Hollande se scinde sur la question du parlementarisme : N.A.S (Anarcho-syndicaliste)

             S.D.A.P. (Troelstra).

Dans le S.D.A.P., la gauche se regroupe (1901). Gorter et H Roland-Holst : adhésion 1897 ; Pannekoek : 1899.

Grève de 1903, “trahie” par le S.D.A.P : création de comités de grève “surgis de la base”. Critique de la gauche contre Troelstra qui veut “pousser les libéraux sur la voie des réformes”.

-- 1900 : c’est l’année de “Réformes ou révolution” (Rosa Luxembourg) et du débat sur ce thème dans la social-démocratie allemande et européenne (Jaurès...).

-- 1905 : Luxembourg, “Grève de masse, parti et syndicat” : il n’y a pas deux luttes de classes --économique et politique-- l’organisation est un résultat et non un préalable à la lutte du prolétariat.

-- 1907 : Fondation de “De Tribune” (regroupement de la gauche du S.D.A.P.) : se libérer du parlementarisme ; affirmation des crises du capitalisme.

--  1909 : Scission dans le S.D.A.P. : formation du S.D.P (tribuniste). Pour Gorter, c’est trop tôt : il faut demeurer dans la seconde internationale et participer aux élections.

-- 1909 : Pannekoek, “Divergences tactiques dans le mouvement ouvrier”:

* critique du “crétinisme parlementaire”,

* critique des syndicats comme organes de la “stabilisation d’une société capitaliste normale”,

* critique du “radicalisme passif” de Kautsky,

* capacité d’auto-organisation du prolétariat,

* nécessaire destruction de l’Etat capitaliste.

Pannekoek milite en Allemagne au sein de la gauche de Brême en lutte contre les positions dominanates de la social-démocratie, et qui donnera le noyau central des I.K.D.

Pannekoek et Luxembourg se séparent du “centre kautskyste” sur les thèmes suivants :

* grève de masse,

* impérialisme,

* danger de guerre,

* réforme ou révolution,

* destruction de l’Etat.

Cependant, des divergences. Pannekoek commence à sortir de la problématique social-démocrate : “Les syndicats sont des organes de la stabilité capitaliste”. L’auto-organisation est un processus de longue haleine de destruction de l’Etat.

 

Les grandes questions de cette époque :

  1. a) La grande question fut celle de la “grève de masse”.

Elle synthétise tous les thèmes de la crise de la social-démocratie :

--Point de clivage pratique entre réformisme et révolution.

--L’organisation doit-elle précéder l’action ?

--Distinction entre “grève générale” et grève de masse” (la seconde est économique et politique).

--La grève de masse soulève les problèmes des formes de luttes ; de la spontanéité ; de l’auto-organisation ; de l’Etat.

-- La grève de masse est-elle une forme locale, plus ou moins liée à une situation attardée --Russie-- (Kautsky), ou universelle (Luxembourg) ?

 

  1. b) Le facteur subjectif :

` Dietzgen (“L’essence du travail intellectuel”, 1869), traduit en hollandais par Gorter et préfacé de Pannekoek en 1902.

-- contre le fatalisme et l’évolutionnisme révisionniste.

-- contre le radicalisme passif de Kautsky.

Rôle actif de la conscience sur la réalité dont elle n’est pas le reflet, mais le contenu même. “Seule la conscience permet à ce corps mort (la classe ouvrière, n.d.a.), immense et musculeux, d’accéder à l’existence et d’être capable d’action” (Pannekoek “ Divergences...”). Dans la controverse à la suite de la publication de “L’accumulation du capital” (Luxembourg), Pannekoek critique le catastrophisme, l’intérêt de la crise c’est qu’elle révolutionne le mouvement ouvrier.

 

  1. c) La question coloniale :

Opposition Pannekoek / Kautsky. Kautsky : le développement du capital c’est le développement du prolétariat. Pannekoek : le développement du capital c’est le renforcement de la bourgeoisie. Dans la question coloniale : contre toutes les bourgeoisies impérialiste et nationale.

 

  1. d) La guerre :

Gorter rejoint la gauche de Zimmerwald, contre les coalitions antimilitaristes et pacifistes, tentatives de “l’impérialisme de la bourgeoisie contre le socialisme du prolétariat”.

 

  1. e) La révolution russe :

le S.D.P. (proche des Menchéviks), très réservé sur la révolution russe. La gauche du S.D.P (Gorter, Pannekoek ...) est enthousiaste. Cependant dans “La révolution mondiale” (1918), Gorter écrit : “ La révolution véritable et complètement prolétarienne doit être faite par l’Europe occidentale elle-même”, “Les conseils, la forme enfin trouvée du pouvoir révolutionnaire”. Gorter traduit en hollandais “L’Etat et la révolution” ; la Gauche croit en la révolution russe telle que Lénine l’envisage dans ce texte.

Oct etNov 18 : grèves de masse aux Pays-Bas, le S.D.A.P (Troelstra) joue un rôle semblable au S.D.P. allemand. Nov 18, fondation du C.P.H (formé avant même le K.P.D., il est le deuxième parti social-démocrate, aprés le parti russe, à abandonner cette étiquette).

 

2) La vague révolutionnaire.

Le courant communiste de gauche se formalise en 1919, c’est-à-dire après l’échec de la première vague de la révolution allemande (janv-Avril 1919), dont le déroulement et l’échec obligent à dégager la spécificité.

Dès sept 19, l’I.C. revient à la politique de  conquête du parlement.

Rupture avec l’I.C sur le parlement (critique de la démocratie) ; les syndicats (intégrés à l’Etat, stabilisation du capital). Il faut détruire l’Etat.

En 1919-1920, Pannekoek attaque Levy (dirigeant du K.P.D.) sur le rapprochement avec l’U.S.P.D. (Kautsky) ; soutient Pankhurst contre l’obligation d’adhésion au Labour ; rupture avec l’anarcho-syndicalisme : il ne s’agit plus de défendre ou de se battre pour des revendications ; mais pour : la prise du pouvoir, la destruction de l’Etat, le pouvoir prolétarien dans les entreprises et l’économie en général.

1919 : les Unions se développent et s’unissent en formant l’A.A.U.D. (80 000 membres en 1920 lors de sa création, 200 000 en 21). Elle se présente dans son programme commme étant ni syndicat, ni parti, mais noyaux d’usines révolutionnaires, dont la tâche principale est de promouvoir une “association de producteurs libres et égaux”. Les Unions doivent dans les grèves sauvages contribuer à la formation d’un front de classe. La fondation de l’A.A.U.D. se fait sur le rejet du parlementarisme, des syndicats, et l’acceptation de la dictature du prolétariat et des conseils ouvtriers.

1920 (Avril) : formation du K.A.P.D (pour les Unions, contre les syndicats, le parlement, la fusion avec l’U.S.P.D.).

1921 : rupture définitive de la Gauche germano-hollandaise avec l’I.C. (aprés son 3° congrès).

1922 : scission dans le K.A.P.D. à propos de l’intervention dans les luttes économiques et la fondation de la K.A.I.(sept 21) :

         -- pour les uns, les luttes salariales sont opportunistes (tendance d’Essen, Gorter); le K.A.P.N (scission de gauche du parti communiste hollandais sur des positions semblables à celles du K.A.P.D., en sept 1921) se rallie en majorité à cette tendance (pro K.A.I.)

         -- pour les autres, la classe se constitue dans ces luttes, découvre les secrets de la production, et se trouve face à la nécessité du communisme (tendance Berlin, anti  K.A.I.).

 

 Les grands problèmes de la Gauche

  1. a) La double organisation.

C’est le grand problème de la Gauche :

-- Rühle et Pfemfert emmènent la scission de l’A.A.U.D. : formation de l’A.A.U.D.E. (unitaire) , 1921. “La révolution n’est pas une affaire de parti”. Ruhle est exclu du K.A.P.D. en oct 1920. Le parti se détache forcément de la classe et est une institution liée à la révolution bourgeoise, la conscience est auto-production de la classe.

-- Gorter pour l’articulation sur la base d’une distinction entre d’un côté le K.A.P.D, petit parti, “élite ouvrière”, “conscience de classe” ; A.A.U.D, masse, action spontanée, mais pas défense économique. Pannekoek se pose la question de la validité de la distinction : les Unions, en pratique, sont des “comités d’action”, des “comités de base” du parti.

 

  1. b) La révolution russe.

-- Ruhle : après son voyage à Moscou (2°congrès de l’I.C, juillet 1920) :  apparition d’une nouvelle bourgeoisie, soviétique.

-- Gorter en 1918 : le danger c’est la paysannerie (révolution bourgeoise); en 1921, “L'Internationale de Moscou” : une révolution double, prolétarienne communiste / démocratique paysanne. Lors de la fondation de la K.A.I., Gorter espère des scissions dans le parti bolchévique (Opposition ouvrière --Kollontai-- et groupe de Miasnikov).

-- Pannekoek (1920) : les Bolchéviks jouent un rôle contre-révolutionnaire dans l’Internationale car imposent l’identification avec l’Etat russe, la recherche d’un modus vivendi avec l’Occident.

Jusqu’en 1920, les Gauches avaient distingué le parti bolchévique de la  politique économique de l’Etat russe.

Le 2°congrès de l’I.C. marque un tournant pour les Gauches ; rupture sur syndicats et parlement. Lénine les attaque dans “La maladie infantile du communisme” (mai 1920). Gorter, “La réponse à Lénine” : la seule forme révolutionnaire est celle des conseils ouvriers, préparés par l’action des Unions, c’est celle de l’unité” de la classe ouvrière sur la base des usines, de la production. Elle permet de résoudre le grand problème de la révolution qui est de conserver le pouvoir et de bâtir une autre société.

 

  1. c) Le cours du capitalisme

--  Pannekoek : il peut y avoir une restructuration du capitalisme.

--  Gorter : crise mortelle d’où fondation de la K.A.I.

 

3) Face à la contre-révolution

“Le défaut majeur du concept marxien de contre-révolution a pour origine le fait que son auteur ne voyait pas (et, eu égard à son expérience historique ne pouvait pas voir) dans la contre-révolution une phase normale du développement de la société. A l’instar des bourgeois libéraux, Marx se la représentait sous l’aspect d’une perturbation “anormale” et toute provisoire, subie par un développement normal et progressiste.” (Korsh, “Etat et contre-révolution”, 1939 ; in Bricianier “Korsh,”Marxisme et contre-révolution”, Ed du Seuil).

  1. A) L’entre-deux-guerres.

Le K.A.P.N., fondé en sept 1921, rallie la tendance de Essen en 1922. Départ de Appel et Cann Meijer, favorables à la tendance Berlin, leur groupe est la base de la fondation du G.I.C. en 1927 (G.I.C : 1927--1940).

Il faut développer la tendance anti-syndicale des ouvriers ; pas de propagande politique ; luttes d’usines vers comités de grève, vers organisation d’usine, vers conseils, vers organisation économique du communisme. Le processus révolutionnaire est celui de l’auto-activité des ouvriers, sur la base de nouvelles organisations de classe.

Le G.I.C. intervient dans toutes les grandes questions théoriques de la période :

 

  1. a) “politique de parti” ou “politique de classe”

1926/1927 : crise dans le K.A.P.D (la contre-révolution triomphe mondialement : comité anglo-russe ; Chine ; socialisme dans un seul pays). sur le rapport entre le parti et les Unions (A.A.U.D.). Remise en question de la fonction politique du parti :

-- Cann-Meijer, lettre au K.A.P.D. : “Le centre d’activité de la politique de parti doit se situer dans les entreprises”. Mais pour le K.A.P.D : les luttes de parti sont inévitables, c’est se priver de l’arme de la critique et encourager l’indifférence politique.

-- Pannekoek ( “Principes et tactique”, 1927) : 

* défaite de la révolution,

* le prolétariat ne se montra pas au niveau de sa mission historique,

* absence de conscience de classe,

* le capitalisme est loin d’être à sa dernière extrémité,

*“L’ancienne révolution est terminée, nous avons à préparer la nouvelle.”

*l’A.A.U.D. n’a pas à se transformer en syndicat, le K.A.P.D. doit dissoudre l’A.A.U.D.

-- Cann-Meijer : la politique de classe c’est le contraire de la politique de parti, il ne s’agit pas d’une action au sein du prolétariat.

 

1929 : l’Union l’emporte sur le parti. Désagrégation du K.A.P.D.

Le G.I.C. se considère comme une partie de l’A.A.U.D. Les Unions ne sont ni syndicat, ni parti (“Thèses sur les noyaux d’usines révolutionnaires”, 1931). Il faut faire une propagande pour une association de producteurs libres et égaux ; pour la création d’un ensemble de “noyaux d’usines révolutionnaires”, non concurrents des syndicats, n’établissant pas de revendications. Leur tâche : lors de l’éclatement de grèves sauvages, “contribuer à la formation d’un front de classe, libre de tout parti ou syndicat.”

C’est seulement dans la lutte massive que peuvent surgir des “organisations d’usines”, constituant “une réelle organisation de classe”. Ces “organisations d’usines”, et non les “noyaux d’usines”, sont les seules qui peuvent diriger la lutte. Elles disparaissent avec l’achèvement de la lutte. Seuls subsistent les “noyaux d’usines”, lieu de propagande pour l’organisation de la classe, dont ils sont le germe.

Conservation de l’action politique dans des “groupes noyaux”, rôle d’échanges d’opinion.

Le G.I.C. conserve encore une forme de double organisation (en opposition à l’A.A.U.D.E, mais rigoureusement séparées : luttes théoriques : les groupes de réflexion ; interventions : les “Unions”.

Sur cette base : unification en décembre 31, à Berlin, entre l’A.A.U.D et l’A.A.U.D.E. : naissance de la K.A.U.( le G.I.C. en fait partie). Le problème de l’intervention dans les luttes continue de diviser le K.A.P.N. (et un peu la K.A.U).

K.A.P.N :

-- groupe d’Amsterdam, les luttes revendicatives ne vont que de défaites en défaites.

--   groupe de La Haye (Cajo Brendel en 34) : pour la participation.

Pour le G.I.C : “Chaque lutte salariale en raison de la crise capitaliste, porte en soi le germe d’un mouvement révolutionnaire.” (1932)

 

  1. b) Le fascisme 

--Pannekoek (1933) : le nazisme au pouvoir achève la contre-révolution social-démocrate, il n’empêche pas la révolution (analyse du K.P.D.), il parachève la contre-révo commencée par la S.D. Donc pas de front unique. En se retournant contre la S.D. “la contre-révolution achève sa course circulaire”.

--G.I.C : “de tels droits politiques, les ouvriers ne les ont jamais possédés. Il se trouve plutôt que les droits politiques ont été accordés lorsque les grandes organisations ouvrières donnèrent l”assurance qu’aucun abus n’en serait fait...Les droits dont les ouvriers peuvent faire usage dans les grandes organisations ouvrières reconnues ne servent qu’à intégrer les travailleurs à l’ordre démocratique...Aussi bien sous le fascisme que sous la démocratie, les travailleurs salariés sont exploités par le capital.”(1935). Comme l’idéologie fasciste, l’idéologie anti-fasciste, correspond à une préparation active à la deuxième guerre mondiale. “L’anti-fascisme est un moyen de rattacher, dans les pays démocratiques, les ouvriers à leur Etat, face au danger fasciste.”. “Contre le fascisme , c’est dans la bouche des patriotes d’aujourd’hui un mensonge. Ils ne sont pas contre le fascisme, ils sont contre le fascisme allemand, et ses filiales naturellement...Dès le premier jour de la guerre, il n’y aura pas une seule mesure fasciste, que les capitalistes belliqueux démocratiques ne prendront, sauf une seule : s’appeler fasciste.” ( G.I.C. 1938). Pendant la guerre, aux Pays-bas, action du M.L.L.Front (groupe ayant évolué du trotskisme à l’Ultra-gauche) sous l’occupation allemande (sans soutien aux alliés), participation à la grève de 1941 à Amsterdam, arrestation et exécution des dirigeants (dont Sneevliet).

 

  1. c) L’Espagne

--Critique par le G.I.C. de l’anarcho-syndicalisme. Il ne vise que la gestion de l’économie capitaliste, il ne s’attaque pas à l’Etat. Milices et comités ont entamé la révolution, c’est à dire la gestion ouvrière de la production, cependant mainmise des organisations de gauche sur les comités.

Finalement la collectivisation n’a fait que renforcer le pouvoir de l’Etat républicain, par l’intermédiaire des syndicats.

La socialisation anarchiste, c’est du capitalisme d’Etat. L’anarcho-syndicalisme ne pouvait que s’intégrer à l’un des camps en présence, il interdit que les ouvriers prennent en main la société de par son refus d’attaquer l’Etat, et de la dictature du prolétariat.

-- Débat au sein de l’Ultra-gauche :

Révolution ouvrière ou révolution bourgeoise avec participation ouvrière, ou encore soubressauts prolétariens déviés sur la voie du  Front Populaire ?

* Groupe de La Haye : révolution bourgeoise contre le système féodal ; position proche de “Bilan” (Gauche “italienne”), la lutte entre deux groupes capitalistes (républicains et fascistes).

* Le G.I.C : rejette la thèse de la révolution bourgeoise seule possible, la guerre en Espagne est une guerre entre deux classes : le prolétariat et toute la bourgeoisie, républicaine et fasciste.

 

  1. d) La Russie.

-- “Thèses sur le bolchévisme” (“Ratecorrespondenz”, G.I.C, 1934) :

La Contre-révolution commence en Russie avec la venue au pouvoir des Bolchéviks en Oct 17. Révolution bourgeoise tardive, abolition de l’Etat féodal. L’Internationale Communiste est un organe de l’Etat russe. “La révolution de 1917 est restée une révolution bourgeoise, ses éléments prolétariens ont été battus” (position semblable à celle de Rühle dans “Fascisme brun et fascisme rouge” 1939).

“Elle est devenue capitaliste avec l’abolition des derniers conseils ouvriers librement élus...A partir de 1931, l’économie russe était débarrassée de tous les éléments étrangers à sa structure capitaliste.”

-- Pannekoek : “Lénine philosophe, 1938”, en philosophie Lénine expose l’idéologie bourgeoise d’une révolution bourgeoise.

 

  1. e) Le contenu du communisme.(“Fondements de l’économie communiste”, 1930)

La révolution processus de prise en main de la production par la classe  ouvrière : grèves économiques ; grèves sauvages ; auto-organisation ; unité de la classe ; conseils ouvriers. A la base de la production communiste : l’heure de travail social moyenne. Gros problème (en dehors de celui de la loi de la valeur qui n’est pas soulevé) : le centre comptable et sa possible autonomisation. Pannekoek revient sur la question dans “Les conseils ouvriers” 1946.

 

  1. f) Synthèse : “Vers un nouveau mouvement ouvrier” (Cann-Meijer 1935)

Sur :

        Parti,

        Syndicalisme,

        Parlement, Démocratie,

        Capitalisme d’Etat,

Un bilan de la période comme contre-révolution. Le triomphe de la contre-révolution est la faillite du vieux mouvement ouvrier. “En réalité la classe ouvrière n’existe pas comme classe active. Elle existe comme toute chose morte, passivement.”, “..régression d’une classe pour soi en une classe en soi” (position assez proche, au même moment de celle de “Bilan”).

La thèse de la passivité, et de la distinction “en soi” / “pour soi”, très discutée est repoussée par Wagner et Mattick.

La base du nouveau mouvement, c’est l’anti-substitutionnisme. “Le mouvement ouvrier c’est le mouvement des ouvriers en lutte”. Le substitutionnisme est la frontière délimitant l’ancien et le nouveau mouvement. “Nous considérons par contre toutes les organisations qui ne veulent pas usurper le pouvoir, mais qui, au contraire, élèvent l’auto-mouvement des masses par les conseils ouvriers au rang de principe, comme partie intégrante du nouveau mouvement ouvrier” (“Ratecorrespondenz”, 1935).

Critique de l’ancienne conception de l’A.A.U.D et même de l’A.A.U.D.E : “la classe organisée” c’était toujours elles, c’est-à-dire encore des organisation préalables.

Pour Pannekoek : “L’ancien mouvement ouvrier s’incarne dans des partis...un parti ne peut être qu’une organisation visant à diriger et à dominer le prolétariat...Les ouvriers n’ont pas à adopter religieusement les mots d’ordre d’un groupe quelconque, pas même les nôtres, mais à penser par eux-mêmes, à décider et à agir eux-mêmes” (“Ratecorrespondenz”, mars 36). La conscience de classe est auto-éducation.

 

  1. B) La guerre et l’après-guerre

Aux Pays-bas, 1942, 1943 : “L’Union communiste Spartacus” (Communistenbond Spartacus ou Bond) , ex M.L.L.Front (évolution du trotskysme vers l’ultra-gauche) est rejointe par de nombreux anciens membres du G.I.C.

Dans les luttes de la fin de la guerre le groupe défend la formation de nouveaux organes prolétariens, anti-syndicaux, nés de la lutte spontanée : les conseils d’usines, base de la formation des conseils ouvriers (brochure : “la lutte pour le pouvoir”, 1944)

Le Bond est encore pour la formation d’un parti “surgi de la lutte de classe” :

* “Le parti n’est ni un état-major détaché de la classe, ni le cerveau pensant des ouvriers ; il est le foyer où se focalise et s’exprime la conscience grandissante des ouvriers.”

* “Dans le processus de prise de conscience par la lutte, où la lutte devient consciente d’elle-même, le parti a un rôle important et nécessaire à jouer...”

* “Le parti est une partie de la classe”

* “Le parti n’a pas de tâche d’organisation” (“Thèses sur le parti” 1945)

Entre 43 et 45, Spartacus participe à la formation de syndicats (Rotterdam). 1956, “Spartacus” hebdomadaire, 4000 exemplaires.

A la même époque, Pannekoek dans “Cinq thèses sur la lutte de classe” (1946) : “Les conseils ouvriers sont les organes de l’action pratique, de la lutte de la classe ouvrière ; aux partis revient la tâche d’en construire la force spirituelle. Leur travail est une partie indispensable de l’auto-émancipation de la classe ouvrière.” Même texte, reprise du schéma : grèves sauvages, vers comités de grève, vers extension de la lutte, vers fonctions générales politiques et sociales. “La lutte révolutionnaire pour la domination de la société, devient alors une lutte pour la gestion des usines, et les conseils ouvriers, organes de luttes, sont transformés du même coup en organe de production”.

Dans “Les conseils ouvriers”(Pannekoek 1946) : le processus vers la gestion de l’appareil de production est l’essence de la révolution, celui-ci peut s’étendre sur des dizaines d’années.

 

A partir de 1947, scission dans le Bond, sur la question de l’activité militante dans les luttes :

-- Cann-Meijer avec groupe des communistes des conseils, contre l’intervention (47-48)

-- Poursuite du Bond, qui évolue lui-même vers des positions non-interventionnistes. Devient une fédération de “groupes de travail” : “Les communistes du Bond se confondent avec la masse des ouvriers en lutte.” Création dans le Bond de la revue “Daad en Gedachte” (Actes et pensées). Le Bond doit se faire l’écho de toutes les luttes ouvrières, de toutes les grèves”

Scission en 1964 : contre les restes de velléités d’intervention : départ du groupe autour de “Daad en Gedachte” (Cajo Brendel), le groupe existe encore. Spartacus (le Bond) disparait en 1972.

 

La Gauche germano-hollandaise

(Exposé critique)

Il faut donner un sens à cette synthèse historique.

Les thèmes de l’exposé critique sont les suivants :

-- La périodisation de la lutte de classe et donc de la révolution et du communisme.

-- L’ultra-gauche comme totalité historique et théorique, comme système et non comme somme de thèses dans lesquelles on pourrait faire son marché.

-- La signification de ses thèmes et de leur évolution.

-- Son impasse.

-- Non pas son héritage, car on change de problématique, mais là où elle nous a menés théoriquement, c’est-à-dire là où elle nous contraint de la quitter. Là où elle nous dit : “il y a quelque chose qui ne va pas, mais moi je ne peux pas aller plus loin.”. Là où elle nous lâche la main. C’est ce moment là qu’il faut cerner.

 

1) Périodisation

  1. A) Périodisation du mode de production capitaliste.
  1. a) Subsomption formelle. (prédominance de la plus-value absolue jusqu’au tournant du XIX°s.)

Le capital comme contrainte extérieure au surtravail.

-- Le procès de travail n’est pas adéquat au capital.

-- L’échange ne s’effectue pas au prix de production : il n’y a pas indifférenciation entre travail et capital dans la formation des prix de production.

-- Le travail salarié ne se différencie pas du travail producteur de valeur, le travail n’est pas totalement spécifié comme travail salarié.

--Plus-value absolue, cela signifie que la reproduction antagonique de la classe dans la reproduction du capital, n’est pas intégrée dans la reproduction spécifique du capital.

-- Le capital n’a pas fait sien la reproduction collective et sociale des travailleurs.

 

  1. b) Subsomption réelle (prédominance de la plus-value relative).

-- Le procès de travail devient adéquat au capital par le développement du capital fixe.

--La reproduction sociale des travailleurs est intégrée dans le cycle propre du capital.

--Echanges aux prix de production.

--Le capital fait siennes les forces sociales du travail (division du travail, coopération, science) et les objective dans le capital fixe.

-- Le travail est totalement spécifié comme travail salarié : produire plus de plus-value, ce n’est pas produire forcément plus de valeur. Le surtravail peut s’accroître sans croissance de la valeur globalement produite.

-- La société fonctionne comme un vaste métabolisme du capital, les combinaisons sociales.

--Le capital s’auto-présuppose.

 

  1. B) Périodisation de la lutte de classes.

La distinction mode de production capitaliste / lutte de classes est fausse, elle n’a ici qu’un rôle “didactique”, un rôle d’exposition. Le mouvement du mode production capitaliste, c’est la contradiction entre les classes qu’est l’exploitation. Développement du capital = contradiction prolétariat / capital. La seule réalité de cette distinction est interne au mouvement d’auto-présupposition du capital reproduisant l’objectivité des conditions de la reproduction du rapport social face à l’activité subjective, le travail ; c’est là la réalité de l’économie.

 

  1. a) Subsomption formelle.

Le capital, dans le procès de l’exploitation :

-- n’intègre pas la reproduction de la classe ouvrière,

-- ne spécifie pas le travail salarié par rapport au travail productif de valeur,

-- il est une contrainte au surtravail.

 

Il en découle :

-- l’existence d’une communauté ouvrière du travail, du travail productif, du travail productif de valeur.

-- que le mouvement de la contradiction comme lutte de classes a pour résolution :

* rapport à elle-même de la classe ouvrière,

* libérer le travail productif,

* prendre en main les moyens de production, se libérer de l’anarchie capitaliste, se libérer de la propriété privée,

* la valeur comme mode de production,

* libérer les forces productives, se placer sur une ligne de progrès.

Cela car le prolétariat est déjà dans la contradiction qui l’oppose au capital l’élément positif à dégager, son affirmation, son érection en classe dominante est la réalisation de son être.

 

Ce contenu de la lutte de classes c’est ce que depuis 20 ans dans T.C. nous appelons “le programmatisme” (le prolétariat fait , dans sa libération, de sa situation et définition dans le mode de production capitaliste, le programme du communisme, le communisme comme programme)

L’intérêt du concept :

-- historiciser les notions de lutte de classes, de révolution et de communisme.

-- comprendre la lutte de classes et la révolution dans leurs caractéristiques historiques réelles et non par rapport à une norme.

-- ne plus opposer révolution, communisme et conditions (les fameuses conditions qui ne sont jamais mûres).

-- sortir de l’impasse entre un prolétariat toujours en substance révolutionnaire (révolutionnaire, en fait, comme la période suivante entend le terme) et une révolution qu’il ne fait jamais.

-- construire les éléments divers d’une époque comme une totalité en produisant leur connexion interne en même temps que leurs diversités et leurs conflits (Marx et Bakounine ; Luxembourg et Bernstein...).

-- éviter de se retrouver avec une nature révolutionnaire du prolétariat, qui chaque fois qu’elle se manifeste, aboutit à une restructuration du capital.

 

Disposer d’un concept totalisateur de la lutte de classe, comme celui de programmatisme, permet de passer au concept de cycle de luttes (voir T.C.8). Si l’on dit la révolution était, en subsomption formelle, affirmation de la classe, on possède alors toutes les déterminations de cette époque, y compris les caractéristiques de la révolution allemande, dans leur connexion interne (le rapport entre montée en puissance et autonomie de la classe) et comme totalité : de la social-démocratie à l’A.A.U.E ; de Noske à Rühle.

 

L’affirmation de la classe n’est pas une totalité indifférenciée, elle implique comme activité de la classe, un mouvement de particularisation de ses activités. Cette affirmation est une dualité :

L’affirmation de la classe est une dualité.

-- La montée en puissance de la classe dans le mode de production capitaliste,

-- Son affirmation en tant que classe particulière et donc la préservation de son autonomie.

Dans la période “Marx / Bakounine” (1848-1871) : relative coexistence de ces deux termes ; pour l’un et l’autre, c’est la dominante et l’articulation des deux termes qui différent (cf T.C.12).

Dans la période social-démocrate : de plus en plus impossible de tenir les deux termes sans qu’ils s’excluent réciproquement.

 

Dans la nécessité de ses propres médiations (partis, syndicats, coopératives, mutuelles, parlement...) la révolution comme affirmation de la classe se perd elle-même, non comme révolution en général, mais bien comme affirmation de la classe. Sa montée en puissance se confond avec le développement du capital. Ce qui entraîne : le rapport entre lutte de classe et développement du capital comme développement objectif (la classe ne peut qu’être exclue comme terme de la contradiction du mode de production capitaliste).

De Bernstein à Luxembourg, Lénine et Pannekoek : on a toutes les nuances de relations entre développement du capital, situation objective et lutte du prolétariat : 

-- la reconnaissance du progressisme du capital,

-- le capital transcroit en socialisme et / ou la période de transition,

-- la démocratie devient forme et contenu de la révolution.

Inversement : l’autonomie et le but révolutionnaire comme affirmation de la classe, deviennent antagoniques à leurs propres médiations : critique de la montée en puissance comme intégration :

-- les Jungen,

-- toutes les oppositions radicales dans la S.D,

-- Malatesta, Niewenhuis,

-- le syndicalisme révolutionnaire comme tentative de solution mais qui ne dépasse pas la problématique :  l’affirmation indépendante de la classe dans le capital est sa propre médiation.

 

 Il résulte de tout cela que l’impossibilité de la révolution comme affirmation de la classe est produite à partir d’elle-même : opposition de ses termes, nécessité d’une période de transition, implication avec la restructuration du capital.

 

  1. b) Subsomption réelle.

Le rapport d’exploitation est structuré par l’extraction de plus-value relative:

-- la reproduction de la force de travail perd toute autonomie par rapport à la reproduction du capital.

-- le travail n’est plus l’élément dominant du procès de production.

-- le procès de production devient adéquat au capital en tant que procès de valorisation.

-- le travail est totalement spécifié comme travail salarié.

-- la défense de la condition prolétarienne est un moment de l’auto-présupposition du capital : contrainte à l’exploitation pour chaque capital par augmentation de la productivité (la concurrence comme extériorité pour chaque capital particulier des lois inhérentes au rapport capitaliste en général), salaire comme “investissement”.

 

D’où, décomposition du programmatisme. Pourquoi pas sa disparition ?

-- Subsomption réelle et subsomption formelle déterminent une périodisation, mais sont aussi deux instances constantes du mode de production capitaliste.

-- La révolution est toujours action d’une classe particulière, d’où réactivation de cette particularité face au capital comme rapport à soi. La révolution comporte toujours un “moment” programmatique.

-- Les périodes révolutionnaires se relient toujours à un cycle de luttes quotidiennes.

-- Les particularités de la phase de la subsomption réelle des années 1920 aux années 80 : l’identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, le travail légitimé comme rival du capital à l’intérieur du mode de production capitaliste (cf le texte “Théorie Communiste” dans ce n°).

 

La décomposition du programmatisme n’est pas un essoufflement de la période antérieure mais une structure nouvelle : un nouveau cycle de luttes. La base de la décomposition du programmatisme est une identité ouvrière confirmée dans la reproduction même du capital, dans son auto-présupposition (particularisation du procès de production)

Les formes de la décomposition sont :

-- Le contenu classique de libération du travail par rapport au capital laisse la place à un procès d’extinction de la contradiction. Le capital définissant et reproduisant le prolétariat : la contradiction n’a plus lieu d’être. C’est la tendance générale.

-- Mais avec la subsomption réelle, le capital définit le prolétariat, pose le travail, comme son rival à l’intérieur de lui-même.

Des deux points précédents il résulte :

-- Le chassé croisé entre la S.D. et les P.C. Rivalité (Lénine) / Extinction de la contradiction, avec alliances diverses (S.D.).

-- Mais aussi (et c’est pour nous le plus important) : la décomposition du programmatisme est l’impossibilité de plus en plus grande de concevoir la révolution comme transcroissance à partir de ce qu’est la classe dans la société capitaliste :

* Le procès de la révolution est posé dans l’autonomie de la classe, dans toutes les ruptures avec cette intégration de sa défense et de sa reproduction : l’auto-organisation. Cela est justifié idéologiquement comme affirmation d’un être réel caché de la classe, ou carrément par le mouvement du communisme à l’oeuvre dans la société.

* En unifiant contradictoirement les deux (être dans le capital et être réel), on parvient, à la fin du cycle dans les années 60, à l’auto-négation comme contradiction interne du prolétariat, qui pourra prendre toutes les formes idéologiquement imaginables. On est toujours dans une problématique de la décomposition du programmatisme.

 

2) L’Ultra-Gauche

Une fois construite cette périodisation, comprendre de façon critique l’Ultra-gauche.

Un essai de définition : on peut appeler Ultra-gauche, toute pratique, organisation, théorie, qui posent la révolution comme affirmation du prolétariat,  en considérant cette affirmation comme critique et négation de tout ce qui définit le prolétariat dans son implication avec le capital. En cela l’Ultra-gauche est une contradiction en procès.

 

L’affirmation autonome de la classe affronte ce qu’elle est dans le capital. Son affirmation est la destruction de son ancienne condition vue comme un détournement de son être véritable, la révolution affronte la propre puissance de la classe en tant que classe du mode de production capitaliste (le drame de la gauche allemande face à la S.D.).

-- D’une part : l’affirmation trouve dans cette puissance sa justification et sa raison d’être.

-- D’autre part : c’est le même être qui, d’être pour le capital, doit passer à son autonomie, à la “conscience de soi”.

Il s’ensuit que la contre-révolution est intrinsèquement liée à la révolution.

 Intervention du K.A.P.D. au 3° congrès de l’Internationale : “ La révolutionnarisation des syndicats dans les pays où ils sont devenus les fermes soutiens du capitalisme est aujourd’hui une absurdité. C’est rater le début que de croire qu’on pourra accomplir cela. Les 9 à 10 millions de syndiqués allemands pourraient, s’ils étaient révolutionnaires, s’ils constituaient l’organe de la révolution, prendre effectivement le pouvoir aujourd’hui ; ils pourraient, si nous les avions de notre côté, mettre à profit la situation, chaque jour, à chaque heure, pour détruire la société capitaliste en Allemagne, y enflammer la révolution, et par là, pousser en avant la révolution mondiale. Nous voyons partout ces organes faillir, et à cause de cela dans l’intérêt et au service de la révolution, nous devons réclamer et exiger leur destruction. De même qu’on a dû détruire, écraser les partis politiques de la période pré-révolutionnaire, de même on doit détruire les organes de l’organisation économique, les syndicats, avant d’arriver à la victoire de la révolution.” ( in Denis Authier, “La gauche allemande” p 69-70, Ed Invariance / La vieille taupe). La Gauche exprime ici la dualité du processus révolutionnaire dans lequel elle est engagée. Le prolétariat affronte ce qu’il est dans le capital, mais c’est cet “être pour le capital” qui doit devenir “être pour soi”.

 

  1. A) Le prolétariat affronte ce qu’il est dans la capital.

Ce qu’il est dans le capital n’est posé que comme médiation entre son être et le capital :

-- la critique des syndicats : le caractère contre-révolutionnaire se trouve dans leur structure divisée en métiers. Il faut que la lutte soit menée dans l’entreprise. Les syndicats sont : “instruments de la classe ouvrière pour un but bien déterminé : s’installer à l’intérieur de l’ordre capitaliste” (interventions du K.A.P.D., 3° congrès de l’I.C.). Cependant pour la classe ce n’est ni un choix ni la création d’une médiation, c’est ce qu’elle est qui est à l’intérieur de “l’ordre capitaliste”. “Les vieux syndicats dans leur constitution et d’après leur structure, étaient des organes qui travaillaient à l’intérieur de la société capitaliste et qui lui étaient adaptés.” (d°). La critique du syndicalisme n’est pas une analyse critique de l’implication réciproque entre prolétariat et capital.

-- Idem pour la critique de la politique, du parlementarisme.

 

  1. B) “L’être pour le capital” doit devenir “être pour soi”.

Le renversement (révolution) est “possible” parce que l’être pour le capital n’est qu’une aliénation : l’être devenu étranger à lui-même, cette extériorisation ce sont les médiations : syndicats, politique, parlement.

“Tout doit tendre à aider le prolétariat à acquérir la conscience (souligné dans le texte) qu’il n’a besoin que d’une intervention énergique pour user efficacement du pouvoir qu’il possède déjà effectivement” (Programme du K.A.P.D., 1920, in Authier op cit p 5).

C’est le principe général de la Gauche et la dynamique de toutes les scissions des années 20 : être au plus près, supprimer toutes les séparation d’avec cet être de la classe déjà au pouvoir, déjà potentiellement la révolution et positivement le contenu du communisme.

La révolution est conçue comme libération et affirmation de l’être de la classe :

“Si les travailleurs veulent leur libération définitive en tant que classe (...) il faut qu’ils créent des formes qui soient absolument l’oeuvre de leur propre classe et non pas le produit de quelques “dirigeants” (...) De telles formes, issues de leur être le plus profond, c’est-à-dire nées de leur volonté de classe prolétarienne, seront en totale opposition avec toute forme plus ou moins dépendante du capitalisme” (“Programme A.A.U.D., Authier, d° p 100)

L’organisation autonome de la classe qui se différencie de l’organisation dans le capitalisme part de l’être le plus profond de la classe “de façon naturelle” ; mais c’est bien toujours la classe telle qu’elle est dans le capitalisme dont l’être s’affirme comme communisme : “l’organisation d’entreprise est le début du communisme”. “L’organisation d’entreprise est le début du devenir communiste (...) elle deviendra le fondement de la société communiste à venir, de la société sans classes. Société sans classes signifie : économie communautaire et formes d’expressions sociales totales. Elle signifie l’unification totale de la base économique (...) dans l’organisation d’entreprise, la masse se trouve dans le mécanisme moteur de la production, lutte sans arrêt pour le connaître et pour le diriger. Là a lieu le combat spirituel, la révolutionnarisation de la conscience(...) (d° p 101)

“Les tâches les plus urgentes de l’A.A.U. sont a) la destruction des syndicats et des partis politiques (...) b) l’union du prolétariat révolutionnaire dans les entreprises, cellules de la production, fondement de la société qui vient. La forme de toute union est l’organisation d’entreprise” (tendance A.A.U.E. dans l’A.A.U. d° p 110)

 

Du K.A.P.D. au G.I.C, la conception de la révolution par la Gauche évolue vers l’immédiateté entre être de la classe dans le capitalisme et production du communisme : “Le mouvement ouvrier c’est le mouvement des ouvriers en lutte”. Mais dans ce processus, la critique des médiations, la critique de l’être dans le capital, est telle que cet être de la classe dans le capital, qui est pourtant déjà la révolution et le contenu du communisme, lui échappe au fur et à mesure que se développe sa critique.

La Gauche parvient à un tel niveau de critique des médiations que l’être du prolétariat qu’elle se propose d’affirmer ne peut plus être celui du prolétariat tel qu’il existe dans le mode de production capitaliste, malgré ses dires. Elle n’arrive jamais à le reconnaître et va toujours plus loin dans la critique de la classe dans le capitalisme., tant et si bien que l’être qu’elle veut affirmer lui échappe sans cesse. Jusqu’au doute sur la “mission historique du prolétariat”. (Pannekoek ; Cann-Meijer ; Bordiga ; Vercesi ; Prudhommeaux ; Simone Weill)

L’être du prolétariat est immédiatement le communisme, aucune médiation, ni parti, ni syndicat, ni période de transition --économiquement--, ni même l’existence de la classe dans le mode de production capitaliste, sur laquelle repose tout de même cette organisation d’entreprise, ne viennent placer une transformation qualitative (sans parler de négation) entre cet être de la classe maintenant et le communisme.

 

MAIS, c’est le même être du prolétariat  qui d’être dans le capital se libère, s’affirme comme contenu du communisme. La Gauche n’affronte pas cela comme “simplement” un problème théorique, mais pratiquement dans les syndicats, la S.D., le K.P.D., les luttes revendicatives immédiates. Le problème ne peut être escamoté, il est affronté et “résolu” de plusieurs façons.

 

  1. a) La conscience de soi.

La lutte contre le capital, pour connaître le secret de la production est “connaissance de soi”, “révolutionnarisation de la conscience”, “combat spirituel”.

La conscience de soi est le procès pratique de passage de l’être pour le capital, à l’affirmation du même être comme contenu du communisme, plus tard le G.I.C. introduira momentanément la distinction entre “classe en soi” et “classe pour soi”.

“Le problème de la révolution allemande est le problème du développement de la conscience de soi du prolétariat allemand” ( Programme K.A.P.D., 1920, d°p 6)

“Le prolétariat crée des organes dans lesquels s’incarne la conscience de classe” (Programme A.A.U.D., d° p 97)

La conscience sépare la classe telle qu’elle est dans son “être le plus profond” , de la classe dans le capitalisme. Le même être devenu conscient devient classe révolutionnaire.

 

  1. b) Les formes que produit cet “être le plus profond” de “façon naturelle” sont “impures”.

“La formation et la croissance de la classe prolétarienne entraînent naturellement des formes d’organisation et d’expression qui lui sont conformes. Cela ne se produit évidemment que lorsque les prolétaires ont parfaitement conscience  de former une classe dont les intérêts propres sont opposés à ceux du capitalisme. Ces formes ne se créent pas du jour au lendemain et ne sont pas parfaitement pures a priori ; elles se développent grâce au progrès de la compréhension intellectuelle et l’afflux de masses toujours plus importantes. Elles n’atteindront complètement leur maturité que si la base prolétarienne existe, qu’après donc la disparition de l’économie privée et de l’économie de profit, remplacée par une économie communautaire prolétarienne adaptée aux besoins.

“Il est facile de comprendre qu’il y aura une organisation différente de l’organisation capitaliste lorsque le prolétariat sera devenu une société, un ensemble collectif propriétaire de tous les moyens de production (...) Mais avant d’y parvenir, le prolétariat crée --et ceci d’autant mieux qu’il est plus conscient de former une classe-- des formes d’expression, des organes, dans lesquels s’incarne la conscience de classe  (...)Lorsque cette forme d’organisation devient processus révolutionnaire, elle est alors appelée organisation des conseils ” (A.A.U.D., d° p 97)

On admet dans un premier temps la croissance simultanée du capital et de l’organisation prolétarienne dans le capital ; ensuite (2° temps) il faut bien sûr que l’organisation prolétarienne se sépare du capitalisme pour être exclusivement prolétarienne. Là commencent les problèmes : “ces formes ne sont pas parfaitement pures a priori”, et on conclut sur un renversement surprenant (3° temps) : nous n’aurons de formes organisationnelles pures que lorsque le prolétariat aura pris le pouvoir, c’est à dire sur la base d’une économie prolétarienne communautaire. Un véritable saut périlleux théorique par rapport aux prémisses.

Saut par dessus le grand problème de la Gauche : il faut une organisation révolutionnaire de la classe qui soit son affirmation comme classe telle qu’elle est dans le capitalisme (“l’organisation d’entreprise est la cellule de base du communisme, où la classe perce les secrets de la production”, la production existante donc, considérée comme production en général) , mais qui ne se confonde pas avec une organisation de la classe dans le capitalisme. Le mieux pour atteindre cette organisation est donc de supprimer d’abord le capitalisme.

La Gauche déplace sur le terrain de la conscience de soi (cf a), le problème organisationnel, c’est-à-dire le problème de l’être qu’elle ne peut pas résoudre.

C’est dans l’organisation des conseils que “s’incarne l’évolution progressive de la conscience de soi  du prolétariat, la volonté de transplanter dans la réalité la conscience de classe des prolétaires et de lui donner une expression réelle” (A.A.U.D, quelques lignes après la citation précédente).

 

  1. c) L’organisation des révolutionnaires (problème récurrent)

-- Programme du K.A.P.D. : gros problème de différenciation entre les Unionen (organisations d’entreprises) et le parti (cf les notes sur l’évolution historique )

-- “L’organisation politique a comme tâche de rassembler les éléments les plus avancés de la classe ouvrière sur la base du programme du parti (...) Le travail du K.A.P.D. à l’intérieur de ces organisations sera celui d’une propagande inlassable.” (programme du K.A.P.D.)

-- “Peut devenir membre de l’organisation d’entreprise, tout ouvrier qui se déclare pour la dictature du prolétariat. En plus il faut rejeter absolument les syndicats...L’organisation d’entreprise conduit à la société communiste. Son noyau sera expressément communiste.” (d°)

-- Même Rühle : dans “La révolution n’est pas une affaire de parti” (1920)

“Les éléments les plus mûrs politiquement, les plus décidés et les plus actifs d’un point de vue révolutionnaire, ont le devoir de former la phalange de la révolution (...) Ils sont l’élite du prolétariat révolutionnaire. Par le caractère fermé de leur organisation, ils gagnent en force et acquièrent une profondeur de jugement toujours plus grande. Ils se manifestent en tant qu’avant-garde du prolétariat, comme volonté d’action vis-à-vis des individus hésitants et confus. Au moment décisif, ils forment le centre magnétique de toute activité. Ils sont une organisation politique. Mais pas un parti politique. Pas un parti au sens traditionnel.” (in Authier d° 117)

 

La Gauche est contrainte de faire exister organisationellement cette classe du mode de production capitaliste, autonome du mode de production capitaliste, ce sera l’organisation des révolutionnaires résolus. Il faudra donc une organisation séparée de la masse de la classe. “L’être profond de la classe” qui dans son mouvement naturel est l’union de toute la classe, est la masse en action, apparaît toujours comme fraction.

-- “La révolution est l’affaire politique et économique de la totalité de la classe prolétarienne” (Rühle d°).

-- “La K.A.I. représente la lutte de classe prolétarienne pure” (Manifeste de la K.A.I 1922)

 

  1. d) Le problème de l’identité (être dans le capital / être communiste) est décalé en problème d’organisation, d’intégration, de dirigeants, de bureaucratie.

La Gauche allemande pose, dans ses propres termes, le problème de l’implication et de la contradiction des éléments de la dualité du programmatisme : montée en puissance de la classe et affirmation autonome.

“Mais comme le capitalisme n’était pas au bout de ses forces, que le prolétariat ne formait pas encore une masse consciente d’appartenir à la même classe, et que tout deux continuaient à se développer selon un seul et même processus, il est bien évident que ce n’est pas de but en blanc, et en particulier avant la victoire politique de la classe jusque là opprimée, que pouvait naître une organisation prolétarienne qui ait avant tout --à l’opposé de l’organisation capitaliste-- un caractère de classe prolétarien et qui puisse arriver à utiliser les méthodes de luttes prolétariennes qui en découlent. Des essais ont été faits à ce sujet, dont on trouve des traces dans l’affrontement entre Marx et Bakounine (...) La conscience prolétarienne ne se développa que très lentement (...) et la caractéristique de la période transitoire qui va de cette époque à l’époque actuelle est l’afflux d’une foule d’exploités dans le réservoir des partis et des syndicats social-démocrates. La lutte de ces organisations était menée sur le terrain même du capitalisme, n’exigeait évidemment pas de “prêcher un but” (...) Mais au cours de ce combat, l’objectif suivant, qui était “le développement de la conscience de classe prolétarienne” fut complètement perdu de vue. Le point de vue selon lequel “l’émancipation de la classe ouvrière serait l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes” et qui faisait du développement de la conscience de classe des travailleurs  la tâche essentielle à na pas négliger un instant, fut de plus en plus laissé de côté (...) Elles (les organisations socialistes) devinrent des “organisations de chefs” (...) Elles devinrent des fins en soi. (Programme de l’A.A.U.D., d° p 93-94)

 Il faut détacher l’activité révolutionnaire de la montée en puissance qui devient le principal obstacle à l’activité révolutionnaire, en même temps qu’elle est reconnue comme sa base d’existence et sa raison d’être.

Conservant une perspective révolutionnaire d’affirmation de la classe, la Gauche décale le problème de l’intégration de la classe (c’est à dire de l’implication réciproque entre prolétariat et capital) en problème d’organisation, de chefs, d’organisations-fins en soi, de bureaucratie.

“La “direction” de la lutte de classe se trouvait entre les mains de quelques individus qui étaient détachés des besoins du prolétariat.. Ce fut la victoire du parlementarisme (...) La lutte des classes, la révolution, devinrent l’affaire d’un groupe patronal directeur. Cette évolution n’est pas encore terminée. Les partis “socialistes” ou plutôt la racaille des partis, n’atteignirent leur déploiement le plus écoeurant qu’à partir de 1918” (d°, p 94-95)

“L’organisation devient quelque chose d’étranger pour les syndiqués” (d°) : c’est vrai, mais ce n’est que leur propre situation de salariés que cela exprime. A partir de là, la critique retombe et devient une critique descriptive de l’organisation et de son fonctionnement.

 

  1. e) Problème de l’articulation de la révolution avec les luttes immédiates.

L’alternative est alors transcroissance  entre luttes quotidiennes et  révolution ou rupture.

-- Transcroissance : les luttes immédiates n’expriment pas une appartenance au capitalisme, mais sont une étape de la libération de la classe, l’intégration n’est vue que comme déviation, opportunisme.

--   Rupture : la Gauche ne peut échapper à ce que l’être de la classe qui porte immédiatement le communisme est son existence dans le capitalisme.

 

L’affirmation doit donc se démarquer face à tout ce qui exprime cette existence.

“Nous avons la tâche, en tant que communistes, non de lancer les mots d’ordre de luttes quotidiennes parmi les masses ouvrières, mais ces mots d’ordre doivent être posés par les masses ouvrières dans les entreprises. Nous avons toujours à indiquer à ces masses ouvrières que la solution de ces questions quotidiennes n’améliorera pas leur situation et qu’en aucun cas elle ne pourra amener la chute de la société capitaliste (...) Ainsi, camarades, nous ne repoussons pas le combat quotidien, mais dans ce combat quotidien, nous nous mettons en avant des masses, nous leur montrons toujours le chemin, le grand but du communisme (...) C’est la tâche des communistes de remplir ces syndicats (le texte fait référence aux I.W.W. et aux occupation d’usines en Italie) d’un esprit révolutionnaire, de l’esprit du communisme, afin qu’ils ne tombent pas dans la voie de l’opportunisme (...) Camarades, si nous fondons ces organisations d’entreprises, nous ne devons pas oublier avant tout de les réunir en un grand tout, en un bloc qui se constitue en une totalité décidée. Une fois ces organisations unifiées à travers le pays par localités et par districts, nous voyons alors la base du système des conseils se développer à l’intérieur de la société capitaliste,  il est possible d’avoir dans ses traits fondamentaux le système des conseils (...) Si nous engageons la lutte de cette façon, si nous formons et perfectionnons ainsi la classe ouvrière pour qu’elle devienne l’organe de la démolition de l’Etat capitaliste, alors, camarades, nous avons déjà créé la condition préalable dans la société capitaliste.” (“Intervention du K.A.P.D. au 3° congrès de l’Internationale” in Authier op cit p 67-68).

L’A.A.U.D. assista au congrès de fondation du Profintern (organisation syndicale internationale parallèle au Komintern), mais n’y resta pas car le Profintern  exigeait le travail à l’intérieur des syndicats “réactionnaires”.

 

Conclusion.

L’Ultra-gauche n’a pu comprendre la contre-révolution, car elle ne pouvait comprendre réellement le prolétariat comme classe du mode de production capitaliste. Elle a accentué la critique de toutes les modalités d’existence de la classe dans le mode de production capitaliste, en postulant une nature révolutionnaire du prolétariat qui par ses critiques mêmes ne pouvait que lui échapper de plus en plus ; cette nature révolutionnaire se trouvait, pour elle, dans les conditions d’existence de la classe et elle critiquait tout.

“La Gauche allemande a été amenée à développer l’idée d’un prolétariat “pur”, contenant en lui-même et par lui-même la vérité révolutionnaire, et à expliquer l’échec révolutionnaire par les falsifications, les pressions et la violence exercée sur le prolétariat pour le détourner de ses tâches (...) On conservait toujours l’idée que, dans le fond, le prolétariat authentique était révolutionnaire s’il n’était pas manipulé et falsifié (...) Dans cette conception, le conseil ouvrier joue le rôle de panacée. On ne prend plus le conseil comme forme d’organisation d’une lutte, mais comme une forme bonne en elle-même, permettant à la réalité du prolétariat de s’exprimer.” (Pierre Nashua, “Perspectives sur les conseils, la gestion ouvrière, et la gauche allemande.” brochure, 1971)

A vouloir tenir l’identité entre l’être de la classe dans le capital et son être communiste (sans médiation, bien que la Gauche soit contrainte d’en produire ), l’Ultra-gauche nous amène au bord du dépassement de sa problématique. Il n’y a plus de médiation entre le prolétariat et le communisme, mais l’Ultra-gauche pensait encore cela programmatiquement (d’où la multiplication des impasses), c’est à dire en ne faisant pas le saut pratique et théorique que cette proposition contient en elle-même : la négation de la classe par elle-même dans la révolution, dans l’abolition du capital.

 

La Gauche “italienne”

1) De la direction du parti à la fraction 1918- 1926

--1918 : “Il Soviet”, création de la “fraction abstentionniste” dans le P.S.I :  rompre avec le système démocratique.

* opposition à “l’Ordine Nuovo” de Gramsci, Togliatti, Tasca.

* opposition à la gestion de l’économie par les “conseils”.

--1920-1921 : rapprochement Gramsci et Bordiga ; 21 janv 1921, fondation du P.C.I.

“C’est seulement l’organisation en parti qui réalise la constitution du prolétariat en classe.”

Le parti est l’union organisationnelle du but révolutionnaire et de la classe dans le mode de production capitaliste. “Les conseils ne sont révolutionnaires que comme section du parti.” Aucune remise en cause de la participation aux syndicats : “organismes ouvriers opportunistes”.

--1923 : emprisonnement de Bordiga et d’autres membres de la direction, pression de l’Internationale pour le rapprochement avec une fraction du parti socialiste ; les “bordiguistes” perdent la direction du parti.

 

La gauche doit affronter trois grandes questions :

  1. a) Le Fascisme

Critique du fascisme et de son “principal produit l’anti-fascisme”. C’est la synthèse de la critique de toutes les médiations politiques, sauf le parti, mais d’entrée de jeu, pour la gauche italienne, le parti c’est la classe. A travers la critique du fascisme et de son principal produit l’anti-fascisme s’impose pour la gauche que le maintien du but programmatique s’accompagne d’une coupure de plus en plus radicale avec tout ce qui constitue les médiations menant à ce but (c’est fondamentalement pour cela que les Gauches italienne et germano-hollandaise appartiennent à la même période historique).

-- le fascisme n’est pas le produit des couches moyennes, il est le produit de la défaite du mouvement ouvrier.

-- le fascisme n’est pas une réaction féodale, il apparaît et se développe d’abord dans les grandes villes industrielles du nord.

-- le fascisme ne s’oppose pas à la démocratie : à leur démobilisation le gouvernement encourage les officiers à s’engager dans les squadristes; les démocrates ont cédé pacifiquement le pouvoir à Mussolini en 1922.

-- pas de front anti-fasciste : c’est la gauche social-démocrate qui ouvre la voie au fascisme.

* l’anti-fascisme est le pire produit du fascisme.

 

  1. b) Critique de la bolchévisation  (1925)

-- cellules d’entreprise : le cadre étroit de l’usine.

-- le parti devient une somme d’individus ouvriers rattachés à des branches professionnelles : corporatisne, ouvriérisme.

-- encouragement de l’économisme.

-- liaison bolchévisation et socialisme dans un seul pays : abandon de la révolution internationale, on enferme la révolution dans des questions économiques.

 

  1. c) Le parti de masse.

Refus de la fusion avec l’aile gauche et le centre du P.S.I. (Serrati). Bordiga écarté de la direction, Zinoviev impose la fusion, mais le P.S.I. refuse, le groupe de Serrati est exclu du P.S.I. Gramsci et Togliatti prennent la direction du parti.

 

 

2) La constitution de la gauche en fraction (1926)

La création officielle de la fraction s’effectue au congrès de Pantin en 1928 (“Prometeo”).

 

  1. a) Réflexions critiques et contacts

-- Avec Korsh  : recherche de rapprochement avec le groupe de Korsh exclu du K.P.D. en 1925. Mais désaccord sur : la nature de la Russie (pour Korsh : révolution bourgeoise, impérialisme rouge) ; pour Bordiga refus de la scission dans les partis et dans l’I.C. Bordiga est exclu du P.C.I. en 1930. En 1928, la fraction solidaire de Trotsky, veut réintégrer l’Internationale.

-- Avec Trotsky  : longs échanges avec les trotskystes et débat pour entrer dans l’opposition internationale (trotskyste). Divergences sur :

* ”gouvernement ouvrier et paysan”,

* ”front unique”,

* “comités prolétariens anti-fascistes”,

Cependant “participation loyale au travail de l’opposition internationale”.

Mais, exclusion en Fev 33 de la fraction Prometeo sur :

--le front unique anti-fasciste.

--la proclamation d’une nouvelle internationale.

Puis opposition tranchée sur l’Espagne.

En fait la gauche “italienne” ne devient pas “gauchiste” : c’est à dire ne se met pas à la recherche de toutes sortes de médiations opportunistes pour colmater la séparation entre les luttes immédiates, la situation du prolétariat dans le capitalisme et la révolution. Pour la gauche “italienne”, c’est “l’époque des guerres et des révolutions” , c’est tout. De toute façon, le parti est en soi cette liaison et la totalité.

 

  1. b) Critique de la Gauche allemande.

-- refus de rompre avec l’Internationale, Bordiga accepte le parlementarisme.

-- critique comme anarchiste le K.A.P.D. et la Gauche hollandaise, en tant que déviation syndicaliste, comme I.W.W. ou C.N.T.

-- la Gauche allemande “nie” l’utilité de la lutte politique.

-- pour  Bordiga, conception organique parti / classe.

-- avec la fondation de la K.A.I. et la Russie déclarée “bourgeoise”, la rupture est totale.“

L’idée utopique et réactionnaire d’un appareil institutionnel épousant organiquement, sur toute son étendue le système de production capitaliste, erreur qui se traduit pratiquement dans une sorte de surestimation des conseils d’usine et dans un boycott des syndicats.” (Thèses de la Gauche au congrès de Lyon du P.C.I. 1926)

“Dans cette théorie, les problèmes de la fonction des syndicats et du parti, les questions de la lutte armée, de la conquête du pouvoir et de la construction du socialisme étaient posées de façon erronée. Elle développait au contraire la conception d’une organisation systématique, non “volontaire” mais “nécessaire” de la classe ouvrière, strictement calquée sur le mécanisme industriel de la production capitaliste...De plus, même à l’époque bourgeoise, ce système devait assumer des fonctions de construction de la nouvelle économie, en revendiquant et en exerçant le contrôle ouvrier sur la production.” (d°)

 

  1. c) Une scission : juillet 1927, Pappalardi “Le réveil communiste”

-- Impossibilité d’oeuvrer au redressement de l’Internationale.

--Russie : bureaucratisation, plus de pouvoir prolétarien, contacts avec Korsh.

“Le réveil communiste”, qui devient “L’ouvrier communiste” en1929 et  dispait en 1931, met en question la capacité révolutionnaire du prolétariat. On y trouve la prépondérance des thèses de la Gauche germano-hollandaise : rejet du parlementarisme, du syndicalisme, des luttes nationales, de tout regroupement ouvrier permanent sur des questions revendicatives, la question du parti est secondaire, la conscience est spontanée. Contacts avec le G.I.C et le K.A.P.D. ; polémique avec l’A.A.U.D.E. qui ,pour “L’ouvrier communiste”, transforme les groupes d’entreprises en crypto syndicats. Pour “L’ouvrier communiste”, la lutte économique ne peut qu’être liée à la prise du pouvoir.

 

3) “Bilan” puis “Octobre” : nov 33 - 1940.

  1. a) La contre-révolution

1933 : la victoire du fascisme en Allemagne est l’aboutissement de la défaite du prolétariat. Faire le bilan de la période 17-33.

Il y avait les conditions objectives mais manquait le facteur subjectif et donc les “cadres” et le “parti”. La période qui s’ouvre est celle du triomphe de la contre-révolution.

Les raisons données de l’échec dans le bilan théorique de la période préservent les bases mêmes de la synthèse sur laquelle vit la Gauche “italienne” (vit et survit) : en plaçant tardivement la contre-révolution, on ne la comprend pas dans sa naissance, dans son principe, cela “innocente” la montée en puissance de la classe dans le mode de production capitaliste, cela “innocente” ce qu’est la classe dans le mode de production capitaliste d’être la force même de la contre-révolution (en ce qu’elle est subsumée sous le capital, il n’y a pas de “contre-révolution prolétarienne”, quel que soit le rôle joué par la plus grande partie de la classe ouvrière).

L’échec est placé au niveau de la conscience et des partis. La Gauche “italienne” peut donc continuer à vivre sur le parti comme synthèse de la classe dans le mode de production capitaliste et du but. De toute façon, à l’époque, personne ne peut encore dépasser le programmatisme, quand on parvient théoriquement (parce que pratiquement la révolution se heurte aux organisations ouvrières) à mettre en crise le rapport entre la classe dans le capital et la révolution, on est alors au bord de l’abîme théorique, de l’abandon de la théorie du communisme comme théorie du prolétariat.

 

A nouveau dans les années 30, la critique du fascisme et de l’anti-fascisme synthétise la critique de toute médiation entre le prolétariat, classe du capitalisme, et la révolution. Heureusement il y a le parti et le programme.

La critique de la démocratie est centrale, c’est la critique d’un état social, de l’intégration de la classe dans le mode de production capitaliste, qui ainsi n’est pas analysée structurellement quant au rapport d’implication réciproque entre prolétariat et capital en subsomption réelle, mais politiquement, comme réconciliation nationale. La critique de la démocratie permet de passer à côté de la critique de l’intégration de la classe, elle préserve la base du programmatisme.

-- Critique du “Front populaire”. Critique de toutes les actions immédiates, critique des grèves de 36 qui s’étaient “collées au dos le drapeau tricolore”.

 

  1. b) l’Espagne.

 Ce n’est pas deux classes qui s’affrontent, mais deux fractions de la bourgeoisie espagnole (républicains et fascistes). Appel au prolétariat à s’insurger des deux côtés. S’attaquer à l’Etat républicain, c’est encourager la révolte des prolétaires de l’autre côté de la frontière militaire. Attaque du P.O.U.M. et de la C.N.T. qui condamnent les grèves du côté républicain en 37. Critique de la collectivisation tant que l’Etat républicain n’est pas abattu.

La “leçon” de l’Espagne : sans parti pas de situation révolutionnaire, son absence montre que la situation n’était pas révolutionnaire. Le parti devient là une instance théorique se distinguant du prolétariat sociologique. La fraction distingue le prolétariat sociologique et le prolétariat révolutionnaire, celui qui formera le parti, et qui, comme parti, est la synthèse de la classe du capitalisme et du but révolutionnaire (la problématique classe pour soi et classe en soi est dans l’air du temps).

 

  1. c) “Octobre”.

 Début 38, fusion de “Bilan” et d’une fraction de la “Ligue communiste internationaliste de Belgique” (Jehan / Mitchell).

Adoption de la théorie luxembourgiste des crises. Par là la gauche entérine l’incapacité à concevoir les crises et la crise de 29, comme restructuration.. Demeurant programmatique, la théorie révolutionnaire ne peut alors reconnaître dans la contre-révolution l’affermissement de la subsomption réelle du travail sous le capital. L’évolution du capital est bloquée, il serait même entré en “décadence”.

 

4) Les limites de la gauche italienne

  1. a) Affirmation du prolétariat et implication réciproque entre prolétariat et capital.

 Dans le cadre de la décomposition du programmatisme, on ne peut maintenir la révolution comme affirmation de la classe qu’en se retournant contre tout ce qui peut être l’existence de cette classe dans la reproduction du capital. D’où la radicalité des critiques de la Gauche sur le cours de la lutte des classes et sur l’opportunisme, mais cette critique demeure politique. Ayant pratiqué de façon formelle la synthèse de la dualité contradictoire de la décomposition du programmatisme (libération et affirmation de la classe contre tout ce qui est sa définition comme classe dans le mode de production capitaliste) dans la notion de Parti, la Gauche “italienne n’a plus aucune possibilité de relier l’existence immédiate de la classe dans le mode de production capitaliste à la révolution (les tentatives de participation syndicale sont constamment des échecs). La Gauche “italienne” en arrive à attendre de la guerre le déclenchement de la révolution : en plein cours à la guerre, elle passe de “Bilan” à “Octobre”.

Cependant, ne parvenant plus à produire une théorie de la révolution intégrant la situation et l’action quotidienne de la classe, les questions que se pose “Bilan” sur le Keynésianisme et l’économie de guerre pouvaient amener à reconnaître l’intégration, et dans un cadre théorique programmatique, cela équivaut à abandonner la capacité révolutionnaire du prolétariat (c’est la démarche de Vercesi).

 

  1. b) La révolution russe.

 La compréhension de la prise du pouvoir par les Bolchéviks comme la victoire de la révolution prolétarienne est le point où se bloquent toutes les dynamiques théoriques de la Gauche “italienne”, son “trou noir”. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale qu’une partie de la Gauche abandonne la notion “d’Etat prolétarien”. Par là la Gauche se condamne à n’avoir qu’une compréhension critique théorique de type politique de la montée en puissance de la classe comme affrontant son affirmation autonome. Sinon c’est reconnaître la prise du pouvoir par les Bolchéviks comme contre-révolution.

C’est pour avoir franchi ce pas, ayant été pratiquement contrainte dans le cours de la révolution de s’opposer au bolchévisme et à l’Internationale, que la dynamique ouverte par la Gauche germano -hollandaise fut infiniment plus porteuse et productive et par là-même, plus erratique.

 

Fondements de la critique des Gauches.

(Thèses)

 

1

De la mise en place de la subsomption réelle à la restructuration actuelle (1914 / 1917), en confirmant à l’intérieur de son autoprésupposition une identité ouvrière, le capital fait du développement “sur la base du travail” un mode rival de son propre développement. Il fait du travail son propre rival à l’intérieur de lui-même. Il fonde le prolétariat à disputer au capital la gestion du mode de production.

 

2

C’est le passage en subsomption réelle qui fonde l’explosion historique de l’affirmation du prolétariat : s’emparer de la société dont il est devenu l’âme. La reproduction du prolétariat et de sa contradiction avec le capital sont intégrées dans la reproduction propre du capital. Il faudra 20 ans pour que soit éliminée l’affirmation autonome de la classe telle qu’elle se développa en subsomption réelle, c’est-à-dire en contradiction avec la montée en puissance de la classe, avec ce qui la rendait possible et lui conférait paradoxalement toute sa vigueur. C’est l’histoire de l’entre-deux-guerres.

 

3

La révolution, dans le cycle de luttes ouvert en 1917 (ou 1905), est toujours affirmation de la classe, le prolétariat cherche à libérer contre le capital sa puissance sociale existante dans le capital. Ce qui lui confère sa capacité à promouvoir cette large affirmation devient sa limite. Cette affirmation se retourne contre elle-même et se constitue en tant que reproduction du capital, qu’elle implique ou qu’elle prend en charge (Russie), en contre-révolution.

 

4

 La spécificité de cette période par rapport au programmatisme classique de la social-démocratie sous toutes ses formes (cf T.C.12) réside dans le fait que l'affirmation autonome de la classe contre le capital entre en contradiction avec sa montée en puissance à l’intérieur du capital, en ce que cette montée en puissance est totalement intégrée dans la reproduction du capital. En même temps cette affirmation trouve sa raison d’être, son fondement dans cette intégration. Ce qu’est la classe dans le mode de production capitaliste est la négation de son autonomie tout en étant la raison d’être et la force de cette même volonté d’affirmation autonome. La révolution comme affirmation de la classe se trouve prise dans cette contradiction qu’elle ne peut dépasser, c’est dans ce qui constitue la révolution elle-même, que la contre-révolution trouve sa force, et la capacité de l’abattre.

 

5

L’affirmation de la classe se heurte, dans cette phase de la subsomption réelle, à sa limite intrinsèque : la montée en puissance de la classe, que l’affirmation implique et qui l’autorise elle-même. Cette dernière se confond alors avec le développement du capital, elle devient gestion possible, revendiquée, de celui-ci. Cette implication, conflictuellement ou par concessions, l’affirmation ouvrière est contrainte de la reconnaître, en ce que c’est sa propre possibilité d’existence qu’elle trouve dans la contre-révolution dressée contre elle. Les Partis Communistes sont l’affirmation de l’identité ouvrière telle qu’elle est confortée dans l’autoprésupposition du capital, la revendication d’une gestion ouvrière.

 

6

La théorie de la révolution programmatique ne peut que persister à concevoir la révolution comme affirmation de la classe, mais ne peut plus se reconnaître dans aucune manifestation ou aucun mode d’existence immédiats de la classe (c’est ce que cherche à conjurer la formule fétiche de la Gauche : “eux-mêmes”). C’est précisément le mode même de reproduction du capital, l’intégration de la reproduction de la classe ouvrière, qui suppriment cette possibilité d’affirmation, au moment même où ces caractéristiques du rapport entre prolétariat et capital revitalisent le programmatisme en légitimant l’affirmation du travail.

 

7

La révolution comme affirmation de la classe ne peut plus se reconnaître aucune médiation, ni même reconnaître dans l’existence immédiate de la classe sa possibilité d’existence elle-même ; mais demeurant affirmation de la classe, la pratique révolutionnaire et la théorie révolutionnaire ne peuvent reconnaître cet évanouïssement sans se condamner elles-mêmes.  En cela la question de la nature de l’U.R.S.S. est la pierre de touche de la production théorique programmatique de cette période.

 

8

Les Gauches, même la Gauche germano-hollandaise, ne saisissent jamais la véritable nature de la révolution russe : révolution programmatique ayant pour contenu l’affirmation autonome de la classe et par là-même trouvant dans la capacité du travail à revendiquer la gestion de la société capitaliste, donc dans ce qui est sa puissance même à l’intérieur du capital, acquise dans le passage en subsomption réelle, sa limite se formalisant contre elle-même comme une contre-révolution que les partis issus de la seconde internationale sont plus ou moins aptes, selon leur situation spécifique, à prendre en charge, à formaliser.

Quand la Gauche germano-hollandaise pose la révolution bolchévique comme révolution bourgeoise et contre-révolution, elle passe à côté de l’essentiel de cette révolution bourgeoise : sa spécificité en tant que contre-révolution. Elle n’existe comme révolution bourgeoise, dans sa possibilité même et ses caractéristiques, que comme contre-révolution, sur les limites de la révolution prolétarienne programmatique. Quand l’ultra-gauche voit le côté contre-révolutionnaire du bolchévisme (Otto Rühle), c’est simplement pour opposer dans la révolution russe, de façon non liée, la révolution bourgeoise et “l’élément prolétarien”, ou pour parler d’une révolution bourgeoise s’appuyant sur le prolétariat (G.I.C.), sans déterminer théoriquement le contenu et le déroulement de cet appui, sans le caractériser.

 

 9

Reconnaître que l’U.R.S.S. est un Etat capitaliste, c’est reconnaître explicitement l’impasse du programmatisme, de l’affirmation de la classe. C’est à  cela que la Gauche germano-hollandaise s’est trouvé confrontée, c’est le pas qu’elle ne pouvait pas franchir.

 

10

La Gauche germano-hollandaise développe un programmatisme épuré de tout ce qui a trait à la montée en puissance de la classe. Elle se réfère à une classe telle qu’elle existerait en rupture avec son existence dans la reproduction du capital, et suppose que cette classe est toujours celle qui existe sous toutes  les “mystifications” (démocratie, partis, syndicats, “substitutionnisme”). Le spontanéisme est la révélation d’un être caché de la classe. L’ensemble des Gauches fait nécessairement référence à une nature révolutionnaire de la classe. L’affirmation de la classe ne peut plus partir des formes reconnues et confortées de l’identité ouvrière, elle devient une contradiction en procès.

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