De Théorie communiste n°2 à Théorie communiste n°3
La nécessité d’une restructuration du rapport entre les classes
Ces quelques pages sont destinées à introduire la série de textes qui suit et qui ont pour dénominateur commun de poser la nécessité d’une restructuration du rapport entre le prolétariat et le capital pour qu’il y ait production du communisme à partir de la contradiction qui les oppose. Quelques mots sont nécessaires pour expliquer l’évolution poursuivie depuis Théorie communiste n°2 paru en janvier 1979. Bien que la critique actuelle ne fut pas le sujet de ce texte – mais plutôt l’analyse de la contradiction entre le prolétariat et le capital – celui-ci se terminait sur un survol de la crise qui concluait à une absence de restructuration possible.
Si la contradiction entre le prolétariat et le capital se confond avec le développement du capital en ce qu’elle est l’exploitation, si donc il n’y a pas de nature révolutionnaire inhérente du prolétariat se modelant et s’actualisant selon les conditions du cours historique du capital (ce qui est la thèse centrale de TC 2), il s’agissait de poursuivre le travail alors entrepris par une analyse de la nature de la crise commencée au milieu des années soixante, seule façon de déterminer le contenu présent de la contradiction entre le prolétariat et le capital.
Le contenu du rapport entre les classes dans la crise actuelle est donné par la crise de la valorisation intensive telle qu’elle s’est développée jusqu’à présent, c'est-à-dire la crise d’un stade spécifique de celle-ci (cf. les textes « Notes sur la restructuration » et « Développement économique de la crise », dans le présent numéro). La crise actuelle se caractérise comme crise de l’appropriation par le capital de cette force de travail dans le procès de production, ou au niveau de sa reproduction collective.
À ce niveau, les axes qui ont porté la baisse du taux de profit se confondent avec le contenu des luttes du prolétariat (luttes d’OS, luttes extra-travail, luttes contre le travail). C’est à un développement adéquat à l’appropriation des forces sociales du travail que nous assistons dans la restructuration en cours. À partir de ce contenu de la crise et de la restructuration, les luttes actuelles apparaissent comme limitées en ce que la restructuration du capital leur est une réponse adéquate, elle est par là contre-révolution. Elle ne vient pas briser des luttes qui sans elles seraient révolutionnaires ; s’il y a restructuration, cela est corollaire de l’absence de perspective révolutionnaire de ces luttes.
Dans la crise actuelle, la lutte de classes du prolétariat ne pourra que poser la défense de la condition du prolétariat comme la limite du processus révolutionnaire et cela à travers les formes radicales que celle-ci revêt. La crise actuelle permet au prolétariat de se poser en force autonome, de s’organiser pour elle-même, et simultanément interdit tout développement révolutionnaire, du fait de la domination réelle, à partir de ce dégagement. C’est là le contenu spécifique de la phase de développement du capital entrant en crise que l’on retrouve (développement du capital inadéquat à l’appropriation des forces sociales du travail) et qui caractérise et détermine celui des luttes du prolétariat qu’il ne peut alors dépasser.
Tout le contenu de la lutte de classe du prolétariat n’est rien d’autre que cette crise, il s’agir alors de savoir si le rapport révolutionnaire entre le prolétariat et le capital peut simplement résulter de l’extension de ces luttes, ou bien si la transformation de la nature et du contenu de ces luttes – leur devenir révolutionnaire – est possible sur la base du rapport actuel entre les classes, ou encore si une restructuration, une transformation du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital est nécessaire.
La forme la plus avancée prise par les luttes du prolétariat est actuellement donnée par l’auto-organisation, l’autonomie, le débordement des syndicats. Il ne s’agit plus d’une question de « forme » des luttes, mais de l’apparition de la production de plus-value comme contradiction centrale du mode de production et la manifestation du rôle spécifique du prolétariat dans celle-ci. Avec la crise, l’opposition entre le prolétariat et le capital cesse d’être un simple antagonisme sur le partage de la valeur nouvellement produite (syndicalisme), il y a éclatement de la contradiction au niveau de la production de plus-value elle-même. Il n’empêche qu’apparaissent là les limites mêmes du processus révolutionnaire.
Il n’est pas suffisant d’axer une critique sur le seul fait que l’on ne peut poser en eux-mêmes des mouvements tels que l’auto-organisation, le débordement des syndicats ou l’autonomie, en insistant sur ce que fait le prolétariat. Ces luttes ne sont pas de simples formes, elles ne peuvent être que la défense de la condition prolétarienne. Elles sont la limite du processus révolutionnaire en ce qu’elles reposent sur la tentative de faire de la classe ouvrière quelque chose de positif à dégager face au capital, en même temps que dans leur allure même elles signifient que l’on ne peut plus passer – comme en domination formelle – de la défense de la condition prolétarienne à la révolution. En effet, tous ces mouvements retournent peu ou prou à un syndicalisme branlant, l’auto-organisation n’a rien à organiser de façon stable. Le débordement des syndicats et l’auto-organisation ne sont et ne peuvent être que la défense de la condition prolétarienne dans le cours heurté qui est le sien dans le procès de la lutte actuelle.
On ne peut, de la même façon, poser que l’approfondissement des luttes accélère la crise du capital, celle-ci pouvant alors devenir révolutionnaire. Il y a là une double erreur. D’une part, si l’on considère séparément les luttes du prolétariat et la crise du capital, l’un déterminant l’autre, au choix. D’autre part, et c’est la raison de la première erreur, les luttes sont appréhendées sans les caractériser, elles sont simplement « luttes contre le capital », comme si elles n’avaient aucun contenu. Les luttes sont les luttes d’un stade historiquement déterminé du rapport entre les classes. Il s’agit donc de poser la question de savoir si les luttes de ce stade déterminé peuvent produire le communisme. Si l’approfondissement de la crise est l’approfondissement de la crise d’un stade spécifique du rapport entre les classes ne pouvant produire la révolution, ce n’est pas parce que la crise devient plus aiguë qu’elle deviendra révolutionnaire ; cela ne signifierait que le haut niveau que doit atteindre la dévalorisation du capital et de la force de travail. Le processus révolutionnaire ne pourra être que le dépassement du rapport actuel entre les classes et non son extension, son approfondissement.
Il faut alors qu’il y ait transformation du rapport entre les classes pour que ces luttes qui manifestent un stade spécifique de la domination réelle (développement du capital non adéquat à l’appropriation des forces sociales du travail), soient dépassées. La restructuration peut alors être saisie de deux manières : soit elle est considérée comme possible, soit elle s’amorce mais elle est considérée comme impossible, car entrant en contradiction avec ce qu’est le capital, non pas au terme de son développement mais dans l’œuf. Dans le cas de l’impossibilité, deux voies s’ouvrent.
La première de ces voies consiste à considérer que l’impossibilité provient d’un développement aberrant du capital, du genre valorisation sur la base exclusive de la plus-value relative, fictivation totale du capital. En gros, le capital chercherait à surfuser (Invariance), mais on resterait dans les limites de « l’orthodoxie », d’où l’impossibilité de la restructuration. Cependant, le mouvement vers celle-ci aurait été suffisant pour prouver l’inanité du capital et fonder le prolétariat à l’abolir, lui faire dépasser les limites antérieures de ses luttes. Non seulement on considère là le développement du capital comme venant régir sa contradiction avec le prolétariat et non se confondant avec elle, on considère la révolution comme un acte déclenché par un capital parvenu à terme. Mais encore, c’est la dynamique du capital qui n’est pas comprise.
Toute crise ramène au premier plan la contradiction fondamentale du capital, c'est-à-dire la production de plus-value à quoi se résout finalement le profit, toute restructuration est alors déterminée par ce contenu, il ne peur y avoir d’axe de restructuration du capital qu’au niveau de la recherche d’une augmentation de la plus-value produite tant intensivement qu’extensivement. Poser des restructurations comme développement absurde du capital, c’est ne pas savoir ce qu’est le capital, ce qu’est la crise, ce qu’est la restructuration.
La deuxième de ces voies consiste à considérer que l’impossibilité provient du rapport mis en place entre le prolétariat et le capital. Il y aurait simultanéité de la restructuration et du rapport révolutionnaire entre les classes, télescopage entre les deux. La restructuration est alors considérée comme s’effectuant selon des axes possibles mais tels qu’immédiatement c’est la révolution.
Dans une telle vision, l’on ne considère pas le prolétariat comme classe du capital, comme impliqué par celui-ci. S’il y a restructuration, c'est-à-dire possibilité de reprise de la valorisation, d’augmentation de la productivité, d’extension du cycle du capital, il y a alors raffermissement de l’autoprésupposition du capital. La contradiction entre le prolétariat et le capital ne devient plus alors qu’un moment de la reproduction du capital, il ne peut y avoir de rapport révolutionnaire qui se produise.
À partir du moment où l’on considère qu’une transformation du rapport entre les classes est nécessaire, et non une simple accentuation du rapport existant, une simple intensification ou extension des luttes actuelles, après l’impossibilité de la restructuration, la deuxième grande branche de l’alternative consiste à la considérer comme possible. Mais là aussi deux voies sont à nouveau ouvertes : soit on la considère comme possible, et plus encore, comme nécessaire, soit on tombe dans une problématique que l’on peut qualifier d’alternativiste.
Ce dernier cas, très répandu, consiste à considérer la révolution et le communisme comme une alternative à la restructuration. Tout dépendrait de l’issue des luttes : soit le prolétariat laisse faire, soit il résiste, rend la restructuration qui était possible, caduque dès son origine et impose sa solution. En fait, dans ce cas, on retourne à la case précédente, on ne saisit pas le prolétariat comme classe du mode de production capitaliste, comme produisant le communisme dans son opposition au capital, on ne considère pas le communisme comme résultant de la contradiction elle-même, mais comme inscrit dans l’être du prolétariat, il le porte en lui et peut à tout moment mettre bas.
On pose des « luttes » indéterminées, indéfinies, des luttes qui s’accentuent, refluent, triomphent, des luttes en soi, sans s’apercevoir que si on admet que le capital se restructure, il faut admettre que l’on ne peut avoir que de tels types de luttes. Telle contradiction, telle lutte. S’il s’agit simplement de dire que le capital se restructure dans et par sa contradiction avec le prolétariat, c’est là un truisme.
Il en résulte enfin que considérer la restructuration comme possible nécessite de la considérer en réalité comme nécessaire à la production du communisme.
Le rapport révolutionnaire entre le prolétariat et le capital n’est pas n’importe quel rapport plus ou moins violent, autonome ou étendu ; il se caractérise par son contenu. Il faut que l’accomplissement de la signification historique du capital soit devenu le contenu du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital, il faut que le développement qui en résulte entre en crise pour qu’il y ait rapport révolutionnaire, production du communisme.
La signification historique du capital, c’est l’objectivation des forces productives, de la richesse naturelle, des forces sociales du travail face au prolétariat, c'est-à-dire comme aliénation. L’accomplissement de la signification historique du capital, c’est l’objectivation des forces sociales du travail dans le capital fixe de façon adéquate à leur appropriation (cf. dans ce numéro, les « Notes sur la restructuration »). Ce n’est qu’à partir de là que sont reliés au niveau de leur contenu la contradiction entre le prolétariat et le capital et le communisme en ce qu’il est l’immédiateté sociale de l’individu.
L’objectivation des forces sociales du travail est la signification historique du capital. Mais ce n’est pas une nécessité absolue. Cette objectivation trouve en elle-même sa propre limite en ce qu’elle est capital, en ce qu’elle ne se produit que comme exploitation du travailleur. Tout le contenu de l’activité révolutionnaire du prolétariat ne peut consister qu’à poser le capital comme prémisse d’un libre développement de l’humanité, c'est-à-dire non reproduction de quelque chose qui a déjà été. L’accomplissement de la signification historique du capital signifie que le prolétariat est simultanément défini et impliqué par le capital comme classe des travailleurs salariés, et qualitativement impuissant à le valoriser de par le développement mis en place par la restructuration. Développement de la contradiction entre le prolétariat et le capital et le communisme sont liés dans leur contenu. Il ne s’agit pas d’un combat où, à tout moment, un adversaire pourrait mettre l’autre KO.
Parler de restructuration nécessaire pour que se crée un rapport révolutionnaire entre les classes, ce n’est ni se désintéresser des luttes actuelles, ni y opposer une vision normative de la révolution. Il s’agit, dans les luttes actuelles, de dégager tout ce qu’elles contiennent ; ce sont les luttes elles-mêmes qui butent sur les limites que sont l’autonomie, le débordement des syndicats, l’auto-organisation, et cela parce que ces contenus ne peuvent que renvoyer à la défense de la condition prolétarienne.
S’il faut développer tout ce que les luttes contiennent, c’est parce que c’est dans le rapport contradictoire qu’elles entretiennent avec le capital que s’effectue la transformation du rapport entre classes. Il ne s’agit pas là de simplement se placer dans un cours historique du capital, mais dans un cours historique de la révolution. Il s’agit de faire que la défense de la condition prolétarienne, dans toutes les formes plus ou moins radicales qu’elle peut revêtir en tant que limite du processus révolutionnaire, devienne en quelque sorte un acquis du rapport entre les classes.
Enfin, en arriver à la conclusion que la restructuration du rapport entre le prolétariat et le capital est nécessaire n’est pas simplement le fruit, l’aboutissement d’un raisonnement purement logique qui tendrait à poser la nécessité de la restructuration comme la seule issue rationnelle au problème de départ.
Ce développement rationnel a un sens théorique : il consiste à poursuivre la critique du programmatisme, à toujours plus profondément critiquer tout processus révolutionnaire se fondant sur une affirmation du prolétariat. Reconnaître le rapport révolutionnaire comme l’accomplissement de la signification historique du capital, ce n’est rien d’autre que la poursuite de cette critique dont les bases sont posées dans Théorie communiste n°2, ce n’est rien d’autre que se livrer à l’élaboration d’une théorie de la révolution adéquate à la période actuelle et dont les deux axes fondamentaux sont les suivants : la contradiction entre le prolétariat et le capital est identique au développement du capital, il ne peut donc y avoir de position alternativiste ; deuxièmement, le prolétariat est une classe du mode de production capitaliste, la révolution ne peut être dégagement du capital.
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