Théorie communiste – synthèse

Submitted by Craftwork on May 5, 2017

Le prolétariat, classe révolutionnaire

L’unité que constitue le rapport de production capitaliste c’est, de par la séparation du travail et de ses conditions, la forme sociale spécifique de travail salarié et de capital revêtue par chacun de ses éléments et qui est pour chacun d’eux la production et l’exigence de l’autre ; ils ont par là un contenu identique : l’exploitation. Elle est le contenu de leur reproduction réciproque et simultanément leur seule contradiction.

L’exploitation, c'est-à-dire la production de plus-value, est la dynamique de la reproduction du capital. L’exploitation n’a lieu que dans la subsomption du travail sous le capital, en cela elle n’est pas simplement la production d’un incrément de valeur, elle est le procès qui définit le prolétariat comme classe, comme être de la communauté que forme le mode de production capitaliste, en ce qu’elle est l’implication de l’autre pôle de la société, le capital. La spécificité de cette implication, de cette appartenance à la communauté qu’est l’exploitation (transposition des forces sociales du prolétariat de par la nature des deux pôles qui forment la communauté) entraine que, dans le même mouvement où elle est la définition sociale d’emblée du prolétariat, elle pose ses forces sociales en face de lui.

C’est par ce qui en fait une classe de la société capitaliste, la production de plus-value devenue capital additionnel, que le prolétariat est contradictoire à cette société. En produisant du capital additionnel, le prolétariat s’astreint à en créer de nouveau ; c’est de son propre procès de reproduction, de sa particularité sociale, qu’il s’agit. La subsomption du travail sous le capital (la production de plus-value) est le mode d’être social du prolétariat comme ne pouvant qu’être sa propre déréalisation ; son dénuement est son existence de classe sociale.

L’implication réciproque entre le prolétariat et le capital n’est pas contradiction en étant simplement séparation entre le travail et ses conditions. En rester là serait réduire cette contradiction à l’opposition entre « pauvreté absolue » et « possibilité générale de la richesse », qui s’objective dans le capital. Cette contradiction elle-même demeurerait inexpliquée, car si elle est posé par le travail salarié, ce dernier est simultanément la médiation qui réunit et reproduit les deux termes. Pour avoir une saisie globale de l’exploitation comme contradiction, il faut que la mouvement qu’est l’exploitation soit une contradiction pour les rapports sociaux de production (capital et prolétariat), dont elle est le mouvement ; il faut que l’extraction du surtravail soit en contradiction avec la reproduction même du prolétariat, et inversement, il faut également que cette relation porte son dépassement. Pour cela nous devons saisir la contradiction au niveau du procès d’accumulation en ce qu’il est baisse tendancielle du taux de profit.

Le travail du prolétariat existe socialement, est du travail social, non pas simplement en produisant de la valeur, mais à condition que cette valeur produite renferme de la plus-value. Ce n’est pas la plus-value qui est le caractère social du travail, mais la valeur ; cependant il n’y a production de valeur que comme valorisation. Or le mouvement même de l’accumulation rapporte constamment la plus-value à toute la valeur produite et transmise, dans le taux de profit. La valorisation, mouvement de la création et de la conservation de la valeur, est le mouvement dans lequel le travail du prolétaire existe comme travail social. En tant que tel, ce mouvement est sans cesse contradictoire, car s’il est celui dans lequel le travail existe comme travail social, il rencontre sa propre limite – l’existence sociale même du travail comme valeur.

Le prolétariat n’est pas « en lui-même » contradictoire au capital, mais le rapport social non plus, il n’est que la façon dont les individus se produisent en société et, si le rapport est contradictoire, il ne s’agit pas d’une contradiction « économique » ou « objective » ; cela signifie que les individus forment des classes antagoniques.

Ainsi, c’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail, comme capital, c'est-à-dire valeur autonomisée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant. Ce n’est alors que comme mouvement de l’accumulation qu’existe et se résout la contradiction entre le prolétariat et le capital.

Cette contradiction entre le prolétariat et le capital qu’est l’exploitation n’est pas une situation générale et abstraite se réalisant concrètement dans le développement du capital. Le dépassement de la contradiction du mode de production capitaliste est identique à son procès, parce que son procès c’est la lutte de classe, et c’est par là que le mode de production capitaliste existe dans le procès de son abolition. On ne peut considérer la reproduction du capital comme occultant la contradiction qui l’oppose au prolétariat.

Il n’y a pas d’essence révolutionnaire du prolétariat d’une part et d’autre part des conditions objectives pour la réussite ou l’échec de la réalisation de cette essence, on assiste à un procès contradictoire qui est le développement du capital parce que lutte de classes et inversement. L’accumulation est définitoire du prolétariat, car définitoire de la contradiction. La compréhension de l’exploitation comme contradiction entre le prolétariat et le capital dépasse la problématique consistant à appréhender la lutte de classes comme le mouvement d’une contradiction invariante et plastique, modelée par l’accumulation du capital qui en fin de compte lui demeure étrangère, l’agissant comme condition. Tout le problème revient donc à définir comment ce rapport contradictoire devient historiquement rapport révolutionnaire.

L’identité de ce qui fait du prolétariat une classe du mode de production capitaliste et une classe révolutionnaire détermine l’existence des cycles de luttes qui s’enracinent dans le fait d’inclure toute lutte du prolétariat dans un rapport entre prolétariat et capital. C’est cette contradiction qu’est l’exploitation dans son approche historique, et l’histoire du capital comme phase de la lutte de classes ; c’est, au niveau historique, nécessité par la nature même de la contradiction, la synthèse du développement du capital comme contradiction entre le prolétariat et le capital en ce qu’elle se détermine en périodes.

Un cycle de luttes n’est pas le résume de ce que l’on appelle communément « les luttes ». La lutte des classes, c’est le rapport fondamental d’exploitation ; ce que l’on appelle « les luttes », ne sont que les manifestations exacerbées de cette contradiction, la partie visible de l’iceberg ; elles posent la nécessité du dépassement ou de la résolution de la contradiction dont elles sont l’émergence qui pousse à la décision.

Ce que sont la révolution et le communisme se produit historiquement à travers les cycles de luttes qui scandent le développement de la contradiction. La révolution n’est pas quelque chose d’établi, de connue une bonne fois pour toutes, et vers quoi tendrait le mouvement, mais quelque chose que celui-ci produit théoriquement et pratiquement. Si par exemple aujourd’hui, à l’orée d’un nouveau cycle (nous y reviendrons), on peut dire que Mai 68 est en deçà de la critique communiste, c’est parce que c’est Mai 68 (entre autres) et son retournement dans la contre-révolution (Lip, etc.) qui ont produit cette critique. Il y a un monde entre les réserves que nous pouvions formuler alors (pas de formation de conseils, pas d’attaque de la valeur) et la théorie que le mouvement et son retournement contre-révolutionnaire permirent de produire : la révolution comme autonégation du prolétariat, la défense de la condition prolétarienne comme limite, la théorisation du programme, de la domination formelle et réelle, l’identité entre la contradiction prolétariat-capital et le développement du capital.

Tout au long de la domination formelle et durant le premier cycle de luttes de la domination réelle (quoique de façon fort différente), la révolution s’est présentée comme affirmation de la classe (ce que nous appelons le programmatisme). Bien sûr, quelle que soit la période, cette dernière est impossible, mais cette impossibilité est le résultat de contradictions internes impliquées par l’affirmation elle-même ; son impossibilité s’effectue dans ses propres termes et non du fait d’une norme extérieure a posteriori

Cette même identité fondamentale entre le prolétariat classe du mode de production capitaliste et classe révolutionnaire entraine que le cours quotidien de la lutte de classes compris comme développement de la contradiction entre le prolétariat et le capital et la révolution ne peuvent constituer dans chaque cycle de luttes deux mondes différents l’un à l’autre.

La révolution ne s’est jamais présentée comme transcroissance à partir de l’aspect revendicatif des luttes immédiates, même tant que la révolution comme affirmation de la classe pouvait faire de la défense de la condition prolétarienne son marchepied. Dans l’ancien cycle de luttes, il n’a jamais été question de pousser un mouvement revendicatif (ce qui est le propre du gauchisme), le processus révolutionnaire étant articulé au niveau de la critique de l’avant-gardisme, du gauchisme, au niveau de l’auto-organisation, de la critique de la bureaucratie, du capitalisme d’État. Tout cela étant directement le processus de la révolution et existant bel et bien avant et pendant Mai 68 ; il ne s’agissait pas de pousser quelque chose à devenir autre chose. Bien sûr, il s’agissait toujours de défense de la condition prolétarienne, mais pour que nous puissions voir dans cette dernière la limite à dépasser, il fallut le procès de retournement de tout ce mouvement dans la contre-révolution.

Mais même cela acquis, il s’agissait de ne pas éviter la position qui consiste à dire : « ces luttes ne sont pas révolutionnaires, on va tenter de les faire devenir révolutionnaires », en disant : « ces luttes ne sont pas révolutionnaires, aucune transcroissance n’est à espérer, elles se situent donc hors du champ communiste ». c’est par ce qui fait qu’elles ne sont pas révolutionnaires qu’elles se sont pas hors du champ communiste, il faut saisir comment elles butent elles-mêmes sur leur propre contenu : la défense de la condition prolétarienne. Elles sont elles-mêmes le processus d’une contradiction dans laquelle autre chose se produit. Il ne s’agit pas d’un germe qu’elles contiendraient, elles appellent (et non contiennent) ce dépassement qu’est la révolution de par leurs propres limites, de par la façon dont elles se déroulent, dont sans cesse elles impliquent le capital rendant toutes velléités d’intervention impossible.

Il n’y a pas de rupture de continuité entre la lutte de classe telle qu’elle est le développement du capital et la révolution telle qu’elle est la production du communisme, il ne s’agit que d’une transformation du rapport entre les classes. la révolution n’est ni une action déclenchée par un capital parvenu à terme, ni une action déjà au-delà du capital, ni la réalisation d’une modalité de l’être du prolétariat qui serait au-delà des classes. elle est le véritable aboutissement du rapport contradictoire entre les classe dans le mode de production capitaliste.

L’exploitation est la contradiction de classes qui oppose le prolétariat au capital, le développement du capital n’est pas la réalisation de la révolution, mais son histoire réelle qui ne revêt pas des formes différentes parce qu’elle n’est rien d’autre que ces formes qui sont la dynamique de leur propre transformation.

La crise actuelle

Le fondement et le processus de toute crise du mode de production capitaliste est la baisse du taux de profit et la pénurie de plus-value qui en résulte par rapport au capital accumulé.[1]

 

La pénurie de plus-value pose nécessairement la crise comme surproduction. L’augmentation de la force productive du travail ne croit pas dans le même rapport que le surtravail, alors que la masse des produits quant à elle croit dans un rapport identique à celui de la force productive, d’où le fait que la pénurie de profit s’accompagne d’une crise de surproduction. Surproduction de capital ne signifie jamais autre chose que surproduction de moyens de production (moyens de travail et subsistances) pouvant exercer la fonction de capital, c'est-à-dire susceptibles d’être utilisés pour exploiter le travail à un degré d’exploitation donné. Le procès se déroulant au niveau de la reproduction du capital apparaît comme une démonétisation du capital marchandise et comme un blocage au niveau du marché et pour chaque capital comme limite de la demande. Pour chaque capital la solution apparaît résider dans l’élargissement de sa part de marché afin de s’emparer d’une portion supplémentaire de surtravail social, devenu globalement insuffisant. En outre, tous les obstacles dressés par la baisse du taux de profit (accompagnée d’une augmentation de la composition organique) à la création de capitaux additionnels et donc à l’élargissement de la circulation nécessaire à la réalisation de la plus-value donne aux origines mêmes de la crise l’allure de la surproduction de marchandises.

Avec la domination réelle du capital, les causes qui contrecarrent la baisse du taux de profit deviennent le principe même de l’accumulation fondée sur la plus-value relative, la dévalorisation devient principe de l’accumulation, la valorisation (production de plus-value relative) est dévalorisation constante du capital. Cela ne supprime pas la crise cyclique classique (dévalorisation brutale), mais lui confère l’allure de récession pour les cycles courts et de procès inflationniste pour la longue crise actuelle.

Le processus inflationniste n’est pas une recette, une moyen permettant d’échapper à une pénurie de plus-value ; c’est dans l’accumulation du capital la transformation de la plus-value en capital additionnel, en assignation sur du travail futur. La pénurie de plus-value n’est pas occultée car elle est le fait même que l’accumulation se poursuit comme anticipation sur les cycles à venir. Ce processus est inflationniste quand la formation de capital ainsi promue (crédit) ne débouche pas sur une augmentation suffisante de la productivité. C’est alors la formation du capital qui est inflationniste, l’augmentation du surtravail est trop lente par rapport au développement des forces productives nécessaires à son obtention. La validation sociale de cette croissance des investissements sans rapport avec la valorisation ne peut provenir que d’un affaiblissement de la contrainte monétaire. Le processus inflationniste ne supprime pas la dévalorisation effective du capital, il y conduit à travers la formation de structures instables d’endettement qui amènent à affirmer brutalement la contrainte monétaire, comme contrainte de liquidité.

La domination réelle fait de la pénurie de plus-value un processus inflationniste dont les caractéristiques confirment cette pénurie en ne fonctionnant que sur l’anticipation que la plus-value comprend dans son concept.

–       Le crédit : quand la composition organique est déjà élevée et donc le taux de profit bas, la circulation tend à ne plus pouvoir s’agrandir, la plus-value ne peut se convertir en capital productif que si elle assigne dans un même mouvement le travail futur de toute une série de cycles de production. Elle ne peut le faire qu’en se supposant déjà fécondée de plusieurs cycles successifs.

–       L’intervention de l’État : la croissance de la masse des marchandises est toujours plus forte que la part représentant, dans cette masse, la plus-value. C’est cette faiblesse et non la masse en tant que telle qui est l’obstacle. L’importance croissante de l’État comme client de l’industrie donne la mesure de cette menace de surproduction. Dans la mesure où elle est épongée par les achats de l’État, tout se passe comme s’il y avait plus de plus-value dans la société. Mais les marchandises achetées ne doivent ni fonctionner comme capitaux, ni entrer dans le partage de la plus-value ; l’action de l’État n’est rentable qu’en redistribuant la plus-value par la concentration de ses commandes.

–       La dématérialisation de la monnaie : l’or ne pouvait servir de mesure des valeurs que parce qu’il est lui-même un produit du travail. Le développement du capital sur la base de la plus-value relative et sa crise remettent en cause la capacité du travail à valoriser le capital et donc à être la mesure de la production. La monnaie doit perdre son caractère de monnaie marchandise, mais cette perte est antagonique aux bases mêmes du capital en tant qu’il est valeur en procès.

–       La spéculation : la crise qui rend une partie du capital excédentaire le constitue en capital fictif. En tant que tel, il ne vient pas grossir le capital réellement employé dans le procès de production, le capital n’existe pas réellement deux fois. Ce capital se transforme en tout ce qui peut constituer en titre de propriété donnant droit à une partie de la plus-value sociale, mais qui le pousse à se constituer en capital fictif le contraint à rechercher sa valorisation dans un procès de plus en plus indépendant du procès réel de production, jusqu’à finalement ne plus être que spéculation.

 

Le concept de plus-value contient d’emblée le principe de l’anticipation. En tant que but spécifique de la production capitaliste, la plus-value n’a d’existence réelle qu’en tant que transformée en capital nouveau ; de par sa nature elle est assignation sur du travail futur. Cependant si le travail salarié a pour objet spécifique la production de plus-value qui fournit la base de la tendance à l’autonomisation du capital, il interdit réciproquement que cette tendance aboutisse. L’allure de la crise en domination réelle ne peut que renvoyer aux axes de la baisse du taux de profit qui sont des produits historiques spécifiques.

Le développement jusqu’à aujourd’hui de la domination réelle s’est effectué en bref comme résolution des contradictions et des limites de la domination formelle :

–       fonctionnement de la société comme vaste métabolisme du capital, c'est-à-dire conquête par le capital de tous les secteurs productifs et extension de la péréquation à l’ensemble de la société ;

–       le procès de production, au travers du développement du capital fixe devient conforme au capital, ce qui signifie la destruction de la qualification ouvrière ;

–       intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital, ce qui signifie que le capital détermine lui-même la valeur de la force de travail, condition d’existence de la plus-value relative.

Ce développement de la domination réelle crée ses propres contradictions qui sont les axes sur lesquels se modulent la baisse du taux de profit qui a conduit à la crise actuelle.

D’une part : non-adéquation du procès immédiat de production à l’appropriation des forces sociales du travail qu’il crée et développe au cours de cette phase (coopération, division du travail, science, association) comme dépassement des limites de la domination formelle. L’inadéquation est entre le produit et non un immuable travailleur collectif plus ou moins bien absorbé. L’augmentation de la productivité bute sur les limites de la décomposition, de la parcellisation du travail, et de la collection des travailleurs comme support de la valorisation auxquels le capital fixe demeure soumis, c’est le rapport entre l’investissement et la productivité du travail inhérent à ce procès immédiat de production dans sa rigidité qui entre en crise.

D’autre part : incapacité à rentabiliser la continuité du cycle d’entretien de la force de travail en tant que travailleur collectif segmenté en diverses instances (malades, éducation, chômeurs, reproduction familiale). Si le procès de production immédiat est totalement inadéquat à la production de services dits collectifs, ce n’est pas un impondérable technique. Comme dépassement des limites de la domination formelle, la domination réelle ne pouvait qu’être abaissement de la valeur des marchandises entrant dans la consommation individuelle du travailleur et de sa famille, pour la bonne raison que la collectivisation de la force de travail et l’intégration de la continuité du cycle d’entretien dans la reproduction du capital sont œuvre de la valorisation intensive.

Toutes les façons dont s’est modulée la baisse du taux de profit dans la valorisation intensive telle qu’elle s’est formée comme dépassement des limites de la domination formelle et développée jusqu’à la crise actuelle, tiennent au mode d’expression de cette force de travail collective que cette phase de développement a produit ou, ce qui revient au même, au rapport d’« extériorité » du procès de valorisation et de ces formes sociales du travail qui sont ses propres conditions d’existence et de reproduction.

L’ancien cycle de luttes

Entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, le mode de production capitaliste connaît une importante transformation qualitative : c’est le passage de la subsomption formelle du travail sous le capital à la subsomption réelle. Cette transformation se définit centralement par le passage de la prédominance de la plus-value absolue à celle de la plus-value relative ; elle pose la fin d’une période de la lutte de classes durant laquelle la lutte du prolétariat a un contenu programmatique. C'est-à-dire durant laquelle il s’agit, pour le prolétariat de s’affirmer, de s’ériger en classe dominante, de produire une période de transition, de fonder une communauté du travail créateur de valeur, enfin de se libérer de la domination du capital. Le prolétariat était déjà, dans la contradiction qui l’opposait au capital, l’élément positif à dégager.

Thèmes principaux du programme :

–       le mouvement général de l’analyse économique du capital que fait le programme se résout toujours dans la contradiction qui existe entre le caractère nécessairement (génériquement) sociale de la production et l’appropriation privée débouchant sur l’anarchie et le gaspillage. Il s’agit de rationnaliser l’économie à travers « la société des producteurs associés », d’où l’importance de la répartition du travail social entre les divers groupes de production (cf. Le Capital, Marx, Ed. Pléiade, t. 2, p. 1457).

–       C’est dans les échanges organiques avec la nature que, pour le programme, se noue pour l’homme une contrainte immuable et intangible qui fonde son activité comme travail soumis à une fin extérieure. Là se fonde la séparation possible et primordiale pour le programme, entre la relation entre l’homme et la nature (ce qui est de l’ordre du travail en général et de la valeur d’usage comme utilité physique), et les interrelations humaines (la forme sociale), dans lesquelles ces échanges ont lieu (forme socialement déterminée du travail, valeur d’échange et capital). Avec la révolution, délivré de ces chaines qui l’enserrent (la contrainte de la valorisation), le travail, premier besoin de la vie, voit sa productivité croitre, créant du temps libre pour le développement de l’homme. Sur la base de la sphère de la nécessité s’accroit alors celle de la liberté. Cependant pour le programme, la question ne se pose qu’en termes de quantité de temps consacré à chacune des sphères et jamais dans les termes de leur bouleversement qualitatif.

–       La distinction programmatique entre procès matériel technique et forme sociale d’une part, entre forces productives (parmi lesquelles le travail salarié) et rapports de production d’autre part est très importante. On a en effet, en découlant quelques-uns des traits fondamentaux du programmatisme :

o   L’extériorité du capital (appropriation privée par l’échange du caractère social du travail) ;

o   Le caractère inéluctable de la révolution (les forces productives poussent à l’éclatement des rapports de production) ;

o   La nature de la révolution : donner à ces forces productives sociales un cadre adéquat de rapports sociaux ;

o   La prise de pouvoir d’État conduit celui-ci à devenir un instrument technique au service de la société et permet  d’extrapoler au niveau de celle-ci l’organisation rationnelle qui prévaut dans l’entreprise.

–       Développement quelque chose qui existe déjà, la révolution prolétarienne a des analogies formelles avec la révolution bourgeoise, notamment sa forme politique et donne la base et le contenu de son organisation en parti.

–       La question de la forme politique de la révolution renvoie à celle de la maturité des forces productives. Si celles-ci ne sont pas suffisantes pour instaurer immédiatement le communisme (d’où le programme de développement des forces productives sous le contrôle de l’État prolétarien), elles sont toujours analysées comme suffisantes pour liquider la bourgeoisie dont la mission historique est achevée, et qui est conçue comme une classe superflue. Ceci correspond (dans sa forme politique à la conception de deux classes, chacune porteuse en soi d’une organisation sociale qui s’affrontent et dont le lien (exploitation) est en quelque sorte externe, donc qui suppose un État susceptible de le renforcer au bénéfice de la bourgeoisie ; sujet externe au rapport sociale, il peut être alors à l’inverse, conquis par le prolétariat.

Le programmatisme s’enracine dans la subsomption formelle du travail sous le capital, bien qu’il se perpétue en se décomposant en subsomption réelle. Durant cette période le procès de production n’est pas un procès de production adéquat au capital dans lequel l’appropriation du travail vivant par le travail objectivé devient le fait du procès de production lui-même. Ce n’est qu’à ce niveau que l’on peut dire que le capital n’est qu’une puissance formelle et s’approprie ainsi le surtravail. Il en résulte que la valorisation du capital est une contrainte au surtravail à laquelle le prolétariat se soumet par le premier moment de l’échange (l’achat-vente de la force de travail). Le caractère salarié du travail ne possède sa spécificité que dans ce premier moment, dans le second (la subsomption dans le procès de production immédiat) produire plus de valeur que n’en coûte sa reproduction ou produire de la valeur sont indifférenciés car produire de la plus-value, c’est forcément produire plus de valeur totale et non abaisser la valeur des marchandises entrant dans la valeur de la force de travail (plus-value relative). Étant donné ce qu’est la plus-value absolue, produire plus de valeur que ne coûte sa reproduction, ce qui est la spécificité du travail salarié, n’a pas de manifestation différente d’être simplement producteur de valeur. La prolétariat est à même d’opposer au capital ce qu’il est dans le capital, c'est-à-dire de libérer du capital sa situation de classe des travailleurs et de faire du travail la relation sociale entre tous les individus. Cela revient à vouloir faire de la valeur un mode de production.[2]

Nous avons vu que l’affirmation du travail était toujours impossible, mais que cette impossibilité ne se posait pas absolument à partir d’une norme, mais était le propre cours du programme. De plus, ce cours interne qui détermine son impossibilité ne le fait que par le rapport qui est ainsi créé avec la contre-révolution, car c’est elle en tant que restructuration possible du capital qui est la limite de la révolution nécessitant une période de transition. La nature même de la crise qui produit l’antagonisme du prolétariat au capital comme pratique révolutionnaire, inclus ses « erreurs » et sa défaite, dans la mesure où cette pratique ne résulte pas d’une nature révolutionnaire (une essence) qui viendrait se heurter à la restructuration, mais inclus cette restructuration comme sa limite, en tant qu’elle est programmatique.

Le passage du mode de production capitaliste en domination réelle se définissant essentiellement par la prédominance de la plus-value relative signifie que la reproduction de la force de travail devient un moment du cycle propre du capital. Avec la plus-value relative, le capital n’est plus cette puissance extérieure, formelle, qui s’approprie le procès de travail. Celui-ci devient élément du procès de valorisation au moment où l’appropriation du travail devient le fait même du procès de production ; par ailleurs le travail productif se définit dans sa qualité de productif de plus-value, spécifiquement par rapport à sa qualité de productif de valeur : accroitre la plus-value, ce n’est pas forcément accroitre le travail nécessaire ; cela implique également l’échange au prix de production dans lequel la différence entre capital variable et capital constant est niée. Le travail est totalement spécifié comme travail salarié.

L’intégration de la reproduction et de la défense de la condition prolétarienne dans le cycle propre du capital s’exprime à trois niveaux :

  1. le capital, avec la plus-value relative, détermine la valeur de la force de travail, tant dans son existence individuelle qu’au niveau de son cycle d’entretien ; car l’accroissement du surtravail non seulement présuppose le travail nécessaire mais encore le détermine quant à sa valeur absolue (ce qui n’est pas le cas avec la plus-value absolue). Dans le même mouvement, le salaire apparaît au niveau du capital social comme investissement. La péréquation du profit s’affaiblir sur l’ensemble de la société, et il y a affermissement de la dynamique de la reproduction élargie au travers de l’échange entre les deux sections du capital.
  2. La défense de la condition prolétarienne devient élément dynamique de la reproduction d’ensemble tout en demeurant antagonique au capital ; c’est une obligation à se reformer sans cesse, à tenir constamment les deux bouts de l’élargissement de l’accumulation : augmentation de la productivité, accroissement du marché. La concurrence entre les capitaux n’existe que parce que chaque capital a tous les attributs du capital en général : la contrainte à l’exploitation. C’est à partir de cette dernière que la concurrence d’impose et en impose à chaque capital, elle est elle-même dépendante de la lutte sur le partage de la valeur produite. Mais par là, la contradiction qu’est l’exploitation est incluse comme moment de la concurrence entre les capitaux qui est la médiation qui en fait un élément dynamique de l’autoprésupposition du capital. Cette intégration n’est pas disparition de la contradiction, mais n’est qu’un mode d’être du rapport d’exploitation, donc de la contradiction elle-même, cependant celle-ci devient alors dans l’autoprésupposition du capital qu’elle implique, un simple antagonisme, car elle perdure sur le partage de la valeur nouvellement produite, entre des agents du procès de production qui, au niveau du taux de profit, sont posés comme tous également importants dans la création de valeur : le travail et le capital.
  3. Enfin, en domination réelle, le capital est devenu l’unité, il y a compénétration totale entre la production et la société : soumission de tous les rapports sociaux à la production de plus-value.

Le programmatisme ne disparaît pas ipso facto avec la domination réelle. Seule la révolution, parce que abolition du capital, donc du prolétariat, est dépassement du programmatisme. Le mouvement fondamental du programme, c’est l’affirmation du travail, libération du prolétariat, réappropriation. C’est ce mouvement là qui se poursuit tout au long de l’histoire du capital et au travers des transformations de l’exploitation.

Le rapport d’exploitation est la base générale de la pratique programmatique en ce qu’elle contient la revendication du retour en soi du sujet, réappropriation. Quel que soit le stade de développement du capital, le prolétariat est dans le mode de production capitaliste la seule classe productive, et c’est dans son rôle spécifique que s’amorce le programmatisme. Cependant en domination réelle, on peut parler de décomposition du programmatisme, cette dernière notion recouvre la disjonction entre affirmation du travail et dépassement du capital. Plus fondamentalement, la décomposition du programmatisme recouvre le fait que le programme en domination formelle est capable de résoudre la contradiction générale de la lutte de classes : une classe en tant que classe abolit les classes ; dans le programmatisme, le but final, le programme maximum, n’est jamais oublié. Le programmatisme étant capable de poser la résolution de cette contradiction comme mouvement de libération du travail, comme possible transcroissance à partir du contenu, de la forme ou des germes contenus dans les luttes immédiates. C’est par rapport à cette situation que la disjonction entre révolution et luttes immédiates peut être appréhendée comme décomposition du programmatisme.

La défense de la condition prolétarienne n’est plus la base de sa libération, il n’y a plus de libération, le prolétariat n’est plus l’élément positif à dégager, mais au contraire implique immédiatement le capital, il n’est plus à même d’opposer au capital ce qu’il est dans le capital ; il est vain de concevoir cela comme intégration ou trahison syndicale.

Le syndicalisme est le produit de l’intégration de la défense de la condition prolétarienne en ce qu’elle est impliquée dans l’autoprésupposition du capital. La contradiction entre le prolétariat et le capital, le capital se présupposant, devient un mouvement d’un simple rapport du capital à lui-même (transformation de la plus-value en profit) ; cette contradiction devient un antagonismes sur le salaire comme revenu. Le syndicat n’est pas un appareil posé sur la classe ouvrière, mais un mode de sa reproduction dans son rapport au capital. Si le syndicalisme est défini dans l’autoprésupposition du capital, il devient inversement un moment actif de cette autoprésupposition qui le fonde. Le syndicalisme ne détourne pas le prolétariat comme si celui-ci n’était pas une classe du mode de production capitaliste, il est l’expression de la reproduction antagonique de celle-ci dans l’autoprésupposition du capital qui fonde le syndicalisme et que celui-ci ne peut alors que défendre.

C’est également au même niveau, dans cette période de la domination réelle, que s’enracine socialement le gauchisme. Historiquement, le gauchisme apparaît dans les années 1930. La période du Front Populaire est, en France, le moment où l’on peut commencer à le saisir de façon propre. Le gauchisme consiste à persister à établir une liaison révolutionnaire entre défense de la condition prolétarienne et communisme. Cependant, la décomposition sociale de ce lien entraine que pour la première, on ne fera que titiller les syndicats ou le parti communiste, et pour le second, on n’aura plus affaire qu’à une vague période de transition ou un but final « inreliable » avec le premier point, si ce n’est au travers de conditions accumulées par le capital ou au prix de conditions politiques, dont le développement de cette organisation mythique, que précisément la dilution du passage de la défense de la condition prolétarienne au communisme empêche réellement de constituer. Si les syndicats deviennent un mécanisme d’intégration du prolétariat à l’entreprise, à la nation, au capital, c’est bien parce qu’ils sont ce mode d’existence du prolétariat dans l’autoprésupposition du capital.

À la fin des années 1960 et durant les années 1970, la crise est remise en cause des organisations traditionnelles en étant  par définition crise de leur contenu (l’intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital), il y a corollairement revivification du gauchisme. Cependant, le rapide déclin de celui-ci est inséparable des causes de son émergence : impossibilité dans la décomposition du programme de déboucher directement de la défense de la condition prolétarienne à la réorganisation de la société, d’où l’allure de processus de marginalisation dans les zones extra-travail que prend le gauchisme.

L’ancien cycle de luttes est décomposition du programmatisme. Cela ne signifie pas un processus d’essoufflement, il s’agit d’une période spécifique. On ne peut concevoir d’un côté le but comme inchangé (l’affirmation de la classe) et de l’autre la disparation des moyens d’y parvenir (l’intégration de la défense de la condition prolétarienne). L’affirmation de la classe ne recouvre pas le même contenu. Décomposition du programmatisme, l’ancien cycle de luttes est une phase spécifique du développement de la contradiction entre le prolétariat et le capital.

Le cycle de luttes qui s’achève à la fin des années 1970 nait dans la crise des années 1920. Ce cycle de luttes est marqué par le temps fort de la fin des années 1930 (Front Populaire, guerre d’Espagne), les luttes salariales des années 1950 et 1960 qui au travers de la lutte pour les salaires, sur les horaires, posent l’hégémonie dans l’usine, le contrôle de celle-ci, mettent en jeu des rapports sociaux et non seulement des questions quantitatives. La crise de la fin des années 1960 est le moment où ce cycle de luttes peut déboucher sur un projet de réorganisation sociale, car la crise est la crise du fait que toutes les conditions de la reproduction de la société se retrouvent sans cesse posées dans le capital. Ce cycle amorce sa fin dans les années 1973-1974, moment où ces limites deviennent patentes en étant retournées dans le processus de la contre-révolution ?

Le fondement de ce cycle de luttes qui s’achève est la domination réelle telle qu’elle s’est développée depuis la Première Guerre mondiale. Tout ce processus se caractérise par la particularisation du procès de valorisation par rapport à tous les autres éléments de la reproduction du capital comme rapport de production. Le procès de valorisation, de production de la plus-value, se constitue en moment distinct et opposé au cycle d’entretien de la force de travail, à sa formation, aux périodes de chômage, opposé aux modes de production traditionnels que le capital intègre dans son cycle tant dans les « métropoles » qu’à la périphérie, opposé à la circulation, opposé aux différents moments d’une vie privée. Cette particularisation n’est en fait rien d’autre que l’inadéquation à l’appropriation des forces sociales du travail. Le rapport de production de la plus-value aux moments de la reproduction de ses propres conditions était catholique, il devient protestant dans la restructuration actuelle.

Il ne s’agit plus de libérer le travail en se débarrassant de la domination du capital, mais de soumettre la société au prolétariat tel qu’il est devenu, comme classe du capital. Le principe de base est le suivant : la contradiction n’a plus lieu d’être ; sa théorisation la plus adéquate est celle de l’hégémonie du prolétariat.

De façon immédiate, les caractéristiques de ce cycle de luttes se développent alors comme visée autogestionnaire, pouvoir ouvrier, devenir hégémonique, développement sur toute la société d’une contradiction entre dirigeants et dirigés, prise en mains de sa vie. La contradiction qu’est l’exploitation ne porte de projet révolutionnaire, pratiquement et théoriquement, qu’en devenant contradiction de domination, revendication de liberté. Devenir classe hégémonique contre le capital, c’est chercher à résoudre la disjonction établie par celui-ci entre la particularisation du procès de valorisation où se forge, de façon spécifique à la période, son identité en tant que classe productive, et la complète intégration de sa reproduction dans le cycle propre du capital. C’est pour le prolétariat résoudre le rapport entre la particularisation du procès de valorisation et la reproduction d’ensemble du rapport prolétariat-capital qui pose une forme de programmatisme typique de la domination réelle.

Durant toute cette période la critique de la défense de la condition prolétarienne n’est que formelle, elle ne s’adresse qu’à la pratique syndicale, à l’organisation, à l’avant-gardisme, etc., on en appelle à des formes radicales qui seraient le marchepied de la révolution. La liaison entre la révolution et les luttes immédiates s’effectue dans ce cycle sur le contenu gestionnaire, l’auto-organisation ; tous les thèmes du programmatisme reçoivent une nouvelle unité et une nouvelle signification : période de transition conçue comme autogestion généralisée (excluant le passage à un stade supérieur), problème de l’organisation et de la conscience devenus quasiment insolubles par rapport à l’auto-organisation.

Dans leur cours immédiat, les luttes de l’ancien cycle expriment la crise du mode d’appropriation de cette force de travail sociale qu’il a créée, tant en ce qui concerne la particularisation du procès de valorisation par rapport à ses conditions qu’en ce qui concerne le procès immédiat de production. Elles ont par là même pour contenu et dynamique le devenir hégémonique du prolétariat :

–       lutte au niveau du procès de travail (travail à la chaine, cadences, production en grande série) ;

–       au niveau de la globalisation de la masse salariale dans son rapport avec le prolétaire individuel ; problème des catégories, des qualifications. En domination réelle, la production est le résultat d’une force de travail toujours plus combinée socialement ;

–       au niveau du secteur extra-travail : luttes des chômeurs, des exclus, des assistés (voir Italie) sur le caractère collectif de la reproduction de la force de travail. Luttes également au niveau de l’intégration de la reproduction collective de la force de travail qui va de l’éducation au transport en passant par la santé, le logement, la retraite, les jeunes…

 

Toutes ces luttes sont la crise de l’appropriation de cette force de travail sociale que le capital a créée avec le passage en domination réelle, que cela soit au niveau de la consommation de cette force de travail dans le procès productif ou au niveau de sa reproduction collective, si bien que la liaison faite dans ce cycle avec le procès de la révolution sur la base du contenu et de l’allure gestionnaire des luttes n’est en aucun cas aléatoire, mais est un développement nécessaire à partir de leur immédiateté même.

Si l’ancien cycle de lutte se définit comme décomposition du programmatisme, il ne s’agit pas d’un essoufflement , mais d’un stade spécifique qui a son contenu propre, le « devenir hégémonique », contenu qui implique simultanément ses propres limites :

–       incapacité de faire du travail la base de la réorganisation de la société : à la fin des années 60 et au début des années 70, le marginalisme était à la fois la tentative de réorganisation de toute la vie sociale et l’impossibilité manifeste que le travail soit la base de cette réorganisation ;

–       intégration totale de la reproduction du prolétariat dans le cycle propre du capital qui détermine la même incapacité au travers de l’autogestion. Le travail, totalement spécifié comme travail salarié ne peut qu’impliquer le capital dans ses tentatives d’affirmation ;

–       incapacité de passer de la défense de la condition prolétarienne à la révolution : le non-dépassement des syndicats. Le non-dépassement des syndicats, c’est l’impossibilité de faire de ce qu’est la prolétariat dans le capital la base de l’organisation de la société communiste, le travail ne peut plus être une base d’organisation en dehors de son implication réciproque avec le capital, ce qu’exprime le syndicat. Ce non-dépassement ne provient pas d’une récupération syndicale : il est évident, comme on l’a cru, que s’il y a non-dépassement, c’est bien parce que ces mouvements spontanés ne dépassent pas la défense de la condition prolétarienne et que celle-ci n’est plus, en domination réelle, l’antichambre de la révolution, le fait que les mouvements spontanés ne dépassent pas les syndicats leur est bien intrinsèque. Cependant, les luttes ouvrières en dehors des syndicats, même contre eux, révèlent que la reproduction di prolétariat n’est pas qu’un moment de l’autoprésupposition du capital, mais une contradiction de ce développement ; le débordement des syndicats a pour contenu une crise dans l’autoprésupposition, c'est-à-dire l’existence du prolétariat comme seule classe productive dans sa spécificité par rapport à toutes les autres fonctions du capital. Il ne s’agit plus de savoir si la répartition de la valeur nouvellement créée est juste, mais où celle-ci se crée. Mais tant que dans sa lutte le prolétariat ne dépasse pas la défense de la condition prolétarienne, il ne peut que déborder les syndicats, et non effectuer un réel dépassement de ceux-ci. Se cette défense n’est pas dépassée, cela signifie que la contradiction qui éclate est dominée par la restructuration du capital et donc cela recouvre également la régénération perpétuelle de l’autoprésupposition dans laquelle la contradiction entre le prolétariat et le capital devient un simple antagonisme.

l’auto-organisation du prolétariat est la synthèse de toutes ces limites et renvoie obligatoirement à la défense de la condition prolétarienne et au rapport capitaliste comme domination. Avec l’auto-organisation, la contradiction entre le prolétariat et le capital se centre sur le rôle spécifique du prolétariat dans le mode de production capitaliste, le rapport dépasse le stade du simple antagonisme où, dans le cadre de l’autoprésupposition du capital, il n’est qu’élément du procès de valorisation parmi d’autres. L’autonégation manifeste la crise de cette intégration de la reproduction de la force de travail dans la reproduction du capital. Crise qui va déterminer ces luttes à prendre des allures d’auto-organisation, d’autonomie face au capital.

On ne peut reconnaître un quelconque contenu révolutionnaire, ne serait-ce qu’embryonnaire, dans cette auto-organisation. Une telle démarche refuse de reconnaître pleinement que le prolétariat est une classe de mode de production capitaliste et dans le processus de décomposition du programmatisme, on est contraint à toutes sortes de contorsions théorique pour poser dans les tentatives d’affirmation du travail une amorce du processus révolutionnaire. La décomposition du programmatisme ne peut reconnaître l’appartenance totale du prolétariat au mode de production capitaliste et le révolution comme autonégation du prolétariat (il doit conserver ou produire une indépendance, une autonomie dans laquelle il se constitue comme révolutionnaire). Elle ne comprend les échecs du mouvement de classe non pas de façon intrinsèque, mais toujours comme des insuffisances de développement, et est toujours contrainte de séparer les résultats d’un pseudo processus d’auto-organisation qui seul compterait.

Dans le programmatisme, la forme générale de la lutte de classe du prolétariat, à savoir le fait qu’elle soit pratique d’une classe particulière de la société qui vise à abolit les classes, devient une contradiction et en engendre une série d’autres destinées à la résoudre.

Schématiquement ces contradictions sont le suivantes :

–       le prolétariat doit s’affirmer pour se nier ;

–       le procès contradiction du capital est porteur du communisme/c’est une classe qui est porteuse du communisme (le premier terme renvoie au fatalisme de certains passage du Capital, le second à la question des « conditions objectives » comme extériorité vis-à-vis de la pratique de classe, ce qui amène à la contradiction suivante ;

–       le prolétariat porte toujours l’abolition du capital, mais il ne peut pas toujours faire la révolution.

 

Dans sa forme classique, le programmatisme prévient la contradiction de la forme générale de la lutte de classes par une série de mesures particulières : parti, programme minimum, période de transition. Ce qui importe, c’est que dans sa forme classique, le programme résout cette contradiction parce qu’il présuppose l’identité absolue du prolétariat, classe du mode de production capitaliste et du prolétariat, classe révolutionnaire. Dans la décomposition du programmatisme, l’impossibilité de passer de la défense de la condition prolétarienne à la révolution provoque la question fondamentale de ce stade de la décomposition du programmatisme qui achève l’ancien cycle de luttes à la suite de l’impasse de « l’hégémonie » : que fait le prolétariat qui est contradictoire au capital ? Et dès l’instant où cette question est posée, l’on ne peut que tenter d’isoler la pratique révolutionnaire du prolétariat de l’activité par laquelle il reproduit les rapports de production capitalistes, et partir à la recherche de la spécificité de cette pratique. Ainsi isolée, celle-ci va forcément se réduire soit à un problème organisationnel, soit au devenir autonome du prolétariat, soit à des embryons, des germes à développer (le devenir pour soi), soit à l’acquisition d’une conscience, soit à une tension vers le communisme qui ne parvient pas à se fixer d’objectif (un besoin, une existence négative). Dans le plupart des cas, la « détermination communiste » du prolétariat rend « normal » que ce soit une classe particulière de la société capitaliste qui abolisse les classes et le capital puisque cette classe, dans son essence, n’est déjà plus une classe de la société capitaliste (ce qui corollairement fait de l’exploitation un rapport de domination, car implication et reproduction réciproque ne peuvent qu’être évacuées). On maintient une contra interne à la classe qui n’est qu’une dualité : quand le prolétariat est posé comme classe du mode de production capitaliste, il n’est pas classe révolutionnaire, et vice-versa.

En investissant le prolétariat d’une dimension humaine, l’abolition des classes existe à l’état latent dans celui–ci. Si le prolétariat peut abolir les classes durant la révolution, c’est parce qu’en lui-même il était déjà l’abolition des classes. On voit bien ici la différence entre le programme classique et la décomposition : pour le premier la dimension humaine di prolétariat est inséparable de son appartenance de classe, c’est l’humanité du travail productif ; pour la seconde, elle est par contre radicalement séparée, séparation qui va jusqu’à la contradiction et au dépassement de l’une par l’autre. La tendance s’autonomise, le prolétariat en est le support, adéquat ou inadéquat selon le cas. Le prolétariat nierait sa position de classe, révèlerait comme humain et alors serait révolutionnaire. En fait, la classe n’est plus alors que dépositaire d’une dynamique présidant depuis la nuit des temps au déroulement de l’histoire (tension vers la communauté).

L’appartenance de classe devient une simple liaison qui fonctionne quand la société se reproduit, qui se brise quand il y a crise, laissant la voie libre à l’individu humain qui sommeille dans chaque prolétaire. En fait, il y a là une totale incapacité à concevoir l’action du prolétariat en tant que classe définie par le mode de production capitaliste autrement que comme affirmation d’elle-même, et incapacité à concevoir la reproduction du capital comme une contradiction et non une occultation de la contradiction. L’autonégation du prolétariat devient un problème interne de distinction à l’intérieur de la classe, dans lequel les luttes extra-travail deviennent primordiales.

L’aliénation du produit signifie immédiatement l’aliénation de l’activité elle-même. Ceci apparaît en domination formelle dans la mesure où l’activité créatrice de richesse se concrétise dans le produit qui lui échappe. Avec la domination réelle, l’appropriation du travail devient le fait du procès de production lui-même, et l’opposition à l’exploitation, à l’aliénation, devient le refus de ce qui est l’activité immédiate du travailleur dans le procès de production. C’est l’activité même du travailleur qui s’oppose directement à lui et non plus simplement en ce qu’elle se concrétise dans un produit qui est propriété du capital. Si donc il y a dans ce rapport, possibilité du refus de ce qui est l’activité du travailleur, « refus du travail », c’est parce que celui-ci n’est que travail salarié. S’il est important de critiquer la formule même de « refus du travail », c’est qu’elle ne peut servir qu’à introduire une autre contradiction que l’exploitation, une dimension humaine au nom de laquelle serait refusé le travail, ou alors, en version moderniste : l’impossibilité de se revendiquer en tant que prolétaire sur la base du travail aboutit à avancer des spécificités d’autres besoins : femmes, immigrés, bretons, etc.

Une autre impasse fréquente de la production théorique actuelle, c’est la position normative. Le programmatisme devient cette position normative lorsqu’a disparu le fil qui relie la situation immédiate de la classe à la révolution. Ne pouvant d’une part se fonder solidement et organiquement sur les luttes revendicatives en tant que telles, ne pouvant d’autre part continuer à dire tout bonnement que la révolution est libération du prolétariat de la domination du capital, la relation n’est plus maitrisée, le problème de la relation, du procès de passage de la situation présente, jugée dans toute sa misère, au communisme, est évacuée au profit d’une norme de jugement que serait un programmatisme radical susceptible de réussir. Le processus historique de la lutte de classe n’est plus vraiment nécessaire par rapport à la révolution, cela commande le glissement de l’analyse où la contradiction entre communisme et capital vient se substituer à la contradiction entre le capital et le prolétariat qui devient alors à l’intérieur de lui-même déjà son dépassement (humanité). L’implication réciproque entre le prolétariat et le capital devient alors vision politicienne, l’intégration c’est le parti communiste, les syndicats, les hauts salaires, la démocratie, l’antifascisme, les néo-réformismes, etc. l’histoire devient une succession d’échecs, d’erreurs, de demi-réussites parfois, de mystifications souvent.

Toutes les impasses de la production théorique actuelle relèvent du fait de ne pas considérer l’ancien cycle comme tel et la nécessité de son dépassement, de ne pas le considérer tel qu’il fut comme un tout et non un processus à radicaliser qui n’aurait pas accompli tout son possible, qui n’aurait pas été, pour une raison ou pour une autre, pur et dur. Après l’échec de l’hégémonie, la fin théorique de l’ancien cycle est incapable de poser l’identité absolue entre le prolétariat, classe qui fait la révolution et classe qui reproduit le capital, et simultanément de par l’obligation à reconnaître le caractère reproducteur de son activité, incapable d’éviter la question.

De façon générale, on ne peut faire l’économie du procès qui relie la révolution à la situation présente, l’économie de la compréhension de la révolution comme produit historique. Que l’on pose le communisme comme une norme jaugeant la réalité présente, que l’on fasse du prolétariat le porteur d’une contradiction ou d’une tendance humaine qui le dépasse et qu’il manifestera pour se nier, que l’on cherche une nature révolutionnaire qui s’actualise selon les conditions, que l’on abandonne enfin le prolétariat totalement intégré dans la reproduction du capital et son autoprésupposition, c’est toujours la même erreur corollaire à la non-conception comme identique du prolétariat comme classe du capital et comme classe révolutionnaire. On considère qu’en tant que produisant le capital il masque, contredit, occulte, nie l’autre terme qui est d’être classe révolutionnaire. En fait, cela revient toujours à poser le processus révolutionnaire comme contradiction interne du prolétariat, parce qu’à ce stade l’incapacité de dépasser l’ancien cycle s’accompagne de l’impossibilité d’éviter l’évidence de la contre-révolution qu’il fonde.

Restructuration et nouveau cycle de luttes

Soit on ne considère pas la période actuelle comme une période de restructuration du capital, mais alors les limites des luttes demeurent inexplicables autrement que sur la base de l’immaturité des conditions ; on ne considère pas l’ancien cycle comme tel et on tombe dans toutes les limites exposées précédemment. En effet, la restructuration ne vient pas briser des luttes qui sans elle seraient révolutionnaires, il y a limitation parce qu’elles impliquent une restructuration qui leur est une réponse adéquate.

Soit on admet le restructuration actuelle mais on conserve une alternative immédiate. Les luttes sont appréhendées sans les caractériser, elles sont simplement lutte contre le capital comme si elles n’avaient aucun contenu. Toutes les luttes sont celles d’un stade historique déterminé du rapport entre les classes (voir la notion de « cycle de luttes »), il n’existe pas de luttes indéterminées, indéfinies, qui s’accentuent, refluent, triomphent, des luttes en soi. Si on admet que le capital se restructure, on ne peut avoir que tel type de luttes qui posent la restructuration comme rapport entre le prolétariat et le capital. Telles contradictions, telles luttes. S’il s’agit simplement de dire que le capital se restructure dans et par sa contradiction avec le prolétariat, c’est là un truisme, si simultanément on admet la possibilité de la révolution comme alternative. La restructuration du capital n’est pas un projet ou un plan que les luttes viendraient taquiner.

La défense de la condition prolétarienne suit un cours heurté qui, de l’éclatement de la contradiction au niveau du rôle spécifique du prolétariat dans la contradiction au niveau de la valeur et de la plus-value, mène à une régénération de l’autoprésupposition du capital. Ce processus fonde socialement une véritable filière dans laquelle la force du processus révolutionnaire est retournée contre lui-même. Autonégation, autonomie locale, durée du travail, débordement des syndicats, refus du travail, luttes sur les conditions de travail, se transforment en processus moteur de la restructuration au travers de l’action sociale et politique de groupes, syndicats ou partis qui expriment ce cours heurté, depuis la radicalisation de la lutte jusqu’au simple antagonisme. On n’a pas là une « récupération », mais simplement le fait que le développement du capital est le procès contradictoire de la lutte de classes, qu’il en est constamment le résultat. Dans le même mouvement où la restructuration de fonde sur les limites du processus révolutionnaire, c’est elle qui fait des formes les plus avancées de ce processus des limites ; aucun des deux termes n’est premier par rapport à l’autre. La restructuration n’est pas un projet du capital que les luttes ouvrières aident ou contrecarrent, elle n’a, comme tout le développement du capital, d’autre dynamique que la contradiction entre le prolétariat et le capital, elle n’est rien d’autre. Les points les plus avancés sont retournés contre le processus lui-même ; si ce n’est que par là qu’ils deviennent limites, le mouvement lui-même n’est d’emblée possible que par le contenu de ces luttes posé par le crises d’un stade chaque fois spécifique du capital.

Quand la restructuration apparaît dans son objectivisme comme processus économique quantitatif de redressement du taux de profit, et si elle est à ce niveau la réponse aux luttes du prolétariat et par là correctement désignée comme contre-révolution, c’est parce que, on l’a vu, cette baisse est elle-même lutte de classes, contradiction entre prolétariat et capital. Le cours qualitatif de la restructuration du capital est lui-même déterminé par ce qui pourrait n’être compris que comme croissance quantitative, la recherche par le capital de la croissance de la productivité est toujours, vu ce qu’est le capital (appropriation du travail vivant par le travail objectivé), transformation qualitative du rapport entre les classe qu’est la subsomption du travail sous le capital. Toute croissance quantitative ne peut qu’être transformation et dépassement adéquat de la phase précédente.

De façon globale, c’est le contenu de ce cycle de luttes, l’hégémonie, que le capital constitue en limite et sur lequel se fonde la restructuration. C’est ce contenu qui est alors retourné contre le prolétariat. C’est en s’appropriant de façon adéquate ces forces sociales du travail, qu’il a lui-même créées, que le capital se restructure. Constituant le « devenir hégémonique » comme limite, le capital résout la disjonction entre la particularisation comme classe productive et sa totale intégration dans la reproduction du capital, tant comme restructuration du procès immédiat qui était corollaire de cette disjonction que comme rapport du procès immédiat et de la reproduction de ses conditions.

En domination réelle, l’appropriation des forces sociales du travail devient le fait du procès de production, avec la système automatique, elle est le fait du procès de production adéquat à cette appropriation de la division du travail, de la coopération, de l’association. Ces forces sociales se trouvent concrétisées face au travailleur, en un système totalement indépendant de lui dans le capital fixe qui n’est plus régi que par ses propres lois de fonctionnement et non par l’analyse des temps et mouvements, par la collection des travailleurs, et par la parcellisation des tâches. On pourrait dire de même qu’avec la production en flux continu, cette force sociale du travail qu’est la science n’est plus appropriée simplement dans le capital fixe en tant finalement que simple agent de production, son appropriation se confond avec le procès productif lui-même. Outre l’appropriation des forces sociales du travail avec le développement de l’automation et de l’informatique, le capital crée dans le procès de production les organes spécifiques de l’absorption de l’activité combinée du travailleur collectif. Avec la télématique, cette appropriation dépasse le cadre de la division technique pour atteindre la division sociale du travail et l’interdépendance générale du travail.

Dans la valorisation intensive telle qu’elle s’était développée, les branches dominantes étaient celles des biens d’équipement et des biens de consommation durable. Le développement des industries telles que la microélectronique, les instruments de mesure, les systèmes de contrôle économisant l’énergie, les équipements de commande à distance, les machines polyvalentes et autocontrôlantes, correspond à la nécessité de rompre la logique consistant à constituer des ensembles productifs lourds et rigides par l’intégration technique d’équipements spécialisés et la parcellisation corrélative du travail. Il s’agit de s’attaquer au rapport entre l’augmentation du capital fixe et l’augmentation du surtravail (l’augmentation de la valeur ajoutée de plu en plus couteuse en capital fixe), de s’attaquer au fait qu’un augmentation infime de surtravail nécessite une croissance de plus en plus grande de capital fixe.

Au niveau de sa reproduction, c’est en tant que force sociale que la force de travail est intégrée dans le cycle propre du capital. Il s’agit de l’intégration dans le cycle du capital productif de la production des marchandises entrant dans la continuité du cycle d’entretien de la force de travail. C’est en tant que force sociale du travail que la reproduction de la force de travail est intégrée dans le cycle du capital et non plus comme somme de travailleurs productifs individuels. C’est là une transformation du procès de reproduction des rapports sociaux qui rend celui-ci adéquat à l’existence du travailleur collectif comme force valorisante du capital. En outre, de la même façon que le rôle particulier de l’État dans la reproduction de la force de travail et le procès de travail à la chaine avaient tous deux la même origine dans le dépassement des limites de la domination formelle, de la même façon le mouvement de privatisation fait partie du même processus de restructuration que le système automatique des machines qui rend possible la rentabilisation de la production de ces marchandises et services spécifiques. Il ne s’agit pas là d’un heureux concours de circonstances, mais du même processus de restructuration dans lequel le procès de production et de reproduction du capital devient un procès adéquat à l’appropriation des forces sociales du travail.

Avec la transnationalisation actuelle du mode de production capitaliste, l’interdépendance générale du travail social n’est plus seulement l’échange de marchandises produites indépendamment les unes des autres, ou dans des conditions sociales différentes, mais des différences sont prises comme base de la production, sont intégrées dans un processus continu. L’internationalisation est à la fois exploitation et négation des disparités. L’interdépendance générale du travail social à l’échelle mondiale se trouve objectivée dans le procès de production immédiat en ce que celui-ci est déterminé comme élément du cycle international du capital qu’il présuppose.

La restructuration ne se compose pas d’éléments juxtaposés. Leur caractère commun d’appropriation des forces sociales du travail se constitue comme totalité au niveau de la reproduction globale du rapport entre prolétariat et capital. Il s’agir du mouvement par lequel la valorisation s’empare des conditions de son propre renouvellement qu’elle parcourt ; conditions qu’elle ne faisait auparavant que créer et définir et par rapport auxquelles elle se définissait comme un moment particulier. Il y a appropriation des forces sociales du travail (problème central de la restructuration comme transformation du rapport entre le prolétariat et le capital) que si l’interdépendance du travail humain, tant comme marché mondial, comme moment de la reproduction de la force de travail (éducation, famille, chômage, maladie, etc.) que comme circulation, est posée comme totalité que la valorisation parcourt. Il ne s’agit pas simplement que tous ces mouvements concourent à la valorisation, mais que la valorisation ne s’y perde pas ; ce n’est qu’ainsi que cette force de travail sociale que le capital a créée devient en tant que telle force productive du capital, en même temps que la coopération, l’association, la division du travail, la science dans le procès de production immédiat. Les transformations techniques qui se déroulent dans ce dernier sont adéquates à son propre niveau du procès d’ensemble, elles sont l’objectivation dans le capital fixe de cette appropriation générale et existence du procès de production immédiat, qui lui est adéquat. Rendre productive la segmentation de la force de travail, ou faire que la valorisation parcoure la circulation (et non s’identifie), impliquent cette objectivation dans le capital fixe des forces sociales du travail qui se développent dans le procès de production immédiat.

Dans le cycle de luttes qui se met en place, dire que l’exploitation est la contradiction, c'est-à-dire qu’elle a pour contenu la reproduction de l’exploitation, car elle parcourt l’ensemble de son cycle de reproduction. Le point central de la lutte des classes, là où se noue la contradiction, n’est plus ce mouvement de l’extraction de la plus-value à partir duquel seulement se joue le contrôle sur la société, mais qui ne remet pas en cause l’intégrité des protagonistes. Dire que la reproduction de l’exploitation est devenue le contenu empirique des luttes, c'est-à-dire que le prolétariat dans sa contradiction avec le capital se remet lui-même en cause comme classe, que la lutte ne peut être élimination préalable de l’adversaire. En devenant contradiction à ce niveau (l’autoprésupposition), l’exploitation pose comment la lutte d’une classe peut contenir, être l’abolition des classes (sa propre négation). Ce cycle de luttes est la résolution empirique des contradictions du programmatisme, tout au moins il prote dans son cours immédiat cette résolution et non de façon générale comme révolution (c'est-à-dire par définition). Dans la dynamique de ce cycle de luttes, l’abolition des classes et, pour le prolétariat, sa propre abolition, est le contenu immédiat de la contradiction (qui se situe au niveau du renouvellement du rapport) et non la conséquence nécessaire de l’abolition préalable du capital, ou même le corollaire obligé.

Les luttes du nouveau cycle peuvent être saisies sous trois aspects :

  1. La lutte de classe prend racine et ne fait pas que s’étendre comme dans le cycle précédent à tous les secteurs de la reproduction. L’affrontement avec l’État, médiation nécessaire de la reproduction de rapports sociaux, devient l’organisation des luttes et non le cadre de l’entreprise : la lutte s’organise sur la base de cet affrontement et non sur la base de l’usine (Lorraine 1979-1983, Boussac dans les Vosges). Il n’y a pas extension en dehors de l’entreprise, mais à tous les niveaux, contradiction qui prend racine et se développe pour soi-même ; logement, transport, femmes, jeunes, etc., sans poser la question de « la liaison avec la classe ouvrière » avec « l’usine ». luttes contre le chômage, les transformations techniques, la vie chère, qui ne peuvent être limitées au niveau de leurs manifestations syndicales. Dans tout cela, le cœur de la contradiction est que les conditions produites doivent ses reproduire comme capital (lui faisant face).
  2. La contradiction se situant au niveau de l’autoprésupposition, ce que l’analyse doit montrer c’est précisément cette critique de la condition prolétarienne que contiennent quasiment toutes les luttes actuelles : « refus du travail » sous toutes ses formes, désintérêt pour la grève en elle-même ou l’occupation, non entretien du matériel, non prise en compte des besoins sociaux. De la même façon qu’il y a contradiction avec les conditions produites comme devant être du capital, il y a mise en cause de soi-même comme devant valoriser cette valeur produite. Là, toutes perspectives gestionnaires ou auto-organisatrices ont disparu (voir la dernière grève du tri postal en 1983). C’est la reproduction du rapport de classe qui est au cœur : on peut lutter contre le chômage et critiquer la condition prolétarienne.
  3. Enfin, il n’y a aucune manifestation positive de projet de dépassement du capital qui se manifeste, c'est-à-dire aucun mouvement social, aucun projet partant de ce qu’est le prolétariat dans la société capitaliste et le conservant (le communisme lui-même ne tenant pas de ce cycle de lutte, mais est porté par la crise de cette phase). La période n’autorise aucun projet de réorganisation sociale comme cela fut le cas avec l’hégémonie, l’autogestion. Toute tentative d’auto-organisation, de vivre autrement, etc. est maintenant immédiatement un vulgaire réformisme se confondant de plus en plus avec la contre-révolution. Participent à cet aspect des luttes le côté informel de celles-ci qui ne s’organisent pas sur des bases préexistantes : entreprise, métier (certaines grèves de la FIAT dans les textes de Collegaminti, sidérurgie lorraine 1979). Ce sont les manifestations de Zurich, Berlin, Amsterdam, une lutte contre le capital qui se nourrit d’elle-même, qui est son propre motif, qui ne pose de revendications que pour les critiquer, réclamer autre chose et le critiquer à nouveau.

L’exploitation dans le mouvement de sa propre reproduction, comme contradiction entre le prolétariat et le capital, est autant la dynamique contradictoire de cette phase que ce qui porte son dépassement. Il s’ensuit que dans les luttes du prolétariat, ce contenu de la contradiction détermine le cours heurté de la lutte de classes entre la remise en cause de cette autoreproduction (cf. Thèse 10) et se transformation en antagonisme au contenu spécifique : la tactique sociopolitique des syndicats (on y retrouve le même fondement : la valorisation qui parcourt l’ensemble des conditions de sa reproduction). Pour cette dernière, il s’agit de considérer le prolétariat non seulement comme vendeur de sa force de travail, mais aussi comme producteur : amère victoire du programmatisme. À ce niveau, la réorganisation de la société se confond avec la défense de la condition prolétarienne, elle devient mouvement progressif, négocié, paritaire. Cette tactique est le retournement dans le contre-révolution du contenu de l’ancien cycle.

Si, dans le nouveau cycle de luttes (parce qu’il est remise en cause de l’intégrité des protagonistes de la contradiction), à partir du contenu de celles-ci, c’est la défense de la condition prolétarienne qui apparaît comme une limite, si c’est le débordement des syndicats, ou encore l’auto-organisation, c’est travailler dans la lutte des classes à la manifestation de ce qu’elle contient qui est travailler à la victoire de la révolution communiste, et non pas y opposer dogmatiquement un processus révolutionnaire pur et dur ou un désintérêt pur et simple parce que ces luttes ne porteraient pas immédiatement la révolution. Actuellement ce sont ces luttes elles-mêmes qui butent sur leur propre contenu. Toute la difficulté est de ne pas demeurer dans ce que le mouvement de restructuration du capital pose comme limites de la révolution ou inversement se cantonner dans une position normative. Il s’agit de développer comment l’on passe de la situation actuelle à la révolution.

Les moments particuliers de la lutte de classes sont compris comme une totalité au sein de laquelle ils s’impliquent mutuellement et en cela tous sont posés comme nécessaires et moments du processus de la révolution se faisant, y compris le développement du capital (contre-révolution). Sur cette base, nous n’avons jamais conçu ce qui se passait, les axes de l’ancien cycle, comme une erreur par rapport à une ligne juste, nous avons chaque fois essayé d’analyser chaque moment, chaque lutte comme étape nécessaire par rapport à la révolution, nous n’avons jamais opposé formellement révolution et situation présente en intégrant continuellement cette situation dans la perspective de la révolution, considérant cette dernière comme un produit historique. En effet, la théorie n’est pas fondée par le communisme conçu comme une sorte de but final qu’elle découvre peu à peu dans totalité invariante. Elle n’est théorie communiste qu’en ce qu’elle est théorie du procès de la révolution, théorie du procès contradictoire entre les classes qu’est la mode de production capitaliste et qui produit le communisme.

Comprendre une pratique du prolétariat dans le développement du capital, ce n’est pas ipso facto en faire une pratique purement et simplement contre-révolutionnaire ; si la théorie ne se fonde sur aucune pratique immédiate pour dire voilà en tant que tel le « négatif à l’œuvre », c’est qu’elle est dans le nouveau cycle de luttes critique de celui-ci sur la base de sa propre dynamique, en ce qu’il produit et nécessite son dépassement comme révolution ; ainsi la critique perpétuelle effectuée par la théorie n’est pas pout autant une extranéité.

Les points théoriques qui sont dorénavant acquis sont les suivants : la révolution comme autonégation du prolétariat, la défense de la condition prolétarienne comme limite et non une critique formelle de celle-ci à travers des organisations (syndicats, partis ou avant-garde), la théorisation et la critique du programmatisme, de la domination réelle et formelle, l’identité entre la contradiction prolétariat/capital et le développement du capital, l’identité entre ce qui fait du prolétariat une classe du mode de production capitaliste et ce qui en fait une classe révolutionnaire, la compréhension de la période précédente comme cycle de luttes achevé. Cependant, depuis le début des années 70, la production théorique dans ce qu’elle a de plus important s’est effectuée sur la base d’un malentendu : tout ces acquis sont dus à la contre-révolution, au fait qu’elle effectue pratiquement la critique de l’ancien cycle en en retournant les limites. Il ne restait plus qu’à la reconnaître.

Signification historique du capital et révolution

Dire que la contradiction entre le prolétariat et le capital n’est pas différente du développement du capital, c’est dire qu’il n’y a pas besoin de concevoir le prolétariat comme ambivalent pour qu’il soit simultanément élément de la contradiction motrice du capital (et non sujet du capital, le capital est tout autant sujet que le prolétariat) et révolutionnaire, mais par contre il devient alors indispensable d’arriver à poser comment la contradiction entre le prolétariat et le capital, le développement du capital, devient révolutionnaire, le problème du développement du capital est consubstantiel à celui de la production du rapport révolutionnaire. Saisir le rapport révolutionnaire comme l’accomplissement de la signification historique du capital, c’est la poursuite d’une élaboration théorique sur une double base : la contradiction entre le prolétariat et le capital est identique au développement du capital, il ne peut donc y avoir de position alternativiste (une nature révolutionnaire se révélant contre la restructuration) ; deuxièmement, le prolétariat est une classe du mode de production capitaliste, la révolution ne peut être dégagement du capital.

Le mode de production capitaliste produit les conditions de l’immédiateté sociale de l’individu de par la nature même du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital (exploitation, extranéisation des forces productives sociales, aliénation). Avec la plus-value comme but de la production, les hommes entrent dans des relations sociales universelles, aucune limite n’est tenue pour acquise, ils produisent l’universalité de leurs besoins et de leurs jouissances. Sous un autre aspect, ces conditions sont produites dans le fait que le travailleur ne se trouve subsumé sous autre chose que son activité immédiate productive qui n’existe que présupposée par l’activité générale de la société (le capital est une contradiction en procès en ce qu’il transforme tout travail individuel en travail social et ne peut que reproduire leur opposition). C’est par là que la contradiction entre le prolétariat et le capital détermine son dépassement comme immédiateté sociale de l’individu, c'est-à-dire la pratique de sa propre activité comme pratique de la société, car incluant toute l’activité de cette société sans les médiations des classes, de la propriété, de la division du travail.

L’immédiateté sociale de l’individu, cela signifie l’abolition de la scission de la société en classes, scission par laquelle la communauté est étrangère au prolétaire. Le prolétaire n’est pas simplement séparé de la communauté en tant qu’individu isolé, il l’est pare qu’il n’est être de cette communauté que par la contradiction et la séparation qui l’implique avec le capital. L’immédiateté sociale de l’individu implique l’abolition des classe dont le prolétariat, il faut donc que la contradiction entre le prolétariat et le capital contienne intrinsèquement (non comme un article de programme à réaliser, ou une conséquence nécessaire, logique, de l’abolition du capital) cette abolition (voir le nouveau cycle). Et cela ce n’est que la contradiction de la phase qui s’ouvre actuellement qui le porte au travers de la remise en cause dans la contradiction qu’est l’exploitation de sa propre XXX de classe par le prolétariat. Si le capital est le procès de production des conditions historiques du communisme, cela ne signifie pas que ce dernier soit une transcroissance du capital, car c’est comme capital qu’il est ce procès et ce procès c’est la contradiction qu’est la lutte de classes.

Défini par l’immédiateté sociale de l’individu, le communisme est le résultat de la contradiction entre le prolétariat et le capital parvenue au stade où l’objectivation des forces sociales du travail (synthèse de toutes les caractéristiques précédentes) face aux travailleurs est devenue le mouvement de l’exploitation à travers le procès de production.

L’objectivation des forces sociales du travail dans le capital et l’impuissance du travail immédiat face au capital expriment les deux pôles opposés d’un même rapport qui est l’accomplissement de la signification historique du capital. C’est le rapport d’exploitation, la reproduction réciproque du capital et du prolétariat qui tend à être remise en cause. Si le prolétariat se trouve dans son existence de classe de la valorisation, tel que le définit son rapport au capital, en contradiction avec la valeur accumulée comme capital, cela n’est pas seulement le fait du développement quantitatif du capital, mais d’une transformation qualitative.

À travers tout cela, il apparaît que le grand rôle historique du capital est de produire du surtravail, de faire de la plus-value le but de la production ; l’exploitation est le mouvement réel d’universalisation. Cependant, c’est en faisant de la plus-value le but même de la production que le capital est lui-même l’entrave principale de cette tendance. La contradiction « classique » entre les forces productives et les rapports de production n’existe pas ; l’autovalorisation est simultanément la tendance au développement illimité des forces productives et leur limitation. Le procès dans lequel le capital se manifeste dans le mouvement de son abolition et de la création d’un monde nouveau de la société n’apparaît comme un simple mouvement tendanciel du capital que parce que ce dernier, se présupposant, fait de sa contradiction avec le prolétariat un rapport à lui-même. En fait, ce procès est celui de sa contradiction avec la prolétariat, c’est celui de l’exploitation. Le développement du capital, c’est cette contradiction produisant les conditions de sa résolution comme son propre approfondissement. Ainsi le prolétariat abolissant le capital et produisant le communisme ne « profite » pas d’un développement du capital lui facilitant la tâche. La signification historique du capital, c’est une contradiction entre les classes qui est devenue la condition de sa propre résolution comme immédiateté sociale de l’individu.

Comment le prolétariat agissant strictement en tant que classe peut-il être dans une contradiction avec le capital telle qu’abolissant celui-ci, il s’abolisse lui-même ? Tout le problème est celui du contenu historique de la contradiction, contenu qui ne peut consister pour le prolétariat à poser le capital comme prémisse d’un libre développement de l’individu social.

Le rapport de prémisse est un rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital, dans ce rapport le prolétariat est simultanément impliqué et reproduit par le capital comme classe de la valorisation et incapable de la valoriser, non seulement par le développement quantitatif de celui-ci, mais de par le contenu qualitatif de ce développement. L’incapacité qualitative à valoriser le capital est dans la crise de la phase qui s’ouvre avec la restructuration actuelle, la vérité de la signification historique du capital. Le rapport de prémisse est alors une pratique dans laquelle la valeur accumulée est posée par le prolétariat comme prémisse d’un libre développement de l’humanité. L’indépendance des rapports sociaux sui caractérise l’aliénation n’est rien d’autre que la scission de la société en classes, dont la reproduction passe nécessairement par leur implication réciproque, étant par là, pour chacune, une présupposition étrangère et antagonique. L’aliénation, c’est l’existence comme présupposition antagonique d’une particularité sociale (définition des classes) à reproduire.

« Mais au fait, que sera la richesse une fois dépouillée de sa forme bourgeoise encore limitée ? Ce sera l’universalisation des besoins, des capacités, des jouissances, des forces productives, etc. des individus, universalité produite dans l’échange universel. Ce sera la domination pleinement développée de l’homme sur les forces naturelles, sur la nature proprement dite aussi bien que sur sa nature à lui. Ce sera l’épanouissement entier de ses capacités créatrices, sans autre présupposition que le cours historique antérieur qui fait de cette totalité du développement son but en soi ; en d’autres termes, développement de toutes les forces humaines en tant que telles, sans qu’elles soient mesurées d’après un étalon préétabli. L’homme ne se reproduira pas comme unilatéralité, mais comme totalité. Il ne cherchera pas à demeurer quelque chose qui a déjà été, mais s’insèrera dans le mouvement absolu du devenir. » (Fondements, Marx, Ed. Anthropos, t. 1, p. 450) Nous n’avons pas là affaire à un état social indépendant du développement même du capital, mais à la résultante nécessaire de ce développement contradictoire, la production de ce devenir s’effectuant comme lutte de classes est précisément le contenu de la contradiction qui l’abolit.

Le rapport de prémisse est l’achèvement du nouveau cycle de luttes déterminé par le contenu de celui-ci (l’autoprésupposition comme contenu immédiat de la contradiction), il est la signification historique du capital comme rapport contradictoire entre les classes.

 

En ce que c’est son rapport même au capital qui fait du prolétariat une classe révolutionnaire, et non une modalité de son être, on peut d’ores et déjà dire que le processus révolutionnaire n’est ni une libération du prolétariat, ni un immédiatisme du communisme sur la base de ce que serait le prolétariat (activité humaine contrariée). Le communisme se produit contre le capital et médié par cette contradiction. Ce qui était pour le programme une limite infranchissable devient le procès même de la révolution. On a simultanément la reproduction de la particularisation sociale du prolétariat le définissant comme classe et cette reproduction comme rapport révolutionnaire au capital, la façon même d’être une classe implique l’abolition du capital et des classes. Les contradictions du programmatisme sont résolues en tant que telles au travers du fait que la seule limite de la révolution est qu’elle soit médiée par le capital et non développement du communisme en soi contre le capital – l’adversaire – comme le développe l’immédiatisme du communisme ou la libération du travail. Enfin, rapport entre les classes, le rapport de prémisse n’est pas une base objective existant en dehors de la pratique du prolétariat, il n’est qu’activité des fractions communistes (« fractions », car la classe est par définition prise dans la reproduction du capital ; c’est cela, entre autres, la médiation de la révolution par le capital).

Effectuée par une classe particulière communisant la société contre le capital, la révolution ne peut être d’emblée le communisme. La complexité de son processus résulte de ce que le prolétariat ne peut promouvoir, à partir de ce qu’il est, aucune organisation sociale, et qu’il ne peut non plus faire du communisme son mode d’être, alors qu’il ne peut triompher qu’en prenant des mesures communistes et non transitoires. La spécificité de la révolution est que ces mesures communistes sont prises contre le capital. On n’abolit pas le capital pour le communisme, mais par le communisme ; dans sa lutte contre le capital, le prolétariat produit le communisme. La notion de « mesures communistes » doit être distinguée du communisme : ce ne sont pas des embryons de communisme, c’est sa production par le prolétariat. L’activité révolutionnaire du prolétariat a toujours pour contenu de médier l’abolition du capital par son rapport au capital ; ce n’est ni un dégagement (libération) du capital comme affirmation du prolétariat, ni un immédiatisme du communisme.

De façon concrète, le prolétariat dans sa lutte, abolit la valeur, mais le mode d’être social qui en résulte immédiatement n’est pas l’immédiateté sociale de l’individu, car l’activité du prolétariat abolissant la valeur est médiée par le capital, la lutte contre celui-ci, qui est en face de lui. Il en est de même de l’abolition du travail salarié (l’abolition du travail salarié n’est pas libération du travail), l’activité n’est manifestation de soi, c'est-à-dire suppression de son caractère reproducteur de quelque chose qui a déjà été, qu’en étant imposée par la nécessité de la lutte contre le capital. Production de l’immédiateté sociale de l’individu, cela signifie que la révolution abolit les classes, c'est-à-dire toute position sociale spécifique par rapport à la production de la vie, c’est simultanément l’abolition de la division du travail. Cette abolition de la reproduction de la production selon des secteurs différents qui est inhérente à la loi de la valeur et à la péréquation du taux de profit, s’effectue dans la révolution où elle est une mesure communiste et non évidemment durant le communisme qui ne passe pas son temps à abolir la valeur.

Ce qu’il y a d’essentiel dans le processus révolutionnaire, c’est qu’en tant que production consciente de l’histoire, le contenu de son action s’impose à lui comme mesure pour assurer sa victoire ; abolition de la valeur, du salariat, de la propriété, du cadre de l’entreprise, de la division du travail, de l’État (production de l’immédiateté sociale de l’individu), ne sont pas des buts que le prolétariat tendrait à réaliser après sa victoire, mais des nécessités immédiates qui apparaissent dès qu’il se heurte à la contre-révolution ayant pour contenu le capital qu’il pose face à lui-même comme une simple prémisse dans le moment où celui-ci se pose de façon de plus en plus précaire comme procès de reproduction de la société.

En fait ce n’est pas l’abolition de la valeur, du travail salarié, de l’échange, de la propriété, qui sont elles-mêmes ces mesures communistes, car sinon il n’y en aurait qu’une (l’abolition du capital), les mesures communistes sont des mesures « conjoncturelles » et c’est leur caractère partiel, limité, qui fait qu’elles prennent le même problème sous des aspects et des angles d’attaque différents, leur uniformisation est même le procès de la révolution. La contre-révolution s’appuie sur ce caractère encore limité, dû au fait que le rapport révolutionnaire entre le prolétariat et le capital existe dans la reproduction du mode de production capitaliste. Contradiction de la reproduction, l’activité révolutionnaire implique, face à elle, la contre-révolution comme reproduction du capital et de la condition prolétarienne. Il n’y a pas généralisation de la pratique des fractions communistes pour abolir le capital, ce n’est pas une unification en vue d’une action commune, cette généralisation ne peut s’effectuer, ne s’effectue, que comme étant déjà partie prenante de la pratique d’abolition du capital par le prolétariat, qui se nie lui-même. La généralisation n’est pas une forme ; abolissant le capital, le prolétariat abolit ce par quoi son unicité est mouvement de diversités, son unification ne peut être que l’abolition du capital et sa propre abolition, elle est un contenu.

Les fractions communistes n’existent que comme action de classe abolissant le capital et se niant, donc comme pratique consciente, car abolition de l’extranéisation des forces sociales, donc du caractère étranger du procès historique. Cependant, en tant que pratique, elle est encore pratique humaine ayant ses forces en face (lorsque le prolétariat s’organise comme classe contre le capital dans la révolution, c’est sur la base du fait que toute son organisation et son association se trouvent dans le capital et non en lui-même), d’où le fait que l’abolition de l’aliénation, pour être le procès conscient, qu’elle est nécessairement, doit travailler à l’affirmation de sa conscience. Il faut éviter deux positions unilatérales : premièrement, la révolution ne triomphe que comme une application de la théorie, c’est reconnaître un mouvement automatique de l’histoire et une volonté consciente. Deuxièmement, les hommes font l’histoire, l’opposition du prolétariat au capital a intrinsèquement, naturellement, la conscience de son dépassement communiste, parce qu’elle est ce qu’elle est. On ne tient pas compte de la réalité de l’aliénation et du fait que la révolution est effectuée par une classe particulière. L’activité des fractions communistes est prise dans le caractère automatique de l’histoire, qui n’a pour contenu que l’abolition de cette automaticité. L’abolition du capital n’est le procès conscient, qu’elle est nécessairement, que prise dans cette contradiction, l’histoire consciente, c’est le communisme, la révolution est théorique.

 

[1] Si l’augmentation de la productivité qui dévalorise progressivement le capital constant n’empêche pas l’éclatement de la crise générale, c’est parce que l’accumulation du capital ne croit pas dans la même proportion que le surtravail. Périodiquement, la dévalorisation inhérente au mouvement du capital n’assure pas une baisse du travail nécessaire qui augmente la partie nécessaire pour assurer la valorisation du capital. Si le travail nécessaire correspond à ¼ de la journée, un doublement de la productivité, avec l’investissement qu’il représente, n’accroit la plus-value que de 1/8.

[2] Comme mode de production, la valeur nécessite de prendre la temps de travail comme mesure de la rémunération du travail, moins les défalcations bien connues ; c’est en cela qu’elle se présente comme caducité du rapport salarial : alors que la valeur demeure la communauté, la force de travail n’est plus une marchandise. Faire de la caducité du salariat un stade spécifique contre le capital et organiser un nouvel ordre social, une société de dégénérescence de l’aliénation, ce n’est rien d’autre que la façon pour le prolétariat, à partir de sa situation dans le capital, d’intégrer le développement de celui-ci, et en cela il est en contradiction avec la reprise du capital s’effectuant au travers de la crise, car le mode sur lequel le prolétariat intègre le développement du capital est un mode de dégénérescence des rapports sociaux capitalistes, donc un mode qui lui est propre ; il n’aide ni ne préfigure la restructuration.

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