samedi, 2 août 2008
Discussion sur l’accumulation du capital et les luttes de classes en China - P.Å. and Jeanne
Après le ralentissement économique mondial des années 1970, de nombreux capitaux en Europe de l’Est et aux Etats-Unis ont commencé à affluer vers l’Asie du Sud-Est, une région qui, après la deuxième guerre mondiale, a connu un changement fondamental, une transformation d’un type de société principalement rural, à travers les révolutions agraires et l’urbanisation, à l’industrialisation et enfin, a la production de marchandises destinées à l’export.
La première « histoire à succès » fut le « miracle japonais » (1955–1985), c’est-à-dire l’expansion rapide qui a suivi la reconstruction après la capitulation japonaise devant les Etats-Unis en 1945. Rapidement, d’autres pays ont suivi : Taïwan, la Corée du Sud, Hong Kong et Singapour devinrent la ligne de front occidentale contre la Russie, la Chine et la Corée du Nord pendant la guerre froide.
Comparé aux pays occidentaux, tous ces pays ont connu depuis les années 1970 une croissance économique massive et ininterrompue, tout du moins jusqu’à la crise asiatique de 1997–1998, et ont souvent de beaucoup dépassé les niveaux de PIB connus en Europe pendant les Trente Glorieuses. Cependant, les changements qui se sont déroulés pendant les quinze dernières années dans un pays seulement, accentués pendant la première décennie du 21e siècle, sont si extraordinaires qu’ils concentrent tous les regards. De fait, l’histoire de l’accumulation capitaliste n’a jamais vu d’exemple comparable à la Chine contemporaine. (En 2006 la croissance de sa production industrielle était de 22,9 %.)
Alors que le dragon chinois remplit rapidement son estomac de cuivre [1] et de minerai de fer [2], mêlé de pétrole brut [3], de tous les coins du monde, et crache ses flammes de marchandises à bas-prix sur la surface de la terre, il est pour nous crucial de nous intéresser à l’accumulation en Chine et à sa place dans la division du travail globale pour comprendre où vont le mode de production capitaliste et ses contradictions.
Cela va sans dire que nous ne sommes nullement intéressés par un discours économique vulgaire obtus dans lequel la lutte de classe disparaît dans le jeu automatique de l’économie. Un antidote à cette analyse bourgeoise a souvent été de lister autant d’exemples de luttes particulières que possible, ou de choisir les plus extraordinaires. Cela est aussi pour nous problématique ; en effet, elle peuvent n’être pas représentatives et ce choix implique le retour a un empiricisme grossier. Nous avons cherché à ne jamais perdre de vue le lien intrinsèque entre les luttes et le mouvement du capital, en cherchant à les saisir comme totalité.
Devant le prétendu « recul des luttes de classes » dans les pays occidentaux, il est devenu tentant de se tourner vers l’Est pour retrouver le sujet révolutionnaire manquant. Pour cela, une façon a été – de façon tout à fait classique- d’insister sur le besoin de « la classe ouvrière en formation » de combattre pour gagner les droits politiques de base tels que la liberté d’expression et le droit de s’organiser, vus comme la condition nécessaire pour la formation de syndicats et la création d’un mouvement ouvrier. L’autre façon (le revers de la médaille) étant le rêve d’un retour a une autonomie ouvrière hostile aux syndicats.
Nous voulions poser le problème de ce que notre compréhension du programmatisme comme étant mort une fois pour toute implique dans le cas de la Chine. Si le capitalisme restructuré est mondial, il ne peut subsister de place pour l’apparition d’une identité ouvrière à l’intérieur d’un cadre national. Ainsi nous pouvons comprendre le fait que le nouveau prolétariat émergent en Chine ne crée pas d’organisations indépendantes et permanentes non pas comme un signe de leur « arriération » mais comme une caractéristique du nouveau cycle de lutte mondial.
Enfin, nous devons dire que nous ne sommes pas des experts sur la Chine ou l’Asie du Sud Est. Nous avons simplement lu quelques textes, ce que nous avons trouvé intéressant. Par conséquent, plutôt que des conclusions, nous avons formulé quelques questions comme bases pour la discussion.
L’accumulation en Chine a été un facteur majeur dans l’accroissement de la demande, et de là, du prix, des matières premières mondialement. L’augmentation des prix des produits alimentaires a eu un effet immédiat sur les populations les plus pauvres du monde. En même temps, la demande chinoise pour toutes sortes de minerais a créé un boom économique mondial pour les industries minières, a bénéficié à des pays comme l’Australie, et a provoqué, entre autre, la réouverture de mines, des accords de libre-échange entre la Chine et des pays comme le Chili, un grand producteur de cuivre. Les compagnies pétrolières font bien sûr elles aussi d’énormes profits...
Cette énorme demande pose aussi la question des possibles conséquences d’une compétition pour s’assurer les marchandises clés. La chine est en train d’établir sa présence en Afrique grâce à différents accords commerciaux avec divers gouvernements et elle a annoncé cette année sa plus grande croissance en dépense militaire en cinq ans... Quelles sont les conséquences de l’appétit chinois ?
Aujourd’hui, le rôle de la Chine dans la division mondiale du travail est principalement la production de marchandises à bas prix grâce à sa reserve de main-d’œuvre bon-marché. Peut-on imaginer, cependant, que la Chine pourrait monter en gamme comme l’ont fait le Japon et les tigres asiatiques ? Est-ce que cela pourrait impliquer l’émergence de « nouvelles chines » à la main d’œuvre bon marché ailleurs dans le Tiers Monde ? De plus, quelles seraient les conséquences pour les pays occidentaux, si ils perdent complètement leur avantage technologique ?
Le besoin de main d’œuvre dans les nouvelles industries basées sur l’export a intensifié l’exode rural à l’intérieur de la Chine, créant une « nouvelle classe » de prolétaires, les mingons, qui ont migré vers les ateliers de la Côte Est pour trouver du travail. Ce mouvement, qui par certains côtés semble rejouer celui du prolétariat « originel » – anglais – pendant la révolution industrielle [4], a amené certains à voir en eux la nouvelle classe révolutionnaire, non corrompue par les compromissions du prolétariat occidental. Selon cette position, nous devons maintenant attendre que ce prolétariat émergent devienne conscient et organisé. On considère alors qu’il doit passer par les mêmes étapes que leurs homologues occidentaux, comme si c’était le chemin nécessaire pour leur montée en puissance. Est-ce que l’Etat chinois peut autoriser la création de véritables syndicats dont le rôle serait le partage des gains de productivité, alors que sa réserve de main-d’œuvre bon-marché est la base même de son développement ?
J.N. & P.Å.
[1] Il importe 20 000 tonnes en 1990 et plus de 1,2 millions de tonnes l’année dernière.
[2] Il importe 14 millions de tonnes en 1990, 161 millions en 2006 et 192 millions juste pendant les cinq premiers mois de 2008, malgré que la Chine soit maintenant le plus grand producteur de minerai de fer au monde. (www.mineweb.com)
[3] Seuls les Etats-Unis en sont plus grand consommateurs, mais la consommation de pétrole chinoise croît de 7,5 % par an et on s’attend à ce qu’elle dépasse celle des Etats-Unis en 2030.
[4] Leur condition apparaissant similaire à celle décrite dans le chapitre du Capital intitulé « La journée de travail » (Livre 1, chapitre 10).
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