Théorie Communiste 4 (1981)

Décembre 1981/December 1981
- Des luttes actuelles à la révolution – notes sur la restructuration et le nouveau cycle de luttes

Submitted by Craftwork on July 5, 2016

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Des luttes actuelles à la révolution

Submitted by Craftwork on May 5, 2017

« La limitation du capital, c’est que tout son développement s’effectue de manière antagonique, et que l’élaboration des forces productives, de la richesse universelle, de la science, etc. apparaît comme aliénation du travailleur qui se comporte vis-à-vis d’une richesse étrangère et de sa pauvreté à lui.

« Mais, cette forme contradictoire est elle-même transitoire et produit les conditions de sa propre abolition. Le résultat, c’est que le capital tend à créer cette base qui renferme, de manière potentielle, le développement universel des forces productives et de la richesse, ainsi que l’universalité des communications, bref la base du marché mondial. Cette base renferme la possibilité du développement universel de l’individu. Le développement réel des individus à partir de cette base, où constamment chaque barrière se trouve abolie, leur donne cette conscience : nulle limite n’est tenue pour sacrée.

« L’universalité de l’individu ne se réalise plus dans la pensée ou dans l’imagination ; elle est vivante dans ses rapports théoriques et pratiques. Il est donc en mesure de saisir sa propre histoire comme un procès et de concevoir la nature avec laquelle il fait véritablement corps, d’une manière scientifique (ce qui lui permet de la dominer dans la pratique). Dès lors le procès de développement est lui-même conçu comme une prémisse. Mais il est évident que tout cela exige le plein développement des forces productives comme conditions de la production. »

(Marx, Fondements, Ed. Anthropos, t.2, p. 35)

Crise d’un stade spécifique du rapport d’exploitation en domination réelle

Le dépassement de la subsomption formelle du travail sous le capital se caractérise par le passage de la prédominance de la plus-value relative sur la plus-value absolue. Les limites de la domination formelle qui tenaient à ce que celle-ci intégrait un procès de production non adéquat au capital (elle ne pouvait par là n’être fondée que sur la prédominance de la plus-value absolue) sont détruites. Le procès de production au travers du développement du capital fixe devient conforme au capital (appropriation du travail vivant par le travail objectivé).

En domination formelle, la croissance de la plus-value bute sur la division du travail dans les ateliers fondés sur les métiers. inextensibilité éternelle du temps, épuisement destructeur de la force de travail, sont les manifestations de cette limite sociale de la domination formelle. Toutes ces limites montrent que le capital ne domine pas la production des marchandises entrant dans la reproduction de la force de travail. Rendre le reps plus productif, c’est réduire le temps de travail nécessaire, c’est dominer la production de ces marchandises. La transformation du procès de travail en procès adéquat au capital ne pourra que signifier simultanément l’intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital. La limite fondamentale à dépasser, c’est cette intégration d’un procès de travail antérieur, c’est la qualification ouvrière, car c’est d’elle que dépendent la prédominance de la plus-value absolue et les limites de celle-ci à l’extraction du surtravail.

Les axes de la baisse du taux de profit durant la phase inférieure de la domination réelle

Dépassement de la domination formelle, l’extraction de plus-value relative se développe comme exacerbation de la division du travail, de l’éclatement du travailleur qualifié comme développement de l’association, de la coopération, de l’emploi de la science, de toutes les forces sociales du travail.

« Avec le développement du mode de production spécifiquement capitaliste, ce ne sont plus seulement les objets – ces produits du travail, en tant que valeurs d’usage et valeurs d’échange – qui face à l’ouvrier, se dressent sur leur pieds comme « capital », mais encore les forces sociales du travail qui se présentent comme formes du développement du capital, si bien que les forces productives, ainsi développées, du travail social apparaissent comme forces productives du capital : en tant que telles, elles sont « capitalisées, en face du travail. En fait, l’unité collective se trouve dans la coopération, l’association, la division du travail, l’utilisation des forces naturelles, les sciences et les produits du travail sous forme de machine. Tout cela s’oppose à l’ouvrier individuel comme quelque chose qui lui est étranger et existe au préalable sous forme matérielle ; qui plus est il lui semble qu’il n’y ait contribué en rien, ou même que tout cela existe en dépit de ce qu’il fait (…).

« Les formes sociales du travail des ouvriers individuels – aussi bien subjectivement qu’objectivement – ou en d’autres termes la forme de leur propre travail social, sont des rapports établis d’après un mode tout à fait indépendant d’eux : en étant soumis au capital les ouvriers deviennent des éléments de ces formations sociales, qui se dressent en face d’eux comme formes du capital lui-même, comme si elles lui appartenaient – à la différence de la capacité des ouvriers – et comme si elles découlaient du capital et s’y incorporaient aussitôt. » (Marx, Un chapitre inédit du Capital, Ed. UGE, p. 250-251).

Cependant, l’on peut dire que dans la valorisation intensive telle qu’elle s’est mise en place entre 1914 et 1945, dépassant les limites de la subsomption formelle le développement du capital n’est pas adéquat à l’appropriation des forces sociales du travail.

Si l’on peut s’exprimer ainsi, c’est qu’en tant que valeur d’usage, il est en réalité soumis à la collection des travailleurs et à la décomposition de leurs mouvements. Cependant, s’il est soumis à cette collection et à cette décomposition, c’est parce qu’il les a lui-même créées, elle lui correspondent. L’inadéquation du développement du capital à l’appropriation des forces sociales du travail ne caractérise pas le développement du capital face à un travail qui serait immuable et dont il s’approprierait plus ou moins bien les forces sociales, elle caractérise le rapport que le capital fixe produit entre lui-même et un type de développement du travailleur collectif qui est son produit. Si l’on peut parler d’inadéquation, c’est parce que dans ce rapport, et vu le travailleur collectif qui lui correspond, le capital fixe est soumis à cette collection et décomposition dont nous parlions.

En effet, même si cette appropriation est le fait du procès de production lui-même, dans ce procès il y a homogénéité entre l’activité du travail vivant et le mouvement du capital fixe dans lequel réside l’appropriation de ses formes sociales – dans le travail à la chaine, par exemple – il y a homogénéité entre l’activité du travailleur et le mouvement non autonome de la machine. Jusqu’à présent, le développement de la domination réelle s’est effectué comme résolution des contradictions et des limites de la domination formelle du capital.

Comme toutes les crises du mode de production capitaliste, la crise qui s’ouvre au milieu des années soixante a pour origine la baisse du taux de profit. Cependant, dans chaque crise, cette baisse est portée par des mouvements spécifiques du mode de développement antérieur du capital. Toutes les façons dont s’est modulée la baisse du taux de profit dans la valorisation intensive telle qu’elle s’est formée comme dépassement des limites de la domination formelle et telle qu’elle s’est développée jusqu’à la crise actuelle, tiennent au mode d’exploitation de cette force de travail collective que cette phase de développement a produit.

  1. a)         de par l’homogénéité du travail vivant et du mouvement des machines, l’augmentation de la productivité bute sur les limites de la décomposition du travail comme support de la valorisation. Pour la même raison l’augmentation de la masse de la production comme accroissement de la masse du profit pour lutter contre la baisse de son taux ne peut être que difficilement accroissement de la productivité car tout accroissement de la production fait augmenter la partie variable du capital dans une proportion sensiblement égale à la partie fixe. L’accroissement de la production se rapporte donc à un nombre accru de travailleurs.

Ce mode de parcellisation du travail comme support de la valorisation et ses conséquences au niveau de l’augmentation de la productivité détermine ce qui est souvent appréhendé comme des limites techniques du travail à la chaine : problèmes de transfert et d’équilibrage[1].

  1. b)         D’une part la valorisation intensive développe le travailleur collectif et la nécessaire continuité de son cycle d’entretien (chômage, maladie, éducation, retraite, etc.) en intégrant celle-ci dans le cycle propre du capital (plus-value relative). D’autre part, « le procès de travail du fordisme pousse à l’extrême le principe mécanique dans la collectivisation du travail. Ce principe ne trouve son efficacité que dans la production répétitive en grande série de produits banalisés. Il est inadéquat à la production des services dits collectifs. Ou bien ces services sont produits par des capitalistes avec des méthodes non évolutives et leur coût croit vertigineusement (…). Ou bien ces services sont produits par des collectivités publiques. Ils absorbent alors du travail qui est improductif du point de vue de la création de plus-value. » (M. Aglietta, Régulation et crise du capitalisme, Ed. Calmann-Lévy, p. 142-143). La tendance générale à la hausse de la plus-value finit par être gravement atteinte.

Il y a donc une contradiction qui se développe tout au long de cette période de la valorisation intensive entre le développement de la reproduction collective de la force de travail et le procès de travail. Ce développement et ce procès de travail ayant tous deux la même origine dans le dépassement des limites de la domination formelle, ils ne pouvaient, dans ce mouvement de dépassement, que s’impliquer l’un l’autre.

Les luttes

La baisse du taux de profit pose le développement du capital comme inadéquat à l’appropriation des forces sociales du travail qu’il a développées tant au niveau du procès de la consommation productive de la force de travail qu’à celui de la reproduction collective que ce développement implique ; c’est dans la contradiction entre le prolétariat et le capital qu’existe cette crise. C’est bien un certain stade du développement de la valorisation intensive (du développement de l’exploitation) entrant en crise que manifestent les luttes de cette période. Toutefois, manifestant la crise du rapport entre le prolétariat et le capital, tel qu’il s’était développé, ces luttes sont surtout caractéristiques de la période allant jusqu’aux alentours de 1975, c'est-à-dire jusqu’à ce que se précise la restructuration en cours. On saurait donc les promouvoir en modèles de la lutte de classe.

D’autre part, on ne peut réduire la lutte de classe à ce qu’on appelle communément les « luttes ». La lutte des classes, c’est le rapport fondamental d’exploitation entre le prolétariat et le capital, ce qu’on appelle « les luttes » ne sont que les manifestations exacerbées de cette contradiction, la partie visible et décisive de l’iceberg. Elles ne manifestent pas une contradiction qui les sous-tendrait, elle ne peuvent être appréhendées comme manifestation que dans la mesure où elles posent la nécessité du dépassement ou de la résolution de la contradiction dont elles sont l’émergence qui pousse à la décision.

Ainsi va la vie en harmonie


[1]Transfert : « On peut définir le temps de transfert comme celui qui sépare deux interventions ouvrières le long de la chaine, temps pendant lequel le produit en cours de fabrication “transfère” d’un poste à l’autre sans être travaillé […]

« […] le problème nait de ce qu’on ne peut parcelliser le travail qu’en accroissant le temps de transfert, les temps morts évacués d’abord de la production reviennent par un autre côté. » (B. Coriat, L’Atelier et le chronomètre, Ed. C. Bourgeois, p. 204-205)

Équilibrage : « Défini d’abord au plus simple, on peut dire que le problème de l’équilibrage nait de la nécessité de “gérer et coordonner”  un ensemble de postes séparés de travail de façon tout à la fois à :

–       respecter du point de vue technique des contraintes d’antériorité ;

–       minimiser la main-d’œuvre nécessaire ;

–       maximiser le temps d’occupation de chaque ouvrier sur chaque poste et à “équilibrer” le temps global d’occupation de chacun des ouvriers employés.

Autrement dit encore, on peut définir “l’équilibrage” comme une procédure visant à “optimiser” – du point de vue des temps et des coûts – un ensemble de postes individuels de travail, dont la succession est soumise dans son principe à certaines contraintes d’antériorité et/ou de simultanéité […]. Le problème est de parvenir à ce résultat que chaque ouvrier posté soit occupé sans interruption, malgré les variations du cycle opératoire de l’un à l’autre. » (Op. cit., p. 205 et 208)

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