Théorie Communiste 5 (1983)

Mai 1983/May 1983
- La production de la théorie communiste

Submitted by Craftwork on July 5, 2016

Files

Comments

Introduction

Submitted by Craftwork on May 5, 2017

La période actuelle est celle de la fin d’un cycle de luttes, c’est corollairement une phase de restructuration du capital.

Le cycle de luttes qui s’achève à la fin des années 70 nait dans la crise des années 20, elle-même crise charnière de l’ancien et du nouveau. Ce cycle de luttes est marqué par le temps fort de la fin des années 30, les luttes salariales des années 50 et 60 qui, au travers de la lutte sur les salaires, sur les horaires, posent l’hégémonie dans l’usine, le contrôle de celle-ci, mettent en jeu des rapports sociaux et non seulement des questions quantitatives. La crise de la fin des années 60 est le moment où tout le mouvement de cycle de luttes peut déboucher sur un projet de réorganisation sociale. Avec la crise, le cycle de luttes se développe pleinement comme projet de réorganisation sociale, car la crise du capital est crise de l’autoprésupposition, c'est-à-dire crise du fait que toutes les conditions de la reproduction de la société se retrouvent sans cesse posées dans le capital.

Le fondement de ce cycle de luttes qui s’achève est la domination réelle telle qu’elle s’est développée depuis la Première Guerre mondiale. Sur la base du passage à la domination de la plus-value relative, il y eut bien intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital, le travail fut bien totalement spécifié comme travail salarié, l’absorption de travail par le capital devint bien le contenu même du procès immédiat par le développement du capital fixe, la société devint bien ce vaste métabolisme du capital que ce dernier implique dans son concept même, mais tout ce processus se caractérisa par la particularisation du procès de valorisation par rapport à tous les autres moments de la reproduction du capital comme rapport de production. Le procès de valorisation, de production de la plus-value, se constitue en moment distinct et opposé au cycle d’entretien de la force de travail, à sa formation, aux périodes de chômage, opposé aux modes de production traditionnels que le capital intègre dans son cycle tant dans les « métropoles » qu’à la « périphérie », opposé à la circulation, opposé aux différents moments d’une « vie privée ». Le rapport de la production de la plus-value aux moments de la reproduction de ses propres conditions était catholique, il devient protestant dans la restructuration actuelle.

C’est de cela que procèdent les caractéristiques du cycle de luttes qui s’achève aujourd’hui. Abolir et dépasser sa contradiction avec le capital, c’est alors pour le prolétariat devenir maitre d’un monde dans lequel il est totalement défini, c’est dire théoriquement et pratiquement que la contradiction n’a plus lieu d’être, qu’elle est le fait d’un despotisme du capital réduit à quelque chose d’artificiel, de superfétatoire, à une domination. Il s’agit pour le prolétariat de s’emparer du monde existant sur la base de cette identité de classe productive, de cette particularisation qui fait sa force programmatique, qui fait encore de la révolution une affirmation de la classe.

De façon immédiate, les caractéristiques de ce cycle de luttes se développent alors comme visée autogestionnaire, pouvoir ouvrier, devenir hégémonique, promotion de l’autogestion, développement sur toute la surface de la société d’une contradiction entre dirigeants et dirigés, prise en mains de sa vie… La critique de la défense de la condition prolétarienne n’est que formelle, elle ne s’adresse qu’à la pratique syndicale, on en appelle à des formes radicales comme l’autogestion qui serviront de marchepied à la révolution. Ce cycle de luttes dont le contenu a traversé depuis la fin des années 60 tant les luttes d’OS que les luttes extra-travail ou le refus du travail a trouvé dans ce qu’il est convenu d’appeler l’«autonomie » son achèvement.

En se fondant sur les limites de ce cycle de luttes dont elle fait sa propre force, la contre-révolution qui n’est rien d’autre que la restructuration du capital, permet de dépasser théoriquement cette phase en tirant les conséquences que le retournement contre-révolutionnaire des limites de l’ancien cycle imposait (autogestion, toutes les idéologies de la libération, dilution du procès de travail, etc.).

Les points théoriques qui sont dorénavant acquis sont les suivants : la révolution comme autonégation du prolétariat, la défense de la condition prolétarienne comme limite, la théorisation et la critique du programmatisme, de la domination réelle et de la domination formelle, l’identité entre la contradiction prolétariat/capital et le développement du capital, l’identité entre ce qui fait du prolétariat une classe du mode de production capitaliste et de ce qui en fait une classe révolutionnaire, la compréhension de la période précédente comme cycle de luttes achevé.

La critique de cet ancien cycle qui s’effectue dans et sur la base du procès de retournement de la force du mouvement en force de la contre-révolution débouche sur une critique fondamentale de la défense de la condition prolétarienne et sur l’élaboration du concept de programmatisme (le processus révolutionnaire comme développement de ce qu’est la classe dans le capital, et la révolution comme son affirmation, sa libération) ; il ne s’agissait plus de critiques formelles : avant-gardisme, bureaucratie, syndicat.

Actuellement, la non compréhension de l’ancien cycle de luttes comme tel et donc l’incapacité à en tirer les conclusions et à le dépasser entrainent une tentative de retour à des formes pures et dures de programmatisme dont le non respect, la méconnaissance seraient à la racine d’« errances » et de « mystifications ». On retourne aux Gauches, à Bordiga…, on reprend la critique du réformisme sans toutes ses formes, de la bureaucratie, de la démocratie, etc., c'est-à-dire que face à l’« échec » de cycle de luttes, on le juge à l’aune de ce que furent ses acquis originaux.

« Jusqu’à présent notre travail théorique (…) s’inscrivait dans l’ancien cycle de luttes qui comprenait autant le processus lui-même d’éclatement et de développement de la contradiction de la domination réelle telle qu’elle s’était développée, que les limites intrinsèques de ce processus, et sa propre critique qui y était incluse et conséquente. » (Théorie communiste n°4, p. 40) Même si notre travail, de ce fait, était à même de trouver dans la lutte de classe ses fondements, on ne peut nier les conséquences de cet ancrage particulier sur lui. Ce qui était en jeu, c’était le retournement dans la contre-révolution d’un cycle de luttes, retournement que nous appréhendions à travers les limites du cycle. On pouvait difficilement sur cette base produire une analyse stable et définitive.

Depuis le début des années 70, la production théorique dans ce qu’elle a eu de plus important s’est effectuée sur la base d’un malentendu. Toute la critique de l’autogestion, de la défense de la condition prolétarienne, toute la compréhension du programmatisme, toute l’analyse de la domination réelle et de la révolution comme autonégation du prolétariat qui lui était conséquente, tout cela on le doit à la contre-révolution, au fait qu’elle effectue pratiquement la critique de l’ancien cycle en en retournant les limites. Il ne restait plus qu’à la reconnaître.

Le reconnaître, c’était comprendre qu’un cycle étant achevé, qu’une restructuration se dessinant, le malentendu sur lequel s’était construit la production théorique jusque-là pouvait être dissipé. Les expressions théoriques les plus avancées visaient à une révolution « immédiate » alors qu’elles n’existaient que grâce au développement de la contre-révolution ; c’était là un malentendu mortel car il menait à poser sa propre existence comme étant la preuve de l’imminence de la révolution. Reconnaître sur quelle base s’était effectuée la production théorique, dissiper le malentendu, poser la restructuration du capital, c’était remettre en cause toute une façon de comprendre la production théorique antérieure et sa propre situation immédiate.

La production théorique peut actuellement se stabiliser, jeter un regard en arrière, faire le point, avancer un certain nombre d’acquis, mais cette stabilisation n’est pas le premier pas d’une poussée expansionniste : c’est la contre-révolution qui est la base de cette stabilisation.

Les limites de l’ancien cycle deviennent patentes vers 1973-1974 : ce fut la fin des revues comme Le mouvement communiste, Négation, Intervention communiste et Invariance (première série). Il s’agit alors de poursuivre le travail entamé dans ces revues qui avaient commencé la compréhension et la critique interne de ce cycle : texte de Jean Barrot « Contribution à la critique de l’idéologie ultragauche » (avril 70) ; le premier numéro de la revue Négation : « le prolétariat comme destructeur du travail » ; « prolétariat et communistes » dans le Bulletin communiste, supplément au numéro 1 d’Intervention communiste (mai 1973) ; le texte critiquant « l’idéologie conseilliste autogestionnaire » à l’œuvre dans ICO (publié dans ICO n°118 – mai 72) ; l’unique numéro du journal Le voyou (mars 73) ; « Lordstown 72 » publié par « Les amis de quatre millions de jeunes travailleurs » ; « Avortement et pénurie », supplément au numéro 2 de Négation (janvier 74) ; « Lip et la contre-révolution autogestionnaire », Négation n°3 (mai 74) ; la critique du numéro 4 de Le mouvement communiste – « Révolutionnaires ? » parue dans Intervention communiste n°2 – « les classes » (décembre 73)…

Le retournement des limites de cet ancien cycle vers la formation de la contre-révolution devient de plus en plus rapide : ce sont les Assises du Socialisme et le Programme socialiste, l’euphorie des congrès de la CFDT, le développement du féminisme, de la libération homosexuelle, de l’écologie, de l’antinucléaire, des premières tentatives de transformation du procès de travail, la prise en charge du secteur extra-travail par les intéressés eux-mêmes, l’éducation libre des enfants, les nouveaux rapports amoureux, les prisons, etc.

Les expressions théoriques soit pataugent dans cet ancien cycle, s’y vautrent, s’enduisent de modernisme ; soit se cabrent en prônant la « vraie autogestion » (voir tous les véritables autogestionnaires s’en allant combattre à Besançon les tares de Piaget), la négation du travail, la subversion de la vie quotidienne. D’autres appelaient au regroupement des révolutionnaires qui aurait fait défaut, d’autres chassaient le réformisme, d’autres l’esprit démocratique… En fait, si l’ancien cycle en était arrivé là, c’était parce que, pour une raison ou pour une autre, il n’aurait pas été pur et dur. Poursuivre le travail de reconnaissance de l’ancien cycle de luttes comme tel, et sa critique de façon fondamentale, c’était se marginaliser, car c’était accepter de ne se reconnaître dans aucun moment immédiat de la lutte de classes.

 

Nous n’avons rien à promouvoir dans les luttes : pas plus le débordement des syndicats qu’autre chose, même si l’on signale par ailleurs le caractère positif de ces mouvements-là par rapport à la révolution, caractère positif qu’ils ne possèdent que parce qu’ils appellent leur dépassement, parce qu’ils posent la défense de la condition prolétarienne comme limite à dépasser et l’auto-organisation comme affirmation de la classe à dépasser en tant que telle. Ce que la lutte de classe peut avoir de plus radical ne l’est que parce qu’il appelle son dépassement. Il ne s’agit pas simplement par là de la nécessité de faire mieux, d’élargir, d’universaliser une pratique, il s’agit d’un dépassement qualitatif car la révolution est action d’une classe qui s’abolit en tant que classe : elle est par là essentiellement dépassement de toute pratique antérieure de la classe, pratiques qui ne peuvent avoir comme radicalité extrême que d’appeler leur dépassement.

Réciproquement, nous n’avons rien de particulier à attaquer, ni les syndicats, ni les antifascistes, ce qui ne signifie pas que l’on ne se livre pas par ailleurs à une critique des syndicats ou de l’antifascisme, nous ne sommes pas les dénonciateurs spécialisés des pays de l’Est ou de l’impérialisme américain. Notre rapport à l’immédiateté des manifestations quotidiennes du mouvement social pourrait être qualifiée de théorique : les moments particuliers de la lutte de classes sont compris comme une totalité au sein de laquelle ils s’impliquent mutuellement (limites d’un cycle ; retournement dans la contre-révolution ; nécessité du dépassement d’un cycle ; amorce d’un nouveau cycle) et en cela, tous sont posés comme nécessaires et moments du processus de la révolution se faisant, y compris dans le développement du capital (contre-révolution).

Inversement, pour un rapport à l’immédiateté que l’on pourrait qualifier de politique, certains moments particuliers de la lutte de classe sont compris comme la base de la révolution à faire, et la révolution, dans cette problématique, est un possible dont il convient d’assurer le triomphe. Les visions « politiques » sont nécessairement multiples, car les moments particuliers ne sont pas conçus comme s’impliquant et constituant par là une totalité unique. Il est normal dès lors que s’affrontent dans des réunions, des assemblées, des débats ou des articles, les diverses méthodes destinées à faire triompher ce possible ; la gestion de l’immédiateté est alors l’enjeu de la dispute, immédiateté mystifiée à qui il faut révéler le sens de sa démarche. L’identité de démarche fonde l’antagonisme entre toutes ces théorisations et réciproquement l’antagonisme est le ciment du « grand débat permanent » qui les oppose et les conforte. Pour tous, depuis la Première Guerre mondiale, le capital a accompli sa « mission », tout est dit, la lutte de classe se résume à du bon, du mauvais, du sens communiste caché, des choses à encourager et naturellement beaucoup de mystification. La révolution n’est pas la résultante de l’ensemble du rapport, mais la croissance et la libération de certaines pratiques.

Notre situation par rapport à ce « milieu » n’est pas antagonique, mais contradictoire. Pour décrire ce fait, les modalités de notre participation à la réunion d’« Échanges et mouvement » de Pâques 80 est un bon exemple. Les antagonismes n’étaient pas absents de la discussion : appréciation divergentes sur l’importance de tel ou tel phénomène, heurt entre les diverses recettes pour favoriser l’éclatement de l’autonomie du prolétariat, exposé de la situation dans son pays, sa région ou sa boite, insistant surtout sur les différences locales qui jouent alors le rôle d’aplanissement des antagonismes et de ce fait, leur permet de se développer et d’exister.

Il nous était impossible de participer à cette réunion sur une base identique à celle des autres participants, apportant une pierre à l’édifice ou proposant d’en remplacer une par une autre mieux adaptée, mais s’opposer en bloc à tout l’édifice, attaquer immédiatement tout l’ensemble, faire forcément de l’obstruction, développer un discours systématique.

Si nous étions à cette réunion, comme nous pourrions être présents dans d’autres réunions semblables, c’est sur la base du fait que dans ce mouvement et dans son expression théorique, il devient évident que les luttes de l’ancien cycle butent elles-mêmes sur leurs propres limites ; c’est par là que nous nous relions à de tels groupes même s’il y a incompréhension théorique. Il était impossible que notre production théorique soit envisagée comme antagonique à la leur, c'est-à-dire dans laquelle on soit en mesure de se reconnaître : au travers d’une critique ou d’une reprise en compte.

Comments

La production de la théorie communiste

Submitted by Craftwork on May 5, 2017

La théorie est théorie de la lutte des classes

Le théoricien orphelin

La théorie, même si elle parle du communisme dans une période qui ne l’a pas immédiatement pour résolution, n’est pas une avant-garde ni cette tension vers la communauté née du sol de la société, mais qui ne se reconnaitrait dans rien. Même appréhendée comme la fin d’un cycle de luttes et amorce d’une restructuration du mode de production capitaliste, la période qui s’ouvre n’est pas un no man’s land de la lutte de classes ; que celle-ci demeure à l’intérieur du capital n’est en aucune façon, en soi, une limitation ; c’est bien comme contradiction du mode de production capitaliste qu’existera la révolution. La théorie n’est pas fondée par le communisme conçu comme une sorte de but final que la théorie découvre peu à peu dans sa totalité invariante et immuable.

La théorie n’est théorie communiste qu’en ce qu’elle est théorie du procès de la révolution, théorie du procès contradictoire entre les classes qu’est le mode de production capitaliste et qui produit le communisme. On ne peut faire le cheminement inverse : « je sais ce que sont la révolution et le communisme, comment faire alors de la théorie communiste dans cette sombre réalité ? ». L’approche faite actuellement de la révolution comme abolition des classes, autonégation du prolétariat, et de façon générale le dépassement du programmatisme, c’est à partir de l’évolution de la lutte de classes, à partir des limites sur lesquelles ce mouvement lui-même a buté, que nous l’avons produite. Les problèmes que nous soulevons sont ceux que pose cette lutte chaque fois qu’elle bute elle-même sur ses propres limites et cela depuis il y a dix ans le conseillisme et l’autogestion… Depuis, les luttes n’ont pas eu le communisme pour but, mais le communisme et le procès contradictoire qui y mène, c’est à partir de  l’analyse de ces contradictions de classes, l’analyse de ce procès de la lutte de classes depuis dix ans, que nous le comprenons, que nous le découvrons. Une certaine modestie rend le théoricien moins angoissé.

On ne peut poser face à face la théorie communiste et la lutte de classes même si celle-ci est dynamique du mode de production capitaliste. En fait, ce n’est pas la nature de la théorie qui est en jeu, mais plutôt la façon de concevoir les contradictions qui produisent le communisme. Il n’y a de problème de la nature de la théorie que si l’on considère d’une part une théorie qualifiée de communiste et d’autre part des luttes qui, se déroulant dans le cadre du capital, n’auraient par là aucun « sens communiste ». Ce n’est qu’à ce moment-là que nait le problème et l’angoisse du théoricien qui se demande d’où lui vient et ce que ce signifie cette étrange chose qu’il produit. Les communistes, aussi, sont à l’intérieur du capital. À partir du moment où l’on oppose pas classe et révolution en fondant celle-ci sur le fait que le prolétariat y manifesterait autre chose que sa stricte situation de classe, où l’on oppose pas reproduction du capital et contradiction entre le prolétariat et le capital, à partir de ce moment-là, la théorie n’est plus cette étrangère qui s’angoisse sur son identité.

La révolution est bien résultat du développement du capital, dans ce développement ce n’est pas de montrer que le contenu des luttes n’est pas révolutionnaire qui est l’objet de la théorie, la révolution ou le communisme ne sont pas une norme jaugeant la réalité, mais de montrer comment le mouvement contradictoire du capital se produit comme révolution. La théorie n’est pas cette activité consciente du communisme au sein du capital qui serait son contraire absolu, le communisme lui-même est le produit des contradictions internes du capital, contradictions bien réelles et immédiates et pas de simple tensions.

Théorie communiste et procès de la lutte de classes

L’action des communistes vise à détruire le capitalisme et à abolir les rapports sociaux qui lui sont liés, ils n’ont donc pas à participer à une action qui n’aurait pour but, ou du moins comme résultat prévisible qu’un aménagement de ces rapports. Cependant, ces luttes ne se situent pas hors du champ du communisme, et pas seulement parce qu’elles seraient des objets d’analyse.

Toute velléité d’intervention ne peut, en domination réelle, que choir dans l’avant-gardisme, la pédagogie, la manipulation ou le laisser-faire autonome. Il y a en domination réelle transformation des luttes revendicatives qui ne sont plus l’antichambre de la révolution qu’elles étaient, la révolution n’étant plus affirmation du prolétariat. Avec l’intégration, dans son existence même de pôle du rapport, de la contradiction qui l’oppose au prolétariat, le capital en fait sa dynamique et le procès même de son autoprésupposition[1] – c’est là que s’enracinent les syndicats qui ne sont pas des appareils posés sur la classe, mais mode d’existence de celle-ci dans son rapport au capital. Cependant, l’action des communistes visant à détruire le capitalisme n’est pas une position que ces derniers possèderaient de toute éternité, la destruction du capital n’est pas une sorte de but final qui attend que les aléas de la contradiction entre le prolétariat et le capital soient passés et dépassés pour se réaliser ; le but serait alors tout, le mouvement ne serait rien.

Ce n’est pas une participation à des luttes immédiates, revendicatives que nous défendons, l’important est la façon dont s’effectue leur critique, la façon dont on pose cette non participation. La production théorique ne ses situe pas à l’autre pôle d’une dichotomie par rapport à ces luttes et au développement du capital compris comme développement de la contradiction entre le prolétariat et le capital. C’est dans le processus de ces luttes, dans la manifestation de leurs limites, dans le retournement de celles-ci dans le procès de la contre-révolution, que la théorie a d’abord pu effectuer la critique de l’avant-gardisme, a pu élaborer le concept de programmatisme, a pu poser la révolution comme autonégation du prolétariat. La théorie n’est pas quelque chose qui préexiste à l’objet qu’elle analyse, elle n’est ni méthode, ni science. Le procès de la lutte de classes n’est pas simplement cet objet dont la théorie s’emparerait, elle ne se forme qu’en s’emparant de cet objet, le cours de la lutte de classes est son propre cours.

Mais il ne s’agit pas là d’un problème concernant la façon de concevoir ce qu’est la théorie. Il n’y a pas de problème de la nature de la théorie. Un tel problème ne surgit que quand cette dernière est conçue comme une étrangère face à un développement qui n’a rien à voir avec elle, quand on sépare de façon mécanique abolition du capital et luttes immédiates, luttes revendicatives. C’est le processus de la lutte des classes dans ses mouvements les plus triviaux qui est le procès de production d’un rapport que l’on pourra qualifier de révolutionnaire, même si ce dernier ne peut être en aucun cas conçu comme transcroissance. La théorie ne peut simplement opposer ces deux moments, il faut montrer qu’il y a rupture, dépassement, mais que cette rupture, ce dépassement, ne sont pas indifférents au cours antérieur de la lutte de classes, au cours antérieur de la contradiction dans ses manifestations les plus immédiates. C’est dans l’articulation de cette dialectique que s’enracine la production théorique.

Il s’agit de ne pas éviter la position qui consiste à dire : « ces luttes ne sont pas révolutionnaires, on va tenter de les faire devenir révolutionnaires » en disant : « ces luttes ne sont pas révolutionnaires, aucune transcroissance n’est à espérer, elles se situent donc hors du champ communiste ». C’est par ce qui fait qu’elles ne sont pas révolutionnaires qu’elles ne sont pas exclues du champ communiste, il faut saisir comment elles butent elles-mêmes sur leur propre contenu : la défense de la condition prolétarienne. Une telle approche doit également historiciser la notion de « luttes revendicatives », c'est-à-dire concevoir de quel stade du rapport entre le prolétariat et le capital elles participent, afin de pouvoir saisir leur rapport au communisme.

Il n’y a aucune velléité d’intervention à avoir sur le terrain des luttes revendicatives, non parce qu’elles seraient de nature essentiellement indifférentes à la révolution (c’est le même rapport contradictoire, l’exploitation, qui est luttes revendicatives et son dépassement, révolution), mais parce qu’elles sont elles-mêmes le processus d’une contradiction dans laquelle autre chose se produit. Il ne s’agit pas d’un germe qu’elles contiendraient, mais de considérer que l’on a affaire réellement au procès de production de la révolution. L’articulation du communisme et des luttes immédiates s’effectue au travers de ce qui fait que ces luttes ne sont pas révolutionnaires, c'est-à-dire du retournement de leur force comme contenu de la contre-révolution. La défense de la condition prolétarienne suit un cours heurté qui de l’éclatement de la contradiction au niveau du rôle spécifique du prolétariat dans la production de la valeur et de la plus-value mène à une régénération de l’autoprésupposition du capital. Ce processus fonde socialement une véritable filière dans laquelle la force du processus révolutionnaire est retournée contre lui-même. Auto-organisation, autonomie locale, durée du travail, débordement des syndicats, refus du travail, luttes sur les conditions de travail, se transforment en processus moteur de la restructuration au travers de l’action sociale et politique de groupes, syndicats ou partis qui expriment ce cours heurté, depuis la radicalisation de la lutte jusqu’au simple antagonisme. On n’a pas là une « récupération », mais simplement le fait que le développement du capital est le procès contradictoire de la lutte de classes, qu’il en est constamment le résultat. Dans le même mouvement, où la restructuration se fonde sur les limites du processus révolutionnaire, c’est elle qui fait des formes les plus avancées de ce processus des limites ; aucun des deux termes n’est premier par rapport à l’autre. La solution est dans le mouvement que nous venons de décrire où les points les plus avancés de ce processus sont retournés contre eux-mêmes ; si ce n’est que par là qu’ils deviennent limites du processus révolutionnaire, le mouvement lui-même n’est d’emblée possible que par le contenu de ces luttes posé par la crise d’un stade chaque fois spécifique du capital.

Dire que l’articulation du communisme avec les luttes immédiates s’effectue au travers de ce qui fait qu’elles ne sont pas révolutionnaires, c’est dire qu’elles s’effectuent au niveau de ce retournement. De façon schématique, c’est le retournement dans la restructuration de l’auto-organisation, de l’autonomie,… qui fait de la défense de la condition prolétarienne la limite à dépasser pour la révolution, car à travers ce retournement c’est elle-même au niveau du rôle spécifique du prolétariat qui est apparu comme limite, et non simplement son mode d’être dans l’autoprésupposition du capital (le syndicat). À travers leur contradiction aves le capital les luttes revendicatives butent sur leur propre contenu, c’est là que se forme la nécessité de la résolution de la contradiction entre le prolétariat et le capital comme autonégation du prolétariat, et que le corps de cette nécessité se confond avec celui du capital en tant que procès contradictoire entre les classes.

L’abolition des rapports sociaux capitalistes n’est pas quelque chose existant pour soi, indifférent à ce qui la précède et la produit. Et c’est parce que c’est cela que produit et nécessite la lutte de classes (au travers du mouvement immédiat de la contradiction entre le prolétariat et le capital), que nous critiquons et ne pouvons participer à aucune lutte revendicative. C’est parce qu’elles produisent et nécessitent dans leur propre existence, c'est-à-dire leur rapport au capital qui s’en nourrit, leur dépassement et que ce dépassement n’est pas indifférent à la façon même dont elles se déroulent que nous pouvons dire qu’elles ne contiennent pas de germes révolutionnaires. Cependant, montrer comment la contradiction entre le prolétariat et le capital est développement du capital ne doit pas faire oublier que c’est dans le procès de son abolition qu’il se développe. La destruction du système capitaliste est un produit historique, le résultat d’une histoire dont les luttes revendicatives, la façon dont elles se déroulent, sont la scansion.

Si l’on considère, en effet, que ces luttes sont la manifestation du caractère contradictoire du rapport entre le prolétariat le capital, il faut en tirer le maximum de conclusions en considérant que la révolution n’est rien d’autre que le dépassement parce que le résultat de ce développement contradictoire dont les luttes revendicatives sont la manifestation. L’on a pas affaire à deux mondes entre ces luttes et la révolution. Ce qui est à montrer, c’est comment elles participent de ce développement, comment elles appellent (et non contiennent) ce dépassement qu’est la révolution : de par leurs propres limites, de par la façon dont elles se déroulent, de par le niveau, le stade de la contradiction qu’elles manifestent dans leurs revendications et leur forme même, de par le développement du capital auquel elles participent, développement qui est pour le capital, parce que procès contradictoire (exploitation), procès dans lequel il se manifeste dans le mouvement de son abolition (baisse du taux de profit, socialisation de la production…), et enfin de par ce qui synthétise le tout : leur retournement dans le procès de la contre-révolution qui fait constamment de la défense de la condition prolétarienne la limite que la contradiction entre le prolétariat et le capital nécessite de dépasser.

À partir du moment où l’on reconnaît l’identité entre la contradiction entre le prolétariat et le capital, et le développement du capital, que l’on reconnaît que c’est ce qui fait du prolétariat une classe du mode de production capitaliste qui en fait une classe révolutionnaire[2], que le communisme est une production historique résolvant la contradiction du capital, que celui-ci a une signification historique, on ne peut se contenter d’opposer unilatéralement et de façon figée luttes revendicatives et abolition du capital. On ne peut analyser d’une part la situation actuelle dans toute sa misère et poser d’autre part la destruction du capital en faisant l’économie du procès qui mène de l’une à l’autre. C’est là toute l’importance, nous y reviendrons, de la définition de cycle de luttes et principalement, dans la restructuration actuelle, d’un nouveau cycle de luttes.

Production théorique et cycle de luttes

Toute lutte qui n’a pas pour contenu la destruction du capital, c'est-à-dire la négation du prolétariat, n’est pas pour autant une lutte de type syndical. Il s’agit de ne pas faire de la notion de lutte syndicale un concept trop vaste. Le syndicat n’est pas, bien sûr, un appareil extérieur, intégrateur, posé sur la classe ouvrière ; il est un mode d’existence de l’opposition entre le prolétariat et le capital, mais en tant que mode d’existence de cette opposition il est défini par trois critères :

  1. la motricité de la contradiction;
  2. le salaire comme revenu;
  3. l’autoprésupposition du capital.

La défense de la condition prolétarienne, qui recouvre toutes les luttes en question, suit quant à elle un cours heurté et le débordement des syndicats a une signification spécifique, ces actions ne sont pas simplement du syndicalisme en plus radical.

Les luttes ouvrières en dehors des syndicats, et même contre eux, révèlent que la reproduction du prolétariat n’est pas qu’un moment de l’autoprésupposition du capital où lui-même dans toutes ses fractions se pose comme productif, mais une contradiction de ce développement. Cependant, tant que dans sa lutte, le prolétariat ne dépasse pas la défense de la condition prolétarienne, il ne peut que déborder les syndicats et non effectuer un réel dépassement de ceux-ci. En période de crise, c’est la même défense de la condition prolétarienne qui suit un cours heurté entre le syndicalisme et son débordement. Le débordement des syndicats s’inscrit de l’autoprésupposition du capital ; il ne s’agit plus alors de savoir si la répartition de la valeur nouvellement créée est « juste », mais de savoir où celle-ci se crée, de savoir que le profit se rapportant à l’ensemble des fractions du capital n’est finalement qu’une forme mystifiée de la plus-value dont le prolétariat est l’unique source. C’est le rôle spécifique du prolétariat dans la création de la valeur et de la plus-value qui porte le débordement des syndicats, rôle spécifique qui éclate lorsque les augmentations de composition organique qui semblaient pour chaque capital résoudre ses problèmes de valorisation, qui posaient donc le capital comme productif, devient baisse du taux de profit et crise. La crise de l’autoprésupposition du capital, c’est aussi la crise du rapport syndical.

À ranger toutes les luttes sous la dénomination de luttes syndicales, on introduit une dichotomie complète entre celles-ci et la révolution. C’est par là que l’on retrouve le point précédent. Tout le cours contradictoire du rapport entre prolétariat et capital est alors subsumé sous la catégorie de l’autoprésupposition du capital, compris comme un espace où rien ne manifeste le prolétariat comme classe spécifique. La révolution ne viendrait alors qu’achever un mouvement avec lequel elle aurait bien peu de choses à voir. D’un coup, le prolétariat serait placé dans une position de classe absolument différente de sa position antérieure. Dans la révolution le prolétariat pose le capital comme simple prémisse d’un développement ultérieur, il est alors impliqué par le capital comme classe du travail salarié et simultanément incapable de le valoriser (cela de façon qualitative – cf. « La signification historique du capital » dans TC n°4, Des luttes actuelles à la révolution), c’est bien alors sa position spécifique de classe productive de plus-value qui en fait une classe révolutionnaire, position spécifique qui n’était pas absente dans sa pratique dans le développement antérieur. Ranger toutes les luttes sous la dénomination de luttes syndicales, c’est faire d’un cycle de luttes (nous limiterons pour le moment cette notion à son aspect empirique : les luttes correspondant à un stade du capital) un procès uniforme dans lequel autoprésupposition du capital, crise de cette autoprésupposition, apogée du cycle et de la tension vers la révolution telle qu’elle se présente, et retournement de ces limites dans la contre-révolution, sont confondues. C’est que la révolution, comment elle est produite, devient chose quasi miraculeuse par rapport au développement antérieur à partir du moment où celui-ci a été uniformisé, a-historicisé, à partir du moment où finalement on a abandonné cette notion de cycle de luttes.

Ce que sont la révolution et le communisme sont des choses qui se produisent historiquement dans le cours heurté de la lutte de classe à travers les cycles de luttes qui le scandent[3]. Ainsi la conception que nous avons actuellement de la révolution (et la façon réelle dont elle doit se présenter), c’est au cours de ce cycle de luttes et de son retournement dans la contre-révolution qu’elle s’est forgée théoriquement et pratiquement : présents Mai 68, absents en adversaires à Lip. Ce processus peut encore nous arriver, la révolution n’est pas quelque chose d’établi, de connu une bonne fois pour toutes et vers quoi tendrait le mouvement, mais quelque chose que celui-ci produit. La façon dont la révolution se présentait au début de ce cycle n’est pas la même que vers sa fin et cela simplement parce qu’il n’avait pas eu lieu. Si par exemple, on peut dire maintenant que Mai 68 est en deçà de la critique communiste, c’est parce que c’est Mai 68 (entre autres) et son retournement dans la contre-révolution (Lip, etc.) qui ont produit cette critique. Il y a un monde entre les réserves que nous pouvions alors formuler (pas de formation de conseils, pas d’attaque de la valeur) et la théorie que le mouvement et son retournement permirent de produire : la révolution comme autonégation du prolétariat, la défense de la condition prolétarienne comme limite, la théorisation du programmatisme, de la domination formelle et réelle, l’identité entre la contradiction prolétariat/capital et le développement du capital. Bien sûr, ces luttes n’avaient pas pour contenu l’abolition du capital, mais on ne peut faire l’amalgame entre l’apogée d’un cycle de luttes dans laquelle se croisent son développement maximum et la transformation de ces limites en principe de la contre-révolution, et le moment où ce retournement domine (Mai 68 et Lip par exemple), cet amalgame participerait d’une vision statique de la production de ce qu’est la révolution. La vision que l’on peut maintenant avoir de tout ce qui s’est passé au cours de ce cycle de luttes, dans la perspective de la révolution telle qu’elle est la notre actuellement, ne préexiste pas à ce qui l’a produite.

Depuis que l’on est en domination réelle, la révolution ne s’est jamais présentée comme transcroissance à partir des luttes revendicatives en tant que telles, dans les luttes immédiates ce n’était pas tant les aspects revendicatifs qui étaient mis en avant et présentés comme l’apanage de la révolution, que les tendances antisyndicales, anti-aliénation, anti-domination du capital, gestionnaires, anti-travail, auto-organisées, etc. Il ne s’est jamais agi de pousser un mouvement revendicatif (ce qui est le propre du gauchisme), mais pour « Socialisme ou Barbarie », avant 1968, ou pour toute la mouvance conseilliste en mai, il s’agissait de se définir dans le mouvement au niveau de la critique de l’avant-gardisme, du gauchisme, au niveau de l’auto-organisation, de la critique de la bureaucratie, du capitalisme d’État, c'est-à-dire à partir de ce qui nous paraissait être directement le processus de la révolution, et tout cela existant bel et bien dans le mouvement lui-même ; nous ne poussions pas quelque chose à devenir autre chose, nous tentions de présenter la tendance la plus avancée du mouvement et de la pousser au maximum en nous élevant même contre l’aspect revendicatif du mouvement (nous nous bornons ici à une description du cycle de luttes qui s’achève). Bien sûr, ce n’était pas la révolution, il s’agissait toujours de défense de la condition prolétarienne, mais pour que nous puissions voir dans cette dernière la limite à dépasser il fallut le procès de retournement dans la contre-révolution.

La critique de nos positions d’alors qui s’effectua dans et sur la base du procès de retournement de la force du mouvement en force de la contre-révolution en constituant en limites ces positions, déboucha sur une critique fondamentale de la défense de la condition prolétarienne et sur l’élaboration du concept de programmatisme ; il s’agissait plus d’une critique formelle : avant-gardisme, bureaucratie, syndicats, etc. Une des conséquences les plus importantes fut de séparer luttes immédiates et révolution, en effet si la contre-révolution n’était plus formelle, la révolution de son côté ne pouvait plus se voir non plus dans les formes de la revendication, même si ces formes ne sont pas simplement la même chose que le syndicat en plus radical. Enfin ce mouvement nous permit d’établir une liaison essentielle entre révolution et contre-révolution.

De façon générale, l’erreur serait d’avoir une vision a priori de la révolution ; non que l’on ne puisse pas la définir, mais cette définition doit être historique, ne peut faire l’économie du procès qui la relie à la situation présente, l’économie de la compréhension de la révolution comme produit historique. Que l’on pose le communisme comme une norme jaugeant la réalité présente, que l’on fasse du prolétariat le porteur d’une contradiction ou d’une tendance humaine qui le dépasse et qu’il manifestera pour se nier, que l’on cherche une nature révolutionnaire qui s’actualise selon les conditions, que l’on abandonne enfin le prolétariat totalement intégré dans la reproduction du capital et son autoprésupposition, c’est toujours la même erreur corollaire à la non conception comme identique du prolétariat comme classe du capital et comme classe révolutionnaire.

Les impasses de la production théorique

Toute problématique dans laquelle la révolution n’est pas réellement conçue comme une production historique repose sur une « fausse question » : comment le prolétariat peut-il à la fois reproduire le capital et être une classe révolutionnaire ? Fausse question dans la mesure où l’on ne conçoit les deux termes comme ne pouvant qu’être contradictoires. En effet, si une telle question est corollaire d’une vision non historique de la révolution, c’est qu’à poser les deux termes comme ne pouvant qu’être contradictoires, on considère qu’en tant que produisant le capital, il masque, occulte, nie, l’autre terme qui est d’être classe révolutionnaire. Le développement du capital dans lequel existerait le premier terme fait donc face à l’autre qui par là serait préexistant ou serait présupposé antérieurement au développement historique. En fait cela reviendrait toujours à poser le processus révolutionnaire comme contradiction interne au prolétariat ; le capital est évacué. Le communisme ne résulterait pas du dépassement de la contradiction entre le prolétariat et le capital, mais de quelque chose formant une nature révolutionnaire du prolétariat.

Il n’y a pas d’ambivalence dans l’activité du prolétariat : sujet du capital, sujet de la révolution ; c’est la même chose. Le prolétariat n’est pas « sujet » du capital sans être contradictoire à ce dernier et c’est cette contradiction qui, dynamique de sa propre transformation est développement du capital, procès d’abolition de celui-ci, formation d’un rapport révolutionnaire. Le prolétariat ne met pas au vestiaire une « nature révolutionnaire » quand il reproduit le capital, et il ne manifeste pas, ne révèle pas, quelque chose qui surpasse l’implication réciproque quand il abolit le capital, ou plutôt c’est à partir de ce qu’il est dans cette implication qu’il abolit le capital et non en manifestant un aspect de sa nature qui serait dégagement par rapport à cette implication ; ce n’est pas en dehors de cette dernière, même si c’est contre elle, que le prolétariat se définit comme classe révolutionnaire.

La position normative

Dans la position normative (cf. La Guerre sociale ou le tract « À bas le prolétariat – Vive le communisme ! », 2ème trimestre 1979), la description qui est faite du communisme n’est pas en elle-même fausse au niveau des éléments énumérés, le caractère normatif git dans le fait que le procès qui y mène a disparu, n’est pas présent dans l’analyse. On a une situation qui est celle du capital, une autre qui est le communisme, et au milieu, des conditions accumulées par le capital que le prolétariat actualise parce qu’il est révolutionnaire par postulat (Barrot) ou parce qu’il n’est pas complètement intégré (La Guerre sociale).

En fait, la position normative remplace le processus historique de production de la révolution et du communisme, l’histoire en fin de compte, par une succession d’échecs, d’erreurs, de réussites parfois, de mystifications. En effet, la révolution on sait ce que c’est d’emblée, elle est telle qu’en elle-même une bonne fois pour toutes, toute action ne peut qu’être réussite ou erreur, mystification souvent. Fleurissent alors les « on aurait du », « il fallait alors », et autres n’utilisant XXX pas toutes les possibilités dont le livre de Barrot sur l’Allemagne fourmille (cf. La Gauche communiste en Allemagne, J. Barrot, D. Authier, Ed. Payot). Le concept clé de l’histoire normative, c’est la mystification. La révolution étant donnée d’emblée, le prolétariat est par nature révolutionnaire, il a un être révolutionnaire, son intégration dans l’autoprésupposition du capital n’est que mystification. L’implication réciproque entre le prolétariat et le capital devient vision politicienne, l’intégration c’est le parti communiste, les syndicats, les hauts salaires, la démocratie, l’antifascisme, contre lesquels résiste plus ou moins bien un prolétariat par nature étranger à tout cela.

Un des plus beaux exemples est fourni par l’analyse de la démocratie (cf. La Guerre sociale n°2, « La question de l’État » et le projet de plateforme pour la participation à une réunion avec divers groupes anglais, voir également l’engagement dans l’affaire Rassinier/Faurisson). L’incapacité à relier dans une même totalité contradictoire le prolétariat et le capital se manifeste en ce que l’analyse demeure, lorsque l’on critique la démocratie en tant que mystification, au stade fétichiste de l’atomisation de la société avec un État qui est là pour empêcher les gens de se dévorer entre eux. À ce niveau, les individus ne sont que des monades isolées dont l’appartenance à une société, leur appartenance de classe, a autant d’importance que la couleur de leurs cheveux ou la longueur de leur gros orteil. Le prolétariat ne se définit que par et dans le capital, en ce sens il est intégré, mais cette intégration qui le définit comme classe, c’est une contradiction, c’est l’exploitation. Cet arrêt sur l’apparence fétichiste de l’isolement entraine de singulières positions sur la démocratie (dans les textes sus-cités de Guerre Sociale par exemple). La démocratie est critiquée, mais critiquée parce que mystificatrice, parce qu’elle s’est perdue dans l’étatisme, et la révolution « accomplira à sa manière les aspirations véritablement radicales de la bourgeoisie montante ».

En fait, il n’y a la aucune critique de la démocratie, et cela parce qu’incapable d’appréhender la société au-delà de l’apparence de l’échange, de l’atomisation, elle est la forme universelle des relations humaines, forme qui s’est pervertie sous le capitalisme et qui, sous une autre manière, s’accomplira avec le communisme.

À la racine de la position normative, il y a le programmatisme qui est son horizon indépassable, le processus de la révolution serait le même, mais mené à bout, à son terme, et dans de meilleures conditions. Ainsi on parle simultanément de conseils ouvriers et d’autonégation, d’aspects révolutionnaires des luttes revendicatives en tant que telles et on critique violemment la défense de la condition prolétarienne. Cependant, le programmatisme devient cette position normative lorsqu’a disparu le fil qui relie la situation immédiate de la classe à la révolution, c'est-à-dire la défense de la condition prolétarienne, base de la transcroissance révolutionnaire comme libération du prolétariat. Ne pouvant d’une part se fonder solidement et organiquement sur les luttes revendicatives en tant que telles, ne pouvant d’autre part continuer à dire tout bonnement que la révolution est libération du prolétariat de la domination du capital, la relation n’est plus maitrisée, le problème de la relation du procès de passage de l’un à l’autre est évacué au profit d’une norme de jugement que serait un programmatisme radical réussissant, d’échecs passés, de déviations, de mystifications, de conditions à réunir. La position normative ne peut que mettre côte à côte une nature révolutionnaire, des mystifications, des conditions objectives, la première autorisant une utilisation révolutionnaire des dernières ayant permis de combattre (moyen terme) les secondes. Le processus historique de la lutte de classes n’est plus vraiment nécessaire par rapport à la révolution, cela commande le glissement de l’analyse où la contradiction entre le communisme et le capital vient se substituer à la contradiction entre le prolétariat et le capital. La position normative aboutit à avoir affaire à un système qui s’oppose à une autre, mais pas au développement de la contradiction interne de l’un des deux systèmes (le capitalisme) qui produit l’autre (le communisme).

À ce point là, la position normative rejoint une autre impasse qui elle aussi ne considère pas la révolution comme résultat et création historique du mode de production capitaliste et de la contradiction entre prolétariat et capital, qui ne considère pas le procès contradictoire comme étant le seul et unique procès produisant la révolution : le prolétariat comme figure de l’humanité, comme support d’une contradiction qui vient de loin. Ne pouvant aborder le communisme comme une réelle production historique, il est supposé d’emblée comme tension, tendance, qui déjà s’oppose au capital et vise à le faire éclater. Le mode de production capitaliste n’est plus alors que le stade de maturité de cette tension qui plonge dans l’histoire de l’humanité. Chaque période historique n’est plus conçue comme totalisatrice et dynamisée par ses conditions propres, le cours de l’histoire n’est que procès de réalisation, d’adéquation d’une tendance inhérente évoluant vers sa maturité, se réalisant, l’histoire est téléologique.

L’humanité, alias le prolétariat ou quand le prolétaire venge le chasseur paléolithique

La démarche qui fonde cette deuxième impasse pourrait se résumer ainsi : le prolétariat est sujet révolutionnaire parce qu’en lui existe la possibilité de nier sa position de classe au profit de l’humanité qu’il réalise, ce n’est qu’alors et par cela qu’il fait la révolution. Le prolétariat nierait sa position de classe, se révèlerait comme humain et alors serait révolutionnaire.

Une telle perspective semble au premier abord ne pas tomber sous la critique générale de ne pas considérer la révolution comme une production historique, de faire l’impasse sur le procès qui conduit de la situation actuelle à la révolution. Cependant, sous des dehors qui prennent souvent l’aspect de maitrise de l’histoire universelle, la disparition du procès historique est beaucoup plus fondamentale que dans le premier cas, celui de la position normative. Pour que le prolétariat fasse la révolution il faut qu’il ne soit plus le prolétariat, classe particulière du mode de production capitaliste, c’est qu’alors on a à l’œuvre une autre dynamique que celle stricte des rapports de production capitaliste ; il y aurait donc, au-delà de ce qui ne serait qu’une apparence : la succession des modes de production et la totalisation de l’histoire passée dans le mode de production capitaliste, une dynamique présidant depuis la nuit des temps au déroulement de l’histoire. Le procès historique n’est plus alors réellement un procès de création, mais procès de réalisation ou d’adéquation. Ce ne sont pas les contradictions de l’aliénation en général qui sont à l’œuvre et dynamisent le procès historique, l’illusion provient du fait que si chaque stade historique n’a pour moteur que ses contradictions spécifiques, l’histoire n’en est pas moins un procès totalisateur et pas simple juxtaposition de séquences qu’une dynamique originelle, qui les transcenderait, parcourrait.

Il faut alors, pour la position humaine, montrer comment le prolétariat défini comme classe à l’intérieur du mode de production capitaliste, sur la base du travail salarié, peut avoir une pratique qui signifie la « caducité de l’activité d’aliénation », c'est-à-dire la tendance transcendante dont nous parlions. Une telle perspective s’accompagne le plus souvent de vastes constructions historiques où l’Histoire, d’aventures en aventures, produit l’adéquation des concepts et de leurs manifestations. Le prolétariat va enfin pouvoir venger le chasseur paléolithique. L’histoire n’est pas créatrice, elle est processus de réalisation, d’adéquation.

Ce qui sort de la boite à malices des « adéquations », des « sens de dépassement », des « tendances », des « activités générales d’aliénation », c’est la bombe humaine : le prolétariat fait la révolution à titre humain. Dans tout ce système théorique on trouve le fait de mettre dans la contradiction (en germe, en tendance, en conditions préalables : la négation du prolétariat), ce qui sera sa révolution. Si le prolétariat fait la révolution « à titre humain », c’est que le communisme est abolition des classes et non qu’il est le représentant de l’humanité faisant la révolution en tant que tel. C’est parce que sa contradiction de classe avec le capital, l’exploitation, se produit comme abolition des classes (nous y reviendrons) que le prolétariat dans la révolution produit le communisme. À l’inverse, dans la perspective humaine le plus important ce n’est pas la contradiction avec le capital, c’est que le prolétariat ne soit plus le prolétariat, à cette seule condition il ferait la révolution. Le capital, dans le processus de la révolution, il n’en est qu’à peine question, ce n’est même pas dans l’effondrement d’une présupposition réciproque entre le prolétariat et le capital que se produit la révolution, mais dans l’effondrement de la reproduction du prolétariat par rapport à lui-même, le prolétariat ne se reconnaît plus, ou plutôt apparaît alors l’individu prolétaire (voir certaines tendances dans Échanges et mouvement ou dans Crise communiste).

Après le communsime par impossibilité du capital nous voilà dans le communisme par impossibilité du pr, mais il ya a toujours un point commun : la solution de la contradiction préexiste (en germe) dans un des termes de la contradiction.

Dans toutes ces problématiques, le « refus du travail », les « luttes anti-travail » deviennent la preuve d’une contradiction interne du prolétariat (nous critiquerons plus loin la notion même de refus du travail). Puisque le prolétariat est la classe du travail et qu’il y aurait des luttes contre le travail, ou plutôt que ces luttes proviendraient d’une contradiction entre le prolétariat et le travail, il faudrait  bien alors que le sujet qui lutte contre le travail soit engagé dans un processus de distinction d’avec la « classe-prolétaire » ; ce sujet c’est l’individu. Dégagé de la contradiction avec le capital, l’autonégation devient un processus interne de distinction à l’intérieur du prolétariat dans lequel les luttes anti-travail deviennent primordiales. Cela demande en outre de comprendre souvent la classe de façon très étroite (toujours l’indépassable horizon du programmatisme) : lorsque les prolétaires se battent en dehors de l’usine, c’est qu’ils ne se reconnaitraient plus dans la classe ; est-ce que l’appartenance de classe se limite au procès de production immédiat ? Est-ce qu’on cesse d’être prolétaire en sortant du travail ? Il y a une incapacité constante à imaginer et à concevoir que le prolétariat puisse se remettre lui-même en cause à partir de sa situation de classe, qu’il puisse être en tant que classe le sujet même de son autonégation ; et cela parce que son autonégation n’est conçue que comme mouvement se déroulant à l’intérieur du prolétariat.

Le prolétariat ne se nie que parce qu’il abolit le capital et par le contenu de sa contradiction, produit du développement du capital, c'est-à-dire de la contradiction elle-même ; mettre le travail à la place du capital, c’est déplacer la contradiction à l’intérieur du prolétariat et nécessite alors de dégager un être hybride qui tienne à la fois du prolétariat et de l’« humanité » : l’individu-prolétaire. En fait, on ne reconnaît pas le prolétariat comme sujet révolutionnaire dans sa situation même de classe.

L’abandon du prolétariat dans sa situation de classe comme sujet révolutionnaire s’accompagne de la dilution de la contradiction spécifique du mode de production capitaliste dans une vaste contradiction avec l’aliénation qui a pour cadre cette tendance à l’œuvre depuis la nuit des temps et parvient à maturité avec le capital : l’humanisation de l’homme. Que le communisme soit la fin de la « préhistoire de l’humanité » n’implique pas qu’il soit la résolution d’autre chose que la contradiction entre le prolétariat et le capital dans le mode de production capitaliste. Que le communisme soit la résolution des contradictions de toute l’histoire passée signifie que le capital a une signification historique, qu’il est lui-même le développement qui identifie le dépassement de sa contradiction spécifique et de toute la production humaine, c’est la propre existence du capital qui fait de son dépassement le dépassement de toute l’histoire humaine qui l’a précédé.

La problématique de l’autonégation du prolétariat comme processus interne, contradiction interne, conduit à poser un individu préalablement défini qui appartiendrait à une classe de la même façon qu’il habite Marseille ou Paris et qui pourrait ne plus s’y reconnaître, de la même façon qu’il peut déménager. Dire que l’individu peut entrer en contradiction avec son appartenance de classe, c’est poser la classe comme une entité qui viendrait subsumer les individus, le problème de l’appartenance de classe renvoie toujours immanquablement à un individu-personne ; on pose d’un côté les individus et de l’autre la société, ensuite l’on se demande comment les premiers font partie de la seconde. L’appartenance de classe devient une simple liaison qui fonctionne quand la société se reproduit, qui se brise quand il y a crise laissant la voie libre à un individu indéfini qui est le prolétaire qui ne se reconnaît plus dans le prolétariat ou en contradiction avec sa classe. Cependant pour supprimer la classe, il faut lui trouver une contradiction interne, un mouvement interne de critique, c’est le rôle du refus du travail. Ensuite, il faut montrer que la révolution c’est bien autre chose que l’action d’une classe, et que le communisme c’est bien autre chose que l’abolition du capital.

À ce niveau intervient le procès général d’aliénation, ou le procès de l’humanisation de l’homme ; l’expression, dans son flou permet de parler du capital sans en prononcer le nom. Mais cela permet aussi de réduire la contradiction qui met en jeu les classes au cadre du procès de production immédiat, laissant ainsi un vaste champ ouvert à un refus général qui relève de l’individu et d’un mouvement plus ou moins nouveau qui supplée la lutte des classes (classique). Dans ce domaine, nous n’aurions plus affaire à deux classes, au procès d’exploitation en ce qu’il présuppose et parcourt l’ensemble des conditions de son propre renouvellement, mais à l’aliénation, à la domination, au procès contradictoire de l’humanisation de l’homme, domaine que la trivialité des rapports de classe ne parviendrait pas recouvrir.

Tout le procès historique est reconstruit comme histoire de l’individu, de la famille, des rapports à la nature, ou de l’unité entre production et reproduction, en bref il faut que le procès historique soit autre chose que la lutte des classes. L’histoire de la famille est là pour ça ; faire l’histoire de la famille (thème très en vogue) synthétise les autres problématiques, elle devient l’histoire des rapports entre production et reproduction, elle devient histoire de la relation entre rapport à la nature et rapport de l’homme à lui-même, elle devient le critère de l’individualisation.[4]

Toute cette reconstruction du procès historique n’est pas erreur historique, les considérations qui l’accompagnent n’existent que par leur signification théorique, elles permettent de substituer à une histoire de la lutte de classes une histoire de l’individu qui sous le capital se modulera comme lutte de classes, mais cela comme une étape transitoire qui à nouveau fera apparaître l’individu comme le ferment du communisme. On analyse les modes de production précapitalistes sous l’angle du rapport entre famille et individu et on fait une histoire de l’individu, ensuite le capital produisant l’individu, c’est ça qui le fait éclater. C’est la façon même de concevoir la contradiction révolutionnaire dans le capital qui détermine la vision des modes de production précapitalistes dans lesquelles l’individu n’existerait pas.

Un tel arc historique nécessite qu’avant le capital il n’y ait pas d’individu, ou un individu non séparé de sa communauté puisque c’est le procès de production de cet individu qui va faire éclater le capital, la séparation d’avec la communauté c’est la cassure de l’unité entre production et reproduction. Pour les modes de production antérieurs au capital, on ne peut parler d’une telle unité que si on limite sa vision au niveau strict de la famille et que si on conçoit la société comme composée d’un ensemble de familles à peu près égales. Ce ne sont pas par exemple les rapports internes à la famille du serf qui structurent sa production, encore moins dans le cas de l’esclave, ce sont ses rapports au maitre ou au seigneur, pareil pour sa reproduction.

Ce n’est pas l’individu qui est séparé de sa communauté avec le capital, mais l’individu contingent qui prend la place de l’individu particulier. L’individu, cela n’existe pas, sauf dans l’histoire de l’individu. Ce qui est perçu comme procès d’individualisation, c’est la production de l’individu comme individu contingent, c'est-à-dire en fait la production du capital comme communauté. Il n’est pas indifférent que les rapports sociaux capitalistes mettent en mouvement des individus contingents, mais ce n’est pas cela qui fait du prolétariat une classe révolutionnaire. Cette contingence, cet isolement, ne sont compréhensibles que si on inverse la problématique, c'est-à-dire si l’on part de l’analyse de la communauté comme séparée des individus parce que communauté de classes antagoniques. La reproduction du rapport social capitaliste est toujours reproduction de l’individu particulier, c'est-à-dire de l’individu comme isolé et membre d’une classe, sans que l’isolement et l’appartenance de classe ne soient contradictoires. L’indifférence réciproque des individus (leur isolement les uns des autres et de la communauté) est un fondement nécessaire de la société capitaliste, mais la société capitaliste ne se résout pas dans cet isolement, parce que sa substance est l’existence de ces individus comme membres de deux classes antagoniques. Parler d’individualisation ne peut se limiter à constater l’isolement de l’individu par rapport à la communauté, sa séparation d’avec elle, cela reviendrait à faire de la relation immédiate des individus entre eux (fétichisme des rapports d’échange) la réalité elle-même. Cependant, que le rapport d’exploitation soit individualisation n’est pas indifférent, car il signifie par là la création de rapports universels et surtout que le prolétariat abolissant le capital ne peut rien s’approprier, qu’il ne peut dans cette abolition se fonder sur un rapport à une des conditions de production qui lui soit propre, il ne peut, abolissant le capital, se subordonner à une nouvelle limitation (cf. l’Idéologie allemande, Ed. Sociales, p. 103).

Sur cette base, l’histoire du capital peut se poursuivre comme histoire de la famille, de l’individu, de la relation entre production et reproduction. En domination formelle, cette dernière relation se présenterait en deux pôles : travail des hommes à l’extérieur, travail des femmes à l’intérieur ; elle serait ensuite remise en cause comme dualité en domination réelle, puis elle retrouverait de nos jours une unité avec la réactivation de la fonction familiale, le travail à domicile, la création d’un revenu composé, le démantèlement des grandes unités de production, la segmentation de la force de travail. Dans toute cette façon de prendre les choses, c’est de l’individu singulier dont il est question, le terme de reproduction ne recouvre pas la reproduction d’une particularité sociale, l’appartenance de classe, mais la reproduction de la singularité de l’individu (alimentaire, généalogie). Toutes ces remarques ne font que montrer que l’appartenance de classe est un rapport au capital qui est autoprésupposition et que dans la restructuration actuelle la valorisation parcourt l’ensemble des conditions de son propre renouvellement (nous y reviendrons).

Il existe une version moins théoriciste et plus militante de cette perspective humanoïde, celle que l’on retrouve dans deux livres : Le travail et après et La grève et la ville de Auffray et Baudoin, auxquels s’ajoutent pour le second Colin et Guillerm. Le programmatisme est toujours en négatif l’horizon indépassable. On se fonde sur les luttes d’OS, sur le refus du travail. Ne pouvant plus se reconnaître dans le travail, en faire le fondement de leur existence sociale, les luttes des OS avanceraient des spécificités au sujet desquelles la ville en tant qu’entité régionale joue un grand rôle. Le concept de prolétariat disparaît au profit de celui de « population ». Dans ces luttes, il s’agirait d’affirmer une identité contre le capital, identité qui ne soit pas produite par lui, qui lui échappe, le capital n’intervenant alors que comme un pôle de la contradiction qui n’est plus dans ces deux pôles interne au mode de production capitaliste. Ces luttes avanceraient des spécificités humaines : femmes, immigrés, Bretons…

La domination réelle n’a pas d’histoire

Une autre perspective qui abandonne le procès historique comme production de ce que sont la révolution et le communisme et corollairement comme production de la théorie, consiste à poser que la domination réelle étant le stade ultime du capital elle est d’emblée le rapport qui, en tant que tel, porte la révolution. Là aussi on fait l’économie du procès qui mène de la situation présente à la révolution ou plutôt la question n’a aucune raison d’être posée, la domination réelle, prise comme concept non historicisé, est en elle-même ce procès, évacue la question : la révolution est présente puisqu’on est en domination réelle. Jusque là le capital avait une histoire, il n’en aurait plus ; stade ultime, la domination réelle, par définition, n’aurait pas d’histoire. Il s’ensuit qu’à ce stade la contradiction entre prolétariat et capital pourrait à tout moment devenir révolution ou, plus finement, qu’une crise de la domination réelle ne peut pas avoir de restructuration supérieure. C’est là une position qui vient souvent compléter les deux perspectives analysées précédemment.

S’il est bien certain qu’il n’existe que deux modes d’extraction de la plus-value, le mode absolu et le mode relatif et que donc il ne peut, au-delà de la domination réelle, y avoir de troisième époque du capital, cela n’empêche pas la domination réelle d’avoir en elle-même un développement, une histoire. Le développement jusqu’à aujourd’hui de la domination réelle s’est effectué, en bref, comme résolution des contradictions et des limites de la domination formelle : fonctionnement de la société comme vaste métabolisme du capital, c'est-à-dire conquête par le capital de tout le secteur productif et extension de la péréquation à l’ensemble de la société ; le procès de production devient conforme au capital, ce qui signifie destruction de la qualification ouvrière, le temps devient productif ; intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital, ce qui signifie que le capital détermine lui-même la valeur de la force de travail, condition d’existence de la plus-value relative.

Cependant ce développement de la domination réelle crée ses propres contradictions spécifiques qui sont les axes sur lesquels se modula la baisse du taux de profit qui conduisit à la crise actuelle : non-adéquation du procès immédiat de production à l’appropriation des forces sociales du travail qui s’y développent (coopération, division du travail, science, association), incapacité à rentabiliser la continuité du cycle d’entretien du la force de travail en tant que travailleur collectif segmenté en diverses instances (malades, éducation, chômeurs, reproduction familiale, etc.).

Tout tient au mode d’exploitation de cette force de travail sociale que cette phase de développement a produit, ce qui alors synthétise les contradictions de ce stade de développement de la domination réelle, produit du dépassement de la domination formelle, ce sont les rapports du procès de valorisation proprement dit avec les conditions de son propre renouvellement ; s’il les détermine, si ces conditions sont bien celles du capital, le procès de valorisation s’y perd, il ne le parcourt pas.

De façon générale, l’appropriation des forces sociales du travail tant dans le procès de production immédiat que dans le rapport du procès de valorisation à ses conditions (division sociale du travail ; le prolétariat comme force de travail sociale exploitée en tant que telle par le capital) devient adéquate au capital (procès de valorisation). La force de travail en tant que force sociale est appropriée dans tous ses aspects par le procès de valorisation, en tant que forces collectives ces forces sociales sont objectivées dans le capital (automation). Les transformations techniques qui ses déroulent à ce niveau du procès de production immédiat sont adéquates à son propre niveau mais aussi à celui du procès d’ensemble, elles sont la concrétisation générale de cette appropriation des forces sociales dans le capital fixe ; pour le procès de valorisation, parcourir l’ensemble de ses propres conditions s’objective dans ses transformations.

Quand on parle d’histoire de la domination réelle, il ne s’agit pas d’une histoire linéaire, il ne s’agit pas d’imaginer que de crises en restructuration cette dernière s’approfindit telle qu’elle est sortie du dépassement de la domination formelle. Ce n’est pas le dépassement de la domination formelle qui se poursuit, la domination réelle se produit, se crée selon sa propre histoire ; la restructuration actuelle n’est pas approfondissement du dépassement de la domination formelle, masi résolution des contradictions spécifiques de la domination réelle telle qu’elle s’ets développée jusqu’à présent.

Jusque là avec une telle conception de la domination réell nous n’avions affaire qu’à une postition particulière et non pas comme dans les cas précédents à une conception corollaire de la théorie. Il n’en est rien. Dire qu’il ne peut y avoir crise et restructuration en domination réelle entraine un total porte-à-faux des développements théoriques qui s’articulent sur, précisément, l’ancien cycle de luttes et le retournement de ses limites dans la contrerévolution. Alors que, on l’a vu précédemment, c’est dans le retournement des limites de l’ancien cycle de luttes (auto-organisation, autogestion, critique formelle de la défense de la condition prolétarienne, le prolétariat se pose comme classe hégémonique) dans la contrerévolution, qu’il y a dépassement du programmatisme, que c’est grâce à ce mouvement qu’il s’effectue, si l’on supprime ce mouvement l’existence même d’une théorie tendant à dépasser le programme devient la preuve de l’imminence de la révolution. Si l’on ne pose pas le processus dans lequel la théorie a amorcé ce dépassement, sa propre existence devient garantie de la révolution. La nécessité du dépassement du programmatisme commença à se former lorsqu’apparurent aux alentours de 1973 les limites de l’ancien cycle de luttes, faire l’impasse sur cela conduit à vouloir mettre la réalité de la crise à l’heure de ce dépassement du programmatisme, conduit à considérer sa propre existence comme garantie de la révolution. Ne pas historiciser la domination réelle conduit à ce porte-à-faux de la théorie pour autant que l’on ne sombre pas dans une théorie de la décadence, cas où la question ne se pose même pas. En effet, dans la théorie de la décadence la domination réelle devient paradoxalement la situation idéale de réalisation du programmatisme, l’évolution du capital en montrerait négativement la nécessité.

Comme dans la perspective précédente, il existe également dans celle-ci un type théorique et un type militant. Le type théorique consiste à partir d’une caractéristique de la domination réelle : péréquation du taux de profit sur l’ensemble des secteurs productifs, augmentation de la composition organique, prédominance de la plus-value relative, de montrer que cette caractéristique entre en crise et comme par définition la domination réelle est le stade ultime du capital, c’est forcément le mode de production capitaliste qui s’effondre. Par définition, toute crise est la dernière. On pose comme s’excluant totalement crise et capital. L’autre type est le type militant, il est en gros représenté par l’autonomie.

« L’ouvrier-masse international » remet en cause le développement antérieur de la domination réelle et montre son instabilité. Le refus du « fordisme » et sa déstabilisation sont alors considérées comme perspectives révolutionnaires car l’exploitation est elle-même appréhendée comme domination. Considérer l’exploitation comme domination du capital sur le travail permet de maintenir contre vents et marées une perspective de libération du travail à partir du refus du travail. La restructuration qui est aperçue par l’autonomie n’est pas vue comme réorganisation du rapport entre les classes mais comme une série de réponses du capital visant à découper cet ouvrier-masse. Face à un capital conçu comme domination, la « composition de classe » est un succédané d’« être » du prolétariat qui le fonde essentiellement à dépasser le capital. la simple résistance désorganisant un rapport social ravalé à la domination, prend alors rang de perspective révolutionnaire. Une fois le capital réduit au rang de domination, la simple résistance au travers du refus du travail, du combat contre l’institutionnalisation de la classe ouvrière devient mouvement de la révolution. Le capital peut « avancer une restructuration », mais ce ne sont que des réponses, le prolétariat quant à lui peut être révolutionnaire.

Fin du programmatisme, fin du prolétariat

On ne peut s’étendre longuement sur cette position là ; elle est à la limite en dehors du cadre des impasses de la théorie communiste. L’impossibilité du programmatisme, la constatation que la révolution ne peut plus être libération du prolétariat devient : le prolétariat n’est plus la classe révolutionnaire, ou alors il n’y a plus de prolétariat. La décomposition du programmatisme est comprise comme la disparation de toute contradiction révolutionnaire entre le prolétariat et le capital. Le prolétariat ne peut plus s’affirmer comme il ne peut plus faire la révolution. Une variante supérieure, qui pourrait aussi se rattacher à la perspective précédente  est offerte par l’évolution d’Invariance. C’est de la reconnaissance de la  domination réelle qu’on aboutit à la surfusion du capital et à l’abandon des classes ; l’activité du prolétariat ne peut qu’être pragmatique, la domination réelle est ipso facto la disparition du prolétariat si tant est qu’il ait jamais existé.

Dans cette perspective également de façon évidente malgré des accents très modernistes et dans le cas d’Invariance, une démarche au départ critique sur l’histoire du mouvement ouvrier, le programmatisme demeure un horizon indépassable.

Chacune des quatre grandes perspectives indiquées ne recouvrent pas à elle seule un groupe ou une revue ; il n’y a pas de correspondance. L’analyse est thématique ; les thèmes peuvent donc, dans chaque élaboration particulière se recouper, et surtout ils ne rendent pas compte de l’ensemble de l’activité d’une revue ou d’un groupe même s’il peuvent en constituer l’épine dorsale.

Ces impasses ne sont pas non plus de simples erreurs, elles ont toutes en commun de ne pas concevoir la révolution, le communisme et donc la production théorique comme un processus historique et par là de faire l’impasse sur ce qui fait que la situation actuelle devient rapport révolutionnaire. Dans tous les cas, les deux sont séparés et souvent opposés. Même si la situation présente est conçue comme contradictoire, c’est ce qui fait que cette contradiction éclate qui n’est pas analysé. S’il ne s’agit pas de simples erreurs, c’est que ce manque est lui-même partie intégrante de la production théorique actuelle.

La théorie qui se développe depuis les alentours de 1973 part bien de l’ancien cycle de luttes mais n’existe dans ses caractéristiques les plus importantes que par le retournement de celui-ci dans la contrerévolution, c’est dans cette critique pratique de l’ancien cycle de luttes effectué par le capital que s’inscrit le dépassement du programmatisme : critique non formelle (c'est-à-dire non limitée aux organisations) de la défense de la condition prolétarienne ; centralité du concept d’autonégation du prolétariat ; critique de la période de transition ; reconnaissance du prolétariat comme classe révolutionnaire mais simultanément comme classe à part entière du mode de production capitaliste ; critique de la dualité : nature révolutionnaire du prolétariat/développement du capital comme condition.

Le dépassement du programmatisme par ce qui le portait venait s’opposer au cycle de luttes antérieur, les propositions théoriques qu’il produisit pouvant simultanément s’opposer à cet ancien cycle comme norme et trouver dans le simple fait qu’elles-mêmes existaient la garantie que tout était réuni pour que se produise la révolution. La façon même dont se déroulait le dépassement du programmatisme évacuait alors la question du procès qui mène de la situation actuelle à la révolution, d’autant plus que le refus du travail semblait confirmer dans la pratique du prolétariat le dépassement du programmatisme. Mais c’est par là même que la question s’imposait aussi, en effet les notions mêmes issues du dépassement du programmatisme en s’opposant unilatéralement à l’ancien cycle faisaient de celui-ci un processus révolutionnaire non accompli, à parfaire, et donc du programmatisme un horizon indépassable : le dépassement du programmatisme venait paradoxalement chercher à le revigorer. Résoudre ce paradoxe, c’était admettre que les rapports entre les classes tels que la crise les définit doivent être transformés pour qu’il y ait révolution, c’était admettre la nécessité de la révolution.

On a vu dans l’« Introduction » à Théorie Communiste n°3 (mars 1980), qu’admettre qu’il faille qu’il y ait une transformation du rapport entre les classes c’est nécessairement considérer la restructuration comme possible et nécessaire. Sans cela, on tombe dans d’autres impasses, comme le télescopage de la restructuration et de la révolution ou une situation alternative entre restructuration et communisme.

Dans ces deux cas l’impasse réside dans le fait que l’on ne saisit pas le prolétariat comme classe du mode de production capitaliste, on ne considère pas le communisme comme résultant de la contradiction elle-même mais inscrit dans l’être du prolétariat. S’il y a restructuration, c'est-à-dire possibilité de reprise de la valorisation, d’augmentation de la productivité, d’extension du cycle du capital, il y a alors raffermissement de l’autoprésupposition du capital. Alors, « où en est-on quant à la production théorique, aujourd’hui où se révèle la nécessité d’une restructuration ? »

Dynamique actuelle de la production théorique

L’analyse de la restructuration est la base de la production théorique actuelle. Cependant, en faire cette base c’est définir le cours d’une contradiction entre les classes qui est simultanément procès de caducité du capital. Il ne s’agit pas en parlant de restructuration du capital de présenter un désintérêt pur et simple pour le cours immédiat de la contradiction entre le prolétariat et le capital, il s’agit bien plutôt de placer la production théorique dans le cours de la révolution, c'est-à-dire de la produire comme bilan critique de l’ancien cycle qui est positivement dépassement du programmatisme, et de la produire simultanément comme partie intégrante du cours historique de la révolution, c'est-à-dire comme critique du nouveau cycle de luttes sur la base de sa propre dynamique en ce qu’il produit son dépassement comme révolution. Tel sera le mouvement de cette troisième partie.

La restructuration base de la production théorique

Nature de la restructuration

La description de la restructuration en cours a déjà été abordée dans les numéros 3 et 4 de Théorie Communiste (mars 80 et décembre 81). Il semble que la façon la plus satisfaisante de l’aborder, la plus globale, et s’articulant comme on le verra avec le nouveau cycle de luttes, soit celle qui part de la transformation su rapport entre la valorisation et ses conditions, c'est-à-dire qu’il faut fonder la restructuration au niveau de l’autoprésupposition du capital.

La tendance essentielle de la restructuration réside dans le fait que le mouvement de la valorisation ne se distingue pas comme moment particulier par rapport aux conditions de sa reproduction. On peut dire qu’elle s’en empare, qu’elle les parcourt. Ces conditions de reproduction étaient bien déjà totalement définies par le capital et spécifiquement capitalistes, le capital en domination réelle s’est emparé des conditions de sa reproduction. Cependant dans le mouvement d’ensemble de la reproduction des rapports sociaux capitalistes, la valorisation était définie comme moment particulier ; c’est cela qui se transforme. Il n’y a appropriation des forces sociales du travail (problème central de la restructuration comme transformation du rapport entre le prolétariat et le capital) que si l’interdépendance générale du travail humain, tant comme marché mondial, comme moment de la reproduction de la force de travail en tant que force sociale (éducation, famille, chômage, maladie, etc.) que comme circulation, est posée comme une totalité que la valorisation parcourt.

Il ne s’agit plus simplement que tous ces mouvements concourent à la valorisation, mais que la valorisation ne s’y perde pas ; ce n’est qu’ainsi que cette force de travail sociale que le capital a créée devient en tant que telle force productive du capital en même temps que la coopération, l’association, la division du travail, la science, dans le procès de travail immédiat. Les transformations techniques qui se déroulent dans ce dernier (automation – cf. TC 3) sont adéquates à son propre niveau à l’appropriation des forces sociales du travail, mais aussi au niveau du procès d’ensemble, elles sont l’objectivation générale de cette appropriation dans le capital fixe : rendre productive la segmentation de la force de travail, ou faire que la valorisation parcoure la circulation, nécessitent cette objectivation dans le capital fixe des forces sociales du travail qui se développent dans le procès immédiat du production. Il n’y a pas deux aspects mais un seul mouvement.

Ce n’est qu’ainsi que l’ensemble des forces sociales du travail sont appropriées par le capital, parce que c’est l’appropriation elle-même qui devient sociale. En effet, l’exploitation au sens strict n’est plus ce moment particulier de la reproduction de la société ; même si elle la définissait, elle la parcourt, l’innerve et s’y retrouve. L’appropriation des forces sociales du travail c’est avant tout une appropriation sociale du travail comme force productive, appropriation sociale c'est-à-dire étendant l’exploitation sur l’ensemble de la reproduction des rapports sociaux. C’est dans ce processus que division sociale et technique du travail, coopération, science, association, sont appropriés par le capital de façon adéquate et objectivés dans le capital fixe. Appropriation sociale, c'est-à-dire appropriation du travail vivant comme force sociale, exploitation sur l’ensemble du procès de reproduction du capital comme rapport social.

Inversement, c’est dans la mesure où s’effectue ce processus que se produisent en tant que telles les forces sociales du travail, c'est-à-dire qu’elles ne se produisent et n’existent qu’en tant qu’elles sont appropriées de façon adéquate par le capital. Ces quelques considérations poursuivent ce qui a été avancé à propos de l’histoire de la domination réelle. En effet, la restructuration répond là de façon spécifique aux axes qui avaient porté la baisse du taux de profit dans la période précédente.

Ce mouvement d’appropriation sociale de la force de travail signifie également une extension des secteurs productifs. Dans la restructuration actuelle, la transformation des secteurs ayant trait à la reproduction de la force de travail en tant que force sociale et au niveau de la continuité de son cycle d’entretien se situe dans ce procès général de modification du rapport entre la valorisation et le conditions de son renouvellement.

Cette transformation n’est pas simplement privatisation ou rentabilisation de secteurs anciens, elles est modification de la façon dont se déroule l’autoprésupposition. Elle en fait partie au niveau de la segmentation de la force de travail, et parfois même de la prise en charge « autogestionnaire » de fragments de cette reproduction. Ainsi ce n’est pas la privatisation ou la rentabilisation de quelque chose de déjà existant. Tout le problème de l’extension des secteurs productifs dans ce domaine se situe donc dans la crise actuelle, c’est dans la restructuration qu’il prend son sens, ce n’est pas une simple question de « théorie fondamentale ».

Cependant là où l’on aborde en quelque sorte un problème de théorie fondamentale, c'est-à-dire la dénomination de productif appliqué à ces secteurs (éducation, médecine, loisirs, etc.). Il s’agit d’établir s’ils peuvent être productifs au sens strict, c'est-à-dire productifs de plus-value. En effet, la rentabilisation des banques, des assurances, des sociétés commerciales, ne les métamorphosera jamais en secteurs productifs au sens strict, elle ne fera qu’amoindrir les faux-frais de la circulation.

Si l’on met de côté une vision qui n’accorde le statut de productif qu’à la production de biens matériels, il semblerait qu’au travers de l’œuvre de Marx on puisse dégager quatre critères pour définir un secteur productif :

  1. qu’il ne fasse pas circuler une valeur déjà produite (banque, commerce, publicité);
  2. que le travail y fasse face au capital (exclusion des cas atypiques de la petite production marchande);
  3. qu’il y ait production ou transformation de la valeur d’usage (ce critère permet d’inclure les transports dans les secteurs productifs); on rejoint ici le point 1. En effet, on ne travaille pas deux fois, une fois pour produire une valeur d’échange, une autre pour une valeur d’usage ;
  4. que le capitaliste achète le travail en tant que capitaliste et non en tant que consommateur achetant un service. Ce dernier critère n’est qu’une restriction apportée par Marx dans le «sixième chapitre » pour montrer que le capitaliste n’agit pas en tant que tel chaque fois qu’il dépense son argent. Ce qui n’empêche pas que le travail fournit à ce premier capitaliste peut être du travail productif s’il est fournit par un ouvrier travaillant pour un autre capitaliste, qui lui, emploiera alors son argent comme capital.

Si l’on parle de secteur et non pas de travailleur productif, c’est pour éviter dans le sujet qui nous intéresse ici, les problèmes qui tournent autour du travailleur collectif évoqués dans le « sixième chapitre ». Le problème de savoir si tel ou tel travailleur pris individuellement était productif, était essentiel pour le programme en domination formelle, tant en ce qui concerne son but (une société fondée sur la valeur), qu’en ce qui concerne sa tactique (formation d’un parti ouvrier, alliance de classe… la politique en quelque sorte).

Pour en revenir à la question, il semblerait donc au travers de ces quatre critères que l’on puisse parler non seulement de rentabilisation de ces secteurs, mais bel et bien de création de secteurs productifs. Cela est essentiel pour la masse totale de plus-value produite au niveau de la société. En effet, dans un premier temps, on peut considérer que cette masse étant déterminée par le taux d’exploitation et le nombre d’ouvriers employés à ce taux, elle augmente si la force de travail rejetée de l’industrie (secteurs productifs classiques) est compensée par une augmentation du taux d’exploitation. Dans un deuxième temps, considérer les modifications de ces secteurs nouveaux comme transformation en secteurs productifs, c’est non seulement considérer qu’elles vont permettre un abaissement de la valeur de la force de travail qui rejaillirait sur le taux d’exploitation dans les secteurs productifs (ce qui serait une simple rentabilisation) mais c’est encore considérer que la force de travail employée dans ces secteurs agit comme multiplicande sur le taux d’exploitation, donc fait par elle-même croitre la masse de la plus-value au niveau social.

On a là, encore une fois, la confirmation que la restructuration n’est pas simplement augmentation de la masse de la plus-value, ou simplement transformation du rapport entre les classes, mais qu’elle n’est l’un que par l’autre. Il n’y a pas dans l’histoire du capital de simple progression quantitative, mais il n’y a pas non plus de transformation du rapport entre les classes qui ne soit pas croissance quantitative, parce que le capital est exploitation.

Une présentation de la restructuration dans ses grandes tendances doit également la saisir comme contrerévolution.

En effet, non seulement elle répond aux axes qui avaient porté la baisse du taux de profit dans la période précédente, mais par là même, elle répond au cycle de luttes antérieur se définissant autour de la gestion ouvrière, l’hégémonie du prolétariat, expression de la valorisation comme moment particulier de la reproduction des rapports sociaux. Il y a, comme on le verra, un développement spécifique du programmatisme en domination réelle qui n’est pas seulement décomposition comprise comme une sorte d’essoufflement.

Mais si la restructuration est contrerévolution, c’est que non seulement elle répond au cycle de luttes antérieur mais encore retourne ses limites dans son propre mouvement. Ainsi tant les transformations réalisées au niveau du procès immédiat de production que la possibilité pour la valorisation de parcourir ses propres conditions de renouvellement au travers de la segmentation de la force de travail, ne peuvent s’effectuer qu’au travers d’une « autre façon de travailler », une gestion locale, des formes d’autogestion. Nous avons là simplement le fait que la restructuration n’est pas un projet du capital, que les luttes ouvrières aident ou contrecarrent, mais qu’elle n’a, comme tout le développement du capital, d’autre dynamique que la contradiction entre le prolétariat et le capital, qu’elle n’est rien d’autre.

On ne peut décrire la restructuration et surtout la comprendre comme une succession, un assemblage, de déterminations économiques, une suite d’éléments. C’est un procès de restructuration du rapport entre les classes, c’est le retournement dans la contrerévolution des limites de l’ancien cycle, c’est la réponse aux axes qui avaient porté la baisse du taux de profit dans la période précédente, c’est également la réalisation de la signification historique du capital.

Dire que la contradiction entre le prolétariat et le capital n’est pas différente du développement du capital, c’est dire qu’il n’y a pas besoin de concevoir le prolétariat comme ambivalent pour qu’il soit simultanément élément de la contradiction motrice du capital (et non sujet du capital, le capital est tout autant sujet que le prolétariat) et révolutionnaire, mais par contre il devient alors indispensable d’arriver à poser comment la contradiction entre le prolétariat et le capital, le développement du capital, devient révolutionnaire. Sans une telle perspective, toute analyse de la restructuration devient analyse d’éléments disparates, participants d’un projet que la crise ou les luttes viennent remettre en cause (comme si la crise pouvait être un frein à la restructuration), analyse de la condition favorisant ou contrecarrant l’apparition du prolétariat en tant que « sujet révolutionnaire ». Dans notre perspective, le problème de la restructuration a donc une importance capitale, le problème du développement du capital est consubstantiel à celui de la production du rapport révolutionnaire.

La restructuration, moment du procès historique de la révolution

La phase qui s’ouvre n’est pas une phase qualitativement différente de la domination réelle. Il n’y a pas de troisième phase de l’évolution du capital après la domination formelle et la domination réelle. La restructuration actuelle, on l’a vu, n’est pas un approfondissement de la domination réelle telle qu’elle s’est développée jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas la poursuite du dépassement de la domination formelle. La restructuration ne répond pas en plus poussé à la domination formelle, aux limites de la plus-value absolue ; elle répond aux problèmes soulevés par la domination réelle elle-même, aux axes qui portèrent la baisse du taux de profit dans la période antérieure et sur lesquels éclata la crise : la création d’une force de travail sociale tant au niveau du procès de production immédiat, qu’au niveau de la reproduction de la société devenue métabolisme du capital. Les axes qui portèrent la baisse du taux de profit tiennent à la domination réelle elle-même. L’automation, les transformations dans le rapport entre la valorisation et ses conditions, le fait que l’exploitation parcoure ses propres conditions de renouvellement, se mettent en œuvre dans l’éclatement de la contradiction entre le prolétariat et le capital à l’intérieur de la crise. une fois que le travail est totalement spécifié par le capital, c'est-à-dire avec la prédominance de l’extraction de plus-value relative, apparaît une série de contradictions que le capital peut résoudre à l’intérieur de lui-même, en domination réelle. Considérer la restructuration comme « retouche » ou approfondissement c’est ne pas considérer que la domination réelle crée ses propres contradictions, ses propres « difficultés ».

On l’a vu dans le paragraphe précédent, l’importance du problème de la restructuration, et c’est en cela qu’il structure la production théorique, vient du caractère indispensable d’arriver à poser comment la contradiction entre le prolétariat et le capital devient rapport révolutionnaire. Si poser la nécessité d’une restructuration c’est poser la nécessité du développement maximum des potentialités du mode de production capitaliste, c’est que ce développement maximum c’est la création d’un rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital tel qu’il puisse devenir rapport révolutionnaire, il est évident que ce rapport même est développement du capital.

On ne peut se contenter de raisonner sur une possibilité abstraite de la révolution provenant de ce que l’on est de façon générale en domination réelle ; à partir du moment où l’on pose que la révolution est la résolution d’une contradiction qui est l’exploitation et que celle-ci est développement du capital, il faut alors analyser ce développement lui-même. C’est un point de méthode. Analyser ce développement ce n’est pas analyser des potentialités mais analyser le rapport contradictoire lui-même, donc le procès de la lutte des classes. À la limite, il est exact que le communisme n’est possible qu’une fois développées toutes les possibilités du capital, parce que la potentialité maximum du capital, son développement suprême, c’est le rapport révolutionnaire. Ce dernier n’est pas un moment pouvant survenir simplement parce qu’on est en domination réelle, mais il est lui-même un stade de cette domination réelle et de son développement.

L’évacuation d’une telle histoire de la domination réelle détermine une approche de la crise dans laquelle celle-ci s’ouvre sur deux possibles : restructuration ou caducité des rapports sociaux capitalistes. Avoir une vision unitaire du développement du capital et de la lutte de classes ne consiste pas à parler en même temps des deux, à dire que les deux sont possibles, à les juxtaposer, à dire que la crise a un procès contradictoire : procès de la restructuration ou procès de caducité du capital. comme si la restructuration excluait la caducité. C’est dans son développement que le capital se manifeste dans les procès de son abolition, les deux termes ne sont pas deux ouvertures constamment possibles mais un seul procès. Pour les comprendre séparément comme deux termes d’une alternative, il faudrait montrer comment dans toute crise se manifeste cette caducité en dehors de la restructuration et du développement même du capital. Lors du passage en domination réelle, on peut en effet montrer comment l’amalgame des travailleurs productifs et improductifs dans un travailleur collectif, comment la dévalorisation inhérente (accroissement de la productivité) se confondent avec la valorisation, sont des mouvements qui manifestent la caducité du rapport salarial, il n’empêche que cette « caducité » n’était pas un autre terme, contradictoire à ce qui était alors la restructuration du capital. il en est de même dans la crise actuelle : inessentialisation du travail immédiat, dilution dans l’ensemble du cycle de reproduction du capital de la contradiction entre valorisation et dévalorisation ; ces deux éléments entre autres manifestent la caducité du rapport salarial mais ne la manifestent pas autrement que comme moment de la restructuration.

Parler de restructuration c’est définir le cours d’une contradiction entre les classes et non d’un côté un projet du capital et de l’autre des luttes ouvrières. Le rapport entre crise et restructuration n’est pas la base d’une alternative, n’a pas deux issues possibles : la restructuration (reprise du capital), la révolution. Poser l’alternative nécessite de faire appelé à une nature révolutionnaire du prolétariat que la crise vient faire éclater et que la restructuration tente d’occulter. Le prolétariat serait à nouveau scindé en deux : d’un côté une nature révolutionnaire, de l’autre une nature de classe du capital.

Il est évident que parler de restructuration en refusant une position alternativiste revient à ne pas reconnaître de caractère communiste à l’ancien cycle de luttes, mais c’est dès que l’on parle de cycle de luttes que l’on récuse une position alternativiste. La notion de cycle de luttes s’enracine dans le fait d’inclure toutes les luttes du prolétariat dans un rapport entre prolétariat et capital. La notion de cycle de luttes n’est pas une simple notion descriptive, une synthèse commode de la diversité des luttes à une époque donnée, elle renvoie à l’analyse de la contradiction entre le prolétariat et le capital.

Une fois critiquée toute nature révolutionnaire d’un être du prolétariat, toute vision où le prolétariat est révolutionnaire par autre chose que sa situation de classe du mode de production capitaliste, toute appréhension où sa contradiction avec le capital révèlerait autre chose par quoi il se nierait, ce par quoi seulement il deviendrait révolutionnaire ; une fois toutes ces critiques faites et l’exploitation définie comme étant la seule contradiction et simultanément le développement du capital, la notion de cycle de luttes c’est cette contradiction qu’est l’exploitation dans son approche historique et simultanément ce en quoi elle porte le communisme comme résolution au travers même du développement du capital qui est sa propre histoire.

La restructuration ne peut donc jamais être considérée comme une ensemble de conditions ou un projet du capital, elle est processus de la contradiction entre le prolétariat et le capital, elle est articulation réelle, le passage dynamique entre l’ancien et le nouveau cycle de luttes. Faire de la restructuration la base de la production théorique c’est définir celle-ci dans l’articulation de ces deux cycles, tant dans son contenu que dans sa possibilité même d’existence en tant que théorie de la lutte de classes et perspective de la révolution.

Bilan critique de l’ancien cycle

L’ancien cycle comme décomposition du programmatisme

Le bond essentiel effectué par la lutte des classes quant à son contenu en domination réelle est pour nous le fait que la révolution ne peut plus être autonégation du prolétariat. Cela signifie corollairement l’impossibilité de formuler tout programme minimum destiné à assurer la liaison entre la défense d’un être de la classe dans le capital et le communisme, l’impossibilité et le caractère contrerévolutionnaire de toute période de transition et surtout l’impossibilité de passer en droite ligne de la défense de la condition prolétarienne au communisme. C’est la décomposition du programmatisme : en domination réelle le rapport contradictoire entre les classes ne contient plus le prolétariat comme élément positif à dégager de la domination du capital. De façon générale, on peut dire qu’il y a intégration de la reproduction du prolétariat dans la reproduction élargie du capital et cela comme dynamique de cette reproduction. Cela ne signifie pas la fin de la lutte de classes mais plutôt qu’elle ne peut se résoudre immédiatement que par le communisme, l’abolition du capital devient synonyme d’autonégation du prolétariat. C’est dans son rapport à la défense de la condition prolétarienne et dans l’impossibilité de passer de celle-ci à la révolution que se situe l’essentiel de la décomposition du programmatisme.

C’est dans cette période de la domination réelle que s’enracine socialement le gauchisme. Historiquement, le gauchisme moderne apparaît à la fin des années trente ; la période du Front Populaire est, en France, le moment où l’on peut commencer à le saisir de façon propre. Dans la situation précédemment décrite, le gauchisme consiste à persister à établir une liaison révolutionnaire entre défense de la condition prolétarienne et communisme. Cependant, la décomposition sociale de ce lien entraine que pour la première on ne fera que titiller les syndicats ou le parti communiste, les accuser de détourner la lutte des classes, et pour le second on n’aura plus affaire qu’à une vague période de transition ou un but final inreliable avec le premier point, si ce n’est au travers de conditions accumulées par le capital ou au prix de conditions mythiques que précisément la dilution du passage de la défense de la condition prolétarienne au communisme empêche réellement de constituer.

Les luttes élémentaires ne sont plus que luttes sur la répartition de la valeur marchande engendrée, elles mettent en cause le partage du fruit de l’exploitation non l’exploitation elle-même. La lutte pour le partage de la valeur nouvellement produite ne peut avoir pour cadre que l’autoprésupposition du capital. Au niveau de cette répartition prolétariat et capital s’affrontent comme deux éléments égaux ayant participé à la création de cette valeur. L’exploitation n’y apparaît pas comme contradiction mais comme injuste partage des revenus ; à ce niveau le salaire ne fonctionne que comme revenu. Et c’est précisément là-dessus que fonctionne le syndicalisme qui ne détourne pas le prolétariat mais est un mode d’existence de celui-ci dans l’autoprésupposition du capital. Si les syndicats deviennent un mécanisme d’intégration du prolétariat à l’entreprise, à la nation, au capital, c’est bien parce qu’ils sont ce mode d’existence du prolétariat dans l’autoprésupposition du capital. Dans la décomposition du programme, le gauchisme se situe au même niveau que les syndicats et ne préconise qu’une radicalisation des luttes syndicales. Les syndicats ne sont pas un appareil posé sur la classe ouvrière mais un mode de se reproduction dans son rapport au capital : rapport au capital dans l’autoprésupposition de celui-ci, sur la répartition de la valeur nouvellement produite, c'est-à-dire au niveau du profit, et du salaire comme revenu.

Si ce n’est pas en tant que telles que ces luttes manifestent un caractère révolutionnaire, l’antagonisme qu’elles expriment est le procès dans lequel le capital résout sans cesse et porte à un niveau supérieur sa contradiction mortelle : l’extraction de plus-value et le rapport de celle-ci à la masse du capital. C’est par là que périodiquement les luttes élémentaires débordent le cadre syndical, mais là l’essentiel est dans le débordement qui signifie la résurgence du rôle spécifique du prolétariat comme seul producteur et non pas comme ayant droit aux fruits de la croissance ou de sa propre exploitation. Ce n’est pas dans les luttes élémentaires en tant que telles mais à ce niveau que se situe la relation avec le procès historique de la révolution et, empiriquement, c’est à ce niveau qu’ont toujours existé, dans l’ancien cycle, en domination réelle, les rapports entre les groupes révolutionnaires et les luttes élémentaires, même si ces groupes se limitaient à une critique formelle de la défense de la condition prolétarienne. Actuellement l’activité théorique et révolutionnaire ne soit pas tenter de faire mieux que les syndicats mais de mettre en évidence, même dans le débordement des syndicats, que c’est la défense de la condition prolétarienne, et non les syndicats eux-mêmes, qui constitue la limite sur laquelle vient butter la lutte des classes.

La domination réelle est la perspective historique qui fait du programmatisme un gauchisme de groupuscule. C'est-à-dire que la conjonction des luttes immédiates et du communisme, reliés entre eux par l’accumulation de conditions objectives, une situation politique, par la démystification de la conscience du prolétariat, la façon dont s’effectue cette conjonction est un phénomène typique de la domination réelle. Lorsqu’en effet on ne peut plus passer de façon quasi automatique de la défense de la condition prolétarienne au communisme, c’est alors qu’apparaît le gauchisme. Relier les luttes immédiates à la révolution (ce qui n’est plus le problème des grandes organisations syndicales) devient le fait de groupuscules qui ne peuvent, au mieux, que vivre en surenchérissant sur les syndicats et partis traditionnels défenseurs de la condition prolétarienne dans l’autoprésupposition.

La décomposition du programmatisme c’est aussi le problème de la période de transition. Cette dernière n’était pas qu’une mesure technique, une nécessité pour accumuler les conditions, c’est la façon dont se posait la révolution comme libération du travail qui, contre le capital, nécessitait l’instauration de la valeur comme mode de production. Cette notion de période de transition est critiquée dès le début de la crise (nous verrons plus loin ce qu’il en était advenu en domination réelle avant la crises actuelle) tant théoriquement que pratiquement.

Théoriquement, par tout ce qui sort au début des années 70 de l’ultragauche (Négation, Intervention Communiste ; Barrot dans son premier livre Le Mouvement communiste – Ed. Champ libre – est très réservé sur la question) ; pratiquement par tous le mouvement exprimant que la libération du travail ne pouvait plus être la perspective historique de la révolution : refus du travail, émeutes des ghettos, sabotages, pillages divers. De façon générale, dès qu’éclate la crise, le problème est balayé, ne se pose pas, comme cela apparaît en Mai 68. Il faut créer de nouveaux rapports sur l’ensemble de la société en prenant « l’homme » au-delà de sa caractérisation de producteur, le prendre comme dirigé, soumis ; l’aliénation devient le concept clef dans une problématique humaniste. C’est par là que le problème éminemment ouvrier, « producteur », de la transition se trouve évacué, lorsqu’éclate l’ancien cycle de luttes dans la perspective de réorganisation sociale que lui ouvre la crise de l’autoprésupposition. Il y a bien sûr des groupe qui continuent, tout au long des années 70, cette problématique de la période de transition (comme « Révolution internationale », par exemple), mais pour cela il faut déployer des trésors d’âneries assez peu souvent égalés.

Avec la domination réelle, dès la révolution, le communisme se présente pour ce qu’il est même s’il a une histoire. Cependant dire que le communisme apparaît d’emblée ne signifie pas qu’il préexiste comme élément de la contradiction ; il ne s’agit pas de substituer à la contradiction entre le prolétariat et le capital une contradiction en capital et communisme sous prétexte que la révolution débouche d’emblée sur le communisme et qu’elle est autonégation du prolétariat.

La formulation du concept de programmatisme et par là même le dépassement d’une critique simplement formelle de la défense de la condition prolétarienne, constitue le point fondamental de la critique de l’ancien cycle de luttes, celui qui détermine tous les autres : position par rapport aux luttes immédiates, aux syndicats et organisations ouvrières, par rapport à la période de transition, par rapport à ce qu’est la révolution. C’est cette compréhension qui permet de rejeter toute vision faisant de l’idéologie « ouvrière », des syndicats, une mystification. On pourrait prendre tous les thèmes du programmatisme et analyser comment, s’organisant comme libération du travail, s’effectue leur décomposition en domination réelle, et cela à partir du thème central que constitue le rapport entre les luttes immédiates et la révolution. La décomposition du programmatisme c’est la disjonction de ces deux termes.

Établissement de liaisons nouvelles entre luttes immédiates et révolution, appréciation nouvelle de l’organisation, de la période de transition, critique formelle de la défense de la condition prolétarienne, sont des thèmes qui entre autres font de l’ancien cycle de luttes un procès de décomposition du programmatisme. Cependant cette décomposition n’est pas un simple essoufflement c’est quelque chose de nouveau qui se produit, le programmatisme tel qu’il se développe durant cette phase de la domination réelle trouve dans celle-ci sa spécificité, il ne s’agit pas d’une lente destruction.

C’est un développement spécifique du programmatisme qui peut être appréhendé comme décomposition du programmatisme. Si on continue à la saisir comme décomposition c’est que le moment fondamental du programme c’est l’affirmation du travail, la libération du prolétariat, la réappropriation. Dans les rapports de classes de la domination formelle, l’affirmation du travail est dépassement du capital, fondation d’une autre société (transition), dictature du prolétariat. La décomposition du programmatisme recouvre d’abord la disjonction de cette liaison entre affirmation du travail et dépassement du capital. Plus fondamentalement, la décomposition du programmatisme recouvre le fait que le programmatisme en domination formelle est capable de résoudre la contradiction générale de la lutte de classe : une classe en tant que classe abolit les classes ; dans le programmatisme, le but final, le programme maximum, n’est jamais oublié. Le programmatisme étant capable de poser la résolution de cette contradiction comme mouvement de libération du travail, comme possible transcroissance à partir des luttes immédiates. C’est donc par rapport à cette situation que la disjonction entre révolution et luttes immédiates peut être appréhendée comme décomposition du programmatisme. Dépendant c’est l’organisation spécifique du programmatisme en domination réelle qui est ce processus de décomposition, il ne s’agit jamais d’un simple essoufflement. La décomposition du programme c’est un cycle de luttes spécifique à la domination réelle.

L’ancien cycle comme spécifique à la domination réelle

Concevoir qu’en domination réelle la décomposition du programmatisme n’est qu’essoufflement, c’est concevoir que le but demeure le même qu’antérieurement, mais que les moyens d’y parvenir ont disparu (la conjonction entre luttes immédiates et révolution). Le but à atteindre serait le même et n’apparaitrait que par défaut dans les luttes de ce cycle. On ne comprend pas alors la domination réelle comme un rapport spécifique entre le classes, on ne comprend pas l’ancien cycle comme ayant une base propre, une autonomie, une existence en lui-même. Toutes les luttes de cette période n’ont pas comme seul point commun d’être contemporaines, elles sont les éléments d’une seul cycle qui a sa dynamique et son unité. La disjonction des deux termes dont il a été question dans le paragraphe précédent donne naissance à une autre unité, une autre problématique, une autre perspective de la lutte de classe, un autre cycle de lutte.

C’est en tant que cours heurté de la défense de la condition prolétarienne qu’on peut définir ce cycle de luttes, ou plutôt au travers de cette notion. Dans « Des luttes actuelles à la révolution » (Théorie Communiste N°4), nous appelions ainsi le passage de l’antagonisme entre prolétariat et capital (antagonisme se situant au niveau du profit, de l’autoprésupposition du capital, posé comme la dynamique même du capital dans son rapport à lui-même) au rôle spécifique du prolétariat au niveau de la plus-value. C’est dans ce mouvement que nous expliquions les syndicats en domination réelle. Il s’agissait, en résumé, du passage d’un antagonisme sur la « juste répartition des fruits de la croissance » dans le cadre de l’autoprésupposition où tous les éléments du procès de production se présentent comme également productif, à la contradiction sur la production de cette valeur et de la plus-value où apparaît le rôle spécifique du prolétariat.

Cette problématique est un peu trop simpliste. C’est une réduction de l’apparition du rapport entre prolétariat et capital comme contradiction à la phase de crise et une limitation à cette phase du « cours heurté de la défense de la condition prolétarienne » ; si bien que l’autoprésupposition devient une sorte de processus automatique, un espace bétonné par le capital où en fin de compte la lutte de classes est entièrement exprimée par la pratique syndicale. Il est évident qu’une telle simplification aboutit à une vision fausse. On ne peut limiter le cours heurté de la défense de la condition prolétarienne aux seules phases de la crise.

La transformation de la plus-value en profit est un procès qui se déroule constamment dans le mouvement du capital ; c’est parce que le procès de production est extraction de plus-value qu’à la fin de chaque cycle la valeur produite affronte le prolétariat comme quelque chose qui lui est étranger et se rapporte à la valeur avancée (rapport du profit, rapport du capital à lui-même).

Il ne s’agit pas simplement de dire à partir de l’analyse théorique que le profit se ramène constamment à la plus-value, mais de dire que l’autoprésupposition du capital, le rapport du capital à lui-même ne s’effectue que parce que le procès du capital est extraction du plus-value. Il ne s’agit pas de dire que le profit vient masquer le plus-value, mais plutôt à l’inverse, que l’extraction de plus-value implique sa transformation en profit. L’autoprésupposition du capital est impliquée par l’extraction de plus-value, il n’y a pas d’espace bétonné de l’autoprésupposition.

Dans le cycle de luttes qui s’achève, le cours heurté de la lutte de classes évoluait d’une pratique, fondée sur le rôle spécifique du prolétariat qui avait pour contenu la gestion, le pouvoir ouvrier, à une pratique de simple antagonisme qui avait pour contenu le salaire et l’intégration de celui-ci dans la reproduction d’ensemble du capital. Ce qui liait les deux et en faisait deux moments d’un seul mouvement, c’était la reconnaissance dans le développement de la domination formelle que la contradiction n’avait plus lieu d’être – ce à quoi se limitait la pratique syndicale – mais ce à quoi visait également le prolétariat dans sa spécificité ; la revendication selon laquelle la contradiction n’avait plus lieu d’être devait devenir gestion ouvrière.

L’analyse de la défense de la condition ouvrière (principalement les luttes autour du salaire) dans l’ancien cycle, doit mettre en avant comment en domination réelle la contradiction entre prolétariat et capital devient une contradiction motrice se résolvant à l’intérieur du mode de production capitaliste. La défense de la condition prolétarienne n’est plus l’antichambre de la révolution, mais l’on doit montrer le cours heurté de cette défense. Si l’unité du processus réside dans la revendication selon laquelle la contradiction n’a plus lieu d’être on retrouve là tant le cycle de luttes à son niveau syndical qu’au niveau des revendications gestionnaires. C’est ce dernier aspect qui est essentiel dans l’ancien cycle de luttes : l’ancien cycle comme pouvoir ouvrier, tentative d’hégémonie.

Ce ne sont pas seulement les moyens qui on travail disparu que les but qui s’est transformé par rapport au programmatisme classique. Il y a autant de différences entre le programmatisme classique et l’ancien cycle de luttes qu’entre la dictature du prolétariat et l’autogestion. Poser que la contradiction n’a plus lieu d’être c’est pour le prolétariat reconnaître que sa reproduction fait partie du cycle propre du capital, qu’il est même devenu un élément de la contradiction motrice du mode de production, mais aussi reconnaître cela dans le rapport tel que l’a dorme la domination réelle jusqu’à présent, c'est-à-dire distinguant la valorisation comme momentn particulier de sa reproduction, particularisant dans son propre mouvement le rôle spécifique du prolétariat. Devenir classe hégémonique contre le capital, c’est chercher à résoudre la disjonction établie par celui-ci entre la particularisation du procès de valorisation où se forge son identité entant que classe productive et la complète intégration de sa reproduction dans le cycle propre du capital. C’est pour le prolétariat résoudre cette disjonction sur sa propre base de classe productive.

C’est le rapport entre la valorisation et ses conditions qui fournit la clef de cette apparente contradiction entre la domination réelle et le fait que l’on ait tout de même une forme de programmatisme typique de la domination réelle. Il ne s’agit pas pour la classe ouvrière de se libérer du capital, mais à partir d’une situation de classe totalement déterminée par le capital de revendiquer que la contradiction n’a plus lieu d’être. L’hégémonie, le pouvoir ouvrier, l’autogestion par quoi se définit l’ancien cycle de luttes depuis les années 30, ne sont pas des erreurs de théoriciens oubliant que l’on est en domination réelle et qu’il ne peut donc plus y avoir d’affirmation du prolétariat ; ce sont les conséquences explicables du rapport entre prolétariat et capital en domination réelle quand il y a particularisation du procès de valorisation. Théoriquement, cette particularisation pourra être saisir par « l’autonomie » comme « la grande usine », face à « l’usine diffuse » de la restructuration actuelle ; ce n’est pourtant pas la taille de l’usine qui importe, que cette particularisation qui s’exprime dans cette taille.

Ce ne sont pas seulement les théories de l’autonomie ouvrière mais la pratique dont elle était l’expression théorique la plus radicale qui s’effondre. Le passage à une « autonomie métropolitaine » appartient au nouveau cycle de luttes comme on le verra, ainsi que les nouveaux rapports entre luttes et absentéisme. Ne rien voir dans « l’hégémonie » qu’une idéologie est corollaire de ne pas comprendre la phase qui s’achève comme une phase de particulière de la domination réelle. En effet, si nous étions dans « La Domination Réelle », comment pourrait-il y avoir une forme de programmatisme ? Il est évident que si l’on a une conception non historique de la domination réelle, on ne peut concevoir ce qui fait l’essentiel de l’ancien cycle de luttes que comme idéologie, détournement ou mystification. L’ancien cycle de luttes dans ce qu’il a d’essentiel ne correspond pas à une domination réelle pure et dure, il nécessite une appréhension historique de la domination réelle, une périodisation. Pour que se forme « l’identité ouvrière » qui caractérise en superficie cet ancien cycle, il faut qu’il y ait spécificité de la valorisation dans le cycle général de reproduction des rapports sociaux capitalistes. La domination réelle ne détruit pas une fois pour toute le programmatisme ne laissant subsister qu’une sorte d’essoufflement et des idéologies plaquées extérieurement sur des mouvements qui ne pourraient en aucune façon se rattacher au programme.

Tous les éléments abordés dans le paragraphe précédent qui apparaissent au premier abord comme simple décomposition du programmatisme, poursuite déliquescente d’une dynamique antérieure, n’ont en réalité d’existence que dans la totalité que forme l’ancien cycle de lutte, que par rapport à son point central : le pouvoir ouvrier, l’hégémonie, la gestion. La liaison, par exemple, avec les luttes immédiates s’effectuera sur ce critère, car c’est par leur contenu gestionnaire, leur auto-organisation, qu’elles pourront être reliées à la révolution elle-même. Par rapport à cela, la finalité de la critique de la défense de la condition prolétarienne prend tout son sens, c’est le syndicat objet de la critique qui paraît être la limite, non cette défense elle-même. L’organisation quant à elle se conçoit, assez en porte-à-faux en cela, comme avant-garde de l’auto-organisation ; il faudra alors se débattre dans toutes les implications contradictoires d’une telle existence. Enfin, la question de la transition elle-même n’est pas abordée dans la même perspective que dans le programmatisme classique, on ne peut la comprendre également qu’en référence à ce qui structure l’ensemble de l’ancien cycle : l’hégémonie.

Avant l’éclatement de la crise (fin des années 60), lorsque le problème de la transition était soulevé, il se présentait comme une prolongation des visées gestionnaires du prolétariat et non pas comme sa dictature. Les définitions théoriques, les descriptions qui en sont faites ne sont rien d’autre que le généralisation de l’autogestion et excluent de leur dynamique le passage au stade supérieur : le communisme. Ce qui subsiste théoriquement de cette question dans l’ancien cycle de luttes ne peut être rattaché au programmatisme « classique » auquel on ne fait qu’emprunter la forme et le langage mais au projet révolutionnaire tel qu’il se présente en domination réelle jusqu’à la restructuration actuelle. En outre, même dans les descriptions de sociétés de transition qui sont faites (« Socialisme ou barbarie », par exemple), la possibilité même de cette description repose sur un abandon de l’exploitation comme étant la contradiction entre le prolétariat et le capital. En lieu et place on met une contradiction entre dirigeants et dirigés. Ce n’est qu’au prix de cette substitution qu’on parvient à décrire un stade transitoire. La substitution elle-même est bien incluse dans l’appréhension théorique de l’ancien cycle de luttes, elle en fait partie. Il ne s’agit pas de déboucher en effet, sur la dictature du prolétariat, sur la libération du travail de la domination du capital, mais de déboucher sur l’hégémonie du prolétariat sur la société capitaliste qui le définit lui-même. La contradiction qu’est l’exploitation ne porte de projet révolutionnaire pratiquement et théoriquement qu’en devenant contradiction de domination, revendication de liberté, de prendre sa vie en mains ; c’est là également un des points essentiels de l’ancien cycle que l’on retrouvera dans l’éclatement de la crise, dans la façon dont le point central, l’hégémonie, se manifestera.

À partir de la domination réelle, il n’y a plus de période de transition possible, de libération du travail possible, de dégagement du rapport du capital. Il n’y a plus que le prolétariat qui, sur la base de la particularisation du procès de valorisation oppose la spécificité de sa position de classe à sa complète définition par et dans le cycle du capital. C’est la dynamique de l’autogestion, de l’hégémonie : la contradiction n’a plus lieu d’être. Elle doit être abolie. Tel est le programmatisme en domination réelle, simultanément décomposition et spécifique à la domination réelle.

Si en tant que théorie du procès historique de la révolution la théorie communiste est produite comme partie intégrante du moment de la restructuration comme bilan critique de l’ancien cycle en ce que celui-ci a, dans la perspective de la révolution, sa propre critique dans la restructuration elle-même, elle est pour la même raison partie intégrante du nouveau cycle de luttes. Ce n’est pas que le procès immédiat de ce cycle de luttes puisse être perçu comme procès de la révolution, la théorie est également critique de ce nouveau cycle, critique sur la base de sa propre dynamique, en ce qu’il produit son dépassement comme révolution.

En domination réelle, le mouvement de la révolution est toujours celui de la contradiction entre le prolétariat et le capital, mais cela en ce que les formes immédiates de cette contradiction appellent leur dépassement. Avec le nouveau cycle de luttes comme avec l’ancien, ce n’est pas tellement que la théorie ne reconnaisse dans la réalité aucun moment qui lui corresponde (vision qui, à la limite, aboutit à faire de la théorie un mouvement pour lui-même) qui importe, mais que ces mouvements appellent leur dépassement, ainsi la critique perpétuelle de la théorie n’est pas pour autant une extranéité.

Nouveau cycle de luttes et révolution

Nouveau cycle de luttes et autoprésupposition du capital

L’autonégation du prolétariat n’est pas l’impossibilité du programmatisme

Il faut éviter de concevoir ce nouveau cycle de luttes au travers de l’épuisement du programmatisme. La contradiction qui se met en place au travers de la restructuration ne porte pas le communisme parce qu’elle ne pourrait plus être programmatique, par impossibilité du programme. Dans cette perspective, ce n’est pas à un nouveau cycle de luttes que l’on aurait affaire, mais à l’ancien poussé à son paroxysme. C’est naturellement au refus du travail que reviendrait ce rôle de ferment révolutionnaire, de principe de l’autonégation du prolétariat comme acte de décès du programmatisme. Il est exact que dans le nouveau cycle de luttes le refus du travail semble se radicaliser en s’élaguant de toute connotation de gestion ouvrière ou de pouvoir ouvrier. Il semble se développer pour lui-même. Mais le refus du travail ne donnera jamais le communisme à moins de l’engrosser d’une dimension humaine qui devient alors l’élément positif qui fait éclater et le capital et le prolétariat , mais à ce moment là on abandonne plus ou moins une stricte contradiction de classes car le prolétariat est déjà animé d’une contradiction interne dans laquelle ce qui porte la révolution n’est plus ce qui fait de lui une classe. Si la radicalisation du refus du travail ne portera jamais le communisme c’est parce que le refus du travail n’est qu’une notion descriptive pour un miment de la contradiction entre le prolétariat et le capital.

Il n’existe pas de contradiction entre le prolétariat et le travail. en domination réelle, le prolétariat entre en contradiction avec son activité parce que le procès de travail est totalement déterminé par le capital. L’appropriation du travail vivant devient le fait du procès de reproduction lui-même, et l’opposition à l’exploitation, à l’aliénation, devient le refus de ce qui est l’activité immédiate du travailleur dans le procès de production. C’est l’activité même du travailleur dans le procès de production qui s’oppose directement à lui et non plus, simplement, en ce qu’elle se concrétise dans un produit qui est propriété du capital. Il n’y a refus du travail que parce que c’est du travail salarié ; même s’il ne s’agit pas de dégager du carcan salarié une activité qui serait dominée, le communisme crée un nouveau mode d’activité en se fondant sur le dépassement du capital et du travail salarié.

La seule contradiction est celle qui oppose le prolétariat au capital, il n’y a rien à espérer d’une contradiction qui opposerait le prolétariat au travail car on ne se fonderait là que sur une apparence de cette contradiction essentielle, que sur une manifestation prise pour substance. Ce n’est pas de la radicalisation du refus du travail que peut résulter le communisme mais des transformations de la contradiction dont le refus du travail n’est qu’une apparence, qu’un moment que l’on ne peut théoriser pour lui-même en une contradiction entre le prolétariat et le travail. Les suites « humaines », toujours apportées à cette contradiction, témoignent en réalité de l’impasse théorique dans laquelle s’enferme cette perspective.

Le seul problème à résoudre, problème qui fonde toutes les difficultés actuelles de la théorie, est le suivant : comment le prolétariat agissant strictement en tant que classe peut-il être dans une contradiction avec le capital telle qu’abolissant celui-ci, il s’abolisse lui-même. Tout le problème est celui du contenu historique  de la contradiction.

Identité entre autonégation du prolétariat et abolition du capital

Cette identité pourrait être la définition du nouveau cycle de luttes. Jusque là l’autonégation du prolétariat n’était qu’un but final auquel l’abolition du capital servait de médiation (en domination formelle), ou bien une dynamique interne au prolétariat dont la réalisation, l’actualisation, le rendait à même d’abolir le capital (ce qu’il ne faisait plus alors en tant que classe spécifique).

Avec le nouveau cycle de luttes, c’est l’exploitation dans la totalité de ses trois moments qui est devenue le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital[5]. Pour simplifier, on pourrait dire que c’est l’exploitation en ce qu’elle est nécessairement reproduction des rapports sociaux capitalistes et cela parce que le procès de valorisation lui-même envahit tous les aspects de cette reproduction. Dans la période précédente, l’exploitation se confond avec le procès de production immédiat, moment particulier, qui rejette comme mouvement de la dévalorisation tous les autres moments du cycle du capital. Le prolétariat y étend sa lutte, elle n’y prend pas racine. Le procès de reproduction qui replace le prolétariat face au capital est un lieu d’extension de la contradiction qui prend sa source et s’enracine dans un procès d’exploitation spécifié comme moment particulier. La contradiction qu’est l’exploitation au sens strict, ne parcourt pas l’ensemble du procès d’autoreproduction du rapport capitaliste même si elle le détermine et que par là le prolétariat l’inclut dans ses luttes.

Dans l’ancien cycle, la contradiction s’ancre au niveau du procès de valorisation spécifié comme moment particulier face à la reproduction de ses conditions et de son renouvellement (dévalorisation), et c’est de la lutte à ce niveau que le prolétariat fonde la nécessité de la gestion de la société dans son ensemble : le procès de valorisation étant nécessairement reproduction de lui-même, autoprésupposition, même si les conditions de cette dernière ne sont pas elles-mêmes procès d’exploitation.

Dans le cycle de luttes qui se met en place, dire que la contradiction a pour contenu l’exploitation, c’est dire qu’elle a pour contenu la reproduction de l’exploitation, car l’exploitation parcourt l’ensemble de son cycle de reproduction. Le point central de la lutte des classes, là où se noue la contradiction, n’est plus ce moment de l’extraction de la plus-value à partir duquel seulement se joue le contrôle sur la société et sa réorganisation mais qui ne remet pas en cause l’intégrité des protagonistes. Dire que la reproduction de l’exploitation est devenue le contenu empirique des luttes, c’est dire que le prolétariat dans sa contradiction avec le capital se remet lui-même en cause comme classe ; la reproduction de l’exploitation c’est sa propre reproduction. C’est l’autoprésupposition du capital qui est devenue le théâtre de la lutte de classes.

Le nouveau cycle de luttes consiste à remettre constamment en cause que le capital soit la base du capital, que son développement débouche sur sa reproduction. Cela signifie pour le prolétariat que dans cette contradiction avec le capital, c’est aussi lui-même qu’il remet en cause. Il ne s’agit plus de dire que la contradiction n’a plus lieu d’être, il ne s’agit plus d’hégémonie, de gestion, mais d’entrer en contradiction avec le capital parce que son développement est sa propre base, de mettre en cause cela en se remettant par là même soi-même en cause.

Le contenu de ce cycle de luttes n’est pas l’épuisement du programmatisme, une impossibilité de la libération du travail qui devrait bien se muer en autonégation, il n’y a pas de contenu positif autre que le communisme  et ce contenu il ne peut le développer qu’avec la crise de la phase qui s’ouvre. Ce contenu communiste ne se produira que dans la crise de l’autoprésupposition, après le développement de la phase à venir et conformément au contenu de ce développement (appropriation sociale, signification historique du capital).

Dans ce cycle de luttes, il ne s’agira pas de se libérer du capital ou de devenir classe dominante en abolissant la contradiction, il s’agira, parce que le prolétariat est contradictoire avec le capital au niveau où il est sa propre base, en tant qu’il est son propre renouvellement (l’exploitation parcourt tout le cycle de production), de créer le dépassement de la contradiction qui ne peut alors passer pour le prolétariat dans sa lutte, vu la contradiction et son contenu, que par sa propre négation. En devenant contradiction à ce niveau, l’exploitation pose comment la lutte d’une classe peut contenir, être, sa propre négation, et comment une contradiction entre les classes peut avoir pour contenu et pour dynamique autre chose que la reproduction de cette contradiction (qui est le principe même du procès du capital) ou la victoire de l’un des deux termes données de la contradiction. Ce cycle de luttes est la résolution empirique des contradictions du programmatisme ; tout au moins il porte pratiquement cette résolution.

De façon immédiate, l’analyse des luttes de ce nouveau cycle doit donc montrer comment c’est l’exploitation dans la totalité de ces trois moments qui est devenue le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital, comment le prolétariat situe sa lutte au niveau de l’autoprésupposition. Pour cela c’est le fait que la lutte de classes prend racine et ne fait pas que s’étendre à tous les secteurs de la reproduction sociale qui importe. L’affrontement avec l’État, médiation nécessaire de la reproduction des rapports sociaux, devient l’organisation des luttes et non le cadre de l’entreprise : la lutte s’organise sur la base de cette affrontement et non sur la base de l’usine (voir la Lorraine en 1978 ; Boussac dans les Vosges) ; les luttes sortent de l’usine. Il n’y a pas comme dans le cycle précédent « extension » de la lutte de classes en dehors de l’entreprise, mais directement contradiction de classes à tous les niveaux, contradiction qui se développe et prend racine pour soi-même : logement, transport, femmes, jeunes, etc. On ne se pose plus la question de « la liaison avec la classe ouvrière », avec l’usine. Ce qui compte également ce sont les luttes contre le chômage, les transformations techniques, la vie chère, luttes qui ne peuvent être limitées au niveau de leurs manifestations syndicales.

Le cœur de la lutte contre le capital au niveau de son autoprésupposition c’est que le prolétariat se retrouve à la fin du procès de production immédiat dans sa situation d’origine, toutes les conditions de la production lui faisant face comme capital. Dans ces luttes toutes perspectives gestionnaires ont disparu, elles sont devenues simplement la lutte contre le fait que les conditions produites doivent fonctionner comme capital, doivent affronter le prolétariat comme valeur devant à nouveau se valoriser pour se conserver. Dès qu’une lutte contre, par exemple, une fermeture d’entreprise prend une quelconque ampleur, elle est « paradoxalement » corollaire de la critique de la condition prolétarienne ; ce n’est pas la gestion du capital qui est en jeu mais la reproduction d’un rapport de classes. On peut lutter contre le chômage et critiquer la condition prolétarienne. Nous verrons plus loin le cours heurté de ce cycle de luttes ; nous nous intéressons pour l’instant à ce en quoi la contradiction se situe au niveau de l’autoprésupposition et la remet en cause, nous verrons que le cours heurté de ce cycle de luttes vient du fait que simultanément la contradiction peut si situer à ce niveau et ne pas remettre en cause l’autoprésupposition, n’en être qu’un moment étant l’expression de la contradiction motrice du capital.

Ce que l’analyse de luttes doit également montrer en deuxième lieu après le fait que la contradiction se situe au niveau de l’autoprésupposition, c’est précisément cette critique de la condition prolétarienne que contiennent quasiment toutes les luttes actuelles. C’est là un point central à dégager : « refus du travail » sous toutes ses formes, désintérêt pour la grève en elle-même, l’occupation, non entretien du matériel, non prise en compte des besoins sociaux.

De la même façon qu’il y a contradiction avec les conditions produites comme devant être du capital, cette contradiction implique, contient, la remise en cause de soi-même comme devant valoriser cette valeur produite. Pour ce point là, les exemples abondent. On peut également inclure dans cet aspect du cycle de luttes, les luttes contre l’intérim qui, comme pour les fermetures d’entreprises, ne sont pas une apologie a contrario de la situation de prolétaire stable.

Ce qui sur ces deux points distingue la manifestation syndicales de ces luttes, c’est que cette dernière gomme que la contradiction se situe au niveau de la remise en cause de l’autoprésupposition – cette dernière est la terre nourricière des syndicats – en gommant que le prolétariat se remet lui-même en cause dans sa contradiction avec le capital.

Enfin le troisième point que l’analyse des luttes doit montrer c’est comment quand la contradiction se module au niveau de l’autoprésupposition du capital, quand cette contradiction porte le communisme dans la crise de cette phase, il n’y a aucune manifestation positive de projet de dépassement du capital qui se manifeste. Le prolétariat n’a plus aucune positivité à dégager, ne serait-ce que celle provenant de la particularisation du procès de valorisation, la contradiction parcourt l’ensemble du procès de reproduction des rapports sociaux. Abolir et dépasser la contradiction avec le capital ce n’est ni s’affirmer, ni s’emparer de la société, ce ne peut être qu’abolir le capital, ce qui est alors identique à sa propre abolition. Aucun mouvement social, aucun projet qui part de ce qu’il est dans la société capitaliste et en le conservant ne peut lui donner le moindre pouvoir sur ce qu’il est.

C’est là, dans cette absence totale de projet de réorganisation sociale prenant pour base ce qu’est le prolétariat dans la société capitaliste, que se lite le fait que le seul dépassement que peut porter cette phase dans sa crise, c’est le communisme qui s’impose comme abolition du capital identique à l’abolition du p. La période n’autorise la formation d’aucun autre projet de réorganisation sociale comme cela fut le cas avec l’hégémonie ou l’autogestion, le seul autre projet c’est celui des syndicats se développant dans l’autoprésupposition, c’est leur stratégie sociopolitique (cf. infra). Toute tentative d’auto-organisation, de vivre autrement, etc. est maintenant immédiatement un vulgaire réformisme se confondant de plus en plus avec la contrerévolution.

Participe de cet aspect du nouveau cycle l’organisation des luttes, c'est-à-dire leur côté informel et pas seulement le dépassement des syndicats et l’auto-organisation, les luttes ne s’organisent pas sur des bases préexistantes de la reproduction du capital ; entreprise, métier (voir certaines grèves de la FIAT, textes de Collegamenti, et la sidérurgie lorraine) ; c’est là le contenu comme forme.

Cette absence de développement positif que manifeste ce cycle de luttes (absence qui est sa principale force) c’est le simple refus du travail, la manifestation sauvage (Caen, La Rochelle), c’est le drop-out, la grève prétexte à faire autre chose, c’est la multiplicité ponctuelle des affrontements de classes dans tous les domaines de la reproduction de la société sans que s’y développe et s’y fixe la moindre visée gestionnaire ou auto-organisatrice. Chaque affrontement important avec le capital aura pour contenu la mise en cause par le pp de sa propre condition et l’incapacité pour celui-ci de se poser comme base d’une réorganisation de la société.

À côté de la façon dont se déroulent ces luttes, le point le plus important pour l’appréhension de ce troisième aspect est l’attitude ouvrière à l’intérieur de l’entreprise, dans son fonctionnement même : désorganisation–réorganisation, sabotage, détournement d’une partie de la production au cours de la lutte. Si c’est avec cet aspect là que se pose la limite de ce cycle de luttes, cela ne tient pas à ce qu’il serait le fait d’une classe, le communisme est aussi le produit du prolétariat, mais cela tient à ce qu’il est le point extrême que peut atteindre ce cycle. Il n’est pas question ici de « radicalité », mais de constater que cette absence de projet de réorganisation ne se développe que par l’absence d’un rapport de classes permettant la production du communisme dans un cycle de luttes qui l’a cependant pour aboutissement.

Ce troisième aspect peut également se lire dans les manifestations de Zurich, Berlin et Amsterdam : une lutte contre le capital qui se nourrit d’elle-même, qui est son propre motif, qui ne pose de revendications que pour les critiquer, réclamer autre chose et le critiquer à nouveau. Des luttes contre le capital qui ne revendiquent, n’organisent rien.

De façon générale, pour expliquer ces transformations, dans les luttes ce qui importe ce n’est pas de dire que la classe ouvrière se transforme, comme si elle avait un être propre, mais que sa contradiction avec le capital se transforme ; ce qui importe c’est le contenu de cette contradiction et non le contenu de la classe ouvrière, ce dernier n’est qu’une conséquence sociologique. Enfin l’aboutissement de ce cycle de luttes, avec la crise de l’autoprésupposition, c’est le rapport de prémisse tel qu’il est abordé dans Théorie Communiste n°4 avec « Des luttes actuelles à la révolution » (impliqué par le capital comme classe du travail salarié, et incapable de la valoriser, le prolétariat dans son rapport au capital le pose comme fondement d’un développement supérieur qui n’est plus reproduction de ce qui a déjà été : prémisse).

Tout au long de ce cycle ce qui le supporte et simultanément mine le développement du capital, constitue l’axe de la baisse du taux de profit, c’est l’incapacité qualitative du travail à valoriser le capital, c’est cette incapacité qui est pour le capital la contradiction de ce stade de développement, qui fait qu’éclate et se manifeste tout au long de celui-ci la contradiction qu’est l’exploitation avec les caractéristiques nouvelles qui sont les siennes.

Enfin l’aboutissement de ce cycle de luttes c’est également le dépassement des contradictions du programmatisme, leur résolution comme cours immédiat de la lutte de classes et non de façon générale comme révolution (c'est-à-dire par définition). Le prolétariat dans ce cycle de luttes remet en cause la reproduction de son rapport au capital car c’est l’autoprésupposition du capital qui est devenue le contenu immédiat de l’exploitation comme contradiction antre le prolétariat et le capital, c’est donc avec la reproduction de sa propre existence face au capital et présupposé par lui que le prolétariat entre en contradiction en tant que classe définie dans ce rapport d’exploitation. C’est le prolétariat qui est contradictoire au capital et à sa propre situation de classe, à lui-même ; l’autonégation du prolétariat ne nécessite pas un troisième larron plus ou moins net à côté du prolétariat comme classe du capital ; l’humanité, l’individu ou l’individu–prolétaire.

Le cours heurté de ce cycle de luttes

Jusqu’à maintenant nous avons abordé le nouveau cycle de luttes en tant que défini comme existence d’une contradiction (l’exploitation) ayant pour contenu l’autoprésupposition du capital. Cette contradiction nous ne l’avons explicitée qu’en ce qu’elle est, à l’intérieur de l’autoprésupposition, remise en cause de celle-ci, c'est-à-dire remise en cause par le prolétariat de sa propre situation. Si nous avons bien appréhendé le fondement général de ce cycle de luttes, nous n’avons pour l’instant que privilégié un de ses moments, celui qui le définit comme transitoire et comme porteur de son propre dépassement : le communisme.

Cependant, même si l’autoprésupposition devient le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital, il n’empêche que ce n’est pas une longue période de crise révolutionnaire qui s’ouvre. La contradiction, en acquérant pour contenu les trois moments de l’exploitation est, comme on l’a vu avec l’analyse de la restructuration, un stade du développement du capital en domination réelle. L’autoprésupposition comme contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital est le fondement du cours heurté de la lutte de classes dans la phase qui s’ouvre. Comme contenu de cette contradiction elle est autant la dynamique du développement que ce qui le remet en cause et porte son dépassement, elle est autant la dynamique du développement que le contenu de cette contradiction quand elle s’axe sur le rôle spécifique du prolétariat.

Dire que l’autoprésupposition du capital est devenue le contenu de la contradiction entre le capital et le prolétariat signifie comme on l’a vu dans le paragraphe précédent que le prolétariat se remet lui-même en cause dans cette contradiction, mais aussi que l’autoprésupposition est devenue le cadre à l’intérieur duquel se déroule la lutte du prolétariat, que sa contradiction avec le capital n’est dynamique de son développement que pour autant qu’elle se situe à ce niveau.

Dans ce cycle de luttes qui s’ouvre la contradiction au niveau de l’autoprésupposition du capital est l’axe autour duquel évolue le cours heurté de la lutte de classes : entre la tactique sociopolitique des syndicats et la remise en cause de cette autoprésupposition. Par tactique sociopolitique nous entendons la pratique que définit entre autres la CGIL italienne : « un saut qualitatif en direction du contrôle social de la production, contrôle qui part du cycle de production à l’intérieur de l’usine pour arriver aux questions plus vastes du rapport avec la branche et avec la programmation. » (Les syndicats et l’organisation du travail, Ed. Galilée, p. 57).

Il s’agit de ne pas simplement considérer le prolétariat comme vendeur de sa force de travail mais comme producteur, amère victoire du programmatisme. En tant qu’elle se développe comme simple antagonisme, c'est-à-dire qu’elle devient syndical, la contradiction entre le prolétariat et le capital exprime bien là le retournement dans la contrerévolution du contenu de l’ancien cycle de luttes : auto-organisation et réorganisation d’ensemble de la société. Cette tactique sociopolitique peut avoir plus ou moins de mal à s’imposer selon les pays, mais de la CGIL en Italie, aux Commissions ouvrières en Espagne, en passant par la CFDT en France et même la CGT, c’est bien là la tendance dominante.

Sur le terrain cela peut donner naissance à de nombreuses frictions comme en témoigne le livre de G. Noiriel Vivre et lutter à Longwy (Ed. Maspero) : antagonismes entre syndicats, antagonismes également entre les unions locales et leurs fédérations (le projet alternatif de la CFDT par exemple a été rejeté par l’union local refusant de négocier autre chose que le maintien des effectifs). La réorganisation syndicale ne se fait pas sans contradictions internes et sur les limites de l’ancien cycle de luttes.

La grande différence entre ces deux moments de cet unique processus qu’est le cours heurté de la lutte de classes réside dans le fait que la tactique sociopolitique des syndicats, même si elle est antagonique à l’autoprésupposition du capital, reste à l’intérieur de celui-ci car elle exclut que la contradiction soit simultanément remise en cause du prolétariat lui-même. Que la contradiction se situe au niveau de l’autoprésupposition ne signifie pas que l’on ait affaire à une phase se confondant avec une longue période révolutionnaire. Cela signifie simplement que c’est à ce niveau que la contradiction entre le prolétariat et le capital est la contradiction dynamique du capital parce que c’est à ce niveau que se situe le procès d’exploitation : voir les transformations du rapport entre la valorisation et ses conditions. Il ne s’agit pas de se demander comment il est possible que la contradiction se situant au niveau de l’autoprésupposition reste dans le cadre de celle-ci, le problème se pose en réalité de façon inverse : c’est la façon même dont se déroule l’autoprésupposition du capital telle que la définit la restructuration, qui fait que la contradiction entre le prolétariat et le capital se situe dans ce cadre. La possibilité au cours de cette phase de développement que la contradiction remette ce cadre lui-même en cause réside dans le rapport entre plus-value et profit qui fait de l’autoprésupposition du capital autre chose qu’un espace bétonné.

Si nous avons dit précédemment qu’on ne peut limiter la notion de cours heurté de la défense de la condition prolétarienne aux périodes de crise, que la lutte de classes dans les phases de prospérité ne peut être entièrement recouverte par la notion de lutte de type syndical, il faut alors se demander quelle est la spécificité, de ce point de vue, des périodes de crises.

La crise du capital, c’est la crise de son autoprésupposition, c'est-à-dire d’un rapport entre les classes où est sans cesse reproduit du côté du capital le principe du renouvellement de la société. À la fin de chaque cycle, de par ce qu’est l’exploitation, toutes les conditions du renouvellement de la pratique sociale se trouvent réunies du côté du capital. Même si durant les phases de prospérité le prolétariat développe son caractère de classe particulière, il ne peut faire du contenu de la contradiction qui l’oppose au capital le point de départ d’une réorganisation de la société (il ne s’agit pas de libérer quelque chose, d’une variante du programmatisme, mais la révolution et le communisme ont tout de même pour fondement la contradiction qui dans le mode de production capitaliste oppose le prolétariat au capital, ce qu’est le prolétariat dans cette contradiction qui le définit).

La remise en cause de l’autoprésupposition qui ne débouche pas sur un projet de réorganisation totale de la société, c’est le refus du travail. Ainsi la période de crise n’est pas un simple élargissement de pratiques jusque là limitées. La crise de l’autoprésupposition, c’est la crise du rapport d’implication réciproque, il y a crise du fait que le capital est sa propre base de renouvellement. Ce n’est pas alors une période de flottement social qui s’ouvre avec plusieurs possibles à la clef. Le prolétariat demeure toujours une classe dans son rapport au capital, mais ce qu’il y a de nouveau c’est qu’il est incapable de le valoriser et que le capital de par son propre développement n’est plus la base de sa propre reproduction. C’est ce rapport qui transforme des pratiques limites dans tous les sens du terme en pratiques posant le dépassement de la société : une révolution. Il ne s’agit pas d’un simple élargissement, elles acquièrent en quelque sorte un contenu positif. Pour simplifier, à partir d’un point particulier, le « refus du travail » devient autonégation du prolétariat dans un rapport au capital où le prolétariat le pose comme prémisse.

Nécessité de la phase qui s’ouvre

À partir du moment où on analyse les axes qui ont porté la baisse du taux de profit dans la période précédente et la restructuration comme produite et répondant à ces axes et à ce cycle de lutte qui leur est consubstantiel, c'est-à-dire que l’on définit la restructuration également comme contrerévolution, à partir du moment où l’on pose un nouveau cycle de luttes produisant son dépassement comme révolution, on reconnaît alors que la révolution n’est pas le produit de n’importe quel stade du rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital et cela même à l’intérieur de la domination réelle. Il faut alors pousser le raisonnement et admettre que le capital a une signification historique et que le communisme n’est pas n’importe quel dépassement du capital, qu’il y a une liaison essentielle entre son contenu et celui de cette signification historique du capital. C’est là que s’enracine la nécessité de la restructuration actuelle et de la phase de développement qu’elle inaugure.

Défini par l’immédiateté sociale de l’individu, le communisme est le résultat de la contradiction entre le capital et le prolétariat parvenue au stade où l’objectivation des forces sociales du travail dace aux travailleurs est devenue le mouvement de l’exploitation à travers le procès de production lui-même, parvenue au stade où l’objectivation des forces sociales est le fait du procès immédiat. Ce stade lui-même n’est pas fortuit, l’accumulation n’est pas un simple procès quantitatif, il n’est tel que comme objectivation de l’activité, des forces productives et des forces sociales, face aux prolétaires qui en sont totalement exclus. C’est parce que la contradiction qu’est l’exploitation a ce contenu qu’elle peut devenir rapport révolutionnaire produisant le communisme. Il y a un unique mouvement, un seul processus qui recouvre l’exploitation comme contradiction entre le prolétariat et le capital, le développement du capital et le contenu du communisme, et c’est pour cela que le problème de la révolution et du communisme ne peut éluder la signification historique du capital, son développement. Il ne s’agit pas de problèmes de « conditions objectives », mais de considérer la production du communisme dans son propre mouvement, c'est-à-dire la contradiction qu’est l’exploitation, c'est-à-dire le développement du capital.

Ce n’est pas en fait tel ou tel développement nouveau qui en lui-même est nécessaire par rapport à ce qu’est le communisme, qui apporterait quelque chose de nouveau à une contradiction définie une fois pour toutes, ce sont les transformations dans le contenu même de la contradiction qui importent. L’immédiateté sociale de l’individu, cela signifie l’abolition de la scission de la société en classes, scission par laquelle la communauté est étrangère au prolétaire. Le prolétaire n’est pas simplement séparé de la communauté en tant qu’individu isolé, il l’est parce qu’il n’est être de cette communauté que par la contradiction et la séparation qui l’implique avec le capital. Il n’est être de la communauté qu’en tant que membre d’une classe, que par la scission, la contradiction qui forme cette communauté, c’est par là que l’on peut simultanément dire qu’il est membre de la communauté du capital et que cette communauté lui fait face. L’immédiateté sociale de l’individu implique l’abolition des classes dont le prolétariat, il faut donc que la contradiction entre le prolétariat et le capital contienne simultanément, de façon intrinsèque, l’abolition du prolétariat. Et cela ce n’est que la contradiction de la phase qui s’ouvre actuellement qui le porte au travers de la remise en cause dans la contradiction qu’est l’exploitation, de sa propre situation de classe par le prolétariat.

L’ancien cycle de luttes ne portait cette autonégation qu’à travers les limites, l’impossibilité, l’échec de la gestion ouvrière, de l’hégémonie. L’autonégation du prolétariat n’était pas l’axe central de l’ancien cycle de luttes, sa nécessité n’apparut même théoriquement qu’au travers de la critique de cet ancien cycle (critique du « conseillisme » principalement), et à partir des notions limitées et partielles de « communisme négatif » (émeutes, pillages, sabotages), de « refus du travail ». Notions partielles qui elles-mêmes renvoyaient à des pratiques qui n’existaient que comme limites, impasses de cet ancien cycle de luttes. L’autogestion du prolétariat n’était pas corollaire de la contradiction avec l’autoprésupposition du capital, de la tendance à poser le capital comme prémisse, elle ne se manifestait que sur la base de l’impossibilité de l’ancien cycle dont le centre était la gestion ouvrière. Opposée à cet ancien cycle, elle fut théorisée comme « refus du travail », « abolition du travail », « communisme négatif », c'est-à-dire à travers une série de contradictions qui substituaient une contradiction entre le prolétariat et le travail (ou contradiction du travail, etc.) à la contradiction entre le prolétariat et le capital, parce que cette dernière ne la portait pas de façon centrale et en quelque sorte positive par rapport à la production du communisme à partir de cette contradiction.

La nécessité de cette phase de développement qu’ouvre la restructuration actuelle n’est donc pas à chercher dans de quelconques conditions pour le communisme, mais dans le stade de la contradiction atteint, c’est cela la seule condition, et c’est cela que contiennent les transformations du rapport entre le procès de valorisation et ses conditions, que contient l’appropriation des forces sociales du travail.

Dire que la contradiction porte alors directement le communisme doit impliquer également que la crise de cette phase ne peut être au sens strict restructuration. Toute crise n’est pas restructuration, le capital n’est pas un éternel recommencement avec à chaque tour augmentation quantitative, il a une histoire, un sens de développement. Dans la phase qui s’ouvre le prolétariat se trouve dans son existence de classe de la valorisation, telle que la définit son rapport réciproque au capital, en contradiction avec la valeur accumulée comme capital (c’est là le contenu de la baisse du taux de profit qui n’est pas un processus économique objectif, mais contradiction de classes), cela ne sera pas seulement en vertu du développement quantitatif du capital, mais en vertu d’un transformation qualitative que nous avons décrite dans « Des luttes actuelles à la révolution » (Théorie Communiste n°4), comme objectivation des forces sociales du travail dans le capital, impuissance du travail immédiat. Surveillance et régulation signifient que le travail immédiat en tant que tel cesse d’être le fondement de la production ; transformation des relations entre procès de valorisation et conditions de son renouvellement signifie que le produit résulte de la combinaison de l’activité sociale et non de la simple activité du producteur au sens strict. L’objectivation des forces sociales du travail dans le capital, l’impuissance du travail immédiat, les transformations dans le rapport de la valorisation à ses conditions expriment les pôles opposés d’un même rapport qui est l’accomplissement de la signification historique du capital.

Dans la crise de cette phase, le capital ne pourra poser sa contradiction avec le prolétariat comme contradiction avec son développement antérieur comme limité, ce qui est le principe de toute restructuration s’effectuant par cette contradiction et non comme projet du capital. Le prolétariat, impliqué par le capital, sera incapable de le valoriser (rapport de prémisse), non pas en vertu d’une simple accumulation quantitative, mais en vertu du rapport qualitatif établi par la restructuration. L’absence de restructuration dans la crise à venir ne signifie pas que le capital n’approfondira pas en sapant l’équilibre entre plus-value relative et plus-value absolue ; mais on ne peut parler ici de restructuration.

Cependant même si l’on admet la nécessité de la restructuration dans la crise actuelle, c'est-à-dire si l’on critique et rejette une position reposant sur une nature révolutionnaire du prolétariat qui se manifeste quasiment librement, même si l’on reconnaît que le rapport actuel entre les classes ne peut transcroitre en rapport révolutionnaire, il faut également critiquer la possibilité d’une simultanéité entre restructuration et rapport révolutionnaire ; les luttes relevant de l’amorce du nouveau cycle manifestant la caducité du salariat. Cette dernière position appelle deux critiques, nous venons de voir la première : le rapport essentiel entre développement du capital, signification historique du mode de production capitaliste et contenu du communisme. La seconde a trait plus directement à la conception même d’un télescopage entre procès de restructuration et rapport révolutionnaire.

S’il y a restructuration, c'est-à-dire possibilité de reprise de la valorisation, d’augmentation de la productivité, d’extension du cycle du capital, il y a alors raffermissement de l’autoprésupposition du capital. On ne peut considérer à partir d’une situation unique comme tout autant possibles la révolution et le communisme d’une part et une phase de développement du capital d’autre part. si les luttes actuelles participent de la restructuration cela ne signifie en aucune façon qu’elles l’aident au sens où la restructuration serait un projet. Même si l’on reconnaît dans le nouveau cycle de luttes le procès de caducité du capital et du travail salarié, on ne peut a priori opposer ce procès à celui du développement du capital lui-même. Bien sûr, la révolution abolit le capital, mais ce n’est pas pour autant qu’il y a extériorité et mouvement toujours indépendant des deux termes précédents. On ne peut séparer comme deux termes qui se repoussent caducité du capital et développement du capital. Le procès de la restructuration ne signifie pas que la pratique du prolétariat soit devenue contrerévolutionnaire.

Dans une conception se fondant sur un télescopage ou une alternative, ce sont les mêmes luttes, le même rapport de classes qui peut déboucher sur l’une ou l’autre branche de l’alternative. Il faut alors déterminer ce qui peut faire pencher la balance soit d’un côté soit de l’autre, qu’est-ce qui peut faire la décision. Fondamentalement, dans la position alternativiste, tout comme dans le télescopage, la restructuration n’est pas comprise comme impliquant de façon contradictoire le prolétariat, mais simplement comme un « en face » du prolétariat, réponse à son action ou prévention de celle-ci. Il n’y a pas un rapport qui se crée mais deux termes libres l’un par rapport à l’autre et qui s’affrontent. La pratique du prolétariat aurait pour base la restructuration mais pourtant elle n’en ferait pas partie, la restructuration serait strictement l’affaire du capital, ce ne serait pas un rapport où le capital et le prolétariat s’impliqueraient réciproquement. Admettre qu’il y a restructuration, c’est admettre qu’il y a formation d’un nouveau rapport qui soit contradictoire et dynamique du mode de production capitaliste, ou alors on n’admet pas qu’il y ait restructuration. Réduire la restructuration à un projet, une réponse du capital face à une pratique prolétarienne « libre », c’est abandonner l’implication réciproque entre prolétariat et capital, faire appel à une nature révolutionnaire, poser la révolution comme résultant d’autre chose que du développement contradictoire du mode de production capitaliste.

Admettre que la restructuration est transformation du rapport entre prolétariat et capital et non simplement transformation du capital, que le prolétariat n’a pas une nature révolutionnaire qui lui soit inhérente, que sa seule nature par quoi il est révolutionnaire c’est son rapport au capital (rapport historique et s’autoproduisant), c’est poser comme nécessaire que ce rapport pour devenir révolutionnaire soit l’organisation centrale de la classe, sa définition.

La phase à laquelle nous assistons n’est qu’une amorce du nouveau cycle de luttes. La poursuite présente de la crise montre que le capital n’est qu’en train de modeler une nouvelle phase du rapport d’exploitation et de fixer un nouveau taux de profit moyen. Les luttes qui se situent dans cette perspective, dans cette mise en place, portent la marque de cette amorce : leur caractère fragmentaire, leurs références, même critiques, à l’ancien cycle. La révolution est le produit et un stade de la contradiction entre el prolétariat et le capital, elle est en même temps un stade du développement du capital. Pour qu’une contradiction de classes, un cycle de luttes deviennent rapport révolutionnaire, il faut qu’il soit devenu la contradiction autour de laquelle s’effectue le développement et la reproduction même du capital, il faut que ce soit cette contradiction qui entre en crise.

Dans la révolution, le prolétariat résout la contradiction qui l’oppose au capital en l’abolissant et en s’abolissant lui-même, mais le communisme n’est pas n’importe quel dépassement du capital, il est relié dans son contenu à la contradiction dont il est le dépassement, il faut donc que celle-ci soit l’organisation même du rapport entre le prolétariat et le capital. Un cycle de luttes, c'est-à-dire un certain stade de la contradiction entre le prolétariat et le capital, ne peut être révolutionnaire que lorsque cette contradiction est devenue l’organisation centrale du rapport de classe et qu’elle entre en crise. Un cycle de luttes étant contradiction entre le prolétariat et le capital ne peut exister pour cette raison même qu’en se définissant également comme phase du capital. On ne peut poser l’amorce d’un cycle de luttes comme portant la révolution, cela reviendrait à poser la résolution de la contradiction avant la contradiction elle-même, et partant, la contradiction qui porte le communisme comme différente de celle qui porte le développement du capital.

Par rapport à la révolution, la nécessité d’une phase de développement se pose donc à un niveau de « méthode » : on ne peut poser la révolution comme n’étant pas l’organisation du développement même du capital. Deuxièmement, cette nécessité est posée par la liaison qu’il doit y avoir entre le communisme et le développement du capital : le communisme a un contenu, il n’est pas n’importe quel dépassement du capital. Troisièmement, et c’est là le point qui en quelque sorte synthétise pratiquement les deux précédents, ce n’est que dans cette phase qui s’ouvre que l’abolition du capital inclut immédiatement l’autonégation du prolétariat, que cette dernière est intrinsèque à la contradiction entre le prolétariat et le capital. Enfin, quatrièmement, se cette phase porte le communisme, cela implique que l’impuissance du prolétariat à valoriser le capital résulte des transformations qualitatives dans leur rapport : la production du communisme ne peut pas ne pas être simultanément l’impossibilité du capital. Si cette dernière doit se démontrer comme étant le communisme, il faut inversement que le communisme se démontre comme impossibilité du capital.

Production théorique et contrerévolution

La restructuration est lutte de classes

Dans les chapitres précédents, nous avons vu que l’autoprésupposition du capital n’était pas une sorte de période close pour la lutte des classes, que celles-ci ne s’y limitaient pas à la lutte syndicale et que s’y définissait pour la phase actuelle un nouveau cycle de luttes. Comprendre une pratique du prolétariat dans le développement du capital ce n’est pas ipso facto en faire u ne pratique purement et simplement contrerévolutionnaire, sauf à poser que la pratique révolutionnaire vient d’un ailleurs, d’un à côté des contradictions mêmes du développement et non de contradictions engendrées par ce développement ce qui ravalerait ce dernier au rang de conditions objectives. Placer le nouveau cycle de luttes dans le développement du capital ce n’est pas en faire des aides à ce développement des pratiques contrerévolutionnaires, c’est définir le développement du capital comme, de façon substantielle, contradiction de classes. on ne peut d’un part concevoir les pratiques correspondant au nouveau cycle de luttes comme résultantes de la restructuration et d’autre part ne pas les comprendre comme pratiques contradictoire entre le prolétariat et le capital dans le cadre de la restructuration, ce qui serait alors les poser comme contrerévolutionnaires.

Ces pratiques ne sont pas d’une part résultat de la restructuration et d’autre part opposition à la restructuration. Il en résulterait qu’encore une fois cette dernière serait comprise comme projet que les luttes viendraient soit aider, soit empêcher, jamais comme processus contradictoire de la lutte de classes. Mais c’est bien parce que les luttes de prolétariat ne peuvent être comprises séparément du développement du capital que la théorie communiste ne se confond pas avec elles dans un rapport immédiat. Elle est critique du nouveau cycle sur la base de sa propre dynamique, en ce qu’il produit son dépassement comme révolution.

Dans « Des luttes actuelles à la révolution » (TC n°4), nous écrivions : « Reconnaître la nécessité d’un transformation du rapport entre les classes pour que se produise le communisme, ce n’est pas abandonner le terrain des luttes présentes mais tout au contraire se battre contre toutes les limites des luttes actuelles, non normativement mais parce que ce sont ces luttes elles-mêmes qui butent sur leur propre contenu, qui posent celui-ci comme limite. C’est se placer dans un cours historique de la révolution qui est le cours de la lutte de classes.

« Travailler à la victoire de la révolution communiste ce n’est pas s’aveugler soi-même en se plaçant la révolution devant le nez, c’est travailler au développement de la lutte de classes comme développement de toute ce qu’elle porte immédiatement comme critique du programmatisme. Si, par exemple, actuellement, tout mouvement un tant soit peu important s’attaque à la fonction contrerévolutionnaire des syndicats, les luttes de Mai 68 en France ou de l’Automne 69 en Italie (sans remonter à la période 1918–1923) n’y sont pas étrangères, non qu’il y ait une mémoire psychologique ou organisationnelle du prolétariat, mais parce que c’est dans ces luttes que s’effectue la transformation du rapport entre les classes. Si maintenant, à partir du contenu même des luttes actuelles, c’est la défense de la condition prolétarienne qui apparaît comme une limite, si c’est le débordement des syndicats ou encore l’auto-organisation, c’est travailler dans la lutte de classes à la manifestation de ce qu’elle contient, qui est travailler à la victoire de la révolution communiste et non pas y opposer dogmatiquement un processus révolutionnaire pur et dur ou un désintérêt pur et simple, parce qu’elles ne porteraient pas immédiatement la révolution. »

Ainsi, dans la phase qui s’ouvre, par rapport au nouveau cycle de luttes la production théorique ne peut être ni un dogme ni se confondre purement et simplement avec celui-ci. C’est de son propre mouvement qu’il faut partir, montrer comment il produit son propre dépassement, faire de la théorie la compréhension critique de ce cycle de luttes parce qu’il appelle lui-même son dépassement ; la critique n’est pas un dogme, l’expression, l’appartenance ne sont pas confusion.

Perspectives de la théorie communiste

Actuellement la théorie doit partir de la reconnaissance du sens restructurateur de la crise actuelle, autrement dit de la mise en place de la contrerévolution, mais aussi de l’amorce d’un nouveau cycle de luttes et du retournement dans la contrerévolution des limites de l’ancien cycle.

Le travail théorique que l’on effectue et la façon de l’effectuer sont forcément différente selon la perspective immédiate que l’on a, selon que celle-ci est la révolution communiste à brève échéance (c'est-à-dire surtout sans que doive intervenir une modification du rapport entre les classes) ou bien la contrerévolution et le redémarrage de l’autoprésupposition du capital. Jusqu’à présent notre travail théorique s’inscrivait dans l’ancien cycle de luttes qui comprenait autant le processus lui-même d’éclatement et de développement de la contradiction de la domination réelle telle qu’elle s’était développée, que les limites intrinsèques de ce processus et sa propre critique qui y était incluse et conséquente. Ce travail était donc à même de trouver dans le processus de la lutte de classes ses fondements même s’il n’était l’expression d’aucun mouvement particulier.

Actuellement le travail théorique, pour conserver sa perspective de dépassement du capital ne s’enracine plus dans les limites et la critique d’un cycle de luttes mais sur la restructuration du capital et les contradictions de classes qui s’y produisent. Ce n’est pas seulement à la caducité d’un cycle de luttes pris dans son immédiateté (auto-organisation, etc.), mais aussi à celle de la critique qui y était incluse à partir de ses limites que nous avons actuellement affaire au niveau de la production théorique.

Jamais notre travail théorique ne s’est compris comme l’expression de mouvements particuliers, de formes de luttes particulières, il fut toujours porté, en gros depuis 1973 (époque de l’évidence du retournement des limites de l’ancien cycle dans le processus de la contrerévolution), par la critique interne que ce cycle contenait (élaboration du concept de programmatisme et critique). Sur cette base nous n’avons jamais conçu ce qui se passait, les axes de l’ancien cycle, comme une erreur par rapport à une ligne juste, nous avons chaque fois essayé d’analyser chaque mouvement, chaque lutte comme étape nécessaire par rapport à la révolution, nous n’avons jamais opposé formellement révolution et situation présente si bien qu’il fallait continuellement intégrer cette situation dans la perspective de la révolution et considérer cette dernière comme un produit historique, la considérer par rapport à ce qui se passait. C’est cette nécessité de ne pas considérer la révolution et le communisme comme une norme mais de comprendre en quoi la situation présente est constamment le procès de production de la révolution qui explique les errements de notre production théorique et ses problèmes.

Pour la période qui s’ouvre, il nous faut éviter une sorte de pur « resserrement théorique » qui, de façon juste, prendrait en compte les transformations survenues et considérerait que la reprise et la stabilisation à venir de l’autoprésupposition du capital entraine que la théorie doit, pour conserver sa perspective de dépassement du capital, s’ancrer dans l’analyse de cette restructuration. Une telle démarche laisse de côté le fait que la restructuration est remodelage de rapports de classes et non processus économique ne faisant que préparer un éclatement futur de la lutte de classes. La reprise de l’autoprésupposition n’est pas un no man’s land de la lutte de classes.

À l’inverse, ne pas tenir compte de cette reprise de l’autoprésupposition pour simplement s’attaquer au retournement dans la contrerévolution des limites de l’ancien cycle, ou pour se contenter de débusquer les signes annonciateurs de l’amorce d’un nouveau cycle de luttes, en arriverait à suivre au coup par coup le processus de la contrerévolution parce qu’elle n’aurait pas, paradoxalement, été prise globalement dans le travail théorique comme point dominant.

Dans le premier cas la perspective communiste est projetée comme un aboutissement autonomisé par rapport au processus qui la porte, processus simplement posé comme développement du capital pour lui-même. Dans le deuxième cas, cette perspective est posée comme résultant en droite ligne, continuation du cycle de luttes qui s’enclenche. Concevoir que le nouveau cycle de luttes avec les caractéristiques qui sont les siennes est simultanément consubstantiel à la phase du capital qui s’ouvre, amène à concevoir la perspective communiste sur la base de ce nouveau cycle mais comme devant en être le dépassement. On ne peut se contenter en effet de considérer ce nouveau cycle comme révolutionnaire si on le considère simultanément comme consubstantiel au développement du capital, il est révolutionnaire en ce qu’il porte son propre dépassement, qu’il appelle. En lui la contradiction entre le prolétariat et le capital peut être dépassée en ce qu’elle appelle en les posant comme identiques l’abolition du capital et l’autonégation du prolétariat. La contradiction n’est révolutionnaire qu’en ce qu’elle est capable de se supprimer, elle ne serait sinon que dynamique du mode de production capitaliste.


[1] Cette intégration recouvre un mouvement qui s’exprime à trois niveaux :

  1. Le capital avec la plus-value relative détermine la valeur de la force de travail tant dans son existence individuelle qu’au niveau de son cycle d’entretien. Le salaire apparaît au niveau du capital social comme investissement. La reproduction de la force de travail est intégrée dans le cycle propre du capital. la péréquation du profit s’établit sur l’ensemble de la société, il y a affermissement de la dynamique de la reproduction élargie au travers de l’échange entre les deux sections du capital.
  2. La défense de la condition prolétarienne devient élément dynamique de la reproduction d’ensemble tout en demeurant antagonique au capital. C’est une obligation à se réformer sans cesse, à tenir les deux bouts de l’élargissement de l’accumulation: augmentation de la productivité, accroissement du marché. La concurrence entre les capitaux n’existe que parce que chaque capital a tous les attributs du capital en général : la contrainte à l’exploitation. C’est à partir de cette dernière que la concurrence s’impose et en impose à chaque capital, elle est elle-même dépendante de la lutte sur le partage de la valeur produite. Mais par là, la contradiction est incluse comme moment de la concurrence entre les capitaux, c’est la médiation qui en fait un élément dynamique de l’autoprésupposition du capital.

Enfin, en domination réelle, le capital est devenu l’Unité, il y a compénétration totale entre la production et la société : soumission de tous les rapports sociaux à la production de plus-value.

[2] Cette identité c’est l’exploitation. Cette dernière est un rapport social définitoire du prolétariat et du capital, elle contient leur implication réciproque, leur définition l’un par l’autre (l’exploitation n’est pas domination) ; c’est par l’exploitation que le prolétariat est une classe, qu’il est membre de la communauté. L’exploitation est un rapport social contradictoire : chaque terme trouve dans l’autre sa négation, c’est le mouvement de la baisse du taux de profit (rapport contradictoire entre le travail vivant créateur de plus-value et la valeur déjà créée, accumulée). L’exploitation est donc implication réciproque (cela détermine le prolétariat comme classe du mode de production capitaliste), elle est d’autre part contradiction entre les deux termes (luttes de classes se définissant réciproquement, ayant un rapport unitaire entre elles et non éléments opposés ayant des intérêts divergents), enfin elle porte en elle son dépassement.

C’est au niveau de ce dernier point de la contradiction qu’apparaît son identité avec le développement du capital. L’exploitation est nécessairement accumulation : mouvement quantitatif parce que ayant pour base le rapport qualitatif qui est l’appropriation de l’activité du prolétariat, de sa puissance créatrice individuelle et sociale (c’est de l’activité que le capital accumule et non des objets, machines ou monnaies). Si l’exploitation est à fois implication réciproque et accumulation, cela signifie qu’il n’y a pas d’essence révolutionnaire du prolétariat et des conditions objectives pour la réussite ou l’échec de la réalisation de cette essence, mais qu’on assiste à un procès contradictoire qui est le développement du capital parce que lutte de classes et inversement ; procès qui se transforme, qui est la dynamique de sa propre transformation. Tout le problème revient donc à définir comment ce rapport contradictoire devient rapport révolutionnaire, comment le prolétariat en tant que classe du capital est contradictoire à celui-ci, dans un rapport tel qu’il porte le dépassement du capital.

La révolution est l’aboutissement du rapport entre les classes dans le mode de production capitaliste, elle n’est ni une action déclenchée par un capital parvenu à son terme, ni une action déjà au-delà du capital, ni la réalisation d’une modalité de l’être du prolétariat qui serait au-delà des classes. Ce n’est pas parce que le prolétariat est une classe du mode de production capitaliste défini par son implication avec le capital qu’il peut être à même de le poser comme prémisse, ce n’est que parce que la valeur accumulée l’implique comme classe du travail salarié que la crise de l’implication peut devenir rapport de prémisse. C’est parce qu’il est classe du travail salarié que la capacité à valoriser la valeur accumulée peut le contraindre à considérer cette accumulation comme prémisse parce que c’est son propre rapport à celle-ci et à sa propre existence sociale qui entre en crise.

[3] Cette affirmation pour être exacte n’en pose pas moins un double problème. Tout d’abord en ce qui concerne la révolution : si d’une part durant toute la domination formelle la révolution se pose comme affirmation de la classe, cela n’empêche pas que cette dernière est, quelle que soit la période du capital, impossible. Le deuxième problème concerne la relativité historique du communisme, beaucoup moins évidente que celle de la révolution.

Pour le premier point, l’on peut dire que la révolution, c’est un fait, se pose de façon programmatique comme affirmation de la classe, mais cette affirmation signifie des contradictions internes qui sont son impossibilité dans ses propres termes et non au nom d’une norme extérieure et a posteriori. Pour le prolétariat, être producteur d’une régénération de la société ayant pour contenu sa généralisation et son affirmation, signifie que le processus révolutionnaire est celui du renforcement de la défense de ce qu’il est à l’intérieur du mode de production capitaliste. Le premier moment à la révolution est intrinsèquement réformiste et passe par le renforcement du capital. La révolution programmatique implique soit la victoire de la bourgeoisie comme écrasement militaire, car le renforcement antérieur à la révolution avait été insuffisant, soit le gradualisme réformiste c'est-à-dire la croissance du capital lui-même. Chacun des termes est pour l’autre la limite même du programmatisme. Ce système contradictoire est le mouvement réel des antagonismes des différentes fractions à l’intérieur du mouvement prolétarien de cette époque ainsi que de leur implication réciproque.

Pour le deuxième point, il est vrai que dans les Manuscrits de 1844, les descriptions qui sont faites du communisme peuvent être reprises actuellement de même que les quelques indications qui parsèment Le Capital ou les Fondements. Il est à noter également que les anarchistes « communistes » – « communistes » en opposition au collectivisme de l’orthodoxie marxiste de l’époque – à la fin du XIXe siècle, dans leur opposition aux « collectivistes », firent également d’importantes avancées dans l’appréhension de la société communiste ; il en fut de même pour Bordiga, par exemple.

Toutefois, sous réserve d’une étude plus approfondie, on peut cependant le caractère non systématique de ces remarques, leur relégation souvent au rang de « discours du dimanche », ce qui ne signifie pas un simple oubli, mais une transformation de leur contenu en abstraction par rapport à la lutte du prolétariat en tant que classe. C’est surtout ce dernier point, cette séparation, qui n’a pas pu ne pas influencer les caractéristiques du communisme qui furent avancées durant ces différentes périodes. Le communisme n’est pas le résultat de la lutte des classes dans le moment même où elle se déroule, il n’est pas saisi comme organisation sociale concrète, souvent cette abstraction n’est autre que la façon dont est saisie la communauté humaine dissolvant l’individu.

Il faudrait également relier les diverses approches du contenu du communisme à ce qui rendit possible celles-ci dans une période où le communisme n’était qu’un résultat au mieux saisi comme second par rapport à la lutte des classes présente quand il n’était pas bonnement relégué au magasin des oubliettes avec le socialisme utopique. Pour les marxistes avant 1870, cette approche était possible par le fait que dans toutes les médiations qui mènent à la révolution, c'est-à-dire dans son renforcement à l’intérieur du capital, le prolétariat pouvait préserver son autonomie et donc maintenir à partir de ce qu’il est l’abolition du capital jusqu’à son terme. Ce qui ne sera plus possible durant la période social-démocrate où, avec le progressif passage à la domination réelle le renforcement du prolétariat dans le mode de production capitaliste se confondra avec le simple renforcement du capital qui fait de la classe à tous les niveaux (association, reproduction, etc.) un simple moment de son cycle propre. Pour cette période, les appréhensions anarchistes sont à l’inverse rendues possibles par leur abstraction de ce déroulement réformiste du renforcement de la classe.

En fait, dans toutes ses appréhensions, il serait intéressant de voir si on n’évolue pas entre deux termes contradictoires : des principes relevant d’une communauté humaine abstraite, mais s’appliquant à une société de producteurs associés (la phase de transition) de type supérieur.

[4] Cependant faire l’histoire de la famille, c’est faire une histoire assez bizarre ; c’est soit imaginer une société idyllique composée de familles à peu près égales, soit faire tout simplement l’histoire de la famille telle qu’elle existe au niveau de la classe dominante. Comme la révolution résulterait du fait que la reproduction de l’individu ne se reconnaitrait plus dans sa fonction productive (à quoi se heurte la classe), il faut que cette séparation soit l’œuvre du capital (sinon la révolution aurait du avoir lieu avant), il faut donc corollairement que les deux aient existé avant le mode de production capitaliste : le lieu de cette coexistence est tout trouvé, c’est la famille.

Il faut cependant faire de drôle de tours de passe-passe historique pour faire de la famille cette unité dans les modes de production précapitalistes. La famille à la fois structure productive et reposant sur les liens du sang n’existe pas ; quand elle repose sur les liens du sang principe de sa reproduction, elle n’est pas productive (classe dominante), quand elle est productive les liens du sang n’existent dans sa reproduction que pour autant qu’ils sont médiés en tant que puissance productive par la propriété de la terre qui échappe à la classe productive. Le pouvoir du seigneur dans la société féodale sur le mariage des serfs, sur la transmission de la manse, toutes les banalités (fours, moulins, pressoirs, etc.) sont ces médiations. Pour autant que l’on considèrerait par exemple dans la Grèce archaïque que dans les familles d’Eupatrides organisation productive et liens de sang se confondent, il faudrait aussi ne pas oublier que pour le métayer qui peut à tout instant être réduit en esclavage pour dettes ou réduire sa famille en esclave au profit du propriétaire, ce n’est pas le même tabac. Quant au compagnon médiéval intégré dans la famille du maitre, il faudrait tout de même considérer que c’était pour le compagnon et pour le maitre un mode de reproduction de la force de travail. Le compagnon n’était pas intégré à la famille du maitre, ce qui voudrait dire qu’il aurait eu un pouvoir sur les moyens de production, son « intégration » était tout au contraire la marque de son impossibilité à accéder à la situation de maitre. Le fameux chef-d’œuvre à accomplir appartient à l’imagerie de l’artisanat, les compagnons demeuraient le plus souvent compagnons à vie, le chef-d’œuvre n’étant qu’une cérémonie d’héritage à l’intérieur de la famille du maitre.

Bien sur, dans les modes de production précapitalistes, l’individu est membre d’une communauté et est reproduit en tant que membre de cette communauté, c’est un individu particulier (particulier est pris ici comme contraire d’individu contingent – cf. « les formes antérieures à la production capitaliste », in Fondements t. 1, Ed. Anthropos). Cependant cette communauté est communauté de classes et non de familles égales entre elles, étant chacune une unité productive, c’est la propriété qui repose sur une communauté et dans cette communauté, mais face à la propriété, on retrouve la classe dominée. Même si serfs ou esclaves demeurent rattachés à l’une de leurs conditions de production ou de reproduction, ce rattachement ne s’effectue que par leur appartenance à une communauté, c'est-à-dire au niveau de leur particularité, par la médiation de cette propriété qui leur fait face. Pour qu’il y ait une histoire de la famille ou de l’individu, il faudrait une communauté antique sans esclaves ni métayers, une communauté féodale sans serfs, une communauté asiatique dans Unité supérieure.

[5] Les 3 moments de l'exploitation:

  1. a) L'achat-vente de la force de travail.
  2. b) La subsomption du travail sous le capital.
  3. c) La transformation de la plus-value en capital additionnel, qui n'est pas un simple ajout de capital, mais reproduction élargie: modification de la composition de la classe ouvrière, de ses effectifs, des qualifications, impliquant sa formation et sa reproduction, déplacement de capital entre les sections, modification du rapport entre secteurs productifs et improductifs, action sur la circulation, sur l'internationalisation.

Comments