vendredi, 7 janvier 2005
Unification du prolétariat et communisation - R.S.
Les pages qui suivent ne sont pas une réponse ou une critique directes aux positions développées par Calvaire, mais sont une contribution aux thèmes qu’il aborde. Il est évident que nous avons quelques divergences...
Ceux qui voient que la révolution ne peut être que communisation (abolition de toutes les classes), parce qu’ils se contentent de théoriser dès à présent l’atomisation du prolétariat et/ou l’inessentialisation du travail comme une tendance accomplie, concluent que le prolétariat soit n’existe plus comme classe, soit qu’il ne peut plus être révolutionnaire. Ils n’ont pas vu que cette atomisation et cette inessentialisation ne sont qu’une face de la contradiction qu’est l’exploitation, ils n’ont vu dans le capital restructuré que la disparition de l’identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, mais ils n’ont pas vu le mouvement d’ensemble qui produit le moment isolé qu’ils aperçoivent. Ils ont saisi quelque chose que les idéologues de l’unité auto-organisée du prolétariat nient mais ils n’ont pas compris la raison d’être de ce qu’ils voient. Aujourd’hui nous ne pouvons plus montrer un mouvement ouvrier organisé, explicite, visible et continu, c’est pourquoi s’il est facile de se moquer de ceux qui ont décrété la disparition du mouvement prolétarien, il est plus difficile de leur répondre.
Ceux qui maintenant nient l’existence du prolétariat en tant que classe ou en tant que classe révolutionnaire, au lieu de comprendre sa contradiction avec le capital qui la pousse à l’abolir et à se nier, théorisent un moment d’une contradiction en l’isolant (cf. dans ce numéro la synthèse des forums). Ils laissent de côté l’unité objectivée de la classe dans le capital et, par là, ne comprennent pas que la seule unité aujourd’hui envisageable n’est pas un préalable à la révolution, la reconstitution d’une sorte de mouvement ouvrier radical et autonome, mais celle des mesures communistes, c’est-à-dire que cette unité se confondra avec la dissolution du prolétariat abolissant dans le capital sa propre existence de classe (unité) qu’il aura à affronter. Mais eux au moins ont mis le doigt sur quelque chose de partiel. Que dire cependant des révolutionnaires de l’autonomie qui s’obstinent à faire comme si le prolétariat était uni pour lui-même en tant que classe révolutionnaire par le salariat, dans le cadre de sa position marchande, alors que tout prouve le contraire ? Il est vrai que le capital rassemble les ouvriers, les associe, mais cette « unité » de la pointeuse, de la chaîne, du métro, du lotissement ou de la cité reste déterminée par l’échange, c’est-à-dire l’isolement des individus. Pour s’unir, les ouvriers doivent briser le rapport par lequel le capital les « rassemble », et un des signes les plus courants de ce que leurs luttes dépassent le cadre revendicatif et que les ouvriers commencent à s’unir pour eux-mêmes, c’est-à-dire commencent à s’attaquer à leur propre condition, c’est qu’ils subvertissent et détournent ces cadres productifs, urbains, géographiques, sociaux de leur « unité » pour le capital, comme en 1982 et 1984 dans la pointe de Givet dans les Ardennes françaises, ou en Argentine plus récemment. On ne peut pas vouloir simultanément l’unité du prolétariat et la révolution comme communisation, c’est-à-dire cette unité comme un préalable à la révolution, une condition. Il n’y aura plus d’unité que dans la communisation, c’est elle seulement qui en s’attaquant à l’échange et au salariat unifiera le prolétariat, c’est-à-dire qu’il n’y aura plus d’unité du prolétariat que dans le mouvement même de son abolition.
Pour être une classe révolutionnaire, le prolétariat doit s’unir, mais il ne peut maintenant s’unir qu’en détruisant les conditions de sa propre existence comme classe. L’union n’est pas un moyen rendant la lutte revendicative plus efficace, elle ne peut exister qu’en dépassant la lutte revendicative, l’union a pour contenu que les prolétaires s’emploient à ne plus l’être, c’est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe : la communisation des rapports entre les individus. En tant que prolétaires ils ne trouvent dans le capital, c’est-à-dire en eux-mêmes, que toutes les divisions du salariat et de l’échange et aucune forme organisationnelle ou politique ne peut plus surmonter cette division.
Nous devons reconnaître que les critiques qu’ils font premièrement sont inévitables dans la problématique de la communisation : dire que la révolution sera abolition de toutes les classes comporte comme sa dérive que la communisation n’est donc possible que quand les classes ont déjà disparu. Deuxièmement, ces critiques mettent le doigt où ça fait mal. On ne peut plus juxtaposer une vision qui reste celle de l’ancien mouvement ouvrier du XIXe siècle et de la majeure partie du XXe et des positions qui la remettent explicitement en cause. C’est demeurer dans une problématique caduque que d’affirmer que la classe doit exister pour elle-même, s’unifier pour faire la révolution. Or toute l’expérience des luttes quotidiennes tend à démontrer que les « conditions » mêmes qui définissent ces luttes comme revendicatives (le salariat) déterminent l’impossibilité de s’unifier. Le prolétariat ne s’unifie que de façon révolutionnaire en abolissant ses conditions d’existence. Les ouvriers ne peuvent plus s’unifier qu’en détruisant ce qui les divise, le salariat. Avec la fin de la révolution programmatique, l’association ne se fera plus que dans la destruction directe du rapport salarial, sinon il n’y a plus d’association qu’objectivée dans le capital. Qu’importe l’événement qui catalysera ce saut et il sera toujours impossible de déterminer l’endroit ou plutôt la multiplicité des lieux où seront prises les premières mesures communisatrices enclenchant l’unification du prolétariat comme sa propre abolition.
Le capital n’unifie plus le prolétariat pour lui-même, au contraire il l’atomise. Le rapport salarié n’est plus le terrain d’un début de processus d’unification du prolétariat, il est le marécage où viennent s’embourber les moindres tentatives des ouvriers de s’unir sous quelque forme que ce soit (autonome ou politique), le terrain qu’il est contraint de dépasser pour affronter le capital et satisfaire ses besoins dont le premier, qui résume tous les autres, est sa propre disparition. L’atelier l’usine ou la nation comme entités isolées, enserrées dans le réseau de l’échange, ne sont plus le cadre d’une possible organisation révolutionnaire des ouvriers, ils sont le lieu où s’effectue la dictature du capital. Le mouvement révolutionnaire partira de ces endroits, qui sont les centres de l’exploitation du travail, c’est évident, mais il ne sera communiste qu’en les faisant éclater. La nécessité actuelle de dépasser leur situation, les travailleurs salariés la retrouvent en leur sein, dans leur être, dans leur incapacité à s’associer sans remettre en cause le rapport qui les lie pour le capital et les divise pour eux-mêmes en une infinité de situations et de pratiques. Alors que Marx pouvait constater que les ouvriers s’associaient et tendaient donc à devenir une classe-pour-soi autour de la lutte pour le maintien du salaire, aujourd’hui les ouvriers ne peuvent plus s’associer qu’en remettant en cause le rapport salarial et toutes les conditions existantes dans lesquelles ils sont inclus.
Il faut le dire carrément : l’ « unité des travailleurs salariés », c’est au mieux un vœu pieux et au pire une utopie capitaliste. La « solidarité » des avec et sans-emploi, c’est un programme réactionnaire d’institutionnalisation de la division entre le bagne salarié et l’enfer du chômage, avec partage de la misère, alors que la seule perspective c’est détruire le salariat, intégrer à la production communautaire ceux que le salariat ne peut absorber. Une théorie et une pratique qui préconisent l’ « unité des salariés » ou la « solidarité » avec les chômeurs, au lieu de comprendre que seul l’assaut des prolétaires contre l’échange est le moyen d’intégrer les chômeurs dans d’autres rapports, figent chaque ouvrier, corporation, usine, employé, chômeur dans « sa » situation particulière et dans une vision parcellaire de sa classe et du monde. Dans cette vision, l’ « unité » de la classe est envisagée comme quelque chose sans contenu, une forme extérieure : parti, État, loi, vraie démocratie, principe moral, autonomie et auto-organisation, etc.
Au-delà de mouvements essentiels pour nous mais minoritaires et relativement fugaces (cf. le texte « Argentine : une lutte de classe contre l’autonomie »), en Argentine par exemple, les chômeurs revendiquent du travail, les ouvriers revendiquent le contrôle sur leur usine, la majorité des prolétaires revendiquent que les démocrates plus ou moins nationalistes prennent en main le capitalisme, partout les prolétaires finissent par se heurter les uns aux autres ou se démobiliser dans une infinité de mouvements disparates. Corporatisme, localisme, révoltes désespérées, affrontements internes, illusions réformistes, voilà le tableau de l’unité revendicative du prolétariat, de l’unité de la classe comme « somme des salariés » dont nous parlent les réalistes de la lutte ouvrière. C’est en transformant leurs rapports réciproques, leurs rapports entre eux, que les prolétaires s’autotransforment. La lutte révolutionnaire se reconnaîtra à ce qu’elle passera d’emblée aux mesures sociales, elle dépassera l’usinisme, le conseillisme, l’auto-organisation, intégrera les chômeurs, définira l’affrontement révolutionnaire comme accomplissement des tâches communistes. Il ne s’agira pas de plaquer sur le prolétariat tel qu’il existe comme fractionné l’unité formelle de la politique, de la violence, du fétichisme des formes de la « démocratie ouvrière », des conseils et de l’usine.
Le prolétariat ne peut s’unifier et faire la révolution tel qu’il est : divisé en usines absurdes, déchiré par la division du travail, rendu étranger à lui-même par l’échange, etc. Il faut qu’il pousse jusqu’au bout sa situation dans le mode de production capitaliste (la dissolution des conditions existantes) mais en la détruisant, en s’unifiant par les mesures de communisation contre les rapports sociaux capitalistes, c’est-à-dire en se dissolvant. Si l’on ne précise pas cela on ne parle que de la dictature du travail salarié, c’est-à-dire du capital.
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> Unification du prolétariat et communisation, Calvaire, 8 janvier 2005’’Les hommes qui vivent au coeur du conflit du capital comme contradiction en procès et qui n’y trouvent jamais aucune confirmation d’eux-mêmes sont poussés à le détruire en se constituant en communauté révolutionnaire. Demandons-nous comment, après quelques siècles de rapports communistes, nous considèrerons la société capitaliste. Comme une immense période révolutionnaire de production du communisme.’’ R.S.
Ici, je ne pense pas que nous développions de manière si divergente, je pense l’exact même phénomène. Mais vous appelez prolétariat ces hommes qui ne trouvent pas de confirmation d’eux-mêmes, moi je vois plutôt une bonne partie de la classe que constituent les travailleurs et les travailleuses occidentaux surtout se confirmés et se mirés dans le faste aliénant, dominé et destructeur de la société de consommation, en vivre et le reproduire souvent gaiement. Une fraction large assez complètement intégrée à la production du Capital et une fraction plus large mais aussi plus divisée (en catégories de travail et de sans emplois, en catégories raciales, nationales, de sexe...) qui ne se voit pas confirmée et qui est plus portée à se constituer en communautés de vie et de luttes et d’une manière ultime en communautés révolutionnaires. Nous pourrions appelés tous ces gens prolétaires et dire que des fractions du prolétariat se divisent en tendances politiques et sociales, mais je ne vois pas l’intérêt de travailler cette segmentation comme une classe révolutionnaire, je vois plutôt la disparition d’une classe qui se révèlerait unitaire dans sa constitution comme pôle de la contradiction révolutionnaire et des mouvements pluriels qui se constituent comme révolutionnaires.
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