De la revolte des cites aus mouvements etudiants et lyceens

samedi, 22 avril 2006

Submitted by Craftwork on June 15, 2017

texte d’H. Simon diffusé sur un réseau de discussion

La révolte des cités de l’automne 2005 contre leurs conditions de vie et les
mouvements étudiants et lycéens contre le contrat précaire dit CPE au
printemps 2006 sont les deux bouts du même bâton : le mouvement mondial du
capital.Cela ne veut pourtant pas dire, dans la situation présente,
notamment en France que les deux bouts peuvent se rejoindre ; au milieu, il y
a la grande masse des travailleurs, ceux qui assurent ici la marche du
capital et dont seule une lutte généralisée pourrait sinon ouvrir la voie
vers une autre société, du moins être un levier autrement plus puissant
contre l’offensive présente dans les conditions d’exploitation du travail.
Avant tout, il faut considérer que la France n’est plus, malgré toutes les
prétentions des politiques et des organisations politiques et syndicales de
quelque obédience, un "Etat souverain", qu’elle n’est plus qu’un élément
dans une Union Européenne économique cohérente supranationale. Cette Union
Européenne est elle-même incluse dans une dynamique capitaliste mondiale que
personne ne maîtrise et qui impose ses lois à toute structure et
organisation oeuvrant dans son sein et/ou pour sa pérennité. Même si on peut
déceler des éléments de crise dans les présents mouvements du capital, on
ne doit pas sous-estimer ses possibilités d’adaptation comme il a pu le
montrer dans le passé, face à une crise autrement plus grave comme celle des
années 30.
Le problème essentiel qui se pose à notre réflexion eu égard aux deux
mouvements qui secouent la France en l’espace de quelques mois n’est :

  • ni dans les gloses sur les stratégies des organisations ou réformistes ou
    révolutionnaires qui prennent le train en marche comme on jouerait en bourse
    pour faire un bon placement
  • ni dans la discussion sur les mesures cosmétiques qui seront
    inévitablement prises pour éteindre le feu.
  • ni dans des condamnations au nom d’une morale (prolétarienne ou pas). Les
    luttes sont ce qu’elles sont et il s’y mêle toujours des éléments "
    perturbateurs " y compris des provocations policières. Mais face à des faits
    d’une certaine dimension, il s’agit d’abord de comprendre et de tenter de
    voir ce qu’ils expriment socialement
    Les mesures prises par le gouvernement, celles qui sont contestées et celles
    qui seront discutées éventuellement pour les remplacer ne visent, dans le
    cadre national qu’à maintenir la paix sociale de l’exploitation capitaliste
    en atténuant quelque peu les effets de la dynamique du capital au plan
    mondial. Le problème essentiel se situe précisément à ce niveau mondial et
    ce qui se passe en France n’est que l’aspect spécifique dans ce cadre
    national de l’évolution mondiale du capital : toute lutte qui reste
    circonscrite à un seul problème, à un seul pays ne réussissent finalement
    qu’à assurer la pérennité du système en l’aidant à surmonter ses difficultés
    présentes.

Plus le capital se développe ( et il l’a fait considérablement dans les 50
dernières années à la fois géographiquement et en envahissant des espaces où
il n’existait pas),il développe en même temps une armée de réserve de plus
en plus importante ( voir Marx, Le Capital, La Pléiade, tome 1, p 1162)).
Cette armée de réserve atteint de par le monde au moins un milliard
d’individus. Jusqu’à récemment elle se concrétisait principalement dans les
pays du tiers-monde. Elle envahit peu à peu l’ensemble des pays
industrialisés avec une présence permanente du chômage dont on tente de
dissimuler l’importance par des artifices divers. La dmension démesurée de
cette "armée de réserve" conduit à considérer que, pour la plus grande
partie, il ne s’agit plus de travailleurs éventuellement utilisables, mais
d’inexploitables donc rejetés définitivement hors circuit de production
capitaliste. Par l’action du capital, ils ont souvent été dépossédés de
leurs moyens traditionnels d’existence non capitalistes et contraints de
venir s’accumuler dans les excroissances misérables des grandes villes. On
pourrait voir, sous cet angle ici même en France, la distinction entre
chômeurs recensés et RMistes non recensés comme chômeurs, qui ne serait pas
seulement une question d’indemnisation mais celle d’une segmentation entre
ex - travailleurs potentiellement récupérables et irrécupérables pour le
capital. On pourrait même voir les nouveau contrats précaires CNE, CPE et le
contrat fin de carrière comme destinés à "faire le tri" entre les
"récupérables" et les "irrécupérables" pour le capital..
Le problème actuel pour le capital devant cette masse énorme croissante
d’inutilisables n’est pas tant de savoir comment les intégrer éventuellement
dans le circuit de production capitaliste, que de les maintenir dans les
limites de la survie pour conserver le minimum de paix sociale lui
permettant soit de continuer à exploiter des ressources de matières
premières, soit de poursuivre l’exploitation du travail de la main d’oeuvre
"utilisée". Bien sûr, les solutions diffèrent selon les situations. Cela va
de solutions genre RMI dans les pays industrialisés à l’aide alimentaire
via les ONG dans les pays du Tiers-Monde. Mais on peut trouver des
similitudes entre les "solutions" de survie dans les cités françaises, les
bidonvilles du monde entier ou les ghettos noirs des USA : trafics en tous
genre y compris de drogue et économie souterraine. Un de problèmes que l’on
peut se poser est de savoir si, sur le plan mondial, le capital peut
distraire suffisamment de plus-value pour maintenir la tête hors de l’eau de
cette masse d’inutiles et garantir la paix sociale globale qui lui est
nécessaire. Toute une série de mesures d’ordre social prise en France ne
visent qu’à ce but et il est évident que, même restreint au cadre national,
elles posent un problème de financement et donnent lieu à des politiques de
"récupération" artificielle pour tenter de réinsérer les "inutilisables"
dans le circuit capitaliste élargi pour la circonstance à des secteurs non
productifs. Il est évident que le CNE tout comme le CPE procèdent, en
partie, de telles politiques.
Ce problème n’est pas si simple car il se télescope avec l’impératif pour le
capital de trouver des mesures pour contrer la baisse du taux de profit (
une autre conséquence de l’extension du capital indépendante de sa dynamique
elle-même). Dans le monde entier, le capital doit tenter partout de
récupérer la plus value maximum et de réduire autant que possible la part de
cette plus value distraite pour assurer la reproduction de la force de
travail. Dans les sociétés industrialisées, cela signifie reprendre, d’une
manière ou d’une autre, ce qu’il avait concédé ou dû concéder dans les
années passées pour assurer la paix sociale et/ou obtenir des efforts des
travailleurs dans des périodes de reconstruction après les guerres ou
d’accumulation primitive. Il n’est pas besoin de s’étendre beaucoup, en ce
qui concerne la France (et pas spécialement la France) sur les attaques
tous azimuts pour réduire non seulement les "avantages sociaux" mais aussi
pour accroître la productivité du travail c’est à dire d’extraire la
plus-value maximum.
L’augmentation de la productivité du travail est au centre du processus de
production capitaliste et un élément essentiel de la compétition entre
capitalistes notamment quant à leurs bases nationales et au maintien des
privilèges liés à cette base. Pour la France, la réforme du contrat de
travail dont on parle à propos des CNE et CPE, ne sont pas des faits isolés
mais doivent être replacés dans le contexte des réformes touchant
l’exploitation du travail dans les vingt dernières années :
* L’annulation par le patronat de la plupart des conventions collectives de
branche qui prévoyaient des garanties à l’embauche et en cas de
licenciement,
* les lois Aubry qui permirent la flexibilité totale du temps de travail
avec l’annualisation ( qui de l’aveu des organisations patronales ont permis
de donner à la France la première place des pays industrialisés quant à la
productivité heure/travailleur)
* le développement de contrats précaires de toutes sortes ( il peut y en
avoir près de 15 différents donnant un choix aux entreprises pour adapter
les conditions aux besoins de leur industrie)
Toutes ces mesures furent les premières étapes vers la flexibilité (passées
sans opposition sérieuse à cause de la pression économique ou de
présentations fallacieuses) .Le CNE pour les entreprises de moins de 20
travailleurs adopté l’été 2005 sans provoquer véritablement de réactions
syndicales fait partie de l’étape suivante ; Il s’agit en fait, avec le CPE
et le contrat spécial préretraite des éléments d’un puzzle destiné à
harmoniser et à unifier les conditions d’embauche en laissant aux
entreprises la possibilité, à moindre coût, de disposer d’une flexibilité
prévisionnelle de deux années. Ces dernières mesures peuvent permettre une
adaptation, à moindre frais, sur le long terme, de l’exploitation du travail
aux fluctuations du marché. Tous ces éléments, apparemment disparates, ne le
sont qu’en apparence et une des étapes peu avouée vers une simplification,
dans l’intérêt des entreprises de l’ensemble des conditions d’exploitation .
Contrairement à leurs déclarations et le soutien purement verbal aux
réactions de base ( pour les émeutes de banlieues, c’était carrément un
rejet), les syndicats, notamment la CGT et la CFDT étudient depuis pas mal
de temps, leurs propres réformes en ce même sens et les mouvement actuels
ne vont leur servir qu’à se réintroduire avec leurs propres suggestions dans
le mouvement d’ensemble de réforme du code du travail. Toutes ces mesures
s’intègrent dans un plan " Sécurité Sociale Professionnelle qu’un
commissaire européen qualifiait de " flexsécurité " ( LES Echos 23 mars
2006). Il ne faut pas ignorer, dans tout ce débat, que cette même réforme
se joue aussi au niveau européen : ce n’est pas une simple coïncidence si
l’Allemagne veut également porter à deux ans la période d’essai lors d’une
embauche.
L’élan pris par la lutte anti CPE ( qui recoupe en partie la précarisation
générale du travail d’où la soutien sinon actif du moins passif de la
marginalité " intégrée " du travail), relayé par le soutien intéressé et
restreint des centrales syndical ouvre la voie à UN Grenelle " Sécupro " et
à un relookage syndical ( avec en vue une réunification syndicale CGT et
CFDT dans la " syndicat rassemblé " dont certains éléments sont déjà en
place.
Le capital se trouve devant un dilemme : d’une part contraint d’entretenir
une masse considérable de non- travailleurs inutilisables, d’autre part
contraint de pressurer toujours plus l’ensemble des travailleurs, productifs
et improductifs ( pressant encore plus ces derniers pour réduire la part de
plus-value qui les entretient).Les deux termes apparemment contradictoires
ne le sont pas dans le fait qu’ils peuvent être générateurs de troubles
sociaux, ce qui contraint de consacrer des dépenses considérables et
toujours plus importantes pour la "sécurité", celle du capital bien sûr,
pour une paix sociale reposant sur "l’équilibre de la terreur". Il est un
autre problème, inhérent au capital lui-même, mais qui joue par le canal des
entreprises, des trusts, des multinationales et des Etats : en fait tout un
ensemble de problèmes qui découlent de la compétition acharnée au sein de la
jungle capitaliste. Nous n’avons pas l’intention de développer ici les
canaux industriels et financiers par lesquels joue cette compétition mais
nous voulons souligner que l’économie mondiale se débat, dans tous les
domaines, avec une surproduction qui aiguise encore plus cette compétition.
Le capital, pour se maintenir et progresser , a besoin de consommateurs pour
réaliser la plus-value. Outre le maintien de la paix sociale, c’est aussi le
sens de l’entretien minimal de survie des non - travailleurs. Mais s’il
réduit la portion concédée aux travailleurs, c’est une contradiction de plus
par rapport à ses impératifs. D’où également le recours au crédit sous
toutes ses formes qui est une manière d’entretenir
la consommation, mais aussi de faire des prélèvements sur la part future de
plus-value concédée aux travailleurs. C’est un cercle vicieux puisqu’avec
les pressions sur salaires et conditions de travail, ce futur des
travailleurs est déjà largement obéré.
Personne ne peut dire ce que sera le futur des deux mouvements distincts de
lutte que nous avons évoqué au début de ce texte. Celui des banlieues s’est
éteint étouffé par la répression et certainement par le fait qu’il n’a pas
été relayé par d’autres que les jeunes des cités eux-mêmes ( et le feu couve
toujours - ce que craignent les dirigeants - car la situation est inchangée
hors des promesses verbales et le restera après que la question du CPE aura
été réglée). La grande différence avec le mouvement des étudiants lycéens,
c’est que ceux-ci, dans leur grande majorité issus de ce qu’on pourrait
appeler une large classe moyenne, luttent pour un futur qu’ils pensent
menacé, alors que les autres luttaient pour un présent, l’impossibilité de
vivre "normalement" actuellement et bien sûr dans un futur. Les méthodes de
lutte diffèrent aussi totalement :
* une similitude avec le mouvement ouvrier pour les étudiants - lycéens
restant à ce stade dans un légalisme avec occupations, blocages,
manifestations et un rejet majoritaire de la "violence" et une revendication
initiale précise, le rejet du CPE( ce n’est pas un hasard si la plupart
recourent aux syndicats ouvriers pour l’organisation même des manifestations
purement étudiantes et son encadrement flicard) ;
* une démarche totalement différente pour les jeunes des cités, d’emblée la
violence, dans le seul lieu public où elle peut s’exercer, la rue et
pratiquement aucune revendication précise sauf en linéament pour que "ça
change". Il n’est nullement étonnant que ces " jeunes des banlieues "
profitent des grands rassemblement pour " exercer leur activité marginale "
, partie de leur survie, le vol par agression ; ils l’ont toujours fait lors
des rassemblements festifs ou commémoratifs ou d’autres manifestions. Qu’on
le veuille ou non, quelle que soit l’interprétation qu’on donne à cette
violence, elle marque une différence de classe : classe dangereuse contre
classe moyenne et cela n’a pas grand chose à voir avec les violences "
motivées " des avant-garde politisées.. Ils n’ont rien à faire des "
réformes " car ils savent de par leur quotidien qu’aucune mesure ne
changera à leur présent et à leur futur : n’attendant rien, ils prennent
pour survivre ce qui est à leur portée et la violence et l’illégalité sont
les seuls moyens
d’y parvenir
Il ne dépend de personne de faire que les uns et les autres débordent ce
stade premier de leurs actions, se donnent des revendications plus générales
remettant en cause non pas le présent gouvernement, mais le système lui-même
qui fait qu’ils sont présentement ce qu’ils sont. Bien sûr une infime
minorité tente de "radicaliser" le mouvement étudiants - lycéens soit par
des actions violentes en marge des manifestations ou par des occupations
sauvages, soit en tentant d’élargir le champ revendicatif ou en posant le
problème de la société globale. Ils peuvent aussi penser que des "jeunes des
banlieues" viendront les relayer( ce qui est parfois le cas mais pour de
toutes autres motivations).Jusqu’à présent ces efforts sont restés vains
même s’ils donnent parfois au mouvement un caractère spectaculaire. Tout
cela dépend de la dialectique de la lutte, des actes répressifs et/ou
conciliateurs des détenteurs présents du pouvoir politique et de la
détermination des uns et des autres de ne pas céder aux sirènes de la
médiation mais surtout et avant tout de l’entrée dans la lutte de l’ensemble
des travailleurs ( ce qui n’est pas le cas présentement, dans une attente
d’appels syndicaux qui viendront mais avec une toute autre signification).Il
est certain que le pouvoir dispose de nombreuses possibilités d’établir des
contre-feux et que, pour ce faire, dans la ligne de ce que nous avons dit de
l’attitude des syndicats, ces organisations sont prêtes , sous certaines
conditions, à oeuvrer pour un retour au calme : c’est leur fonction dans le
système capitaliste et il est parfaitement illusoire de penser qu’ils
pourraient agir autrement.
Que restera-t-il de ce mouvement du printemps 2006 comme de celui de
l’automne 2005 ? Quelle que soit l’issue de ces deux mouvements, ils ont
présenté tous deux un trait commun qui les relie aux grands mouvements de
lutte d’un passé récent, y compris celui de mai 1968.Ce trait commun une
sorte de jonction mythique étudiants - ouvriers, classes dangereuse - classe
ouvrière, c’est leur généralisation rapide à l’échelle nationale, à partir
d’un fait précis, débordant, par sa spontanéité et son imprévisibilité, le
cadre étroit revendicatif et syndical. Cette tendance est balbutiante quant
à ses formes d’organisation, son contenu et ses formes d’action. Elle se
heurte aux cadres étroits de la revendication traditionnelle qui la dévie,
la contient, l’utilise et au besoin la réprime. On ne peut en tirer de
conclusion sauf de constater qu’elle se reproduit au fil des années avec
plus ou moins de force et en précisant plus ou moins ses caractères. Et
ceci, sans qu’on puisse parler d’une transmission quelconque d’une
expérience passée. Seulement pour dire qu’elle est le produit des formes et
du contenu de la domination capitaliste, qui, intégrant dans sa répression
les caractères antérieurs de cette tendance, transmet objectivement les
termes de ces luttes antérieures. Une telle tendance n’est d’ailleurs pas
spécifique à la France. On peut déceler des mouvements similaires dans
d’autres pays européens par exemple en Grande Bretagne, lors de la grève des
mineurs de 1984-85 ou du mouvement de résistance à la poll tax. Mais là
aussi, personne ne peut prévoir un futur qui dépend du mouvement du capital,
des réactions aux mesures que ce mouvement impose aux politiques, de
l’ampleur de ces réactions dans la dialectique des relations avec les
répressions de tous les pouvoirs de domination. L’extension d’un mouvement
de lutte, de son unification à tous les exploités, de sa généralisation
dépendent des travailleurs eux-mêmes : si à un moment donné, celle-ci
s’arrête pour une raison quelconque, tout retourne, même avec des "succès"
qui ne peuvent être que temporaires, dans le cadre des relations de
domination capital - travail. Et tout est à recommencer, ou plutôt à
continuer : la lutte pour l’émancipation est un long chemin parsemé d’échecs
et de luttes toujours recommencées, mais jamais identiques elles-mêmes,
modelées par l’évolution du capital et par ses contradictions ainsi que par
ce qu’il a intégré des luttes antérieures.

Commentaires :


  • DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS, R.V., 22 avril 2006

    Remarques à propos des textes d’Henri S sur les mouvements sociaux en France

    On ne peut que saluer le souci d’Henri S d’informer les "non français" sur les événements en France. Il a ainsi mis sur le réseau anglophone trois textes, dont un : "De l’émeute des banlieues au mouvement étudiant" (30 mars 06) qui reprend l’essentiel de celui mis à ce propos sur le réseau francophone (27.03.06). (1)

    Mais, je ne partage pas certains aspects importants de la vision donnée par Henri du mouvement social qui se déroule en France depuis maintenant près de deux mois. Henri semble passer à côté de tout ce qui fait la nouveauté, l’importance et la force du mouvement. Au lieu de voir celui-ci comme un dépassement des émeutes des banlieues de novembre, il semble nostalgique de celles-ci et va jusqu’à dire qu’il y a "un large fossé" entre les deux mouvements, celui de novembre ayant été de loin supérieur.

    "On peut mesurer le large fossé qui sépare le mouvement présent de celui des "émeutes de banlieue" en regardant la réaction de la majorité contre ceux qu’on appelle les casseurs et l’utilisation des équipes syndicales chargées de la répression." ("Questions précises...")

    Je voudrais tout d’abord rectifier l’image qu’il donne du mouvement "étudiant/lycéen. Ensuite, j’aborderai brièvement la question des "jeunes des banlieues".

    Henri présente le mouvement étudiant et lycéen comme

    - une expression de la "classe moyenne", par opposition aux actions des jeunes de banlieue qui expriment la "classe dangereuse".

    Il reproche aux étudiants et lycéens

    - de se cantonner à des revendications ne concernant qu’eux mêmes au détriment de tout le reste et en particulier des problèmes des jeunes de banlieues ;

    - d’être des alliés des syndicats auxquels ils ont recours pour que leurs services d’ordre les protègent contre "les casseurs" ;

    - de refuser toute forme de violence pour lutter.

    Sur ces quatre aspects, je pense qu’Henri perçoit la réalité de façon déformée. Prenons les un par un.

    1. Le mouvement est il l’oeuvre de la classe moyenne ?

    Henri écrit : "Quoi qu’on pense à propos de ces faits, cette violence et ces comportements sont la marque d’une différence de classe : la classe dangereuse contre la classe moyenne." (De la révolte des cités...)

    Il y a deux questions ici : la composition sociale des lycéens et étudiants, d’une part, et d’autre part la participation de travailleurs au mouvement.

    Je crois qu’il est faux d’affirmer que les étudiants et les lycéens sont pour l’essentiel des enfants des classes moyennes. La population des lycées et des universités de 2006 en France n’est pas la même que celle de 1968. La proportion d’élèves qui finissent leurs études secondaires s’est énormément accrue, en particulier parce qu’on a multiplié les diplômes de fins d’études (Bac) de type "professionnel" ainsi que les "lycées techniques". La composition sociale des universités (qui sont gratuites en France) s’est aussi "prolétarisée", non seulement parce qu’il y a plus d’enfants de prolétaires qui y ont accès (dans certaines universités parisiennes ou de banlieue, les étudiants "blancs" sont minoritaires) mais aussi parce que les franges basses des "classes moyennes" se sont appauvries.

    Après quatre ou cinq ans d’études dans les universités publiques, les jobs auxquels les étudiants peuvent accéder (après des mois, sinon des années de "stages" non payés ou très mal payés) sont souvent rémunérés à peine au-dessus du salaire minimum légal. Bien sûr il reste des enfants des classes moyennes "aisées" dans les universités, mais ils n’y ont plus le même poids. C’est plutôt dans les "Ecoles" et "Grandes écoles" qu’on les retrouve.

    Dans les pays avancés, en particulier depuis les années 70, le capitalisme a développé un "prolétariat éduqué." Toyota, au Japon, se vantait d’avoir dans ses usines des travailleurs qui avaient tous au minimum terminé avec succès leurs études secondaires.

    Evidemment y a aussi une très grande partie des prolétaires, plus ou moins étendue suivant les pays, qui ne dépasse pas le nombre d’années scolaires obligatoires ou qui sont déscolarisés avant l’âge. Mais ce n’est pas une raison pour considérer que tous ceux qui sont allés au-delà ne sont plus des prolétaires, qu’ils sont des membres de la "classe moyenne".

    Ensuite, le mouvement anti-CPE n’a pas mis dans la rue que des étudiants et des lycéens. Dans beaucoup d’universités les travailleurs des secteurs administratifs tout comme une partie des enseignants ont été solidaires du mouvement dès le début. Si le mouvement a démarré en février dans les universités, Rennes et Poitiers en particulier, puis s’est étendu et radicalisé pendant six semaines dans ce milieu, à partir des manifestations du 18 mars, où l’on voit dans toutes les grandes villes du pays la participation d’un nombre important de travailleurs à côté des étudiants et lycéens, le mouvement "anti-CPE" a pris une dimension sociale plus large. Même si les centrales syndicales ont tout fait pour espacer et garder le contrôle des mobilisations de travailleurs, il y a quand même eu trois journées de grèves et manifestions massives en 18 jours. (Entre 1 et 3 millions de participants, suivant les évaluations, pour les deux dernières manifestations). Au cours des actions de blocages de routes et de gares par les étudiants et lycéens, les manifestations de sympathie sont nombreuses, comme à celle de la Gare de Lyon, à Paris, où une partie des voyageurs reprenait les slogans que criaient les bloqueurs. Il faut ajouter que les jeunes déscolarisés de banlieue n’ont pas fait qu’attaquer les manifestants et qu’ils ont aussi participé à côté des étudiants aux affrontements avec la police. Et enfin, même si c’est ponctuel, on peut noter que des agriculteurs ont apporté des vivres aux étudiants qui bloquent les universités à Bordeaux et à Lille.

    C’est cette socialisation du mouvement, la menace de son extension et intensification, et non la seule force des étudiants et lycéens, qui ont provoqué le recul partiel du gouvernement et la crise politique gouvernementale qui s’en suit.

    2. Le mouvement est-il resté cantonné à la stricte question du CPE ?

    Henri écrit : "Pour la plupart des étudiants, même si la toile de fond était un malaise à l’égard de l’actuelle société, peu de revendications allaient au-delà du retrait du CPE". (Questions précises...)

    Pourtant, un des aspects particuliers de ce mouvement est le fait qu’il s’est très vite conçu comme une lutte contre une mesure sociale qui touche tous les exploités. Il est significatif que dès le début les assemblées générales des universités se sont ouvertes à l’extérieur, aux non-étudiants, comme en 1968 et contrairement à ce qui se fait dans les mouvements syndicaux classiques. Le thème du CPE conduit immédiatement à celui de la précarité en général et du système qui l’engendre. Si les étudiants étaient si enfermés sur leurs propres spécificité d’étudiants, comment expliquer qu’une assemblée générale de l’université de Tolbiac ait pu voter une motion au début mars parlant de la nécessité d’"en finir avec le capitalisme" ?

    Henri écrit :

    "Dans les manifestations, pratiquement toutes les pancartes, petites ou grandes, individuelles ou collectives concernaient le CPE, très peu parlaient d’autre chose et aucune ne concernait les banlieues" (texte du 3.04)

    Cette affirmation me surprend d’autant plus que j’ai eu l’occasion de rencontrer Henri à trois reprises au cours des différentes manifestations, mais de toute évidence nous n’avions pas le même regard....

    Il suffirait de citer quelques unes des pancartes qui jouaient avec les initiales CPE pour contredire la vision donnée par Henri : "Contrat Premier Esclavage", "Contrat Précarité Eternelle", "Chômage, précarité, exclusion"... il y avait de nombreuses variations qui élargissaient la signification sociale des trois lettres.

    Après les initiales CPE, le mot certainement le plus écrit dans toutes les pancartes et banderoles c’était "précarité". Et ce mot à lui seul résume la condition et le problème le plus pressant non pas pour les seuls étudiants et lycéens mais aussi pour l’ensemble de la classe exploitée et en premier lieu pour les jeunes de banlieue.

    La revendication du "retrait du CPE" a naturellement constitué une constante, le point de départ et de ralliement. Mais, au fur et à mesure que le mouvement s’est développé, en particulier avec les manifestations, les slogans et les pancartes ont abordé des questions de plus en plus globales. "Il y en a marre de cette société !" a mille fois été répété dans tous les cortèges et fréquentes étaient les pancartes qui disaient "Ni CPE, ni CDD, ni CDI", c’est à dire le refus de tout type de contrat de travail. Il y avait même des "A bas le travail !", "Droit à la paresse", "Il faut détruire le système d’exploitation !", etc.

    Pour étayer sa vision d’un mouvement étudiant strictement corporatiste, Henri rappelle que le CPE fait partie d’une loi plus générale : la "Loi pour l’égalité des chances" et que celle-ci contient des articles qui touchent violemment des secteurs les plus défavorisés des travailleurs : "possibilité de travailler - écrit-il - comme apprenti dès l’âge de 14 ans et autorisation du travail de nuit à partir de 15 ans, ce qui est une rupture par rapport à l’éducation obligatoire jusqu’à 16 ans et l’interdiction du travail de nuit pour les enfants ; (...) sanctions pécuniaires contre les parents pour manque de surveillance de leurs enfants, particulièrement s’ils jouent aux truands fréquemment...", etc. (Questions précises...)

    Puis Henri ajoute : "Nous devons observer que l’actuel mouvement ’anti-CPE’ ne mentionne pas du tout ces mesures répressives contre les gens des banlieues."

    Dans son dernier texte, Henri cite Y. qui lui dit que cela est faux et lui donne pour preuve le fait que la coordination nationale des étudiants et lycéens (qui se réunit toutes les semaines dans une ville différente et regroupe des délégués de toutes les universités et lycées en lutte) a explicitement déclaré qu’elle ne demandait pas le seul retrait du CPE mais de l’intégralité de la loi. (Le journal Libération (7 avril ) cite un représentant de la coordination de la région parisienne affirmant que leur combat dépasse largement le CPE : "Nous voulons le retrait du CNE [un contrat du type CPE, en vigueur depuis plusieurs mois, mais qui ne concerne que les entreprises de moins de 20 salariés], de la loi égalité des chances et de la loi Sarkozy sur l’immigration.")

    Et Henri répond : "C’est vrai. Mais le problème est de considérer la taille et l’importance de cet appel au retrait de la loi. Pratiquement toutes les déclarations et appels des syndicats officiels d’étudiants et de travailleurs (qui ont appelé à la plupart des ’journées d’action’ et organisé les principales manifestations) se sont focalisées seulement sur le CPE."

    Mais, est-ce que les syndicats officiels d’étudiants (UNEF) et de lycéens (UNL, FIDL) sont une expression plus authentique du mouvement que la coordination nationale ?

    Cela nous conduit au troisième aspect du mouvement qu’Henri présente, à mon avis, de façon déformée : les formes d’organisation du mouvement étudiant/lycéen et leurs rapports avec les syndicats officiels.

    A suivre


    • DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS, R.V., 22 avril 2006

      Suite

      3. L’auto-organisation des étudiants/lycéens.

      Henri passe à côté d’un des aspects les plus importants et novateurs de l’actuel mouvement : la capacité d’auto-organisation des étudiants et lycéens. Depuis le début, le mouvement étudiant s’est organisé en dehors des syndicats. Contrairement à ce qui se fait d’habitude, les assemblées ne sont pas présidées par des délégués syndicaux mais par des participants de l’assemblée élus à chaque occasion. Dans beaucoup d’assemblées, les organisations syndicales n’ont même pas le droit de s’exprimer en tant qu’appareils. La coordination des assemblées n’est pas assurée par une "intersyndicale", mais par des délégués élus pour chaque réunion de la coordination. A une telle échelle, c’est une des plus larges expériences d’auto-organisation réalisées en France.

      Le GCI pour qui la radicalité d’un mouvement se mesure essentiellement à la violence des affrontements avec la police, se moquait de ces efforts et écrivait dans un tract daté du 21 mars : "En s’enfermant dans la débilité de l’assembléisme, véritable moulin à parlottes et non véritable lieu d’organisation de la lutte, ainsi l’AG de Dijon s’est réunie (19-20 mars) pendant 17 HEURES pour décider 2 journées de "mobilisation". D’autres ironisent sur la méticulosité avec laquelle les assemblées générales des universités procèdent à des votes pour même la moindre décision, au contrôle des mandats des délégués, etc. Ils ne voient pas que c’est l’apprentissage de l’auto-organisation, de la capacité à tenir des assemblées et des coordinations qui se gouvernent elles-mêmes et ne sont plus de simples publics d’un show syndical ou de minorités organisées et "décidées", comme se voudrait le GCI et autres "guerriers" en manque de troupes. Des lieux où l’on apprend à se reconnaître comme collectif et comme individu responsable du collectif.

      Cela est d’autant plus difficile que les militants trotskistes (en particulier ceux de la LCR -IVe Internationale- et de LO) jouent en permanence sur les deux tableaux, en tant que délégués syndicaux et en tant qu’éléments "combatifs" favorables aux assemblées autogérées. Comme ils l’avaient fait, avec succès, dans le mouvement de 2003, ils ont recours à toutes sortes de manœuvres pour se faire nommer délégués et être présents dans les commissions pour défendre leur politique de coopération/soumission aux syndicats. Lors d’une assemblée générale de Censier (3 avril), le délégué qui rendait compte de sa participation la veille à la réunion de la coordination nationale à Lille, s’est plaint ouvertement des magouilles de la part de l’UNEF (syndicat étudiant) de la LCR et de LO.

      Même si le niveau de clarté des différentes assemblées d’étudiants et de lycéens est hétérogène, il est remarquable de voir comment dans les assemblées les plus avancées, telles Tolbiac et Censier à Paris, la méfiance à l’égard des toutes les organisations syndicales et politiques est devenue une donnée de base.

      Henri semble ignorer cette réalité pour ne voir que ce qui se fait au niveau syndical. Il en est ainsi lorsqu’il parle des efforts des étudiants pour élargir leur mouvement vers les salariés : "Mais cette tentative vers les syndicats de travailleurs est plus compliquée : les contacts sont faits à partir des syndicats d’étudiants vers les syndicats de travailleurs ; il n’y a pas, par exemple, de tentatives de la part des étudiants de la base d’aller directement à la porte des usines pour prendre contact avec les travailleurs." (Questions précises...)

      Tout d’abord sur ce dernier point : il n’est pas vrai qu’il n’y a pas eu de tentatives de rencontrer les travailleurs en dehors des filières syndicales. Celles-ci se sont multipliées surtout après le 4 avril avec des mini-manifestations "sauvages", c’est à dire en dehors des syndicats, qui se rendent dans les lieux de travail, par exemple aux dépôts des bus parisiens, à 5 heures du matin. Le six avril, à Rennes des étudiants et lycéens sont allés bloquer le centre de tri postal de la ville et les travailleurs sont partis spontanément en grève en solidarité, jusqu’au lendemain.

      Il est cependant vrai que la volonté des étudiants et lycéens de s’adresser aux travailleurs s’est traduite aussi par des appels adressés aux grandes centrales syndicales, formulés évidemment par les syndicats étudiants et lycéens en premier mais aussi par des assemblées. L’idée que ces centrales représentent tant bien que mal les travailleurs n’est pas encore disparue et est quotidiennement entretenue par l’action conjointe des syndicats, du gouvernement, des médias et de façon plus insidieuse par les gauchistes. Il n’est pas surprenant, tant qu’il n’y aura pas de mouvement significatif des travailleurs clairement en dehors des contrôles syndicaux, que les étudiants s’adressent aussi à elles pour parler aux travailleurs.

      Des illusions subsistent. Mais, ce n’est pas une raison pour laisser entendre, comme le fait Henri, que les étudiants étaient globalement d’accord avec l’action des centrales et en particulier avec les actions policières des services d’ordre syndicaux pendant les manifestations.

      "Ce n’est pas par hasard -écrit Henri- qu’il y a eu un accord général pour demander l’aide des principaux syndicats de travailleurs pour l’organisation des manifestations, même de celles purement estudiantines et que les ’gros bras’ des services d’ordre syndicaux ont contrôlé les manifestations contre ’les jeunes des banlieues’ ensemble avec la police." (Des émeutes des banlieues...)

      Même si la méfiance des étudiants et lycéens à l’égard des syndicats de travailleurs reste insuffisante, leur mouvement n’est pas pour autant soumis passivement à l’action des grandes centrales. L’assemblée générale de la Sorbonne, par exemple, traduisant un sentiment très généralisé, avait voté une résolution dénonçant la décision des grands syndicats, au lendemain de la première manifestation ayant connu une forte participation de travailleurs, le 18mars, d’appeler à une "journée d’action" devant se dérouler seulement 10 jours plus tard, faisant tout pour que la combativité qui venait de s’exprimer s’attenue.

      Quant à la question de l’action des services d’ordre syndicaux pendant les manifestations, en particulier vis-à-vis des "jeunes de banlieue" les choses sont plus complexes.

      Après l’attaque de la manifestation d’étudiants et lycéens, le 23 mars, par des centaines de "jeunes de banlieues", où des manifestants et manifestantes furent violemment volés et frappés, provoquant ne véritable ambiance de panique à la fin de la manifestation, les étudiants ont effectivement demandé l’aide des syndicats de travailleurs pour se défendre. Mais, lorsqu’ils ont vu lors des manifestations du 28 mars les services d’ordre syndicaux se livrer à une véritable coopération ouverte avec la police, livrant à celle-ci les jeunes qu’ils avaient capturés, il y eut des réactions de stupeur mais aussi de réprobation ouverte comme celle de certains groupes, place de la République à Paris, criant : "CGT collabos !". Même si de telles réactions sont restées minoritaires, même si l’ensemble des manifestants n’a eu ni la conscience ni la force suffisante pour s’opposer aux agissements des services d’ordre syndicaux, il est faux d’assimiler la coopération des services d’ordre avec la police à la volonté du mouvement étudiant et lycéen.

      4. Le mouvement étudiant/lycéen et la violence.

      Enfin, avant d’aborder la question des "jeunes de banlieue" et de leur rôle dans le mouvement "anti-CPE", il me semble nécessaire de rectifier l’affirmation d’Henri d’après laquelle : "Le mouvement étudiant veut donner une" bonne image" et rejette toute sorte de violence." (Des émeutes des banlieues...)

      Il suffit de regarder la composition des listes de manifestants arrêtés lors des divers épisodes d’affrontements avec la police pour se rendre compte qu’il n’y a pas que les "jeunes de banlieue" qui se battent violemment la police. En dehors de Paris, dans des villes comme Rennes, Caen ou Toulouse les étudiants ont été plus particulièrement violents. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté : la violence à la fin des manifestations estudiantines et lycéennes en France n’est pas d’aujourd’hui.

      Par contre, ce qu’il y a eu de nouveau c’est les tentatives de transformer les fins de manifestations en meetings ouverts où tout le monde puisse prendre la parole. Ainsi, à la veille de la manifestions du 18 mars, l’assemblée générale de la Sorbonne avait appelé à tenir un tel meeting à la fin de la manifestation de Paris, place de la Nation. Malheureusement, peu avant la fin, une voiture fut incendiée près de cette place et il y eut les premiers gaz lacrymogènes, annihilant toute possibilité de meeting. A la veille de la manifestation du 23 mars, c’est une coordination des assemblées de facs parisiennes qui propose de tenir un meeting à la place des Invalides, choisie pour son ampleur comme aboutissement de la manifestation. Mais la place ne servit que comme champ de bataille pour l’attaque des manifestants par les "jeunes des banlieues" puis par les forces de police.

      A ma connaissance, d’après une information sur Indymedia-Paris, il n’y a eu qu’à Nice qu’une telle tentative a été réussie donnant lieu à des prises de paroles qui n’avaient rien à voir avec le langage stéréotypé des syndicats.

      Tout comme le GCI, Henri semble voir dans la violence par elle même un critère de radicalisation d’un mouvement social. Cela n’est vrai que dans une certaine mesure. Au delà du terrain de l’affrontement avec les forces de police, sur lequel il sera pendant très longtemps impossible d’avoir le dernier mot, la question de la transformation des fins de manifestations en lieux de rencontre où l’on puisse se parler librement, prendre conscience de la force du rassemblement, prendre des décisions est beaucoup plus importante et fertile. A mon avis, ce n’est pas moindre le mérite de ce mouvement que d’avoir commencé à poser la question.

      ... à suivre

      Raoul Victor

      9 avril 2006

      Note :

      1 ; Les deux autres textes sont : "Questions précises posées par un camarade grec qui pourraient être utiles aux non français pour comprendre ce qui est en train d’arriver en France" (1 avril) ; un mail daté du 3 avril où Henri répond a certaines critiques faites a ces textes par un camarade, Y., de Paris. Toutes les citations que je donne viennent de la version anglaise des textes.

      DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS.


      • DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS, Maxime, 22 avril 2006

        A tous

        Rebond en seconde file sur Raoul par rapport à Henri

        Salaud de jeune ! Le camarade Christian, méprisant la règle de préséance

        qu’il eût dû observer en égard à mes cheveux plus blancs que les siens, a piqué

        sous mon nez les remarques que je m’apprêtais à faire sur le texte de Raoul

        apostrophant Henri. Le malpoli ne m’offre pas même la ressource de dire ma pensée

        mieux qu’il ne l’a fait. Mais, trop bon, je lui pardonne.

        Comme Christian - et Raoul sur ce point et aussi Jacques Wajnsztejn-,

        j’estime qu’Henri a complètement tort de ne voir dans le mouvement étudiant

        d’aujourd’hui qu’une expression des enfants des classes moyennes. Et la bévue d’HS

        apparaît encore plus grave quand on prend en compte l’ensemble des scolarisés

        mobilisés contre la précarité, en incluant donc les lycéens. La chose laisse

        plutôt pantois venant de la part d’un vétéran archiformé, en principe, pour

        discerner l’évolution des facteurs sociologiques au cours des trente dernières

        années.

        En dehors de ce point, je me place, derrière Christian, tout à fait du côté

        du camarade d’Echanges - donc en opposition aux objections que lui fait Raoul

        - , quand, dans son message d’information aux "non-Français", Henri indique les

        limites du mouvement anti-CPE. Sur l’appréciation générale de la

        mobilisation des scolarisés et du soutien que lui ont apporté les "salariés", Raoul, tout

        en pointant cependant des faiblesses, se montre trop optimiste. Cela même de

        l’intérieur de sa vision "programmatiste" du prolétariat devant prendre en

        main la gestion du salariat avant d’abolir celui-ci et dont l’avancée du

        "programme" passe par le progrès de l’auto-organisation face aux syndicats et aux

        partis de gauche (cf. son texte d’il y a deux ans sur la légitimité de la

        représentation syndicale).

        Je ne repète pas les arguments de Christian et d’Henri, qui me semblent plus

        que suffisants ; je souligne seulement quelques aspects.

        A propos, justement, de l’imposture des syndicats, le cri de triomphe que la

        CGT, la CFDT, FO, l’Unef, la Confédération étudiante, la FIDL et les autres (à

        part la CNT), ont poussé à l’annonce de l’enterrement de fait du CPE par le

        gouvernement montre bien que, malgré la défiance exprimée effectivement contre

        eux ça et là dans les AG des scolarisés, les syndicats ont eu barre sur le

        mouvement et l’ont pris finalement à leur compte. A ce plan, l’auto-organisation

        des scolaires n’a pas été plus loin qu’une volonté d’autonomie - de toute

        façon bien propre à l’humeur de la jeunesse en général ; mais l’autonomie n’est

        pas l’indépendance et encore moins une déclaration d’hostilité. Il faut de toute

        manière rappeler que ni l’autonomie ni l’indépendance organisative d’un

        mouvement ne portent automatiquement en elles, en tant que formes, la garantie d’un

        dépassement de l’idée syndicale, qui, tant qu’elle subsiste, laisse la porte

        ouverte à la récupération par les syndicats institués ou des syndicats de

        remplacement, " de base ", " de lutte de classe ", etc.

        Par rapport à Henri, je veux dire qu’il n’ y pas lieu de séparer le " bon

        mouvement " des émeutiers " de novembre, parce que conduit par des ressortissants

        de la " classe dangereuse " (le prolétariat, bien entendu), du moins bon,

        voire mauvais, mouvement des scolarisés. Les deux se rapportent au même problème

        de la " salariarisition " dans le capitalisme d’aujourd’hui. La "

        précarisation ", comme on dit. La rébellion des cités banlieusardes a exprimé seulement le

        côté le plus extrême de la précarité : l’exclusion pure et simple hors du

        champ salarié. Pour revenir au mouvement des scolaires, le lien entre les

        différents aspects de la précarisation a certainement été fait dans les esprits, et

        Raoul a raison de le dire, mais cela ne s’est guère traduit au plan de

        l’expression la plus publique du mouvement : les manifestations de rue. Plus que sa

        présence formelle dans les libellés inscrits sur les banderoles des cortèges

        (présence pas si abondante que ça, d’ailleurs), ce qui aurait traduit la

        globalisation du problème dans les consciences devait être une invitation expresse

        faite aux jeunes des banlieues (ceux, du moins, qui n’étaient pas déjà incorporés

        en tant que lycéens ou étudiants, il y en a malgré tout) de s’agréger aux

        défilés sous un calicot affichant l’unité de combat entre scolaires et

        "émeutiers". La remarque vaut d’ailleurs dans l’autre sens aussi bien, à savoir

        l’exigence posée par les

        " encapuchonnés " du 9. 3. (et d’ailleurs) d’avoir leur place officielle au

        cœur des défilés, et je ne sache pas que la requête a été exprimée. J’aurais

        aimé entendre sortir des poitrines ce cri salutaire : " Nous sommes tous des

        kaïras (racailles). Nous sommes tous des casseurs !". Alors, c’est vrai que,

        comme le souligne Raoul, certains scolaires (pas tous) et certains

        banlieusards (pas tous) se sont retrouvés côte à côte face aux charges des CRS, surtout

        après le 18 mars. Mais ce rapprochement a plus relevé des contingences de la

        situation que d’une volonté délibérée, " politique ", de fusion.

        Il en va de même pour ce qui regarde le soutien des "salariés" au mouvement.

        Car, bien entendu, des cortèges aussi massifs que ceux de Paris, Toulouse,

        Marseille, etc., ne renfermaient pas que des scolaires. Là aussi, c’est clair, le

        lien entre la précarité des jeunes et celle des seniors s’est opéré dans les

        esprits. Mais cette convergence de conscience s’est précisément traduite

        seulement sous la forme, non de fusion, mais de soutien, donc avec une certaine

        extériorité qui amenuise le degré de conscience. De nouveau, l’absence de

        banderoles centrales, dans les manifs, proclamant : "

        Etudiants-lycéens-émeutiers-salariés, même combat, une seule lutte contre le capitalisme et sa société. Tous

        en grève reconductible ! " (slogans que portaient en effet quelques pancartes

        individuelles et éparses, sûrement pas des milliers), cette absence, donc, est

        révélatrice de faiblesse.

        Dans le prolongement de ce point, je voudrais faire une réflexion sur la

        remarque d’Henri disant qu’" il n’y a pas de tentatives de la part des étudiants

        de la base d’aller directement à la porte des usines pour prendre contact avec

        les travailleurs ". Raoul rétorque que des démarches de ce genre se sont

        multipliées au lendemain du 4 avril, c’est-à-dire après la date d’émission du

        communiqué d’HS aux non-Français. A mon avis, et outre que le phénomène fut très

        tardif, elles n’ont pas été aussi nombreuses que le dit Raoul et, je le

        répète, n’ont pas dépassé le stade de la demande de soutien. Mais ce n’est pas

        cela, ma réflexion. En fait, les " salariés " étaient bien présents dans les

        manifs, venus d’eux-mêmes, mais pas, comme naguère cela se faisait, sous forme de

        cortèges d’entreprises, d’usines, sinon à titre individuel, comme parents de

        scolaires ou bien de citoyens. Il me semble qu’il y a là une déperdition du

        sens de l’appartenance à la " classe ouvrière " dans la notion classique de la

        chose ; l’apparent oubli du réflexe d’aller aux portes des usines refléterait

        en réalité un effacement de la symbolique des usines comme lieu privilégié où

        se forge la force de classe et à partir de l’exemple duquel se cristallise

        l’identité prolétarienne des non-ouvriers. Et cela renvoie à cette réalité que,

        aujourd’hui, les ouvriers ne sont plus le centre de gravité de la " classe

        ouvrière ". Ce que traduit le type massif des manifs d’après le 18 mars, c’est

        que, si la classe ouvrière - ou classe prolétarienne pour mieux dire- a

        encore un sens en 2006, comme je le crois, elle est maintenant partout et en même

        temps diffuse. D’où la difficulté actuelle des prolétaires à se reconnaître

        comme classe et à fusionner ses différents moments et aspects de luttes. Ce n’est

        pas pour rien que, dans le mouvement contre la précarité, les protagonistes

        n’ont jamais appelé les prolétaires autrement que sous l’appellation

        œcuménique et vague de salariés.

        Je terminerai en incorporant au champ de mes remarques le dernier texte de

        Jacques Wajnsztejn (JW). C’est au moins plaisant à faire pour noter chez Jacques

        un optimisme sur les manifs égal à celui de Raoul. Mais pas pour les mêmes

        raisons. Si Raoul y voit un progrès, certes à confirmer mais un progrès quand

        même, de l’affirmation prolétarienne au sens où l’entend l’ultra gauche en

        général, Jacques y relève une avancée, certes embryonnaire, du nouveau mouvement

        révolutionnaire, c’est-à-dire, si je comprends bien le camarade de Temps

        critiques, un mouvement qui, je le cite, " ne revendique rien, ne propose rien non

        plus ", qui refuse tout, en l’occurrence du CPE au CDI. Comme Raoul, il a vu

        de nombreux signes qui confortent sa propre vision et, à l’instar de Raoul, il

        exagère : il me semble, de même qu à Christian et à Henri, que le mouvement,

        dans son tout, a fait du retrait du CPE une revendication centrale. Mais pour

        m’en tenir à la vision révolutionnaire de JW, je dois avouer qu’elle me laisse

        circonspect. Je comprends bien la critique que son courant, et les "

        communisateurs " en général, fait au revendicativisme ainsi qu’à la vieille notion de "

        classe ouvrière ". Je perçois parfaitement qu’un problème se pose au

        prolétariat du fait que le travail vivant est de moins en moins essentiel dans la

        production capitaliste. Mais je ne vois pas comment une force révolutionnaire de

        masse peut se constituer en ne revendiquant rien , en ne proposant rien. Pas

        même la " révolution à titre humain " ?, belle (et ancienne) idée qui,

        toutefois, ne suffit pas en soi à agréger un mouvement social concret.

        Maxime 20 avril 2006


        • DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS, Ni armée, ni réserve, 22 avril 2006

          L’armée de réserve du capital ?

          Rien d’autre qu’un contresens historique, un gourdin stupidement donné à l’ adversaire pour mieux se faire démolir la tronche (et le porte-monnaie). La division ainsi artificiellement créée entre salariés au travail (sous-entendu : productifs, même si c’est au service du capital) et chômeurs en réserve (donc exclus du processus de production, voire inutiles), témoigne d’un aveuglement quasi caricatural, et d’une pensée qui reste collée à celles des syndicats réformistes honnis. L’armée de réserve est le mythe qui sous-tend l’idéologie de la concurrence de tous contre tous, celle qui nous dresse les uns contres les autres. Quand dans la 4e ou 5e puissance économique mondiale plus d’un tiers des sans domicile fixe exercent une activité salariée, quand pour une génération entière le salariat devient une circulation incessante des individus entre chômage, emploi, formation, intérim, travail au black....Quand le travail ménager, familial et domestique, la reproduction de la force de travail, le plus souvent gratuite, non rémunérée, devient la condition indispensable à l’expoitation de la force de travail dans le salariat, traiter de petit-bourgeois un mouvement étudiant qui se constitue non pas sur une hypothétique dichotomie travail/chômage mais sur le refus d’une précarité subie, cela ne mérite qu’une seule réponse : Il serait temps que l’armée de la connerie s’y mette, elle, en réserve.


      • DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS, Bernard Lyon, 9 mai 2006

        Un mouvement vainqueur sans victoire

        Les arguments développés par Temps critiques et par RV se fondent sur l’existence dans le mouvement contre le CPE, de très réelles expressions refusant aussi bien le CDI que le CPE, d’expressions qui assimilaient le refus de la précarité officialisée qu’était le CPE au refus de la précarité salariale toute entière, au refus du salariat lui-même. De ce point de vue il est évident qu’il saurait y avoir de revendication du tout (comme le dit Temps Critique) car ça n’aurait aucun sens de revendiquer la fin du salariat !

        Mais il est aveuglant (pour ceux qui ne s’aveuglent pas) que le mouvement dans son ensemble (mais non dans sa totalité) était bel et bien revendicatif : Il revendiquait le retrait du CPE - et secondairement celui du CNE - et cette revendication essentielle et définitoire a été satisfaite, le CPE a été retiré (soi-disant « remplacé »). Cette revendication était cependant purement négative il n’y avait aucune demande d’autre chose, d’un quelconque statut garanti, même le CDI comme unique contrat n’a pas été massivement réclamé, cette revendication négative était à la fois « radicale » (sans discussion possible aucune) et insatisfaisante, il était impossible de « positiver » un refus pur et simple ;

        Le mouvement, dans son cours même, montrait bien que le retrait ne serait pas vécu comme une victoire, et la fin subite et absolue du mouvement quand le CPE a été retiré n’a donné lieu à aucune démonstration de joie (à part la misérable séance où les leaders syndicaux ont sablé un champagne qui semblait bien n’être qu’un malheureux mousseux de supermarché). L’impression « radicalement » fausse selon laquelle le mouvement contre le CPE n’aurait pas été revendicatif, alors qu’il l’était absolument, provient de la focalisation de l’attention sur les élément réels mais marginaux qui refusaient le CDI autant que le CPE, mais si l’attention (d’observateurs opposés au salariat) pouvait se focaliser ainsi c’est parce que la revendication était purement négative et laissait clairement percevoir que sa satisfaction ne pouvait être satisfaisante, pour ceux-là même qui la scandaient sur tous les tons.

        Le refus de la précarité officialisée pouvait être comprise comme le refus de toute précarité salariale parce que le CDI n’était que très peu revendiqué. Si le CDI était très peu revendiqué c’est très certainement que sa mort programmée dans la création des CPE et CNE était profondément saisie comme inéluctable et déjà intégrée dans la revendication syndicale bien connue (même si elle n’a pas été explicitée dans les cortéges syndicaux) de sécurisation des parcours professionnels ; la merveilleuse flexisécurité qu’on réclame du Medef à la Cgt en passant par Sarkozy et Chéréque !

        La défense du CDI aurait été prise dans le discours antilibéral et citoyen du démocratisme radical, mais justement le discours DR a été absent du mouvement, cette absence est identique à sa non positivité, aucune autre modalité plus « solidaire » de l’exploitation n’a été avancée par ce mouvement qui ne fût strictement pas alter - quelque- chose, et c’est pour ça que certains ont pu le croire non revendicatif.

        C’est ce caractère de strict refus qui rapproche visiblement ce mouvement contre le CPE des révoltes des banlieues de novembre. Si les émeutes, explicitement au moins, ne revendiquaient rien le mouvement de 2006 ne revendiquait que la satisfaction d’un refus.

        La présence, bien que marginale, d’un refus de toute forme de contrat de travail et surtout la pratique par la grande masse des manifestants étudiants et lycéens de formes d’action non encadrées et offensives constituaient l’existence au sein du mouvement revendicatif d’un écart indiquant / annonçant le dépassement de la défense de la condition salariale, (le caractère massif offensif et non encadré du mouvement des jeunes a d’ailleurs été la condition de sa victoire) mais cette annonce n’est pas - en l’état - le début de ce dépassement, même si c’est déjà l’impossibilité de sa défense de type programmatique.


        • APRES LA TEMPÊTE..., Patlotch, 10 mai 2006

          Il faut sans doute distinguer ce qu’on peut dire dans le faire, à chaud, et ce qu’on peut en dire après. De ce point de vue, je n’ai rien à redire à cette synthèse analytique d’une remarquable densité, et c’est peut-être ce qu’elle ne dit pas, mais qu’elle suppose, qui me poserait plus de problèmes : les présupposés projetés dans l’analyse (la grille de lecture et d’interprétation), qui ne sont évidemment pas ceux de Temps critiques. Autrement dit, cet épisode est aussi l’occasion de vérifier quelle est la théorie la plus pertinente, et je ne vois pas qu’ici on puisse éviter le dialogue sur ces aspects, sauf à penser qu’il a lieu ailleurs, en coulisses (coups lisses).

          Par ailleurs, ce n’est pas pareil d’adopter une focale analytique sur le mouvement « dans son ensemble » et de participer à ce qui est « marginal » comme il est dit ici à juste titre. Et ce n’est pas pareil pendant et après. Car on n’imagine pas les "communisateurs" participant autrement que marginalement, ou pas. On ne les voit pas être de plein pied dans la revendication négative « Retrait du CPE » (et rien d’autre)...

          A titre d’exemples :

          - Louis MARTIN a pris un risque en exposant un point de vue théorique distancié dans le cours de la lutte (Le point de rupture de la revendication), qui m’a personnellement beaucoup aidé à m’y situer, quand d’autres ont préféré demeurer plus discrets voire muets, ou parler d’autre chose supposé plus important à terme sur le plan théorique, ou si subtilement en relation avec ce qui se passait que cela ne fut accessible et audible qu’aux spécialistes de « l’ensemble »

          - d’autres (ou les mêmes) ont pris des risques plus physiques en participant aux actions les plus « offensives et les moins encadrées » tout en ayant sur « l’ensemble » une vue comparable à celle de BL ou plus « aveuglée ». C’est peut-être fumeux, mais on est fondé à se demander si avoir une telle vision de « l’ensemble » n’est pas un frein à ce qui participe du plus « marginal » ou à créer « les conditions de la victoire »...

          En résumé mon problème, c’est que cela invite à éclaircir la relation entre théorie, pratique théorique et pratique politique (le genre de questions posées par C. Charrier > De la pratique théorique, de la théorie... ), qui sont, dans cette discussion, mélangées, ce qui suppose à chaque lecture de mettre au point, au sens photographique, pour articuler ces différentes focales, du télé-objectif de l’expérience singulière et située au grand angle de l’ensemble, et leurs rapports. Cela posera un jour ou l’autre des questions de réactivité, de tactique, de stratégie...

          Il est indéniable que pris dans le mouvement, si on n’est pas passionné par ses limites (retrait du CPE...), et si on participe à les pousser le plus loin possible (vers l’abolition du salariat... sans quoi il n’y aurait pas « marginaux » et peut-être beaucoup moins d’« offensifs non encadrés »), on n’a pas envie de désespérer les orphelins de Billancourt : on en est ou pas (Hemingway). La question est ici à quel moment peut-on savoir qu’on « s’aveugle » ou pas, et ma réponse est la nécessité de l’expression théorique dans le cours des événements.

          ***

          Cela dit, personnellement, à froid, je trouve plus de pertinence à la synthèse analytique de BL qu’aux analyses fondées sur une surestimation de l’expression « marginale » ou sur les potentialités "communisatrices" de « l’offensif non encadré ». Elle me semble éviter les élans théorico-romantiques sur l’écart.

          Quelques remarques sur le "caractère revendicatif négatif" :

          - il est remarquable, dans cette lutte centrée sur l’évolution du travail salarié (il faut quand même le dire, relativement aux questions des dominations diverses), qu’elle n’a pas débouché sur une négociation entre les syndicats et le gouvernement et/ou le patronat. Celle-ci viendra sans doute, passé le traumatisme des "vaincus" et rangés les verres de mousseux des "victorieux", mais elle n’a pas été produite directement comme sortie de cette lutte et condition de cette sortie, comme dans les luttes précédentes (1995, 2003). Je ne sais pas s’il y a des précédents mais cela me semble rajouter à ce que dit BL : les syndicats n’ont jamais été en position d’avancer positivement la "solution" de la sécurité sociale professionnelle. Ô temps suspends ton vol ! On est comme entre deux, ce que prolonge la conjoncture politique (Clearstream, présidentielles etc.). De même la gauche politique (PS ou gauche de la gauche) n’a rien proposé à voix haute en dehors de son exploitation politicienne de l’embarras de la droite, et même aujourd’hui, elle ne le fait pas (voir le vide de la lettre de Bové à Olivier, Marie-Georges et autres gentils anti..., et l’arlésienne du programme alternatif de gouvernement depuis trois ans : le démocratisme tourne en rond sur lui-même, réduit à sa définition, être radicalement démocratique, devoir rompre avec le programmatisme tout en poursuivant son ombre projetée comme absence)

          - dit autrement : les syndicats, unité et remise en selle légitimée de la représentation oblige, n’ont pu relayer que le refus. C’est-à-dire qu’en toute rigueur et à ce jour, ils n’ont pas pu assumer au grand jour leur être de représentant du prolétariat dans le capital négociant la valeur de la force de travail (déplacement du curseur de l’exploitation globale) : jusqu’à quel point peut-on parler de crise de l’identité syndicale, dont on avait déjà eu une idée dans l’usage qui en est fait par les luttes non encadrées (ou auto-organisées, mais BL a évité le concept qui fâche...).

          - revenu garanti... je ne mesure la présence de cette revendication dans les luttes, j’ai seulement vu que Moulier-Boutang et ses Multitudes remettaient la gomme là-dessus. Je me demande, relativement à celle plus classique du parcours sécurisé de travail, quel peut être son destin... si elle peut resurgir massivement plus tard, dans l’épuisement de la solution des syndicats de salariés...

          Un peu en vrac, comme d’hab’

          Amical’

          Patlotch, 10 mai


    • DE LA REVOLTE DES CITES AUX MOUVEMENTS ETUDIANTS ET LYCEENS, , 2 juin 2006

      Rebonds sur les critiques de RV au texte de HS

      Tout d’abord, je remercie Raoul d’avoir « décortiqué » le texte d’Henri et d’en avoir souligné les aspects les plus discutables ( la raison de notre réseau )

      Je voudrai souligner concernant ce mouvement de février-mars 2006, qu’il a remis la question sociale à l’ordre du jour et que c’est le premier mouvement contre le développement de la précarité. De ce fait il ne peut être compris que comme un mouvement de prolétaires

      Je reprends donc dans l’ordre ou RV se prononce

      1/ le mouvement est-il l’œuvre de la classe moyenne  ?

      Je partage totalement ses ( ces ) critiques, voir les étudiants de 2006 avec les lunettes de 1968 c’est vraiment faire preuve..d’aveuglement ! Je ne peux que reprendre les arguments développés aussi par Jacques dans son supplément n°14 à Temps Critiques, le nombre d’élèves en cycles universitaires d’a rien à voir avec celui des années 68 /70, le mode de vie ( précarité du logement, développement d’étudiants/travailleurs etc.) et leurs futur. Si à la fin des années 60, les étudiants pouvaient espérer avoir un avenir de décideurs, cela n’est plus le cas aujourd’hui, soit le chômage ou un poste d’opérateur dans la société capitalisée.

      2/ le mouvement est-il resté cantonné dans la stricte question du CPE ,
      Je serai plus nuancé, selon que l’on se place sur se qui a été débattu dans les AG ou sur les impressions laissées par les manifestations..parisiennes.

      En ce qui concerne les AG, et de se que j’ai pu lire ( étant logé en lointaine banlieue, je n’ai pas assisté physiquement à une AG étudiante ) un certain nombres d’entre elles étaient ouvertes aux non étudiants, développaient des positions très radicales, anti travail, anti salariat

      Mais elles ne regroupaient que quelques milliers de participants.Mais on a pu assister aussi à des AG cantonnées à la défense de la lutte anti CPE et restées fermées sur elles-mêmes en exigeant la présentation de la carte universitaire pour pouvoir participer aux votes.

      En ce qui concerne les manifestations, surtout après la main mise par les organisations syndicales de salariés sur le mouvement, le ton dominant était effectivement le retrait du CPE

      3 /l’auto-organisation des étudiants/lycéens .

      Si effectivement Henri passe à côté de cet aspect, Raoul lui ne voit que le côté positif, démocratique ou les grévistes ( et dans certaines AG des non grévistes )peuvent exprimer librement leurs opinions sans en mesurer les limites.

      Je pense que l’auto-organisation n’est pas un but en soit mais une nécessité pour la lutte, un moyen d’être plus efficace dans les discussions et dans les actions.

      C’est de ce point de vue pratique que l’on doit juger pour savoir ce qui renforce les luttes et ce qui les stérilisent. C’est aussi pour cela que tout en ne partageant pas les positions ( que je connais très mal) du GCI que je ne suivrait pas RV dans la critique qu’il lui fait.

      Nous ne sommes pas des démocrates ( et les étudiants non plus qui non pas attendus un large consensus pour bloquer les facs et ainsi permettre le développement de la grève.)

      De plus, dans la période actuelle, ou le mouvement syndical s’est transformé, dans cette lutte comme dans celles à venir, nous pouvons nous retrouver confronté à une auto organisation qui ne dépasse pas l’horizon syndicaliste et qui est relayé par les syndicats « alternatifs » ( Sud, CNT, Cobas etc )

      Sur l’élargissement aux travailleurs
      Je ne rentre pas dans le faux débat faut il s’adresser directement aux salariés ou à leur organisations.

      Le fait est, et contrairement à la vision positive de Raoul, que cet élargissement n’a pas eu lieu, et que RV, pour argumenter face au scepticisme d’Henri, cite des tentatives de rencontres datées du.... 4 et 6 avril 2006, c’est à dire deux mois après le début du mouvement et à son crépuscule.

      Non et malheureusement mais pouvait il en être autrement, c’est rencontre d’un troisième type avec une classe ouvrière mythique n’a pas eu lieu.

      4/ le mouvement étudiant/lycéen et la violence

      La d’accord avec Raoul, à Rennes ou le mouvement à pris naissance, la violence à été un des principal moteur de la radicalisation et du développement, idem à Toulouse

      Mais concernant la violence, si le fait d’employer la violence n’est pas obligatoirement un critère de radicalisation, refuser d’avance de l’employer, c’est se condamner à la défaite.

      Amitiés

      Christian le 13 avril 2006


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