samedi, 19 janvier 2008
Commentaires sur le texte de Marcel (synthèse): synthèse pour la publication
« Communisme de l’attaque et communisme de la défection »
« Si, par exemple, le prolétariat est destiné à produire le capitalisme, le capitalisme peut seulement prendre fin lorsque le prolétariat nie son rôle comme prolétariat pour devenir quelque chose de différent. Si, de la sorte, le communisme est un acte libre, alors il est libre parce qu’il signifie que les gens se libèrent de ce qui les détermine… » (Marcel, Communisme de l’attaque et communisme de la défection)
« …la tentative de la classe ouvrière de se détruire elle-même comme classe ». (ibid)
« Cette lutte de classe peut-elle nous libérer de la lutte de classe ? » (ibid)
« C’est d’abord quand cette situation – la situation de travailleur – est remise en cause qu’une rupture révolutionnaire peut se produire ; et cette rupture est le produit d’une classe ouvrière créant une distance à la position qui fait d’elle une classe. » (ibid)
« Quand les travailleurs, dans leur pratique mettent leur existence en question… ». (ibid)
Ces quelques citation extraites du texte de Marcel (M) montrent à l’évidence que ce texte se situe dans la problématique actuelle de la révolution qui ne peut plus être conçue que comme communisation : la révolution comme abolition du capital est immédiatement l’abolition de toutes les classes et non la prise du pouvoir, l’affirmation du prolétariat libérant le travail et s’érigeant en classe dominante ; la révolution n’est pas un préalable à l’instauration du communisme elle est l’instauration immédiate du communisme qui est son procès même. Dans ce cadre, M soulève une question essentielle du cycle de luttes présent : la rupture, la non-continuité entre les luttes revendicatives et la révolution.
On peut présenter la thèse centrale du texte de Marcel (M) de la façon suivante : la « dialectique capital-travail » ne nous mène, au mieux, qu’au « blocage du capital » (étrangement baptisé « communisation interne »), le dépassement (« communisation externe ») est un mouvement « externe » à cette « dialectique », il provient de la construction d’ « extériorités », d’un « au-delà » de ce rapport attaquant le capital.
Schématiquement :
a) Au sein de la « dialectique entre le capital et le prolétariat », le travail mort et le travail vivant constituent une « tautologie », cette dialectique ne porte aucun dépassement, elle est une pure reproduction du capital tout au plus sa mise en crise simplement autodestructrice, son « blocage », comme dit M.
b) Le dépassement de cette « tautologie » suppose une « contradiction » à cette tautologie, une contradiction « externe » à côté de la contradiction interne. Cette contradiction externe ne peut pas exister sans la première, mais n’est pas produite par elle. M. insiste sur ce point, c’est même la raison d’être de son texte. La contradiction externe, et elle seule, est porteuse d’une positivité contrairement à la contradiction interne.
En résumé : la « contradiction interne » ne dépasse pas le capital, elle le reproduit ou le met en crise, elle est « négative » ; la contradiction externe est « positive » (constructive) elle peut n’être qu’une alternative si le capital n’est pas détruit par sa contradiction interne, mais elle porte le dépassement si les deux contradictions agissent concurremment.
Le point essentiel de notre critique portera sur le fait que, à un moment donné, pour le prolétariat, d’une part être en contradiction avec, à l’intérieur, et contre le capital, et, d’autre part ce que M appelle la « défection », la construction d’autres relations entre les individus, sont identiques, c’est le moment de la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, le moment des mesures communisatrices. C’est dans les luttes actuelles qu’existe un écart dans le fait d’agir en tant que classe, un écart entre d’une part, n’avoir que le capital comme horizon et comme définition et, d’autre part, par là même, se remettre en cause dans la lutte contre le capital. Mais cet écart demeure à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe, à l’intérieur de la « dialectique » dirait M, c’est-à-dire, en réalité, à l’intérieur de la contradiction.
Défini comme classe dans le rapport d’exploitation, le prolétariat n’est jamais confirmé dans son rapport au capital : l’exploitation est subsomption. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est à dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Il en résulte que le prolétariat est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe car la nécessité de sa reproduction est quelque chose qu’il trouve face à lui représentée par le capital. Toujours de trop, il ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est pourtant un pôle nécessaire.
M ne parvient pas à formuler la question à laquelle il cherche à répondre dans ses termes adéquats : comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? Emporté par sa critique de la relation entre le cours de la lutte des classes et la révolution, M ne parvient plus à produire de relation rationnelle entre les deux. La production du dépassement échappe par nature à la problématique qu’il définit.
« Le communisme, la mort potentielle du capital, ne peut venir d’une dialectique entre le travail et le capital, il peut uniquement se produire si le blocage du capital par la lutte de classe est simultané au processus constitutif qui remplace les rapports du capital par de nouveaux rapports. Notre révolution doit être double ». Bien évidemment, ce n’est pas sur la nécessité de la constitution dans la lutte contre le capital d’autres relations entre les individus, c’est-à-dire la définition même de la révolution comme communisation, que nous sommes en désaccord avec M.
Là où nous sommes en désaccord, c’est lorsqu’il affirme que cette constitution ne peut venir d’une « dialectique entre le travail et le capital ». C’est-à-dire quand M se révèle incapable de comprendre le dépassement de cette dialectique à partir d’elle-même, comme son résultat. Il y a une rupture, il y a un saut, il y a production d’autre chose, mais cette rupture, ce saut, cette production d’autre chose sont le fait du prolétariat contre le capital, luttant encore en tant que classe en s’abolissant en tant que telle dans l’abolition du capital. M enferme la « dialectique entre le capital et le travail » dans la reproduction du capital. Il faut alors, soit dire que la révolution communiste n’est pas l’œuvre du prolétariat, soit que le prolétariat ne se définit pas entièrement dans cette dialectique, qu’il est autre chose que son rapport au capital. Si la communisation s’inscrit dans la dialectique entre le travail et le capital, c’est que celle-ci est une contradiction, c’est-à-dire bien autre chose que la seule reproduction de l’objet de cette dialectique. C’est l’objet, le mode de production capitaliste, qui est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses termes. C’est en cela que le jeu peut amener à l’abolition de sa règle.
M sait cela, c’est pour cela qu’il a énormément de mal à distinguer les deux types de communisation, non seulement dans le cours empirique de ce que pourrait être la révolution, mais encore au niveau de la typologie qu’il propose. Le vol, la resquille, le refus du travail, les groupes de lutte affinitaires, le téléchargement pirate… appartiennent à quelle catégorie de la typologie ? Tantôt l’une, tantôt l’autre. C’est lorsqu’il touche ses limites et montre ses incohérences que le texte de M pointe les questions théoriques fondamentales de la révolution comme communisation. « Notre révolution doit être double » affirme M. Il veut que l’une et l’autre soient l’action du prolétariat, mais sa définition de la contradiction entre le prolétariat et le capital, sa séparation typologique entre les deux communisations, sa définition du prolétariat dans la « dialectique capital- travail » ne lui permettent pas de concevoir la seconde comme action de classe tout en la voulant telle. Il faut un lien entre les deux « communisations », mais il faut simultanément qu’il n’y ait pas de lien, sinon toute la thèse disparaît.
Il veut une action de classe contre le capital, mais qui ne soit plus une contradiction avec le capital, qui soit un « extérieur » contre le capital, plus précisément face au capital. M affirme que la « dimension externe concrète » est déterminée par la lutte de classe, c’est-à-dire la « communisation comme mouvement interne », la « dimension externe » doit donc être à la fois déterminée par une volonté de quitter le « vieux monde » produite par l’action du prolétariat interne à la dialectique du capital et simultanément quelque chose qui n’appartienne plus à la contradiction tout en demeurant action du prolétariat. Pour M, ce n’est pas la révolution qui est double, c’est le prolétariat, mais cela M ne le développe pas explicitement car il sent bien qu’il ne ferait qu’exposer quelques niaiseries humanistes. La chose n’est que suggérée au travers de l’insistance récurrente sur les « désirs » qui croissent « spontanément » et « nécessairement » des pratiques seulement « destructives » du prolétariat. « Les en-dehors se créent quand les gens désertent, se retirent de leur rôle de force de travail ». Mais personne n’a la moindre possibilité de déserter, de se retirer. Les pratiques qui sérieusement (il s’agit de la catastrophe sociale qu’est la révolution comme communisation et non de la resquille ou du téléchargement pirate) pourront correspondre à ce que M envisage sont réellement les pratiques destructives du capital. Loin d’être un « retrait », une « désertion », une « défection », la communisation comme construction d’autres relations entre les individus n’échappe au capital que dans la mesure où elle est son abolition, dans la mesure où le prolétariat reconnaît toute son existence comme objectivée face à lui dans le capital. Il détruit lui-même ce qu’il est, non en se retournant contre lui-même, mais dans un rapport contradictoire où l’implication réciproque entre le prolétariat et le capital atteint sa plus grande intensité en ce qu’elle est l’enjeu même de la lutte.
De son propre point de vue, M ne peut soutenir simultanément que la « dialectique entre le capital et le travail » ne « fonctionne qu’en tant que moteur du capital » et y voir une sorte de préparation de la seconde en admettant, comme il le fait, que le communisme puisse « se sauver du capital par les trous disjoints créés par la lutte de classe dans le rapport capitaliste », ou alors que « la possibilité de dé-subjectivation et de dés-objectivation sont produites dans la lutte de classe ». Comment de telles choses peuvent être possibles après la description faite de la « dialectique entre le capital et le travail » comme « tautologie » et, qui plus est, de son devenir comme « anthropomorphose du capital » ?
M décèle également une « médiation » dans le fait que « la communisation interne ce sont les pratiques qui, directement et sans médiation, se tournent contre l’exploitation, l’accumulation de valeur… ». L’essentiel est, pour M, dans le « sans médiation » : « des actions communisatrices, comme par exemple les grèves sauvages qui évitent la médiation syndicale ». Mais pourquoi « l’évitement de la médiation syndicale » peut-elle être qualifiée de « pratique communiste » ou, plus loin, de « potentiel communiste » ? Parce que M reprend une structure d’analyse du rapport entre prolétariat et capital héritée de la Gauche germano-hollandaise.
La Gauche germano-hollandaise avait décalé la question de l’implication réciproque entre prolétariat et capital en problème de l’intégration de la classe et plus pratiquement en problème d’organisation, de chefs, de bureaucratie, et globalement de critique de toute « intervention extérieure ». Le prolétariat devait se nier comme classe du capital (acquérir son autonomie) pour réaliser ce qu’il était vraiment et qui dépassait le capital : classe du travail et de son organisation sociale (y compris le cadre des entreprises et de leur mise en relation), du développement des forces productives. M ne parle plus d’ « organisation d’entreprise », de la « classe du travail » et du « développement des forces productives », mais c’est toujours la rupture avec les « médiations » et « l’autonomie » qui sont le « début du communisme ».
Qu’est-ce que la classe alors ? Ce sont les « médiations », ce n’est pas une appartenance définitoire et contradictoire au mode de production capitaliste, c’est l’intégration d’un sujet qui ne demanderait en tant que tel qu’à être pour lui-même. La rupture des « médiations » devient essentielle car elle est la condition d’apparition de cette « tendance », de ces « potentialités communistes », car elle est la rupture de l’intégration, c’est-à-dire la libération au grand jour de la tendance sous-jacente à la lutte de classe telle que M la définit dans un autre texte (Hamburgers vs Value, disponible sur le site de Trop Loin). « Le communisme est un mouvement, cela signifie qu’il existe comme une dynamique sous la lutte de classe ou comme tendance en elle. Nous ne voyons pas la société communiste dans la lutte de classe, nous voyons des "potentialités communistes". Chaque lutte contre le capital a un aspect universel car c’est une protestation contre une vie inhumaine, et cela est le germe d’une communauté humaine future ». Il est évident que tout cet appareil humaniste est constamment sous-jacent au texte de M (la citation précédente est, par exemple, une référence explicite au texte de Marx sur la révolte des tisserands silésiens : Gloses marginales sur le Roi de Prusse et la réforme sociale -1844) c’est la seule façon de le faire tenir debout. Il faut que la lutte de classe soit autre chose que la lutte de classe pour préparer son dépassement et, pour que ce dépassement soit une lutte « extérieure » contre le capital.
Mais, avec M, le grand humanisme feuerbachien s’est reconverti dans la libre petite entreprise de soi butlérienne. La recherche, à l’extérieur, de la positivité perdue à l’intérieur, entraîne le recours au révolutionnaire pour assurer l’articulation interne / externe. La figure du révolutionnaire, libre petit entrepreneur de soi, de ses besoins et de ses désirs, celui qui transcende l’ « anthropomorphose » et la « communauté matérielle », vient donner figure à cet humanisme activiste qui est fondamentalement la solution de M au blocage de la dialectique capital / travail ». C’est « le bolchévisme sans parti ».
M indique clairement que l’enjeu premier de son texte est de définir une pratique communiste que seuls quelques révolutionnaires seraient en mesure de mettre en œuvre et de promouvoir afin de rehausser la lutte des classes telle qu’elle se déroule quotidiennement avec ses revendications triviales. C’est dans cette tentative qu’il faut comprendre le recours très présent mais pas assumé au discours idéaliste, essentialiste, et poético-philosophique, en effet, d’où faire surgir la révolution comme communisation (externe pour M) si elle ne prend pas son sens, ses enjeux et sa dynamique même dans la lutte des classes telle qu’elle est prise dans la contradiction prolétariat-capital ? La communisation doit venir d’un ailleurs de la lutte des classes que l’on pourrait saisir par la question des désirs inscrits dans une vision anthropologique de l’homme, mais les besoins et les désirs sont toujours ceux qu’une société produit, ni plus ni moins extérieurs ou intérieurs que tout ce qui constitue les individus.
Le texte de M est motivé par la recherche d’extérieur à la lutte des classes et de « poches de résistance ». Mais, M met dans le même panier des poches de résistances ce qui relève de la débrouille individuelle et les pratiques nécessitées par certaines luttes. En avoir assez du travail et voler n’a pas grand chose à voir avec en finir avec la dialectique travail-capital : on est au contraire en plein dedans et c’est justement pour ça que ces pratiques existent. Il est difficile de repérer des relations qui abandonnent le capital même si on râle quand le réveil sonne le matin pour aller bosser ou aller à l’ANPE ou quand on se fait choper par les vigiles dans un magasin. M nage en plein idéalisme sur des pratiques qu’il suppose minoritaires donc subversives. Elles ne sont ni l’un ni l’autre. De plus, il est aberrant de dire que ces pratiques relèvent de la production d’un effort de créer des extériorités, il faut être philosophe ou artiste pour dire ça. Mettons que ce soit le cas, alors toute la tentative de M pour définir les révolutionnaires et leur intervention tombe à l’eau car tout le monde est révolutionnaire.
Il s’agirait pour la classe ouvrière d’attaquer son « rôle de force de travail » de la même façon que lorsque, citant Butler, M dit qu’elle « cherche à montrer que les hommes et les femmes sont des fabrications ». En effet, il s’agit simplement de s’affranchir de normes aliénantes pour laisser s’exprimer un « moi » jamais défini mais émancipé du social. La force de travail n’est pas qu’un rôle qu’il s’agirait de prendre en charge ou pas, ça détermine tout ce que l’on est et tout ce que l’on fait, et c’est pour cette raison que les interventions communistes ne surviennent pas continuellement (laissons ici de côté la question de l’intervention). Ce n’est pas parce que « les ouvriers évitent de reproduire les rapports sociaux qui génèrent la plus-value » que « le capital total tombera comme un château de cartes. ». Les rapports de production ne s’évitent pas et on ne s’en éloigne d’aucune façon : soit ils sont et on est pris dedans, soit la production d’autre chose est leur abolition. On connaît la vieille illusion selon laquelle il suffirait que les ouvriers s’éloignent de l’Etat, du travail et de la monnaie pour que tout ceci s’effondre. Vieille illusion idéaliste qui consiste à ne pas considérer les individus comme n’étant que leurs rapports sociaux.
Ainsi, abordant la « pratique effective » devant constituer un « mode d’emploi pour notre propre intervention » (entendre celle des révolutionnaires), M isole certaines pratiques des luttes particulières dans lesquelles elles prennent forme : refus ou désertion du travail, grèves sauvages… M, comme les adeptes de la radicalité anticapitaliste, hypostasie quelques pratiques et du coup y voit une essence : la distanciation d’avec la dialectique capitaliste. Le problème est que sortie de considérations ethético-artistiques sur la révolution (« la révolution est un art » dit M), aucune pratique ne porte en soi la remise en cause de ce que l’on est dans le capital. Les pratiques sont les décisions prises par les prolétaires dans un mouvement, c’est la « réflexivité pratique » dont parle M qui s’exerce dans toute lutte et qui est liée aux nécessités imposées par l’exploitation, telle qu’elle se présente à un moment donné dans l’histoire et au vu des contraintes particulières d’un conflit donné. Alors il n’est pas possible de désigner des pratiques comme étant la voie royale vers la révolution et à l’inverse d’en épingler certaines comme ne faisant que développer le capital.
Quand M fait référence au mouvement argentin, il n’a pas saisi que justement l’intérêt de ce mouvement est de nous faire apercevoir que c’est parce qu’elle est dans et contre le capital que la lutte peut déboucher sur autre chose et uniquement sur cette base : les contraintes et enjeux de cette situation qui n’est qu’une façon de « faire avec » les espaces capitalistes même si c’est dans le mouvement menant à leur destruction. Ces pratiques peuvent montrer la nature du cycle de luttes actuel, annoncer la rupture à venir comme produite à partir de la lutte de classe de notre époque, mais elles ne sont encore qu’un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe contre le capital. Elles ne sont qu’un effet de ce que, dans le cycle de luttes présent, agir en tant que classe contient, contre le capital, sa remise en cause en tant que classe. C’est dans la destruction du capital qu’on est amené, parce qu’on n’a pas le choix, à trouver d’autres modes d’organisation et d’autres pratiques que celles ayant cours jusqu’alors. Il n’y a pas d’extérieur au capital et M nous dit pourquoi lorsqu’il parle de la subsomption réelle.
M offre à tout un milieu de continuer à faire ce qu’il a fait jusqu’à maintenant, mais de le comprendre autrement. Les luttes autonomes, contre « les médiations qui désarment la lutte de classe », ce sont, leur dit-il, des « pratiques immédiates orientées par le désir », « ce que nous voulons c’est sortir du capitalisme », « le refus du travail et les grèves sauvages sont deux exemples de la production de cette sphère ». Que ces « sphères extérieures » soient « écrasées » ou « aspirées par les rapports capitalistes », n’empêche pas d’avoir donné à ce petit milieu « contemplatif » (comme il le définit) une perspective qui lui donne l’impression de sortir de la « contemplation » sans sombrer dans l’alternativisme.
M nous engage à faire quelque chose sachant que c’est impossible (toute action de ce type ne peut être qu’ « anéantie » ou « absorbée » dit M, ce qui, clairement signifie qu’elle ne peut pas exister). Mais, il faudrait faire comme si, faire semblant de « communiser », tout en sachant que ce n’est pas la réelle « communisation ». Ce n’est pas la construction d’une vie alternative que propose M, mais le supplément d’âme qui permettrait de nous extraire de la mort de la dialectique devenue « tautologique » entre le capital et le travail. L’effondrement de la transcroissance des luttes revendicatives à la révolution qui, du comité de grève aboutissait à la gestion ouvrière de la société est pour M la fin définitive de toute perspective issue de la « dialectique entre le capital et le travail ». Pour M, cette transcroissance est la forme unique et définitive de cette dialectique, son unique forme possible devenue maintenant stérile. M ne peut concevoir un cycle de luttes où, pour le prolétariat, être en contradiction avec sa propre existence comme classe, la remise en cause de sa propre situation dans son action en tant que classe, s’enracine et se produit dans les luttes immédiates comme l’annonce de leur dépassement. La « dialectique entre le capital et le travail », pour M, est figée dans la forme historique de la montée en puissance de la classe et de son affirmation.
Il n’y a pas deux communisations, mais une lutte de classe qui contient le moment de son dépassement, qui le produit. M sait que le communisme est l’abolition de toutes les classes et que cela est le processus même de la révolution. En cela M a parfaitement saisi toute l’importance et toute la difficulté du concept de communisation. Mais il raisonne de façon formelle : si c’est l’abolition des classes, cela ne peut résulter de la contradiction dans laquelle les classes sont définies. Il faut donc sortir de la contradiction pour abolir les classes, là est l’erreur essentielle. Mais cette erreur n’est pas une simple erreur sur ce qu’est une contradiction et plus particulièrement la contradiction entre le prolétariat et le capital. M veut du positif, du positif dès maintenant.
La production du communisme est l’œuvre du prolétariat en tant que tel, c’est-à-dire comme classe de cette société. Elle est alors soumise au développement des contradictions de classes de cette société, à leur histoire. Personne ne peut sortir de ce dilemme. « L’élément contre-dialectique (c’est-à-dire ce qui sort de la dialectique entre le travail et le capital, nda) ne peut être produit que par des gens organisant des relations qui bousculent la lutte économique. Le refus du travail et les grèves sauvages sont deux exemples de la production de cette sphère ». Mais si « l’élément contre-dialectique » est produit dans la « dialectique entre le capital et le travail », comme semble le suggérer ces exemples, c’est toute l’architecture du texte de M qui s’effondre.
Non seulement, comme dit M, ces moments sont intriqués dans la lutte contre le capital, mais encore ils en sont une détermination interne de cette lutte. M a mis au point une méthode imparable : au niveau des faits, c’est intriqué, inséparable ; au niveau de la tendance, c’est un extérieur, une « dimension externe » de la lutte de classe. Au niveau des faits, toutes les vaches sont grises ; au niveau de la tendance, elles sont blanches ou noires. Sortir du mouvement de la réflexivité de la contradiction comme implication réciproque cela ne pourra être que quelque chose de massif, de catastrophique, une révolution, une réaction en chaîne démontant les rapports capitalistes et en remontant d’autres tout autant en chaîne.
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