dimanche, 30 décembre 2007
version reprise après l’assemblée rédactionnelle meeting 4
Il n’y a plus de mouvement ouvrier, plus d’identité ouvrière légitime dans la reproduction du capital, plus de perspective ouvrière d’émancipation. Agir en tant que classe, c’est n’avoir, dans les conditions actuelles du mode de production capitaliste restructuré, comme existence et horizon que la reproduction des catégories du capital ; c’est simultanément et pour la même raison, dans sa contradiction avec le capital, pour le prolétariat, se remettre en cause comme classe. Parce que le capital est une contradiction en procès qui n’a d’autre contenu que l’exploitation, le prolétariat se trouve en contradiction avec sa propre existence comme classe qui lui devient étrangère (bien sûr tout cela est de la spéculation comme les Manuscrits de 1844, l’Idéologie Allemande, les Gloses marginales sur le roi de Pruse et la réforme sociale, les Grundrisse et maints passages du Capital). C’est ainsi que le mode de production capitaliste, dans la contradiction de ses termes, c’est-à-dire de ses classes constitutives, est en contradiction avec lui-même. C’est parce que dans la contradiciton de ses termes, l’exploitation, le mode de production capitaliste est en contradiction avec lui-même que peut advenir, dans le jeu, l’abolition de sa règle.
Dans le cycle de luttes actuel, la simultanéité de la reproduction des catégories du capital et de leur remise en cause, la principale de ces catégories étant l’existence même comme classe du prolétariat, n’est pas une confusion, une identité immédiate de toutes les pratiques. Il y a des pratiques du prolétariat qui créent un écart dans cette identité. La dynamique de ce cycle de luttes (la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe dans son action en tant que classe) n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de ce qui est produit, dans les luttes, comme une limite (agir en tant que classe), écart qui se crée de par la dualité que contient cette limite ( n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe). Il arrive que la remise en cause soit spécifiquement annoncée, mais non qu’elle existe pour elle-même en tant qu’objet propre. (sur la dynamique du cycle de luttes actuel, cf. dans Meeting 3 : De l’auto-organisation à la communisation).
L’enjeu actuel de la lutte de classe : la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action en tant que classe qui est la dynamique de ce cycle de luttes et qui annonce la révolution communiste comme communisation ; la faillite patente de toutes les perspectives antérieures d’affirmation du prolétariat qui donnaient sens à leur appréhension des luttes immédiates ; plus généralement les caractéristiques du cycle de luttes actuel, tétanisent le milieu théorique issu de l’Ultra-gauche, de l’autonomie, de l’opéraïsme et du mélange à doses diverses des trois. A tel point que certains s’égarent dans des attaques aussi vindicatives que pitoyables contre les « communisateurs ».
Les « communisateurs » dans le collimateur
Les fossilles « vivants »
La palme revient sans doute à quelques publications de rescapés de l’innénarable CCI comme Présence marxiste (R Camoin, Monteipdon 63440 Saint-Pardoux) ou la brochure Critique communiste des « communisateurs » (Michel Olivier, 7 rue Escudier, 75009 Paris) :
« Au sein du courant des communisateurs, il (R.S) s’est fait le plus brillant idéologue du communisme sans révolution prolétarienne ni étape transitoire (…) un resussage du « possibilisme », courant opportuniste français (Paul Brousse) âprement combattu par les marxistes orthodoxes Jules Guesde et Paul Lafargue. » (Présence marxiste, n° 51 / 52, octobre 2006)
« Je n’ai pas de force de police ni pour vous empêcher de jouer au « communisateur » qui veut l’abolition sans transition du capitalisme (par un décret ?), ni vous obliger à redevenir un vrai communiste. Tout ce que je peux faire, c’est de vous dire que vous défendez des idées diamétralement opposées aux conceptions révolutionnaires du marxisme, idées que vous croyez nouvelles alors même qu’elles expriment, somme toute, la vieille invariance de l’inconséquence. Il n’y a pas lieu de vous expulser du marxisme. Vous vous tenez en dehors de lui… » (ibid)
Quant à Michel Olivier : « Nous le caractérisons (le « courant communisateur » nda) plutôt comme une radicalité réformiste ripolinée d’anarchisme new look car il reprend les idées du social-démocrate Hilferding pour lequel les réformes et l’évolution du capitalisme (concentration financière, étatisation, etc…) aboutissaient, d’elles-mêmes, au communisme (…) c’est le fond des idées de la « communisation » d’affirmer que celle-ci peut commencer sans attendre l’abolition du marché mondial »
« Un de mes camarades marseillais a pu assister à une réunion syndicaliste des sympathisants de TC (Théorie communiste dont les membres participent à Meeting) alors qu’ils ne devraient pas être syndicalistes puisque la lutte de la classe ouvrière est considérée comme inutile car elle est intégrée dans le cycle post prolétarien » (Michel Olivier, hébergé dans la revue de Robert Camoin).
Le même : « Le mouvement ouvrier a déjà eu à faire à cette agitation désordonnée d’impatience et surtout petite-bourgeoise avec les anarchistes au XIXème . Et le résultat ? nous savons dans quelles aventures l’anarchisme est capable de sombrer. (…) Ces curieux inovateurs sociaux ont une vision, non seulement parfaitement étroite et étriquée de la nouvelle société communiste, mais encore purement maoïste ou stalinienne. (…) Nous connaissons parfaitement ce type de raisonnements qui prétendaient pouvoir parvenir au socialisme par la progression des plans quinquennaux » (Beaucoup de bruit pour rien – le courant « communisateur » ?! Un nouveau réformisme, texte du Bureau International pour le Parti révolutionnaire)
Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites.
Terminons avec la Ligue des Conseillistes de France qui sur son site publie un texte alarmiste : La théorie de la « communisation » : un danger pour le prolétariat. Texte qui nous explique le fonctionnement de la « démocratie vraie » fondée sur les « conseils d’entreprises de quartiers et de villages » remplaçant le salaire par des bons de consommation selon le temps de travail effectué (pauses incluses ou non ? nda) et la difficulté du travail » et « le remplacement du marché par une distribution planifiée en fonction des besoins » (si je ne travaille pas trop longtemps dans un emploi pas trop pénible, par exemple comptable des heures de travail des autres, qu’arrivera-t-il à la satisfaction de mes besoins ?). Mais ce qui inquiète le plus la Ligue, c’est que pour les « communisateurs », il n’y aura « aucune instance qui pourra faire respecter les décisions de la majorité prise démocratiquement (…) C’est ainsi laisser la place à tout et n’importe quoi et au désordre pur et simple ».
La Ligue, quant à elle, ne représente plus aucun « danger pour le prolétariat » car durant la campagne électorale des présidentielles (2007) elle a interrompu ses activités s’étant scindée en deux fractions : « L’une soutenant le mouvement des collectifs autour de Bové dans le sillage des collectifs unitaires antilibéraux (…), l’autre autour de la LCR qui axe sur les luttes. ». Tout cela ne serait qu’anecdotique si n’était la possibilité pour ce conseillisme pur et dur de se muer en une simple variante du démocratisme radical.
Des exemples, des exemples ! Des faits, des faits !
De son côté, à la suite de la publication aux Editions Senonevero du livre « Rupture dans la théorie de la révolution – textes 1965 – 1975 », Echanges faisait le commentaire suivant de l’introduction à cette anthologie : « …alors que les conseils ouvriers exprimèrent le niveau de conscience de la classe ouvrière à l’époque. Lieux de discussion et d’action, ils portent en eux-mêmes leur propre critique (…). La lutte des classes n’est pas déterminée par le bavardage de ceux qui s’autoproclament révolutionnaires… » (n° 110, automne 2004). La cible essentielle de cette critique était l’idée même de « rupture » : « …la révolution comme dynamique de la classe ouvrière devenant classe dominante, libérant le travail et s’emparant des moyens d eproduction existants est devenue irrémédiablement caduque » (quatrième de couverture de « Rupture… »). Pour ces gens, de « rupture » dans la théorie et la pratique révolutionnaires il y en eut une dans les premières décennies du XXème siècle, celle qui fonda le conseillisme, mais, sous peine de suicide théorique, il n’y en aura plus. Tout change dans le monde, mais ce n’est plus qu’un changement de décor qui n’affecte la pièce, le scénario et les acteurs que dans la mesure où ces derniers doivent s’adapter pour ne pas se prendre les pieds dans les ficelles.
Les mêmes, au printemps 2007 (n°120), publient un texte absolument sans intérêt sur les sectes évangélistes radicales aux Etats-Unis dans lequel l’auteur (professeur à Harvard, journaliste au New York Times) regrette que ces sectes s’adressent à des gens qui « ont même perdu l’espoir que l’Amérique soit un lieu où l’on pourrait construire un avenir », mais où il souligne également que « Tous ces désespérés sont facilement manipulés par les démagogues qui leur promettent des utopies fantastiques (…) Et il sont volontaires pour s’en évader (du « monde réel »), pour entrer dans le monde mythique que leur offrent des prêcheurs radicaux, un monde magique où Dieu a un plan divin pour eux… (…) Le danger de cette théologie du désespoir est qu’elle implique que rien dans ce monde n’est digne d’être sauvé (…) Ils auront derrière eux les dizaines de millions d’Américains en colère, libérés, avides de revanche et de violence pour une utopie mystique… ». Tout cela ne serait qu’un texte respirant le conformisme progressiste bien pensant d’un libéral américain et n’aurait strictement aucun intérêt pour les rédacteurs eux-mêmes d’Echanges, si ceux-ci, en mal de critique du « courant communisateur », ne s’étaient « amusés », jouant de l’amalgame que provoquent, dans leur cervelle, quelques citations, à l’intituler La Communisation made in USA. Il doit y avoir certainement de la critique théorique là-dedans et / ou de l’humour, l’une et l’autre m’échappent. C’est simplement minable.
Dans le n° 121 (été 2007), Echanges se livre à une critique plus nuancée et plus prudente des textes de Meeting 3 sur les émeutes de novembre 2005 en France. Dans Meeting on pouvait lire : « La classe ouvrière dans laquelle ils auraient pu vouloir se confondre (les émeutiers, nda) est déjà morte (abolie) dans leur propre existence et ils le savent » ce qu’Echanges commente de la façon suivante : « Certes les jeunes de cité bien souvent refusent le travail – mais personne n’est révolutionnaire, du moins tous les jours et tel qui refusent de travailler cette année fera les boites d’intérim l’an prochain ». Bien sûr. Nous n’avons jamais dit qu’être révolutionnaire était l’essence permanente de quelque groupe social que ce soit. C’était d’une pratique à un moment donné dont nous parlions et non d’un nouveau sujet révolutionnaire enfin radical en permanence. La critique se poursuit : « On reste sur un fil d’équilibriste, entre revendication et dépassement de la revendication… ». Tout à fait d’accord, mais pourquoi avoir fait une volumineuse brochure « sur les émeutes » sans jamais attaqué des questions de cette importance si ce n’est parce que cette brochure sur les cités ne parle jamais des émeutes. Ce serait de la « glose ». La critique se conclut par cette remarque : « Les analyses de Meeting sont parfois séduisantes, mais résistent-elles à l’épreuve de la réalité ? Elles sont après tout des hypothèses… ». Les faits y sont et ils sont connus de tous : c’est la situation sociale, les transformations du marché du travail et des modalités d’exploitation de la force de travail et enfin les cibles de ces émeutes qui furent leur seul discours. Les « faits » ne parlent jamais d’eux-mêmes (surtout pas dans une chronologie), la réalité ne se lit pas à livre ouvert, la théorie ne se réfère aux « faits » que dans l’analyse qu’elle en donne et dans la construction qu’elle en fait. Quels faits ne sont pas pris en compte dans l’ensemble des textes publiés dans ce n°3 de Meeting. Qu’Echanges le dise clairement : « l’erreur » de Meeting n’est pas dans une « absence » de référence aux « faits », mais dans la volonté d’en dire quelque chose. « Meeting est séduisant mais ne résiste pas à la réalité », voilà une façon séduisante de s’en débarrassé qui ne résiste pas à la réalité de ce que dit Meeting. Ramenant le mouvement à ses causes et à un exposé de sociologie urbaine, Echanges avouent ne rien avoir à en dire, tant, dans un tel mouvement, ce sont ses propres prémisses qui sont battues en brèche.
Pour critiquer Meeting mieux vaut inventer de toute pièce les faits. C’est que fait un des principaux animateurs d’Echanges dans une intervention sur le Réseau de discussion de Paris. A propos des affrontement qui ont suivi l’arrestation d’un sans papier à proximité de l’école Rampal à Belleville (Paris), il invente les faits : une action de Meeting (distribution de tract) et pour faire bonne mesure les « théories de Meeting » qui iraient avec.
Un fabuleux exercice de virtuosité virtuelle : « …je pense que la polarisation événementielle autour des "sans-papiers" ou / et les "émeutiers" de la Gare du Nord, méritent plus d’attention et de réflexion que la simple citation de Meeting que le "postulat des droits sociaux conquis de haute lutte n’est pas autre chose qu’un a priori idéologique."(…) La citation du tract de Meeting et l’échange qui s’est ensuivi est bien tombé entre l’intervention policière de la rue Rampal et les bagarres de la Gare du Nord. Je suppose qu’après avoir dit sur papier tout le mal qu’ils pensaient des suites données à cette réaction autour des "sans-papiers", les moralisateurs de Meeting ont troqué le discours sur tract pour la barre de fer d’un soutien réel des "communisateurs" de la Gare du Nord. (…) Le tract de Meeting, partant de réflexions pertinentes en arrive à condamner toute lutte de classe ou autre qui ne serait pas animée par une volonté révolutionnaire ou qui pourrait déboucher sur une situation de rupture sociale et à fustiger l’idéologie qui animerait l’ensemble d’un tel mouvement de résistance sociale qui se résumerait par une exigence de "respect du Droit" et de "défense des acquis", enfermant tout mouvement de ce genre dans un "citoyennisme" de défense du système assurant sa pérennité. (…) Les "acteurs" du discours de Meeting semblent ignorer que tout dans la société ( et dans le monde vivant) se déroule dans une relation dialectique et que toute contestation, si "révolutionnaire" soit-elle, si elle n’aboutit pas à une révolution mondiale est, ou détruite, ou intégrée dans le système qui lui survit avec les adaptations nécessaires pour cette survie. (…) Ne voyant que le placage idéologique des organisation légales reconnues (qui ne peuvent faire autre chose que cet encadrement), Meeting non seulement fustige cette fonction légale mais en même temps l’ensemble d’un mouvement de résistance parce qu’il n’ouvrirait pas de perspectives révolutionnaires. (…) Je dois ajouter ici que le désaccord fondamental avec les positions de Meeting vis-à-vis des luttes réside dans que fait qu’ils voient dans toutes les luttes qui ne sont pas dès le départ des ruptures des impasses qui ne conduisent qu’à assurer la pérennité du système et qu’ils nient que toute lutte soit dès le départ une rupture et que c’est seulement son extension et les problèmes causés par cette extension qui entraînent d’autres ruptures. »
Il n’y eut jamais de tract de Meeting (et je ne pense pas qu’une telle chose puisse exister), il n’y avait qu’un message de forum sur la liste de Meeting, message communiqué au Réseau. Il fallait une certaine dose de mauvaise foi et avoir envie d’y croire, pour penser que ce montage pouvait faire un tract à distribuer et pire que des camarades de Meeting étaient prêts à distribuer un tract sur une action à laquelle aucun d’entre eux n’a directement participé. L’occasion faisant le larron, on avait quelque chose à se mettre sous la dent. Enfin.
On avait trouvé quelque chose contre ces maudits « communisateurs », ces tenants du « tout ou rien », ces « moralisateurs » ne connaissant que des « principes » à opposer à la réalité réelle.
Mais voilà dans Meeting, on peut lire :
« Personne ne niera que la lutte révolutionnaire s’enclenche dans la lutte revendicative et même est produite par elle. La question est celle de la nature du passage. » (Meeting 3, p.7)
« Une lutte révolutionnaire part des conflits d’intérêts immédiats entre prolétaires et capitalistes et du caractère inconciliable de ces intérêts, elle est, si l’on veut, ancrer dans ces conflits mais si, à un moment de la lutte revendicative, les prolétaires, contraints et forcés par leur conflit avec la classe capitaliste, ne lèvent pas l’ancre, leur lutte demeurera une lutte revendicative et ira, en tant que telle, à la victoire ou malheureusement le plus souvent à la défaite. » (ibid, p.7-8)
« Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. (ibid, p.10)
L’essentiel n’est pas de parler de « ruptures » comme d’un mot magique, mais de les qualifier, de dire ce qui doit être rompu, de définir précisément les limites et d’en faire une théorie.
Les « acteurs » de Meeting » sont des « moralisateurs » en ce qu’ils penseraient que la lutte dépend de « principes » à opposer à la triviale réalité. En fait ils ne feraient que lutter contre des « idéologies » les confondant avec la réalité.
Pourtant, à propos de la lutte anti-CPE, on peut lire dans Meeting : « Il ne s’agit pourtant pas de dire à l’opposé des syndicats que tous les contrats sont équivalents entre eux et assimilables à l’ultime horreur du STO. Sans positionnement moral, les différents types de contrat de travail donnent en fait indication sur l’état et l’intensité du rapport d’exploitation, et pour cette raison répondent chacun à des conditions matérielles précises » (Meeting 3, p.78)
« La mise en place du droit est certes l’expression à tel moment de l’histoire d’un rapport de force entre des groupes aux intérêts antagonistes, la formalisation d’un conflit d’intérêt matériel, par exemple entre une revendication ouvrière et la résistance patronale à cette même revendication. Mais cela ne veut pas dire que les prolétaires en lutte le sont pour conquérir de nouveaux droits.
« Même si une grève naît d’une revendication contre des conditions de travail vécues comme insupportables, contre telle ou telle mesure disciplinaire ou en faveur d’une augmentation salariale, ce qui est en jeu est autre chose qu’une simple reconnaissance d’un quelconque "droit à". Le problème n’est d’ailleurs pas le fait en soi de revendiquer, mais les pratiques qui s’agencent à partir et au-delà de la revendication. Ce qui est en jeu, c’est l’exercice d’une puissance de classe et l’élaboration de solidarités offensives concrètes contre les formes du travail salarié ou le travail salarié lui-même. Même le combat pour la réduction de la durée de la journée de travail dépasse la démarche du "droit à" ou du "droit de" : l’aspiration à travailler moins, la mise en cause du surmenage et de l’enchaînement à un temps dicté par les nécessités de la production mettent en jeu autre chose qu’une reconnaissance par un tiers. » (Meeting 3, p.81)
Voilà une conception de la lutte de classe qui « condamne toute lutte qui ne serait pas animer par une volonté révolutionnaire ». Voilà une conception qui confond les suites de la lutte avec la lutte elle-même et condamne pour cela « l’ensemble du mouvement ». Voilà une conception qui « ignore » que toute lutte qui « n’aboutit pas à une révolution mondiale est, ou détruite, ou intégrée dans le système ».
Voilà une conception « moralisatrice ». Tellement « moralisatrice » et ne connaissant que les grands « principes » qu’on lit également dans Meeting 3 : « Il faut se battre pour le retrait du CPE, qui n’est pas seulement une attaque contre la jeunesse mais contre l’ensemble des salariés, précaires et chômeurs. Il va entraîner une précarisation croissante des conditions de travail, et devrait ensuite être généralisé par la mise en place d’un contrat unique. » (ibid, p.83)
Il faut se demander ce qui a pu motiver une réaction aussi rapide, aussi mal venue, aussi imaginative, aussi pleine de sous-entendus malveillants et de rancoeurs mal contenues. Nos « lecteurs » ont trouvé là l’occasion de ramener les notions de limite et de rupture à l’alternative du « tout ou rien », des « principes » et de la « réalité ». Ce dont parle Meeting, un dépassement produit, est illisible, c’est-à-dire hors du champ du visible défini par l’idolatrie de ce qu’ils prennent pour la réalité (« on parle de ce qui existe, nous, Monsieur ! »). Ce que dit Meeting, habituellement refoulé hors du champ du lisible, lorsque sa présence fugitive advient dans des circonstances symptomatiques très particulières, est l’objet d’une bévue, bévue intérieure à leur vue, c’est-à-dire à ce qu’ils peuvent voir, c’est leur interdit. Ils imaginent, mais ce n’est pas volontaire.
Ils veulent bien d’une rupture dans la lutte de classe, des luttes quotidiennes à la révolution, à condition qu’elle n’élimine rien. A condition qu’elle soit là, présente potentiellement comme simple aboutissement de ce qui doit être dépassé. Ils veulent d’une rupture à condition qu’elle soit partout et nulle part, qu’elle ne soit jamais théoriquement définie, pratiquement et spécifiquement existante, qu’elle ne soit pas l’action d’une classe se remettant en cause en tant que telle dans sa lutte en tant que classe, à condition qu’elle ne touche pas à leur petit fond de commerce autonome et auto-organisé : le syndicalisme radical.
Au-delà de ces quelques mesquineries, ce milieu s’enfonce dans l’empirisme le plus plat qui se shoote aux détails de la lutte de classe et aux micro-récits et se refuse à penser la révolution (faisant vertu de son mutisme), cet empirisme ne se situe même pas au niveau de l’induction. On ne considère la lutte des classes que comme la simple rencontre d’intérêts opposés et la « radicalité » consiste à refuser les « grands récits », la « glose spéculative ». Cet empirisme répète la mort du programmatisme (comme l’art moderne, disait l’IS, répète la mort de l’art) sans viser son dépassement ou en croyant que répéter la mort des « grands récits », c’est les dépasser. Il suffirait, consciemment ou non, d’en être le négatif.
Il s’agirait de se contenter de décrire les luttes avec force détails et statistiques (surtout tirées de journaux anglo-américain, cela fait partie de la posture de dévoilement du réel) et de les vouloir les plus « radicales » possibles, c’est-à-dire un syndicalisme qui réussirait. Le reste, c’est-à-dire aborder la question de la révolution et du communisme, tombe sous le feu des injonctions empiristes, de l’amalgame de toute déduction à la spéculation. « Des exemples ! des exemples ! et rien que cela », crient-ils en sautant comme des cabris.
Il s’agit d’occulter la question de la nature de la révolution communiste, comme si les porteurs de ce post-modernisme étaient conscients de la rupture entre leur implication syndicaliste radicale (avec de nombreuses références opéraïstes) – dont le plus souvent ils se contentent et dont leur discours « révolutionnaire » n’est que l’accompagnement – et la révolution communiste, c’est-à-dire l’abolition de toutes les classes. En même temps, ils sont prêts à grapiller de façon éclectique dans les discours passés de la révolution et du communisme pour agrémenter leur position normative vis-à-vis de la lutte de classe dans son actualité immédiate qui est leur horizon indépassable. Car, ils sont en fait des empiristes contrariés qui ne peuvent rien dire du réel tel quel sans dire ce qu’il aurait pu ou du être pour être conforme à lui-même. En réalité, ils ont une « idée » de la révolution et du communisme, mais ils n’osent plus la dire que subrepticement.
L’analyseur novembre 2005
S’il devient incontournable de fixer des lignes de démarcation non pas entre des personnes, des groupes ou des revues mais entre des positions et de cerner l’équivoque interne de la problématique de la communisation (voir plus loin) c’est que parler de révolution comme communisation prend définitivement le large par rapport à la révolution comme affirmation de la classe et à la démarche et aux positions immédiates, dans le présent, que cette position implique.
D’un côté, ceux pour qui la lutte de classe est une défense de la situation de prolétaire jusqu’à ce que les ouvriers, suffisamment unis et puissants prennent en mains la société et affirment leur puissance et leur rôle social de classe en se libérant de la domination capitaliste.
De l’autre, ceux pour qui la lutte de classe s’achève non dans la victoire du prolétariat, mais dans l’abolition de toutes les classes y compris le prolétariat. Il ne s’agit pas d’un suicide social, mais de l’abolition du capital, de la valeur, de l’échange, de la division du travail, de toute forme de propriété, de l’Etat (ce que l’on peut également formulé comme abolition du travail et de l’économie – si l’on a établi toutes les médiations théoriques produisant ces formulations). Le prolétariat abolit tout ce qu’il est, toutes ses conditions d’existence. Cela, immédiatement, dans le processus révolutionnaire à venir, comme condition expresse de sa victoire.
Avec les émeutes de novembre et les péripéties de la lutte anti-CPE, la rupture est consommée avec ceux qui, dans un surprenant renversement, se veulent les derniers représentant du mouvement ouvrier qui était leur ennemi intime quand il existait (Le Mouvement Communiste). Ils sont prêts maintenant à reprendre le flambeau et ramener à la raison ceux qui voient qu’aujourd’hui la révolution ne peut qu’être le prolétariat en finissant avec lui-même. D’autres, parmi les veuves du colonnel Fabien, n’accordent leur « compréhension » qu’avec des pincettes
Dauvé et Nésic dans « Ce que nous voulons : rien » (Lettre de trop loin n°5) n’analysent ces émeutes que comme l’absence de la communauté ouvrière, ils ne les comprennent nostalgiquement que comme le négatif de ce qui n’est plus :
« Les incendiaires de novembre, incendiaires pour rien, à peine pour eux-mêmes… »
« Ils poussent à l’extrême le rejet de la théorie et du passé, typique des révoltes de ces quinze dernières années. (…) Le jeune des cités va plus loin, ou en deçà : non seulement il n’y a pas de grand récit fondateur, mais plus de récit du tout. »
« Partout meurt la ville telle qu’elle a existé pendant des siècles… » ; « Faute de chance raisonnable d’obtenir à long terme une promotion par l’école, la recherche du plaisir immédiat par destruction d’un bâtiment scolaire est cohérente avec la logique sociale mise dans la tête de millions d’enfants depuis quelques décennies. »
« Les brûleurs de voitures sont des darwinistes sociaux »
Enfin : « Ce minimum (la common decency : G. Orwell appelait ainsi "le fait de traiter son camarade de travail ou son voisin de palier, non en concurrent ou en étranger mais comme un semblable") ne fera pas la révolution ; sans ce minimum, aucune révolution ne sera possible. Il ne naît pas par génération spontanée, mais par une vie commune et donc des valeurs communes sur un lieu commun : le quartier populaire et / ou ouvrier. Quelles qu’aient été les différences ou les oppositions entre l’ajusteur, le patron de la petite boulangerie, l’employé de bureau et l’instituteur, ils habitaient un lieu où la majorité vivait (directement ou non) de l’industrie, y compris dans de très petites entreprises, avec un travail relativement proche du domicile. Cet espace était aussi un temps, avec ses fêtes, ses luttes aussi, qui produisaient une appartenance. (…) La common decency était un produit naturel d’un groupe ayant pour seule force le travail et le nombre, le travail coalisé ». Ah ! le jour de l’enterrement de Thorez…
De son côté, Ni patrie ni frontières n°15 (décembre 2005) ne fait pas dans le lamento nostalgique mais plutôt dans la crainte que ces émeutes ne donnent aucune prise, aucune ouverture au militantisme politique révolutionnaire, clé d’une révolution réussie. Ici, le ton est celui de la condescendance paternalo-compréhensive.
« …il y a fort à parier que le fossé actuel qui s’est révélé pendant ces "émeutes" deviendra infranchissable pour les révolutionnaires (c’est qui ça ?, nda), mais malheureusement pas pour tous les démagogues, nationalistes ou religieux, qui chercheront à capter leur colère » (op. cit., p.8)
« Enfin pour les bureaux de poste, les crèches, les théatres, les gymnases ou les écoles qui ont été incendiés, les révolutionnaires ne devraient pas hésiter à critiquer ces actes, même si nous pouvions en même temps les comprendre comme l’expression du désespoir et de la révolte. Il n’était nul besoin pour cela de traiter les incendiaires de "voyous" ou de "crétins", il suffisait de leur expliquer que la destruction d’installations collectives ne pénaliserait nullement la bourgeoisie, ni l’Etat, mais seulement eux-mêmes » (ibid, p.22). Mais c’est bien sûr ! il suffisait d’aller leur expliquer : nous manquons de révolutionnaires de proximité.
« Il ne faut ni considérer tous les "émeutiers" comme des enfants irresponsables (donc mépriser leur révolte dont les fondements sociaux crèvent les yeux) ni en faire des insurgés ayant quasiment une conscience révolutionnaire… » (ibid, p.23).
« Il vaut mille fois mieux que des habitants s’organisent pour discuter avec des jeunes qui veulent brûler une école, les convaincre de ne pas se livrer à cet acte autodestructeur, plutôt qu’ils apellent les flics pour faire le boulot » (ibid, p.28).
La conscience révolutionnaire qui sait si bien juger des choses en arrive enfin au crime suprême après l’attaque des « services publics » : « …les violences commises par les "émeutiers" contre les personnes : passagers des bus incendiés, caissières de supermarché et petit vieux assassiné. » (ibid, p.83). Est-ce une faute d’accord ou un amalgame ? Y-a-t’il eu des caissières assassinées ? Sont-ce les bus ou les passagers qui sont « incendiés » ? Ah ! le « vieux » qui est toujours « petit » (on apprendra par la suite que la mort du « petit vieux » - 61 ans - n’avait rien à voir avec les émeutes). Il ne faut pas « refuser de voir les manifestations de la barbarie capitaliste quand elle se manifeste chez les exploités ». (ibid, p.106). Des événements qui n’ont de sens que dans l’ensemble des émeutes sont isolés alors que c’est l’ensemble des cibles qui fait sens pour chacune prise séparément. Aucune violence n’est inscrite dans l’agenda et les règles de la conscience révolutionnaire (cf. Meeting 3, « La voiture du voisin »). Ces faits (marginaux) existent, c’est en faire le centre de son analyse qui non seulement est objectivement faux mais surtout révélateur d’une répulsion théorique a-priori pour ces « événements » dans leur ensemble.
Un seul texte échappe dans ce numéro aux notes critiques souvent acerbes de Ni Patrie ni Frontières, celui de Mouvement Communiste dont l’essentiel est contenu dans cette citation : « Ces faits déplorables (il s’agit, cités en vrac dans le paragraphe précédent, des voitures brûlées, des écoles « prises d’assaut » - on dirait du Sarkozy - , des « travailleurs ont été dépouillés », etc, dans cette énumération aucun flic n’a été attaqué, aucun commissariat n’a été brûlé, aucune ANPE, aucun parking de Palais de justice, aucune entreprise…) ne se sont pas déroulés en marge d’un mouvement aux objectifs et aux formes de lutte différents et compatibles avec la lutte indépendante du prolétariat. Malheureusement, ils ont représenté l’essentiel des actes recensés. C’est pourquoi nous considérons que ces faits sont dépourvus d’un quelconque fondement politique de classe » (Mouvement Communiste, lettre n°19). Dans le langage de MC, cela signifie qu’il n’y a rien à en tirer pour alimenter ces groupes politiques embryon du futur parti de la classe qui tarde tant à venir et que même les « vrais ouvriers » des « vraies usines », dans de « vraies grèves », comme à Citroen Aulnay (mars-avril 2007) ont négligé de former : « Quant à leur expression politique indépendante dans l’usine, elle est toujours inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d’Aulnay n’a pas produit d’éléments organisés de conscience collective révolutionnaire (…) La voie des comités politiques d’usine, de chantier, de bureau et de quartier est radicalement différente (de celle suivie par Lutte Ouvrière, nda). Elle suppose que des minorités d’ouvriers étendent la lutte jusqu’à lui donner une forme politique explicite, par l’organisation de comités ». (Mouvement Communiste, lettre n°26, octobre 2007). Dans le plan, l’étape suivante est la « formalisation d’un réseau de ces comités ouvriers », lui-même « condition de la formation d’une organisation politiquement centralisée » (Lettre de Mouvement Communiste, n°11, octobre 2003, « Syndicats et lutte politique »). Alors,ceris esur le gateau, le prolétariat purra obtenir la satisfaction de ses revendications « économiques » en abolissant la « tyrannie de la valeur » : ce sera le moment ou jamais.
Le « révolutionnaire » de NPNF, lui va se poser les vrais problèmes qui ne sont que les problèmes du révolutionnaire.
Revenant sur les émeutes de 2005, Ni Patrie ni Frontières (n°21-22, novembre 2007) prend de la distance : « Haïr la police et les flics ne permet absolument pas de résoudre le principal problème qu’ils nous posent : comment obtenir leur soutien ou, au moins, leur neutralité ? Durant toutes les révolutions sociales ou nationales victorieuses, les forces de répression (police, armée, services secrets et police politique) ont connu une crise et des scissions. La ligne de fracture s’est parfois opérée autour de la division entre les éléments profesionnels et non professionnels (les appelés). C’est pourquoi nous devons être attentifs aux dissensions qui peuvent apparaître dans l’appareil de répression et surveiller si elles ne renforcent pas les groupes ou partis fascistes. Alimenter la haine de la jeunesse contre la police ne produit aucun résultat politiquement intéressant. Pour qu’une discussion sur la guérilla urbaine prenne un tournure plus concrète, il faut commencer par identifier l’ennemi et ses moyens matériels. » (op.cit., p.97)
L’alimentation de la haine de la « jeunesse » contre la police n’a pas besoin des « révolutionnaires », la police y pourvoit bien assez elle-même. Seuls des militants révolutionnaires d’une organisation existante ou à venir voulant prendre le pouvoir et instaurer un nouvel Etat peuvent raisonner ainsi. Obtenir le « soutien » ou la « neutralité » des forces de répression n’est pas un but d’un mouvement révolutionnaire, c’est dans ce qu’il fait qu’il affronte ces forces de répression et délite les rapports sociaux qui les soutiennent et dans lesquels elles existent. Seule une « révolution » qui aurait pour contenu l’instauration d’un nouvel Etat peut chercher à obtenir le soutien ou la neutralité de ces forces qui apprennent très vite à se positionner selon les changements de rapports de force et savent pertinemment que le nouveau pouvoir, après une épuration plus ou moins profonde, aura de toute façon besoin d’elles : nouveau pouvoir issu d’une « révolution sociale » et encore plus d’une « révolution nationale ». Une révolution communiste dans son action elle-même a pour contenu non de gagner le soutien ou la neutralité de ces forces en tant que telles, mais de les éliminer socialement, de supprimer leur existence. Une telle révolution ne dépend d’aucun stratège qui aurait placé des hommes au bon endroit de ces forces ou juger le moment opportun où elles sont traversées de dissensions.
Mais là nous touchons pour Ni Patrie ni Frontières à la limite essentielle de Meeting et de toute théorie de la révolution comme communisation : « Une bonne partie des critiques adressées aux courants spontanéistes dans les notes de ce numéro s’appliqueraient sans doute aussi à ces deux publications (Temps Critiques et Meeting, rangées conjointement dans l’élogieuse catégorie des « inclassables » nda). Toutes deux surévaluent le rôle de la violence minoritaire, des squats, du refus du travail, de l’ "appropriation directe" (le pillage), la portée des initiatives "radicales" locales et décentralisées, tout en sous-évaluant à la fois la nécessité d’organisations politiques et les difficultés de réaliser le communisme "immédiatement" comme semble l’affirmer naïvement Meeting dans la citation ci-dessus (il s’agit du texte de l’Invite figurant sur chaque numéro de Meeting, nda). » (n°16-17, septembre 2006, p.123)
Est-ce si « naïf » de penser aujourd’hui non pas que l’on réalise immédiatement le communisme, mais que la révolution est communiste ou n’est pas ? A l’inverse, est-ce vraiment sérieux aujourd’hui d’espérer la constitution d’ « organisations politiques révolutionnaires » menant la révolution (sinon elles ne servent à rien) établissant un pouvoir (un Etat ?) révolutionnaire, instaurant une période de transition ? Ces « fourbes » (contraire de « candide » synonyme de « naïf ») devraient nous dire ce qu’ils pensent conserver « pour un temps » : la monnaie, l’échange, la valeur, l’Etat, le salariat, la division du travail, la propriété. Mais diront ces « savants » tout cela disparaitra progressivement, comme toutes les « révolutions sociales et nationales » jusqu’à aujourd’hui l’ont montré à ces gens qui ne croient pas au père Noël. Tout ce sérieux réside dans le mimétisme de la société actuelle, c’est-à-dire que tout ce sérieux ne consiste qu’à considérer la société actuelle comme la référence absolue. Finalement, disons le : la « naïveté » c’est la révolution. Mais, quels sont les contraires de « naïf » ? Artificieux, astucieux, habile, méfiant, rusé… « révolutionnaire », bolchévique, stalinien, trotskiste, socialiste… Prenons MC que Ni Patrie ni Frontière aime bien, voilà des gens qui ont un plan où chaque étape de la révolution est minutieusement cartographié et doit venir en son temps, qu’importe que ce plan soit délirant, l’essentiel c’est le plan. C’est du sérieux.
Il y a également ceux qui ont vu dans ces émeutes, à contre-cœur (car inintégrable dans la doxa conseilliste), un mouvement prolétarien qui devait se généraliser (Charles Reves dans l’Oiseau-tempête), sans se rendre compte que la généralisation d’un tel mouvement à l’ensemble de la classe ouvrière signifie le dépassement de l’opposition entre le contenu général de ces émeutes et leur forme particulière, une forme sociale définissable dans les catégories de la reproduction et facilement repérable. Un mouvement de contenu semblable, mais touchant l’ensemble de la classe, cela signifie sa propre dissolution en tant que classe, cela n’est rien moins que la révolution communiste.
De même, en tant que mouvement revendicatif, la lutte anti-CPE comme mouvement des étudiants ne peut se comprendre elle-même qu’en devenant le mouvement général des précaires, mais alors : soit, elle se saborde elle-même dans sa spécificité ; soit, elle ne peut qu’être amenée à se heurter plus ou moins violemment à tous ceux qui, dans les émeutes de novembre, ont montré qu’ils refusaient de servir de masse de manœuvre. Faire aboutir la revendication par son élargissement sabotait la revendication. L’élargissement, inscrit dans le code génétique du mouvement, était une contradiction. La généralisation devenait conflit et remise en cause de la revendication dans la dynamique même de la revendication.
De plus en plus une théorie de la révolution comme communisation passera d’un processus déductif à une pure et simple affirmation inductive impliquant des clivages immédiats dans la compréhension et l’action.
Les émeutes de novembre 2005 ont fait fonction d’analyseur théorique. Parler de la révolution comme communisation est devenu une prise de positions immédiates dans la lutte de classe et dans les luttes particulières. Il arrive un moment où il faut laisser les morts enterrer leurs morts (et les pousser dans le trou)
Equivoque de la problématique de la communisation
La spécificité et les caractéristiques du cycle de luttes actuel non seulement induisent un clivage avec tout ce que l’ancien cycle peut encore produire de répétition sclérosée mais encore produisent à l’intérieur même de la problématique de la communisation une équivoque nécessaire. Ce que nous avons appelé l’enjeu actuel de la lutte de classe (la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action en tant que classe) inclut comme une « dérive nécessaire » la recherche et l’illusion d’exprimer une « existence positive » (actuelle, tendancielle, contradictoire, comme limite, posant les questions…) de la communisation. Cela avait été un des points de discussions lors de la réunion de Meeting à Marseille en mars 2007. Pour une partie des participants à Meeting il est impossible de penser le dépassement révolutionnaire si on reste enfermé dans le « strict » rapport de classe, il ne s’agirait pas de chercher à nouveau une libération de l’ « être révolutionnaire » de la classe, mais de mettre en avant une « pratique vivante » qui « poserait des questions relatives au communisme » (cf. « Compte rendu de la réunion », Meeting 3, p.19).
La lutte de classe dans sa manifestation immédiate comme classe du mode de production capitaliste ne pourrait sortir de son implication réciproque avec le capital que si des actions sont en elle déjà réellement ou tendanciellement au-delà. On peut faire référence ici, sans les amalgamer, entre autres choses, au texte de Marcel Communisme de l’Attaque et communisme de la défection (traduction intégrale sur le site de Meeting), aux débats à l’intérieur de Meeting dont on trouve la trace dans le n°1 avec les différenes approches du concept de communisation et, dans le n°3, avec le compte rendu de la réunion sur l’auto-organisation. La « Critique de l’Appel » publiée dans le numéro 2 de Meeting et le concept d’ « aire de la communisation » dans le numéro 1, laissent entendre qu’une action de classe pourrait être un processus qui ne soit pas capitaliste ou d’une certaine façon au-delà. Le courant communisateur ne serait pas seulement un « précipité » de la lutte de classe avec « l’écart » qu’elle comporte, mais aurait une possibilité d’existence pratique actuelle positive. Bien que critiquant ces développements théoriques, je considère que cette question est interne, définitoire, intrinsèque au concept de communisation et plus fondamentalement à la période actuelle.
Prolétaire et être générique
Incontournable, d’autant plus qu’un tel débat n’est pas spécifique aux participants de Meeting.
Dans un construction théorique approximative, Dauvé et Nésic affirment « …la révolution ne deviendra possible que lorsque les prolétaires agiront comme s’ils étaient l’en dehors de cette société, et se rattacheront à une dimension universelle, celle d’une société sans classe, d’une communauté humaine » (Prolétaires et travail, p.33, Lettre de Trop Loin). Qu’est-ce agir comme si nous étions l’en-dehors ? Remarquons bien toutes les circonvolutions de cette formule : « agir comme si ». Déjà agir « en-dehors » c’est pas évident, mais alors « comme si » on était « en-dehors »… « L’en-dehors » se rattachant à la dimension universelle, on est en pleine fantasmagorie conceptuelle. Ce que la plupart des théories ne parviennent pas à concevoir, c’est ce qu’est une contradiction, c’est-à-dire que ce rapport social capitaliste soit d’une part, totalement le nôtre et que nous ne soyons que lui et, d’autre part, que nous puissions par cela même l’abolir.
L’abolition de la condition prolétarienne est l’auto-transformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux, c’est la lutte contre le capital qui nous fera tels, parce que cette lutte est une relation qui nous implique avec lui. La production du communisme est effectuée par ce qui est encore une classe et qui trouve dans sa propre situation de classe, en l’abolissant, le contenu du communisme, sans nul besoin de se rattacher à une « dimension universelle ». La communisation de la société s’effectue dans la lutte du prolétariat contre le capital. Abolir l’échange, la division du travail, le cadre de l’entreprise, l’Etat..., sont des mesures nécessaires prises dans le cours de la lutte, avec leurs reculs et leurs coups d’arrêt, elles sont autant de mesures tactiques au travers desquelles la communisation se construit comme la stratégie de la révolution. Ce n’est qu’ainsi, au cours de la lutte d’une classe contre le capital, qu’est produit l’individu immédiatement social. Il est produit par le prolétariat dans l’abolition du capital, c’est-à-dire dans la production de l’appartenance de classe comme une contrainte (ultime rapport entre le capital et le prolétariat) et non par des prolétaires qui ne sont plus tout à fait des prolétaires faisant « comme s’ils étaient l’en-dehors ».
Dans une démarche proche de celle de Dauvé et Nésic, le travail autour de la question de l’être générique auquel se livre les participants du groupe / revue Perspective Internationaliste (P.I) est bien symptomatique des abîmes de perplexité dans lesquels tout un chacun (excepté quelques fossiles « vivants » que nous avons répertoriés précédemment) est plongé par l’effondrement de la perspective révolutionnaire programmatique d’affirmation du travail et d’érection du prolétariat en classe dominante. Face à cet effondrement qui s’impose sans que P.I en fasse la théorie, cette revue est amenée à dédoubler le prolétariat en « activité de classe » et « activité humaine ». Il faut que dans le prolétariat existe une tendance, un besoin humain, quelque chose de positif qui, en lui, puisse expliquer qu’il fasse la révolution quand il est devenu bien évident qu’il ne s’affirmera pas en tant que classe dominante réorganisant la société dans la libération du travail.
« Le débat qui suit s’origine dans la tentative de comprendre comment notre classe, sur laquelle la pénétration de la loi de la valeur dans tous les domaines de la vie communautaire et individuelle fait peser tout le poids de l’aliénation, peut se dégager de celle-ci ; comment une classe ayant perdu ses repères traditionnels et réduite de façon caricaturale au statut de marchandise jetable peut encore percevoir son rôle clé dans l’avènement d’une société nouvelle. » (Un débat sur la question de l’être générique, P.I n°43, hiver 2004-2005, p.1)
« L’action politique de la classe révolutionnaire (…) s’enracine dans les besoins humains niés par le fonctionnement actuel. C’est bien en tentant de satisfaire ses besoins fondamentaux que la classe peut prendre conscience de l’absence d’espoir de satisfaction dans la société capitaliste, de sa position de classe exploitée et de son aliénation à ce système et ainsi s’en dégager. Le processus de prise de conscience s’effectue dans la mise sous tension de l’opposition entre être social et être générique… » (ibid, p.2)
Tout le reste à l’avenant. Nous sommes dans le plus plat idéalisme quotidien discutant sur la nature humaine fondamentale et sa perte ou sa réalisation historique, sur l’inné et l’acquis, le « social » et le « générique », etc. Mais là n’est pas le plus important, ce qui importe ce n’est pas le contenu totalement insipide de cette réflexion mais ce qui la motive et qui d’une certaine façon rejoint des interrogations internes au concept de communisation.
Prolétaire et individu
La question de la capacité du prolétariat, agissant strictement en tant que classe, de produire le communisme est également soulevée dans le texte Communisation troisième courant (signé Patlocht, sur le site de Meeting et de l’Angle mort) dont je rappelle quelques extraits :
« Renvoyant dos à dos la "révolution à titre strictement prolétarien" de ce groupe (Théorie Communiste) et la "révolution à titre humain" de Temps Critiques, le texte ci-dessous ébauche les éléments d’une approche théorique différente. »
« La critique marxienne du capitalisme se présente essentiellement, avec le Capital, comme une critique de l’économie politique. Cette critique apparaît aujourd’hui, dans cette phase de la subordination réelle de la société au capital, comme toujours essentielle mais aussi trop partielle pour rendre compte de l’implication réciproque réelle dans toutes ses dimensions, notamment dans le rapport à la nature, question qui fait de la sortie du capitalisme une urgence vitale pour l’humanité et son milieu naturel, et conditionne la possibilité même du communisme. La théorie de la communisation doit intégrer cette problématique de façon conséquente et audacieuse. »
« La révolution communiste sera produite comme dépassement. De quoi ? Des contradictions nouées dans l’implication réciproque réelle. C’est pourquoi ce dépassement ne sera produit ni strictement par des prolétaires en tant que tels (Théorie Communiste), ni à titre humain en excluant cette qualité (Temps Critiques). Le prolétariat ne peut que strictement abolir ce qu’il est et le capital, mais ne peut pas en tant que tel produire le communisme. Sans la dimension prolétarienne essentielle, l’abolition du capital est un non-sens. Le dépassement produit selon Théorie Communiste n’est strictement qu’un anticapitalisme conséquent mais il débouche (théoriquement) sur le vide, car le communisme n’est pas l’envers, l’autre du capitalisme. Théorie Communiste, sur le plan théorique, ne produit pas le communisme, mais une révolution anticapitaliste. Les individus de Temps Critiques, dans leur tension à la communauté humaine déjà présente n’auront pas à abolir le capitalisme, puisqu’ils ne sont déjà plus considérés comme exploités par le travail, ou trop peu, ou trop peu nombreux… »
Ce texte fait ensuite référence à une problématique de la communisation qui serait une amorce du dépassement de l’alternative figée représentée par Théorie Communiste et Temps Critiques, cette problématique de la communisation est celle de Bruno Astarian dans son livre Le Travail et son Dépassement (Ed. Senonevero).
« Bruno Astarian va plus loin que Théorie Communiste mais justifie en partie ses critiques. C’est faute à mon avis de construire les contradictions comme déjà présentes, par une dialectisation en niveaux de généralités et points de vue dont la clé est chez Marx (dans la lecture de Bertell Ollman), et parce qu’il veut passer d’un emboîtement historique de contradictions (du travail au travail dans le capital) à leur dépassement sur un axe temporel linéaire sans lui donner sa dimension spatiale, en demeurant fondamentalement dans une dialectique binaire (le caractère prolétarien de son système). D’où la nécesité de faire surgir d’une théorisation de l’activité de crise le saut dans la liberté… A mon sens il était pourtant très proche d’une élaboration du type que je propose schématiquement, dont il produit les ingrédients essentiels (relativement au travail, il construit mieux que l’abolition du travail salarié, et il dépasse toutes les considérations écologiques même les plus rouges dans la question du rapport homme-nature), qui lui permettent d’aborder une élaboration positive du communisme plus convaincante que les difficultés mises en avant par Théorie Communiste pour le faire. (…) Dans l’activité de crise du prolétariat, les individus qui portent plus spécifiquement telle ou telle de ces contradictions produisent leur dépassement en libérant des énergies jusque-là bridées, qu’ils réinvestissent dans la production positive du communisme. Celle-ci n’est pas la face cachée de la destruction du capital (Théorie Communiste), ni un saut de la liberté humaine dans l’inconnu produit par l’activité de crise du prolétariat (Astarian selon TC)) C’est cette activité qui libère des qualités individuelles sociales et psychologiques déjà présentes dans les relations inter-individuelles bridées au sein du capital ou dans les différents niveaux de rapports évoqués précédemment : il y a en plusieurs points une dynamique d’affrontements et des limites indépassables dans le capital. Il s’agit d’une multiplicité de dépassements à produire dans leurs spécificités, comme dans leur unité au sein de l’implication réciproque réelle comme tout, et dans l’essentialité de sa dimension de classe. Bien sûr, cela ne doit pas être entendu comme "les femmes liquident le patriarcat", "les hommes "de couleur" le racisme", etc. Rapporté à l’individu singulier, c’est sa propre multiplicité d’appartenances aliénés car identitaires qui doivent être dépassées, y compris subjectivement sa qualité de prolétaire. Pour le communisme, l’homme est sans qualité. (…) Si le communisme se construit comme immédiateté sociale entre individus, c’est qu’à un moment donné de sa production ceux-ci doivent agir en tant qu’individus (même associés car associés en tant que tel pour telle activité, sans qu’elle débouche sur la constitution d’un groupe identitaire) et non en tant que classe… ».
On retrouve dans les interrogations sur la communisation soulevées dans ce texte nombre de similitudes avec celles du texte de Marcel et bien sûr avec les thèses de Bruno Astarian. Cependant, alors que la thèse d’Astarian est, comme le dit Patlocht, historiquement linéaire, c’est-à-dire « attend » que la multiplicité des contradictions à résoudre se focalise dans l’ « activité de crise », Patlocht ou Marcel supposent des contradictions multiples déjà existantes et entrainant certaines pratiques individuelles fondées sur des potentialités « bridées » dans le capital et atteignant leur intensité maximum, révélant toute leur force et leur potentialité, dans l’abolition prolétarienne du capital qu’elles permettent de dépasser en tant que telle.
La position fondamentale d’Astarian est que : « Aucun rapport de classe ne peut évoluer de lui même vers un tel dépassement (le communisme, n d a) ... » (op. cit., p.165). La révolution, le « rapport social de crise » vient justement établir, et combler, un hiatus entre le prolétariat comme classe et « le saut dans l’inconnu de la liberté absolue ». Astarian cherche à résoudre une question devenue récurrente dans la problématique de la communisation : quand on a le prolétariat on ne peut avoir la révolution, quand on a la révolution, on ne peut pas avoir le prolétariat, car c’est une classe, et aucun rapport de classes ne peut évoluer vers un tel dépassement.
« Si donc la crise se définit comme éclatement du rapport social capitaliste, il faut se demander ce que devient la socialisation des hommes dans ces crises. L’analyse fera apparaître que la réponse comporte deux éléments. D’une part, on assiste au dévelopement d’une activité sociale propre au prolétariat, à la formation d’un rapport social qui, pour la première fois dans l’histoire n’est pas un rapport entre classes mais entre individus. D’autre part, le rapport des classes qui, dans la prospérité, se reproduisait au travers de l’exploitation du travail, prend ici une forme éclatée et directement conflictuelle, désocialisatrice et non reproductrice. » (Astarian, op. cit., p.131). Si Astarian nous mène au cœur de la question de la communisation, entre la lutte des classes et le communisme il évolue dans une logique absolument binaire et exclusive. Il se formerait, pour combler l’hiatus entre les classes et le communisme un rapport social qui n’est plus un rapport social entre classes, mais qui n’est pas le communisme. Pour Astarian, la crise du mode de production capitaliste met en mouvement des sujets qui ne sont plus ceux du mode de production capitaliste. « L’éclatement de la crise se définit comme cet instant précis où le rapport de classes est dissout par l’activité du prolétariat qui, ainsi que nous allons le voir en constitue un autre » (op. cit., p.133). Le problème auquel toute cette problématique se heurte est que dans cette dissolution du rapport de classes ce n’est pas le communisme qui est produit car « aucune classe de l’aliénation ne peut produire quelque chose dépassant l’aliénation », mais une sorte de nouveau rapport social mettant en relation des individus qui étaient auparavant des prolétaires.
Il nous faut débarrasser « l’activité de crise » de tous ses aspects iréniques et subjectivistes. Dans l’activité de crise l’affrontement entre les classes demeure primordial et constitutif de l’activité de crise elle-même, l’intersubjectivité est une contrainte de la lutte et se construit dans la lutte, elle n’est pas une action de la classe ou des individus sur eux-mêmes, dans un contexte où la classe capitaliste laisserait faire.
L’activité de crise échappe au subjectivisme si l’on considère bien que ce n’est pas une situation et une activité dans lesquelles les rapports entre les « gens » tournent sur eux-mêmes. La lutte contre l’autre classe n’est pas le cadre (le contexte) dans laquelle s’exerce l’activité de crise, elle est l’activité individuelle de ces individus, activité individuelle dans l’extranéisation de l’appartenance de classe qui n’est que la lutte contre la classe capitaliste.
Actuellement, le travail théorique fourni par Bruno Astarian, de son livre Le travail et son dépassement (Ed. Senonevero) à sa brochure Le Mouvement des Piqueteros (Echanges) en passant par ses textes sur les émeutes de Los Angeles, Aux Origines de l’anti-travail (Echanges), son article sur les luddites, et la vision qu’il donne de Mai 68, Les Grèves en France en mai –juin 1968 (Echanges), fournit un matériel très intéressant, mais construit, en pointillés une ligne théorique et historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital dont les références ne sont plus que « l’anti-travail » et les mouvements sociaux, qui conçus comme un certain « en-dehors » du rapport capitaliste, ou plutôt du rapport salarial, seraient contraints de ce fait d’expérimenter d’autres rapports sociaux.
Le communisme n’est pas centralement l’abolition du travail, il n’est ainsi défini que dans un système théorique fondé sur l’analyse du travail, c’est-à-dire du rapport entre l’homme et la nature comme point originel de la théorie communiste. Ce qui importe en réalité ce sont les rapports sociaux qui font que l’activité humaine est travail, l’important c’est alors l’abolition de ces rapports et non l’abolition du travail. La « critique du travail » ne permet pas d’aborder le capitalisme comme histoire qu’en termes de « liquidations » ou d’ « inessentialisation du travail ». Cette vision doit nécessairement se fonder sur un humanisme théorique pour passer de cette « critique du travail » au communisme, le prolétariat en tant que classe défini dans le travail devient alors un obstacle à effacer.
Autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes
Dans les cycles de luttes antérieurs, la montée en puissance de la classe, mouvement même de la révolution comme affirmation de celle-ci, était un mouvement « capitalisable », formalisable face au capital, organisable en un mot. En revanche, les aspects actuels qui nous intéressent dans ce cycle de luttes n’annoncent que la négation du prolétariat, sa remise en cause dans sa contradiction avec le capital, ils ne peuvent jamais acquérir une forme stable, qui, pour être un contenu organisable quelconque, doivent nécessairement, d’une façon ou d’une autre, se voir confirmer à l’intérieur de la reproduction du mode de production capitaliste. Des travailleurs révolutionnaires pouvaient se regrouper, s’unifier, quand c’était immédiatement le fait d’être un travailleur productif, c’est-à-dire sa propre existence dans le mode de production capitaliste, qui était immédiatement posé comme nature révolutionnaire. En revanche, des émeutiers ne peuvent pas se regrouper après l’émeute comme « organisation d’émeutiers », ni des grévistes sauvages refusant le travail en tant que « grévistes sauvages refusant le travail ». Il ne peut exister d’« Organisation des Saboteurs ». Quand les pilleurs ou les saccageurs cherchent à former une organisation, c’est pour faire du militantisme politique ; quand les saboteurs s’organisent en dehors de leur pratique même, c’est pour faire du syndicalisme. C’est-à-dire que tout cela aboutirait soit à la tentative de maîtrise et de contrôle des conditions existantes, c’est-à-dire l’alternative, soit au syndicalisme de base, soit au militantisme politique, soit le plus souvent à un mélange de tout cela.
La contradiction avec le capital est maintenant pour le prolétariat sa propre remise en cause, c’est par là qu’apparaît, à l’intérieur du cycle de luttes, son dépassement comme abolition de la société et rapports immédiats d’individus dans leur singularité, mais considérer cela comme l’existence particulière, positive, d’une tendance quelconque dans le cours général de la lutte de classe, c’est autonomiser cette dynamique et ne peut finir par exister que comme alternative. Les pratiques qui constituent cette dynamique s’autonomisent de leur raison d’être : l’action en tant que classe. C’est, à divers degrés, le « mouvement d’action directe », « l’aire de la communisation », l’alternative plus ou moins confrontative de l’Appel et de l’Insurrection qui vient. Aucune pratique (refus du travail, sabotage, émeutes, occupation, convergence des luttes, blocage…) n’a en elle-même un sens de rupture et peut être isolée des luttes particulières dans lesquelles elles prennent forme. Il n’y a pas de mode d’emploi pour une intervention devenant celle des « révolutionnaires », qu’ils se disent « communisateurs » ou non. Les adeptes de la radicalité anticapitaliste, hypostasie quelques pratiques et du coup y voit une essence : la remise en cause de ce que l’on est dans le capital.
Il apparaît alors une exclusion réciproque entre être prolétaires et la production d’autres rapports sociaux. La remise en cause de l’appartenance de classe s’effectuerait à l’extérieur d’elle-même. Cette autonomisation aboutit à une série d’impasses : le capital comme domination et symbole, la question insoluble de sa propre extension, sa référence aux besoins, au plaisir, aux désirs, à un moi humain « authentique » ou tout simplement à réinventer la « question de l’intervention ». On ne peut demander au dépassement du capital qui est forcément activité du prolétariat d’exister « positivement », d’être pour soi. Que ce soit l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, que ce soit la communauté comme relations entre individus dans leur singularité, ce sont des points essentiels de ce cycle de luttes qui trouvent leur limite dans une pratique alternative quand il s’agit de les poser comme existant par eux-mêmes et pour eux-mêmes.
Cependant c’est une « critique positive » de l’alternative que nous devons faire, c’est-à-dire qui prend ce qu’elle indique en considération : non plus une maîtrise par le prolétariat de ses conditions d’existence, mais ce qui distingue radicalement le communisme de toutes les sociétés antérieures, la construction des rapports entre individus en tant qu’individus comme étant leur propre fin et leur propre médiation.
Opposer à toutes les pratiques et les théories qui relèvent de cette autonomisation une vision normative de la révolution au nom d’un programmatisme révolu est sans intérêt. Il ne mène à rien d’écrire : « Le mouvement anti-mondialisation, y compris dans ses franges les plus radicales, reste enfermé jusqu’à présent dans une logique de militantisme politique et se situe dans une extériorité absolue à la lutte réelle de la classe ouvrière, entendue comme la lutte menée par les producteurs selon des modes d’organisation et par des moyens d’action qu’ils définissent eux-mêmes, souverainement, dans le but de s’emparer de l’appareil productif et de le faire fonctionner collectivement (souligné par nous) en vue, non de l’accumulation de plus-value, mais de la satisfaction des besoins sociaux. » (Des black blocs pas vraiment sans Gênes… Zanzara athée, 2001, p.25). A l’inverse, les auteurs des textes publiés dans Cette Semaine (n° 87, février-mars 2004) prennent les mêmes phénomènes pour objet de leur réflexion et de leurs critiques : « confusion entre la lutte contre l’existant et la lutte contre les forces qui le défendent » ; « échapper à la logique : le mouvement contre l’Etat, l’Etat contre le mouvement » ; « l’abandon du terrain fertile mais inconnu des conflits sociaux » ; « le capitalisme est un rapport social et pas une citadelle des puissants ». Mais prenant en compte les mêmes phénomènes, ils mènent une critique non normative de ces pratiques cherchant à les comprendre en les reliant au stade actuel de la lutte de classe : « Tout concourt à isoler les individus (...) myriade de contrats qui donnent aux travailleurs l’impression d’être seuls face à l’entreprise (cet univers de contraintes et de bureaucratie qui tend à s’élargir à la société entière). C’est peut être pour cela qu’émergent des formes de luttes qui consistent à bloquer la normalité sociale en soi, avec des grévistes qui abandonnent toujours plus souvent les lieux de travail pour se rendre dans les artères du capital (autoroutes, aéroports, points sensibles du trafic urbain). (...) Personne ne songe désormais à arracher quelque chose aux patrons pour le faire fonctionner différemment (souligné par nous), comme dans les vieux idéaux d’émancipation ; inconsciemment chemine le sentiment qu’on ne peut que saboter un monde littéralement invivable et y ouvrir ainsi de nouvelles possibilités. » (op. cit., p. 19). Voilà une remarquable vision de l’écart que l’action en tant que classe creuse à l’intérieur d’elle-même par des pratiques qui extériorisent leur propre existence de pratiques de classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital.
Le problème c’est que dans le mouvement même où cette autonomisation de la dynamique de ce cycle indique bien la dynamique de ce cycle de luttes et les caractéristiques de ce qu’est le communisme tel que ce cycle de luttes le produit, l’alternative devient son horizon. Le point central est le refus pratique et théorique de la « médiation temporelle ». La médiation temporelle ce n’est pas fondamentalement une question de chronologie mais de déroulement réel et de compréhension de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Soit on a l’identité entre ce qui fait du prolétariat une classe de ce mode de production et une classe révolutionnaire et on a alors une contradiction dont le déroulement de par cette identité est soumis à sa propre histoire comme cours du mode de production capitaliste. Soit on construit une simple opposition parce que le prolétariat possède dans ce qu’il est, de façon interne, son « aptitude révolutionnaire ». L’immédiateté du communisme, c’est-à-dire la révolution elle-même comme communisation, n’est pas son immédiatisme, son caractère toujours présent, toujours possible, ne serait-ce qu’en construction. Or, la communisation de la société ce sera des mesures communistes prises par des ouvriers parce qu’ils sont ouvriers, parce qu’en tant que tels ils existent définis dans et contre toutes les déterminations du capital. On perd le concept même de communisation si l’on ne considère pas que la production du communisme s’effectue parce que les prolétaires, en lutte contre le capital comme prolétaires, abandonnent, dans cette lutte, leurs vieux habits de prolétaires, parce qu’ils sont immergés dans les contradictions du capital qui les constituent comme prolétaires. L’abolition de la condition prolétarienne est l’autotransformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux, dans la lutte contre le capital qui les définit comme classe de cette société.
La façon dont, dans le cours historique de la lutte des classes, son propre dépassement se présente ne doit être considéré ni comme l’aboutissement déjà là, ni comme une ébauche grossière et ridicule qui, coupée de son aboutissement, doit être abandonnée on ne sait où en dehors du vrai que serait son aboutissement. Cet aboutissement, quant à lui, ne doit pas être considéré comme un positif mort, une norme, gisant de l’autre côté.
Si la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence en tant que classe est interne à son action en tant que classe, cela signifie qu’elle est interne à ce qui est la limite de ce cycle : agir en tant que classe. C’est là qu’il nous faut admettre que le cycle de luttes est une tension constante entre l’autonomisation de la dynamique (la remise en cause) et la reconnaissance de l’action en tant que classe comme toute entière dans les catégories du capital.
Nous passerons rapidement sur le cas paroxystique de cette autonomisation que représente les publications et les tentatives d’action de personnes se reconnaissant dans les textes come l’Appel ou l’Insurrection qui vient. Nous avons affaire au subjectivisme devenu fou pour lequel chacun se considère, du fait même d’exister comme il existe, de vivre comme il vit, et de penser comme il pense, comme la preuve de la révolution communiste toujours là. Puisque j’existe comme je suis, je suis la preuve vivante de la révolution. Imaginons un instant que ce dont ils parlent se mette à exister à une échelle repérable, c’est-à-dire que des « gens » se mettent à abandonner les rapports capitalistes et en construisent de nouveaux contre le capital. Ils n’auraient pas le temps de cligner de l’œil que l’Etat les aurait anéantis. Il n’y a pas de « sphères extérieures », de « communisation externe » (Marcel), de « communes » (l’Insurrection qui vient) qui puissent être une alternative, c’est-à-dire qui puissent commencer sans être un processus d’extension tel que l’action du prolétariat entre immédiatement dans une lutte sans échappatoire avec tout le monde capitaliste. Jusque là nous demeurons dans la lutte de classe qui peut, par certains de ses aspects, mais tout en restant dans la « dialectique entre le travail et le capital » (Marcel) et parce qu’elle y reste, annoncer la remise en cause de la classe par elle-même.
Nous considèrerons trois textes qui, sans parvenir à mon sens à poser la question dans ses termes adéquats, reconnaissent l’équivoque du concept de communisation et tente de le formaliser.
« Communisme de l’attaque et communisme de la défection »
J’ai déjà plusieurs fois évoqué ce texte suédois signé Marcel, pour plus de commentaires je renvois au compte rendu critique qui se trouve par ailleurs dans ce n° de Meeting.
« Questions préliminaires »
Une contribution sur le forum de Meeting (21 juillet 2005) intitulée Questions péliminaires (signé du pseudo Amer Simpson) partait de la constatation (fausse à mon avis) de deux tendances actuellement dans l’approche de la révolution comme communisation : la tendance « autonomiste » ou parfois « immédiatiste » ; la tendance « cours quotidien de la lutte des classes » (c’est moi qui la désigne ainsi, Simpson ne lui donne d’abord aucune appellation puis vers la fin de son texte la désigne comme tendance de la « perspective révolutionnaire », « perspective » s’opposant à « immédiatisme »).
Si idéologiquement ou théoriquement on peut dire qu’il y a actuellement, dans le « courant communisateur », deux tendances, dans le réel, il n’y a qu’un seul mouvement qui nous autorise à parler de la révolution comme communisation : le cours de la lutte des classes comportant ce que j’ai appelé « l’écart ». Le courant « autonomiste » ou « immédiatiste » est un courant théorique, une certaine conception du rapport entre la situation actuelle et la révolution. En tant que pratiques, il ne constitue pas une autre voie par rapport à ce que Simpson appelle la « perspective révolutionnaire » (le cours de la contradiction comme histoire du mode de production capitaliste – si j’ai bien compris), toutes ses activités sont parties intégrantes de la situation actuelle, non comme les acteurs de ce courant se l’imaginent, en tant que questionnement sur le communisme ou « expérimentation », mais en tant que pratiques dans lesquelles la dynamique de ce cycle s’autonomise et en tant qu’appartenant avec sa spécificité à ces pratiques qui actuellement définissent un écart à l’intérieur de la limite des luttes : agir en tant que classe.
La « tendance autonomiste » peut dire ce qu’elle veut sur le communisme et le désirer autant qu’elle en est capable, elle n’est qu’un élément, parmi d’autres, spécifique mais ni plus ni moins remarquable, du cours quotidien de la lutte des classes. Si « la question de savoir comment se préparer à la révolution se pose en premier lieu à ceux et celles qui la veulent », ce n’est simplement que parce que sortant la dynamique de ce cycle de son cours dans la lutte des classes en tant que cours du mode de production capitaliste (l’autonomisation de la dynamique), leur question n’est que le reflet de la réponse qu’ils ont déjà donnée, elle n’est que la question qu’ils doivent se poser pour comprendre, vis-à-vis d’eux-mêmes, leur existence. Cette « tendance » contient, dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer ». C’est tout à fait exact, mais pas pour les raisons qu’en donne Simpson. Pour lui cette importance provient de ce que cette tendance appartiendrait simultanément à plusieurs moments historiques qu’elle synthétiserait en elle. Elle serait, bien sûr, de notre époque (« d’où on part »), elle serait également du futur puisqu’elle ne s’intéresse à « d’où on part » que parce qu’elle sait « où nous devons arriver », elle appartiendrait aussi à la période intermédiaire (« comment se préparer »). Simpson croit la « tendance autonomiste immédiatiste » sur paroles, il veut seulement qu’elle tiennent un peu plus compte des réalités présentes, il ne voit pas que ses interrogations sur la révolution et le communisme, la forme même qu’elle leur donne et le contenu même de ses réponses tiennent à ce qu’elle ne tient pas compte des réalités présentes autrement que comme un environnement hostile ou favorable.
En prenant cette « tendance » au pied de la lettre, Simpson a séparé la réalité actuelle avec d’un côté des gens qui « posent la question du communisme », « expérimentent » et finalement doivent « trouver un point d’appui » et, de l’autre, les « conditions présentes ». Si cette « tendance » contient, comme le dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer » c’est qu’elle est une somme d’activités et de pensées à l’intérieur du présent et ne l’excède d’aucune façon. Il s’agit d’activités qui permettent de définir un écart à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe. La spécificité de cette tendance est d’avoir autonomisé le moment de la remise en cause, par là n’étant pas simplement embarqué dans le cours de la lutte des classes comme reproduction du mode de production, elle est amenée à réfléchir sur elle-même, à devenir théorique, à penser son rapport à la reproduction capitaliste sur la base d’un face à face avec elle, d’où son auto-compréhension comme « expérimentation » et sa question « comment se préparer ? ». D’où également sa confrontation inévitable avec ce qui apparaît face à elle et qu’elle comprend elle-même comme une autre « tendance » : celle de la « perspective révolutionnaire ».
La seconde « tendance », quant à elle, ne ferait que chercher la « perspective » dans les conditions présentes. Elle serait une autre façon de relier « d’où on part » à « où on arrive », elle répondrait non pas par un « immédiatisme » ou une « expérimentation », mais par la nécessité d’un cours historique à accomplir. Mais, cette seconde « tendance » ne répond pas d’une autre façon à la même question que la première. Elle ne cherche pas quel peut être l’entre-deux reliant deux moments de l’histoire déjà connus. Elle cherche comment la situation présente produit autre chose, il ne peut y avoir d’autre « préparation » que le cours de la lutte des classes tel qu’il est et dont la « tendance autonomiste » fait partie. La « tendance autonomiste » croit qu’il y a deux tendances, deux types d’approche du même problème. La tendance « dynamique » ne reconnaît pas la question de la première et la considère comme un élément de la situation présente, c’est-à-dire non comme apportant une réponse mais comme une partie du problème. Accepter la typologie des « deux tendances » c’est accepter la question telle que la pose la « tendance autonomiste » et ne reconnaître qu’il n’y a que les réponses qui diffèrent.
La dynamique de ce cycle de luttes réside dans le fait que la contradiction du prolétariat avec le capital comporte sa propre remise en cause comme classe dans son action de classe. La « tendance autonomiste » fait de la « remise en cause » un moment particulier pouvant exister et être poursuivi pour lui-même. C’est cela l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes. Pour Simpson, les thèmes et les pratique de la tendance sont « bons » mais limités (extérieurement), elle n’a qu’à « se poser la question du point de départ, des conditions présentes » : la question du « point d’appui » (souligné par moi). La « tendance autonomiste » doit savoir qu’il lui faut attendre de concorder avec son temps, c’est seulement en cela que réside pour Simpson la critique de son « immédiatisme ». Les « autonomistes » seraient seulement indifférents aux conditions présentes qui « ne permettent pas de réaliser la moindre initiative communiste à l’intérieur du capitalisme ». Mais le problème n’est pas de ne pas pouvoir réaliser des « initiatives communistes », mais précisément croire en avoir.
Tout le texte de Simpson repose implicitement sur l’existence d’une « tendance » plus ou moins (plutôt plus que moins) en avance sur son temps. Ce que dit Simpson à cette « tendance » c’est qu’elle doit savoir attendre l’arrivée de son « point d’appui » ou, ce qui est tout de même un peu mieux, voir que la lutte des classes ordinaire lui offre parfois ce « point d’appui ». C’est là que le texte de Simpson bascule dans l’objectivisme dans le but de l’éviter. D’un côté, des gens qui savent ce qu’est le communisme, qui sont actifs, qui cherchent par tous les moyens (parfois un peu « immédiatistes ») à le faire advenir, de l’autre : « le prolétariat, tout comme le capital, n’étant jusqu’à ce jour qu’une abstraction qui nous permet de rendre compte de la contradiction dans les termes opposés qui la définissent ne nous en dit pas plus sur la façon de préparer cette révolution qui abolira les conditions présentes. A moins de croire à ces conditions objectives qui feront le job à notre place (...), nous (les "révolutionnaires" nda) avons un rôle à jouer qu’on le souhaite ou non. ». Si nous avons bien lu, le prolétariat, le capital, et à leur suite la contradiction entre le prolétariat et le capital, ne nous disent rien sur la façon de « préparer cette révolution », tout cela n’est que « conditions objectives ». Face à ces « conditions objectives » nous trouvons naturellement « ceux et celles qui agissent de façon à rendre possible cette révolution ». Chez Amer Simpson, l’objectivisme est dans les prémisses. Il est dans les deux questions : « comment se préparer ? » ; « comment saisir les conditions présentes ? ». Des gens « cherchent à se préparer », à partir de là le monde n’est plus l’action elle-même qui prépare (pour employer ce terme), le monde est un environnement que ces gens doivent percevoir de la façon la plus fine pour réaliser leurs fins. Dès que l’on pose un sujet (les « révolutionnaires », les « communistes ») qui se demande « que faire ? », on est dans l’objectivisme. L’activité devient un idéalisme et la multiplicités des pratiques devient une abstraction générale : « la question de l’intervention ».
« Réflexions autour de l’Appel » (Denis, Meeting 2)
Le texte « Réflexions autour de l’Appel » (Meeting 2, pages 33 à 40), cherche une troisième voie entre l’alternativisme de l’Appel et la « position rigoureusement anti-alternativiste (qui) se trouve par exemple chez Théorie Communiste ». Cette troisième voie se reconnaîtrait dans « chaque tentative pratique (c’est moi qui souligne) de poser la question communiste » ; ce qui est exprimé également sous la forme : « il est possible de poser pratiquement (c’est moi qui souligne) des problématiques qui ont à voir avec le communisme… ». Quelques lignes plus loin, la formulation devient : « le mouvement communisateur se caractérise par le fait qu’il se pose déjà dans les luttes des questions qui sont de même nature (c’est moi qui souligne) que celles qui mèneront à la production du communisme au moment de la révolution : mais que les réponses qu’il y donne, bricolées avec ce que le capital rend possible actuellement, ne sont pas elles-mêmes communistes ». Remarquons qu’au long de ce même paragraphe (p. 37), on est passé des « tentatives pratiques de poser la question du communisme » à « poser pratiquement des problématiques » et enfin à « des questions qui sont de même nature ». Ces trois formulations ne sont pas équivalentes et l’euphémisation progressive de la position au cours du paragraphe traduit un certain embarras. Il aurait été intéressant d’avoir quelques exemples permettant de mieux cerner pratiquement ces « tentatives », ces « problématiques » ou ce quelque chose de « même nature ».
Il s’agit, dans cete critique de l’Appel, d’éviter le Charybde de TC et le Scylla de l’Appel en jouant l’un contre l’autre. Après avoir évité le « rigoureux anti-alternativisme » il faut éviter « l’alternativisme confrontatif ». Ces « tentatives pratiques » ou cette possibilité de « poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme » ne doivent pas oublier, c’est la suite du raisonnement, qu’il est « impossible de vivre actuellement quelque chose qui "tende vers" le communisme ou en soi la préfiguration ». Il faut donc arriver à différencier les « tentatives pratiques », les « problématiques qui ont à voir avec le communisme » ou les « questions de même nature » et les « préfigurations » ou les « tensions vers ».
Il serait possible de « poser la question communiste », mais toutes les réponses qui y sont données « ne sont pas elles-mêmes communistes » (p.37). Pourquoi ne sont elles pas « communistes » ? Parce qu’elles sont « bricolées avec ce que le capital rend possible actuellement ». Si elles sont « bricolées » c’est que « effectivement, certains de ceux qui se retrouvent actuellement dans des milieux où à mon sens, on tente de poser la question de la communisation ont pu vivre une forme de "sécession" : mais une telle rupture s’inscrit dans la logique d’une époque où la communisation est une question marginale » (p. 39). Donc, tant que la question de la communisation demeure marginale, toutes les réponses sont « des réponses de notre époque : c’est-à-dire destinées à se périmer dès que la situation sera suffisamment modifiée pour qu’une question jusque là minoritaire soit désormais dans toutes les bouches ».
La critique se poursuit en disant que, par rapport à ce moment là, ce ne sont pas seulement les réponses actuelles qui sont « inadéquates » mais encore la question elle-même qui est « mal posée » car de façon subjective : « Toute pratique actuelle qui se voudrait communisatrice devrait donc garder à l’esprit qu’elle répond de manière inadéquate à une question mal posée » (p. 40). Mais, cette formule radicale doit être lue attentivement, elle n’est pas la critique définitive de toute pratique actuelle qui se voudrait communisatrice, elle n’est que l’énonciation de ses critères de validité. Pour en revenir aux premières formulations, il est « possible de se poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme » ou des « questions qui sont de même nature » ou même des « tentatives pratiques de poser la question communiste », tout cela est possible et existerait, mais il faut le faire en sachant que ce sont « des réponses inadéquates à des questions mal posées ». De cette façon, le « rigoureux anti-alternativisme » et « l’alternativisme confrontatif » semblent avoir été évités. Cette critique de l’Appel ne critique pas l’alternativisme de ce texte mais l’immédiatisme de cet alternativisme. Elle repose sur l’abstraction de quelque chose qui serait le « questionnement » conservant sa « valeur » quelles que soient les réponses apportées et même quelle que soit la façon dont il est formulé.
Il serait « possible de se poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme » parce qu’il y a « forcément un rapport entre ce que sont les prolétaires actuellement et ce qui les rendra capables de produire le communisme un jour… ». La chose est précisée un peu plus loin dans le commentaire d’une proposition de l’Appel, la proposition VI : « d’une manière générale, nous ne voyons pas comment autre chose qu’une force, qu’une réalité apte à survivre à la dislocation totale du capitalisme pourrait l’attaquer véritablement c’est-à-dire jusqu’à cette dislocation justement ». On ne peut considérer cette proposition comme formulant un quelconque début de critique de l’alternative. Il n’y a pas de critique de l’alternative dans tout l’Appel et cette proposition VI non seulement est alternativiste mais, en plus, platement programmatique, cette réalité qui croît dans le mode de production capitaliste et qui est « apte à survivre » cela aurait pu être la Social-démocratie allemande ou la glorieuse classe ouvrière de la Troisième internationale. Le plus important est la suite du commentaire : « toute la difficulté de la théorie révolutionnaire se tient cachée derrière cette phrase (la proposition VI de l’Appel, nda) : il s’agit de comprendre le renversement du capitalisme comme un processus qui ne soit pas lui-même capitaliste, puisqu’au bout du compte il a la capacité de détruire le capitalisme, et qui pourtant prend naissance dans le rapport social capitaliste. C’est en ce sens que l’Appel est représentatif du débat qui traverse l’aire qui pose la question de la communisation » (p. 37).
Toute la difficulté de la théorie révolutionnaire ne se tient pas cachée derrière cette phrase. Cette phrase a même pour vertu de faire disparaître toute difficulté. Si on considère qu’il peut y avoir quelque chose « apte à survivre » ou « un processus qui ne soit pas lui-même capitaliste » et que tout cela existe comme un « rapport entre ce que sont les prolétaires actuellement et ce qui les rendra capables de produire le communisme un jour », alors il n’y a plus de problème, plus de difficulté. Nous avons, dans le capitalisme, une positivité du communisme qui le mine et qui parviendra bien à le surpasser. On ne voit pas comment une action de classe, en demeurant action de classe (dans le raisonnement, nous sommes ici chronologiquement avant la généralisation de la question du communisme et l’effondrement du rapport social capitaliste), pourrait contenir et encore moins être « un processus qui ne soit pas lui-même capitaliste ». Rien n’est dit sur la nature de ce « rapport » ou de ce « processus », mais nous savons qu’il existe. Il existe si bien que les « réponses inadéquates » et « la question mal posée » sont tout de même « tout à fait adéquates pour donner aux luttes actuelles un sens qu’elles ne possèdent pas sans elles (c’est moi qui souligne) et qui peut se révéler ensuite déterminant pour la possibilité de produire le communisme » (p. 40).
Cette ambiguïté sur la question d’une action de classe qui soit un « processus qui n’est pas lui-même capitaliste » se retrouve dans l’appréhension de l’auto-organisation : « Vouloir mener une lutte tout en s’affranchissant de toutes les médiations mises en place par le capital (les syndicats, la politique, les médias, le droit, etc.) est un exemple évident d’une manière de poser des questions qui ont trait à la communisation. » (p. 40). C’est surtout un exemple évident de ce qu’a toujours été, depuis la révolution allemande et la gauche germano-hollandaise, l’auto-organisation dans sa perspective révolutionnaire de libération de la classe comme affirmation de son être véritable qui, dégagé des médiations capitalistes, ne pouvait être que révolutionnaire. Tout cela est devenu maintenant purement formel. Ce qui est maintenant important et ce qu’il est essentiel de repérer et de promouvoir, c’est ce qui, à l’intérieur de ces luttes auto-organisées, va contre (remet en cause) l’existence du prolétariat comme classe du mode de production capitaliste, c’est-à-dire non pas les médiations mais ce qui fait que ces médiations existent : être une classe, c’est-à-dire ne se définir que dans un rapport d’implication réciproque avec le capital.
L’Appel est bien représentatif du débat qui traverse « l’aire de la communisation », mais seulement au sens où ce texte est alternatif, où il exprime une autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes et seulement en ce que l’aire de la communisation est elle-même une idée (ou une réalité imaginaire pour ceux qui pensent y appartenir) qui exprime en elle-même cette autonomisation. Le courant communisateur n’est plus saisi comme un précipité interne (largement ou peut-être même exclusivement théorique en tant qu’objet ayant une continuité) de la lutte de classe la plus générale de la période, mais, devenant « aire de la communisation », comme une existence particulière ayant ses pratiques propres à côté des formes générales des luttes actuelles auxquelles, en tant qu’aire de la communisation, elle donnerait un sens.
La troisième voie que cette critique publiée dans Meeting 2 tente de définir repose une possibilité d’existence actuelle pratique et positive (je qualifie cette existence de positive dans la mesure où ces pratiques auraient le privilège tout en étant des pratique de classe de ne pas être le simple produit du fait que l’action en tant que classe est la limite de ce cycle, de ne pas être un simple écart à l’intérieur de cette limite), de tentatives de poser la question communiste ou des problématiques qui ont à voir avec le communisme juxtaposées au cours général des luttes actuelles. Toute la difficulté à laquelle elle est confronté est de conserver les termes dans leur juxtaposition : « l’aire de la communisation » qui « pose la question communiste » ne doit pas s’émanciper sous peine de tomber dans les « réponses inadéquates à la question mal posée » et le cours général des luttes doit, quant à lui, trouver « son sens » dans les questions que pose cette aire. La principale objection que l’on peut faire à cette théorie est de considérer la façon dont actuellement peut se présenter la question communiste comme des activités propres à une aire particulière qui serait « l’aire de la communisation » dont les questions viendraient « donner aux luttes actuelles un sens qu’elles ne possèdent pas sans elles » et non comme rien d’autre qu’un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe c’est-à-dire de ce qui est la limite même de ce cycle de luttes. Il est bien dit que cette « aire » ne peut « exister à part ou se perpétuer en dehors de la lutte de classe en général » (p. 33), mais la production du communisme devient un processus existant pour lui-même et ayant ses acteurs propres au sein de la lutte de classe en général. Cette critique de l’Appel doit constamment conjurer son propre alternativisme car celui-ci peut « mal poser la question » et « répondre de manière inadéquate », mais cela « en même temps n’enlève rien à sa valeur » (p. 40).
Le cours actuel de la lutte de classe semble être compris comme la juxtaposition de deux sortes (je ne trouve pas de mot plus précis) de luttes : celles posant la question du communisme et les autres. Je pense que cette dualité est le résultat d’une illusion d’optique, à mon avis il n’existe qu’un seul mouvement qui nous autorise à parler de la révolution comme communisation : le cours de la lutte des classes comportant ce que j’ai appelé « l’écart ».
Je persiste à penser que ce que l’on appelle « aire de la communisation » n’est que l’autonomisation de la dynamique de ce cycle et tous les « apports » qui peuvent être les siens n’existent que marqués de cette autonomisation et n’ont de valeur qu’une fois décryptés. Le décryptage porte sur le fait même de poser ces « questions » et non pas sur la manière de « poser la question », sur le fait qu’elles soit « mal posées » ou que les réponses soient « inadéquates » et « bricolées ». Comme pour la « tendance autonomiste » dans le texte de Simpson, il ne faut pas croire « l’aire de la communisation » sur paroles, ses interrogations sur la révolution et le communisme, la forme même qu’elle leur donne et le contenu même de ses réponses sont « bricolées avec ce que le capital rend actuellement possible ». Mais ce ne sont pas que les réponses, ce sont aussi les questions qui sont bricolées de même. On ne peut conserver la pertinence des questions, leur « valeur », en disant qu’elles ne souffriraient finalement que d’un certain immédiatisme. On ne voit pas quelle « valeur » peuvent avoir des « réponses bricolées » à des questions « mal posées ». Dans l’ « aire de la communisation » la « tentative pratique de poser la question communiste » ne pose que la question à laquelle sa pratique « immédiatiste » répond. L’essentiel est dit dans un autre texte de Meeting 2, Un autre emploi de l’argent (sans signature d’auteur) : « Or, ici et maintemant, pour les rédacteurs de l’Appel ce sont les conditions d’accès capitalistes aux biens qui déterminent la mise en commun. En de telles conditions, la mise en commun n’est pas communisation mais socialisation de biens privés entre des individus ayant la possibilité de faire ce choix ».
Parler d’ « aire de la communisation » c’est chercher à relier « d’où on part » à « où on arrive », au travers d’une tendance actuelle qui serait positivement déjà l’existence d’un « entre-deux ». Bien sûr c’est la fameuse question « des luttes actuelles à la révolution », mais le « rapport » entre les deux n’est pas quelque chose définissable et existant pour lui-même à l’intérieur du cours de la lutte des classes. S’il y a dans les luttes actuelles des éléments qui nous permettent d’ores et déjà de parler de courant communisateur et du communisme, ce ne sont que des écarts à l’intérieur de la lutte des classes, à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe. Les pratiques que l’on cherche à rassembler sous la dénomination particulière d’ « aire de la communisation » en font partie, ni plus ni moins que les autres, elles n’ont pas la fonction particulière de « donner le sens ». En fait, elles ne constituent pas une « aire de la communisation ».
Les thèmes et les pratiques de la dite « aire de la communisation » sont un retravail de ce que ce cycle peut nous dire sur la révolution et le communisme, un retravail effectué par ceux qui se comprennent comme ses acteurs, au travers des prismes et des miroirs déformants de leur isolement et de leur existence même entérinant l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes (la contradiction du prolétariat avec le capital comporte sa propre remise en cause comme classe dans son action de classe). L’ « aire de la communisation » fait de la « remise en cause » un moment particulier pouvant exister et être poursuivi pour lui-même. Les thèmes et les pratique de cette « aire » seraient « bons » mais limités par leur immédiatisme, « l’aire de la communisation » devrait seulement avoir la patience de concorder avec son temps. Cette « aire » serait seulement indifférentes aux conditions présentes qui « ne permettent pas de réaliser la moindre initiative communiste à l’intérieur du capitalisme ».
Si, encore une fois, nous nous référons à ce qui tend à devenir le « paradigme argentin », il me semble que désigner quoi que ce soit comme « aire de la communisation » tomberait complètement à plat. Les questions qui « ont à voir avec la communisation » ne donnent pas un « sens » à la forme générale des luttes, je serais tenté de dire que c’est l’inverse. Une notion comme celle d’ « aire de la communisation » ne peut qu’être l’idéologie auto-justificative d’une marginalité vécue comme une « sécession » et pour tout dire une avant-garde malheureuse. Dans le cas argentin tout ce qui pourrait être compris comme une positivité existant pour elle-même des « questions qui ont à voir » s’effondre et l’on s’aperçoit que les questions « qui ont à voir » loin d’être le fait d’une « aire » particulière sont la résultante même de la lutte. Il ne s’agit pas de voir cela comme une « aire de la communisation » qui dans la généralisation de la lutte se dissoudrait, avant cette généralisation, nous avons de la théorie et en aucun cas une pratique.
Bien sûr, tout ce qui est regroupé sous le vocable d’ « aire de la communisation » fait partie intégrante de la lutte de classe, l’erreur, à mon avis, est de conférer à ces pratiques un statut particulier. Les thèmes et les pratiques ainsi regroupés n’ont aucune raison d’être propre et surtout pas celle d’exprimer le rapport de la lutte de classe avec le communisme, rapport acquérant en eux une existence propre et positive (malgré toutes les limites que leur reconnaît cette critique). « Il faut bien qu’il y ait un rapport entre le prolétariat actuel et le communisme », oui, bien sûr, mais ce rapport c’est la nécessité à s’abolir qu’il trouve dans sa contradiction avec le capital. Ce rapport n’est pas dans le prolétariat en lui-même (il n’est pas une « nature révolutionnaire ») ou dans un certain type de pratiques repérables et existant pour elles-mêmes. Les liens entre les conditions présentes et le communisme ne sont que des initiatives qui créent un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe et ces initiatives sont tout ce que nous savons pour explorer des perspectives communisatrices. Nous retrouvons dans ce débat sur l’aire de la communisation le clivage récurrent depuis l’effondrement théorique du programmatisme entre opposition et contradiction ou, sous une autre forme le clivage entre la compréhension de la lutte des classes comme, d’une part un affrontement communisme / capitalisme ou, d’autre part, prolétariat / capital. Le communisme n’est jamais dans la lutte de classe une question pratique formulée pour elle-même, ceux qui pensent le faire ne formulent que l’idéologie de leur propension à l’alternative ; le dépassement communiste de la lutte de classe n’est annoncé que comme une contradiction interne du fait d’agir en tant que classe, jamais comme des problématiques, des questions, des pratiques se constituant pour elles-mêmes et en elles-mêmes et se situant dans la lutte des classes comme ayant pour objet propre la communisation. Le courant communisateur est confondu avec l’écart.
Je n’identifie pas ce que dit Denis dans ses « Réflexions… » et ce qu’écrit Simpson dans le texte dont il était question précédemment. Si j’en parle conjointement, c’est que Simpson, bien que présentant d’une autre façon l’existence de cette « aire qui pose la question de la communisation » en arrive également à lui donner une existence distincte de l’écart, bien qu’interne à lui. C’est-à-dire que l’on se trouve également dans une problématique où « poser la question de la communisation » est non seulement le fait d’une fraction identifiable et spécifique dans la lutte de classe mais en outre une activité propre en relation avec les luttes immédiates. Il existerait dans la société capitaliste une activité qui en elle-même consisterait à « poser la question du communisme ». En cela, ces deux textes ont quelque chose en commun, ils supposent que la « remise en cause » se pose pour elle-même, cette « remise en cause » se posant pour elle-même, ce serait alors « l’aire de la communisation ». Si cette critique des « Réflexions… » recoupe des remarques sur le dernier texte de Simpson, c’est pour tenter de mieux faire comprendre ce avec quoi je ne suis pas d’accord.
Chez Simpson, la chose résulte d’un glissement quasi infinitésimal, mais aux lourdes conséquences, dans sa définition de l’écart. Je ne prétends personnellement à aucune propriété sur le concept, mais s’il y a des définitions différentes il faut qu’elles soient clairement identifiées, d’autant plus que Simpson m’attribue cette définition dans laquelle il a introduit un glissement des termes : « …l’écart (…), pour reprendre les termes de R.S, est le produit interne de la limite de ce cycle de luttes : agir en tant que classe, n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction et d’autre part (c’est moi qui souligne), d’être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause ». Or, j’ai toujours défini l’écart de la façon suivante : « Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe ». Que se passe-t-il dans la reprise de Simpson ? « Agir en tant que classe » n’est pas la dualité mais devient un des termes de la dualité, en conséquence on peut rendre autonome une aire de la communisation « qui pose la question de la communisation » dans la mesure où la « remise en cause » devient un terme opposé à « agir en tant que classe ». Il me semble que c’est quelque chose de cet ordre qui se trouve toujours derrière la positivisation comme activité spécifique, pouvant se reconnaître dans son existence pour elle-même, de « poser les questions du communisme ». Aucune pratique ne pose la question du communisme, la lutte de classe se débat dans une contradiction interne à sa limite intrinsèque, c’est seulement théoriquement que de cela nous posons, nous abstrayons la question du communisme. Que l’abstraction soit légitime ne la fait pas pour autant se confondre avec la pratique.
A partir du moment où ce glissement (faire passer ce qui est duel en simple pôle de la dualité) est effectué se pose la question du « rapport », de la « relation » entre « l’immédiateté des luttes » et la « perspective révolutionnaire » (Simpson). Question qui n’a de sens que dans ce glissement. Il faut trouver quelque chose qui pose la question, quelque chose qui soit dans l’écart sans y être, quelque chose qui soit seulement « en rapport » avec lui. Quelque chose qui soit dans l’écart mais ne se confonde pas avec lui, quelque chose qui ne soit pas purement et simplement la contradiction de la limite (agir en tant que classe), quelque chose qui existe pour soi en rapport à « l’immédiateté des luttes » : « l’aire de la communisation ».
Peut-on inclure dans « l’aire de la communisation » le militant piqueteros qui met en avant la subjectivité, la critique du travail et sape l’auto-organisation, le kabyle qui considère les aarchs comme quelque chose qui lui est étranger et par là même qui se transforme lui-même en se considérant comme étranger à ce qu’il est dans cette société, le « sauvageon » de l’entreprise, l’activiste du mouvement d’action directe (à la rigueur), l’ouvrier « suicidaire », le chauffeur de car de Milan ou le métallurgiste de Melfi qui lutte contre le capital sans considérer que ce qu’il est dans la société est la base d’un faire valoir social... Le faire, ce serait la détruire ; ne pas le faire c’est dire qu’elle n’existe pas.
R.S
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A propos d’un article de Meeting : R.S. a beaucoup d’imagination…mais bien peu de rigueur !, , 4 juillet 2008http://mondialisme.org/spip.php?art...
A propos d’un article de Meeting : R.S. a beaucoup d’imagination…mais bien peu de rigueur !- Vous ne parlerez que lorsque vous serez interrogés, RS, 4 juillet 2008
a ) Dans le texte critiqué par Y.C (« Etats des lieux », Meeting 4), il n’est jamais question d’obsession de NPNF vis-à-vis du courant communisateur, ni d’une défense de celui-ci contre les attaques de NPNF, mais des positions expressément développées par NPNF sur les émeutes de novembre 2005.
b ) Je ne comprends pas l’allusion récurrente à la « Pratique Théorique » concernant TC ou Meeting : citation et référence seraient les bienvenues.
c ) Y. C. se défend de ne jamais ou exceptionnellement avoir parlé de « communisation ». Mais c’est sur que dit NPNF sur les émeutes que portait ma critique. N’aurait-on le droit de donner son avis que si l’on est nommément « attaqué » ou cité ? La critique n’est-elle qu’un droit de réponse ? « Il n’avait pas à me critiquer dans la mesure où je ne parlais pas d’eux », semble dire YC. N’étant pas particulièrement visé, R.S. aurait dû comprendre qu’en conséquence il n’avait rien à dire s’il n’avait été aveuglé par « son ego démesuré ». N’est-ce pas Y.C qui liste complaisamment toutes les références à sa publication à la fin des numéros ?
c ) « Acerbe » portait sur le ton de certains commentaires à la suite des textes publiés par NPNF, quelle que soit leur origine. Je soulignais que seuls les textes de Mouvement Communiste échappaient à tout commentaire. Encore une fois, drôle de défense de la part de Y. C. : on ne doit pas critiquer ce qui ne vous est pas adressé.
d ) La critique des positions exprimées par NPNF, dans ces notes ne sont pas à critiquer, parce que « personne n’est obligé de les lire ». C’est exact, on peut même ne pas lire NPNF, ce qui sincèrement serait dommage.
e ) Une suite de critiques n’est pas un « amalgame », tout le texte repose sur une typologie qui est le contraire de l’amalgame.
f ) Y. C. n’est pas « mon sujet », contrairement à la personnalisation malveillante de sa réponse, ce sont des textes que je critique.
g ) « fossé deviendra infranchissable pour les révolutionnaires, mais malheureusement pas, etc. », « les révolutionnaires ne devraient pas hésiter à critiquer ces actes (…) il fallait leur expliquer, etc. ». Si NPNF qui, dans un autre texte écrit « Alimenter la haine de la jeunesse contre la police ne produit aucun résultat politiquement intéressant » (n° 21-22, p.97) ne se place pas dans la perspective d’un militantisme politique révolutionnaire, les mots n’ont aucun sens. Pour NPNF, toute personne qui se « démène » est un « révolutionnaire » et le fait en tant que « révolutionnaire ». Je me démène peut-être, mais je ne suis pas un « révolutionnaire » (ce qui n’étonnera personne).
h ) « Services publics » : aucun doute sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une citation de NPNF, les guillemets sont destinés à dire c’est comme cela qu’on les appelle et c’est devenu une appellation contrôlée. NPNF se contente de dire « installations collectives ». Y.C. a du mal à énumérer les fausses citations à répétition qu’il y aurait dans mon texte.
i ) Ces « faits marginaux » (voitures incendiées) « ne sont pas au centre de ma description » dit Y.C, c’est exact. Mais où dans les 860 lignes restantes qu’il évoque est-il question des autres cibles ? R.S serait adepte de la « politique de l’autruche », est-ce être adepte de cette politique d’avoir intitulé un texte de Meeting 3 : La voiture du voisin ? En outre, pourquoi alors le texte de Mouvement Communiste qui ne parle que de ça et déclare que « ces faits (les émeutes) sont dépourvus d’un quelconque fondement politique de classe » n’est-il accompagné d’aucun commentaire ? Y.C. ne se prive pas de le dire quand il n’est pas d’accord avec ce qu’il publie. Je remarque que la critique pointilleuse de NPNF de mon texte évite soigneusement tout ce qui concerne MC.
j ) A propos de « l’inutilité politique de la haine de la police » (en substance) je n’avais rien le droit de dire puisque les articles ne me concernaient pas. Passons.
k ) Oui : « seuls des militants révolutionnaires d’une organisation existante ou à venir voulant prendre le pouvoir et instaurer un nouvel Etat peuvent raisonner ainsi », c’est-à-dire peuvent se demander « comment obtenir leur soutien (des forces de répression) ou au moins leur neutralité », surtout si on pense s’inspirer des « révolutions sociales ou nationales (c’est moi qui souligne) victorieuses (c’est moi qui souligne) ». Si A = B et si B = C, est-ce faire un procès d’intention à A que de dire A = C ?
l ) « Les fleurs », « les bisous », « le capitalisme qui s’effondre tout seul sous le poids de ses contradictions », Quel humour ! En voilà des affirmations qui ne consistent pas à « inventer des positions à son interlocuteur ». Quand je lis « obtenir leur soutien ou au moins leur neutralité », je comprends : « obtenir le soutien ou au moins la neutralité des forces de répression ». Quand, en outre, je lis « il faudra bien un jour développer une propagande en leur direction » je me demande si Y.C. compte obtenir cela avec des « bisous » et des « fleurs », ou leur faire comprendre que ce n’est pas bien de « tirer sur le peuple » (entre guillemets car expression toute faite). Un mouvement révolutionnaire devra s’armer, mais s’il ne fait que ça il sera inexorablement battu. Fallait-il arrêter la révolution en Espagne pour se concentrer sur la construction d’une armée anti-fasciste ? Bavardages… Une proclamation de l’indépendance du Maroc espagnol aurait-elle « délitée » l’armée de Franco ? Bavardages… Instauration de la gratuité, abolition de l’échange, de toutes les formes de propriété, emparement de tous les moyens de production, de communication, de bâtiments nécessaires à la lutte, sortir de la division du travail, c’est ça « déliter les rapports sociaux qui soutiennent les forces de répression et dans lesquelles elles existent ». Phrases creuses ? C’est cela, si l’on veut, la « propagande » à mener, mais on obtient ni le « soutien » ni la « neutralité » des forces de répression, le but c’est leur effondrement. C’est quoi pour Y.C la révolution communiste si les mesures communistes prises comme nécessités de la lutte ne sont pas son arme principale ?
Y.C soutient n’avoir jamais parlé « d’obtenir le soutien ou la neutralité » des forces de répression, mais « au contraire d’en rallier certains éléments à la révolution ». On peut avoir changé d’avis, on peut accuser son interlocuteur de mensonge, d’extrapolation, on peut dire « c’est une idée loufoque », mais ce n’est pas de ma faute si Y.C. a des « idées loufoques ». C’est « soutien » et « neutralité » qu’on lit noir sur blanc dans NPNF (n° 21-22, p.97). Y.C est à la recherche de « résultats politiquement intéressants » et la haine contre la police n’en produit pas, il devrait essayer les « bisous » et les « fleurs » ou une augmentation des soldes sous le nouveau pouvoir révolutionnaire transitoire.m ) Nul besoin d’une imagination débordante pour conclure à partir de la « nécessité d’organisation politiques révolutionnaires » à leur rôle de « meneur » de la révolution. Y.C. n’en sait rien, il est rare que Y.C ne sache pas. Une « organisation politique révolutionnaire » existe et agit en tant que telle dans les luttes et a fortiori dans une période révolutionnaire. Les mots ont un sens, tout rassemblement de personnes réfléchissant et agissant parfois de concert, n’est pas une « organisation politique révolutionnaire ». Se rassembler pour faire une revue théorique ou même d’agitation ce n’est pas constituer une « organisation politique révolutionnaire » ?
NPNF ne sait pas non plus s’il y aura nécessité d’une période de transition. Mais la période de transition n’est pas un moyen pour parvenir au communisme, sa nécessité est tout simplement le signe de son échec. Quelle naïveté ce R.S ! Quel rapport social, quelle détermination du MPC peut-on se dispenser d’abolir dans l’ « éventuelle » période de transition ?n ) NPNF n’a jamais prôné de « révolutions nationales », c’est exact. Mais NPNF, tout à sa vision « banale », « concrète », pas naïve en un mot, pas « délitant » les rapports sociaux capitalistes, de la révolution pense pouvoir tirer des enseignements des « révolutions nationales victorieuses » (extrait de la même citation que celle où figurent « soutien » ou « neutralité » : la citation qui n’existe pas). Comme si les « affaires militaires » n’avaient rien à voir avec la révolution que l’on mène.
Oui, je pense qu’à un moment il faut laisser les morts enterrer leur morts et les pousser dans le trou, mais il est étonnant pour un lecteur aussi sourcilleux de l’exactitude des textes et des citations que YC oublie de signaler que le passage auquel il fait référence n’occupe que deux pages sur 21 et que les deux tiers de ce texte sont consacrés à des discussions avec des camarades théoriquement très proches (et bien vivants).
Enfin, faisant feu de tout bois et pas très regardant sur le ton de l’ouvrage que l’annonce laisse présager (il paraît d’après JL Roche que comme au Kremlin ou chez Tahar Benjelloun, j’emploie un femme de ménage pour nettoyer mes chiottes), Y.C n’a pas lu le Précis de JL Roche mais il sait déjà que ce sera plus stimulant que du R.S.Je terminerai sur un point qui m’interroge. Ma critique était vive certes mais correcte (comme on dirait au football) et théorique, jamais personnelle (ce qui m’aurait été difficile, trouvant jusqu’à aujourd’hui, YC très sympathique et un agréable compagnon). On pouvait y répondre sans ce déferlement de rancœur, de haine, et de mépris puisé à l’humour convenu de la polémique. On pouvait le faire sans viser la personne (heureusement que Y.C, non plus, n’a pas trouver le moyen de transformer les mots en balles). En « vieux briscard de l’Ultra-gauche » comme dit Y.C, je m’en remettrai, mais j’ai du mal à comprendre les raisons de tout cela. Quel point extrêmement sensible ai-je involontairement touché ?
« Le grand Timonier de la Pratique Théorique »
« Le Nouveau Chantre de la Pratique Théorique »
« Le professeur RS » (plusieurs fois)
« Le grand Communicateur de la Pratique Théorique »
« Le Prince des Communisateurs »
« Le Gourou des Communisateurs »
« L’Apôtre de la Rigueur théorique »
« Le Héraut de l’Anti-Organisation »R.(A).S
- Vous ne parlerez que lorsque vous serez interrogés, RS, 4 juillet 2008
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