A propos de l’agression de l’armée turque sur le canton d’Afrin (Rojava)

Commentaires de Tristan Leoni (auteur de la série de textes « Califat et Barbarie ») publiée sur https://ddt21.noblogs.org/?page_id=1906#comment-4276

Submitted by Guerre de Classe on February 21, 2018

Depuis le 20 janvier la Turquie a lancé l’opération « Rameau d’olivier » contre l’enclave kurde d’Afrin avec l’appui de plusieurs milices islamistes syriennes (dont certaines portant l’étiquette ASL). L’offensive turque n’est pas une surprise : les accrochages entre YPG et pro-Turcs étaient monnaie courante depuis des mois, et depuis plusieurs semaines l’armée turque déployait des troupes et du matériel autour de l’enclave. De leur côté les YPG s’y préparaient en construisant fortifications et tunnels sur leurs frontières.
48 h avant de lancer leur opération, les généraux turcs se sont rendus à Moscou ; il s’agissait au minimum d’obtenir la non-intervention de la Russie qui contrôle l’espace aérien syrien et disposait de troupes à Afrin afin, justement, d’empêcher (par leur présence) une attaque turque. 24 h avant l’attaque les soldats russes ont quitté Afrin.

Le PYD a cherché à se ménager des alliances contradictoires avec divers acteurs du conflit syrien (Washington, Moscou et Damas), ça ne pouvait pas durer. Les YPG se sont beaucoup trop rapprochés des Américains qui les poussent à une quasi-sécession territoriale (qui n’est initialement pas le projet du PYD) avec divers projets : formation d’une armée de gardes-frontière de 30.000 combattants au « Rojava », aide financière pour la reconstruction et le « nation building ». De quoi courroucer davantage Damas et Moscou.

Pour ces dernières, l’attaque turque est l’occasion de rappeler aux Kurdes quels sont les réels rapports de force dans la région. L’arrivée de renforts YPG (en provenance de l’Est de la Syrie) n’a ainsi été possible que grâce au soutien de Damas qui les a autorisés à transiter par les zones loyalistes.
Dès les premiers jours de l’opération « Rameau d’olivier » les rumeurs se sont multipliés à propos de discussions entre le régime d’Assad, la Russie et les YPG pour une intervention de l’armée syrienne à Afrin afin d’arrêter l’offensive turque. Ce ne serait pas surréaliste. Déjà, en mars 2016, lors de l’opération « Bouclier de l’Euphrate » les YPG avaient cédé plusieurs zones à l’ouest de Manbij aux troupes d’Assad afin d’arrêter l’offensive turque (au même moment que les troupes américaines se déployaient elles au nord de Manbij).

Il est probable que l’offensive turque a davantage pour objectif de créer un cordon sécuritaire le long de la frontière que de conquérir toute l’enclave d’Afrin ; mais depuis le début, l’ALS et les TAF (Turkisharmed forces) piétinent. Les YPG avaient eu tout le temps de fortifier leurs frontières avec des réseaux de tunnels et de bunkers, et ils ne se privent pas non plus d’utiliser les missiles antichars offerts par les armées occidentales. Néanmoins, Afrin n’est pas Kobané : si en 2014 les YPG avaient réussi à repousser les troupes de l’Etat islamique c’est surtout grâce à l’appui de l’aviation et des forces spéciales américaines (sinon la ville serait tombée). Il n’en va pas de même à Afrin où là ce sont les YPG qui subissent les bombardements aériens. Malgré une farouche résistance, les troupes des YPG sont condamnées à reculer progressivement face à l’armée turque et ses supplétifs, et les civils condamnés à s’enfuir vers les zones tenues par Damas. D’où la recherche d’une solution politique ou d’un soutien extérieur qui devient urgente. Cette fois la cavalerie américaine ne viendra pas au secours. L’arrivé de l’armée loyaliste syrienne est donc une possibilité ; mais elle ne sera pas « gratuite » et, si tel est le cas, les YPG devront en échange renoncer à leur autorité sur l’enclave d’Afrin.

T.L. 19 février 2018

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