mercredi, 24 mai 2006
Quelques unes des nombreuses reflexions pour centrer un debat qui depasse largement le CPE
p>Henri Simon ( Echange et mouvements ) 29 avril 2006
EPILOGUES
Quand le doigt montre le lune, l’idiot regarde le doigt ( proverbe chinois)
Les uns retournèrent sur leurs bancs, après des vacances méritées et préparèrent leurs examens et leur avenir.
Les autres retournèrent tenir les murs et parfois se battre avec les loups. Comme le dit un jeune de Clichy-sous-Bois : "Rien n’a changé sauf une inscription sur le mur d’en face ’Solidarité avec Zyed et Benna’"
UN RESUME DES TEXTES PRECEDENTS
Avant d’entrer dans le débat qui porte plus sur des détails que sur le fond ( d’où le proverbe chinois mis en exergue), je voudrais précisément rappeler une chronologie des textes que j’ai écrits pendant les deux mois du mouvement anti-CPE en soulignant les points que je considérais alors ( et encore maintenant) comme essentiels et qui n’ont même pas été effleurés dans les critiques.
1 - LE CADRE MONDIAL DU CAPITAL : vers la mi-mars, j’ai mis sur le réseau français, un premier texte intitulé "De la révolte des cités aux mouvements étudiants et lycéens", tentant de replacer ces deux mouvements dans le contexte du capital mondial ( quel était le sens présent de l’excroissance d’une énorme armée de réserve, question théorique - mission du réseau - restée sans réponse)
2 - LE CADRE NATIONAL : le CPE n’est qu’un maillon de tout un courant du capital qui de puis près de 2O ans tente, pour répondre à la compétition mondiale, d’adapter pour le capital français, au plus près l’utilisation de la force de travail aux impératifs du capital, c’est à dire à atteindre une flexibilité totale quant au porteur de cette force, le travailleur. Ce courant, soutenu depuis plusieurs années par toutes les organisation, politiques, patronales et syndicales vise à faire de la précarité le coeur de l’exploitation du travail sous l’étiquette, dissimulée jusqu’à maintenant mais de plus en plus introduite dans le vocabulaire des discussions économiques et politiques : la sécurité sociale professionnelle.( là aussi bien peu de commentaires sur cette analyse)
3 - DES RESISTANCES PARCELLAIRES - D’emblée, je soulignais que les deux mouvements révolte des banlieues et manifestations anti CPE étaient dus à une même cause mais qu’ils ne pourraient se rejoindre que dans un mouvement global de la classe ouvrière. A défaut d’une telle jonction, ils sont restés distincts, touchant des catégories nettement distinctes de la population, mettant en oeuvre des méthodes et moyens distincts de résistance
4 - UNE MARGINALISATION PAR RAPPORT A LA LUTTE DE CLASSE - A aucun moment , soit de la révolte des banlieues, soit du mouvement étudiant - lycéen, un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière n’est venu poser le problème global de la précarité, celui des conditions générale d’exploitation du travail, encore moins celui de la société d’exploitation elle-même
5 - UN CONTRÔLE POLICIER POUR LES BANLIEUES, SYNDICAL POUR LE MOUVEMENT ETUDIANT-LYCEENS. Pour ce dernier mouvement, les organisations syndicales ont pris le train en marche étant contraintes d’aller un peu au delà d’une opposition de principe ( comme pour le CNE) mais que cela ne les a nullement fait dévier sensiblement d’une collaboration avec le patronat pour la mise en place des contrats d’adaptation à la précarité.
6 - UNE CONTINUITE DANS LES MOUVEMENTS DE RESISTANCES DES 20 DERNIERES ANNEES. Quelles que soient les issues des ces mouvements de lutte, ils présentent, à travers les différences évidentes des caractéristiques qui les rattachent aux importants mouvements de lutte des années écoulées. L’accent était mis plus cette généralisation peu contrôlée au départ plus que sur les manifestations d’auto organisation qui d’ailleurs étaient implicites dans cette extension des luttes)
Ce texte a été mis sur deux réseaux de discussion en anglais (29/3/2006) avec des compléments visant notamment à préciser la dimension réelle du mouvement étudiant-lycéen et la nature des couches sociales impliquées dans ce mouvement.
Sur un de ces derniers sites de discussion , un camarade français fit quelques commentaires quant à ce dernier texte. (1/4/2006). Ses remarques concernaient :
sur le lien entre les deux mouvements banlieue - étudiants
sur les contacts directs avec les travailleurs
sur l’organisation de la lutte
Une discussion sur ce même réseau avec ce camarade amena à préciser les différences de points de vue, notamment qu’à aucun moment il n’y eut de grève générale en France.
Un dernier texte, uniquement en anglais, fut mis sur ces réseaux en anglais en réponse à des questions précises d’un camarade grec. Ce texte contenait en particulier :
des précisions sur l’ensemble des contrats de travail en France et le sens des CNE-CPE et sur l’ensemble de la loi sur " l’égalité des chances" dont le CPE n’était qu’un chapitre, l’essentiel concernant des mesures répressives pour discipliner les cités.
une comparaison avec le dernier mouvement lycéens de 1994 contre le CIP ( SMIC jeunes)
la composition de classe des manifestants. Une explication détaillée du système éducatif français dont le résultat était qu’à chaque stade il excluait de la "meilleure" éducation, pas du système lui-même jusqu’à la fin de l’obligation scolaire ( 16 ans), les enfants des classes les moins “ favorisées ” socialement.
que le mouvement étudiant-lycéen regroupait, à cause de cette discrimination de fait, pour l’essentiel les enfants des catégories sociales plus favorisées que l’on pouvait - à défaut d’une définition précise - étiqueter comme "classe moyenne". Le premier texte en français et en anglais précisait bien cette catégorie qui va, en partie faire l’objet d’une controverse : "La grande différence avec le mouvement étudiant-lycéen, c’est que ceux-ci, dans leur grande majorité sont issus de ce qu’on pourrait appeler une large classe moyenne"
J’en viens maintenant aux remarques d’un camarade français R.V.( du réseau de discussion en français, remarques qui figurent également sur l’un des réseaux en anglais)
XXXXXXXXXX
UNE PREMIERE REMARQUE
Qu’il ne partage pas mon interprétation des événements et qu’il s’en explique est tout à fait normal, mais :
ces explications ne restent-elles pas un peu courtes - lorsqu’il cite des phrases séparées de leur contexte (les lecteurs du site en français ne peuvent apprécier le sens des critiques s’ils n’ont pas accès à l’ensemble) Par exemple la citation concernant les "classes moyennes" : cette notion non précisée dans le premier texte est mieux définie dans la réponse au camarade grec. Dans ses objections, R.V ..ne développe qu’un fait patent l’accès plus large aux études supérieures depuis trente ans ce qui ne dit rien des couches sociales qui y ont accès ; il y ajoute un autre paragraphe qui ne concerne pas cette question de "classe moyenne", celle de la participation des travailleurs au mouvement qui est une autre question que celle de l’origine sociale des étudiants-lycéens.
une sorte de personnalisation du débat avec des termes comme "il reproche", "je crois qu’il est faux de", "semble passer à côté de" ,"nostalgique de". Toute une partie des critiques reposent ainsi sur des affirmations subjectives que R.V. résume bien dans certaines de ses impressions des manifestations : "...de toute évidence, nous n’avions pas le même regard". Ce qui est vrai, mais se réfère aussi à un passé politique et à des appréciations passées d’autres événements et bien sûr à des conceptions politiques.
Je reprends le points mentionnés par R.V. dans sa critique.
1 - La "classe moyenne" et la "participation d’un "nombre important de travailleurs"
Que peut-on entendre par "classe moyenne" aujourd’hui ? Je sais fort bien que cette notion n’est plus celle d’il y a cent ans (même si certaines catégories considérées comme telles existent encore, considérablement réduites). Faute d’un débat sur ce point, je me réfère aux statistiques ( qui valent ce qu’elles valent, mais extraits des Tableaux de l’économie française -INSEE références, 2005-2006 et 1998-1999)
Ces tableaux classent la population dans son ensemble et dans l’enseignement supérieur en catégorie se définissant à la fois par le statut professionnel et par l’importance du revenu : sur la base d’un revenu moyen des ouvriers et employés( sous 5 et 6),les catégories 1,2,3, et 4 ont un revenu moyen supérieur à une fois et demi celui des catégories 5 et 6 ; les catégories 7 et 8 sont des "inclassables" tant par leur activité et leurs revenus
Activité | % dans population | |||
1997 | 1996-1997 | 2004 | 2003-2004 | |
1 Agriculteur | 1,4 | 2,8 | 1,4 | 2,4 |
2 Artisan, commer | 3,6 | 8,9 | 3,1 | 7,2 |
3 Cadres sup,prof lib | 6,6 | 35,2 | 7,6 | 31,3 |
4 Prof. intermédiaires | 10,7 | 19,6 | 12,4 | 15 |
5 Employés | 18,9 | 12,7 | 16 | 12,5 |
6 Ouvriers | 14,8 | 12,8 | 14 | 10,6 |
7 Retraités | 21,4) | ) | 30 | 10,5 |
8 Autres | 25,4) | )8 | 15,3 | 9,9 |
en résumé succinct :
en 2003-2004, les catégories 1,2,3,4 ( celles que l’on pourrait appeler classes supérieures, moyennes traditionnelles et "intermédiaires" forment 24,5 % de la population mais occupent 55,9% des places universitaires alors que les catégories 5 et 6, employés et ouvriers forment 30% de la population mais n’occupent que 23,1 % des places universitaires.
En 2003-2004, 60% des 15-24 ans sont scolarisés donc 40% ne le sont plus et parmi ces derniers, seuls 11% du total des 25-24 ans ont un CDI, le reste 29% sont dans la précarité à des titres divers. Parmi les jeunes ainsi définis qui ont quitté le système scolaire en 2001, 40% des non-qualifiés sont au chômage, respectivement 20% et 19% de ceux qui ont le “ niveau bac “ sans diplôme ” ou bac+1 ou+2 sans diplôme alors que pour tous les autres, le taux de chômage tourne autour de 10% ( Le Monde 1/2/2006). A quelle couche sociale appartiennent ceux qui “ s’en sont sortis ” et les autres “ laissés pour compte ” ?
On pourrait ajouter d’autres chiffres tout autant éclairants, par exemple qu’un enfant de cadre a 23,3% de chances de finir ses études secondaires sans le bac alors qu’un enfant d’ouvrier a 82 % de chances de ne pas avoir le bac.
Lorsque l’on considère que les enfants d’ouvriers et d’employés qui gagnent moins d’une fois et demi le salaire moyen de leurs deux catégories n’entrent à l’université que pour 23%, est - il faux de dire que les 77% des autres peuvent être considérés comme "issus des classes moyennes ? ( R.V. remarque justement que les enfants des catégories supérieures vont de préférence dans les Grandes Ecoles, mais cela ne change guère les données car ces élèves ne forment qu’à peine 10% des effectifs du supérieur et que souvent, les formations sont mélangées)
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Une des critiques de R.V. sur cette question de "classe moyenne" me laisse quelque peu dubitatif. Je cite : “ Evidemment ,il y a aussi une très grande partie des prolétaires, plus ou moins étendue suivant les pays qui ne dépasse pas le nombre d’années scolaires obligatoires ou qui sont déscolarisés avant l’âge. Mais ce n’est pas une raison pour considérer que tous ceux qui sont allés au delà ne sont plus des prolétaires qu’ils sont membres de la "classe moyenne". Qui vise R.V. dans ce passage ? Les étudiants - lycéens ou bien l’ensemble des salariés ? Si ce sont ces derniers, le texte critiqué n’a jamais contenu de telles affirmations. Si ce sont les étudiants-lycéens, ce passage qui semble viser effectivement les salariés ne les concerne pas et n’a rien à faire dans le débat. Un étudiant ou lycéen, même s’il accomplit un travail occasionnel pour payer ses études, ne peut être classé définitivement ni comme prolétaire, ni dans une toute autre classe, car il n’est rien dans le procès de production ou de distribution. Il ne l’est qu’en devenir dans ses aspirations qui ne seront pas forcément réalisées. Le seul classement possible des lycéens dans des groupes sociaux ne peut se faire qu’en référence à l’activité de ses parents mais cela ne lui donne pas la qualification de ceux-ci. Il est certain que cette origine sociale modèle les aspirations ( la reproduction de la classe d’origine) et que l’aggravation des conditions économiques qui rend plus difficile la réalisation de ces aspirations explique les résistances présentes à la formalisation de la précarité ( qui existe déjà largement sous différentes formes). La grande majorité des étudiants - lycéens ne sont pas encore “ des laissés pour compte ” et peuvent conserver des espoirs d’insertion sociale selon leurs désirs. Même si l’on peut apparenter leur frustration à une même cause générale que celle des jeunes des cités, la manière dont ils l’affrontent est radicalement différente et partant les méthodes et objectifs de leur lutte. Il est évident que ces questions comportent une grande part d’interprétation et d’ambiguïté : ce n’est d’ailleurs pas une question de définition et de qualification, mais d’une situation de fait concernant l’éviction de toute le système éducatif des plus défavorisés socialement qui, alors se trouvent placés dans la pire des situations dans la sélection sévère pour se faire exploiter dans le système de production.
Quant à la participation au mouvement éudiant-lycéen "d’un nombre important de travailleurs", tout est relatif. C’est bien évident qu’il n’y eut jamais, au cours des deux mois d’actions et de manifestations, ni de grèves générales ( seulement les sempiternelles journées d’action syndicales, unanimes certes mais avec toujours la même fonction que celle qui avait été assumée dans el mouvement contre les retraites au printemps 2003).Il était tout aussi évident dans ces journées d’action, ponctuées de quelques débrayages couverts par des préavis de grève, que la participation syndicale était largement minoritaire eu égard à la masse impressionnante des étudiants - lycéens. Le fait que certains secteurs enseignants, que quelques travailleurs aient participé aux assemblées de facultés, que des tracts aient été distribués aux portes de certaines usines, que lors de blocages des manifestations de sympathie aient été relevées, etc...ne sauraient être assimilées à la participation d’un nombre important de travailleurs.
Certains citent à l’envi l blocage du centre de tri de Rennes et la grève qui aurait suivi. Voici le communiqué d’agence de presse et le témoignage, non plus du milieu étudiant, mais d’un postier de Rennes qui rétablit le faits :
Voici ce que les médias en ont dit :
“ Une cinquantaine de jeunes bloquent un centre de tri postal à Rennes
Une cinquantaine de jeunes lycéens et étudiants anti-CPE ont bloqué dans la nuit de vendredi à samedi un centre de tri postal près de l’aéroport de Rennes, a-t-on appris auprès de la direction de l’établissement et du syndicat SUD PTT, qui a soutenu l’action.
Les jeunes ont allumé des feux de palette devant les accès du centre, peu après 21H30, paralysant l’activité du site qui gère le courrier du département d’Ille-et-Vilaine et distribue du courrier vers une douzaine de départements du grand Ouest. Un responsable syndical a indiqué que le blocage serait levé vers 02H30 du matin.
"Il y aura très peu de distribution de courrier samedi sur l’Ille-et-Vilaine et les départements voisins", ont indiqué à l’AFP des responsables de l’établissement postal.
Un avion, qui devait assurer le départ du courrier vers Paris, est parti quasiment à vide alors que des dizaines de camions sont restés bloqués devant les portes du centre de tri, a-t-on précisé de même source.
Selon Serge Bourgin, du syndicat SUD PTT, les salariés du centre de tri ont apporté leur soutien à l’action des manifestants avec qui ils ont tenu une assemblée générale commune. ”
Voici les précisions du camarade postier :
“ je te confirme qu’il y a eu juste ce qu’on appelle un débrayage de quelques heures qui aura retardé l’acheminement du courrier de Rennes vers Paris de 24 heures... De toute façon, je connais les quelques activistes en question : le sieur Bourgin (maoïste d’ex-VLR qui écrit aujourd’hui dans la feuille de chou épisodique "Marx again") est du genre a réussir à agiter les médias locaux avec des rassemblements de 12 postiers de droit privé cagoulés sur une photo genre FLNC ; problème : il y a 500 autres postiers de droit privé en Ille-et-Vilaine qui ne suivent guère ces actions spectaculaires !...)
la CGT-PTT est généralement assez influente dans ce centre de tri (45% aux élections, tandis que SUD n’y dépasse pas 25% depuis 10 ans)"
Etant donné le faible nombre d’actions du même genre, le faible nombre de participants étudiants et travailleurs, l’intervention spectaculaires de militants de groupuscules "révolutionnaires", quelle conclusion peut on tirer quant à la participation d’un " nombre important de travailleurs". Quelques arbres ne cachent-ils pas la forêt ?
Quant à la présence de "travailleurs" dans les manifestations derrière les bannières syndicales ( tous syndicats réunis),elles étaient plutôt squelettiques, même si, vu la mobilisation des délégués et bureaux syndicaux ( sans compter les municipaux des municipalités de gauche) ça pouvait "faire nombre" mais comme le soulignait un camarade syndiqué, "ils ont tous pris leurs heures de délégation".
2 - Quant au mouvement cantonné à la stricte question du CPE et à un dépassement éventuel des revendications du mouvement vers le CNE et la loi sur "l’égalité des chances", il est certain que R.V. et moi n’avons pas les mêmes lunettes.
On ne peut comme le fait R.V. tirer des conclusions des innombrables variations sur le sigle CPE ou des "programmes" des assemblées, de celui de la coordination nationale étudiante, des inscriptions sur les murs. Si on peut effectivement penser que le fond de la lutte anti CPE était , en général, contre la précarité à travers sa formalisation dans le CPE, que dire de l’effondrement du mouvement ( mis à part quelques bastions universitaires) après le retrait alambiqué (même pas l’abrogation pure et simple pourtant réclamée à grands cris et impérativement par toutes organisations syndicales et coordinations comprises). Tout le reste, CNE, mesures répressives de la loi sur "l’égalité des chances" sont et restent bien en place. Je n’évoquerai pas ici les manoeuvres qui ont conduit à cette situation, mais ne parlerai que des deux dernières manifestations à Paris à huit jours d’intervalle. L’une , le mardi 4 avril dans la ligne des précédentes associant toutes les organisations, syndicales ou pas, avec plus des 2/3 des 300.000 manifestants ( 2 millions dans toute la France) formés d’étudiants et de lycéens, le reste derrière les bannières syndicales tout le monde affirmant haut et fort que personne ne céderait sans l’abrogation du CEP. Bien sûr il y avait les pancartes et calicots relevés par R.V. et une profusion de tracts dans le même sens , mais , que penser d’un tel flot de “ bonnes paroles ” quand la mardi suivant 11 avril entre 5.000 et 10.000 manifestants se retrouvent pour lancer les mêmes slogans, cela sans aucune participation syndicale et bien peu d’étudiants et lycéens qui huit jours auparavant formaient le gros des troupes anti CPE .Le lundi 10 avril, toute la cohorte des dirigeants syndicaux ouvriers et étudiants fêtaient cet “ authentique succès ” ( déclaration d’un dirigeant CGT à propos du substitut alambiqué d’un simple article de la loi sur ‘l’égalité des chances’ dont le reste était bel et bien maintenu de même que le CNE) ; en même temps, les mêmes dirigeants affirmaient que “ les actions prévues restaient à l’ordre du jour ”. De son côté , la coordination nationale affirmait “ Nos revendications restent le retrait total de la loi sur l’égalité des chances et du CNE ” avec des appels grandiloquents à d’autres actions, y compris la grève générale.. Tout cela ne prouvait-il pas que pour l’immense majorité de ceux qui animaient les assemblées étudiantes ou lycéennes et avaient participé en masse à plusieurs manifestations nationales, leur motivation était d’abord le retrait du CPE et qu’une fois cela acquis ( et même dans des termes bien peu précis) plus rien ne subsistait pour justifier une mobilisation qui s’était effectivement polarisée sur ce seul objectif et rien d’autre.. La coordination nationale étudiante pouvait bien, dans ses déclarations paraître “ une expression plus authentique du mouvement ”, distincte de “ l’unité ” affichée des syndicats ouvriers, étudiants et lycéens, mais dans les faits, cette expression authentique restera paroles verbales et rien d’autre. Que dire d’un mouvement de cette ampleur qui ne demande même pas , sauf quelques isolés une réponse politique au delà d’une simple abrogation d’un article de loi, que dire d’un mouvement qui cesse aussi brutalement par des communiqués de victoire, sans même exiger l’annulation de toutes les poursuites ( ce qui est classique dans toute fin, de grève ouvrière et ne viendra que de cercles limités) ?
3 L’auto-organisation des étudiants-lycéens
R.V. parle d’un des aspects les plus importants et novateurs de l’actuel mouvement, “ une des plus larges expérience d’auto organisation réalisées en France ” qui m’aurait totalement échappé.
Si j’examine l’histoire des mouvements importants des vingt dernières années, je ne citerai que les nombreuses coordinations tant ouvrières qu’étudiantes depuis les premières dans la grève de la SNCF dans l’hiver 86-87 , les imposantes manifestations étudiantes du 4 au 8 décembre 1986 autour d’assemblées et d’une coordination nationale qui aboutirent au retrait total du projet de réforme des études universitaires, à la démission du ministre de l’éducation , de la répétition d’un mouvement identique contre le CIP ( SMIC jeune) en mars 1994 qui aboutit aussi à son retrait total, des assemblées ouvertes dans les transports lors des grèves de 1995 qui sonnèrent le glas du premier ministre Juppé, des assemblées ouvertes et des tentatives d’actions communes lors du mouvement du printemps 2003 contre la réforme des retraites et celle du système éducatif. Il y a continuité, mais pas novation. (en annexe 1 , la liste de tous les mouvements étudiants - lycéens dans les trente dernières années où l’on retrouvait certains des caractères “ nouveaux ” relavés par R.V. et dans lesquels on a pu également voir l’intervention des “ casseurs ” avec la même litanie de protestations)
Pourquoi R.V. éprouve-t-il le besoin de rompre des lances avec un autre groupe la GCI pour dénoncer une hostilité à toute forme de “ démocratie de base ” d’assemblée qui ne figure nullement dans le texte qu’il critique. La question n’est pas pour moi de juger une pratique mais de tenter de voir ce qu’elle signifie tant quant à ceux qui s’y exprime que par ce qui en résulte.
D’un côté, ces assemblées attirent les mouches du coche “ révolutionnaires ” qui vivent éternellement dans l’attente d’événements qu’ils vont considérer comme les prémisses de la voie royale qu’ils s’épuisent depuis des décennies à discerner dans tout ce qui rompt avec la routine quotidienne. Ce qui explique que de ces assemblées vont surgir à la fois des paroles plus radicales et des tentatives d’actions supposées entraîner le mouvement vers ce dont il rêve, ce qui les amène aussi à surdimensionner les dites paroles et lesdites actions. Les quelques arbres ne doivent pas cacher la forêt.
Il en est ainsi de propos que cite R.V. comme des exemples d’une tendance générale qui ne sont en fait que des actions de cette “ avant-garde diffuse ” qui ne doit rien au mouvement et qui , d’une autre façon que les syndicats traditionnels, prennent le train en marche pour réaliser leurs espoirs. Il en est de même des quelques actions vers les travailleurs qui, pour être réelles ne furent souvent le fait que d’infimes minorités ( voir l’exemple cité du centre de tri de Rennes) ; un bon exemple de ce surdimensionnement de l’événement , c’est lorsque R.V. affirme que les “ tentatives de rencontrer les travailleurs... se sont multipliées surtout après le 4 avril avec des mini- manifestations sauvages...ne citant que deux exemples, sans donner une idée quelconque de leur nombre, de leur dimension et de leur efficacité.. Il reste que l’affirmation que l’élargissement vers les salariés ne s’est fait pratiquement que par la mainmise de tous les syndicats unis ( en raison précisément de ce qu’il pouvaient craindre d’une auto organisation du mouvement qui ne s’est guère affirmée dans les faits) sur l’organisation du mouvement, la fin peu glorieuse du mouvement après “ l’abandon syndical officiel ” montrant bien les limites de ce que pouvait représenter l’auto - organisation du mouvement étudiant - lycéen
Je ne commenterai pas plus ce que dit R.V. sur l’utilisation des services d’ordres syndicaux dans les manifestations étudiantes. C’est un fait patent et pas du tout nouveau : dans les manifestations de 1986 contre Devaquet ou anti CIP c’était déjà là et dans des circonstances identiques ( protection contre les casseurs). Des protestations contre l’action de ces SO, on les a aussi entendues en 2003 lorsque le SO protégeait les flics contre les “ excités ”. R.V. fait remonter cette intervention, parfois intempestive des SO syndicaux à la manifestation du 23 mars ; en fait, elle remonte aux toutes premières manifestations Le fait que la coordination nationale, toute intéressante et influente qu’elle ait été ait dû suivre le timing des organisations syndicales et fait montre de son impuissance à répondre , d’une manière ou d’une autre à ce “ problème des banlieues ” corrobore ce que j’ai dit sur les limites de l’auto-organisation du mouvement.
3 Le mouvement étudiant/lycéen et la violence
Cela mènerait le débat trop loin de discuter cette question de la violence bien que R.V. l’aborde sur un plan général avec cette citation déjà mentionnée sur la position du GCI, qui, à mon avis n’a guère de sens, pris ainsi comme une position de principe.
De même, l’affirmation de R.V. sur la violence qui a souvent marqué les “ queues de manifs ” , si elles est effectivement exacte, ne préjuge en rien sur le caractère de cette manif : c’est bien connu que les “ éléments radicaux ” de groupes “ révolutionnaires ” tentent alors, au delà de “ se faire du flic ” d’entraîner les masses dans un affrontement. Mais il n’en reste pas moins, en ce qui concerne le mouvement dont nous parlons, que l’ensemble du mouvement ne cherchait en aucune façon un affrontement direct avec les forces de répression
Dans une dernière ligne, R.V. ajoute encore que je “ semble voir dans la violence par elle-même un critère de radicalisation d’un mouvement social ”. Je m’interroge sur l’endroit de mes différents textes où il a pu trouver ce qui l’autorise à affirmer cela. On peut en discuter, mais c’est un long débat. En annexe 2 , un texte des étudiants de la Sorbonne analyse clairement cette question , par delà la “ violence ” d’une jonction des deux mouvements - banlieues et anti-CPE.
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Quant à ce que R.V. juge de “ nouveau ”, la transformation des fins de manifs en meetings ouverts, ce n’est pas nouveau . Les étudiants avaient tenté cela avec Cohn Bendit le ...13 mai 1968 et ce fut un échec retentissant. Je dirai de plus, qu’un tel dialogue peut avoir lieu mais qu’il ne s’organise pas : en mai 1968, ce dialogue s’instaurait un peu partout, comme des forums sauvages non organisés. D’une certaine façon, ces tentatives d’organisation ” d’un dialogue, c’est aussi le retour à une tradition historique des discours des organisateurs en fin de manif disparue de puis longtemps.
Pour en revenir au proverbe chinois placé en exergue, je veux souligner de nouveau que la question essentielle derrière le CPE - d’une réorganisation totale des relations de travail et des conditions d’exploitation - n’est nullement débattue dans ces critiques qui ne s’attachent qu’à des questions de détail concernant effectivement les réactions temporaires et limitées contre un petit morceau du puzzle dont les éléments se mettent en place depuis des années.
Une traduction en anglais ira sur le réseau en anglais, mais cela prendra du temps
H.S. 29/4/2006
ANNEXE 1
Chronologie des mouvements lycéens - étudiants en France (d’après le Figaro 20/3/06)
Avril 1973
100.000 étudiants et lycéens manifestent contre la loi Debré qui réforme le service militaire et supprime l’octroi automatique de longs sursis aux étudiants. La loi passe quand même.
Mai 1975
85.000 lycéens et étudiants contre la réforme Haby, qui supprime l’examen d’entrée en 6° et crée le collège unique. La réforme est jugée insuffisante par les manifestants. Elle entre en vigueur à la rentrée 1977.
Mars-avril 1976
50.000 étudiants et lycéens contre la réforme du 2° cycle universitaire par Saunier-Seïté. La réforme crée la licence et la maitrise et ouvre modestement l’université aux entreprises.
Novembre 1986
500.000 étudiants et lycéens contre la loi Devaquet, qui prévoit d’augmenter l’autonomie des universités. La mort de Malik Oussekine entraine la démission de Devaquet et le retrait de la loi par J. Chirac, premier ministre.
Novembre 1990
200.000 lycéens contre le manque de moyens et l’insécurité. L. Jospin, ministre de l’EN, annonce 4,5 mds de Francs pour les lycées.
Mars 1994
100.000 étudiants et lycéens contre le Contrat d’Insertion Professionnel (80% du SMIC pour un jeune en contrat d’apprentissage). Balladur, premier ministre, abandonne le 28 mars.
Février 1995
10.000 étudiants contre une circulaire de F. Fillon (enseignement supérieur) durcissant l’accès des élèves d’IUT à la licence. Balladur, premier ministre, annule la circulaire.
Octobre 1998
500.000 lycéens réclament des moyens. C. Allègre, ministre de l’EN, annonce un plan de plusieurs centaines de millions de francs.
Mai 2003
Les syndicats appellent à la grève contre la loi Ferry sur l’autonomie des universités. Quelques milliers d’étudiants perturbent les examens. Ferry retire son projet.
Février 2005
100.000 lycéens contre le projet de loi Fillon qui réforme l’école et modifie le bac. Fillon abandonne la modification du bac mais maintient le reste.
Les " casseurs de banlieue " et le " mouvement étudiant "
Tabou, névrose... ou extension nécessaire du domaine des revendications
Par Des étudiants de la Sorbonne
Pour nombre d’entre nous, la journée du 23 mars a constitué un tournant ; la confrontation avec les jeunes des banlieues a été un moment de prise de conscience douloureux, elle nous a montré que notre lutte n’était pas aussi simple, ou isolée, qu’elle en avait l’air (les bons, nous, contre les méchants, le gouvernement). Un troisième terme s’invitait à la fête. La question ne nous paraît pas se résorber par le seul renforcement, nécessaire, du service d’ordre. Et le vote du vendredi 24 : " L’AG de la Sorbonne ne se prononce pas sur la question " nous paraît autruche : non seulement lâche, mais hypocrite. Ne pas se prononcer, c’est en faire un sujet tabou : on renforce le SO, et on continue à regarder devant nous (le gouvernement) en feignant d’ignorer ce qui déboule par derrière et les côtés (la banlieue). Belle névrose en perspective.
Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme et de nier les vols et les agressions physiques perpétrés par ces jeunes à l’encontre de plusieurs d’entre nous. Ces agressions, nous les condamnons catégoriquement ; et nous avons le devoir de nous en défendre. Mais il nous paraît impossible de rejeter ces jeunes sous le nom de " voyous ", tout en continuant à afficher une solidarité de façade à l’égard du " mouvement des banlieues " de novembre dernier. Il serait trop facile de voir en eux un mouvement social, posant des problèmes de fond, tant qu’ils restent en banlieue et brûlent là-bas des voitures ; pour ensuite n’y voir plus que des " voyous " quand ils viennent dans Paris et qu’ils s’en prennent à nous, étudiants et manifestants. Nous devons nous défendre contre les agressions qu’ils commettent contre nous ; mais il nous paraît décisif de considérer par ailleurs que nous n’avons pas à juger leurs modes d’action : les casseurs sont fréquemment hués par les manifestants étudiants, dès qu’ils s’en prennent à un abribus ou une voiture. Nous, étudiants au Quartier latin, parce que nous ne subissons pas la violence exercée quotidiennement sur ces jeunes, ne saurions être en mesure de leur donner des leçons de civisme et de responsabilité. La violence de ces jeunes répond à une violence d’Etat. Pour condamner celle-là, il nous faudrait taire celle-ci. Or il est grand temps au contraire de la faire apparaître au grand jour. Il nous faut donc refuser catégoriquement la posture qui consiste à condamner les actes venus de la banlieue en les opposant à un mouvement étudiant qui serait, lui, " civilisé ", " non violent ", " responsable. " Cette posture est un piège : elle est exactement ce que le gouvernement attend de nous ; car elle légitime et renforce la posture qui est la sienne à l’égard des émeutes de banlieue : une posture policière (surveillance, contrôle, répression).
La manifestation de jeudi a jeté le trouble dans l’esprit de beaucoup d’entre nous. Cependant, 1) notre détermination à obtenir le retrait du CNE et de la Loi sur l’Egalité des chances n’a pas faibli. Nous continuons la lutte en ce sens avec autant de détermination. 2) mais nous prenons conscience que notre mouvement ne saurait se poursuivre sans prendre en considération (et ce, de façon également prioritaire) le désarroi des banlieues ; ni sans tisser de liens avec elles.
La rencontre conflictuelle de deux jeunesses dans les rues de Paris jeudi était un constat amer : enfin, la réalité de la colère de novembre nous éclatait à la figure. Nous, étudiants de la Sorbonne, reconnaissons n’avoir pas su prendre la mesure du mouvement des banlieues : comment avons-nous pu laisser passer le mois de novembre sans une fois organiser, sous quelque forme que ce soit, la manifestation de notre soutien ? En mars, notre silence de novembre retentit amèrement. Il est inacceptable que le mouvement étudiant, par crainte de discrédit auprès des médias et de l’opinion, en vienne à se désolidariser des jeunes de banlieue et s’autorise à condamner leur violence. Car c’est adopter le même ton, poli, que le gouvernement : c’est ne pas voir que ce discours d’anti-violence polie tait et cache la violence véritable, exercée au quotidien sur ces jeunes (contrôles policiers, discriminations à l’emploi, au logement, etc.). Si nous adoptons ce discours, nous nous plaçons du côté du gouvernement ; et contre eux. Gagner sur le CPE sans avoir obtenu quoi que ce soit pour la banlieue, ni su établir aucun lien avec elle, ne serait plus pour nous qu’une victoire amère. Nous ne saurons oublier que, ce 23 mars 2006, dans les rues de Paris, deux jeunesses se sont regardées de travers, échangeant des regards pleins d’incompréhension, de méfiance, de désarroi, de honte, de haine ; deux jeunesses devenues étrangères l’une à l’autre. Ce divorce est le fruit de politiques, menées depuis nombre d’années, qui nous apparaissent aujourd’hui dans leur violence criminelle. Ce sont ces politiques que tous, depuis la banlieue comme depuis Paris, devons combattre. Sur cette fameuse question de la violence, qui divise les AG de France, il serait bon de ne pas se tromper de cible. La ligne de partage que cherchent à imposer le gouvernement, les médias, l’opinion (entre les bons étudiants non-violents et les méchants casseurs) est un piège redoutable. Elle permet que soit laissé dans l’ombre un terrible détail : la violence exercée sur ces jeunes par l’Etat, au quotidien. Commençons par condamner cette violence, haut et fort, et prenons clairement position contre elle, avant de nous scandaliser benoîtement devant celle qui y répond. [Pour cette raison, l’AG de la Sorbonne décide d’ajouter à ses revendications la suivante : " ... "] [Nous décidons par ailleurs de consacrer une partie de nos forces à mettre en place les conditions d’un dialogue avec la banlieue. Cette tâche, difficile, nouvelle, doit inventer des formes nouvelles, etc...]
Hier, enfin face à face avec les " jeunes de novembre ", nous évitions les coups et les vols ; et notre " bonne conscience " était plutôt mal à l’aise ; non seulement nous prenions des coups, mais nous baissions les yeux. Il s’agissait de nous défendre contre un " ennemi " qui n’en était pas un. Il est temps d’accomplir ce pas décisif : [déplacer] le problème.
[Nous condamnons l’attitude de tous les gouvernements qui ont permis qu’une telle ligne de partage se produisent à l’intérieur de la jeunesse, et plus généralement de toute la population ; c’est-à-dire tous les gouvernements qui ont Nous exigeons des gouvernements actuels que des mesures soient prises en faveur des banlieues.] [Nous condamnons la rhétorique qui consisterait à opposer les deux jeunesses ; cette rhétorique est celle du gouvernement, de la plupart des médias, et de certains syndicats étudiants].
Car le problème du CPE (qui nous oppose au gouvernement) est un problème confortable pour nous (puisqu’il nous place du côté des victimes). Le problème de la banlieue nous met bien plus mal à l’aise : les victimes, ce n’est plus nous - et lutter sans posture de victime, voilà qui est moins simple. Il oblige à inventer des formes nouvelles. Relevons le défi.
Les jeunes de banlieue ont exprimé en novembre dernier un malaise profond qui n’a pas été entendu par le gouvernement et que nous mêmes avons été incapables de prendre en compte.
Des étudiants de la Sorbonne
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