mercredi, 24 mai 2006
reproduit tel que, depuis le site du camarade patloch
Les « émeutes de novembre » et le « mouvement anti-CPE » ont été l’occasion d’apprécier sur pièces, en situations, les pratiques théoriques et parfois politiques de ceux qui se revendiquent du communisme. Après la tempête, elles sont et seront encore à juger au regard de leur pertinence quant aux faits.
Je fais référence et je m’adresse à des groupes ou personnes gravitant en France autour de : Meeting, Théorie communiste, Réseau international de discussions, CCI, Mouvement communiste, Echanges et mouvements, Temps critiques, Trop loin (mes excuses à ceux que j’oublierais par ignorance). Je ne cite ni RobinGoodfellow ni La Matérielle, qui à ma connaissance ne se sont pas (encore) exprimés directement sur ou dans ces luttes, ce dont je n’ai pu juger qu’à travers leurs publications sur Internet. De Troploin, nous disposons d’un texte sur "les émeutes" mais pas sur "l’anti-CPE". Quant à ce que j’ai cru bon de dire ou de relayer concernant ces luttes, on le trouve là Propos en luttes ou épars là PASSAGES DU TEMPS & SPATIALS CHANGES.
Pour ce qui nous concerne en commun, j’exclus du champ de mes remarques les positions relevant, dans le champ politique institutionnel étatico-médiatique, de la croyance en la future montée en puissance du mouvement ouvrier organisé, ou au possible débouché communiste de l’alternative radicale (pour un aperçu voir Alternatives, émancipations, communisme L’alternative radicale des "marxistes" selon Espaces-Marx), et ceci on le comprendra malgré le rapport de ces positions au communisme, qui est manifestement, et pour cause, entré en crise théorique et pratico-politique (LO, LCR, PCF, FA, CNT Vignolles… et leurs satellites ou recompositions) [Pour faire mentir Antoine Vitez réagissant dans Le Monde aux contorsions du PCF après la chute du mur de Berlin : ils n’ont plus grand chose à voir avec ce dont ils portent le nom].
Cette lettre ouverte a pour objet d’expliciter l’évolution de mes positions depuis mon inscription dans ce champ en janvier 2005, en espérant que son intérêt dépasse cette dimension individuelle et auto-référentielle, en particulier par sa teneur autocritique. C’est aussi la nécessité pour tous que chacun sache et dise d’où il parle.
1) Je dois reconnaître, dans les six premiers mois de 2005, le côté « tout nouveau tout beau », le choc théorico-politique comme je l’ai dit alors, qu’a provoqué la découverte des thèses sur la révolution communiste comme problème d’actualité dans la période ouverte. Cette découverte, je l’ai faite, en pleine polémique personnelle théorique et politique au sein de l’alternative radicale, alors que je cherchais confusément une critique pertinente du capital et de l’Etat (CARREFOUR DES ÉMANCIPATIONS, oct-déc 2004). Cette découverte, je l’ai faite à travers « Les fondements… » de Roland SIMON, c’est-à-dire par le corpus de Théorie communiste, qui conditionne l’existence de Meeting, revue et site dont je me suis alors rapproché.
2) Une période a suivi d’appropriation peu distanciée de ces thèses (jusqu’à l’été 2005 2.1. INTERVENTIONS janvier-septembre 2005), puis une d’approches plus critiques de ma part (jusqu’à la fin de l’année 2005 2.2. INTERVENTIONS octobre-décembre 2005), alimentées notamment par les réflexions de Christian CHARRIER dans La Matérielle, et consistant en diverses considérations personnelles sur l’anti-humanisme et la méthode dialectique (Ceci pourrait être un voeu de bonne santé). A noter que celles-ci portaient, pour faire court, davantage que sur « nos tâches immédiates », sur la production « positive » du communisme, dans un sens s’écartant de la thèse de Théorie communiste de la "communisation" comme stricte négation du capital et du prolétariat s’auto-abolissant comme classe. Cette période a débouché sur mon retrait de Meeting, considérant que le poids de Théorie communiste ne permettait pas à Meeting de prendre son essort.
3) Rétrospectivement, je ne remets pas en cause la pertinence de mon questionnement sur le fond, qui reste en suspens comme chantier théorique à ouvrir, mais, tout bien considéré, ce retrait de Meeting tenait à des désaccords de formes plus que de fond (bien qu’ici, comme le dit C. Charrier, les deux soient liés par le positionnement de Théorie communiste dans la revue et "le courant communisateur" ; ce lien est celui qu’entretiennent théorie, pratique théorique, et pratique politique, voir ses notes de travail) : la revue n’était pas alors selon moi ce qu’elle rêvait et affichait d’être, et n’en prenait pas le chemin, notamment pour rendre compte des luttes existantes et de leurs analyses théoriques, ou même des positions différentes à cet égard au sein de Meeting. On peut aussi considérer que c’était en partie faute, blé à moudre, de luttes effectives (ce que m’avait répondu un des participants).
4) Mais tout ceci, c’était avant les « émeutes de novembre » et le « mouvement anti-CPE » (on peut remarquer, si l’on s’en tient à son résultat immédiat, que ceux qui ont voulu le nommer autrement auront eu tort d’avoir raison), et c’était donc avant que Meeting ne prenne l’initiative d’ouvrir sur son site deux rubriques répondant en partie aux critiques sur la forme dont j’ai parlé plus haut (Chronique(s) de la lutte contre le CPE, et la catégorie d’interventions non destinées à la publication « on peut en parler ou pas »), qui me semblent mieux assumer la raison d’être de la revue et de son site, et leur donner un plus large intérêt que strictement pour ceux qui s’y reconnaissent a priori.
5) Parallèlement je comprenais mieux, à travers les textes (notamment de Temps critiques, Echanges et mouvements, Troploin, et d’interventions sur la liste du Réseau de discussion international), des positions que je connaissais mal ou seulement à travers leurs critiques, par Roland Simon dans Les Fondements..., ou dans des textes de Théorie communiste. Je parvenais ainsi pour mon compte à établir une cartographie plus claire des points d’accords ou de désaccords entre les diverses approches de la théorie communiste. Jacques WAJNSZTEJN, de Temps critiques n’a pas manqué, dans l’appréciation qu’il a bien voulu porter sur mon site début mars (commentaires de JW) de me placer devant mes contradictions, et d’éclairer l’impasse théorique dans laquelle je risquais de m’enfermer [j’ai lu depuis "L’individu et la communauté humaine", et au boulot on s’est fort moqué de mon ’livre rouge’, bien que pas petit]. Je me trouvais devant la nécessité de choisir, sur la question de la contradiction essentielle de l’exploitation et notamment de trancher ce point : continuer ou non à prendre pour argent comptant ( ) les lois de la valeur et de la baisse tendancielle du taux de profit…
6) J’anticipe sur la suite en le disant tout net : j’ai choisi. Tout dans la réalité que j’ai sous les yeux : exploitation du travail salarié et précarisation généralisée, dominations et oppression, évolution de la globalisation capitaliste, extension quantitative de la classe ouvrière mondiale, nécessité de produire pour transporter, nourrir, habiller, loger, et réjouir de loisirs… et donc de consommer des choses matérielles matériellement produites (sans intervention de prolétaires, les meilleurs robots s’arrêtent), et in fine dans la classe d’en face nécessité de s’enrichir ; rien dans les considérations théoriques sur la valeur émanant du capital cognitif (néo-opéraïstes négristes et moulier-boulangistes), ou du capital fixe (Temps critiques), sur son évanescence, sur les seules dominations et non l’exploitation conditionnant la reproduction du capital, sur la disparition du travail exploité comme base de la plus-value avant valorisation du capital (Temps critiques et certains participants du Réseau international de discussion) ; presque tout chez ceux qui appuient encore leurs considérations théoriques sur la pertinence de ces lois tout en rejetant la possibilité que le mouvement du communisme s’alimente de la montée en puissance, unitaire, organisée et autonome du prolétariat face au capital (autrement dit contre le déni de l’implication réciproque des classes dans le rapport d’exploitation)… Ce rien et ces presque tout, donc, me conduisent à confirmer mon attachement aux lois de la valeur et de la baisse tendancielle du taux de profit, et par conséquent au poids déterminant en dernière instance du facteur de l’exploitation du travail salarié productif* dans la reproduction du système capitaliste, et dans les conditions de son abolition comme dépassement produit des contradictions du système en tant que capitalisme, fondé sur ce qui le caractérise comme mode de production, y compris de/par/dans la lutte de classes, production de sa nécrologie : il faut être deux pour se baiser à mort, c’est le tango du capital. (Noter que, si je reprends des formulations conceptuelles de Théorie communiste, je prends soin de les laisser ouvertes aux questions de fond que j’ai évoquées au point 2). *Bruno ASTARIAN « Division du travail, division de la propriété, et valeur »).
7) Pour boucler mes remarques sur le contexte des « émeutes de novembre », et du « mouvement anti-CPE », ce qui aura déterminé mon choix, ce sont les analyses et prises de positions critiques des protagonistes dans cette période. J’entends par là aussi la dimension centrale, dans ces luttes comme dans les analyses, du rapport au travail salarié exploité, à la force de travail globale dans le capitalisme globalisé. J’entends par là la lecture de la singularité des événements français dans la dimension mondiale de la restructuration du capitalisme. Cf Théorie communiste 19 "sur la restructuration" et Ballade en novembre. Les plus pertinentes et les éclairantes des interventions quant à ce que je pouvais penser et dire par moi-même pendant le mouvement anti-CPE auront été celles gravitant autour du corpus de Théorie Communiste (de Louis MARTIN pendant, le point de rupture de la revendication, à la synthèse rapide après de Bernard LYON De la révolte des cités aux mouvements étudiants et lycéens / Un mouvement vainqueur sans victoire) sous réserve de ne pas y inclure toutes les considérations sur la « communisation » et la « théorie de l’écart » (TC 20). Cela ne signifie ni que tout m’y convienne, ni que rien ne soit intéressant chez d’autres (en particulier certains textes mis en ligne par Christian CHARRIER sur La Matérielle, répondant au besoin entre autre d’une « critique de l’économie politique du capitalisme contemporain » ou celui de Bruno ASTARIAN évoqué plus haut). C’est la grille d’analyse théorique qui me semble avoir le mieux collé à ce que nous avions sous les yeux et/ou à quoi nous participions. (Petite remarque : il n’est sans doute pas paradoxal que cette grille ait conduit à plus de retenue chez Henri Simon d’Echanges, quant aux perspectives du mouvement anti-CPE que certaines critiques portées, dans le Réseau international de discussions, à ses textes, et rapportées sur Meeting. Remarque qui ne vaut pas approbation de la caractérisation par HS, de « couches moyennes » pour le mouvement des étudiants et lycéens > Voir sur ce point Le point d’explosion de la revendication).
8) Je suis donc en mesure d’affirmer rétrospectivement : ce sont les thèses de Théorie communiste en ce qu’elles s’opposent non seulement au "démocratisme radical", mais aussi aux autres dans la mouvance communiste évoquée en introduction, qui m’ont permis de rompre avec mes errements alternatifs, et ces autres n’auraient pu m’y conduire, pour deux raisons : 1) Je n’aurais pas été plus attiré par des thèses programmatistes néo-bordiguistes, par celles du CCI, par celles de Mouvement communiste, que toute proportion gardée par celles de LO. On aura, exemple significatif, pu observer la parenté de leurs regards portés sur « la racaille » ou le « lumpen-prolétariat allié du pouvoir » (cf sur Meeting le texte de Mouvement communiste sous le titre « provocateurs ? »). 2) Je n’aurais pas pu rompre avec le « démocratisme radical » sur la base des thèses de Temps critiques, Trop loin, ou Echanges, parce que leurs approches ne m’en auraient pas convaincu : elles n’auraient pu produire le choc théorique me conduisant à cette rupture. Ceci, je suis donc en mesure de l’affirmer après coup, à la lumière de leurs analyses comparée des luttes récentes (on attend celle de Troploin et de Robin Goodfellow, mais en bonne logique s’ils ne rompent pas avec ce qui fait leur originalité théorique, ce ne sera pas une surprise, et donc pas susceptible de modifier mon appréciation).
9) On pourrait comprendre ma position comme le besoin de disposer d’une théorie construite en cohérence peu ou prou « totalisante », pour analyser ou intervenir dans les luttes, le besoin disons-le d’une théorie-guide de l’action. Et considérer, cette cohérence étant bien pratique quand il s’agit pour ceux qui le jugent nécessaire de dire ou faire quelque chose, que cela ne va pas sans risques dans le rapport entre théorie et pratique, risques quant à la capacité d’être attentif à la surprise des événements, si l’observation vient seulement alimenter, comme vérification, la théorie ; ou si, à l’inverse la théorie est acceptée comme norme pour l’action, pour décider quoi faire (la question étant par conséquent celle de l’observation et de l’intervention théorique embarquées dans les luttes). Je m’en défends, car sauf à passer pour une girouette, je dois bien reconnaître qu’en dehors de celle de Théorie communiste, les autres approches ne m’ont pas paru suffisamment pertinentes pour l’analyse de ces luttes concrètes, alors que parallèlement les critiques qu’en fait Théorie communiste me semblent pour l’essentiel tenir la route sur le plan théorique.
10) A cet égard, je ne doute pas de l’intérêt de l’existence du Réseau international de discussion pour se tenir informé de divers points de vue, du fait des interventions collectives ou individuelles qui s’y échangent dans la variété sur des questions qui font problème pour la production du communisme. Je saisis moins ce qui, sans parler de pratique dont ce n’est pas directement l’objet, fait l’intérêt de ce réseau pour la théorie, dans la mesure où les positions qui s’y expriment sont, pour les plus claires parfaitement incompatibles entre elles (à l’extrême Temps critiques, Echanges, et RobinGoodfellow ou CCI), et pour les plus individuelles vouées à un syncrétisme sans cohérence théorique, d’autant qu’elles lorgnent du côté de la « communisation » (Christian Lenivelleur et Maxime comprendront que ce n’est pas un reproche en soi), puisque cela ne fait qu’ajouter de l’incompatibilité théorique à un mélange de théorisations incompatibles, et que je n’imagine là personne envisageant de convaincre personne, à la manière des débats ad nauseum entre militants des organisations. De ce point de vue, pour re-réagir tardivement à une autre Lettre à Meeting (mai 2005), je crois que cela ne servirait qu’à « embrouiller » les choses que de vouloir réunir la famille. Dans les positions en présence, je n’en vois ni les bases, ni l’intérêt pour les uns et les autres, ni ce qui pourrait être commun au-delà de bonnes intentions communistes et révolutionnaires. Ce n’est pas (encore et seulement) le débat entre personnes qui importe, mais aussi et surtout le débat entre positions des personnes, et l’élaboration éventuelle entre personnes -élaboration inter-individuelle- qui partagent un minimum de raisons de s’auto-organiser comme pour faire un meeting... A cet égard, le refus de participer de Troploin [sic] (Un appel une Invite, 2004) me paraît avoir le mérite de la logique, et ne pas relever seulement de polémiques personnelles dans le milieu plus que trentenaire de la théorie communiste ayant accompli la rupture avec le programmatisme du mouvement ouvrier et de ses organisations.
11) Je ne sais pas si l’on doit considérer comme humaniste, bordiguiste, utopiste, programmatiste, immédiatiste, autonomiste, irréaliste ou fumiste, l’idée que l’élaboration inter-individuelle annoncerait l’immédiateté des rapports (non-)sociaux caractérisant le communisme. La production anticipée de l’homme nouveau n’est pas a priori, au sens strict, técéiste, mais qui sait ? Humain trop humain...
12) Au total, et l’on appréciera comme on voudra mon changement de perspectives sur ce point (changement lisible dans un mien commentaire de l’Adresse...) élargir le sens et le champ d’accueil théorique de l’Adresse de Meeting ouvrirait sans doute une auberge espagnole. Il faudrait pour cela que Meeting se soit créé dans une autre genèse et sur d’autres bases : je ne vois pas franchement lesquelles à quelques formulations près, ni lesquelles permettraient de lui conférer à court ou moyen terme, soit un intérêt théorique dans un minimum de cohérence, soit un minimum de pertinence d’analyse et d’interventions dans le so called cours quotidien de la lutte des classes. Autrement dit c’est 1) à choisir entre considérer l’existence de Meeting comme positive ou pas pour ce qui nous engage pratiquement et théoriquement en commun(isme) 2) selon la réponse à la question précédente, à choisir d’y participer ou non. Et pour ma part c’est on l’aura compris deux fois oui : choisir c’est ne pas renoncer.
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