mardi, 31 octobre 2006
Oaxaca - Amer Simpson
Voici la lettre d’un camarade mexicain, qui ne peut
attendre de paraître dans Correspondance du mois de
novembre.
Bien le bonjour, Je vais répondre à tes questions,
cela m’a paru intéressant de faire un petit topo sur
le fonctionnement interne de l’Assemblée populaire des
peuples de Oaxaca (APPO), je ne vais pas rentrer dans
les détails, du moins je vais essayer de trouver un
juste équilibre. A la suite de l’envoi des forces de
police le matin du 14 juin contre les enseignants, qui
manifestaient depuis le mois de mai, la population de
la ville de Oaxaca prit spontanément le parti des
maîtres d’école. C’est en grande partie avec l’aide
des habitants du centre que les enseignants purent se
remettre de l’attaque surprise des flics et reprendre
l’offensive, afligeant aux forces de l’ordre de l’Etat
de Oaxaca une défaite dont ils ne se remettent pas. A
la suite de cet affrontement, eurent lieu deux
manifestations, qui ont regroupé plusieurs centaines
de milliers d’habitants. Peu à peu les gens ont
commencé à s’organiser. Le 23 juin, les délégués des
colonies (les colonies sont des quartiers créés à
partir de la concession de terrains par les habitants
eux-mêmes), des associations civiles (de
développement, de communication, de culture,
d’éducation, de santé,
de droits humains, de protection de la nature... Il y
en a plus de 500 répertoriées dans tout l’Etat de
Oaxaca), des associations indiennes (UNOSJO, Service
Mixe, Cipo Ricardo Flores Magon, Conseil des anciens
de Yalalac, Service communautaire à‘uu Savi, Union des
communautés et peuples indigènes Chontales, Union des
femmes Yalatèques...), des représentants des communes
de l’Etat (plus de cent municipes se sont libérés à
cette occasion, de la tutelle du parti révolutionnaire
institutionnel - PRI), des artistes, des représentants
du secteur académique (université
autonome de Oaxaca - UABJO), des groupes politiques de
gauche et d’extrême gauche, des étudiants, des
individus sans qualité particulière, des libertaires,
des syndicats (de la santé, par exemple) et, bien
entendu la section 22 du syndicat de l’éducation (la
section 22 est la section syndicale qui correspond à
l’Etat de Oaxaca) se sont réunis en assemblée pour
désigner les membres d’une commission provisoire
négociatrice. Cette commission, comme son nom
l’indique, est chargée d’entreprendre les négociations
avec le gouvernement fédéral (pour l’assemblée, le
gouvernement de l’Etat d’Oaxaca n’existe plus), elle
doit continuellement rendre compte des négociations à
l’assemblée populaire, qui, en retour, lui dicte ses
volontés. Théoriquement, les décisions sont prises par
l’APPO, par la majorité des présents quand le
consensus ne peut être atteint, jusqu’à présent la
majorité a toujours été proche du consensus. J’écris "
théoriquement " et " jusqu’à présent " car il se
dessine une tendance, parmi les dirigeants syndicaux
proches des partis, qui cherche à passer outre aux
décisions de l’assemblée. La base ne se laisse pas
faire mais ces manouvres sont déplaisantes et à la
longue accentuent le divorce entre deux courants (les
modérés et les radicaux) et affaiblit par des
tensions internes l’assemblée. Le 10, le 11 et le 12
novembre aura lieu le congrès constituant de
l’assemblée populaire des peuples de Oaxaca. Une
dernière remarque, c’est une assemblée ouverte, tous
les habitants peuvent y participer, cependant il
existe comme une vigilance interne à travers une
chaîne ou réseau de reconnaissances, dans le sens oà¹
il est toujours possible de savoir qui est " ce
nouveau venu ". Il faut comprendre que la ville n’a
pas été ébranlée dans ses fondements par l’absence et
le non fonctionnement des institutions
gouvernementales. La vie continue comme avant, elle
est même plus passionnante et agréable, c’est une
ville touristique et les touristes l’ont désertée, ce
qui a entraîné une perte des profits de l’industrie
touristique et de ses satellites, mais les marchés
sont approvisionnés, les magasins sont ouverts, les
transports publics fonctionnent, les restaurants et
les cafés sont ouverts, on y dépense son argent,
seulement la ville est en alerte, des barricades
aux entrées d’Oaxaca obligent à de longs détours et
parfois, en alerte maximale, l’entrée de la ville est
interdite, ou alors très difficile. Il y a aussi des
barricades dans les colonies et dans les endroits
stratégiques, elles sont en général ouvertes la
journée, sauf celles qui se trouvent dans des endroits
à protéger comme la radio communautaire, le zocalo,
le siège de l’assemblée, ou des bà¢timents publics
désoccupés et interdits comme le siège du
gouvernement, le tribunal, etc.... Ces barricades ont
été dressées spontanément par les habitants des
colonies pour se protéger des opérations commandos des
escadrons de la mort (des policiers municipaux en
civil qui tiraient sur les gens, la nuit, à partir de
camionnettes). Ces opérations d’assassinat,
commanditées par le gouverneur déchu, à partir de
commandos et de francs tireurs continuent à faire des
blessés et des morts à proximité des barricades ou
dans des rues isolées. Des commissions ont été créées
par l’assemblée pour le fonctionnement minimal de la
ville, j’en cite quelques unes de mémoire : commission
de la santé, de l’hygiène, des finances, de la
logistique, de la presse, de la cuisine et de
l’approvisionnement (pour les campements et pour ceux
qui viennent de l’extérieur), commissions des brigades
mobiles et de la surveillance, de la sécurité. La
commission de sécurité a été constituée sur le modèle
des topiles, ou plus précisément de la police
communautaire telle qu’elle existe dans le Guerrero ou
au Chiapas parmi les zapatistes, ils ont été désignés,
ou plutà’t acceptés (ce sont pour la plupart des
volontaires) par l’assemblée. Les délinquants sont
remis à l’APPO, qui, en général, après leur avoir
expliqué la situation, les condamnent à un travail
d’intérêt collectif comme balayer les rues,
actuellement la situation se durcit et les voleurs
sont souvent frappés quand ils sont pris par les
commerà§ants. Quand il s’agit d’un assassin, d’un
paramilitaire ou d’un franc tireur, l’assemblée le
remet à la justice fédérale, la PGR, (Procuradurìa
General de la Repùblica) par l’intermédiaire du
syndicat des enseignants. Les revendications des
enseignants et la destitution par l’Etat fédéral
d’Ulises Ruiz restent au premier plan des
négociations. Les enseignants ont obtenu satisfaction
sur l’ensemble de leurs demandes, reste la destitution
du gouverneur ou la reconnaissance de la disparition
des pouvoirs dans l’Etat de Oaxaca,
qui est la revendication principale de l’Assemblée
populaire. C’est là qu’apparaît la fracture entre les
dirigeants syndicaux qui ont obtenu satisfaction sur
tous les points et l’Assemblée, qui comprend aussi
les instits de base, qui ne veut plus d’Ulises Ruiz.
C’est la partie qui se joue actuellement. Les
dirigeants syndicaux ont l’appui de l’opposition dite
de gauche et représentée par le premier parti de
l’Etat, le PRD, et avec lui une grande partie de la
société civile. L’APPO se trouve face à une union
sacrée de l’ensemble des forces politiques
capitalistes. Derrière ces objectifs du premier plan
se sont dessinés d’autres objectifs plus généraux et
plus pratiques à travers une réflexion sur un
nouveau pacte social, à laquelle a été conviée la
société d’Oaxaca (par l’assemblée). Ce travail de
réflexion et de proposition a commencé le 10 octobre
et se prolongera par le moyen de tables de discussion
et de dialogue, d’assemblées générales et de retour
aux tables de discussion, jusqu’au congrès constituant
de l’APPO. Environ 1500 personnes de
tous horizons (dont les délégués des communes
indiennes) participent à ce travail de réflexion sur
un nouveau contrat social. Les tables sont les
suivantes : 1- Nouvelle démocratie et gouvernabilité à
Oaxaca, 2 - Economie sociale et solidaire, 3 - Vers
une nouvelle éducation à Oaxaca, 4 - Harmonie, justice
et équité sociale, 5 - Patrimoine historique, culturel
et naturel d’Oaxaca, 6 - Moyens de communication au
service des peuples. La solidarité envers ce mouvement
insurrectionnel s’exprime sur plusieurs plans, il y a
d’abord une solidarité proche et quotidienne, des
familles des quartiers qui, à 2h ou à 3h du matin,
vont apporter du café chaud à ceux qui se trouvent
derrière les barricades, qui apportent des provisions
aux campements, des communes (souvent très pauvres)
qui font parvenir de l’argent à l’assemblée. La
marche sur Mexico a donné l’occasion à cette
solidarité populaire de s’exercer avec toute la
générosité dont elle est capable ; le campement qui se
trouve actuellement dans la capitale reà§oit de
l’aide, alimentaire ou autre, de la part de la
population. Il y a ensuite une solidarité plus
militante du fait de certaines organisations
syndicales, politiques et sociales qui s’est exprimée
au cours du forum national et international qui eut
lieu à Oaxaca le 14 octobre au cours duquel diverses
propositions de soutiens ont été avancées :
mobilisation nationale et internationale un jour
déterminé (à préciser), bloquer la circulation en
divers points de la capitale du Mexique, création
d’une alliance nationale unitaire, manifestation
devant la télévision pour exiger un droit de réponse,
campements dans tous les Etats de la république pour
exiger la libération des prisonniers politiques et de
conscience... En fait la solidarité s’est surtout
manifestée par l’intermédiaire de petits comités
(étudiants, libertaires, radios libres, associations
civiles, groupes d’extrême gauche, l’autre campagne
zapatiste) qui se sont constitués à cette fin et qui
offrent un appui logistique (au cours de la marche et
dans la capitale) et de communication, informer sur ce
qui se passe à Oaxaca (face à la désinformation et la
calomnie). Il faut savoir qu’au Mexique les principaux
syndicats ouvriers et paysans sont aux mains du
pouvoir par le biais du Parti révolutionnaire
institutionnel, qui a contrà’lé le
mouvement ouvrier, et plus tard paysan, à partir de
1920. Ce n’est qu’exceptionnellement que certaines
sections syndicales ont pu s’émanciper de la tutelle
de l’Etat, comme ce fut le cas de la section 22 du
syndicat de l’éducation nationale, le syndicat reste
dans son ensemble entre les mains de dirigeants "
charros ", c’est-à -dire des dirigeants qui sont dans
le cercle du pouvoir. Dans ce domaine d’une solidarité
effective c’est encore le monde indigène, et paysan,
(70% de la population d’Oaxaca est indienne) qui
l’apporte par sa détermination à mettre fin à la
domination des caciques, ceux qui, avec l’appui de
tout l’appareil de l’Etat, cherchent à s’emparer à
leur seul profit des biens collectifs. Je ne pense pas
avoir répondu à toutes les questions que vous vous
posez et surtout d’y avoir répondu avec la clarté et
la précision nécessaires à une bonne compréhension de
la réalité. J’ajouterai qu’à mon sens le mouvement
insurrectionnel d’Oaxaca est essentiellement empirique
et pragmatique, les idéologies sont à sa traîne et
elles ne cherchent même pas à le
contrôler. Il risque d’être marginalisé par la société
civile, cette part indéfinissable, mais importante, de
la société attachée aux droits de l’homme contre le
droit des peuples et des communautés villageoises (ou
de quartiers). C’est un mouvement désarmé face à
l’infanterie de la
marine mexicaine à laquelle s’ajoutent des bataillons
de l’armée de terre et les forces de la police
préventive fédérale. Sa marge de manoeuvre dans ces
conditions est très étroite. L’Etat attend sa
marginalisation dans la société pour intervenir au nom
du rétablissement de l’Etat de droit. A la suite de
cette intervention, les leaders dans les communes
isolées, qui n’auront pas été emprisonnés sous divers
prétextes, seront assassinés par des groupes de choc
paramilitaires. D’un autre cà’té, la société
mexicaine n’est pas disposée (du moins, il me semble)
à accepter un retour aux bonnes vieilles traditions
de la violence étatique, qui avait caractérisé les
temps, désormais révolus, du parti unique, dans ces
conditions, il appartient à l’assemblée populaire de
surmonter les tentatives de division, de trahison et
d’isolement instruites par l’Etat et ses partisans. Le
prochain congrès, le 10 novembre, pour la mise en
place d’une assemblée constituante sera déterminant
pour l’avenir de ce mouvement social.
Oaxaca le 18 octobre 2006.
George Lapierre
-
Oaxaca, , 31 octobre 2006Oaxaca : fin de la grève des maîtres
Après plus de cinq mois de grève, les enseignants reviendront en classe à Oaxaca. Lors d’une marathonique consultation qui a duré presque toute la journée, le syndicat de maîtres a décidé de terminer la grève par 31 mille voix contre 20 mille deux cents.Le président Vicente Fox s’est engagé à un programme "extraordinaire" pour assister l’Etat. Toute la journée a été marquée par la tension et la violence qui s’est déclenchée à seulement quelques mètres du lieu où ils votaient. A midi, des sujets non identifiés ont réalisé au moins 11 coups de feu depuis un véhicule en marche à moins de 500 mètres de l’hôtel du magistère, où se réunissaient les représentants des délégations syndicales. Le matin, cinq personnes encapuchonnées avaient incendié un autobus à une rue de distance du même local. "Ce ne sont pas des coïncidences", avaient prévenus des professeurs.
L’assemblée programmée pour mercredi dernier avait été suspendue avant même de commencer, après que cinq coups de feu avaient été entendus à l’extérieur des installations où ils se préparaient à sessioner. Devant ce panorama, la présidence de la République a reconnu hier qu’un éventule retour en classes n’en terminerait pas avec le problème politique et social que durant des décennies a souffert Oaxaca et a accepté publiquement qu’une solution réelle passe par des réformes de fond dans la vie institutionnelle de l’Etat. Le porte-parole présidentiel, Ruben Aguilar, a insisté pour que l’administration de Vicente Fox cherche des sorties de conflit négociées et que se fasse "n’importe quelle chose" pour l’obtenir, même offrir un emploi au gouverneur Ulises Ruiz dans le gouvernement fédéral pour faciliter son renoncement, condition indispensable et réclamée déjà non seulement par l’APPO et le magistère oaxaqueño, mais aussi par un groupe important de petits entrepreneurs et de commerçants locaux et même par la direction nationale du Parti d’Action Nationale (PAN), qui semble s’être convaincu de l’urgence de s’occuper de cette revendiacation sociale pour distendre une crise qu’héritera inévitablement le prochain président, Felipe Calderón, malgré l’insistance de celui-ci pour que le gouvernement foxiste le résolve avant sa prise de possession, le 1er décembre prochain.
De fait, Calderon reçoit information et est consulté par le secrétaire de Gouvernement, l’ultraconservateur CarlosAbascal, qui a présenté mercredi, les détails de l’opération policière qu’il prépare en coordination avec le Centre d’Information et de Sécurité Nationale (le Cisen, une sorte de police politique) et le reste du cabinet de sécurité foxiste. La réunion a eu lieu après que Calderon et son équipe se soient retirés dans la résidence officielle de Los Pinos avec le président Vicente Fox et son cabinet de Respect et Sécurité pour discuter précisément du cas Oaxaca. Cependant, lors d’une tournée au Canada, Calderon a nié hier qu’il participe à la prise de décisions sur ce conflit. "Je refuse catégoriquement d’avoir une intervention dans le cas Oaxaca", a-t-il dit lors d’une conférence de presse. De plus, il a défendu le gouvernement de Fox en raison de son "insistance pour résoudre la crise", même si -selon lui- le président n’est pas le responsable direct de son origine. "Il est clair que c’est un problème d’Oaxaca", a-t- il soutenu, et a accusé les maîtres de commettre "une violation aux droits humains des enfants" pour suspendre les classes depuis cinq mois.
L’Assemblée Populaire des Peubles d’Oaxaca (APPO) avait déjà abandonné hier les installations de la principale radio qu’elle maintenait en son pouvoir et depuis laquelle elle communication avec tous les membres du mouvement, après plusieurs jours d’interférences dans ses émissions, dont elle rendue responsable la Secrétariat de Gouvernement. Mais dans la ville de Mexico, vingt-et-un assembléistes en grève de la faim depuis 10 jours, exigeant le renoncement du gouverneur Ulises Ruiz, ont annoncé qu’ils cesseront d’ingérer des liquides et des médicaments à partir d’aujourd’hui, ce qui pourrait accélérer leur mort.
Mexico, D.F., Gerardo Albarrán de Alba, Pagina/12 (Argentine), 27 octobre 2006. Traduction : Fab, [email protected]
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