lundi, 9 juin 2008
Le concept de cycle de luttes - Roland Simon
Le travail commun de réflexion et de discussions pourrait consister à soumettre la définition du concept de cycle de luttes que je propose dans les quelques pages suivantes et les principes théoriques qui le sous-tendent à la série de questions que j’ai énoncée dans un précédent courrier.
Le concept de cycle de luttes
On appelle cycle de luttes l’ensemble des luttes, des organisations et des théories qui constitue une pratique du prolétariat historiquement définie dans l’implication réciproque entre les deux termes de l’exploitation qui est la contradiction dynamique du mode de production capitaliste. Ensemble de pratiques et de luttes par lequel cette contradiction, dans chaque phase spécifique de son développement historique, porte la révolution et le communisme comme son dépassement.
Dans un premier temps, même si les repères chronologiques peuvent être identiques, le concept de cycle de luttes ne se confond pas avec celui d’une période historique du mode de production capitaliste. Dans le concept de cycle de luttes, la pratique du prolétariat est définie en tant que terme spécifique de la relation constituant une période historique. Mais cette pratique est un pôle d’une totalité par lequel cette totalité produit son dépassement. En conséquence, un cycle de luttes c’est une période historique du mode de production capitaliste considérée en ce qu’elle produit son dépassement.
La définition du concept de cycle de luttes s’articule autour de trois grands principes :
L’exploitation comme contradiction entre le prolétariat et le capital se définit simultanément comme implication réciproque de ses termes et production de la spécificité de chacun d’eux quant à sa situation et à sa pratique. Ce n’est pas l’exploitation en soi, ou le développement du mode de production capitaliste qui portent leur dépassement, ils ne le portent que par la situation et l’activité spécifiques du prolétariat comme classe révolutionnaire en tant que classe du mode de production capitaliste.
La production historique de la révolution et du communisme : révolution et communisme sont le dépassement que chaque cycle de luttes produit spécifiquement.
La contradiction entre le prolétariat et le capital est simultanément la dynamique du développement du mode de production capitaliste et de son dépassement, il en résulte qu’un cycle de luttes se définit en totalité comme rapport entre, d’une part le cours quotidien de la lutte de classe et, d’autre part, la révolution et le communisme dans leur contenu historique.
I - LE CONCEPT DE CYCLE DE LUTTES FAIT PARTIE DE LA DÉFINITION DE L’EXPLOITATION
1) Pratique spécifique et implication réciproque
L’exploitation est le premier grand principe définissant ce qu’est un cycle de luttes. La définition d’un cycle de luttes découle d’une compréhension de l’exploitation dans laquelle sont posées simultanément l’implication réciproque entre les termes de la contradiction, prolétariat et capital, et leur spécification, leur autonomie. Sans cela pas de cycle de luttes, c’est-à-dire de pratiques spécifiques du prolétariat contre le capital, comme particularisation d’une totalité dont le capital est précisément l’autre terme nécessaire. Un cycle de luttes c’est une phase du capital en tant que produisant son dépassement de par l’activité spécifique du prolétariat comme pôle de la contradiction qui, en ce qu’elle est implication réciproque, se particularise.
Dans ce rapport contradictoire, prolétariat et capital ont chacun une position et une activité spécifiques. C’est ce processus de particularisation de ses termes, inhérent à la contradiction, qu’il s’agit de définir, tout en les concevant précisément comme terme d’une contradiction, c’est-à-dire comme s’impliquant mutuellement. L’exploitation n’est pas le contenu d’un rapport contradictoire entre deux termes symétriques, elle est une différence de relation à la totalité qui, vu son contenu, détermine un terme à remettre en cause et dépasser cette totalité. Le mode de production capitaliste et l’exploitation ne portent leur dépassement que par la situation et l’activité spécifique du prolétariat comme pôle (particularisation) de la totalité du mode de production capitaliste.
L’exploitation comme rapport entre le prolétariat et le capital est une contradiction en ce qu’elle est un procès en contradiction avec sa propre reproduction (baisse du taux de profit), totalité dont chaque élément n’existe que dans sa relation à l’autre et se définissant dans cette relation comme contradiction à l’autre et par là à soi même, tel que le rapport le définit (travail productif et accumulation du capital ; surtravail et travail nécessaire ; valorisation et travail immédiat). Le capital est une contradiction en procès, ce qui signifie que le mouvement qu’est l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le contenu et le mouvement. En ce sens, c’est un jeu qui peut amener à l’abolition de sa règle. Le capital comme contradiction en procès c’est la lutte de classe, quand nous disons que l’exploitation est une contradiction pour elle-même nous définissons la situation et l’activité révolutionnaire du prolétariat.
L’exploitation c’est la valorisation du capital, elle possède trois moments constitutifs :
le face à face de la force de travail et du capital comme capital potentiel. Ce face à face n’a de sens que dans sa résolution, l’achat-vente de la force de travail.
la subsomption du travail sous le capital (production de plus-value)
la transformation de la plus-value en capital additionnel : la reproduction du face à face, la séparation, sont le point de départ et le principal résultat du procès de production
C’est justement cette transformation de la plus-value en capital additionnel qui n’est jamais acquise, de par la concurrence bien sûr, au niveau le plus superficiel, mais surtout de par le fait que cette transformation implique d’une part la rencontre du capital marchandise et de l’argent comme capital ou moyen de circulation (c’est la possibilité générale des crises), mais surtout parce qu’elle implique la transformation sous-jacente de la plus-value en profit, donc le rapport de la plus-value au capital total engagé. La baisse du taux de profit est constamment l’angoisse au cœur de l’autoprésupposition ou, sans littérature, le caractère jamais acquis de cette transformation en capital additionnel et donc du renouvellement du procès dont les termes sont produits comme sujets. Cette production de sujets à l’intérieur de l’implication réciproque n’intervient pas à la fin de chaque cycle, elle est permanente au cours du procès de valorisation et fonde l’autonomie et la pratique du prolétariat et du capital tout au long du procès. Le caractère problématique de la transformation de la plus-value en capital additionnel c’est tout autant les transformations du capital, les faillites, les licenciements, que l’augmentation des cadences, la transformation du procès de travail. La transformation de la plus-value en capital additionnel c’est aussi et tout d’abord l’extraction d’une plus-value suffisante pour permettre cette transformation.
Le rapport d’exploitation est d’une part le contenu de l’implication réciproque du prolétariat et du capital, le fait qu’ils sont les termes d’une même totalité, et d’autre part, leur production comme sujets réellement actifs de cette totalité qui n’a d’autre mouvement que celui résultant de l’action de ses sujets. C’est, dans ce rapport, au niveau général de l’analyse, dans l’unité de ses moments, qu’existe constamment le caractère non acquis de sa reproduction.
Le caractère « jamais acquis » du renouvellement des trois moments constitutifs de l’exploitation se confond avec le mouvement de particularisation des termes contradictoires de la totalité. C’est là que réside la possibilité générale de la crise de l’exploitation comme pratiques contradictoires entre des classes, c’est là que réside le processus de particularisation des termes de la contradiction dans leur activité de sujets, c’est là que réside leur action propre et leur implication réciproque.
Cependant, la position du capital par rapport à la totalité est différente de celle du prolétariat, cette différence résulte du contenu même de l’exploitation. Le capital est l’agent de la reproduction générale. Un cycle de luttes n’est pas un ensemble de luttes déterminées causalement par un certain niveau de développement du capital. Ce qui apparaît comme un rapport de causalité allant de l’état du capital au luttes du prolétariat, expliquant leur contenu et leur évolution historique, n’est qu’un effet de la subsomption du travail sous le capital. Il est exact que la définition d’un cycle de luttes prend toujours comme point de départ le procès de valorisation dans son contenu et aspect historiques. Mais on ne peut en déduire un rapport de causalité, ce serait ne pas comprendre ce qu’est une totalité et sa particularisation nécessaire dans une position non symétrique de ses termes par rapport au renouvellement du rapport d’ensemble. Un rapport de causalité fait de la situation spécifique du prolétariat dans le rapport d’ensemble quelque chose de changeant et influençable et par là, malgré les apparences, ne la conçoit pas comme essentiellement historique, c’est-à-dire essentiellement comme l’autre terme d’un rapport, mais comme une nature révolutionnaire déterminée historiquement.
Concevoir essentiellement la situation et la pratique du prolétariat comme l’autre terme d’un rapport, d’un rapport contradictoire constituant une totalité particularisée, c’est les concevoir dans un processus dynamique et historique, car c’est concevoir simultanément les deux termes contradictoires et donc un processus. Etablir un rapport de causalité entre le capital (ramené alors à des conditions objectives) et la pratique du prolétariat ne peut que produire un objet sur lequel cette causalité va s’exercer, c’est-à-dire une nature révolutionnaire que cette causalité va moduler. A ce niveau, la production théorique du concept de cycle de luttes intervient comme un élément du dépassement du programmatisme en ce qu’elle est la critique d’un simple rapport de causalité entre pratique du prolétariat et conditions objectives et corollairement d’une séparation des termes laissant la possibilité d’une victoire du prolétariat qui serait sa libération, son affirmation.
Les premiers éléments de définition qui se dégagent donc de ce premier point font apparaître qu’un cycle de luttes est la pratique spécifique du prolétariat dans un rapport d’implication réciproque avec le capital comme particularisation d’une même totalité, pratique spécifique qu’une telle production définit immédiatement et essentiellement comme historique et non « déterminée historiquement ». Le dépassement du mode de production capitaliste n’est pas le résultat du procès de la contradiction en tant qu’unité indifférenciée, mais de l’activité d’un de ses termes, le prolétariat. Ce terme n’est à même de produire ce dépassement que parce qu’il est particularisation de la totalité et non parce qu’il serait porteur en lui-même d’une essence révolutionnaire.
2) Le concept de cycle de luttes repose sur l’identité entre ce qui fait du prolétariat une classe révolutionnaire et une classe du mode de production capitaliste.
A partir toujours du premier grand principe définitoire d’un cycle de luttes, l’exploitation, découle comme détermination de celui-ci la non-séparation de ce qui fait du prolétariat une classe révolutionnaire et de sa définition comme classe du mode de production capitaliste.
En tant que particularisation de la totalité, les deux termes de la contradiction n’entretiennent pas la même relation avec cette totalité. La contradiction constitutive de cette totalité, l’exploitation, se définit comme subsomption du travail sous le capital. Face au travail salarié, le capital subsume le travail vivant, par là il est l’agent de la reproduction réciproque des deux pôles, en conséquence il n’y a pas égalité, simple complémentarité entre les termes, mais contradiction.
La subsomption du travail sous le capital implique que toutes les conditions du renouvellement du rapport se trouve, à la fin de chaque cycle, réunies comme capital face au travail (c’est l’économie). Si le travail implique le capital, c’est qu’il est sans cesse mis par celui-ci en situation de l’impliquer. On ne peut donc se contenter de dire que le prolétariat implique le capital et inversement le capital implique le prolétariat ; à cause du contenu même de cette implication, l’exploitation, elle n’a pas dans les deux sens la même « forme ». Le prolétariat implique le capital parce qu’il n’existe que sans cesse mis par le capital en situation de devant l’impliquer, c’est le capital l’agent de la reproduction générale, les deux termes ne sont pas à égalité, il y a exploitation, subsomption, et cela fait que l’implication réciproque n’est pas un rapport symétrique.
Avec cette inégalité des termes de la contradiction par rapport à la totalité c’est comme forme le contenu même de la contradiction que l’on retrouve. Le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail, comme capital, valeur autonomisée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant : la baisse du taux de profit est une contradiction entre les classes. Le mouvement même de l’accumulation rapporte constamment la plus-value à toute la valeur produite et transmise. Dans la baisse du taux de profit, l’exploitation du prolétariat, la production de plus-value rencontrent comme leur propre limite l’existence sociale même du travail comme producteur de valeur et l’accumulation de cette valeur. La spécification des termes de la contradiction et la forme même de cette contradiction avec l’inégalité de ses termes définissent une classe qui est constamment contradictoire au développement et à la reproduction de la totalité qui la définit et l’implique. Nous avons ici tout autant la lutte quotidienne que, dans la règle du jeu, la possibilité de son abolition. Dans la baisse du taux de profit, le prolétariat est constamment en contradiction avec la totalité des conditions accumulées face à lui comme valeur, cette contradiction existe comme forme même de la contradiction, on peut alors définir ce qu’est le prolétariat, comme situation dans un rapport, et non plus comme nature. Le concept de cycle de luttes est en lui-même une critique du programmatisme, il dépasse l’opposition rigide entre ce qui fait du prolétariat une classe révolutionnaire et ce qui le définit comme classe du mode de production capitaliste.
Le prolétariat produit le communisme contre le capital cela signifie qu’il est le sujet de ce dépassement non comme exécuteur, accoucheur, mais comme pôle de la contradiction elle-même. Si, à partir de l’exploitation, on ancre ce qui fait du prolétariat une classe révolutionnaire dans ce qui le définit comme classe du mode de production capitaliste, c’est-à-dire dans son implication avec le capital, on produit alors une liaison nécessaire entre le cours quotidien de la lutte de classe et la révolution, cette liaison comme phase historique c’est un cycle de luttes. Dans le concept de cycle de luttes est dépassée l’ambivalence entre un prolétariat qui serait une « force révolutionnaire qui va » et un prolétariat qui devrait dépasser ce qu’il est dans le mode de production capitaliste pour être révolutionnaire. Cependant pour donner correctement la nature de cette liaison et de ce processus, il faut passer par le deuxième grand principe autour duquel s’articule le concept de cycle de luttes : révolution et communisme sont des productions historiques quant à leur contenu. Ce qui signifie que définir le concept de cycle de luttes c’est définir une succession de cycle de luttes. Ce deuxième grand principe définitoire n’est en définitive qu’une extension du premier : si l’exploitation est la contradiction entre le prolétariat et le capital, cette contradiction est donc simultanément la dynamique du mode de production capitaliste, elle est une histoire.
II - REVOLUTION ET COMMUNISME SONT DES PRODUCTIONS HISTORIQUES A TRAVERS LES CYCLES DE LUTTES
Il faut simultanément historiciser, spécifier chaque cycle de luttes et comprendre leur enchaînement, comprendre, par exemple, la spécificité du cycle de luttes actuel et se référer, même si c’est de façon nécessairement critique, à toute l’histoire du prolétariat et de la production du communisme. C’est, chaque fois, dans chaque cycle de luttes, tout le cours du mode de production capitaliste qui a le communisme comme résolution. La révolution et le communisme tels que nous les définissons actuellement (communisation et immédiateté sociale de l’individu) ne sont pas un invariant, une norme parcourant l’histoire du mode de production capitaliste sous de multiples avatars. Le cycle de luttes actuel, avec la définition et la production du communisme qu’il contient, est en lui-même le dépassement nécessaire produit par les cycles antérieurs. On ne réécrit pas l’histoire à rebours. Dans le cycle de luttes actuel, la production du communisme devient un axe historique parcourant tout le mode de production capitaliste, cette production est succession, totalisation de cycles de luttes.
L’analyse en termes de cycles de luttes sert à comprendre comment le prolétariat produit le communisme contre le capital, cette production ce sont, par exemple les diverses époques du programme (1790-1848 ; 1848 – 1871 ; 1871 – 1914), ce sont les contradictions internes de ces époques, c’est l’affirmation de la classe portant toujours son impossibilité dans ses propres termes au travers de ce qu’est historiquement le programmatisme (son éclatement nécessaire en tendances, son rapport à la contre-révolution, etc,), c’est enfin le fait que jamais l’affirmation de la classe n’est posée comme une fin en soi, et cela apparaît contre elle.
L’impossibilité de la révolution programmatique réside dans sa nécessité d’être simultanément montée en puissance de la classe dans le capital et affirmation autonome du prolétariat. Les deux termes se contredisent mais peuvent restés liés jusque dans les années 1870-1880. Mais dès que s’entame nettement le processus de passage à la subsomption réelle, leur coexistence devient impossible, on ne peut continuer à promouvoir la révolution qu’en abstrayant le renforcement de la classe du mouvement du capital ; et en face on ne pourra continuer à promouvoir le développement de la classe à l’intérieur du mode de production capitaliste qu’en transformant le socialisme en un capitalisme organisé. On pourrait développer le même raisonnement à propos de l’ancien cycle de luttes qui s’achève au milieu des années 1970 en comprenant son impossibilité au travers de l’implication théorique et pratique entre auto-organisation et autonégation, autonomie et refus du travail.
Il ne s’agit ni de transformer chaque dernier cycle de luttes en norme des cycles antérieurs, ni de considérer le cycle dans lequel on se trouve comme ayant de façon isolée le communisme comme résolution.
Chaque cycle de luttes constitue bien une totalité spécifique à partir de ses déterminations et de la façon dont révolution et communisme sont définis à partir du stade historique de la contradiction entre prolétariat et capital qu’il exprime. Cependant la succession des cycles de luttes ne se présente pas comme une juxtaposition de totalités exclusives : il existe une progression, un dépassement des limites d’un cycle antérieur dans la spécificité d’un nouveau cycle. En même temps qu’un nouveau cycle est le dépassement d’un cycle antérieur, il constitue les caractéristiques, l’allure, les déterminations de celui-ci en limites, en contradictions, et par là manifeste qu’en lui-même cet ancien cycle peut être analysé comme produisant, portant, appelant son dépassement dans une relation nécessaire mais médiée par le cycle postérieur avec le communisme tel que ce dernier cycle le définit. Les caractéristiques des cycles antérieurs portent alors, dans la compréhension (devenue objective et non un point de vue) que fournit le cycle suivant, le communisme tel que celui-ci le définit. L’erreur consisterait à oublier le point de départ de l’analyse, à oublier la réalité du cycle actuel et à considérer que le cycle précédent porte le communisme en dehors de l’existence du cycle actuel. La simple existence présente de ce nouveau cycle fait de ce « point de départ » non un point de vue subjectif mais une relation objective.
De cycle en cycle, le prolétariat n’accumule pas des expériences dont il tirerait profit pour dépasser les limites d’un cycle antérieur ; si un nouveau cycle dépasse les limites d’un cycle antérieur, c’est parce que la contre-révolution, la restructuration du capital, a constitué en limites les caractéristiques de cet ancien cycle. Le fait que tous les cycles antérieurs portent le communisme au travers de ce qui fonde leur propre impossibilité, au travers de leurs contradictions internes, ce fait là se résout dans la contre-révolution, la restructuration du capital, son développement. Le capital n’est pas un pur obstacle. Il est à même, au travers de son propre développement, parce qu’il est une contradiction en procès, de résoudre une contradiction portant le communisme comme son dépassement. Ainsi la signification historique du capital relie en un seul arc historique les divers cycles de luttes spécifiques et fait de chaque stade de la contradiction entre prolétariat et capital le dépassement des limites du cycle antérieur. L’impossibilité dans ses propres termes de chaque cycle de luttes jusqu’à maintenant, est le corollaire de la capacité pour le capital de résoudre dans son développement une contradiction portant le communisme. Si la contre-révolution est une réponse pertinente à la révolution c’est que le développement du capital est la caducité de la valeur en acte. Pour le cycle suivant cette restructuration devient une médiation nécessaire pour la révolution et le communisme.
Les prolétaires russes de 1917, allemands de 1919, espagnols de 1936, français ou italiens de 1968, ont agi en tant que tels, ils ont mené les mouvements révolutionnaires ou les révoltes qui étaient les leurs en toute conscience et dans toutes leurs contradictions. Aucune de leurs actions n’étaient pour eux contingentes, la limite de leur mouvement leur a été imposé par la contre-révolution qu’ils avaient à combattre, elle n’était pas pour eux une limite externe indépassable, mais la nature même de leur combat. Ce que nous pouvons dire maintenant de ces mouvements, nous le disons maintenant, et si nous disons pourquoi ces mouvements ont été battus nous le devons aux combats tels qu’ils ont été menés et à la contre-révolution qui les a écrasés (les contre-révolutions sont aussi et surtout notre rapport aux révolutions passées). Notre analyse est un résultat, le résultat ne préexistait pas dans la chose. Pour nous, maintenant, toute l’importance de ces révolutions réside dans ce qui nous apparaît comme leurs contradictions internes, dans leur impossibilité telle qu’elle se produisit dans les termes mêmes où ces luttes existaient et étaient vécues. C’est par tout ce qui pratiquement et théoriquement est pour nous maintenant l’impossibilité de la révolution programmatique que nous nous relions à l’histoire des luttes passées et à la continuité de la production théorique. C’est pour cela que nous sommes amenés à prévilégier ce qui fut souvent des courants marginaux ou des opinions « hérétiques », car en eux c’était la critique sur ses propres bases, inclue en elle, de la révolution comme affirmation du prolétariat et libération du travail qui existait et non l’existence potentielle ou embryonnaire de la révolution telle que maintenant elle se présente. C’est ce qui nous relie à ces mouvement, ce qui en fait notre héritage vivant. Toute l’histoire passée du mode de production capitaliste n’a pas eu pour but de produire la situation actuelle, mais la situation actuelle permet de considérer comme sa propre condition d’existence toute l’histoire passée, de comprendre le cycle de luttes actuel comme dépassement et résolution des cycles antérieurs. Nous ne cherchons ni des leçons, ni des ancêtres.
Le problème du rôle et de l’activité du capital par rapport au communisme comme dépassement de sa contradiction avec le prolétariat est important parce qu’il est celui du rapport entre révolution et contre-révolution et pose cette relation dans le développement du capital comme procès historique, cycles de luttes. Si le capital est une contradiction en procès comme le développe Marx dans les « Fondements… », et si son développement est la production des conditions matérielles capables de faire éclater cette base étriquée qu’est la valeur travail, ce n’est pas que sa nécrologie qui est alors décrite, c’est simultanément sa force et sa signification historique. C’est parce qu’il est ce procès contradictoire qui le mine que le capital a une signification historique, mais alors avoir une signification historique c’est dans le contenu même de son développement (« le vol du travail d’autrui sur lequel repose la richesse actuelle apparaît comme une base misérable par rapport à la base nouvelle, créée et développée par la grande industrie elle-même », « Fondements… », t.2, p. 222), pouvoir imposer face à la classe révolutionnaire sa propre reproduction et accumulation comme réponse ayant un sens historique face à la révolution, et s’effectuant sur les limites de celle-ci. La caducité de la valeur est la dynamique même du mode de production capitaliste.
Le principe de toute restructuration consiste pour le capital à pouvoir poser sa contradiction avec le prolétariat comme contradiction avec son développement antérieur comme limité, c’est un mouvement de transformation de la contradiction entre prolétariat et capital en multiples contradictions internes du pôle capital du rapport.
Le communisme n’est pas le produit historique de chaque cycle de luttes, mais de leur succession ( le concept de cycle de luttes est nécessairement succession de cycles de luttes), succession qui est au travers des contre-révolutions, des restructurations et de la signification historique du capital, dépassement et « totalisation » (conservation – dépassement).
Chaque nouveau cycle ne s’imagine pas que les cycles précédents conféraient à la révolution et au communisme le même contenu que lui sous des formes différentes, il ne fait que se comprendre lui-même comme le résultat d’une histoire nécessaire par rapport au communisme. Etant lui-même la preuve de la signification historique du capital, chaque cycle nouveau comprend la défaite du cycle antérieur comme nécessaire et par là comprend à partir de lui-même que ces cycles antérieurs possédaient leur impossibilité dans leurs propres termes, et est l’existence objective de ce qu’il définit lui-même comme révolution et communisme comme étant l’aboutissement des cycles antérieurs.
Les cycles antérieurs ne définissaient pas le communisme comme immédiateté sociale de l’individu. Il ne s’agit pas de refaire l’histoire à l’envers. Cependant le cycle de luttes actuel est un résultat historique. La révolution comme communisation (mesures communistes) et le communisme comme immédiateté sociale de l’individu sont le résultat du dépassement des cycles de luttes antérieurs et permet de comprendre leurs limites et leurs contradictions dans les termes mêmes de ces cycles antérieurs. La succession des cycles de luttes n’est pas une juxtaposition mais un dépassement totalisateur.
A partir du cycle de luttes actuel, on comprend la production du communisme comme un arc historique parcourant l’ensemble de l’histoire du mode de production capitaliste. On ne confère pas aux époques antérieures des buts et des contenus qu’elles n’ont jamais eus, mais le contenu de ce cycle est le résultat historique et la véritable compréhension et appropriation des cycles antérieurs, leur résurrection révolutionnaire, leur dépassement-intégration.
III – UN CYCLE DE LUTTES EST LA LIAISON ENTRE COURS QUOTIDIEN DE LA LUTTE DE CLASSE ET REVOLUTION
Le cours quotidien de la lutte de classe n’est pas un inachèvement ou une attente et l’accumulation du capital un obstacle. La relation du cours quotidien à la révolution est celle d’une production. Séparer les deux entraîne que l’on traite tout le cours antérieur à la révolution comme accumulation de conditions nécessaires, mystifications, erreurs, insuffisance, intégration pure et simple du prolétariat ou alors comme assauts malheureux d’un prolétariat constamment révolutionnaire et tout aussi constamment battu. Entre le cours antérieur de la lutte de classe et la révolution, il n’y eut jamais une relation de transcroissance, principalement avec la subsomption réelle du travail sous le capital où la reproduction et la défense de la condition prolétarienne, quoique contradictoires et antagoniques, sont intégrées à l’intérieur du cycle propre du capital.
On ne situe correctement le rapport entre le cours quotidien de la lutte de classe et la révolution, qu’en définissant le prolétariat comme identiquement classe du mode de production capitaliste et classe révolutionnaire, ainsi que la révolution et le communisme comme production historique. Définir le cours de la lutte de classe comme cycles de luttes, c’est comprendre ce rapport car ce dernier est historique et non normatif. Chaque cycle de luttes est le procès dynamique de ce rapport.
Relier le cours antérieur de la lutte de classe et la révolution c’est comprendre la révolution comme rupture, dépassement d’une situation antérieure, mais rupture produite et nécessitée par cette situation antérieure au travers d’un développement historique spécifique dans lequel chaque terme a son activité, sa situation et sa responsabilité propre quant à ce dépassement. Il s’agit, dans chaque cycle de luttes, de montrer comment la lutte de classe bute sur ses propres limites et confère à la révolution un contenu déterminé historiquement.
Le lien théorique entre le cours quotidien de la lutte de classes et la révolution se situe dans la situation constamment contradictoire du prolétariat vis-à-vis de la forme sociale nécessaire de son travail comme valeur accumulée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant, comme capital. Cette contradiction est pour le capital sa propre dynamique. Subsumant le travail au travers de cette contradiction, l’exploitation, il est constamment l’agent de la reproduction générale du rapport et toutes les conditions de la reproduction se retrouvent ainsi constamment comme capital face au travail, par là le cours quotidien de la lutte de classes est limité essentiellement et non extérieurement par une résistance du capital. Ce cours quotidien bute sur ses propres limites dans sa contradiction avec le capital, mais par là également il les produit en tant que telles et appelle leur dépassement et le sien propre. Le cours quotidien de la lutte de classe est un mouvement qui contre le capital appelle son dépassement car s’il bute sur ses propres limites c’est que le capital subsume dans son propre cycle la contradiction, qu’elle est sa propre dynamique. Ce processus devient alors celui des contradictions internes du procès de l’accumulation capitaliste. C’est pour cela que nous devons passer par l’économie, car le cours quotidien de la lutte des classes n’appelle pas son dépassement de par un processus interne mais bien au travers de la crise du capital. Le développement du capital résultant de chacun de ces cycles replace face à l’accumulation de toutes les conditions de la reproduction, le prolétariat dans sa situation spécifique, c’est cela qui relie le cours quotidien de la lutte de classe au dépassement du mode de production capitaliste. On a une classe qui est constamment et dans sa définition même contradictoire à ce développement qui l’inclut, développement qui trouve dans cette contradiction même sa dynamique (tout le problème est là).
Le concept de cycle de luttes synthétise le cours quotidien de la lutte de classe, la contradiction prolétariat-capital comme dynamique du mode de production capitaliste et la production historique de la révolution.
Quand Marx parle du prolétariat comme accoucheur de la nouvelle société, on est encore dans la problématique où le prolétariat vient révéler quelque chose qui est produit comme cours objectif. C’est tout le développement vers le communisme qu’il faut comprendre comme provenant de la position spécifique du prolétariat dans la contradiction, et non cette position spécifique, comme exécuteur ou accoucheur c’est-à-dire comme résultat du processus. Les contradictions de ce processus se limiteraient alors à celles de l’accumulation capitaliste comprise de façon objective, une accumulation des conditions comme un purgatoire à traverser.
Si la crise du rapport social d’exploitation qui en tant que telle est crise économique est le seul rapport social dans lequel peut se produire, pour chaque cycle, son dépassement, il y a là, dans le cycle actuel, par rapport aux cycles antérieurs, une relation nouvelle entre les luttes et leurs limites. Ces dernières ne se situent plus au niveau du retournement contre-révolutionnaire de la dynamique du nouveau cycle de luttes dans la restructuration du capital, mais elles deviennent intrinsèques à tous le cours du cycle, constamment présentes en tant que telles. La reproduction du capital est devenue la limite spécifique de ce cycle par rapport à ses caractéristiques immédiates et non en elle-même par le seul rapport tautologique selon lequel il n’y a pas de révolution si le capital se reproduit. Bien sûr, les limites des cycles antérieurs n’allaient qu’avec la reproduction du capital, mais cette dernière n’était pas en elle-même la limite historiquement spécifique du cycle de luttes, ce qui est dorénavant le cas. Agir en tant que classe, c’est actuellement d’une part, n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est pour la même raison être en contradiction avec sa propre reproduction de classe.
Le concept de cycle de luttes contient la relation entre luttes immédiates et révolution à l’intérieur de chaque cycle de luttes, il constitue en sujet chaque terme de la contradiction en leur conférant leur autonomie à l’intérieur de leur implication réciproque (et par elle). Dans ce cours quotidien, il importe de définir ce qui en fait un processus dynamique appelant son dépassement, de dégager dans les luttes quotidiennes pourquoi elles butent sur leur propre contenu constitué alors en limites dans l’opposition au capital. Conférer activité, vitalité, autonomie à chaque terme de la contradiction, établir une liaison entre luttes quotidiennes et révolution, définir la production de la révolution et du communisme comme historique, imposent de comprendre le mouvement comme succession de cycles de luttes et de distinguer dans ceux-ci, même si tous les éléments forment une totalité, ce qui appelle le dépassement, de ce qui est retournement dans le capital, de ce qui établit le contenu de ces luttes quotidiennes en limites en le stabilisant.
R.S
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