« Vous dites que la société doit intégrer les homosexuels, moi je dis que les homosexuels doivent désintégrer la société. »
Françoise d’Eaubonne
C’est au creux du MLF que va naître le FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire).
Des lesbiennes fuyant ou exclues du club Arcadie (association homophile prout-prout) rejoignent le MLF et invitent leurs copains pédés à certaines réunions.
L’acte fondateur généralement retenu est la perturbation de l’émission de radio de Ménie Grégoire consacrée à l’homosexualité le 10 mars 1971. C’est à la suite de cette action menée à l’initiative du MLF que se constitue le FHAR. L’alliance entre femmes et homosexuels contre cette France phallocrate, réac et poussiéreuse est alors une évidence.
En avril c’est un dossier publié dans le journal Tout (numéro interdit) qui détourne le manifeste féministe : « Nous sommes plus de 343 salopes, nous nous sommes fait enculer par des Arabes et nous en sommes fiers ». Le 1er mai, derrière le cortège du MLF, ils sont une cinquantaine d’homosexuels à manifester dans Paris avec pour banderoles : « A bas la dictature des normaux ! », « Mâle, femelle, ras le bol ! ». Les Comité d’Action Lycéens les suivant, un des slogans est « Les lycéens sont mignons ! ».
La même année ils publient chez Champ Libre le pamphlet mythique Rapport contre la normalité.
Le mode de fonctionnement du FHAR est copié sur le MLF : des AG informelles aux Beaux-Arts pour seule structure. Mais cela « donne de fait le pouvoir aux stars. L’enthousiasme chaleureux du début laisse bientôt place à l’agressivité, qui devient un mode de fonctionnement » (Girard). D’une trentaine au début (surtout des femmes) le nombre de participants pourra atteindre à un moment jusqu’à 600 personnes (surtout des hommes). Il faut dire que le lieu est réputé pour la drague et les partouzes.
Outrances, provocations sont au programme des actions, comme lors des obsèques de Pierre Overney en 1972 (c’est peut-être la cause du départ du trotskiste libertaire Daniel Guérin).
Théoriquement, le FHAR est embourbé entre l’affirmation et la critique d’une identité homosexuelle.
Sociologiquement il regroupe majoritairement des étudiants, enseignants et intellectuels ; la plupart de militants sont issus de groupes d’extrême gauche trotskistes ou maoïstes.
1972 est une année charnière pour un jeune FHAR déjà en crise, « comme les autres groupuscules gauchistes » avouera le plus beau de ses chefs, Guy Hocquenghem. Et d’ajouter : « On nous a emprisonnés dans le jeu de la honte que nous avons transformé en jeu de la fierté. Ce n’est jamais que dorer les barreaux de notre cage. Nous ne sommes pas des homosexuels libres et fiers de l’être ».
Fin mai, fatiguées par la misogynie des mecs, des lesbiennes constituent les Gouines rouges et s’éloignent progressivement du FHAR.
En juin, le groupe 5 du FHAR publie le premier numéro de son journal, Le Fléau social (contre la famille, les organisations politiques « dans la fosse à purin ») ; fortement influencé par les situationnistes (sans qu’on puisse le résumer à cela). On y trouve les signatures de Françoise d’Eaubonne, Pierre Hahn et Alain Fleig. C’est ce dernier qui en sera le principal animateur. Il y dénonce en particulier le ghetto commercial homo (pas encore gay) qui commence à se mettre en place et qui, pour lui, n’est que « la soumission de la libido à la loi de la valeur ».
Mais le Fléau c’est aussi la critique radicale du gauchisme et du militantisme. En désaccord, une partie du groupe 5 rejoint le 11 et commence la publication de L’Antinorm, journal qui va se rapprocher des trotskistes de la LCR. Par rapport à l’extrême gauche, le FHAR laisse donc « échapper deux courants, l’un de haine et l’autre de soumission, respectivement Le Fléau social et L’Antinorm » (Girard).
A partir du n° 3, Le Fléau prend des distances critiques vis-à-vis du FHAR et du MLF ; il cesse progressivement de parler d’homosexualité.
La fin de l’histoire arrive vite, dès 1974. C’est le dernier numéro du Fléau. En février la police investit les Beaux-Arts depuis longtemps désertés.
Difficile de remplir le vide laissé par une météorite en furie. S’y essayent les groupes de libération homosexuels, GLH, au départ créés par des anciens d’Arcadie et des jeunes du FHAR. Les GLH connaissent de nombreuses scissions mais se multiplient en province. Le style est tout autre : abandon de toute prétention révolutionnaire, revendications spécifiques raisonnables (contre les discriminations), volonté de s’adresser à tous les homosexuels, stratégie assumée de contre-culture communautariste, recherche de reconnaissance. Les GLH ont apporté une idée neuve et fondamentale : « le militantisme politique homosexuel transcende l’appartenance à une classe sociale, à une idéologie ou un parti » (Girard)
Ayant pour but de déstabiliser la société et d’abolir la normalité sexuelle, le FHAR reste coincé entre l’apologie du sujet homosexuel et sa critique : après avoir reconstitué le ghetto qu’il dénonçait, il n’aboutit qu’à une normalité homosexuelle.
C. M. (pour Blast & Meor)
Sur le FHAR et Le Fléau social :
Jacques Girard, Le Mouvement homosexuel en France, 1945-1980, Syros, 1981 (à lire absolument !).
FHAR, Rapport contre la normalité, Champ libre, 1971 (réédité par Gaykitschcamp en 2013).
Alain Fleig, Lutte de con et piège à classe, Stock, 1977.
Frédéric Martel, Le Rose et le noir. Les homosexuels en France depuis 1968, Seuil, 2008.
Massimo Prearo, Le Moment politique de l’homosexualité. Mouvements, identités et communautés en France, Presses universitaires de Lyon, 2014.
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