Autogestion piège à cons?

lundi, 26 février 2007

Submitted by Craftwork on June 15, 2017

Autogestion piége à cons ?
Lors de la réunion publique de Marseille jusqu’à 50 personnes ont discuté du mouvement contre le CPE, des « émeutes de banlieue » ainsi qu’autour de la présentation du reportage sur l’entreprise récupérée « Chilavert » en Argentine
La discussion sur le mouvement contre le CPE et les « émeutes de banlieues » a eu du mal a démarrer et une participante a attribué cette difficulté à un phénomène de « zapping » très répandu actuellement qui fait disparaître les événements de la conscience aussitôt que finis.
On avait relevé sur le moment cette disparition immédiate « comme on éteint la lumière » (cf. sur ce site : « Un mouvement vainqueur sans victoire ») mais elle a été contestée par un copain de Paris qui s’est très investi dans le mouvement (AG en lutte entre autres) en évoquant des suites dans les lycées de banlieue, suites qui on été occultées par la presse.
Cette apparente évanescence des luttes a donné lieu à une discussion qui s’est focalisée sur la disparition de la mémoire des luttes de classe, et sur la nécessité ou pas d’avoir cette mémoire et (C‘est du moins la conséquence que je tire) la nécessité d’avoir une analyse de ce qu’est l’exploitation capitaliste pour lutter contre elle. Il semble que ces conceptions sont la marque d’une grande difficulté parmi nous, à intégrer complètement la fin du mouvement ouvrier et du programme d’affirmation du travail, tant comme pratique que comme corpus théorique. Les disparitions du « socialisme réel » et du stalinisme, ont été reçues positivement par tous ceux qui sont dans la sphère des idées issues de l’anarchisme et de l’ultra-gauche, mais la disparition par la même occasion de la totalité des courants du mouvement ouvrier et de la connaissance de leurs corpus théoriques n’arrivent pas à être vraiment intégrées. L’impossibilité de la reconstitution d’un mouvement ouvrier et/ou révolutionnaire qui serait débarrassé de son histoire sociale-démocrate et stalinienne est encore moins intégrable pour beaucoup d’entre nous.
Cette question de la connaissance (la notion de conscience n’a pas été évoquée mais planait évidemment) des luttes du passé, et de l’impossibilité pour les ex-soixante-huitards de transmettre leurs expériences, a glissé vers un éducationnisme ce qui confirme cette difficulté à acter la fin définitive du mouvement ouvrier.
Le paradoxe de ces discussions c’est que les raisons de la projection du film du Chilavert ont été assez mal comprises, puisque plusieurs participants ont dit que ce document aurait pu être présenté par des gauchistes faisant l’apologie de l’autogestion. Cette critique implique une vision normative de la révolution s’énonçant ainsi :
« Puisqu’il est établi entre nous que la révolution ne saurait être la gestion des entreprises par les travailleurs quel intérêt y aurait-il à en connaître le détail et à entendre ces travailleurs se féliciter de travailler ‘à leur compte’ ? ».
Cette critique est en effet paradoxale. On veut des luttes « radicales » qui dépassent le capital ou au moins qui l’affrontent sans concession, sans le prendre en charge, mais par ailleurs on voudrait un mouvement dont les participants connaissent l’histoire du mouvement ouvrier et l’analyse théorique de l’exploitation, c’est à dire qu’on veut des militants ouvriers qui ne pourraient qu’affirmer le travail. C’est toute la question du mouvement de communisation comme dépassement du capital et des classes qui est posée là, la question des luttes de classe commençant dans l’auto-organisastion pour la dépasser au travers d’antagonismes aigus.
Les luttes de classes de ce cycle portent la révolution comme communisation, abolition de toutes les classes, mais elles la portent telles quelles sont, comme luttes de classe et c’est cela même qui est leur limite. Si les prolétaires s’emparent des entreprises ce n’est pas « pour faire le communisme » mais pour défendre leur reproduction immédiate. Les projets de réorganisation de la société sur la base du travail (Le socialisme) ont été très vagues en Argentine même si les termes de « pouvoir ouvrier » ont circulé. Aucune possibilité réelle de révolution programmatique n’existe plus (depuis très longtemps) il faut donc appréhender ces prises en mains d’entreprises dans leur dynamique qui peut amener à leur dépassement. Il nous faut savoir que ce dépassement aura comme sa médiation l’entrée en crise de l’économie, comme rapport capitaliste d’exploitation dans sa reproduction. En Argentine il y avait crise profonde de l’économie mais c’était en Argentine et pas ailleurs ! La révolution ne peut être que mondiale, dans et contre une crise mondiale du capital en aggravation permanente. Nos références de luttes de classe récentes « les mouvements sociaux » ou même plus anciennes ne sont pas à l’échelle de la dimension de la communisation.
Cette réunion a fait se déplacer beaucoup de personnes, relativement à notre audience, Meeting doit commencer à être un peu connu, et semble poser une perspective qui correspond aux questions qui se posent dans le courant qui s’oppose à la démocratie radicale. Il est normal que face à tout ce qui peut être rattaché à celle-ci ou à l’ex-socialisme, nous ayons d’abord une attitude critique négative - que j’appelle normative- mais il nous faut intégrer que la communisation est un dépassement, qu’elle devra s’opposer à ses propres formes initiales, même si déjà dans les formes actuelles on peut saisir les lignes de brisures à venir.

Il ne nous a pas été possible, au moment de la projection du film, de faire connaître la façon dont on peut voir la dynamique dans laquelle cette récupération se trouvait. En voici des éléments importants :

Citation : « En Argentine, le problème est que nous n’avons pas de politiques en direction des E.r (...) Nous n’avons fait qu’arracher des expropriations (souligné par moi), mais il n’y a pas de politique claire, sinon nous serions 200 000 employés des E.r au lieu de 14 000 que nous sommes. » (Murua).
La lutte, de par son contenu même, devient système par la stabilisation de son résultat qui se détache en résultat particulier du processus général qui l’a produit et dans lequel sa particularité était objectivement contestée. « A Chilavert, quand des gars viennent nous voir pour former une coopérative et produire, je leur demande s’ils ont occupé et résisté, s’ils ne l’ont pas fait, je me dis que ces gars veulent juste être des patrons. » (Un ouvrier de Chilavert). « Nous nous constituons en coopératives mais nous ne sommes pas des coopérateurs » disaient les travailleurs.
Le processus de récupération des entreprises outrepasse le cadre de l’entreprise et peut contenir la remise en cause de celui-ci, tout comme il se fige dans un résultat qui contredit la dynamique qui l’a produit, ainsi, à l’intérieur de l’auto-organisation, la mise en avant de la subjectivité et de l’interindividualité (inséparable de la production, le contenu et le but principal de celle-ci est, momentanément, les rapports eux-mêmes entre les personnes) s’opposent au cadre même de l’auto-organisation qui la définit et lui impose ses règles parce que ce sont, en fait, les siennes propres.
Le processus de récupération inclut que l’usine récupérée n’est pas seule, qu’elle est dans un tout. Production, distribution posent des problèmes qui ne peuvent se régler dans les catégories qui définissent strictement la condition prolétarienne et sa reproduction sans être le renversement de la lutte qui avait mené à la récupération.
La généralisation est à la fois leur mouvement nécessaire et pose leur existence de sphères particulières comme la limite et la possibilité du conflit entre elles. « Aller plus loin », à partir de la situation que l’autogestion de ces sphères pose, c’est rompre le cadre de l’entreprise, de l’échange, du travail et du chômage, et cela est une possibilité dans le processus de récupération. Un dépassement de ce qui est auto-organisable, c’est-à-dire la situation antérieure. Soit il y a généralisation mais alors il y a abolition de cela même qui est auto-organisable, soit il y a auto-organisation, mais alors la généralisation est un rêve. L’auto-organisation, non dépassée devient un enfermement.
« L’auto-organisation est le premier acte de la révolution, la suite s’effectue contre elle », c’est exact, mais l’auto-organisation peut également être le retour à la normale d’une lutte pouvant contenir son dépassement
Tempus Fugit

Commentaires :


  • Autogestion piège à cons ?, , 3 mars 2007

    salut

    je profite de cette chronique pour signaler que je ne verserai aucune rançon au fils ou à la fille de pute qui lors de cette soirée m’a subtilisé les deux grandes boites plastique frigo (il / elle a oublié un couvercle) dans laquelle j’avais apporté de succulentes boulettes de viande.

    Roland Simon.


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