mardi, 13 mars 2007
Après lecture, je pense que la déclaration des membres du groupe Personne N’est Illégale-Mtl (voir annexe à la fin de l’article) est le meilleur exemple de ce que peut proposer le démocratisme radical. En fait, se retrouve concentré dans cette déclaration citoyenne l’actualisation militante du discours social-démocrate sur les vertus de la justice et de la démocratie bourgeoise… la monté en puissance de la classe ouvrière en moins. Fidèle aux bons vieux principes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité des peuples, ces démocrates radicaux se portent activement à la défense des droits des opprimées… « articulés dans le paradigme traditionnel des « droits humains » » comme ils le disent eux-mêmes… contre toutes les oppressions existantes qui s’empiles comme des assiettes. De l’humanisme en veux-tu en voilà ! Et c’est peu dire que dans ce fouillis politique de droits à défendre, résultat de la division sociale du travail, il n’est pas étonnant de voir s’effacer la luttes de classes et ses contradictions… c’est là tout la bonne vieille sollicitude professionnelle du veilleur de grains idéologiques si honorable à la petite-bourgeoisie contestataire et combien perfide pour le reste de l’humanité.
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À propos des femmes… racialisées
Le terme « racialisées » en est un que j’ai déjà lu ailleurs pour parler des récentes émeutes dans les banlieues françaises : jeunes prolétaires racialisés … ce dernier est toutefois beaucoup plus explicite sur le caractère de classes qui fonde cette structuration étatique de la division sociale du travail et des cloisonnements raciaux… ici, les femmes racialisées en sont l’expression matérielle. De plus, ce terme apporte des nuances qui sont d’ordre actuel : (1) l’état fait présentement face aux contradictions interculturelles et aux conflits ethniques que provoque la globalisation de l’économie, contradictions souvent orchestrées par la classe capitaliste elle-même au travers « l’État et ses structures… » ; (2) la fluidité des capitaux est devenue une menace tranquille pour les frontières, ce qui oblige à redéfinir les statuts de citoyenneté et les lois sécuritaires… ; (3) sans oublier les bouleversements sur le marché du travail : mondialisation de la circulation de la main-d’œuvre et de la valeur salariale attribuée au prolétariat. Bref, la racialisation par l’état est un fait social et historique avec lequel le prolétariat international doit composer au travers ses luttes et sur ce point, le mouvement No One Is Illegal est très d’actualité.
Par contre, le terme « femmes racialisées » est utilisé dans cette déclaration pour critiquer l’état dans sa gestion peu démocratique du dossier immigration. En effet, la critique du débat publique autour des « accommodements raisonnables » ne vise pas le cadre social dans lequel se fait ce débat, cadre effectivement « paternaliste et fondamentalement misogyne », mais plutôt celui au niveau du discours… le point de départ de la déclaration est un subjectif outrage « devant l’infamante propagandes xénophobe et raciste. » Autrement dit, cette déclaration s’en prend tout le long de ses phrases au discours et à ses déclinaisons… à un point tel que le discours est lui-même non seulement « raciste et sexiste », « féministe impérialiste », mais également « manipulé et instrumentalisé par la machine de propagande pro-guerre et anti-immigrante. » Ici, de toute évidence, rejeter le « modèle simplistes et réductionnistes » que le gouvernement expose et que les média de masses entretiennent ne dépasse en rien le simple fait de dénoncer « le rôle de l’État et de ses structures. » C’est donc ainsi que le cadre étatique du débat devient par sa contestation le terrain où les négociation peuvent commencer pour le camps adverse : les démocrates radicaux… et leurs victimes d’oppression.
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À propos de la culture
Tout le monde se rappellera de ce slogan situationniste : la culture est la marchandise qui fait vendre les autres. D’autant plus vrai que plusieurs croient encore qu’en sauvant et protégeant ce qui leur semble « authentique » et « propre » culturellement face au monde uniformisé du capitalisme les épargne d’être un simple capital variable sur le tableau des investissements parmi les courbes de profits. La réalité est que défendre « nos propres cultures » contre l’oppression du capital c’est engager une négociation directement avec « l’État et ses structures » pour protéger et sauver cette richesse qui par la même occasion pénètre dans le cycle mondial des capitaux… que cette exploitation culturelle protégée soit équitable et écologique ne change rien à l’affaire.
De plus, la culture, en tant que reflet abstrait de la vie social… de sa misère et de son spectacle… ne peut devenir qu’un enchevêtrement folklorique et consommable des « différentes manifestations de croyances ou d’identités culturelles » sur une planète où la loi du marché règne… chacune cherchant sa puissance économique par ses ressources naturelles ou humaines à exploiter et son autonomie politique par la voie diplomatique ou militaire dans l’arène des Nations Unies. Bref, et c’est ce que ne disent pas les membres qui ont rédigés cette déclaration, réclamer ses droits « à l’expression de nos identités culturelles et religieuses » et ça « tels qu’articulés dans le paradigme traditionnel des « droits humains » » ne peut avoir d’autre objectif que la reconnaissance des cultures et leur autodétermination à l’intérieur d’une démocratie planétaire… l’altermondialisme n’est rien de plus que ce phantasme.
En sommes, défendre « nos propres cultures » c’est à la fois les prendre en charge (protéger et sauvegarder) « au nom de la « différence » » avec tout ce qu’elle comporte de « pratiques oppressives et injustes » et ça malgré toutes les vigilances militantes… et à la fois les intégrer dans une culture plus générale qui a pour fondement la gestion démocratique des contradictions existantes et pour aboutissement la production et la consommation des mêmes marchandises frelatées… en d’autres mots, c’est la globalisation de l’exploitation dans le cadre des revendications particulières de son application selon les traditions de chacun et selon les avantages matériels que peut offrir l’ouverture mondiale des marchés.
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À propos de la démocratie
Le principe moteur de la démocratie est de rendre fonctionnels des rapports sociaux complexes et contradictoires… ceux de deux classes réciproquement antagonistes… médiés par des instituions dont les deux points communs sont la valeur d’échange et le statut identitaire. Dans la réalité, l’état est une multitude d’oppositions à commencer par son propre opposé : la société civil… remplie de cette « diversité et [de ce] caractère dynamique de nos cultures et de nos identités. » Mais ce sont là les catégories du capital… celles qui nous divisent (pour les démocrates radicaux nous oppressent) dans nos luttes en tant que prolétaires… celles qui nous relient au travers « l’État et ses structures » … et celles finalement qui posent la question du droit et de l’oppression.
En démocratie, « l’action de l’État et du système capitaliste » est beaucoup plus profonde que de « rendre le statut des femmes migrantes plus précaire… » En fait, la précarité, la marginalité, l’illégalité, la criminalité sont autant de « discrimination systémique » restructurées par le capitalisme qui accentuent la vulnérabilité des prolétaires de ce monde… de tout age et de tout sexe… devant leur exploitation. Les catégories sociales discriminantes d’où naissent les « luttes de libération » sont la définition même de notre existence comme prolétaires face et à l’intérieure même du capital mondial. C’est pourquoi, ces catégories ne peuvent être libérées de leur oppression intrinsèque, parce que la première détermination de ces catégories est de réduire une grande partie de l’humanité en simple marchandise/force de travail… « en homogénéisant et en fossilisant » les rapports sociaux sous la rubrique de la valeur marchande… et par cette existence au travers les catégories du capital, le prolétaire peut enfin subvenir à ses besoins matériels et culturels… autrement dit : travailler. Voilà la limite de toute « capacité à [s’] auto-déterminer », soit l’impossibilité de faire abstraction du contenu foncièrement capitaliste de ce qui est auto-déterminé. C’est finalement pourquoi ces « luttes de libération » tout en cherchant « leur propre transformation » pour se libérer de l’oppression demeurent confinées dans les sillons revendicatifs de la défense de droits et de la régularisation des conflits par « l’État et ses structures. »
Ainsi, en confrontant par la dénonciation « le rôle de l’État et de ses structures » dans le cadre démocratique qui le légitime, les démocrates radicaux se voient obligés de dialoguer et de compromettre leur « authentique position de solidarité » qui consiste à « écouter les femmes » qu’ils prétendre « soutenir dans leurs luttes » et perdre de vue les « différentes positions de privilège et de pouvoir » que produisent nécessairement les négociations vis-à-vis de l’état… que d’humbles motivations « de solidarité et de respect » soient au cœur de cet engagement « contre la déshumanisation des communauté racialisées et de foi et contre la victimisation des femmes », cela n’empêche aucunement la lutte de se scinder entre « la victimisation des femmes » comme pole négatif et la prise en charge des victimes au travers la reconnaissance de leurs droits avec toute « la complicité du discours féministe » comme pole positif.
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À propos de la religion
Le fondement de toute religion est de réunir des adeptes sous la même abstraction mystificatrice de la réalité… de les rassembler au-delà de leur rapports immédiats dans une communion qui les dépasse… de relier ce qui est diviser en sauvant et protégeant ce qui divise… dans le capitalisme : la valeur abstraite de l’argent relie les individus propriétaires entre eux dans leurs rapports réciproques, mais c’est « l’État et ses structures » qui formalise ce lien au travers la gestion contractuelle des nombreux intérêts contradictoires que provoquent le droit de propriété et l’échange de marchandises… de là, trop facile de caricaturer la démocratie comme une église et ses adeptes les plus radicaux à de véritables sectes en puissance… il n’y a donc aucune surprise lorsqu’il est question, dans la déclaration, d’une « liberté de religion » et d’un droit à exprimer son identité religieuse : c’est là protéger ses sources !
C‘est aussi ça le démocratisme radical : organiser une opposition morale à l’intérieure de la démocratie où peut se pratiquer la défense de droits et la dénonciation des oppressions… ; pour ce faire, concentrer « la diversité et le caractère dynamique [des] cultures et [des] identités, notamment [les] identités sexuelles » dans une revendication « simpliste et réductionniste » pour le droit « à l’expression de nos identités culturelles et religieuse… » ; et finalement, rassembler autour d’une déclaration les adeptes de la cause « femmes racialisées et migrantes » afin d’ouvrir un débat social qui leur échappe de toute évidence… pour ensuite communier dans la célébration « l’authentique position de solidarité » qu’ils sont incapable de créer. Pour tout dire, le démocratisme radicale est un excellent « accommodement raisonnable » avec le capitalisme… sans plus !
Amer Simpson
ANNEXE
(Voici la déclaration de Personne n’est Illégal tel que reçu pas un camarade… il se peut donc que la disposition des phrases ainsi que le contenu intégral fasse défaut. Toutefois, aucune phrase ne fut modifiée dans l’intention de porter préjudice de façon malhonnête.)
Des membres de Personne N’est Illégal-Montréal ont tenu á réagir au « débat » xénophobe remuant le Québec au sujet des « accommodements raisonnables » en rédigeant la déclaration suivante.
Si vous êtes un groupe ou individu qui désirez signer cette déclaration, contactez-nous ! Si vous désirez vous joindre à des actions visant à confronter et dénoncer le racisme et la xénophobie tapissant ce débat, contactez-nous ! – [email protected] ou 514-848-7583.
Déclaration en réponse au débat sur les « accommodements raisonnables »
5 février 2007
En tant que femmes racialisées et migrantes, nous sommes outrées devant l’infâmante propagande xénophobe et raciste articulée dans le cadre du débat autour des accommodements raisonnables.
En tant qu’actrices à part entières, affirmant notre capacité à nous auto-déterminer, nous rejetons le discours paternaliste et fondamentalement misogyne répétant la nécessité que les structures de l’État nous protègent et nous sauvent de nos propres cultures. Par ailleurs, on en appelle toujours dans leurs autres revendications à la protection et le sauvetage de l’état contre l’impérialisme américain pour la paix, pour le respect de l’état de droit pour les immigrants etc.
Nous affirmons qu’un tel discours est à la fois raciste et sexiste : raciste, car il perpétue la notion que nos cultures sont foncièrement rétrogrades et barbares, en contraste avec la culture blanche et occidentale, envisagée comme forme ultime de civilisation et de progrès ; et sexiste, car provenant d’une perspective qui tend à infantiliser les femmes, ou celles-ci sont perçues comme de simples victimes incapables d’oeuvrer à leur propre bien-être
Cette notion de « civilisation » est intrinsèquement liée à la rhétorique coloniale qui a mené au génocide des populations autochtones des Amériques, un génocide qui perdure jusqu’à ce jour, alors que la disparition de plus de cinq cent femmes autochtones au Canada continue d’être traité avec mépris et indifférence, réduit á un simple fait divers.
Nous rejetons le modèle simpliste et réductionniste de conception des « droits » des femmes véhiculé dans les médias de masse. Alors que nous réclamons activement nos « droits » à la liberté, à la sécurité, à la dignité tels qu’articulés dans le paradigme traditionnel des « droits humains », nous réclamons tout autant nos « droits » à l’expression de nos identités culturelles et religieuses.
Nous célébrons la diversité et le caractère dynamique de nos cultures et de nos identités, notamment nos identités sexuelles – en tant que femmes, et en tant que lesbiennes, bisexuelles, transexuelles ou toute autre forme d’auto-identification - et refusons la caricature simpliste et schématique réduisant nos multiples communautés à des représentations uniques, homogènes et incontestées d’une tradition monolithique.
À cet égard, nous réaffirmons le caractère dynamique des différentes manifestations de croyances ou d’identités culturelles alors qu’elles se recoupent avec un contexte politique et social extérieur plus large.
En particulier, nous insistons que l’analyse de l’oppression des femmes et de l’inégalité des sexes telle qu’exprimée dans les médias de masses, c’est-à-dire comme phénomène strictement interne aux religions ignore explicitement les systèmes extérieurs universels de patriarcat et de sexisme auxquels toutes les femmes font face, tout en homogénéisant et en fossilisant les religions de manière définitive.
Nous dénonçons le rôle de l’État et de ses structures dans la marginalisation des femmes racialisées et migrantes, qu’elles soient de foi ou non.
L’action de l’État et du système capitaliste contribuent à rendre le statut des femmes migrantes plus précaire en multipliant les barrières à l’obtention d’un statut légal, en cautionnant les différentes formes de discrimination systémique et en décuplant la criminalisation des femmes, accentuent leur vulnérabilité.
Nous dénonçons également la complicité du discours féministe impérialiste qui, sous couvert de solidarité, impose des conceptions eurocentristes et assimilationnistes d’égalité des sexes. Nous sommes critiques du paradigme féministe dominant qui place les choix des femmes occidentales comme l’unique et ultime chemin vers la libération des femmes, malgré l’accablante réalité que les femmes en Occident font face à un sexisme quotidien.
Nous sommes conscientes de la manière dont ce discours a été, et continue d’être manipulé et instrumentalisé par la machine de propagande pro-guerre et anti-immigrante.
Nous reconnaissons la continuité historique de l’appropriation et de la manipulation du discours féministe par les mouvements colonialistes et impérialistes à travers le monde.
Toutefois, nous ne sommes pas partisanes du relativisme culturel qui tend à justifier des pratiques oppressives et injustes au nom de la « différence » et restons vigilantes afin que la liberté de religions ne nous empêche pas de lutter activement contre l’oppression.
Afin d’adopter une authentique position de solidarité, nous devons écouter les femmes que nous prétendons soutenir dans leurs luttes et comprendre que nous occupons différentes positions de privilège et de pouvoir.
Pour ce faire, nous devons activement lutter contre la déshumanisation des communautés racialisées et de foi et contre la victimisation des femmes. Nous devons soutenir les femmes qui sont à l’avant plan de leurs propres luttes de libération et les actrices de leur propre transformation. Nous devons nous engager dans ce processus non pas motivées par la pitié ou la charité, mais animées d’un véritable sens de solidarité et de respect.
— Personne N’est Illégal-Montréal
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