Corde, mensonges et vidéo

samedi, 13 janvier 2007

Submitted by Craftwork on June 15, 2017

L’exécution de Saddam Hussein a vu une immense clameur de scandale monter de toutes les poitrines. Tous les gouvernements démocratiques et tous les média occidentaux (de gauche en premier) ont dénoncé « l’indignité » de la pendaison, ce n’était que condamnations morales et /ou analyses subtiles expliquant que cette mise à mort publique (La vidéo « pirate » ou pas - plutôt pas - a joué le rôle de la Place de Grève) ne pouvait, paraît-il, qu’aggraver la situation de guerre civile rampante en Irak et nourrir le terrorisme. Ce chœur des vierges et des fins politiques fait consciemment l’impasse sur l’essentiel : « Le cadavre de mon ennemi sent toujours bon ». Il est évident qu’en Irak l’exécution publique et sous les injures du tyran sanguinaire était absolument nécessaire et utile. L’invasion de l’Irak ne peut encore se justifier auprès des victimes du régime déchu que par le droit de vengeance. l’Etat mis en place par l’envahisseur devait impérativement, pour exister, mettre en œuvre son « monopole de la violence légitime » (M. Weber) .

Le démembrement de l’Irak en trois zones ethniques quasi-indépendantes nécessitait aussi cette exécution pour ancrer l’idée que l’Etat baathiste était un Etat sunnite. Bush déclare que justice est faite (pas très correctement mais...) et organise le renforcement du corps expéditionnaire pour « sécuriser » Bagdad c’est-à-dire pour créer le district fédéral forcément impliqué par la partition de l’Irak et pour remettre plus ou moins en état l’extraction et l’exportation du pétrole.

La situation en Irak est décrite par tout le monde comme totalement chaotique. Pourtant, si l’on regarde d’à peine un peu plus près, on voit qu’au sommet une coalition de façade est maintenue vaille que vaille pour prolonger un temps la fiction d’un Irak uni, mais qu’à la base la partition du pays est bien entamée, le pouvoir est entre les mains des milices politico-ethniques des trois communautés, l’armée et la police étant également loties entre elles, et globalement le nord et le sud sont plutôt stabilisés - ce qui n’empêche pas des affrontements inter-chiites pour le contrôle de leur zone. Le nettoyage ethnique, systématiquement provoqué par des massacres et des assassinats ciblés, est déjà bien avancé avec des exodes croisés. L’Etat rentier mais nationaliste unitaire et développementiste baathiste liquidé, laissera la place à trois para-Etats ethno-religieux adversaires dans lesquels le pétrole sera exploité de façon purement commerciale (comme les actuels détournements à grande échelle le mettent en place).

Les USA et l’Iran sont fondamentalement d’accord sur la réorganisation de l’Irak en dépit (ou à l’abri ?) des imprécations contre la nucléarisation de l’Iran d’un côté et les appels à la destruction d’Israël et la négation du génocide des juifs de l’autre côté.

Le problème le plus délicat pour réaliser la partition est la crainte de la Turquie d’avoir à sa frontière un pouvoir Kurde pouvant soutenir la guérilla au sud-est du pays, mais les intérêts bien compris des partis kurdes irakiens (UPK et PDKI) devraient limiter les risques d’intervention turque, d’autant qu’un contingent turc est déjà installé préventivement, apparemment avec l’accord des kurdes irakiens.

Le mouvement de constitution de moyens ou petits, voire très petits, Etats en Europe d’abord, puis maintenant au Proche-orient après l’effondrement du socialisme et la fin d’un tiers-monde globalement identifiable, c’est la manière dont se réalise la mondialisation dans une mise en abîme des divers niveaux d’articulations au cycle mondial du capital restructuré. Est-ce à dire que l’on se dirige vers une pacification générale de la région ? Certainement pas, mais à l’heure actuelle il n’est nulle part question d’autre paix que des gestions en temps réel de conflits de basse intensité. (Les métropoles du capital, n’ayant pour le moment que de très limitées « émeutes de banlieues », sont épargnées). Ces conflits n’empêchent ni ne gênent sérieusement le fonctionnement d’une économie capitaliste maintenant très prospère. Non seulement le pullulement de micro-Etats locaux n’entrave pas le cycle du capital mais, bien plus, ils en sont les relais. Il faut aussi qu’ils soient intégrés dans la « guerre contre le terrorisme » et l’exécution de Saddam Hussein (paradoxalement à première vue) y contribue en renforçant l’antagonisme Sunnites - Chiites.

Le nouvel ordre mondial que la propagande d’Etat américaine annonçait à la chute du socialisme s’est installé. Il n’est pas le paradis libéral et démocratique que l’on chantait, ni la fin de l’histoire, ni non plus la guerre des civilisations, il est une lutte de classe mondiale intriquée inextricablement dans des luttes nationales.

C’est au travers de cet ordre mondial que le capitalisme se dirige résolument vers la crise de ce cycle de luttes du prolétariat, d’exploitation et d’accumulation du capital face à lui.

Si l’exécution de Saddam Hussein ne nous scandalise pas, elle est la vengeance des victimes, elle nous fait horreur car comme justice des vainqueurs - et il n’y en aura jamais d’autre - elle nous montre comment les Etats se constituent dans la mise à mort de leurs ennemis, et nous en sommes.

Tempus Fugit

Commentaires :


  • Corde, mensonges et vidéo., , 13 janvier 2007

    Voici quelques réflexions

    vite fait :

    . Un point de détail d’abord. Que signifie « 

    développementiste » ?

    . Un autre point un peu moins de détail. L’expression

    « nous fait horreur » en parlant de l’exécution de

    Saddam Hussein est-elle vraiment adéquate. Je

    comprends bien ce qui veut être dit mais quand même.

    Saddam Hussein était l’un de nos plus grands ennemis

    et si « le cadavre de mon ennemi sent toujours bon »,

    cette vérité ne s’applique pas qu’à l’Etat irakien mis

    en place par l’invasion américaine. C’est la mise en

    scène de cette exécution qui nous répugne car elle

    avait des objectifs bien autres que de simplement

    éliminer un criminel notoire.

    . Sur la globalité de l’analyse du texte ensuite. Le

    texte donne l’impression que la partition de l’Irak a

    été voulue comme meilleure solution pour l’extraction

    du pétrole dès avant l’invasion de 2003. Je pense

    plutôt que, si cette solution prévaut, elle s’imposera

    comme un pis-aller. Le maintien d’un Etat uni sous la

    houlette des USA aurait été bien préférable pour la

    poursuite des objectifs capitalistes américains.

    L’éclatement des tensions contenues en Irak n’avait

    pas été prévu par les décideurs américains. Il est

    favorisé par l’écrasement du prolétariat depuis 1991

    et est issu de la volonté des satrapes du capital en

    Irak et en Iran (et entériné par les USA car ils sont

    incapables de faire triompher une autre solution) pour

    éviter le retour du prolétariat sur le devant de la

    scène historique. A ce sujet, je pense que l’absence

    totale de rappel de la révolte prolétarienne des

    années 80 et 90 manque dans une explication des

    événements actuels. Au même titre que pour les

    révoltes de banlieues des « métropoles du capital »,

    les conflits qui déchirent aujourd’hui l’Irak

    expriment une des formes de l’affrontement des classes

    (attention je n’ai pas dit qu’on y discernait

    directement l’expression de l’activité prolétarienne).

    Il aurait été intéressant de mettre en valeur dans

    l’actuelle guerre civile en Irak la place qu’y occupe

    la contradiction capital/prolétariat.


    • Corde, mensonges et vidéo., , 14 janvier 2007

      Tout d’abord sur "développementiste" ça désigne les politiques de développement du capital sur une base auto-centrée de constitution d’un capital national, et dans le triers-monde d’avant la restructutration ça s’appelait "socialisme" et au besoin "socialisme arabe".

      La partition de l’Irak aurait-elle était prévue avant même l’invasion ? Je n’en sais rien et je ne l’ai pas écrit mais puisque tu en parles, on peut remarquer que le kurdistan était de fait indépendant avant l’attaque ey que le sud étan déclaré zone d’exclusion aèrienne était déjà bien délimité par les USA/ONU. Dire que c’est pour "éviter le retour du prolétariat sur la scène"(formule je trouve bizarrement "radaicale") me parît ne pas tenir compte des médiations réelles les prolétaires sont totaleùent partie prenanate des luttes qu’on déclare etniques ce ne peut être compris comme du détournement.


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