Devenirs communistes

vendredi, 7 juillet 2006

Submitted by Craftwork on June 15, 2017

Appel des jeunes des cités rennaises en faveur d’une alliance avec les intellectuels révolutionnaires communistes.

Devenirs communistes.

Affirmer la rupture.

Oui, l’heure nouvelle est au moins très sévère. Affirmer radicalement que nous ne nous reconnaissons pas, avec une société dont les valeurs, les vérités, l’idéal, les privilèges nous sont étrangers, n’ayant donc à faire qu’à un ennemi d’autant plus redoutable qu’il est complaisant, avec lequel il doit être entendu que, sous aucune forme, même pour des raisons tactiques, nous ne pactiserons jamais.

Comité d’action étudiants-écrivains, 1968.

Voilà maintenant la dixième semaine de grève que nous commençons contre le CPE, le CNE, l’ensemble de la loi dite d’égalité des chances et le projet de contrat unique. Depuis une dizaine de jours, différentes instances, le gouvernement avec la complicité de certains partis et syndicats, cherche à nous détourner de la voie que nous avons choisie, la plus cohérente — grève illimitée jusqu’à satisfaction de l’ensemble des revendications — avec un aménagement, voire une promesse d’abrogation du seul CPE. S’il est bien vrai que ce mouvement est le premier depuis 1994 à avoir fait reculer — même d’un pas un gouvernement, alors l’erreur à ne pas commettre serait de reculer à notre tour, laissant ainsi à notre ennemi le loisir de reconstituer ses forces, d’élaborer la contre-offensive, et aux médias le soin d’occulter à nouveau les questions politiques aujourd’hui incontournables ( le caractère insupportable des politiques libérales, la nécessaire sortie du productivisme, l’épuisement définitif de la démocratie représentative...) en leur substituant les jongleries électoralistes des politiciens. Les gouvernements successifs le savent bien : vaincre un mouvement, c’est d’abord obtenir son arrêt, quoi qu’il en coûte.

La politique, la démocratie ne sont pas ailleurs que dans les luttes ; quand celles-ci s’arrêtent, c’est le retour à la tranquille gestion politicienne d’une économie dont on s’accordera à dire que la logique prédatrice — se soumettre l’ensemble des activités et des formes du vivant — a été clairement désigné par ce mouvement comme ce qu’il fallait abattre. Nous l’avons combattue, nous la combattons par le blocage des rocades et des centres commerciaux, par l’occupation et le déménagement symbolique des institutions qui participent de cette logique, par l’interruption du fonctionnement normal de l’université et de l’entreprise Rennes Métropole dans son ensemble. Nous la combattons également en instaurant, avec les grévistes qui refusent l’idée de négocier avec le gouvernement, une communauté de vie et de lutte où s’expérimente, à Villejean et place du parlement, une mise en commun offensive des idées, affects et moyens matériels, une réappropriation de nos forces habituellement amoindries par le cours normal du sympathique désastre capitaliste-libéral. Attaquer l’ennemi, partager une vie collective sont les deux face d’un même désir, de la même urgence éprouvée d’un communisme non programmatique mais directement vécu contre toutes les bureaucraties, d’une même exigence de rendre chaque chose, d’abord parmi nous, à l’usage commun. D’abolir les rapports d’exploitation en faisant du mouvement une nouvelle conspiration des égaux.
Aujourd’hui, ce qui fonde implicitement la communauté gréviste, c’est une évidence sensible : la logique susceptible de battre en brèche la logique capitaliste n’a pas d’autre origine, ne se nourrit pas d’autre chose que ce communisme-là. La communauté de lutte est protéiforme : elle s’est enracinée dans les amphis réappropriés du hall B, elle s’est esquissée, prometteuse, aussi bien dans le front commun qui s’est constitué dans entre certains étudiants, lycéens et jeunes des quartiers que dans le blocage du centre de tri postal de Saint Jacques où nous avons fait face avec les ouvriers à l’intervention du GIPN. Il n’est pas permis à ce communisme de subsister sans s’élargir : dès le début notre mouvement a affirmé son caractère offensif, en refusant de se contenter des défilés traditionnels Mairie-Mairie et des journées de mobilisation ponctuelles. Continuer l’offensive, aujourd’hui, c’est pour nous, renouer durablement avec la révolte de Novembre dernier et la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier — deux expressions d’une irréductibilité éthique à la prédation culturelle opérée par le capitalisme.

Novembre

Les révoltés de novembre se sont soulevés contre la banlieue, c’est-à-dire la logique de concentration et de relégation des pauvres en marge des centres urbains ; ils l’ont fait depuis leur position de banlieusards : ainsi n’aspiraient-ils pas à intégrer les lieux du pouvoir et de la richesse mais à détruire la séparation entre ces lieux et la banlieue, et la ségrégation qu’elle entraîne. Les étudiants sont aussi, dans leurs campus au décor stalinien, avec leur faibles revenus, tenus en marge des instances de décision : c’est pourquoi nous avons pu nous retrouver, dans les rues, à combattre le même ennemi. C’est maintenant notre ghetto commun, villejean, ses barres et tours, ses cités U, sa fac, que nous devons reconquérir ensemble, à partir de notre position de force dans ce quartier, contre les émissaires du pouvoir, banquiers, propriétaires immobiliers, policiers, administrateurs, patrons et managers. Il s’agit de faire des quartiers populaires le terrain d’une lutte explicite entre communisme et capitalisme : imposer des baisse de prix et de loyers, s’approprier des logements vides, rendre à un usage commun des lieux et des moyens matériels, instaurer en place des administrations les délibérations et décisions d’assemblées générales, constituer des maisons du peuple où se dégager ensemble des contraintes du salariat, du cadre juridique de l’Etat, de l’éthique libérale. Repenser les conditions d’un travail commun contre le productivisme et le moralisme travailliste : réfuter la centralité du travail comme valeur suprême.

Les luttes ouvrières

La pression salariale et la régression patronal d’un côté, l’inanité des appels abstraits à la « grève générale reconductible » de l’autre, doivent nous confirmer dans la voie inaugurée avec le blocage du centre de tri postal par les ouvrier du site et le comité de lutte rennais : rejoindre les salariés désireux de s’unir au mouvement en bloquant leur entreprise, et décider avec eux des modalités de la lutte commune : grève, reconductible ou non, actions de blocage économique. La réussite de cette opération indique assez qu’en certains points du tissu productif l’antagonisme de classe reste toujours vivace — les administrateurs ont été fort malmenés, et que l’irréductibilité éthique d’un certain monde ouvrier persistant malgré le libéralisme ambiant demeure une composante incontournable de la subjectivation révolutionnaire.
Nous croyons avec ferveur à la compatibilité des expressions politiques issues de ce qui demeure vivant ( de ce qui, précisément, fait monde en dépit de l’appauvrissement existentiel contemporain ) dans le monde étudiant, le monde ouvrier, le monde des cités, expressions politiques (grèves, blocages, occupations, réappropriations, émeutes ) qui se nourrissent du refus du libéralisme, du désir de communisme. Il ne s’agit pas de dénier les différences éthiques entre ces mondes, tout aussi évidentes que leurs convergences et proximités. ces différences qui se figent en rigidités indiquent l’absence d’un monde commun qui soit réellement partagé, et qui n’est rien d’autre que le mouvement révolutionnaire lui-même, se constituant par les luttes, les amitiés et solidarités : le processus de communisation à l’oeuvre dans ce mouvement et qu’il nous faut dorénavant étendre pour dépasser l’alliance ponctuelle.
Ces deux mois de grève ont ouvert la brèche par laquelle un mouvement de contestation — et de réfutation — de la conception capitaliste du monde peut enfin s’affirmer. Notre tâche est maintenant d’élaborer une politique communiste, c’est-à-dire de rendre impossible, impensable, tout retour à la normale, et d’amorcer le processus par lequel nous commençons à vivre en accord avec nos convictions révolutionnaires.

Rennes, le 9 avril 2006

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