De la contradiction entre le prolétariat et le capital à la production du communisme

lundi, 14 mai 2007

Submitted by Craftwork on June 15, 2017

De la contradiction entre le prolétariat et le capital à la production du communisme

ou

de l’identité de l’abolition du capital et de la production du communisme

Le texte qui suit relie entre eux divers fragments dissiminés dans plusieurs numéros de Théorie Communiste, ces fragments parfois réécrits et organisés tentent d’offrir une synthèse sur une question qui traverse et crée des clivages à l’intérieur de la théorie de la révolution comme communisation depuis que l’évidence de la mort du programmatisme l’a rendue incontournable (cf. La question interne au concept de communisation dans les notes Sur Meeting 3).

-# L’exploitation comme contradiction

a) L’exploitation

Le capital est valeur en procès, cela signifie que la contradiction entre le prolétariat et le capital se noue dans le seul rapport qui peut être le leur : l’exploitation.
L’exploitation est la succession de trois moments :
- le face à face de la force de travail et du capital en soi et l’achat-vente de la force de travail,
- l’absorption du travail vivant par le travail objectivé dans le procès de production immédiat où se forme la plus-value,
- la transformation de la plus-value en capital additionnel.

b) Une contrainte théorique de la définition

La définition de cette contradiction doit satisfaire à une contrainte théorique. L’exploitation est simultanément la contradiction dynamique et reproductrice du capital et la contradiction portant le communisme comme sa résolution. En considérant l’exploitation comme le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital, nous devons montrer que ce qui fait du prolétariat une classe du mode de production capitaliste en fait identiquement une classe révolutionnaire.

c) Les déterminations de la contradiction

* Séparation, intérêts opposés, implication réciproque, auto-présupposition, subsomption

Ce qui définit l’exploitation comme contradiction, c’est tout d’abord la séparation : le travail d’un côté comme pure subjectivité ; les conditions du travail de l’autre comme objectivité. Le travail est objectif mais il crée l’objectivité comme son non-être à lui. Nous n’avons là qu’une contradiction dans les termes, c’est-à-dire simplement des intérêts opposés, mais qui, déjà, contiennent leur rapport, leur unité.
La contradiction est unité, implication réciproque entre les termes. Chacun se reproduit lui-même en reproduisant l’autre qui est sa négation. Le capitaliste produit l’ouvrier et l’ouvrier le capitaliste. Une implication réciproque est, pour elle-même, nécessaire, elle s’auto-présuppose. Sans cela elle n’est pas implication réciproque mais rencontre fortuite.
La contradiction est auto-présupposition. Le rapport capitaliste est la division d’éléments d’un procès de production qui en réalité forment un tout mais dont l’autonomie est poussée jusqu’à l’antagonisme et la personnification. Ce procès a pour résultat essentiel la reproduction du rapport entre le capital et le travail.
La contradiction en tant qu’implication réciproque se présupposant elle-même est subsomption du travail sous le capital. La relation entre les éléments de l’implication n’est pas symétrique. Non seulement c’est le capital qui absorbe le travail, qui le consomme, mais encore le résultat tout entier du travail est posé sous forme de capital. La plus-value créée par le travail implique la production de surtravail nouveau et toutes les conditions du renouvellement du procès appartiennent au capitaliste.

* Une contradiction pour elle-même

La contradiction en tant que subsomption est le passage à la détermination suivante de l’exploitation comme contradiction : l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le mouvement. C’est cette détermination de ce qu’est une contradiction que nous allons plus longuement développer.
La contradiction comme non-égalité entre ses termes, c’est-à-dire comme subsomption, est le passage à cette détermination. Pour le prolétariat, la nécessité de sa reproduction est quelque chose qu’il trouve face à lui représentée par le capital, il ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est pourtant un pôle nécessaire. Défini comme classe dans le rapport d’exploitation, le prolétariat n’est jamais confirmé dans son rapport au capital.
Cette détermination s’énonce alors ainsi : défini comme classe par l’exploitation (implication réciproque avec le capital, appartenance à la totalité du capital), le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme valeur autonomisée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant. Cela dans la mesure où, comme capital, cette valeur autonomisée pose toujours le prolétariat comme de trop (augmentation de la composition organique) en tant que travail nécessaire, dans le même moment où elle l’implique en tant que travail vivant pour se conserver et s’accroître. Cette détermiantion c’est la loi de la baisse tendancielle du taux de profit qui n’est rien d’autre qu’une contradiction de classes entre le prolétariat et la classe capitaliste qui comporte l’originalité suivante : le prolétariat est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe.
Pour définir une contradiction, il ne suffit pas de constater une implication réciproque des termes, ni même des intérêts opposés : capital financier et capital productif, aires nationales d’accumulation, petit et grand capital, importateurs et exportateurs, peuvent avoir des intérêts opposés, ils ne représentent pas les pôles d’une contradiction. La contradiction entre le prolétariat et le capital est une contradiction en ce que l’opposition de leurs intérêts est aussi la remise en cause de leur propre existence en tant que définie dans cette opposition d’intérêts.
L’exploitation comme rapport entre le prolétariat et le capital est une contradiction en ce qu’elle est un procès en contradiction avec sa propre reproduction (baisse du taux de profit), totalité dont chaque élément n’existe que dans sa relation à l’autre et se définissant dans cette relation comme contradiction à l’autre et par là à soi même, tel que le rapport le définit (travail productif et accumulation du capital ; surtravail et travail nécessaire ; valorisation et travail immédiat). Le capital est une contradiction en procès, ce qui signifie que le mouvement qu’est l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le contenu et le mouvement. En ce sens, c’est un jeu qui peut amener à l’abolition de sa règle, nous n’avons plus affaire au processus du « capital seulement », mais à la lutte des classes. Elle est, comme contradiction entre le prolétariat et le capital, le procès de la signification historique du mode de production capitaliste ; elle définit l’accumulation du capital comme « contradiction en procès » ; elle définit l’accumulation du capital comme sa nécrologie.
On ne peut en rester là, la contradiction entre les éléments qui est une contradiction à eux-mêmes implique une étape suivante. C’est l’objet comme totalité, le mode de production capitaliste, qui est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses éléments parce que cette contradiction à l’autre est pour chaque élément une contradiction à soi même, dans la mesure où l’autre est son autre.

* Dépassement

Nous arrivons à l’ultime détermination de la contradiction : le dépassement. Son dépassement est son mouvement de par la position et l’activité d’un de ses termes qui, de par la contradiction, pose sa reproduction en contradiction avec elle-même. Le concept d’exploitation définit les classes en présence (prolétariat et classe capitaliste) dans un strict rapport d’implication réciproque sur la base du travail productif et de l’extraction de plus-value. Dans la mesure où la forme de la plus-value est le profit, les classes sont la polarisation sociale et historique de la contradiction qu’est toujours, pour le capital lui-même, sa valorisation comme extraction de plus-value et inversement, pour le prolétariat lui-même, la reproduction de ce qu’il est comme travail productif de plus-value. En tant que polarisation, les classes ne sont pas des listes d’individus, elles ne sont pas une sorte d’ « état-civil », elles sont construites dans leur contradiction. Mais les situations ne sont pas symétriques en ce que le capital reprend en lui-même, dans sa dynamique de contradiction en procès, dans la dynamique de son accumulation, la contradiction à lui-même qu’est sa valorisation comme extraction de plus-value.
Dans cette contradiction qu’est l’exploitation, c’est son aspect non symétrique qui nous donne le dépassement. Quand nous disons que l’exploitation est une contradiction pour elle-même nous définissons la situation et l’activité révolutionnaire du prolétariat. On déduit de la définition de l’exploitation comme contradiction qu’il y a identité entre ce qui fait du prolétariat une classe de ce mode de production et ce qui en fait une classe révolutionnaire. Mais on déduit également que cela ne signifie pas que les prolétaires « sont » révolutionnaires comme le ciel « est » bleu, parce qu’ils « sont » salariés, exploités, ni même la dissolution des conditions existantes. Cela signifie seulement que la reproduction du capital n’occulte pas la contradiction par laquelle ils peuvent devenir révolutionnaires en la dépassant. En s’autotransformant (identité de la transformation de soi et de l’abolition des circonstances), à partir de ce qu’ils sont, ils se constituent eux-mêmes en classe révolutionnaire. Les prolétaires ne trouvent pas dans leur situation envisagée de façon contemplative et passive des attributs révolutionnaires. Le dépassement, se constituer en classe révolutionnaire, est un produit de la contradiction, de la lutte de classe, dans la mesure seulement où le dépassement de la contradiction gît dans le mouvement de la contradiction se retournant contre elle-même. Il en résulte qu’être une classe révolutionnaire n’est pas une réalité objective de la situation du prolétariat, mais la possibilité d’action contre cette réalité, être révolutionnaire n’est pas une essence mais l’action concrète, historiquement située des ouvriers.
Trouver, dans le mouvement du capital comme contradiction en procès, la nécessité de sa reproduction en contradiction avec elle-même, définit conceptuellement la constitution du prolétariat en classe révolutionnaire abolissant ses conditions d’existence. Mais son auto-transformation est le produit de sa propre action à partir de sa contradiction avec le capital devenue, dans ce cycle de luttes, la contradiction avec sa propre existence comme classe. La possibilité pour le prolétariat de devenir le sujet révolutionnaire ne gît pas dans le développement linéaire de caractéristiques qu’il possèderait dans son être de classe du mode de production capitaliste. Au contraire, dans cette situation, ne se trouve que la possibilité d’entrer en guerre contre tout ce qui le définissait antérieurement. Les hommes qui vivent au coeur du conflit du capital comme contradiction en procès et qui n’y trouvent jamais aucune confirmation d’eux-mêmes sont en situation de le détruire en se constituant en communauté révolutionnaire. Ils trouvent alors, dans ce qu’ils sont contre le capital, le contenu de l’abolition du capital comme production du communisme.

d) La contradiction est une histoire

* L’accumulation fait partie de la définition du prolétariat

Définir ainsi la contradiction nous amène à ne pas laisser le cours historique de l’accumulation en dehors ou comme simple réalisation de la contradiction. L’activité du prolétariat ne se définit pas par rapport à l’accumulation qui serait une condition, simplement parce qu’on ne peut définir le prolétariat sans intégrer l’accumulation dans cette définition. Chaque époque historique de l’accumulation du capital n’est pas un ensemble de conditions par rapport à un prolétariat défini de façon statique une fois pour toutes, mais fait partie de la définition même de la classe au travers de l’exploitation. On ne peut même pas dire que le niveau qualitatif et quantitatif de l’accumulation est intégré car l’accumulation ni ne préexiste, ni n’existe d’une façon quelconque en dehors de la définition du prolétariat par l’exploitation. Le prolétariat se définit dans la totalité des moments de l’exploitation donc en tant qu’elle implique son renouvellement et en produit les conditions. L’accumulation n’est pas une condition externe des victoires ou des défaites, une conjoncture. Définir le prolétariat dans les trois moments de l’exploitation, c’est comprendre que le développement du capital n’est pas la réalisation ou la condition de la contradiction de classe qui oppose le prolétariat à la classe capitaliste, c’est son histoire réelle. Cette contradiction ne revêt pas des formes différentes parce qu’elle n’est rien d’autre que ces formes qui sont la dynamique de leur propre transformation.
L’exploitation est l’identité du développement du mode de production capitaliste et de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Le procès historique du capital est lutte de classes, il est désobjectivé. Nous historicisons la contradiction et donc la révolution et le communisme et pas seulement leurs circonstances.

* La révolution et le communisme sont historiques

Le cours de la contradiction, parce qu’elle ne relie pas symétriquement ses pôles, devient l’histoire du mode de production capitaliste. Ce que sont la révolution et le communisme se produit historiquement à travers les cycles des luttes qui scandent le développement de la contradiction qui n’existe que dans cette scansion. Elle définit ses termes non comme des pôles ayant une nature déterminée se modifiant dans l’histoire, agissant par rapport à un mouvement extérieur de l’accumulation posée comme conditions de leur action, mais elle fait du rapport entre les termes et de son mouvement « l’essence » de ses termes. Si je dis : la période de la Commune de Paris et celle de la Révolution russe ou de la Révolution allemande sont toutes les deux « lutte de classes » (contradiction entre le prolétariat et le capital), c’est une évidence ; mais si je dis : cette abstraction, la contradiction entre le prolétariat et le capital, se réalise ou même seulement existe dans ces périodes concrètes, la relation historique entre ces période et, de façon générale, l’histoire de la lutte des classes deviennent mystiques. L’abstraction générale n’est pas une propriété du concret. La production historique de la révolution et du communisme signifie qu’avec la fin du programmatisme, on passe d’une perspective où le prolétariat trouve en lui-même, face au capital, sa capacité à produire le communisme, à une perspective où cette capacité n’est acquise que comme mouvement interne de ce qu’elle abolit. Cette capacité se situe par là-même dans un procès historique, elle définit le dépassement du rapport et non le triomphe d’un de ses termes sous la forme de sa généralisation.
Ce dernier point est théoriquement discriminant, l’échec des cycles de luttes programmatiques, d’affirmation de la classe, doit être considéré comme un échec historique, il ne faut ni jeter le bébé avec l’eau du bain, ni chercher à « refaire la révolution allemande » en plus « radical » (moins la gestion). Ce n’est pas parce qu’il était gestionnaire que le mouvement dont les Gauches ont été l’expression a échoué, c’est parce qu’il ne pouvait que l’être, en ce que le cycle de luttes était celui de l’affirmation du travail.
Le caractère historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital signifie une relation chaque fois spécifique, dans un cycle de luttes, entre les luttes quotidiennes et la révolution. Cela signifie également l’historicité du contenu du communisme. Le communisme est historique et il est en relation avec le cours immédiat de chaque cycle de luttes. Le communisme de 1795 n’est pas celui de 1848, ni de 1871 ou de 1917, et encore moins de 1968 ou maintenant le nôtre. Quand nous disons que la révolution ne peut être que communisation immédiate, cela ne signifie pas que le communisme se présente maintenant, enfin, tel qu’il aurait toujours été en réalité ou tel qu’il aurait dû toujours être.

e) Parce que l’exploitation est une contradiction, la lutte de classe n’est pas double

* Un drôle de jeu qui abolit sa règle

La définition de l’exploitation comme contradiction entre les classes résoud la contrainte théorique que nous nous étions fixée.
La réalité de la lutte de classe n’est pas double. Il n’y a pas, comme enfouie dans les luttes revendicatives, la réalité cachée d’une tension au communisme se manifestant plus ou moins. Nous sommes tout simplement dans une lutte de classes qui a pour contenu la contradiction qu’est l’exploitation et pour mouvement la baisse tendancielle du taux de profit qui est directement une contradiction entre les classes, entre le prolétariat et la classe capitaliste. A travers la baisse du taux de profit, l’exploitation est un procès constamment en contradiction avec sa propre reproduction ; le mouvement qu’est l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le contenu et le mouvement. Non seulement, nous n’avons pas besoin d’une réalité double, mais encore une réalité double nous empêche de comprendre l’importance révolutionnaire de la lutte pour le partage de la valeur produite et l’aspect ordinaire des batailles en faveur du communisme.
L’exploitation est ce drôle de jeu où c’est toujours le même qui gagne (parce qu’elle est subsomption) en même temps, et pour la même raison, que c’est un jeu en contradiction avec sa règle et une tension à l’abolition de cette règle. Le communisme est le mouvement contradictoire du mode de production capitaliste, le procès de sa caducité. Il n’est pas un sens caché dans une « réalité double » de la lutte des classes. Le dépassement est inclus comme contenu même de la contradiction entre le prolétariat et le capital, et cela en tant que formes les plus immédiates de la lutte des classes.

* Le prolétarait n’existe pas deux fois

La classe n’existe pas deux fois, une fois comme reproductrice du capital et se battant dans les limites de cette reproduction et une deuxième fois comme tension au communisme.
La lutte des classes n’est rien d’autre que le capital comme contradiction en procès, elle produit son dépassement et n’existe qu’en ce qu’elle le produit. Il faut abandonner toutes ces dualités qui ne sont que l’héritage de notre longue incapacité à sortir d’une conception programmatique de la révolution. « Classe en soi » et « classe pour soi », « lutte interne à sa reproduction » ou « lutte externe créant d’autres rapports », « prolétaire » ou « être générique », c’est à la même fausse question que l’on cherche à répondre : quelle est, face ou dans la reproduction quotidienne, la nature révolutionnaire du prolétariat et quelles sont les conditions de l’actualisation de cette nature, comment se manifeste-t-elle ? Il faut définitivement achever le fantôme du programmatisme qui nous contraint à ne pouvoir parler du communisme que dans une dissociation de la réalité de la lutte de classe ou une dualité du prolétariat.
La contradiction comme implication réciproque, outre l’impossibilité de l’affirmation du prolétariat et la critique de toute nature révolutionnaire comme une essence définitoire enfouie ou masquée par la reproduction d’ensemble (l’autoprésupposition du capital), signifie que la contradiction entre prolétariat et capital est histoire.

-# Lutte de classe et abolition des classes

a) Structure et contenu de la contradiction : vers l’appartenance de classe comme contrainte extérieure

* La fin d’une époque

On arrive au point discriminant qui est la compréhension de la situation actuelle : défaite d’un cycle de luttes / restructuration / nouveau cycle de luttes. Mais, il ne suffit pas de dire que, dans les années 1970, il y a eu défaite ouvrière, il faut dire laquelle, la préciser : celle de l’affirmation de la classe, de sa montée en puissance comme marchepied de la révolution, c’est-à-dire du mouvement ouvrier, de l’autonomie, de l’auto-organisation. Le rapport d’exploitation ne contient plus aucune confirmation d’une identité ouvrière, plus aucune base de faire valoir autonome de la classe. Il y a eu une époque de la transcroissance entre luttes revendicatives et révolution, celle du programmatisme, celle du mouvement ouvrier, celle de l’autonomie. Cette époque est définitivement révolue.
De la même façon il ne suffit pas de parler de restructuration à partir des années 1970, il faut la préciser. Sans ces précisions, on ne définit pas comme histoire la contradiction entre le prolétariat et le capital. Cette définition de la restructuration et d’un nouveau cycle de luttes est la condition sine qua non pour concevoir une nouvelle structuration et un nouveau contenu de la contradiction et sortir des apories du programmatisme, sans chercher dans le prolétariat quelque chose qui excède sa stricte relation de classe au capital (être générique, humanité…) et justifierait une action « extérieure » qui brise la fatalité de la reproduction. C’est-à-dire concevoir l’activité révolutionnaire non comme l’expression d’une nature, mais comme situation.

* Une contradiction restructurée

La situation antérieure de la lutte de classe, et le mouvement ouvrier, reposaient sur la contradiction entre d’une part la création et le développement d’une force de travail mise en oeuvre par le capital de façon de plus en plus collective et sociale, et d’autre part les formes apparues comme limitées de l’appropriation par le capital, de cette force de travail, dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui se développait comme identité ouvrière
La nouveauté de la période réside dans la structure et le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital qui se situe au niveau de la reproduction. Tout ce qui pouvait faire obstacle à la fluidité de l’auto-présupposition du capital, tant dans le procès de production immédiat (travail à la chaîne, coopération, production-entretien, travailleur collectif, continuité du procès de production, sous-traitance, segmentation de la force de travail) que dans la reproduction de la force de travail et sa mobilisation (travail, chômage, formation, welfare), ainsi que dans les modalités de l’accumulation et de la circulation est aboli (service public, bouclage de l’accumulation sur une aire nationale, inflation glissante, dématérialisation de la monnaie, “partage des gains de productivité”).
La contradiction peut en cela porter le dépassement immédiat du capital comme abolition de toutes les classes. Etre en contradiction avec le capital cela signifie immédiatement, pour le prolétariat, être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe dans la mesure où il n’existe comme classe que dans son rapport au capital, sans que celui-ci ne permette aucun retour sur lui-même, aucune confirmation. C’est dans le rapport aux luttes quotidiennes de cette restructuration que prend forme la possibilité de la production, par le prolétariat, de son existence comme classe, comme d’une contrainte extérieure dans le capital. C’est alors le dépassement du cours des luttes quotidiennes et l’autotransformation du prolétariat. Produire son appartenance de classe dans le capital, comme une contrainte extérieure, et une contingence, c’est dans la révolution, dans la crise de l’implication réciproque, le dépassement du cours quotidien des luttes revendicatives produit à partir de ces luttes elles-mêmes et en leur sein. C’est la perspective offerte par ce cycle de luttes, non comme une transcroissance mais comme un dépassement produit.
C’est la dynamique de ce cycle de luttes, mais c’est aussi ce qui fait l’identité de cette dynamique avec sa limite. Cette identité nous pouvons la constater quotidiennement, c’est-à-dire constater qu’agir en tant que classe ne contient immédiatement plus rien d’autre que la reproduction des rapports capitalistes. Mais l’identité n’est pas une confusion, elle n’est pas sans médiation, elle contient la différence comme un écart à l’intérieur d’elle-même.

b) Les luttes actuelles : lutter en tant que classe / se remettre en cause comme classe

* Un écart à l’intérieur de la lutte de classe

Les luttes revendicatives ont des caractéristiques qui, réunies, constituent un ensemble impensable il y a une trentaine d’années.
Durant les grèves de décembre 95 en France, dans la lutte des sans-papiers, des chômeurs, des dockers de Liverpool, de Cellatex, d’Alstom, de Lu, de Marks et Spencer, dans le soulèvement social argentin, dans l’insurrection algérienne, etc., telle ou telle caractéristique de la lutte apparaît, dans le cours de la lutte elle-même, comme limite en ce que cette caractéristique spécifique (service public, demande de travail, défense de l’outil de travail, refus de la délocalisation, de la seule gestion financière, récupération des usines, auto-organisation, etc.), contre laquelle le mouvement se heurte souvent dans les tensions et les affrontements internes de son recul, se ramène toujours au fait d’être une classe et de le demeurer, ce que contrairement à la période précédente, il est devenu impossible de positiver comme annonce de l’affirmation de la classe.
Il ne s’agit pas, le plus souvent, de déclarations fracassantes ou d’actions « radicales », mais de toutes les pratiques de « fuite » ou de dénégation des prolétaires vis-à-vis de leur propre condition. Dans les luttes suicidaires comme Cellatex, dans la grève de Vilvoorde et bien d’autres éclate que le prolétariat n’est rien séparé du capital, même pas le travail productif. C’est l’inessentialisation du travail qui devient l’activité même du prolétariat, tant de façon tragique dans ses luttes sans perspectives immédiates (suicidaires) et dans des activités autodestructrices, que comme revendication de cette inessentialisation comme dans la lutte des chômeurs et précaires de l’hiver 1998. Quand apparaît, comme lors de la grève des transports italiens ou des ouvriers de la FIAT à Melfi, que l’autonomie et l’auto-organisation ne sont plus que la perspective de rien, c’est là que se constitue la dynamique de ce cycle et que se prépare le dépassement de la lutte revendicative à partir de la lutte revendicative. Le prolétariat est face à sa propre définition comme classe qui s’autonomise par rapport à lui, qui lui devient étrangère. Les pratiques auto-organisationnelles et leur absence de devenir en sont le signe patent.
La multiplication des collectifs et la récurrence des grèves intermittentes (les grèves du printemps 2003 en France, la grève des postiers anglais) rendent palpable, en cherchant à s’en démarquer, que l’unité de la clase est une objectivation dans le capital. Dans ces luttes, c’est l’extériorisation de l’appartenance de classe qui est annoncée comme caractéristique actuelle, présente, de la lutte en tant que classe. « Aller plus loin », ce serait, dans d’autres circonstances, la contradiction entre ces luttes de classes dans leur diversité et l’unité de la classe objectivée dans le capital. Ce qui se joue dans ces mouvements diffus, segmentés et discontinus, c’est la création d’une distance avec cette unité « substantielle » objectivée dans le capital. L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise.
Mettre le chômage et la précarité au coeur du rapport salarial ; définir le clandestin comme la situation générale de la force de travail ; poser - comme dans la Mouvement d’action directe (Black Blocs, etc.) - l’immédiateté sociale de l’individu comme le fondement, déjà existant, de l’opposition au capital ; mener des luttes suicidaires comme celle de Cellatex et d’autres du printemps et de l’été 2000 ; renvoyer l’unité de la classe à une objectivité constituée dans le capital ; prendre pour cible tout ce qui nous définit, tout ce que nous sommes comme dans les émeutes des banlieues françaises en 2005 ; trouver dans l’élargissement revendicatif la remise en cause de la revendication elle-même comme lors de la lutte anti-CPE, sont pour chacune de ces luttes particulières des contenus qui construisent la dynamique de ce cycle à l’intérieur et dans le cours de ces luttes. Dans la plupart des luttes actuelles apparaît la dynamique révolutionnaire de ce cycle de luttes qui consiste à produire sa propre existence comme classe dans le capital donc se remettre en cause comme classe (plus de rapport à soi), cette dynamique a sa limite intrinsèque dans ce qui la définit elle-même comme dynamique : agir en tant que classe.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe. Ce conflit, cet écart, dans l’action de la classe (se reproduire comme classe de ce mode de production / se remettre en cause) existe dans le cours de la plupart des conflits, la défaite est le rétablissement de l’identité.

* La rupture s’annonce dans les luttes quotidiennes

La rupture, le saut qualitatif, entre le cours quotidien des luttes et la révolution s’annoncent dans le cours quotidien comme la multiplication des écarts dans cette identité. Il ne s’agit pas de considérer les éléments qui constituent cette annonce comme des germes à développer, mais comme ce qui rend invivable cette identité chaque fois que le prolétariat, dans son action, extranéise son existence comme classe comme une contrainte existant dans le capital, face à lui. Entre la constitution de la classe dans sa contradiction avec le capital et sa nécessaire reproduction dans la reproduction de celui-ci existe un écart qui est l’existence de pratiques dans lesquelles le prolétariat, contre le capital, n’accepte plus son existence comme classe de ce mode de production, sa propre existence, sa propre définition sociale.
Deux points résument l’essentiel du cycle de luttes actuel :
* la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire ;
* avec la restructuration du mode de production capitaliste, la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective. Dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat se remet lui-même en cause.
Il en résulte que la révolution n’est pas la victoire du prolétariat : il ne peut plus y avoir montée en puissance et transcroissance des luttes immédiates à la révolution. S’il n’y a pas transcroissance, il y a donc un moment de rupture qui distingue les luttes revendicatives de la révolution autant qu’il les coordonne. Cette rupture est un dépassement, mais un dépassement produit, c’est-à-dire qu’il n’est pas sans relation avec les « luttes ordinaires ».

-# Le même contenu historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital structure le cours quotidien et confère un contenu spécifique à son dépassement

a) Des luttes actuelles à l’immédiateté sociale de l’individu

Quand, en Angleterre, en 1854, le cours quotidien des luttes revendicatives aboutit à la constitution, à Manchester d’un « Parlement ouvrier » (avec le soutien enthousiaste de Marx : Oeuvres politiques, Pléiade, p. 754), ce « Parlement » proclame comme son but que « les ouvriers deviennent les maîtres de leur propre travail, afin de s’émanciper un jour tout à fait de l’esclavage salarié » et que « Si l’ouvrier a le droit indiscutable de participer aux profits de l’employeur, à plus forte raison a-t-il le droit d’être son propre employeur... ».
Le cycle de luttes actuel se caractérise par la disparition de l’identité ouvrière, par le fait que toute lutte trouve dans ce qui la définit sa propre limite comme reproduction du capital, c’est-à-dire agir en tant que classe. Actuellement, pour le prolétariat, affronter le capital c’est affronter sa propre constitution et sa propre existence comme classe. Déterminée par la structure de la contradiction entre les classes dans ce cycle, la contradiction au niveau de l’autoprésupposition des rapports de production capitalistes confère au communisme le contenu du libre développement de l’immédiateté sociale de l’individu. Ce n’est que comme produit d’un cycle de luttes où la lutte contre le capital contient pour le prolétariat sa propre remise en cause et sa propre abolition que l’homme ne cherchera pas à demeurer quelque chose qui a été, que la révolution peut être l’abolition de toute particularité sociale à reproduire. L’abolition du prolétariat est l’aboutissement d’un cycle de luttes qui contient, pour cette classe, la remise en cause d’elle-même dans sa contradiction avec le capital et qui définit alors le contenu de son dépassement comme la capacité de traiter tout le développement historique antérieur comme prémisse d’un libre développement : absence de mesure des activités humaines d’après un étalon préétabli (la communisation est une désobjectivation du monde).
L’activité du prolétariat dans la révolution est l’appartenance de classe apparaissant comme une contrainte extérieure, elle est encore une relation entre le prolétariat et le capital, cette relation peut être qualifiée de rapport de prémisse.

b) La révolution : rapport de prémisse

« Mais au fait que sera la richesse une fois dépouillée de sa forme bourgeoise encore limitée ? Ce sera l’universalité des besoins, des capacités, des jouissances, des forces productives, etc. des individus, universalité produite dans l’échange universel. (…) Ce sera l’épanouissement entier de ses capacités créatrices, sans autre présupposition que le cours historique antérieur qui fait de cette totalité du développement un but en soi ; en d’autres termes, développement de toutes les forces humaines en tant que telles, sans qu’elles soient mesurées d’après un étalon préétabli. L’homme ne se reproduira pas comme unilatéralité, mais comme totalité. Il ne cherchera pas à demeurer quelque chose qui a déjà été, mais s’insèrera dans le mouvement absolu du devenir » (Marx, Fondements ... Ed Anthropos, t.1, p.450). Nous n’avons pas affaire là à un état social indépendant du développement même du capital, qui ne ferait que lui succéder, mais à la résultante de ce développement contradictoire. La production de ce devenir s’effectue comme lutte de classes, et plus précisément comme contenu de la contradiction dans laquelle le prolétariat abolit les classes.
Le rapport de prémisse se définit par la simultanéité de l’implication du prolétariat par le capital et de son incapacité qualitative, de par la structure et le contenu de la contradiction (contradiction au niveau de la reproduction) à valoriser la valeur accumulée. Tout le travail passé, toute l’histoire, et toute l’universalité même de la situation du prolétariat, apparaissent non comme quelque chose à reproduire mais comme la prémisse d’un libre développement ne considérant rien de ce qui lui préexiste et rien de ce qu’il pose lui-même comme quelque chose à reproduire. Rapport entre les classes, le rapport de prémisse n’est pas une base objective existant en dehors de la pratique du prolétariat, il ne sera dans ce stade du procès de la révolution qu’activités de fractions communistes de la classe. Fractions, car la classe est par définition prise dans la reproduction du capital, même en crise ; c’est cela entre autre la médiation de l’activité révolutionnaire, quant à son contenu, par l’opposition au capital. La situation révolutionnaire, comme rapport de prémisse, confère au dépassement les caractéristiques suivantes.

c) Une désobjectivation du monde

L’activité révolutionnaire n’est pas à l’extérieur du rapport du capital. En abolissant toute présupposition antagonique d’une particularité sociale à reproduire, l’activité du prolétariat contre le capital est une désobjectivation pratique du monde dans lequel se meut l’activité humaine ; une désobjectivation de tout le travail social accumulé dans le capital, en ce que celui-ci, comme rapport social, est nécessairement objet. Il fallait le capital pour produire ces notions extravagantes d’activité en soi, et de produits en soi, ou conditions de l’activité. Il fallait le capital, pour poser leur rencontre comme ayant pour préalable, et résultat, l’objectivité, contrainte latente à sa reproduction, forme à reproduire du rapport social, et faire de cette rencontre même le mouvement de l’objectivité. La désobjectivation n’est pas une conséquence de la révolution, mais une activité dans la révolution.
L’activité comme sujet, le produit comme objet, dont la séparation présuppose la rencontre et en résulte tout aussi constamment, perdent leur détermination sociale antithétique de travail et de capital. Comme rapport social à reproduire, le capital est nécessairement objet (capital latent, capital en soi), face au travail. La désobjectivation pratique du monde des produits de l’activité sociale antérieure, c’est l’abolition de leur détermination sociale contradictoire face au travail salarié, et de la détermination sociale contradictoire de l’activité comme sujet en soi, en tant que travail salarié. L’objectivité et la subjectivité sont abolies dans ce qui les définit comme objectivité et subjectivité : la contrainte à être reproduites dans leur séparation. Séparation qui, comme préalable et résultat, définit le capital comme objectivité et le travail salarié comme subjectivité.

d) Abolir le travail salarié, c’est attaquer les moyens de production comme capital

C’est l’insuffisance de la plus-value par rapport au capital accumulé qui est au coeur de la crise de l’exploitation, s’il n’y avait pas au coeur de la contradiction entre le prolétariat et le capital la question du travail productif de plus-value (le mode de production capitaliste est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses éléments), s’il n’y avait qu’un problème de distribution et si tous les conflits sur le salaire n’étaient pas l’existence de cette contradiction, la révolution demeurerait un voeu pieux. Ce n’est donc pas par une attaque du côté de la nature du travail comme productif de plus-value que la lutte revendicative est dépassée (on en reviendrait toujours à un problème de distribution), mais par une attaque du côté des moyens de production comme capital.
La remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe consiste non à modifier le partage entre salaire et profit mais à abolir la nature de capital des moyens de production accumulés. L’attaque contre le travail salarié est une attaque contre la nature de capital des moyens de production, c’est leur abolition comme valeur absorbant le travail pour se valoriser, c’est l’extension de la gratuité, la destruction qui peut être physique de certains moyens de production, leur abolition en tant qu’usine dans laquelle se définit ce qu’est un produit, c’est-à-dire les cadres de l’échange et du commerce, c’est le bouleversement des rapports entre les sections de la production qui matérialisent l’exploitation et son taux, c’est leur définition, leur enchâssement dans les rapports intersubjectifs individuels, c’est l’abolition de la division du travail telle qu’elle est inscrite dans le zonage urbain, dans la configuration matérielle des bâtiments, dans la séparation entre la ville et la campagne. « Les rapports entre individus se sont figés dans les choses, parce que la valeur d’échange est de nature matérielle » (Marx, Fondements..., Ed. Anthropos, t.1, p.97). L’abolition de la valeur est une transformation concrète du paysage dans lequel nous vivons, c’est une géographie nouvelle.

e) Abolition de l’économie, abolition du travail

Le dépassement des conditions existantes, c’est le dépassement de l’objectivation de la production. En cela le communisme est le dépassement de toute l’histoire passée, il n’est pas un nouveau mode de production et ne peut se poser la question de la gestion de celle-ci. C’est une rupture totale avec les notions d’économie, de forces productives, de mesure objectivée de la production. Ce que l’on peut résumer (avec beaucoup de précautions) comme abolition du travail. Dans le dépassement du mode de production capitaliste et donc du travail salarié qui est son rapport social fondamental, il apparaît que la production des rapports entre les individus n’est plus soumise à, médiée par, l’activité de l’homme comme être objectif, qui, médiation entre l’activité individuelle et l’activité sociale, est par là-même la maîtresse et l’objet de leur rapport. Le travail est cette activité comme médiation. Le travail est l’activité de l’homme comme être objectif dans la séparation de l’activité individuelle et de l’activité sociale, il devient par là la substance de son faire-valoir social. Cette séparation n’a pas elle-même à être produite (ni à partir du travail, ni de l’activité en général, ni de l’essence de l’homme, ni de l’être générique, etc., il n’y a ni histoire, ni contradiction du travail), sauf à vouloir produire qu’il y a eu « de l’histoire ». Avec l’abolition du capital, c’est l’homme lui-même, le libre développement de son individualité, qui deviennent le but, le moyen, l’objet de cette activité objective.
Le rapport des individus entre eux, comme contenu de la révolution communiste, ne peut avoir pour but que lui-même et ne peut reproduire comme principe de la société la particularisation d’une activité comme le travail qui est la non-coïncidence du caractère social et individuel de l’activité humaine et leur unification en tant qu’abstraction. Séparation, aliénation, objectivation, au cours de l’histoire de la séparation de l’activité d’avec ses conditions, constituèrent celles-ci en économie, en rapports de production, en mode de production. La non coïncidence entre l’activité individuelle et l’activité sociale, autonomise cette dernière comme économie. Cette autonomisation entre, dans le rapport d’exploitation capitaliste, en contradiction avec elle-même. La communisation n’est donc pas une prise du pouvoir sous quelque forme que cela soit par le prolétariat, mais l’abolition par des mesures pratiques de luttes contre la classe capitaliste de toutes les déterminations du mode de production capitaliste. Cette abolition est positivement la communisation des rapports entre individus en tant qu’individus singuliers. Le communisme comme rapports entre individus singuliers, c’est, d’une certaine façon, l’unicité stirnerienne. Cette « unicité » est le mouvement même d’abolition de toutes les classes, c’est-à-dire l’abolition de l’« individu moyen » (Idéologie Allemande, Ed. Sociales, p. 96), elle trouve son origine dans la capacité des prolétaires à s’autotransformer en affrontant, dans le capital, leur propre existence comme classe. « Cette subordination des individus à des classes déterminées ne peut être abolie tant qu’il ne s’est pas formé une classe qui n’a plus à faire prévaloir un intérêt de classe particulier contre la clase dominante. » (Ibid., p. 93). Ne plus faire prévaloir d’intérêt de classe particulier, à partir de sa propre situation et de sa propre lutte comme classe, c’est la définition même de la communisation (nous ne nous faisons aucune illusion sur la problématique essentialiste de cette proposition dans l’Idéologie allemande).
Le prolétariat n’a pas à réaliser le communisme, les caractéristiques générales du communisme que nous venons d’évoquer sont déduites de la situation révolutionnaire comme rapport de prémisse et ne sont que la mise en forme générale des mesures de communisation prises par le prolétariat à partir de sa situation et de sa remise en cause dans sa contradiction avec le capital.

-# Le Prolétariat définit le communisme

a) L’extranéisation de l’appartenance de classe comme forme et contenu

Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société, au moment où simultanément, il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. La contradiction entre les classes devient alors la « condition » de sa propre résolution comme immédiateté sociale de l’individu.
Il faut toujours considérer que la forme de la contradiction (se remettre en cause dans la contradiction avec le capital) n’est que le contenu comme forme. Ce contenu nous le saisissons dans le fait que le prolétariat, défini dans l’exploitation, est la dissolution des conditions existantes en ce qu’il est non-capital, il trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes  : abolition de la propriété, de la division du travail, de l’échange, de la valeur. Nous sommes là sur l’articulation essentielle qui fait de l’abolition du capital un mouvement positif : elle est production du communisme (il est absurde de séparer les deux).
C’est parce que le prolétariat dans son rapport contradictoire au capital est la dissolution des conditions existantes que la contradiction qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure dans le capital. Cette structure ultime de la contradiction entre le prolétariat et le capital n’est que ce contenu de la contradiction (le prolétariat comme dissolution des conditions existantes sur la base des conditions existantes) en mouvement, ce contenu comme forme. Cette structuration de la contradiction n’est pas le cadre dans lequel se manifesterait un contenu immuable, une nature révolutionnaire de la classe, une définition préexistante. C’est de par ce qui est au coeur de cette situation de dissolution des conditions existantes dans le rapport contradictoire au capital, c’est-à-dire de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer comme extranéisation de l’appartenance de classe. Cette structure de la lutte de classe est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Etre la dissolution des conditions existantes comme classe s’impose dans l’extranéisation de l’appartenance de classe comme quelque chose à dépasser, en même temps qu’elle s’impose comme le présupposé de ce dépassement, qu’elle fournit les axes de celui-ci comme pratique, comme mesures communistes dans la révolution.


b) Le prolétariat dissolution des conditions existantes

* Dissolution de la propriété

Le prolétariat est la dissolution de la propriété sur la base de la propriété. Comme propriété, c’est son activité elle-même qui se dresse face à lui. Sur la base de la propriété, il est la dissolution de la forme autonome de la richesse. En tant que négation de la propriété comme rapport interne à la propriété, le prolétariat est la présupposition nécessaire du dépassement de l’appropriation sur le mode de l’avoir, dissolution de l’objectivité face à l’activité comme subjectivité, dépassement de la détermination contradictoire de la richesse comme objectivité et subjectivité.

* Dissolution de la division du travail

Le prolétariat est la dissolution de la division du travail sur la base de la division du travail. L’aliénation que représente la division du travail n’est pas en soi dans le fait de fixer chaque individu dans un développement unilatéral, mais dans le fait que cette fixation n’existe qu’en corrélation avec l’accession à l’indépendance du caractère social de l’activité humaine. Dans le mode de production capitaliste la division du travail parvient à un stade où une classe peut être sa dissolution interne, et comme activité révolutionnaire, la présupposition de son dépassement.
Face au prolétariat l’objectivation du travail social n’est pas représenté dans l’argent et les autres producteurs, car il n’est pas lui même un petit producteur, ni même dans un capital particulier, car producteur de valeur en ce qu’il produit de la plus-value, l’objectivation de ce travail est le capital comme totalité de capitaux dans la péréquation du taux de profit, c’est-à-dire capital social. Producteur de plus-value, le prolétariat se rapporte à chaque capital en tant que partie aliquote du capital total. La capacité du prolétariat à traiter, dans son abolition, la multiplicité des activités comme totalité ne résulte pas seulement de ce que producteur de valeur, son travail n’est par là même attaché à aucune production particulière, mais encore être producteur de valeur cela implique le total développement de la division manufacturière. L’extrême division manufacturière du travail se rapporte au travail concret, mais elle n’existe que parce que ce travail concret doit se prouver comme travail abstrait, que par le double caractère du travail. Ainsi, pour le prolétariat, être la dissolution de la division du travail sur la base de la division du travail, parce qu’il est travail vivant producteur de valeur et de plus-value, le fonde à traiter l’activité humaine comme totalité.
En outre la relation, dans le prolétariat, entre la division sociale et la division manufacturière du travail, le fonde à traiter l’activité humaine comme totalité à partir de chaque activité particulière qui inclut cette totalité. Il ne s’agit plus alors de concevoir l’activité humaine en tant qu’elle est traitée comme totalité, au travers d’une réorganisation de la production, d’une globalisation, d’une planification, qui à nouveau ne ferait que définir les parties comme des accidents de la totalité (cf, la division du travail dans le mode de production asiatique ou la communauté traditionnelle). C’est là que gît, dans ce double aspect du travail qui est divisé (double aspect où chaque aspect se détermine l’un l’autre dans la production capitaliste de la valeur), la capacité à produire cette immédiateté de l’enchaînement général du travail social dans chaque activité concrète, et non comme une globalisation, ou une résultante de ces activités. En fait cela signifie que les activités humaines n’ont alors d’autre but qu’elles mêmes et leurs objets, sur lequel elles s’appliquent, et non plus une finalité externe (capital, valeur, reproduction de l’unité supérieure, etc.), ce qui permet de dire qu’elles ne sont plus travail, ce qui en retour autorise la définition de celui-ci.

* Dissolution de l’échange et de la valeur

Le prolétariat est la dissolution de l’échange et de la valeur sur la base de l’échange et de la valeur. Dans le système de la valeur, la négation d’elle-même passe nécessairement par sa forme en mouvement : l’échange.
Le premier aspect par lequel le prolétariat est négation de l’échange sur la base de l’échange repose sur l’échange du travail vivant contre du travail objectivé, échange dans lequel en définitive le capitaliste ne fait que remettre à l’ouvrier une partie de son travail précédemment objectivé. De là, contre le capital, le prolétariat trouve, dans ce qu’il est, la capacité, abolissant le capital, de produire et traiter l’activité humaine comme son propre processus de renouvellement en dehors de toute autre présupposition.
Le second aspect par lequel le prolétariat est la négation de l’échange sur la base de l’échange repose sur le fait que le capital, pour se valoriser, met en oeuvre du travail promu au rang de travail social mais qui n’est tel qu’ayant son caractère social objectivé en face de lui, ce n’est que dans ce rapport qu’on peut le qualifier de travail directement social. Les caractéristiques de l’accumulation du capital, l’universalisation et la socialisation du travail comme antagonisme au travail lui-même, fondent pour le prolétariat la capacité, abolissant le capital, de produire la situation dans laquelle toute activité trouve sa fin en elle-même, en ce qu’elle est présupposée par toutes les activités contemporaines et passées, et les concentre. C’est l’abolition de tout ce qui pourrait encore être de l’ordre du travail abstrait.
Le prolétariat est donc la négation de l’échange sur la base de l’échange, en ce que l’échange est l’affirmation du caractère social de toute activité, dans l’aliénation, comme extérieure à elle-même. Le processus de production et d’exploitation capitaliste ne peut mettre en oeuvre qu’un travail socialisé en vue de la création de valeur, c’est là une contradiction en procès qui, dans le mode de production capitaliste, prend l’existence bien réelle de l’incapacité pour le travail vivant à valoriser la masse croissante du capital fixe où s’objective, séparé de lui, son caractère social.

* Dissolution des classes

Le prolétariat est en tant que classe, la dissolution des classes. Etre la dissolution des classes n’est pas être autre chose que la dissolution des conditions existantes, mais il ne s’agit pas du même niveau, être la dissolution des classes c’est être la dissolution des conditions existantes comme pratique, comme lutte de classe, c’est la dissolution des conditions existantes en ce que comme classe particulière cette dissolution est un sujet, une pratique révolutionnaire. Le prolétariat n’est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles. Il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société.
Contre le capital, dans l’aspect le plus immédiat de sa pratique, de ce qu’il fait, le prolétariat ne veut pas rester ce qu’il est ; il ne s’agit pas là d’une contradiction interne. Il agit bien en tant que classe : se changer soi même et changer ces conditions coïncident. On a, à ce niveau, la dissolution des conditions existantes comme action d’un sujet, comme pratique résumant la dissolution des conditions existantes dans une classe, qui est la dissolution des classes simplement parce qu’elle lutte en tant que telle. C’est dans sa contradiction avec le capital que le prolétariat est une classe qui ne se détermine jamais positivement en elle-même, ce n’est donc que contre le capital et non en lui-même qu’il est la dissolution des classes.
L’appartenance de classe n’est pas en soi une aliénation par rapport à un individu isolé, une personne qui devrait se définir, ou non, comme socialement membre d’une classe. L’appartenance de classe, être un individu particulier, est une aliénation dans la mesure où c’est nécessairement poser la classe antagonique, la séparation d’avec la communauté, comme sa propre définition d’être de la communauté. Ce qui est également vrai pour la classe capitaliste à la différence que la classe capitaliste est l’agent de la reproduction générale du rapport et se présente constamment comme concentrant en elle la totalité du processus
Analyser le prolétariat comme dissolution des classes en tant que classe particulière n’aboutit qu’à comprendre comment, abolissant le capital, le prolétariat trouve dans ce qu’il est, dans cette contradiction, la capacité à produire le communisme comme développement de l’humanité ne considérant rien de ce qui a été produit comme limite : auto-production de l’humanité ne posant aucun rapport social comme présupposition à reproduire, auto-production comme manque, passion, destruction et création constante, posant sans cesse le devenir comme prémisse. De la même façon que, dans le prolétariat comme classe particulière qui est la dissolution des classes, on avait la synthèse de toutes les autres dissolutions qu’est le prolétariat (propriété, échange, valeur, division du travail), dans son abolition comme classe, qui est produite dans la révolution, on retrouve le contenu positif du dépassement de toutes les aliénations, qui dans leurs diversités constituent le contenu des mesures communistes prises par le prolétariat au cours de la révolution.

c) L’immédiateté sociale de l’individu

L’immédiateté sociale de l’individu, cela signifie fondamentalement l’abolition de la division de la société en classes, scission par laquelle la communauté est étrangère à l’individu. On peut alors approcher positivement ce que sont les individus immédiatement sociaux, ou plutôt ce que sont les rapports d’individus immédiatement sociaux dans leur singularité (à ce point des choses le terme lui-même de « social » est ambigu). Leur auto-production dans leurs rapports réciproques n’implique jamais une reproduction dans un état qui serait une particularisation de la communauté, ce qui est impliqué par la division du travail, la propriété, et les classes. Les individus immédiatement sociaux traitent consciemment tout objet comme activité humaine et dissolvent l’objectivité en un flux d’activités (dépassement du prolétariat comme dissolution de la propriété sur la base de la propriété) ; ils traitent leur propre activité comme particularisation concrète de l’activité humaine (idem pour la division du travail) ; ils considèrent pratiquement leur production et leur produit, dans leur coïncidence, comme étant leur propre fin en soi et incluant leurs déterminations, leurs possibilités d’effectuation et leurs finalités (idem pour l’échange et la valeur) ; et finalement ils posent leurs relations, en tant que multiplicité diverse de relations ne se ramenant jamais à un étalon ou une norme communs, comme étant à produire constamment dans le rapport entre individus, et chaque relation comme prémisse de sa transformation (idem pour les classes).
Dissolution des conditions existantes du mode de production capitaliste, comme classe, le prolétariat, sans se figurer que toute l’histoire passée n’avait comme but que de parvenir à cette situation est la présupposition dans sa contradiction avec le capital du dépassement de toute cette histoire.
La communisation n’est pas une totalité abstraite, elle n’est que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital.

d) La communisation est un moment de la lutte des classes

* Mesures communistes : mesures de luttes

Le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail, comme capital, valeur autonomisée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant (c’est la baisse tendancielle du taux de profit). C’est ainsi qu’il est amené à s’attaquer à sa propre situation. Dissolution des conditions existantes, le prolétariat ne l’est qu’en tant que travail vivant, en tant que valeur d’usage face au capital. Il est la négation des conditions existantes sur la base de celles-ci et non en lui-même face à elles. En supprimant les conditions existantes, les rapports sociaux capitalistes, il se supprime lui-même comme leur dissolution interne en se servant de cette situation comme d’un tremplin pour la communisation des rapports entre les individus.
Exprimé concrètement, cela signifie que la destruction de l’échange, ce n’est pas un « décret du soviet suprême », « après qu’on aura réussi la révolution mondiale » ou la libération de ce qu’est potentiellement, en lui-même, le prolétariat : ce sont des ouvriers attaquant les banques où se trouvent leurs comptes et ceux des autres ouvriers, s’obligeant ainsi à se débrouiller sans, ce sont les travailleurs se communiquant et communiquant à la communauté leurs produits directement et sans marché, ce sont les sans-logis occupant les logements et tous les autres transformant totalement la notion d’habitation par l’abolition de la division du travail et de l’échange qui abolit la famille et inclut le « nomadisme ». Il n’y a aucune mesure qui, en elle-même, prise isolément, soit le « communisme ». Distribuer des biens, faire circuler directement moyens de production et matières premières, utiliser la violence contre l’Etat en place, des fractions du capital peuvent accomplir une partie de ces choses dans certaines circonstances. Ce qui est communiste, ce n’est pas la « violence » en soi, ni la « distribution » de ce que nous lègue la société de classes, ni la « collectivisation » des machines ou des usines qui sont dans leur matérialité même des fonctions du capital, c’est la nature du mouvement qui relie ces actions, les sous-tend, en fait des moments d’un processus qui ne peut que communiser toujours plus ou être écrasé. Le mouvement s’effectue à travers ses mesures, il est ses mesures, mais il est aussi plus que la somme des mesures envisagées statiquement. Chaque action du prolétariat s’annonce comme nécessaire et se révèle, dès qu’elle est effectuée, comme insuffisante, comme exigeant immédiatement une autre mesure nécessaire.
On ne peut faire une révolution communiste sans prendre de mesures communistes, sans dissoudre le travail salarié, communiser l’alimentation, le vêtement, le logement, se procurer toutes les armes (destructrices, mais aussi les télécommunications, la nourriture, etc.), intégrer les sans-réserves (y compris ceux que nous aurons réduits nous-mêmes à cet état), les chômeurs, les paysans ruinés, les couches moyennes, et les étudiants marginalisés. Toutes les mesures communistes ne sont pas des mesures que les révolutionnaires prennent entre eux vis-à-vis des objets qui les entourent mais des actions dans leur lutte contre le capital.
En prenant des mesures communistes, c’est-à-dire en produisant des rapports entre individus comme individus singuliers, les ouvriers amorcent un processus qui ne peut que s’étendre. Face à ceux qui s’imaginent qu’après quelques violences la classe capitaliste nous remettra les clés d’un monde dont nous serions en réalité déjà les maîtres ou que nous aurions commencé à constituer contre elle, il faut affirmer qu’il est difficile d’imaginer, dans toute son ampleur, la dimension de catastrophe sociale (et peut-être naturelle et sanitaire) que sera la révolution communiste.

* La communisation : activité du prolétariat comme classe contre le capital

La transformation de la société n’est pas un développement positif face au capital, mais un développement positif contre lui, dans la destruction du capital. La communisation de la société est une activité dans le mode de production fondé sur le capital, activité du prolétariat défini dans son rapport avec le capital. Le communisme n’est produit que par et dans l’abolition du capital, il est cette abolition.
La communisation ne se réalise pas après que les prolétaires ont abandonné leurs vieux habits de prolétaires, la production du communisme s’effectue parce que les prolétaires, en lutte contre le capital comme prolétaires, abandonnent, dans cette lutte, leurs « vieux habits de prolétaires ». « La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou autochangement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire. » (Marx, Thèses sur Feuerbach)

* La communisation : auto-transformation des prolétaires en individus singuliers

L’abolition de la condition prolétarienne est l’auto-transformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux, c’est la lutte contre le capital qui nous fera tels. On ne comprend pas ce qu’est la révolution communiste tant que l’on oppose l’individu et la classe, que cela soit pour dire que la révolution est suspendue à l’abandon préalable par le prolétaire de ses habits de classe, ou pour dire que la révolution est affaire de classe, l’individu est produit après. L’individu isolé ne masque pas l’existence des classes. Les classes sociales et leur contradiction ne se construisent pas et n’apparaissent pas à elles-mêmes en dévoilant le fétichisme de l’individu isolé mais grâce à lui. L’individu isolé ne vient pas refléter et masquer de véritables rapports de classes. Il n’y a pas dans le mode de production capitaliste de classes en dehors, en dessus ou en dessous de ces individus isolés. Dans le mode de production capitaliste, les rapports sociaux que les hommes définissent entre eux apparaissent comme rapports entre individus. Mais ces rapports sociaux n’existent en tant que tels qu’en apparaissant ainsi, qu’à partir du moment où ils sont rapports entre des individus « isolés », ainsi ils apparaissent ce qu’ils sont : une non-immédiateté sociale de l’individu, c’est-à-dire des rapports de classes. L’individu « isolé » ne masque rien. C’est tout le rapport social entre des classes qui est précisément sa propre transposition, sa propre apparition, en rapports entre des individus « isolés », individu « isolé » dont la forme sociale s’étend à l’individu dans toutes les manifestations de sa singularité (comme le montre n’importe quelle enquête sociologique). C’est pour cela que l’action de classe peut produire l’appartenance de classe comme contrainte en tant qu’action de classe même.
Comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? L’histoire du mode de production capitaliste comme contradiction entre le prolétariat et le capital nous donne la résolution de l’énigme. Mais attention, lorsque du doigt on trace sur la carte le chemin à parcourir, on n’est pas pour autant parvenu au but ; c’est dans la lutte des classes de ce cycle de luttes que l’énigme doit être résolue.

-# La rupture comme activité du prolétariat dans la lutte des classes

Si la révolution et le communisme sont bien l’oeuvre d’une classe du mode de production capitaliste, ils ne sont pas, en droite ligne, la victoire d’un des termes de la contradiction en jeu dans l’exploitation. Il ne s’agit pas de la victoire du prolétariat développant et affirmant ce qu’il est dans le mode de production capitaliste et s’érigeant en classe dominante. La proposition fondamentale, principielle, qui en résulte est alors la suivante : il ne peut y avoir transcroissance entre le cours quotidien de la lutte de classe et la révolution, celle-ci est un dépassement produit dans et par cette contradiction.

a) La crise

S’il n’y a pas transcroissance, il y a donc un moment médiateur qui est en même temps celui d’une rupture, d’un saut entre ce cours quotidien de la contradiction entre prolétariat et capital et son dépassement. Ce moment médiateur, c’est la crise. Pour qu’il y ait révolution, il faut qu’il y ait crise, c’est-à-dire la construction pratique d’une non-reproductibilité de l’implication réciproque. Cette non-reproductibilité est encore un rapport entre le prolétariat et le capital, nous l’avons appelé rapport de prémisse. Le rapport de prémisse est la situation limite de l’implication réciproque entre prolétariat et capital, le rapport de prémisse est une pratique dans laquelle le travail accumulée est posé par le prolétariat comme prémisse d’un libre développement de l’humanité dépassant l’aliénation qui est l’existence, comme présupposition, d’une particularité sociale à reproduire, ce qui est la définition des classes.
Tant que l’implication réciproque entre prolétariat et capital se résout dans la reproduction du capital et son autoprésupposition, l’activité du prolétariat dans la contradiction trouve dans cette implication une limite infranchissable. Cette situation de la contradiction à l’intérieur de l’autoprésupposition définit les notions de luttes immédiates et de cours quotidien de la lutte de classes et aucune dynamique interne de chaque lutte particulière ne lui permet, dans ce cadre, de dépasser cette situation. Le dépassement de cette structuration de la lutte de classes, comme cours quotidien, ne dépend pas d’une dynamique interne des luttes, car celles ci sont définies dans cette structuration, mais du changement de la forme générale de la contradiction. Ce changement, c’est la crise de la reproduction du capital qui est une crise économique.

b) Un dépassement produit

Cependant, on ne peut se limiter à une opposition statique entre cours quotidien et révolution, il existe, nous l’avons vu, un lien historique entre le cours quotidien des luttes, la révolution et le contenu du communisme. La nature de ce lien est double : formel et dynamique.

* Une relation formelle : la contradiction au niveau de la reproduction

En ce qui concerne son aspect formel : le cours quotidien de la lutte de classes donne forme à la contradiction telle qu’elle se structure dans la crise et la révolution. C’est la même contradiction, historiquement définie, qui structure le cours quotidien d’un cycle de luttes, qui est la dynamique de l’implication réciproque, et qui est produite comme non-reproductible dans la pratique révolutionnaire. Pour le nouveau cycle de luttes, comme nous l’avons vu, nous pouvons abstraire trois caractéristiques fondamentales, qui le différencient radicalement du programmatisme : disparition de toute confirmation d’une identité ouvrière ; toute lutte trouve dans ce qui la définit ses propres limites comme étant la reproduction du rapport (limites que cette reproduction lui signifie chaque fois de façon spécifique, selon ses propres caractéristiques) ; l’affrontement avec le capital, est pour le prolétariat affronter sa propre constitution en classe. Considéré dans sa plus grande généralité sous l’aspect de ces trois principes, le cours quotidien de la lutte de classe annonce et structure son dépassement en révolution. Dans une période où la lutte quotidienne se structurait comme montée en puissance de la classe à l’intérieur du capital, l’objectif de la révolution ne pouvait être immédiatement le même que dans le cycle de luttes actuels.
Affrontant sa constitution en classe dans le capital, l’activité révolutionnaire du prolétariat est production de rapport entre individus dans leur singularité. Le rapport de prémisse est l’achèvement du cycle de luttes actuel, déterminé par le contenu de celui-ci : la contradiction au niveau de la reproduction du rapport, la coalescence entre la constitution en classe du prolétariat et sa contradiction avec le capital, la disparition corollaire de toute identité ouvrière. La contradiction entre les classes est devenue la « condition » de sa propre résolution comme immédiateté sociale de l’individu. Nous avons déjà développé tout cela.

* Une relation dynamique : l’accumulation du capital

En ce qui concerne son aspect dynamique : la contradiction entre prolétariat et capital qui fonde le cours quotidien de la lutte de classe est pour le capital sa propre dynamique. Toutes les questions rencontrées découlent en fait de cette identité, c’est la contrainte théorique à résoudre contenue dans le concept d’exploitation : le prolétariat n’existe pas deux fois, comme classe du capital, comme classe révolutionnaire ; l’exploitation est un jeu dans lequel c’est toujours le même qui gagne mais qui produit l’abolition de sa règle ; agir en tant que classe c’est n’avoir que le capital comme hoirizon, c’est se remettre en cause en tant que classe, etc. Le capital subsume la contradiction dans son propre cycle, toutes les conditions de reproduction de la contradiction se retrouvent objectivées du côté du capital, la contradiction entre les classes devient par là-même les multiples contradictions internes du procès d’accumulation capitaliste, c’est dans ce mouvement que sont fondées la réalité et la pertinence de l’économie. La contradiction entre le prolétariat et le capital, telle qu’elle est le cours quotidien de la lutte de classes et le cours dynamique des contradictions du capital, constitue et nécessite la crise de la reproduction comme médiation à son dépassement. Cela parce que la contradiction devient nécessairement économie dans son procès, et crise de cette économie sous une forme historique chaque fois spécifiée. Et non de par une fatalité de la détermination économique de la lutte de classe ou d’une constante anthropologique.
Ce deuxième aspect reprend en lui-même le premier. Il fait que, étant données les caractéristiques du cycle de luttes, en produisant le développement du capital comme la médiation à son dépassement, le cycle de luttes produit son dépassement dans la crise du rapport d’implication réciproque.

c)Le prolétariat fait la révolution

Dans cette double liaison, il faut faire apparaître un point essentiel : le passage des luttes du nouveau cycle à la révolution dans l’activité de la classe. Nous savons qu’il ne s’agit pas d’une transcroissance, mais si nous n’abordons pas cette question en tant qu’activité de la classe, nous conférons à la crise un rôle démiurgique, en ne la concevant que comme crise du capital modifiant l’activité de la classe, modification qu’elle ne fait alors que subir. Quel est du point de vue de l’activité de la classe, le contenu de ce passage ? Qu’est ce que la crise de la reproduction du rapport d’implication réciproque en ce qu’elle est l’activité du prolétariat ? Sans réponse à cela, la liaison entre le cours quotidien et la révolution, après avoir été correctement posée, devient au dernier moment, au moment crucial, une liaison externe, celle de la crise délimitant deux moments de la lutte de classe, dont on ne produit pas les connexions internes comme activité de la classe dans la crise. L’irreproductibilité du rapport entre prolétariat et capital serait donnée d’emblée comme contenu prédéterminant les actions respectives des classes.

* L’implication réciproque est activités spécifiques de ses termes

Chaque pôle du rapport d’exploitation a par rapport à la totalité une position différente, la contradiction qui constitue l’exploitation est implication réciproque de ses termes et production de leur autonomie. L’autoprésupposition du capital est l’action contradictoire des sujets de la contradiction. Si l’on enferme la crise révolutionnaire dans le procès d’une impossibilité de la reproduction déjà donnée, même si ce n’est que comme sens, la révolution devient une réaction : nier l’irreproductibilité. L’action du prolétariat a disparu. L’aggravation de l’irreproductibilité du rapport entre prolétariat et capital est en fait illimitée, asymptotique. Ce n’est pas l’action du prolétariat qui met le capital en crise, mais la crise ce sont les situations et les activités respectives du prolétariat et du capital qui se modifient comme résultat de leur contradiction.
Depuis la mort du programmatisme, il est exact que l’activité du prolétariat et la perspective qu’elle peut créer ne vont plus de soi en tant qu’activité révolutionnaire, comme elle pouvait aller de soi dans le programme, où la révolution était la poursuite de façon radicale de son activité d’auto-affirmation dans le mode de production capitaliste. Il nous faut retrouver l’action de la classe partant de ce qu’elle est contre le capital et se déterminant elle-même contre lui. La révolution a lieu non pas parce qu’on arrive au terme du mouvement des contradictions (quelles qu’elles soient), mais bêtement, parce qu’à un moment le prolétariat fait la révolution. Il y a un moment où toutes les déterminations, tous les procès contradictoires, toutes les significations historiques ne suffisent plus, si elles ne posent pas que c’est la lutte du prolétariat, dans sa dynamique, qui produit la rupture révolutionnaire.

* L’action révolutionnaire : moment ultime de l’implication réciproque

La révolution est un conflit entre les classes qui met un terme au capital, elle est la détermination ultime du procès contradictoire du capital comme contradiction entre le prolétariat et le capital. C’est dans cette contradiction de classes, de par son contenu, que le mode de production capitaliste apparaît comme un mode de production historiquement déterminé. Il produit une classe révolutionnaire, c’est à dire portant contre lui le dépassement de ses contradictions, et déterminant par sa situation dans la contradiction le contenu de ce dépassement comme période radicalement nouvelle de l’histoire de l’humanité. La fin est produite, elle n’est pas déjà le sens caché du mouvement : irreproductibilité, socialisation du travail ou de la nature, action ou révélation de l’être générique, caractère irrépressible de la vie ou des désirs, etc. Il ne faut pas concevoir le procès des contradictions capitalistes produisant la révolution, comme étant déjà en lui même le procès de son achèvement comme révolution. Méthode par laquelle on ne conçoit qu’une contradiction est productive de son dépassement, que si on a fait de son dépassement ou de sa fin le principe même de son cours.
Ce n’est pas l’irreproductibilité de la contradiction entre les classes qui produit la communisation. C’est la communisation qui rend la contradiction entre le prolétariat et le capital irreproductible.

d ) La crise de l’implication réciproque : activités du prolétariat et de la classe capitaliste

* Crise finale : deux activités de classe

Qu’est ce qui fait d’une crise, une « crise finale » ? Rien d’autre que son déroulement, et non l’accomplissement d’un sens ou d’une tendance. C’est la crise du mode de production capitaliste dans les termes du mode de production capitaliste, elle résulte de la baisse du taux de profit, contradiction entre des classes (c’est en cela que la question souvent posée : « jusqu’à quel point devra-t-il baisser ? », n’a pas de sens.). Il faut partir du fait que dans tous les conflits, le plus important est la distinction dans la reproduction du capital de l’activité de classes distinctes. C’est dans tout conflit ce qui saute aux yeux. Constamment, de la simple résistance dans le procès de travail, à la grève généralisée ou insurrectionnelle, jusqu’à la révolution communiste, ce sont deux activités de classes qui s’affrontent, celle du prolétariat et celle du capital. C’est constamment que le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale de son travail comme valeur accumulée devant se valoriser dans la reproduction de l’échange avec le travail vivant. C’est constamment, dans le procès de la valorisation, qu’il se constitue comme classe, c’est à dire comme activité socialement distincte contre l’activité du capitaliste.

* Activité de la classe capitaliste

L’activité du capital dans la crise est une aggravation de l’exploitation de toute la classe ; le prolétariat comme d’habitude lutte contre cette aggravation. On est toujours, ici, dans la structure du cours quotidien des luttes. La crise devient crise finale dans le fait que, dans cette lutte, se produit un mouvement double et symétrique.
Du côté du capital, comment, avec quels objectifs (que l’on peut même envisager comme consciemment poursuivis), le capital affrontera-t-il le prolétariat ? Comment se produit le fait que son accumulation ne parvient plus à avoir un sens contre le communisme ? Jusque là, cette capacité résidait pour le capital dans l’approfondissement de son processus contradictoire, mouvement dans lequel son propre développement est qualitativement la réponse adéquate au communisme, au communisme tel qu’il se présente historiquement dans chaque cycle de luttes. C’est cela aussi le capital comme contradiction en procès : la contre-révolution. Le capital est la contre-révolution parce qu’il est capable de répondre à la même question que le communisme : l’impossibilité de mesurer l’activité humaine. Capable de répondre à cette question qu’il a lui même formulée.
Si le capital ne parvient pas à « retourner » la lutte du prolétariat contre celui-ci, à la reprendre en lui, c’est alors l’impossibilité à restaurer le taux de profit qui en résulte (il ne faut pas inverser la causalité entre ces deux termes). Toute crise dans laquelle le capital cherche à restaurer le taux de profit, si elle a pour victime essentielle tout le prolétariat, se déroule immédiatement dans des conflits intercapitalistes, dans lesquels comme classe du capital le prolétariat se trouve embarqué. Le conflit s’achève en ce que l’une des aires capitalistes parvient, au travers de la dévalorisation générale de la crise, à représenter une solution globale pour tous les capitaux, y compris les vaincus, par le mode de valorisation qu’elle est à même de promouvoir. Il ne fait aucun doute que le capital reprendra cette démarche, qui n’est pas une tactique, un machiavélisme, mais une fatalité inscrite dans sa nature (il semblerait cependant que la nature de la guerre change, le « vainqueur » n’organisant plus une vie de vaincu légitime et vivable, il faudrait penser de nouveaux rapports entre crise, guerre et restructuration). C’est dans ce mouvement là que les conditions antérieures de la valorisation, et du cycle de luttes, seront déterminantes : contradiction entre prolétariat et capital se définissant au niveau de la reproduction de leur rapport ; disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital ; identité entre l’existence comme classe du prolétariat et sa contradiction avec le capital. La contradiction au niveau de la reproduction du mode de production capitaliste, c’est à dire au niveau de sa reproduction, pose, dans sa forme et dans son contenu, le rapport de prémisse comme son dépassement, c’est l’impossibilité pour le capital à reproduire en lui sa contradiction avec le prolétariat de par les qualités de l’activité du prolétariat.
L’énoncé même de ces conditions antérieures montre qu’il n’y a pas de situation qui, saisie unilatéralement, soit sans issue pour le capital. La crise du rapport d’exploitation est donnée dans le capital et dans le prolétariat, comme recherche de l’aggravation de l’exploitation et comme résistance à cette aggravation. C’est cette résistance qui dans son déroulement spécifique montre que le roi est nu, que contre le prolétariat et, de par l’activité de celui-ci, il ne peut produire un mode de valorisation supérieur. C’est dans cet instant que la contradiction entre les classes se transforme de moment de l’implication réciproque, en extériorisation de l’appartenance de classe. L’activité du prolétariat peut devenir, dans ses objectifs, dans le cours des mesures de lutte contre l’exploitation, attaque pratique des déterminations mêmes de l’exploitation.

* Activité du prolétariat

Du côté du prolétariat : il n’est amené à agir pour la destruction du système dominant que parce que la défense de ses intérêts immédiats l’y contraint. Mais il ne peut faire de cette destruction une conquête progressive et ne peut la mener à terme que comme l’abolition de toute les classes et de lui même comme classe, cette abolition n’est même pas une résultante nécessaire de celle du capital, mais le contenu des mesures qu’il prend dans cette lutte contre le capital. Le procès de dépassement de la lutte revendicative s’amorce dans la lutte revendicative elle même, lorsque celle-ci, à l’intérieur d’elle-même, pose ses exigences sans tenir compte de la logique de reproduction du système, et par là tend à remettre en question les conditions mêmes de l’existence de l’exploitation. C’est-à-dire simplement lorsqu’elle devient dans son cours de lutte revendicative jusqu’au-boutiste, dépassant par là sa cohérence de lutte revendicative. C’est seulement en cela que les luttes autonomes peuvent être le premier acte de la révolution, la suite s’effectue contre cette autonomie qui défend la classe dans ce qu’elle est en voulant libérer ce qu’elle est dans son rapport au capital.
La crise est ce moment de l’histoire du mode de production capitaliste où se noue l’irréconciliabilité absolue entre la logique de l’accumulation capitaliste et les revendications ouvrières que cette accumulation même implique, parce qu’elle les fait siennes en tant que mouvement nécessairement contradictoire de l’exploitation. La révolution ne procède pas directement de la résistance quotidienne, des luttes revendicatives, elle en est l’aboutissement non comme une transcroissance, mais comme dépassement produit de cette irréconciliabilité. En tant que contenu, cette irréconciliabilité se donne comme production de la contingence de l’appartenance de classe, en ce qu’elle est alors produite au cours de la lutte comme contrainte, extériorisée dans le capital. C’est alors la mise en évidence pratique et la mise en cause du rapport structurel qui fait que la lutte est revendicative (cours quotidien) : le rapport salarial. La crise est avant tout crise de l’implication réciproque, de l’autoprésupposition du capital, elle est par là ouverture intégrant ce qui est, l’histoire passée, comme libre prémisse et non comme détermination nécessaire à reproduire. La classe trouve alors, dans ce qu’elle est contre le capital, la capacité de communiser la société, au moment où simultanément, elle traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital.
Quand dans une société capitaliste on remet en cause au niveau social le partage entre salaire et profit, il devient vite évident, pour ceux qui sont dans la lutte, que cette société ne peut aller à l’encontre de ses propres bases, de sa propre logique, ce sont les notions mêmes de salaire et de profit qui peuvent devenir les prochaines cibles. Se trouver dans une situation, où c’est l’abolition de la société dans laquelle nous sommes nous mêmes engagés, définis, qui devient l’objectif du mouvement, de plus dans une situation sociale où en nous-mêmes, que ce soit comme salariés, prolétaires ou travailleurs, n’existe plus une identité à libérer contre cette société, un projet de réorganisation de celle-ci sur la base du salariat ou du travail producteur de valeur, se trouver dans cette situation et agir en conséquence, c’est là que s’amorce le dépassement de la lutte revendicative. Cela signifie que l’appartenance de classe qui était nécessité, définition sociale préalable à reproduire parce qu’impliquant sa reproduction, devient contingente. Il ne s’agit pas d’un processus interne à la classe, mais de son conflit avec le capital et de l’évolution des rapports de forces, donc des objectifs et de la conscience qui se déterminent dans la lutte. C’est un procès dans lequel le capital est lui même acteur, procès auquel il cherche à conférer un sens, dans lequel il construit, comme sa nécrologie, sa signification historique. L’issue de la lutte n’est jamais donnée d’avance. De par sa nature, la révolution ne peut se réduire à la somme de ses conditions, car elle en est le dépassement et non l’accomplissement.
Les rapports sociaux antérieurs, sans que cela tienne à un plan d’ensemble inexistant et impossible, se délitent dans cette activité sociale où l’on ne peut faire de différence entre l’activité de grévistes et d’insurgés et la création d’autres rapports entre les individus, de rapports nouveaux, dans lesquels les individus ne considèrent ce qui est que comme moment d’un flux ininterrompu de production de la vie humaine.

* La révolution n’est pas une réaction

D’abord, le prolétariat ne se distingue pas, formellement, des autres classes révolutionnaires de l’histoire, il n’est amené à agir pour la destruction du système dominant que parce que la défense de ses intérêts immédiats l’y contraint objectivement. Mais, il s’en distingue substantiellement, en ce qu’il ne peut plus faire de cette abolition une conquête progressive, une montée en puissance à l’intérieur de l’ancien système, en ce qu’il ne peut abolir la domination de la classe dominante sans s’abolir lui-même comme classe et toute société de classes. Dans le cours historique du mode de production capitaliste, une telle situation est l’aboutissement d’un cycle de luttes où le rapport entre prolétariat et capital ne porte plus la confirmation d’une identité prolétarienne face au capital, où la contradiction entre les classes se situe au niveau de leur reproduction.
Le prolétariat part simplement de ce qu’il est, pour produire autre chose que le capital. Quand on dit que le prolétariat fait la révolution, c’est ce « faire » qu’il faut fouiller, comme action de la classe. Le point crucial qui définit ce faire, c’est le moment où la lutte arrive à ce climax où, dans la classe en lutte, les rapports contre le capital se tendent à un point tel que la définition comme classe devient une contrainte extérieure, où l’appartenance de classe se construit comme contingente. Cela parce que déjà, dans la lutte, des divergences, des clivages, parfois violents, sont apparus à l’intérieur de la classe, de telle sorte qu’elle n’apparaît plus comme une fatalité, comme un rapport ou une action allant de soi.
Ce n’est pas l’aggravation illimitée de la crise qui produit la révolution, mais l’action du prolétariat dans la crise qui produit le communisme. Il ne s’agit pas d’un simple « il faut manger, il faut survivre » face à la crise de la reproduction capitaliste. C’est un « il faut survivre », qui a un contenu fourni par ce que le prolétariat est contre le capital, ce n’est pas une « réaction », mais une action positive : la production du communisme contre le capital. La défense de ses intérêts immédiats a amené le prolétariat au point où il est conduit à agir pour la destruction du système dominant. Le saut qualitatif est un produit de la relation, dans sa forme et son contenu, avec cette défense. C’est, au cours de cette défense acharnée, la production de l’existence de classe comme contrainte extériorisée dans le capital qui est ce saut, qui est le moment où la défense de ses intérêts immédiats amène le prolétariat à abolir le système dominant. Cela parce que positivement il trouve en lui même la capacité à produire contre le capital, à partir de ce qu’il est comme classe, autre chose.

* De la défense de ses intérêts à la communisation

C’est dans la crise qu’il y a un moment où le jeu réflexif de l’implication réciproque parvient au point de l’extériorisation de la contrainte de classe, c’est là que l’implication réciproque, en crise, devient action d’une classe trouvant dans ce qu’elle est contre le capital, au moment où sa définition comme classe lui est contrainte extérieure, la capacité de produire le communisme. Cette situation n’est pas étrangère à tout le cours antérieur du capital dans sa signification historique comme contre-révolution, comme constant cours et dépassement de ses contradictions en tant que réponse au communisme. A ce moment le prolétariat devient à même de considérer tout le cours antérieur du capital comme la propre condition d’existence de son dépassement.
En fait, la crise aboutit à une situation où le prolétariat est amené à dire (et à faire) : « moi je peux faire autre chose parce que je suis ce que je suis contre toi le capital ». Bien-sûr, on en arrive là par la crise de l’implication réciproque, mais le moment de la communisation ne tient pas à une irreproductibilité produite comme une impasse qui, en tant que telle, ne pourrait être que niée, et donc obligerait à faire autre chose (pour survivre ?), mais à l’action révolutionnaire qui définit cette crise. La révolution n’est pas une activité par défaut.
Le prolétariat met à jour dans sa lutte contre le capital les notions de salaire et de profit, pose par sa lutte la richesse produite et accumulée dans sa forme sociale de capital, c’est à dire impliquant l’existence du salariat, de la plus-value, de la marchandise, qui le définissent lui -même  ; il commence à s’emparer des moyens de production comme mesure de sa lutte contre le capital. On est alors au stade où le mouvement comme lutte quotidienne atteint son point de fusion, l’eau va se mettre à bouillir, à changer d’état. Le moment du saut qualitatif est celui où, à partir de là, la classe, dans la lutte contre le capital, produit le propre fait d’être une classe comme une contrainte extériorisée, imposée par le capital. C’est le moment déterminant de la lutte des classes. Mais l’eau a beau bouillir, a beau avoir changé d’état c’est toujours de l’eau, heureusement.
Heureusement, car dans cette situation où l’appartenance de classe est la relation conflictuelle avec le capital, le prolétariat lorsqu’il « s’empare des moyens de production », le fait comme mesure dont la forme et le contenu lui sont fournis par ce qu’il est : abolition de l’échange, de la valeur, de la propriété, de la division du travail, des classes, etc. ; sur la base de l’échange, de la valeur, etc. C’est le moment où son action de classe n’a pour contenu que l’abolition des classes, la communisation de la société. L’eau cesse alors d’être de l’eau, même sous forme de vapeur.

* La communisation n’est pas appropriation

Le prolétariat s’emparant des moyens de production est le point ultime de l’implication réciproque. Il s’en empare, mais ne peut se les approprier comme il ne peut s’emparer de l’Etat. Sa lutte contre les forces sociales défendant la reproduction capitaliste de la société lui impose de les bouleverser dans leur forme sociale, c’est-à-dire dans les formes matérielles immédiates dans lesquelles cette forme sociale existe. Son action est en outre conditionnée par ce qu’il est lui-même. Il est l’abolition des conditions existantes sur la base des conditions existantes. Il est dans le mode de production capitaliste l’abolition de la propriété, de la division du travail, de l’échange et de la valeur, des classes, sur la base et à l’intérieur de leur existence. Toutes les appropriations révolutionnaires antérieures étaient limitées par leur nature même d’appropriations car elles demeuraient dans la division du travail, la propriété, et la division de la société en classes.
Dans le communisme l’appropriation n’a plus cours parce que c’est la notion même de « produit » qui est aboli. Bien sûr, il y a des objets qui servent à produire, d’autres qui sont directement consommés, d’autre qui servent aux deux. Mais parler de produits et se poser la question de leur circulation, de leur répartition ou de leur « cession », c’est-à-dire à un moment donné de leur appropriation, présuppose des lieux de rupture, de « coagulation » de l’activité humaine : le marché dans les sociétés marchandes, la dépose et la prise au tas dans certaines visions du communisme. Le produit n’est pas une chose simple. Parler de produit, c’est supposer qu’un résultat de l’activité humaine apparaît comme fini face à un autre résultat ou au milieu d’autres résultats. Ce n’est pas du produit qu’il faut partir mais de l’activité (infinie).

e) Classe contre immédiatisme

Nous pouvons toujours théoriquement nous approcher à une distance infinitésimale de ce point de fusion de la lutte de classe, mais en tant que tel il échappera toujours à la détermination empirique. Nous pouvons réunir théoriquement toutes ses conditions, déterminer même qu’il ne peut pas ne pas se produire, sans jamais pouvoir déterminer pourquoi là, il se produit. Si ce moment échappe à la détermination empirique, c’est que de par sa nature même ce moment échappe à la détermination théorique, car il met en jeu l’action du prolétariat en tant que classe, au moment où l’appartenance de classe devient contingente. L’Homme étant une hypothèse dont on peut se passer, l’extranéisation de l’appartenance de classe est la limite historique et théorique de la production théorique. Pour une fois nous acceptons la prudence kantienne qui se moque de la colombe s’imaginant voler plus librement sans la résistance de l’air.
La production de l’immédiateté sociale de l’individu est l’autotransformation du prolétariat. Elle est produite dans l’abolition du capital, ultime rapport entre le capital et le prolétariat, et non par des prolétaires qui ne sont plus des prolétaires. Si l’on considère que la production du communisme ne peut être que le fait de prolétaires qui ont au préalable abandonné leur situation de prolétaires, ou si l’on considère que le prolétriat est (potentiellement ?) révolutionnaire, celle-ci peut être entreprise, même partiellement, n’importe quand et n’importe où. Mais, la production du communisme est l’oeuvre du prolétariat en tant que tel, c’est-à-dire comme classe de cette société, alors elle est soumise au développement des contradictions de classes de cette société, à leur histoire, c’est-à-dire à l’économie.
C’est là que nous sommes.

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