À partir du milieu des années soixante, toutes les données qui avaient fait la vigueur de la phase d’expansion capitaliste depuis la crise de 1930 et la Deuxième Guerre mondiale se retournent et s’orientent à la baisse. L’enjeu de la crise de 1930 avait été le passage à la valorisation intensive, passage qui impliquait le développement des « rapports contractuels » ente directions capitalistes et organisations ouvrières ; la socialisation d’une partie des dépenses de la reproduction de la force de travail (salaire reporté) et enfin une extension et une diversification des interventions économiques de l’État. Pour ce dernier point, sur lequel nous reviendrons, contentons nous de dire que la dévalorisation, en devenant le principe même de l’accumulation promouvait l’intervention étatique en lieu et place des crises cycliques classiques que la nouvelle organisation du rapport entre la dévalorisation et l’accumulation transformait en simple récession, supprimant ainsi leur rôle éminemment régulateur.
Le retournement de tendance au milieu des années soixante est visible au niveau de l’évolution de la productivité, du coût salarial social réel et, finalement, du taux de profit. Si l’on prend le cas des États-Unis, sur la période 1947-1971, « l’accroissement de la composition valeur du capital sur l’ensemble de la période est reflété par la croissance de l’amortissement du capital fixe par unité de produit plus rapide que celle du salaire des travailleurs productifs par unité de produit. On remarque également l’approfondissement spectaculaire de la plus-value relative dans la période 1958-1966, confirmant l’accélération de la baisse du coût salarial social réel dans cette période. La charge salarial et la charge d’amortissement par unité produite ont diminué toutes les deux, dégageant un profit accumulable par unité produite en croissance très rapide. On mesure par contraste l’ampleur et la brutalité de la cassure inaugurée en 1966 dans le rythme de progression de la productivité du travail et dans la décroissance du coût salarial réel. Cette rupture a provoqué une compression très forte du coût salarial unitaire des travailleurs productifs qui croit beaucoup moins vite que les autres composantes de la valeur ajoutée unitaire, sans pour autant empêcher le fléchissement du profit unitaire parce que la composition valeur du capital s’élève rapidement. » (M. Aglietta, Régulation et crises de capitalisme, Ed. Calmann-Lévy, p. 77)
En ce qui concerne le coût salarial social réel qui évolue en sens inverse se la plus-value relative, les tendances sont les suivantes :
– constance de 1900 à 1917 ;
– décroissance moyenne dans l’entre-deux-guerres (avec de fortes fluctuations dans les années 1930) au rythme de 0,9 % par an ;
– décroissance plus rapide et beaucoup plus régulière dans l’après Deuxième Guerre mondiale jusqu’en 1966, au rythme de 1,4 % par an ;
– constance en moyenne à partir de cette dernière date.
En ce qui concerne l’évolution du taux de profit, toujours aux États-Unis, Goux, dans Ruptures d’un système économique (Ed. Dunod, p. 278-279), conclut après avoir discuté la manière de calculer le taux de profit à partir des données statistiques existantes : « vrais profits non distribués. Il s’agit ici des profits non distribués corrigés de l’évaluation des stocks et de celle des amortissements. Ce sont donc les véritables profits de l’entreprise qui résultent de la bonne marche de l’affaire – bonne gestion – productivité accrue, etc. On restes stupéfait devant leur évolution. Ils passent de 4,3 milliards en 1946 à 23,4 milliards en 1976, soit une augmentation moyenne annuelle de 5,8 %. Non seulement ils n’ont pas suivi, et de loin, la moyenne de la hausse de la valeur ajoutée qui a été sur la même période de 8 %, mais ils se situent maintenant à des niveaux très bas, à peine la moitié de la somme totale des vrais profits. » Entre 1946 et 1976, les taux ont chuté d’environ 50 % en trente ans, passant de la valeur moyenne de 12 % à celle de 6 %. Ce résultat est d’autant plus significatif que 1976 est une année moyenne. On passe d’une année moyenne du taux de profit de 12,9 % en 1950 à 8,3 % en 1960 et 6,3 % en 1970. En ce qui concerne la France, « de 1956 à 1970, le taux de profit des sockeyes françaises a continué de progresser. La différence avec les États-Unis est donc nette. La période de reconstruction puis de forte croissance, au prix certes d’une durée de travail la plus forte d’Europe et d’une bonne productivité, a permis de dégager des taux de profit en augmentation. Depuis 1970, et surtout 1972, le mouvement s’est inversé. Les taux de profit ont fortement chuté et se sont retrouvés en 1976 en dessous de ceux de 1956. » L’évolution est la suivante : 12,8 % en 1956 ; 16,4 % en 1960 ; 18,2 % en 1970 ; 11,1% en 1976. On verra ensuite pourquoi la France n’est touchée que plus tardivement par le crise.
Pour fonder le début de la crise au milieu des années soixante, il suffirait encore de rappeler les récessions de 1964-1965 au Japon, de 1967 en Allemagne, dans lesquelles l’accumulation du capital de ces pays change de signification, la dévaluation de la livre sterling en 1967 qui ouvre l’ère du stop and go au Royaume-Uni et officialise la crise monétaire mondiale, ou encore de rappeler l’arrêt de l’expansion du capital américain durant cette période en Europe, selon les branches motrices de la phase d’expansion.
Le processus inflationniste comme crise de la valorisation en domination réelle
Cette première phase de la crise qui va se dérouler jusque dans les années 1974-75 correspond à un moment que l’on retrouve dans toutes les crises, la phase d’euphorie des affaires, de booms spéculatifs, de recherche de surprofits. Sa caractéristique nouvelle est sa longueur, son étalement, durant lequel se succèdent des périodes de plus ou moins haute conjoncture. La brève phase euphorique devient processus inflationniste s’étalant sur plusieurs années. Il faut ancrer dans la phase de prospérité antérieure cette transformation de la phase d’euphorie en processus inflationniste.
Conformément à la loi de la valeur, la métamorphose de la valeur du capital fixe dans celle des marchandises produites s’accomplit dur la période totale pendant laquelle il est en usage, de sorte que sa valeur s’annule au moment même où il est déclassé. Par conséquent, la capital fixe perd graduellement de sa avaleur à chaque cycle de production : « une fraction croissante de sa valeur totale se retrouve sous forme monétaire en tant que provision financière destinées à acheter ultérieurement les marchandises qui sont les moyens de production remplaçant ceux qui sont déclassés. » (Aglietta, Ibid., p. 82) En domination réelle, la mutation accélérée des forces productives est la base matérielle de la productivité du travail en tant que source de la plus-value relative. Il n’y a cependant aucune raison pour que le rythme de modernisation des forces productives satisfasse la conservation de la valeur du capital constant au sens où les rythmes de renouvellement et de modernisation seraient identiques, il y a même de très fortes raisons qui militent en sens inverse : d’une part, la masse de capital constant est de plus en plus importante, augmentant également en valeur, d’autre part, cette augmentation de la composition organique elle-même nécessite son propre bouleversement pour qu’un accroissement supérieur de l’extraction de plus-value relative vienne valoriser cette masse croissante de capital. D’une part, dans le mode de production capitaliste, la reproduction des conditions de production implique la conservation de la valeur du capital fixe. Il y a une dévalorisation du capital. Il convient de ne pas confondre ce concept de dévalorisation avec la dépréciation du capital, puisque le premier entraine l’impossibilité de satisfaire complètement le second. » (Aglietta, Ibid., p. 83) Une partie du travail cristallisé dans les moyens de production n’est pas validée comme travail social dans l’échange. Avec la valorisation intensive, cette dévalorisation devient un phénomène intrinsèque au processus d’accumulation, elle en est même un mode de régulation. « L’obsolescence devient généralisée et permanente, ce processus est le substrat matériel de nouvelles modalités de la dévalorisation du capital. Étant intimement liée à la formation du capital, la dévalorisation ne se manifeste plus principalement comme une interruption brutale du cour de la dépréciation du capital. Elle fait partie des métamorphoses de la valeur en étant prise en compte dans formation de la provision financière pour le remplacement du capital fixe. » (Aglietta, Ibid., p. 89) L’inflation rampante inhérente à la valorisation intensive même en dehors des crises, est la façon dont sont supportées des pertes de valeur selon cette modalité de la dévalorisation du capital.
La renouvellement du capital fixe implique la création d’une provision financière « évidemment avancée à crédit puisqu’elle est incorporée dans les dépenses courantes, à laquelle ne correspond pas la réalisation d’un travail passé, puisque les éléments correspondants du capital constant sont dévalorisés par obsolescence. Mais cette provision financière entre dans le circuit du revenu pour acheter des moyens de production nouvellement crées. » (Ibid., p. 313-314) Il en résulte que la monnaie qui achète le produit du travail nouveau de la société dépasse constamment celle qui a été intégrée dans la formation du revenu : « comme le flux de monnaie intégrée doit nécessairement égaler le reflux de monnaie désintégrée, puisque l’un et l’autre proviennent de la même créance bancaire qui doit être éteinte après réalisation du revenu, l’adjonction au cours du circuit du revenu d’un flux monétaire dérivé de la réalisation du capital constant se porte sur le même produit du travail nouveau et doit réaliser la même valeur. La solution de cette contradiction est univoque : l’adaptation se fait par hausse de l’expression monétaire de l’heure de travail abstrait, c'est-à-dire par baisse de la valeur de la monnaie. Cette adaptation n’est possible que grâce à l’unification de toutes les monnaies bancaires en une seule monnaie nationale établie par la monnaie centrale sur le marché monétaire. » (Ibid., p. 313) La valorisation intensive connaît donc de façon permanente un régime d’inflation rampante et d’affaiblissement de la contrainte monétaire (réalisation de la valeur créée). On peut rajouter que cette inflation rampante est un mode de régulation de l’échange entre les deux secteurs du capital (biens d’équipement, biens de consommation). En effet, même si dans la valorisation intensive il y a élargissement rapide de la section II du fait de l’intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital, cela n’empêche pas le développement inégal de la section I qui mène le rythme d’accumulation du capital. L’intensification de l’obsolescence (dévalorisation) avant que la dépréciation soit parvenue à son terme ouvre les débouchés requis par le développement inégal de la section I ; cela tend à neutraliser ce développement inégal.
Le début de la crise de la valorisation intensive marque une accélération de l’inflation rampante inhérente à ce mode de valorisation et sa transformation en accumulation cumulative au travers de la formation d’un structure instable d’endettement due à la suraccumulation du capital. L’accumulation est trop forte pour la valorisation. La suraccumulation du capital n’est pas étrangère à l’échange entre les deux sections de la production capitaliste, elle détermine la rupture de l’équilibre de ces échanges. Le capital n’entre pas en crise en raison d’une disproportionnalité entre ces sections, cette disproportionnalité de croissance étant sans cesse résorbée par l’accroissement de la plus-value relative, l’extension de la production et la dévalorisation du capital, c’est la crise de la valorisation, ou suraccumulation du capital qui détermine l’impossibilité delà réalisation effective du produit global dans l’échange entre les deux sections. Nous retrouvons une de nos propositions fondamentales selon laquelle c’est le rythme de la valorisation et l’évolution du taux de profit qui est cause des contractions ou extensions des échanges.
En 1966, la première phase de la crise se manifeste aux États-Unis comme un manque de moyens de financement qui naturellement ralentit la croissance des investissements des entreprises : « ces dernières années, les disponibilités des entreprises n’ont pas suffi à financer les investissements, en outre leur progression a été plus lente que celle des investissements, de sorte que les besoins en moyens de financement extérieurs se sont accrus rapidement. » (OCDE, Études économiques, États-Unis, décembre 1966) En RFA, l’endettement extérieur des entreprises allemandes augmente considérablement, on assiste à une forte contraction des liquidités bancaires, les banques empruntent à l’étranger (OCDE, Études économiques, RFA, mars 1967). En France (OCDE, Études économiques, mai 1967), les coefficients de trésorerie sont abaissés à plusieurs reprises pour permettre aux banques de faire face aux échanges, les taux d’intérêt sont très tendus : « les caractère modéré de la reprise des investissements dans la nouvelle phase d’expansion de la demande semble correspondre pour une bonne part à des difficultés de financement des entreprises renforcées par l’atonie du marché des capitaux en 1966. » Au Royaume-Uni, 1966 et 1967 sont des années de manque de liquidités, avant même la dévaluation de la livre sterling ; on fait de nombreux appels au FMI et aux banques centrales étrangères. En 1967, en France, sont supprimés les derniers restes d’encadrement du crédit, ce qui permet de faire passer l’augmentation du total des crédits à l’économie de 4 % en 1966 à 8,7 % en 1967 (OCDE). Au Japon, par contre, en 1966-1967, l’économie ne réagit que faiblement aux mesures d’assouplissement de la politique monétaire, les investissements sont limités par les possibilités de crédits (OCDE, Études économiques, Japon, juin 1967). Toujours en 1967, la RFA connaît une restriction très forte des liquidités, des secteurs de l’économie sont de plus en plus tributaires de l’emprunt, l’autofinancement qui au début des années cinquante représentait la moitié des investissements n’en représentait plus que le cinquième en 1965.
C’est à partir de cette situation que s’engage le processus inflationniste cumulatif en tant que phase euphorique des affaires et des investissements. La validation sociale des investissements réalisés, c'est-à-dire leur renouvellement et leur valorisation nécessite un affaiblissement constant de la contrainte monétaire. L’augmentation des investissements va s’accompagner d’un rythme de plus en plus soutenu de l’inflation ainsi que de la mise en place d’une structure d’endettement de plus en plus instable. Jusqu’en 1971, la phase d’euphorie n’en est qu’à ses débuts.
Aux États-Unis, en 1968, l’accroissement de la productivité se ralentit à nouveau, les coûts unitaires de main-d’œuvre augmentent, mais, malgré une orientation rigoureuse de la politique monétaire, la masse monétaire augmente rapidement ainsi que les taux d’intérêt. On assiste à une tension considérable sur le marché des capitaux : « la demande de capitaux émanant des sociétés non financières, des États et des collectivités locales, qui avait atteint des niveaux records en 1967, diminue quelque peu tout en restant élevée par rapport à ce qu’elle était généralement dans le passé. » (OCDE, Études économiques, États-Unis, décembre 1968) En 1968, au Japon, l’économie connaît une phase d’expansion rapide, sans qu’aient été résolus les problèmes de financement des investissements ; la haute conjoncture ne fait même que renforcer ces problèmes.
Peu à peu, les contradictions de cette phase se font jour de façon plus claire. Aux États-Unis, 1969 est une année de ralentissement de la demande avec augmentation des prix et malgré la baisse de la consommation individuelle et de l’indice d’utilisation des capacités industrielles de production, la demande d’investissements fixes productifs se maintient et augmente même de 7,5 %. Il s’agit d’augmenter la productivité, de faire des économies de main-d’œuvre, plutôt que d’accroitre les capacités de production. Dans le même temps, malgré le caractère de plus en plus coûteux du crédit, la demande reste très forte, les entreprises empruntent de plus en plus à court terme et les banques se ravitaillent sur le marché de l’Eurodollar (OCDE, Études économiques, États-Unis, mars 1970). La recherche de gains de productivité devient devant la baisse du taux de profit une nécessité vitale, c’est ça la phase d’euphorie : course aux investissements, à la productivité, course aux emprunts. Cependant, le mouvement ne fait que renforcer la baisse du taux de profit et accroitre le décalage entre la masse des investissements et leur valorisation, donc rendre très instable l’endettement qui fut à leur origine. De la même façon qu’aux États-Unis, en 1969 au Japon, les investissements s’accroissent rapidement, en même temps que la trésorerie des entreprises se détériore et qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir des crédits et que les taux d’intérêt augmentent régulièrement. Tout naturellement, ces investissements sont dans leur quasi-totalité destinés à obtenir des gains de productivité. Il s’agit d’une vraie course à la productivité et aux surprofits, quand on sait qu’en 1969, 53 % du parc des biens capitaux du secteur privé a été installé en cinq ans. Le même mouvement s’observe en RFA où là aussi, les investissements servent surtout à rationnaliser la production. Ces investissements augmentent tandis que s’accroissent les tensions sur la liquidité des banques et que la masse monétaire s’accroit rapidement, et cela malgré la réévaluation du deutschemark (OCDE, Études économiques, RFA, avril 1970).
Nous voyons donc entre 1966 et 1967 se développer le processus inflationniste et ses contradictions. Contrairement à la crise financière classique, les monnaies bancaires ne décollent pas de la contrainte monétaire (réalisation du produit global, validation du travail cristallisé) pour se transformer en simples créances qui ultérieurement seront brutalement démonétisées. « Au contraire, c’est la contrainte monétaire qui s’affaiblit, parce que la banque centrale peut en toutes circonstances assurer l’unité des monnaies bancaires par l’émission de sa propre monnaie. En le faisant dans une situation où les monnaies bancaires portent des assignations sur des valeurs futures de plus en plus aléatoires, la banque centrale opère une pseudo-validation sociale du revenu. C’est pourquoi, l’endettement cumulatif, croissant beaucoup plus vite que la valeur d’échange du produit et de plus en plus instable, qui se développe dans cette phase de la crise financière, se traduit pas une accélération de la perte de valeur de la monnaie nationale. » (Aglietta, ibid., p. 315) Dans cette phase initiale de la crise, la réaction de chaque capital à la situation de suraccumulation de capital passe par la formation de capital nouveau, ce qui est le mouvement inhérent de la concurrence dans l’accumulation intensive. Mais alors, le temps de rotation (dépréciation) du capital investi entre violemment en contradiction avec la création de conditions nouvelles de production. De plus, la disjonction entre la masse de capital investi et la valorisation de ce capital crée une pénurie persistante de ressources financières disponibles pour cette course à la productivité. Le financement de ces investissements nouveaux tend à ne plus résulter d’une accumulation du profit, mais d’une incorporation dans les coûts d’exploitation courante de la dévalorisation du capital antérieurement investi (c'est-à-dire que la dévalorisation est considérée comme une dépréciation normale – achèvement de la rotation). Le processus inflationniste est donc bien une tentative de solution de la contradiction, de plus en plus aiguë dans cette phase de la crise, entre le temps de travail cristallisé dans le capital investi qui implique une certaine durée à la rotation, et le temps de travail social moyen, c'est-à-dire la valeur réelle de ces investissements déterminés non pas par le temps de travail cristallisé en eux, mais par le temps de travail que nécessite actuellement leur reproduction. Il en résulte que pour les entreprises, l’accroissement du cash-flow, au travers de ces provisions financières fondées sur la dévalorisation du capital considérée comme dépréciation, engendre au niveau du capital social une augmentation cumulative de l’endettement. En effet, le crédit vient valider cette dévalorisation considérée comme dépréciation, et permettant des investissements nouveaux, accélère le phénomène ; il est évident que pour les entreprises les mieux placées, un accroissement rapide de productivité et de part du marché peut justifier ce mouvement entre dévalorisation et dépréciation ; il ne peut en être ainsi pour le capital social. Aux États-Unis, « l’augmentation de l’endettement est plus rapide que celle du cash-flow. Pour un dollar de cash-flow, l’endettement net annuel des entreprises était de 0,65 dollar en 1965. Il est monté jusqu’à 0,95 dollar en 1969, lors de la première poussée d’inflation cumulative. Retombé à 0, 75 dollar dans la récession qui a suive en 1970-1971, le ratio s’est élevé jusqu’à 1,60 en 1974. Ces fortes augmentations, dès que la formation de capital s’accroit, expriment le manque durable de capitaux monétaires disponibles pour l’investissement en égard aux incertitudes de l’avenir. » (Aglietta, ibid., p. 317-318)
Ce système d’endettement repose de plus en plus sur l’endettement du système bancaire lui-même, les banques ont besoins d’emprunter de plus en plus de liquidités pour nourrir une trésorerie tendue vers l’expansion du crédit. Aux États-Unis, l’endettement des banques sur le marché monétaire est passé de 2,3 % en 1967 à 13,3 % en 1974. À travers ses contradictions, le processus inflationniste ne peut supprimer la crise, d’une part, il est la forme que prend, en domination réelle, la première phase de celle-ci, d’autre part, les contradictions propres qui le portent ne font que préparer la crise en tant que phase profonde de récession somme ce sera le cas en 1974-1975. Lorsque ces structures d’endettement instable se sont généralisées à l’ensemble de l’économie avec l’accentuation corrélative entre les investissements, l’endettement et les profits, la contrainte monétaire s’affirme brutalement, sous la forme d’une contrainte de liquidités. C’est cette tendance qui se développe entre 1971 et 1974.
Tout d’abord, on assiste à un premier ébranlement des structures d’endettement (1971), puis on assiste au boom spéculatif lui-même (1972-1973) qui n’avait fait que s’ébaucher entre 1966 et 1970. L’année 1970 voit aux États-Unis un grand ralentissement de l’activité économique, une baisse des investissements des entreprises, le taux d’utilisation des capacités baisse de 8 % en 1970 sur 1969, cependant, les sociétés non financières accroissent leur emprunts à long terme d’environ 60 % par rapport à 1969, la masse monétaire augmente fortement et l’inflation s’accélère. L’écart entre l’endettement et la valorisation du capital devient patent et va s’accroissant, c’est l’année de la faillite de la Penn-Central (OCDE, Études économiques, États-Unis, avril 1971). Le processus inflationniste s’accélère comme desserrement de la contrainte monétaire (contrainte de la réalisation déterminée par la valorisation). C’est le premier ébranlement des structures instables d’endettement qui s’internationaliseront et s’unifieront mondialement en 1971 avec la dévaluation et l’inconvertibilité du dollar (15 août 1971). Cet ébranlement va accélérer le caractère cumulatif de l’inflation pour tenter de le résoudre, l’accentuation des structures instables d’endettement va être après ce premier ébranlement, sa tentative même de résolution, c’est une fuite en avant ; ainsi sera donné naissance à la période de boom spéculatif elle-même.
De son côté, la RFA connaît les mêmes problèmes : l’essor économique depuis 1967 a perdu de son dynamisme, la productivité augmente très lentement, cependant les prix continuent à augmenter (+ de 7,5 % en 1970 – sans précédent), ainsi que la masse monétaire. On assiste à une forte détérioration des liquidités des banques et à une élévation des taux d’intérêt. Comme aux États-Unis, l’écart se creuse entre l’endettement et la valorisation, ce qui entraine un processus cumulatif par recours à nouveau à l’endettement pour tenter de combler l’écart (OCDE, Études économiques, RFA, juin 1971). Au Japon, l’été 1970 voit la fin de la phase de haute conjoncture, ce qui entraine un appel de plus en plus pressent au crédit. Entre septembre 1969 et octobre 1970, les taux d’intérêt ont violemment augmenté et les grandes sociétés sont très gênées. De plus, des demandes de prêts de plus en plus importantes sont destinées à couvrir les échéances d’investissement déjà réalisés, une telle situation illustre bien l’échec du processus inflationniste, il faut bien qu’éclate l’écart entre l’endettement, les investissements et la valorisation du capital. Une fois de plus, on voit que le processus devient cumulatif par recours à nouveau à l’endettement (OCDE, Études économiques, Japon, juin 1971).
À partir de 1971-1972, la masse monétaire augmente aux États-Unis à des taux exceptionnels, + 10,25 % pour les sept premiers mois de 1971 au lieu de 5,5 % en 1970 ; de 1957 à 1969, le taux d’augmentation tendanciel avait été de 3,25 % par an (OCDE, Études économiques, États-Unis, avril 1972). L’année 1971 est avant tout aux États-Unis, l’année de la dévaluation et de la suppression de la convertibilité du dollar, nous avons déjà dit que nous avions là l’extension et l’unification mondiale du processus inflationniste et des structures instables d’endettement, c’est pour les États-Unis le mécanisme bien connu de la crise sans pleurs. La dévaluation du dollar, c’est également une étape de la dégradation continue de la compétitivité des entreprises américaines, selon un processus amorcé dans les années soixante et accéléré depuis 1970. Cette dégradation n’est rien d’autre que le procès même de la crise de la valorisation intensive, touchant les branches motrices de ce type d’accumulation, là où elles étaient le plus développées. Ces branches, comme on le verra, continuent de se développer ailleurs (Allemagne, Japon), alors que les États-Unis tentent déjà ou plutôt parce que les États-Unis tentent déjà une restructuration du capital dont nous parlerons plus loin (cette dévaluation rentre également dans le procès de la crise où est recherchée une réforme du système monétaire telle que la monnaie soit dissociée de la valeur – DTS –, recherche utopique mais typique de la crise actuelle).
Durant l’année 1972 et début 1973, la crise monétaire s’internationalise : fermeture des principaux marchés des changes durant la première moitié de 1973, le deutschemark est réévalué de 3 %, six des pays de la CEE décident un flottement concerté de leur monnaie. La crise des branches motrices de la phase d’expansion précédente, crise au niveau mondial, mais qui comprend leur extension en Allemagne et au Japon, accroit le déficit de la balance commerciale des États-Unis, ce qui renforce mondialement les structures instables d’endettement. « Le déficit de 1972, s’est encore traduit en majeure partie par un accroissement des engagements des États-Unis à l’égard des institutions officielles d’autres pays, de sorte que la situation monétaire aux États-Unis n’en a pas ressenti les effets directs. » (OCDE, Études économiques, États-Unis, juin 1973) Tout cela n’empêche, dans cette phase d’euphorie, la production de connaître une forte croissance avec recrudescence de l’inflation, une forte demande de fonds et une augmentation des taux d’intérêt.
La RFA, quant à elle, entre également, début 1972, dans la phase du boom spéculatif lui-même : « l’économie est sortie de la phase descendante, sans que les prix et les coûts aient recouvré une stabilité comparable à celle de 1967. » (OCDE, Études économiques, RFA, juin 1972) le desserrement de la contrainte monétaire propre au processus inflationniste entraine en mai 1971 le flottement du deutschemark, qui ne connaître un réalignement de parité qu’en décembre 1971. Les crédits à l’économie augmentent très vite, malgré la forte réduction des réserves liquides des banques, crédits tout naturellement destinés à des investissements de substitution du capital au travail. En mais 1973, l’OCDE écrit qu’en RFA depuis 1970, la situation se caractérise par la simultanéité de trois phénomènes : croissance rapide des agrégats monétaires, des taux d’intérêt très élevés, une étroitesse des réserves liquides ; en 1973, pour la première fois depuis quinze ans, les banques allemandes empruntent auprès de la Bundesbank.
Au Japon, l’année 1971 et le début de l’année 1972 se caractérisent également par une baisse globale des investissements des entreprises, sauf en ce qui concerne les investissements économisant de la main-d’œuvre, l’extension des capacités recule de 8,3 %. Dans ce contexte, la masse monétaire continue à augmenter au rythme très rapide de 24 % dans l’année et les crédits bancaires s’accélèrent ; l’OCDE note que l’augmentation des crédits est un trait marquant de la récession actuelle tout au long de 1971 (OCDE, Études économiques, Japon, juin 1972). Lors de la reprise, amorcée début 1972, la hausse de la production et de la productivité est parallèle à celle des prix, illustrant bien là la nature de la reprise : début du boom lui-même dans le processus inflationniste. Cela s’accompagne naturellement d’une très forte augmentation de la masse monétaire et des crédits. « La phase de haute conjoncture actuellement en cours est la plus vigoureuse qu’ait connue la zone OCDE depuis plus de vingt ans et elle entraine partout de fortes hausses de prix, en particulier sur les marchés des produits primaires. » (OCDE, Études économiques, Japon, juillet 1973) L’OCDE confond le début du boom spéculatif qui va atteindre son plus haut niveau au cours de l’année 1973 avec une phase de reprise. La poursuite des anticipations expansionnistes s’appuie sur des crédits destinés à des investissements que la valorisation du capital ne vient jamais valider, c’est par là que le processus devient cumulatif et engendre les structures instables d’endettement dont nous avons parlé. Avant de voir l’année 1973 où le boom spéculatif atteint son plus haut niveau, il nous faut revenir sur le cas de deux pays dont nous avons peu parlé jusqu’à présent : la France et le Royaume-Uni.
Durant les premières années de la crise, en gros entre 1966 et 1970, la France connaît une crise qui a un double caractère (double caractère qui se retrouve dans un mouvement comme celui de Mai 68). La crise, au niveau mondial de la valorisation intensive, est la contrainte pour la France de se restructurer, au niveau de ce qui entre dans en crise. c’est pour cela que dans ces premières années, la France ne connaît pas les vagues de haute et basse conjonctures qui frappent les autres pays. Le pays ne sera au diapason mondial qu’à partir de 1971-1972. En France, à la fin de 1968, la production avait dépassé de 7,4 % son niveau d’avant les grèves et cela surtout grâce à une rapide augmentation de la productivité dans l’année qui avait annulée pour les entreprises l’accroissement des salaires. De plus, cette augmentation de la productivité avait été rendue possible par l’absence de freinage des prix. Au cours de l’année 1970, les fusions d’entreprises s’accélèrent et les gains de productivité ; depuis la dévaluation du franc d’août 1969 (11,1 %), l’économie française tente de se restructurer en faisant des exportations une de ses activités motrices. La crise mondiale de la valorisation intensive est pour la France, dans un premier temps, un procès de restructuration. En 1971, le 6ème plan prévoit que les exportations devront être le principe stimulant de la production. Durant les années 60, selon l’OCDE (Études économiques, France, février 1972), l’augmentation des coûts unitaires avait été en France plus rapide que dans les autres pays de l’OCDE, et toujours d’après ce texte, ce qui caractérisait l’économie française depuis 1967, c’étaient les gains de productivité, les groupements d’entreprises, et de fortes tendances monopolistiques. L’année 1971 marque l’entrée de la France dans le processus inflationniste : les prix augmentent de 6 %, les taux d’intérêt sont relativement élevés, expansion très forte des liquidités, augmentation de 16,5 % de la masse monétaire dont 14 % est due à l’augmentation des crédits. Le même mouvement se poursuit au cours de l’année 1972 : la part du crédit dans l’expansion de la masse monétaire passe de 2/3 (66 %) à 80 %, la substitution capital/travail s’accélère et la compétitivité delà production française s’améliore fortement. « Face, ces deux dernières années, à une tendance à la récession dans de nombreux pays, la France a maintenu un taux de croissance relativement élevé. » (OCDE, Études économiques, France, février 1973). On sait que cette tendance à la récession n’était autre que le premier ébranlement des structures instables d’endettement, ce n’est qu’en 1972 que la France quant à elle se trouve pleinement intégrée au processus inflationniste mondial.
Durant cette période de la première phase de la crise : « des trois pays étudiés (France, Royaume-Uni, RFA), c’est la France qui a enregistré la croissance la plus vive et la plus régulière : 5,4 % l’an en moyenne entre 1960 et 1974 ; vient ensuite la RFA avec un taux de 4,2 % suivi du Royaume-Uni avec 2,6 %. C’est en France également que l’évolution de la productivité des facteurs de la rentabilité s’avère pour l’ensemble des branches marchandes la plus favorable. La productivité du travail (mesurée par valeur ajoutée par tête) y croit de 5,3 % en moyenne par an sur cette période, alors qu’elle n’a progressé respectivement que de 4,7 % et de 2,6 % dans les autres pays. » (INSEE, Économie et statistique n0 105, novembre 1978). Ce qui n’empêche pas bien sûr la rentabilité de l’industrie allemande d’être plus élevée que celle de l’industrie français, le niveau de productivité était en Allemagne au début de la période beaucoup plus élevé qu’en France. Ce qui est aussi très significatif de cette expansion française dans les premières années de la crise, c’est le rôle joué par le secteur des biens d’équipement : « En France, le secteur des biens d’équipement détient le record du rythme de croissance dans l’ensemble des activités marchandes… Ceci conduit à une augmentation de sa part dans le total d’environ 30 % entre 1960 et 1974. » (Ibid.) Ce secteur est le secteur moteur dans la valorisation intensive, avec les biens de consommation durables, il impulse et rythme la croissance, son développement en France est significatif de la dualité de la crise dans ce pays. De la même façon, alors que entre 1970 et 1973, l’industrie allemande perdait 203 000 emplois salariés, son homologue française en créait 273 000, mais de 1973 à 1976 (années à partir desquelles la France est totalement intégrée dans le processus inflationniste mondial, dans la crise de la valorisation intensive) comme la RFA, l’industrie française perd des salariés (140 000).
Le cas du Royaume-Uni est différent, la restructuration du capital en domination réelle s’est fondée sur son rôle financier mondial, si bien que s’est développée une contradiction entre celui-ci et la restructuration industrielle qu’il devait fonder. « Dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, apparaît pour la première fois le divorce entre la nécessité d’exporter et le souci de restauration du taux de change. Les financiers qui souhaitent maintenir Londres comme centre financier international refusent d’entériner le recul de la livre par rapport au dollar. Au prix de gros efforts budgétaires, et profitant des difficultés du dollar, la livre peut retrouver dès 1925 sa parité antérieure. Le sacrifice des conditions de production au taux de change est d’autant plus lourd que, comme le note Keynes, les prix intérieurs et les salaires ne s’adaptent pas en baisse à ce nouveau taux de change. Cette appréciation de la livre qui n’allait pas pouvoir être maintenue au-delà de 1930 est fondée sur un calcul dangereux : le choix, pour rétablir la confiance dans la monnaie, d’une politique de déflation de longue durée entraine bien une limitation de l’expansion et un chômage élevé, mais ne permet pas de restaurer les profits industriels. Après la Seconde Guerre mondiale, et dans les années 50, la situation apparaît à bien des égards comparable. Ayant accumulé des dettes pendant la guerre, le Royaume-Uni doit accepter une dévaluation de la livre de 30 %. Il ne s’agit pas en l’occurrence d’une dévaluation exagérée, puisque les monnaies dévaluent au même moment, en moyenne de 25 % par rapport au dollar. Elle s’avère rapidement insuffisante, mais malgré les crises successives de la balance des paiements, il faudra attendre 1967 pour qu’une nouvelle dévaluation intervienne. En effet, pendant les années 50, la stabilité monétaire reste l’objectif prioritaire qui paraît à lui seul suffire à rétablir la place du Royaume-Uni dans le monde. Il correspond aussi à l’impératif de consolidation des balances sterlings qui se sont accumulées et conduisent le Royaume-Uni à vivre sous la menace permanente des retraits. En conséquence, entre 1950 et 1967, le prix relatif des exportations britanniques ses relève régulièrement. » (INSEE, Économie et statistique n0 97, février 1978). Le Royaume-Uni n’avait pas réellement le choix entre le maintien de la livre et la restructuration de son appareil productif, la livre avait son rôle à jouer au niveau du cycle mondial et son maintien était, pour le Royaume-Uni, la seule façon de restructurer son capital dans le cycle mondial au niveau de la valorisation intensive, cela passait nécessairement par l’affaiblissement de son appareil productif. Il faut attendre le début de la crise actuelle pour qu’éclate cette contradiction. Durant les années 50-60, l’industrie britannique se caractérise par la vétusté de ses équipements, par la faiblesse de la progression des investissements, par une faible productivité, par de très grandes difficultés à introduire le travail posté ; tout cela ne fera que s’aggraver avec la crise. L’impératif de course à la productivité, imposé par la crise, va donner naissance à la politique des stop-and-go : toute relance entraine une augmentation des importations, une accentuation du déficit de la balance commerciale et donc un nécessaire coup de frein. À cause de son faible développement dans les années antérieures, toute modernisation est obligatoirement un appel aux importations : « globalement, la proportion des biens manufacturés dans les importations totales est passée de 19 % en 1967 à 28 % en 1976. » (Ibid.)
De par son rôle mondial dans la valorisation intensive jusqu’au début de la crise, le Royaume-Uni a vécu sur la contradiction entre le maintien de la livre et la restructuration de son appareil productif. Cependant, cette non restructuration sapait les bases de l’autre terme de la contradiction : le maintien de la livre.
« En 1967, après la dévaluation de 14 % de la livre, la compétitivité s’améliore de 10 %. Ce gain sera épuisé au cours des années suivantes, le prix des exportations britanniques s’accroissant chaque année d’environ 2 % de plus que ceux des concurrents ; la seule amélioration, celle de la fin 1969, s’explique par le fait de la réévaluation du mark. À la mi 1972, la compétitivité se retrouvait donc au niveau de 1967 et une nouvelle dévaluation était nécessaire. Elle a lieu de fait puisque la livre se met à flotter à la baisse. » (Ibid.) Le retard pris par la restructuration de l’appareil productif durant les années 50 et 60 empêche comme on l’a vu, les dévaluations de produire leurs effets, car pour que les entreprises puissent jouir de leur avantage de compétitivité extérieure, il leur faut hausser leur productivité et faire appel aux importations que précisément la dévaluation rend plus chères. Après la dévaluation de 1967, en 1968, et jusqu’à la mi 1969, le déficit commercial se creuse au lieu de se combler. C’est cette situation qui explique qu’au Royaume-Uni, le processus inflationniste ne prenne jamais l’allure d’une euphorie des affaires, mais purement et simplement de catastrophe économique. La situation de la balance commerciale rend immédiatement catastrophique au Royaume-Uni l’établissement des structures instables d’endettement. Même dans la période de « reprise » mondiale qu’est l’année 1972, les investissements déclinent au Royaume-Uni, ce qui n’empêche pas la masse monétaire de croitre de 23 % dans l’année avec un gonflement considérable des prêts bancaires. Jamais au Royaume-Uni le processus inflationniste ne donne naissance à une amélioration des investissements à des périodes d’euphorie, même pas durant l’année 1973.
L’année 1973 se caractérise, aux États-Unis et dans d’autres pays, par une situation générale de surchauffe. Dans les industries de base, le taux d’utilisation des capacités s’établit à 93,5 % au troisième trimestre 1973. Il apparaît de nombreuses pénuries sur les produits de base et même sur les moyens de production. Les crédits et la masse monétaire augmentent très vite (crédits, +25 % en 1973). Les entreprises sont de plus en plus lourdement endettées et connaissent des difficultés de trésorerie de plus en plus graves. Malgré l’accroissement des taux d’intérêt, il est de plus en plus vital pour les entreprises d’emprunter, elles connaissent en effet une grande étroitesse de leurs liquidités par rapport à leurs engagements. Nous sommes dans la phase la plus haute du boom spéculatif (OCDE, Études économiques, États-Unis, février 1974).
Toujours en 1973, l’Allemagne connaît l’expansion la plus forte depuis la guerre de Corée, avec accélération de l’inflation. Les limites de la situation et sa caractéristique de surchauffe apparaissent dans le fait qu’en 1973, l’augmentation des prix ne s’est pas accompagnée d’une amélioration des marges bénéficiaires comme dans les autres phases de haute conjoncture (OCDE, Études économiques, RFA, mai 1974). C’est la même situation de baisse des liquidités des entreprises et d’augmentation des taux d’intérêt que l’on trouve au Japon avec accélération de l’inflation.
Que l’on regarde les États-Unis, la RFA ou le Japon, ce qui caractérise cette année 1973, c’est que : « alors que la production se mettait à stagner en volume sous le double effet du déclin de la demande des ménages, consécutive à l’érosion des salaires réels et à leur propre comportement de précaution qui les incita à accroitre leurs réserves monétaires, et des goulots d’étranglement dans les secteurs amonts liés à la très forte demande de biens intermédiaires, la demande des entreprises prit un aspect nettement spéculatif. Au début de 1974, le ratio des stocks au PNB était de loin le plus élevé de l’après-guerre, la formation de capital fixe déclinait à son tour par disjonction du cash-flow et manque total de fonds extérieurs à long terme, le gonflement du crédit à court terme faisait monter les taux d’intérêt du marché monétaire à leur plus haut niveau historique. Lorsqu’il en est ainsi, il n’y a plus de place pour la poursuite des anticipations expansionnistes. L’accroissement du crédit et des flux monétaires ne fait qu’absorber le coût croissant des échanges de marchandises nécessaires à la continuité des cycles de production. Les liquidités qui se forment sont déjà absorbées par le renouvellement des engagements antérieurs, ce qui met l’économie en crise potentielle de liquidités. » (Aglietta, op. cit., p. 320). C’est alors une situation de « surchauffe », où les demandes de crédit ne sont destinées qu’à rééquilibrer les structures instables d’endettement, alors qu’elles ne font que les accentuer. La « surchauffe » est l’aboutissement normal du processus d’inflation cumulative, il ne s’agit plus alors de l’écart entre engagements, investissements et valorisation, mais de combattre les engagements antérieurs, celui-ci résultant de la disjonction entre endettement, investissements et valorisation du capital se développant comme une course à la productivité (qui finalement renforce le processus) provoque une telle accélération de la baisse du taux de profit qu’il aboutit à la solution où la reproduction du capital n’a plus pour but que la couverture des engagements passés, couverture qui bien sûr ne peut se faire que par de nouveaux appels au crédit.
Le processus inflationniste ne supprime pas la dévalorisation effective qui doit s’effectuer dans la crise. Il conduit à la dévalorisation effective par son caractère cumulatif à travers la formation des structures d’endettements instables. La contrainte monétaire s’affirme brutalement comme contrainte de liquidités. Alors commence la phase de dévalorisation effective. Aux États-Unis, en juillet 1974, « la croissance exceptionnelle de la demande de crédit, combinée au malaise général provoqué par les difficultés que la “Franklin National Bank” a alors commencé à connaître et par l’effondrement de la banque Herstatt en Allemagne, a fait monter les taux d’intérêt à des niveaux rarement atteints dans le passé et provoqué des perturbations considérables sur les marchés financiers » (OCDE, Études économiques, États-Unis, juillet 1975). Le processus inflationniste devient alors un facteur de récession sur l’investissement des entreprises, il réduit la marge brute d’autofinancement. Aux États-Unis, la production industrielle en dollars constants a chuté de 9 % et le pouvoir d’achat de la masse salariale s’est contracté de 11 %, le taux d’utilisation des capacités manufacturières est tombé à 68,3 %, le chômage s’est établi à 9,2 % de la population active. Le manque de liquidités est général tant pour l’administration centrale que pour les états et les entreprises. Entre 1965 et 1972, l’augmentation de la dette de l’administration fédérale ne représentait que 8,5 % de l’accumulation totale des dettes, elle représentait 35 % en 1975. Il y a là un risque grave d’entrainer que d’autre secteurs soient évincés des marchés de crédits et de capitaux. Il y a là un manque général de liquidités. Les banques restreignent leurs prêts : début 1975, les prêts des banques aux entreprises ont diminué de 20 % en taux annuels. Le même processus peut s’observer en RFA et au Japon ainsi qu’au Royaume-Uni, où les banques prêtent de moins en moins alors que les entreprises cherchent à emprunter de plus en plus (OCDE, Études économiques, Royaume-Uni, mars 1975).
Ainsi, à travers le processus inflationniste, dont nous avons vu au début de ce chapitre les racines, nous sommes parvenus jusqu’à la dévalorisation effective des années 1974-1975. Il reste à bien saisir en quoi dans ce processus inflationniste, nous avons bien affaire à la crise de la valorisation intensive. Tout d’abord, le caractère de crise de la valorisation intensive de cette première phase est ce qui détermine l’allure même du processus inflationniste au travers du passage de l’inflation rampante à l’inflation cumulative. Constamment, le processus inflationniste est une course à la productivité qui repose sur la disjonction grandissante entre endettement, investissement et valorisation du capital.
L’inflation est bien une crise de la valorisation intensive en ce que tout son processus est déterminé par le rapport entre l’évolution de la productivité et celui de la valorisation, elle implique donc que dès l’origine l’accroissement de la productivité soit devenue la dynamique dominante de l’accroissement de la valorisation, mais elle en est d’autre part la manifestation de l’échec.
Le relais entre la course à la productivité, la recherche de surprofit et l’inflation se situe dans la sphère du crédit. Chaque capitaliste individuel a une soif inextinguible de crédit, que ce soit pour financer les investissements continuellement nécessaires, pour maintenir un avantage de productivité, ou que ce soit pour acheter les marchandises que les autres capitaux lui vendent à un prix incluant un maximum de surprofit. Cependant, il faut remarquer que ni la recherche d’un accroissement de productivité, ni le crédit ne sont inflationnistes en eux-mêmes. Le crédit repose sur une anticipation de la plus-value à venir, et si celle-ci est effectivement produite, l’augmentation de la masse monétaire qu’il a occasionnée est justifiée. Le crédit ne se présente comme la cause de l’inflation que lorsque la formation de capital qu’il est destiné à promouvoir ne débouche plus sur une augmentation suffisante de la productivité. Mais, c’est alors la formation du capital qui est inflationniste, car elle est alors plus rapide que la libération du capital qui accompagne la hausse de la productivité, de sorte qu’une partie du capital nouveau ne correspond à aucune valeur existante. Ceci revient à dire que l’augmentation du surtravail est trop lente par rapport au développement des forces productives nécessaires pour l’obtention du surprofit. Il faut alors que le surcroit de valeur exigée provienne de la sphère monétaire : les crédits d’une première phase n’ayant pas donné d’augmentation de productivité escomptée, le déficit doit être couvert par un nouveau crédit. Il y a ainsi accumulation de dettes et ce sont ces créances sur l’économie qui, du côté des émetteurs de monnaie constituent de plus en plus la contrepartie de la masse monétaire, c’est de cette façon que s’établissent les structures d’endettement instable et que l’inflation devient cumulative.
La hausse des prix n’est pas un phénomène arbitraire ; chaque capital est contraint de majorer ses prix en prévision des investissements importants qu’il sera obligé de faire pour maintenir son avantage de productivité pour ne pas se faire distancer. Certes, la concurrence impose que cette majoration soit aussi restreinte que possible, mais à l’autre pôle elle devra être d’autant plus élevée que l’écart de productivité à creuser ou à combler est large. Une entreprise sera d’autant plus forte qu’elle aura moins besoin d’augmenter ses prix afin de dégager les surprofits nécessaires à sa valorisation. Une entreprise à productivité plus faible sera obligée de son côté de procéder à des augmentations plus fortes pour obtenir, proportionnellement, des bénéfices égaux à ceux de la première. Naturellement, à la première contraction du marché, elle est éliminée par la première. À partir de là, les hausses de prix fantastiques dans les pays sous-développés par exemple, ne sont qu’un phénomène de résistance à des termes d’échange par trop inégaux, c'est-à-dire à une fuite trop importante de plus-value vers les zones à haute composition organique.
De façon générale, tandis que dans le crédit, le capital anticipe sur une plus-value à venir, dans l’inflation, il s’agit « d’inventer » une plus-value présente pour pouvoir anticiper sur des gains de productivité et des surprofits futurs. Fondamentalement, cela signifie pour le capital global que l’augmentation de la productivité ne permet d’augmenter le surtravail qu’en raison inférieure à la croissance des investissements requis par cette augmentation de productivité. La validation sociale de cette croissance des investissements disjonctée d’avec la valorisation ne peut alors provenir comme on l’a vu d’un affaiblissement de la contrainte monétaire. Il apparaît bien alors dans cette disjonction que le processus inflationniste est typique d’une crise de la valorisation intensive.
Le processus inflationniste résulte du moment classique de surproduction par lequel se manifeste la crise de la valorisation. Les transformations du système monétaire en valorisation intensive entrainent que la baisse des prix des marchandises provoquée par la surproduction, elle-même déterminée par la crise de la va, est remplacée par une pseudo-validation sociale d’une fraction de la production, ce qui se traduit par une érosion de la monnaie nationale (cette érosion se manifeste comme une hausse du niveau général des prix). L’érosion monétaire n’est que la nouvelle forme en valorisation intensive de l’allure de surproduction de toute crise : « la manière dont s’exprime la contrainte monétaire par l’obligation d’acceptation sociale de la monnaie centrale constitue la possibilité formelle de l’inflation. En effet, en assurant le règlement d’engagements bancaires, alors que le règlement effectif par désintégration des monnaies bancaires et extension des créances ne s’est pas produit, la banque centrale fait une pseudo-validation sociale de travaux privés. La convertibilité des monnaies bancaires privées en monnaie centrale à cours forcé est garanti préalablement à la conversion des marchandises en monnaie. En situation de crise, elle peut être garantie alors que les assignations sur valeurs futures que les monnaies bancaires anticipent ne se produiront jamais. » (Aglietta, op. cit., 296)
Début de la restructuration
Déplacement des branches motrices
Ces premières années de la crise sont également typiques en tant que crise de la valorisation intensive telle qu’elle se déroulait depuis trente ans, en ce qu’elles sont une remise en cause de l’organisation de la production et des branches industrielles qui avaient été les supports de l’accumulation. En cela, elles amorcent une restructuration qui se poursuivra.
Telles qu’elle s’était développée depuis la guerre, la valorisation intensive se caractérisait par un procès de travail particulier et la domination de certaines branches industrielles. Le procès de travail était celui du taylorisme puis du fordisme appliqué dans de grandes unités de production en vue d’une production de masse standardisée. Tout naturellement, les branches dominantes étaient celles des biens d’équipement et les industries de base (chimie, sidérurgie), d’autre part, l’intégration de la reproduction de la force de travail dans le cycle propre du capital impliquait l’extension de la section II et donc, faisait des biens de consommation durable une autre branche motrice. Toutes ces caractéristiques « techniques » ne font que découler de la nature de la valorisation intensive et non l’inverse. C’était à partir de ces branches que s’effectuait la nécessaire extension de la valorisation intensive et de son mode de produire.
L’ampleur des changements en cours, au niveau de cette forme prise par la valorisation intensive depuis la Seconde Guerre mondiale se voit en premier lieu dans les changements de champ d’application des investissements directs américains à l’étranger. « Des travaux récents ont montré que sur un échantillon de 180 sociétés-mères américaines, 717 des 6 500 filiales à l’étranger ont été liquidées entre 1968 et 1974, 449 d’entre elles étaient établies de longue date. On peut ajouter à cela que 1359 filiales, soit 10 % de l’ensemble des filiales américaines, on été vendues entre 1971 et 1975, dont plus d’un tiers en Europe. En outre, l’accroissement du nombre de désinvestissements coïncide avec le déclin de la formation de nouvelles filiales, le rapport de 3,3 créations pour une disjonction en 1971, était tombé à 1,4 en 1974. Ce mouvement n’est pas uniforme : c’est dans les secteurs à faible technologie et forte concurrence internationale, tel que le textile, l’agroalimentaire et une fraction de la chimie, que se produisent ces désinvestissements ; la pharmacie ou les machines, en revanche, sont peu touchés. En cela, parce qu’à la disparition des facteurs qui étaient à l’origine de la multinationalisation (coûts relatifs, gains de productivité, expansion des marchés) vient s’adjoindre une incertitude telle qu’elle ne justifie pas le maintien de ces filiales. Les entreprises produisant des marchandises incorporant une haute technologie, au contraire, ne subissent pas les mêmes contraintes à la délocalisation et peuvent adopter une stratégie différenciée. » (Économie et Statistique, n°97, février 1978)
Cette réorganisation mondiale reflète les débuts de la restructuration en cours aux États-Unis. Plus que les variations du montant total de l’investissement, ces caractéristiques technico-économiques et sa composition sectorielle sont révélatrices des transformations de l’économie américaine. « Contrairement à la fin des années 50, la contraction prolongée de l’investissement atteint avant tout l’industrie lourde (production de métaux, chimie de base), les industries motrices de la consommation de masse (automobile, biens de consommation, industries mécaniques et électriques, textile) et l’industrie aéronautique. Plus fondamentalement, l’investissement actuel correspond à une logique de l’organisation de la production qui remodèle les filières économiques en recherchant systématiquement une économie de capital fixe et une rotation plus rapide des équipements… Constituer des ensembles productifs lourds et rigides par l’intégration technique d’équipements spécialisés et la parcellisation corrélative du travail, avait été la logique dominante de la production en grande série de marchandises banalisées… La tendance générale semble être la mise en place de systèmes productifs plus flexibles centrés sur des machines polyvalentes et autocontrôlables. L’industrie américaine amorcerait un processus à long terme de renversement à la tendance de l’accroissement du coût en capital fixe de la valeur ajoutée, en mettant en œuvre une logique de la production capable de subordonner le mécanisme à un contrôle programmé beaucoup plus précis des transformations productives. Ainsi, à l’intérieur de la filière informatique, c’est l’autonomie des processus de contrôle qui inspire les tendances nouvelles du progrès technique. Les investissements pour l’élaboration de nouvelles générations d’ordinateurs géants de gestion ont été freinés en faveur des micro-ordinateurs adaptables au contrôle direct de la production. Les études déjà faites montrent qu’on peut en attendre la floraison de nouveaux produits, en séries diversifiées et courtes, à des prix inférieurs aux prix actuels de la production de masse. L’abaissement des coûts fixes qui peut être tiré de changements aussi considérables dans les méthodes de production et dans la nature de ce qui est produit pourrait être le déterminant principal des caractéristiques actuelles d’une vague d’investissements, peu importants en volume, mais ayant de grandes implications à long terme. » (Ibid.) Corrélativement au désinvestissement dans les secteurs qui portaient la façon dont était organisée la valorisation intensive depuis la Seconde Guerre mondiale, le capital américain développe des industries telles que la micro-électronique, les instruments de mesure, les systèmes de contrôle économisant l’énergie, les équipements de commande à distance, le remplacement des méthodes mécaniques par des méthodes chimiques de traitement des matériaux. On verra plus longuement dans un autre texte de ce numéro quel est le contenu de la restructuration du capital dans la crise actuelle, mais déjà on peut dire qu’il ne s’agit pas de dépasser la valorisation intensive, mais le mode selon lequel elle s’est développée jusqu’ici : transformation au niveau des filières de production, du procès de travail, du rôle de l’État, de la péréquation du taux de profit, c'est-à-dire de l’organisation mondiale du capital. Pour l’instant, seules nous intéressent les transformations au niveau des filières de production et des branches industrielles. En effet, la crise de la valorisation intensive a frappé, comme nous l’avons vu, en premier lieu les États-Unis, du fait de leur plus fort développement et aussi de la plus grande ancienneté de ce développement. C’est la conjonction de l’extension mondiale de la valorisation intensive qui a provoqué aux États-Unis la nécessité de cette restructuration.
Alors que la position des États-Unis se renforce dans les biens d’équipement, ce sont des pans entiers de l’industrie américaine qui cèdent devant les importations, en ce qui concerne les marchandises banalisées et certains biens intermédiaires (sidérurgie, chimie de base). Parallèlement, au moment du désinvestissement au niveau international que nous avons vu, il y a augmentation rapide des investissements des sociétés étrangères aux États-Unis. Cependant, alors que la plupart des firmes multinationales américaines créaient leurs filiales de toutes pièces, les sociétés étrangères réalisent plus de la moitié de leurs investissements par acquisition d’entreprises existantes (la dépréciation du dollar et la chute des cours en Bourse facilitent ce procédé) ; de plus, il s’agit le plus souvent de secteurs anciens. Il en résulte que le déficit de la balance commerciale américaine, l’implantation accélérée de firmes européennes ou japonaises aux États-Unis, n’indiquent pas un changement d’hégémonie capitaliste, mais bien plutôt une avance des États-Unis dans le processus de restructuration en cours. Il est en effet certain, surtout dans la crise elle-même, que l’abandon des secteurs anciens a des conséquences beaucoup plus rapides que la création de nouvelles formes de production et surtout, que leur concrétisation en de nouvelles générations de marchandises. Les États-Unis, dans ce mouvement, maintiennent leur position dominante dans les moyens de l’investissement : avance technique dans des domaines (micro-électronique, processus d’autoréglage, logique des systèmes complexes asservis) capable de modifier à long terme la composition du commerce mondial ; très forte position exportatrice dans l’échange international des biens d’équipement ; centre d’intermédiation financière à l’échelle mondiale. Il s’agit dans ce mouvement technique de s’attaquer au rapport entre l’augmentation du capital fixe et l’augmentation de surtravail tel qu’il existait depuis la guerre. Il faut avant tout s’attaquer à l’activité des machines, à leur efficacité, supprimer leur porosité dans leur emploi, donc s’attaquer à un problème central de la valorisation intensive : le fait qu’une augmentation infime du surtravail nécessite une croissance de plus en plus grande du capital fixe. Simultanément, la remontée du taux de profit que cela entrainerait, permettrait une croissance de la productivité du travail car ainsi serait rendu possible une expansion de la production.
Crise du dollar et de l’énergie
C’est également dans ce processus de restructuration qui s’amorce dès le début de la crise comme une apparente faiblesse du capitalisme américain qu’il faut comprendre la crise du dollar et celle de l’énergie. Il ne s’agit pas de les aborder simplement sous leur aspect d’armes dans la concurrence ; il faut saisir la base et l’unité de cette concurrence. La base de cette accentuation de la concurrence, c’est la baisse du taux de profit, la crise de la valorisation intensive, c’est le fait que la valorisation intensive était nécessairement une structure hiérarchique (plus-value relative qui entraine péréquation, échange inégal, pompage de valeur) et que cette structure est non seulement accentuée dans la crise, mais encore qu’elle devient le fondement de niveaux différents dans le processus de restructuration. L’unité c’est ce processus de restructuration. Enfin, à travers ce par quoi passe cette concurrence n’est pas innocent, à travers la crise du dollar et du pétrole, c’est une unification plus poussée du cycle mondial qui est en jeu, l’impossibilité pour le taux de profit moyen de se fixer sur une aire nationale. Si ce sont donc bien des moments d’une lutte concurrentielle, cette lutte s’explique à travers le mouvement qui est sa résultante (nous verrons plus loin qu’en ce qui concerne la crise du dollar, il ne s’agit que du premier moment d’un mouvement beaucoup plus vaste au niveau monétaire).
Paradoxalement, la position financière des États-Unis s’est renforcée dans les années 70 sous l’effet de trois mesures : l’inconvertibilité du dollar en 1971, l’instauration du régime des changes flottants en 1973, la suppression de tous les contrôles sur les mouvements de capitaux en 1974. Le résultat de ces mesures est de concourir à pratiquer une dévaluation compétitive du dollar favorisant la reconversion de l’économie : « les modifications considérables dans le flux d’investissements directs et dans les reflux de profits des sociétés américaines indiquent en effet que l’internationalisation du capitalisme américain n’a plus pour principe central à l’heure actuelle, le renforcement de l’intégration avec l’Europe occidentale, sous l’égide des firmes multinationales. La simultanéité de la crise du mode de croissance établi après la Seconde Guerre mondiale dans les pays occidentaux industrialisés et de l’émergence de nouveaux centres d’accumulation du capital, ont sensiblement modifié les objectifs des États-Unis à l’égard des principes de l’intégration économique internationale. Accélérer la capacité de l’économie américaine à développer et imposer internationalement de nouvelles filières économiques, atténuer les effets néfastes sur l’organisation industrielle d’un changement rapide dans la composition du commerce extérieur, établir des conditions propices à un essor des investissements directs dans des régions du monde qui sont déjà entièrement dans la mouvance du dollar, tels sont les objectifs qui inspirent la politique monétaire externe des États-Unis. » (Ibid.)
La crise du dollar correspond pour les États-Unis à une monétisation « indéfinie » des difficultés nées de la restructuration. L’échappatoire monétaire n’a rien de nouveau, mais avec la non convertibilité d’août 1971, ce recours paraît indéfini, aucun mécanisme ne semble pouvoir interférer avec le cours forcé imposé par l’État. Les tendances qui ont anéanti les arrangements monétaires n’ont fait que renforcer le rôle international du dollar, le système monétaire est devenu purement et simplement un système d’étalon-dollar.
Non seulement, la crise du dollar est intégrée dans la restructuration du capital américain comme une arme concurrentielle décisive, mais encore elle a dans le mouvement de cette restructuration une signification en elle-même. Elle signifie, comme on l’a dit, un accroissement de l’unification capitaliste mondiale et l’impossibilité en tendance d’une péréquation du taux de profit au niveau d’une aire nationale.
La crise pétrolière peut être appréhendée dans le même mouvement. Elle débute réellement dès 1971 avec les accords de Tripoli. Sa signification est assez semblable à celle de la crise du dollar, arme concurrentielle, elle a également en elle-même la même signification que la crise du dollar. Le quadruplement du prix du pétrole fin 1973, début 1974 s’inscrit d’abord dans l’apogée de la phase de surchauffe, de boom spéculatif, d’euphorie des affaires. Les tensions sur l’appareil de production entrainent l’apparition de pénurie et la formation de stocks de précaution face à ces pénuries et face à de nouvelles hausses prévisibles. Cependant, une telle explication n’est pas suffisante, en effet, une fois passée cette conjoncture particulière, les prix auraient du retomber. En fait, cette hausse intervenait au moment où agissaient deux tendances structurelles : le passage d’une phase de coûts décroissants à une phase de coûts croissants ; la situation énergétique américaine dont le déséquilibre commandait une hausse du prix mondial du pétrole.
« En 1970, les États-Unis produisent environ 80 % du pétrole qu’ils consomment. Ils payent ce pétrole à un prix approximatif de 3,50 $/baril, et ils importent le surplus à un prix qui, compte tenu du fret, est de l’ordre de 2,15 $/baril. Pendant ce temps-là, l’Europe et le Japon importent la totalité du pétrole qu’ils consomment à un prix de 2 $/baril. La situation énergétique des américains est donc intenable : d’abord il payent leur pétrole 1,6 fois plus cher que les autres nations industrialisées et ceci réduit d’autant plus leur compétitivité ; ensuite, les coûts de production du pétrole américain ont fortement tendance à augmenter et l’écart de prix risque donc de s’accentuer d’année en année. La crise de l’énergie arrive à point : par la voie du Shah d’Iran, les pays producteurs réclament une hausse générale des prix ; cette hausse est officialisée par les accords de Téhéran et de Tripoli (février et avril 1971), qui, comme par miracle, portent le prix mondial du pétrole vendu sur la côte est des États-Unis au niveau des prix intérieurs américains. Désormais, tout le monde paiera son pétrole à 3,5 $/baril.
Provisoirement, la situation énergétique américaine est rééquilibrée. Ce n’est que provisoire, car à 3,5 $/baril, il est exclu que l’on puisse découvrir beaucoup de nouveaux gisements nationaux et que l’on puisse développer à grande échelle et de façon compétitive les autres sources d’énergie nationale comme le charbon et le nucléaire ou les schistes bitumeux. Une nouvelle augmentation du prix mondial du pétrole est souhaitable ; elle paraît même indispensable.
Cette fois, deuxième volet de la crise, c’est la guerre d’octobre 1973 qui donne à l’Arabie Saoudite l’occasion de demander de nouvelles augmentations. En janvier 1974, les prix affichés du pétrole sont plus que doublés : le brut d’Arabie, type arabe léger, départ Golfe, passe de 5,17 à 11,65 $/baril… La libération des prix encourage les nouvelles découvertes sur le territoire national et au niveau international, la situation est l’inverse de ce qu’elle était avant 1970, puisque ce sont désormais les États-Unis qui payent leur pétrole moins cher que leurs concurrents européens et japonais… En 1977, la position économique américaine est donc bien meilleure que ce qu’elle était en 1970, mais le volume des importations pétrolières continue à augmenter. En effet, le nouveau prix mondial de l’énergie et le déblocage des prix du nouveau pétrole national n’ont pas suffi à arrêter le ralentissement de la production nationale. En 1976, les États-Unis ont importé 41 % de leur consommation nationale. À terme, la situation énergétique reste donc préoccupante… Le développement massif de nouvelles sources d’énergie dépend de leur compétitivité vis-à-vis du pétrole et donc, en dernier ressort, du prix de celui-ci. Il est donc tout à fait vital pour les États-Unis qu’ils maintiennent leur position de contrôle dur le prix mondial du pétrole brut. Toute augmentation de celui-ci améliore objectivement leur position économique puisqu’elle accentue l’avantage énergétique dont disposent les États-Unis par rapport à leurs concurrents et qu’elle améliore par ailleurs la compétitivité des autres sources d’énergie nationales. » (Chevalier, Rupture d’un système économique, Dunod, p. 127-130)
Les tendances structurelles relevées au début de ces considérations sur la crise pétrolière se sont accélérées et révélées dans la crise, parce que le passage à de nouvelles sources d’énergie qu’elles impliquaient fait partie intégrante de la restructuration en cours, en tant qu’elles intéressent des secteurs industriels à très forte valeur ajoutée, à très haut niveau de recherche développement (nucléaire, énergie solaire, gazéification du charbon, extraction des schistes bitumeux). Les caractéristiques de ces secteurs impliquaient donc, dans le cadre de la restructuration amorcée aux États-Unis et pour mener à bien celle-ci, le contrôle total du marché mondial de l’énergie de la part des États-Unis. D’autre part, comme il apparaît de plus en plus, un contrôle total du cycle mondial de l’énergie est déterminant dans l’unification du cycle mondial du capital et l’impossibilité de fixer une péréquation du taux de profit au niveau d’aires nationales. Pour ces deux raisons, il ne s’agit donc pas dans cette affaire d’une simple arme concurrentielle, n’étant qu’un moyen et n’ayant pas de sens en elle-même. Il faudrait également ajouter comment le recyclage des pétrodollars a favorisé l’industrie américaine.
Pour conclure sur ce sujet, il est à noter qu’actuellement (juin 1979), c’est à nouveau dans une phase accélérée de l’inflation et juste avant une nouvelle récession importante que se produit une nouvelle augmentation conséquente du prix de base du pétrole qui, de 14,55 $/baril, passe à des prix compris entre 18,5 $/baril et 23,5 $/baril. Chaque phase de récession joue comme un aiguillon sur la restructuration en cours. Il est remarquable qu’en cinq ans, entre le début de 1974 et fin 1978, le prix de base du pétrole ne soit passé que de 11,65 $/baril à 12,70 $/baril, et cela malgré les taux d’inflation et la dépréciation du dollar. Cela montre bien que l’on a pas affaire à une stratégie machiavélique, mais à une contrainte de restructuration quand s’accentue la crise.
Montée de l’Allemagne et du Japon
Dans tout ce processus de restructuration qui est entamé, les États-Unis se trouvent dans une position charnière entre l’ancien et le nouveau, l’abandon, comme on l’a vu, de pans entiers de l’économie, de secteurs anciens à la concurrence étrangère explique la montée économique dans cette première phase, de pays comme l’Allemagne et le Japon.
Au Japon, durant la récession de 1964-65, c’est l’excédent extérieur qui soutient la production, et même, la récession est l’occasion d’une expansion vigoureuse de la demande extérieure (OCDE, Études économiques, Japon, juin 1967). Le mouvement se confirme dans les années suivantes et en 1968 il apparaît clairement que c’est grâce aux exportations que l’économie est entrée dans une phase de haute conjoncture. À nouveau, durant la récession de 1971, la balance des paiements connaît un fort excédent, la balance commerciale quant à elle évolue aussi très favorablement. Les exportations continuent durant la phase de récession entre la fin de l’été 1970 et le premier trimestre 1972 au même rythme que pendant l’expansion. C’est la première période dans l’histoire économique du Japon où ce dernier ne connaît pas de contradiction entre expansion et équilibre extérieur. Il faut dire que la crise dans sa première phase, en tant que processus inflationniste entraine une course à la productivité et une augmentation des investissements qui bien que creusant l’écart investissement/valorisation n’en transforme pas moins le tissu industriel : la productivité de la main-d’œuvre industrielle a accusé dans cette période des progrès sans précédent ; la production se modifie au profit des branches consommant une moindre proportion de matières premières ou dans lesquelles la valeur ajoutée nette est élevée ; disparition progressive de la caractéristique de l’économie japonaise comme économie de main-d’œuvre excédentaire ; très important transfert d’emploi et de production de l’agriculture vers l’industrie (encore plus important qu’en Espagne ou en Italie). Il serait donc faux de comprendre le développement du Japon ou de l’Allemagne comme profitant de secteurs laissés par les États-Unis. Nous avons vu pourquoi les États-Unis laissent ces secteurs (plus grand développement et développement plus ancien), si le Japon et l’Allemagne y supplantent les États-Unis, c’est donc non seulement du fait de leur abandon et de l’amorce de restructuration aux États-Unis, mais encore du fait de leur propre développement très concurrentiel par rapport aux États-Unis.
On peut analyser de façon plus précise la fonction reportatrice du Japon. Pour cela, il faut rappeler la distinction des produits en cinq catégories proposées par le GATT :
- fort contenu en recherche développement, main-d’œuvre qualifiée à hauts salaires ;
- fort contenu en recherche développement, hauts salaires et forte intensité en capital ;
- hauts salaires et forte intensité en capital ;
- autres biens à forte intensité en capital (fils et fibres artificiels, biens de consommation électroniques, autre machines) ;
- autres biens à forte intensité en travail (textiles, matériaux de construction, alimentaire…).
« En 1955, les exportation japonaises étaient au deux tiers constituées de produits de la catégorie 5 (textile et habillement, industrie alimentaire, motos, bateaux, etc.) (…) de 1955 à 1965 (…) la structure des exportations s’est considérablement transformée. La part des produits à haute intensité de main-d’œuvre et faible technologie (du moins tels qu’au États-Unis (…) pour les motos et la construction navale) a chuté de 65 % à 53 %, la baisse étant exclusivement due aux produits du textile et de l’habillement (36 % à 16 %). À l’inverse, la proportion des produits à haute intensité de capital et hauts salaires augmente fortement. De 1965 à 1973, le mouvement s’accentue encore et en particulier, les exportations japonaises de produits textiles ne constituent plus que 6 % de l’ensemble. Il est intéressant de comparer cette répartition des exportations japonaises avec celle des exportations américaines. Un retard certain apparaît : la structure des exportations américaines est en 1970 beaucoup plus centrée sur les catégories 1 et 2, les plus sophistiquées, alors que les exportations japonaises sont même en 1973, encore axées sur la catégorie 3. » (INSEE, économie et statistique, n° 97, février 1978). Le gonflement des exportations n’est rien d’autre que l’apogée du Japon d’un mode de développement axé tout d’abord sur la production de biens standardisés à fort contenu de capital, de main-d’œuvre moyennement qualifiée et ensuite sur une diffusion foudroyante des biens de consommation durables à l’intérieur du Japon. Actuellement, l’économie japonaise tente de sortir de ce rôle, ce qui correspond tout naturellement à l’extension de la nécessité de la restructuration à tous les capitaux : « les nouvelles orientations sectorielles sont axées sur le relais des industries lourdes et chimiques par les industries d’intelligence qui réunissent des fabrications qui ne semblent avoir aucun rapport entre elles, puisqu’elles vont de l’exploitation des océans aux produits de consommation axés sut la mode, en passant par les centrales nucléaires et les usines clés en mains, sauf de répondre aux quatre critères suivants : demande mondiale croissante, haut contenu en recherche développement et en main-d’œuvre qualifiée, faible contenu en énergie et matières premières importées, intensité en capital souvent faible. » (Ibid.)
nous assistons à un processus assez semblable en ce qui concerne la RFA. C’est durant la récession de 1966-67 que la demande étrangère ne cesse de progresser vigoureusement, redressant le déficit extérieur de 1965. Au niveau de la balance des paiements, il apparaît en 1968 que la récession a considérablement renforcé la position extérieure de l’Allemagne. La balance des opérations courantes qui était déficitaire de 1,6 milliards de dollars en 1965 connaît un excédent de 1,2 milliards de dollars au deuxième semestre 1966, excédent qui double en 1967. Ce sont ces années là, du début de la crise, qui sont pour l’économie allemande des années charnières. Au deuxième semestre de 1968, les exportations en sont parvenues à représenter la moitié de la demande globale. En 1972, c’est encore les exportations qui sont à l’origine de l’essor après la récession de 1971.
Le rôle particulier de l’Allemagne dans le processus de restructuration qui s’amorce, déterminé par la position dominante des États-Unis, se voit par la place occupée par l’industrie dans l’ensemble de l’économie nationale. « Il est établi que dans un processus de développement, la part relative du secteur secondaire dans la valeur ajoutée et dans l’emploi commence par croitre, pour reculer ensuite à partir d’un certain niveau de revenu par habitant. Des études empiriques montrent que, en égard au niveau du revenu par tête, la part du secteur secondaire en Allemagne fédérale est nettement supérieure à la norme du modèle international et que les parts des secteurs primaire et tertiaire lui sont sensiblement inférieures. Et jusqu’en 1970, non seulement la proportion du secteur secondaire ne s’est pas réduite, mais elle a même légèrement augmenté, bien que l’économie allemande ait depuis longtemps dépassé le seuil de développement à partir duquel, d’une part on doit avoir un recul relatif du secteur secondaire, et d’autre part le secteur tertiaire doit jouer un rôle déterminant dans l’emploi et la croissance. » (Ibid.) L’Allemagne a joué le rôle de secteur secondaire principalement pour le capital américain : « la République Fédérale a été pendant longtemps un lieu d’implantation industrielle extraordinairement favorable ; de fait, elle a attiré les investissements directs, les technologies et les travailleurs immigrés, au lieu, comme d’autres pays fortement développés, de faire elle-même davantage de recherche développement et d’exporter des capitaux, des emplois et de la technologie… De nombreuses fabrications standardisées et à forte intensité de main-d’œuvre, qui en général ne trouvent pas dans un pays hautement industrialisé des conditions d’implantation favorables, ont pu pendant longtemps résister à la concurrence des importations, grâce à la protection constituée par le cours du change. Également, l’obligation d’être à la pointe des technologies et de fabriquer des produits modernes pour pouvoir s’affirmer sur les marchés mondiaux comme un pays de hauts salaires a été pendant longtemps en partie retardée en raison de la sous-évaluation de la monnaie. Ces conditions ont renforcé la position de l’industrie dans la concurrence avec les autres secteurs de l’économie, et surtout les services, pour attirer la main-d’œuvre et les capitaux à investir. Le secteur secondaire a ainsi pu se développer plus fortement que cela n’aurait du être autrement le cas. Le – relatif – processus de recul qu’on aurait pu en fait attendre dans les années 1960 n’a pas eu lieu. » (Ibid.) Sur la période 1962-1976, la compétitivité de l’industrie allemande est principalement axée sur les biens de consommation intermédiaires et les biens d’équipement, c'est-à-dire, comme pour le Japon, sur ce qui correspond à la catégorie 3 de la classification du GATT.
Comme en ce qui concerne le Japon, à partir de 1974-75, l’extension de la nécessité de la restructuration à tous les capitaux, touche l’industrie allemande par l’intermédiaire de la concurrence des pays sous-développés dans les secteurs qui sont les siens et par la compression des marges bénéficiaires dans ces secteurs pour soutenir la réévaluation du mark, provoquée précisément par le gonflement de ces secteurs. En fait, comme pour le Japon, l’effet déflationniste de la surévaluation du mark montre que cette nécessaire restructuration, que l’extension mondiale de cette nécessité, s’effectuent au travers de la domination américaine. La récession de 1974-1975 est pour la RFA une cassure, une attaque du rôle qui lui était dévolu. Cependant, du fait de leur rôle pendant ces premières années de la crise, l’Allemagne et le Japon ont mené à son apogée l’ancien mode de valorisation, ce qui les place en bonne position dans le processus de restructuration.
Arrivé au terme du déroulement de cette première phase de la crise entre le milieu des années 60 et la récession, dévalorisation effective de 1974-1975, nous pouvons conclure que dans tous ses aspects, cette première phase est bien déterminée comme crise de la valorisation intensive. Elle est telle, tout d’abord dans son allure processus inflationniste, dans les causes que lui font prendre cette allure, dans le mode de valorisation qui entre en crise, lié à un certain procès de travail et déterminant certaines branches industrielles comme motrices, dans la restructuration qui débute, dans les transformations du procès de travail et des filières industrielles que cette restructuration détermine. C’est tout le mode de valorisation intensive mis en place depuis la Seconde Guerre mondiale qui entre en crise, c’est par là aussi intrinsèquement, une transformation du rapport entre le prolétariat et le capital.
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