Mon corps, mes règles: Un argument pour que les survivantes(s) de viol et de violence domestique deviennent des militantes(s) syndicalistes

Liberté Locke, une militante au syndicat des travailleurs de Starbuck, écrit dans cet article la similarité entre la violence au travail et la violence sexuelle. Elle explique en effet que les agresseurs sexuels et les patrons utilisent les mêmes techniques de contrôle et qu’il nous est nécessaire de se battre contre ces deux formes d’oppression.

Submitted by Joseph Kay on December 27, 2011

AVERTISSEMENT: Cet article parle du sujet de la violence sexuelle.

J’ai été violée par mon chum le 18 Août, 2006. La journée suivante, je retenais mes larmes pendant que je mentais à un inconnu au téléphone expliquant pourquoi je devais manquer ma 2e entrevue pour un emploi que j’avais besoin désespérément. Quand j’ai finalement raccroché, je reçu un nouveau message texte. ‘’ Ce n’est pas terminé. Ce ne sera jamais terminé entre nous...’’

Le lendemain, je suis allée à ma 2e entrevue. C’était à l’intérieur de la Tour Sears au Starbuck à Chicago. J’ai pris le train pour aller à l’entrevue regardant constamment autour de moi et tremblant de peur. Mais, j’avais besoin d’un travail. Je venais d’être renvoyée du magasin Target deux semaines plus tôt et je n’avais d’autres options. Je savais que j’allais avoir à passer le détecteur de métal afin de pouvoir entrer dans l’édifice et malgré mon instinct me disant autrement, je n’ai pas apporté un couteau avec moi.

‘’ Que feriez-vous si vous surpreniez un collègue de travail en train de voler?’’

Mes pensées défilaient à toute vitesse. Je me disais que je risquais ma sécurité en sortant de la maison pour un emploi stupide qui paie seulement 7,75$ de l’heure. Ne valais-je pas mieux que ça? Ne valons-nous pas beaucoup plus que ça?
‘’Je le dirais à mon supérieur tout de suite, évidemment. Je n’ai jamais compris pourquoi certaines personnes volent au travail…’’

Je leur ai dit ce qu’ils voulaient entendre.

J’ai donc commencé à travailler au Starbuck le 22 Août 2006. Cela fait un peu plus de 5 ans. À chaque année, je dois faire une révision annuelle de ma performance où je dois généralement argumenter avec quelqu’un de plus jeune que moi et qui a un salaire beaucoup plus élevé, pourquoi mon dur labeur, mes douleurs au dos, mes mains qui craquent, mes poignets endoloris, les poches sous mes yeux, les brûlures, les bleues sur mes bras, les coupures sur mes genoux, le traitement dégradant constant par certains clients, les ‘’pitoune, p’tit chou, puce, bitch’’, les ‘’ Aye toé la pute… J’t’avais dit PAS de crème fouettée!’’, les regards désobligeants ou les poursuites après le travail… Je dois argumenter pourquoi à cause de tout ça, je mérite une augmentation de 33 cents au lieu de 22 cents. Dégradant pour n’importe quel employé. Dégradant, surtout pour une femme. Seulement pour moi, j’arrive à cette journée chaque année en me souvenant que quatre jour plus tôt, je me faisais violée par la personne que j’aimais. Cette révision annuelle est vraiment la seule chose qui me rappelle cette journée.

J’aurais aimé dire que j’exagère, mais réellement, je commence tout juste à atténuer mes propos sur mes sentiments face à cet évènement. Parlant de travail, je pourrais également mentionner comment quand j’ai été violée, je ne suis pas partie de la maison, l’endroit où le viol s’est produit, avant le matin pour deux raisons principales : 1) J’avais peur de prendre le métro pour retourner chez moi à 3 heures du matin et 2) ma meilleure amie ( et également la 2e partenaire de mon chum) devait venir me chercher au matin pour que je fasse le ménage chez ses parents riches qui vivent dans la banlieue. Je suis donc restée couchée les yeux ouverts aux côtés de mon agresseur tant j’avais besoin de vendre mon labeur en échange de quelques billets. Ma volonté de ne pas perdre cette job, m’a gardé auprès de lui. Lui promettant que je n’en parlerais à personne. Lui promettant que je resterais avec lui. Des promesses, qui, à ce moment, je croyais peut-être garder.

Ce n’est que lorsque j’étais littéralement à quatre pattes en train de frotter le plancher de chez les parents de ma meilleure amie que j’ai réalisé qu’être pauvre était déjà une forme de violence envers moi.

Je me suis levée. Je lui ai tout dit. Je n’ai entendu aucun mot de soutien ou de support. Elle m’a dit qu’elle était jalouse. J’en avais envie de vomir. Je lui ai dit de me ramener chez moi, car je préférais mourir de faim que de nettoyer la maison de ses parents aujourd’hui.

Elle m’a donné tout l’argent malgré que je n’étais même pas près d’avoir fini et elle m’a reconduit chez moi. Probablement pour se donner bonne conscience j’en suis sûre. Je lui en veux moins à présent, car je réalise que les comportements manipulateurs de ce gars l’avaient atteinte également. Mais, c’était pire pour elle que pour moi. Je suis sortie de cette relation. Elle décidait de rester et du coup, trahir une autre femme. Ça, ce sont de graves manipulations.

Le mois suivant l’attaque, je suis allée en thérapie sans frais dans un programme de violence domestique. J’ai fait des exercices qui m’ont forcée à parler des moments heureux que j’avais vécus avec lui. Je ne voulais pas. Nous avions eu un relation entre-coupée qui a duré quelques années et nous avions certainement eu des moment merveilleux ensemble. Mais j’aurais souhaité qu’elles ne soient jamais arrivées. J’aurais souhaité ne pas l’avoir rencontré. Je ne voulais pas me rappeler de son visage, de sa voie ou de son odeur. Je me suis débarrassée de tout se qui m’avait donné et de se qui me rappelait lui. Ma thérapeute voulait que je trouve d’où venait cette attaque, car je me blâmais pour tout ce qui s’était passé. L’idée d’imaginer que les choses étaient bien avant cette nuit-là m’a frappé s’en prévenir. Ou, du moins, c’est ce que je croyais.

Après près de 6 mois de thérapie, nous avons eu une révélation. Il a toujours été manipulateur et abusif verbalement. Il se plaisait à miner mon estime et me voulait misérable afin que j’aie l’impression d’avoir besoin de lui. Alors, j’avais désespérément besoin de son approbation et son attention. Les jours suivants le viol, j’ai commencé à lui faire face et a ne plus accepté certaines choses. Je refusais d’avoir des relations sexuelles quand je voyais qu’il était abusif alors qu’avant, j’aurais cédé même après qu’il m’est insultée. Ma thérapeute m’a fait voir qu’il m’a violée, car il sentait qu’il perdait le contrôle sur moi. Il voulait me briser… comme on fait à un cheval.

Durant la thérapie, j’ai commencé à sentir que je valais quelque chose et qu’il était celui qui était patétique. Pas moi. Il voulait quelque chose de moi, et l’avoir n’était pas encore assez. Il voulait mon corps, ma vitalité. Une emprise sur des choses qui ne peuvent être possédées.

Quand j’ai commencé à me sentir plus forte et moins effrayée, je n’étais vraiment plus capable de tolérer les clients irrespectueux. Ne pas tolérer ces clients voulait dire faire face à la furie des superviseurs lorsqu’un client faisait une plainte, ce qui voulait dire également affronter mon employeur. Finalement, l’opportunité est venue et ne pas vouloir vivre ma vie en victime pris la forme d’une signature sur une carte de membre du syndicat des Travailleurs(es) industriels(les) du monde (IWW, Industrial Workers of the World)

J’ai appris le militantisme au travail. Je décidai que je n’étais pas fait pour être l’esclave des hommes alors pourquoi l’être d’un patron, d’une corporation ou d’un client?

J’observais mes patrons alors qu’ils étaient assis à leur bureau, sirotant leur café spécialisé qui m’avait demandé de leur faire et s’épancher devant des chiffres de vente qu’ils avaient eu par la sueur de mon front et de celui de mes collègues. On se tuaient au travail. Des mères avec qui je travaillais me parlaient de comment elle n’avait pas pu voir leur enfant faire leurs premiers pas, car elles devaient faire des lattés. J’ai connu une femme enceinte qui travaillait pendant qu’elle était dilatée, risquant sa santé et celle de son enfant parce que le congé de maternité était tellement court qu’elle voulait avoir le plus de temps possible avec son nouveau-né. Je savais que les patrons et les compagnies étaient responsables de cette situation.

Les patrons sont des gens manipulateurs. Ils abusent des employés pour plusieurs quart de travail de suite, vous refusant des pauses, vous disant être un(e) nul(le), donnant des promotions à des gens qui vous ont harcelés sexuellement, vous donnant un horaire de travail qui rend le sommeil impossible, vous refusant des augmentations pour des peccadilles comme ne pas avoir porté les bas noirs exigés ou ne pas avoir dissimulé vos tattoos. Et quand nous avons commencé à être militant au travail, ils tenaient ce genre de discours pour des jours et soudainement ils organisaient une fête avec de la pizza pour les employés. La majorité des employés auraient remerciés leur patrons et en auraient parlé pendant des semaines sur comment ils préoccupaient de notre bien-être. À quel point ils étaient gentils. À quel point nous étions chanceux.

Soudainement, les souvenirs d’abus s’effacent et l’hostilité envers l’employeur disparait. Les patrons redeviennent les bienvenus dans les conversations de groupe et sont invités aux showers de bébé.

Je ne vois aucune différence entre ce scenario et celui d’un chum qui bat sa blonde au visage et ensuite revient avec un bouquet de fleurs et des friandises. Et ce cercle vicieux recommence.

Je n’ai pas honte d’avoir été violée et manipulée par mon ex. Je n’ai pas honte pour l’avoir laissé et pris les moyens pour cicatriser de cette blessure. Je n’ai également pas honte d’avoir vécu et d’avoir été témoin d’horribles abus depuis que je travaille au Starbuck. Je refuse d’accepter la présence des patrons après une simple fête avec de la pizza.

Je n’en veux pas de leur pizza. Je n’en veux pas de leurs fleurs. Je veux ma liberté de cette vie d’esclavage. Je veux la fin des abus.

Oui, je pourrais démissionner, comme on laisse un partenaire abusive, mais le prochain emploi va reproduire ce cercle vicieux. Le prochain emploi serait comme le prochain partenaire abusif.

Donc, je suis restée. Et je me suis battue. Je me suis battue en tant que militante, avec les autres survivants d’abus, mes collègues de travail. Du moins, ceux et celles qui avait touchés le fond du baril et qui voulaient remonter à la surface. Non, pas tout le monde est prêt à faire face à leur oppresseur lorsque je les rencontre. Mais, je serai là lorsqu’ils seront prêts. Lorsqu’eux aussi, reprendront courage.

Nous travaillons ensemble pour améliorer nos conditions de travail. Refusant de leur donner ce qu’ils veulent lorsqu’ils abusent de nous. Refusant de travailler. D’utiliser nos corps pour leurs propres désirs.

Sous le système actuel, il faut faire de l’argent pour survivre. Pour faire de l’argent nous devons vendre notre labeur. Ceci est déjà, à mon sens, dégoûtant et injuste. Je suis fascinée par la créativité, les habiletés et le génie de l’être humain. Je ressens une très grande fierté lorsque je suis capable de produire quelque chose ou d’enseigner quelque chose, de parler, d’écrire et d’apprendre. N’est-ce pas formidable de savoir que l’humain est capable d’autant de belles choses? Le fait que quelqu’un a été assez intelligent pour exploiter cette merveille des gens pour leur propre profit en donnant le minimum possible en retour à la personne qui l’a créé me crève le cœur. J’ai le même sentiment lorsque j’apprends qu’une personne qui reste avec son abuseur et fait tout ce qui lui est demandée pour être battue encore et encore. Je me demande toujours quand vont-t-elles les quitter? Je demande quand vont-elles contre-attaquer. Je me sens de même lorsque je prends un collègue de travail dans mes bras qui sanglote, car son superviseur lui a crié après. Je me demande quand ils vont arrêter d’encaisser. Plusieurs travailleurs le font déjà. Les travailleurs qui ont débuté et joint un syndicat. Nous sommes des survivants.

Ces derniers cinq ans ont été stupéfiants. Je me suis guérie des abus et de la dégradation de cette relation. Je me suis également guérie en appliquant les enseignements de ma thérapeute à ma vie au travail.

Je refuse d’être une victime à présent. Je suis déterminée à me souvenir de ma valeur et j’essaie d’aider les autres à se guérir d’années d’abus entre les mains d’employeurs et de clients. Ce n’est pas assez de démissionner si on n’a pas réalisé notre valeur en raison d’une pauvre estime de la valeur de notre travail, car cela pourrait nous remette continuellement dans les mêmes situations de travail. Avant même de s’en rendre compte, nous avons été blessés littéralement et nous avons rien pour en démontrer. Les grands patrons auront leurs propriétés qu’ils auront achetées avec l’argent qui nous ont pris. Ils auront les meilleurs médecins, leurs enfants iront dans les meilleures écoles et leurs parents âgés seront les mieux soignés. Ils jouiront du fruit de notre travail alors que nous crèverons de faim. Ce n’est pas différent d’un partenaire amoureux qui prend ton chèque de paye.

Les brûlures faits par le lait bouillant ne me font pas moins mal quand je réalise que cette boisson coûte le même montant que mon salaire de l’heure, mais en une heure j’en aurai fait des centaines.

N’écoute pas lorsqu’un employeur ou un collègue abusive essaie de te faire croire que ton travail ne vaut rien. Ne les croit pas lorsqu’ils déprécient ton travail parce que c’est du fastfood ou de la vente au détail. Que tu sois assis à un bureau, que tu livres de la pizza, que tu nettoies les toilettes, que tu couses un rebord de pantalon ou que tu sois acteurs sur scène afin de pouvoir payer tes factures…Rappelle-toi, si les patrons pouvaient le faire seul, ils le feraient. Souviens-toi qu’ils ont besoin de toi beaucoup plus que tu as besoin d’eux. Oui, l’abus peut s’empirer lorsque tu leur fais face et que tu te bats. Semblable à ce que j’ai vécu. Mais si ça prenait un viol pour me sortir de cette relation horrible, c’est ce que ça prenait, c’est tout. Si ça prenait la guérison de cet abus pour m’apprendre l’émancipation et le refus à l’esclavage, et bien qu’il en soir ainsi.

Je ne serai pas une esclave. Je ne serai pas une servante. Je ne consens pas à l’abus de mon être et mon corps ou à la dépréciation de ma vitalité. Quand ils essaient de nous diviser, c’est comme le partenaire qui dit que tu ne peux plus voir tes amies. C’est pour t’isoler afin que tu te sentes seule et impuissante comme lorsque tu cries et personne ne peut t’entendre. Ne leur laisse pas faire cela. Refuse l’isolement. Tend la main à tes collègues. Refuse le travail non-sécuritaire. Demande un salaire dessent. Ceux qui font la majorité du travail devraient avoir le plus de luxe. Nous le méritons. C’est le nôtre.

Si tu t’es sortie d’une relation ou une situation abusive dans ta vie, alors tu sais à quel point tu en as besoin. Tu as passé et repassé des centaines de fois combien le scénario aurait pu être pire. Tu te sens reconnaissant d’avoir quitté cette vie d’avant. Imagine si tous les mauvais traitements au travail prenaient fin. Imagine si tu ne redoutais pas de rentrer au travail. Et si le patron avait maintenant peur de toi? Et s’il n’oserait même plus te toucher une autre fois, te traiter de tous les noms et te harceler? Et s’il ne te refusait plus de pauses et te payait ton temps supplémentaire adéquatement? Et si tu décidais de ton horaire et des tâches que tu voudrais prendre en charge? Et si tu décidais ton salaire?

Ça ressemblerait à quoi d’être finalement libre?

Écrit par Liberté Locke
Traduit par Karine W., Common Cause

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