Égypte : Compromis historique sur une tentative de changement démocratique - Mouvement Communiste et Kolektivně proti kapitálu

place Tahrir
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The French version of the Mouvement Communiste/Kolektivně proti kapitálu pamphlet about the unrest in Egypt in 2011.

Submitted by Dan Radnika on November 13, 2011

ÉGYPTE : Compromis historique sur une tentative de changement démocratique

INTRODUCTION

Dans la vague d’émeutes, de soulèvements qui ont frappé les pays arabes depuis décembre 2010, l’Égypte est arrivée en deuxième position sur la scène, après la Tunisie, mais avec des différences extraordinaires pas seulement à cause de la taille du pays et de son importance géopolitique, pas seulement à cause du nombre de morts (864) et de blessés (environ 9 000), pas seulement à cause d’un arrière-plan économique et d’un développement capitaliste différents mais parce que les deux principaux acteurs du changement de régime n’ont pas été les mêmes. En Égypte, c’est un compromis social entre l’armée et les Frères musulmans, apparu rapidement (mais pas au commencement du mouvement), qui a donné le tempo des événements.

Contrairement à la Tunisie, il n’y a pas de syndicat comme l’UGTT encore moins de partis politiques capables de jouer un rôle. Et ce compromis fonctionne toujours, comme les résultats du référendum sur les réformes constitutionnelles l’ont prouvé en mars. Mais comme tout compromis, chaque partie essaye de faire pencher le balancier en sa faveur au détriment de l’autre. Le 7 juillet, l’Égypte refuse un prêt de 3 milliards de dollars du FMI, après l’avoir sollicité. En lieu et place, elle fait le choix d’un prêt auprès des banques islamiques. C’est une claire victoire des Frères contre l’armée, celle-ci étant en faveur d’un prêt du FMI.

À l’intérieur de cet espace réduit, le mouvement contre le régime de Moubarak et pour des revendications démocratiques a essayé de se frayer un chemin mais, jusqu’à maintenant, n’a pas été capable, tout en faisant beaucoup de tentatives, de dépasser les limites dont il souffre depuis le début. Demeurant désespérément minoritaire, il n’est pas capable de s’adjoindre toutes les couches de la société égyptienne y compris les plus pauvres des plus pauvres vivants dans les bidonvilles du Caire sans parler des paysans pauvres représentant encore 40 % de la population.

Même dans les secteurs ouvriers du prolétariat égyptien, les exemples ne sont pas si lumineux ou du moins pas tellement enthousiasmants sauf si l’on reste au niveau superficiel des « grèves », « mécontentement », « quelque chose se passe ». Evidemment le manque de données précises et détaillées est un fardeau qui empêche de porter des jugements définitifs. Néanmoins, la classe ouvrière tout en ayant été un poids parmi d’autres qui a favorisé la chute de Moubarak, ne s’est pas manifestée par des grèves ou des agitations dans des secteurs importants comme les usines dont l’armée est propriétaire ou le secteur du tourisme industriel tandis que d’autres secteurs ont continué de s’agiter.

L’Égypte est importante sur la scène moyen-orientale pour des raisons tant géopolitiques que religieuses. Les États-Unis, conscients de ce qui était arrivé en Tunisie, ont favorisé la réforme par en haut et ont préféré voir les Frères musulmans participer à un compromis plutôt que se figer dans une opposition, mais ils continuent d’observer les évolutions de la situation, parce que, dans le monde sunnite, Le Caire est en train de regagner la prééminence contre La Mecque et l’Arabie saoudite qui est toujours leur meilleur partenaire dans la région.

Ce qui est sûr, c’est que dans tous les pays arabes et aussi en Égypte, les personnes ne luttent pas pour le communisme (quoi qu’on mette derrière ce mot, au minimum une société sans classes) mais pour la démocratie. Et ce que l’on doit expliquer c’est ce que signifient la démocratie et toutes les revendications démocratiques en regardant profondément ce qui se passe dans ces pays même sous le parapluie d’une armée toujours puissante. De ce constat, et comme l’acteur principal de la transformation vers le communisme est absent de la première ligne en tant que tel, nous devons nous demander si la démocratie est « le fusil à l’épaule du prolétariat » ou « le piège capitaliste le plus efficace contre le prolétariat ». Peut-être un peu des deux.

Le texte comprend donc :

  • Ce qui s’estpassé en 2011,
  • L’arrière-plan dela situation égyptienne,
  • Un peu degéopolitique,
  • Les piliers ducompromis social,
  • Du côté de laclasse ouvrière,
  • Une tentative deconclusion,
  • Des annexes.

CHRONOLOGIE

Pour une chronologie complète, voir le site (www.mouvement-communiste.com).

MOUVEMENT SOCIAL

Une question doit tout d’abord être résolue, celle d’une révolution Internet comme cela a été évoqué de nombreuses fois dans les médias mondiaux et parmi les militants de tout poil. Ce n’était certainement pas une révolution. Au-delà de la chute de Moubarak, non seulement l’État n’a pas subi de transformation mais les relations sociales tant dans les usines qu’en dehors non plus. Si l’on revient à Internet, personne ne peut dénier que son utilisation a aidé pour appeler aux manifestations mais relativement au nombre de personnes capables de se connecter1 seulement un tout petit nombre a été impliqué dans le mouvement grâce à Internet. Bien sûr que ce n’est pas le seul moyen pour rassembler des gens. Mais si on veut mettre l’accent sur quelque chose vis-à-vis des événements de février, c’est sur le nombre de morts et de blessés qui prouve que le mouvement a payé un prix, non sur Internet mais par le sang que les courageux manifestants ont versé. Ce n’est d’ailleurs pas le seul aspect de la participation des gens.

La majorité de la population égyptienne n'a pas participé au « spectacle de la révolution ». Les travailleurs avec un emploi fixe ont participé à des actions sur leurs lieux de travail, bien plus qu'à des grèves. Les revendications étaient les demandes traditionnelles d'augmentation de salaires et de réduction des horaires et surtout de virer les directions corrompues et les bureaucratiessyndicales trop liées aux patrons et à l'ancien régime.

Les travailleurs avec un emploi fixe sont une minorité en Égypte. Dans les banlieues et dans les quartiers populaires, c'est une économie souterraine, mal connue, qui domine. Dans ces zones, au début du mouvement, des commissariats ont été attaqués et brûlés, et des armes volées mais qui n’ont pas servi.

Cette réaction contre la police n’a été utilisée que comme réaction défensive en réaction aux attaques de la police. À Suez, la réaction des ouvriers qui manifestaient a été causée par la milice privée d’un des plus riches patrons de la ville (propriétaire d’usines, d’une chaîne de télévision, et vendeur de voitures de luxe) : quand la manifestation a approché un des magasins, les gardiens ont tiré sans sommation pour protéger les voitures. En conséquence, les manifestants ont détruit des locaux appartenant à ce patron ici et là.

Si l’on doit évoquer la violence, on doit entrer alors dans le royaume des baltaguya – les hommes de main issus du lumpenprolétariat, utilisés par le pouvoir pour maintenir en place le couvercle sur la cocotte-minute sociale –, plein de mystères et où rien n'est explicite.

Il y a une atmosphère semi-émeutière avec des affrontements entre les quartiers. Cela s'appelle « thar », une sorte de vendetta de masse. Souvent les affrontements opposent des habitants de quartiers coptes à des habitants de quartiers musulmans. Il est assez difficile de comprendre les enjeux de ces affrontements. Les bandes qui opèrent sont celles qui étaient utilisées précédemment par les caciques du régime tombé.

Cette agitation ne semble pas perturber l'ordre économique. Contrairement aux pays du Maghreb, les jeunes ne restent pas à « tenir les murs » toute la journée. Il n'y a pas de « hittistes », les jeunes chômeurs toujours prêts à s'engager dans des émeutes. La pauvreté massive du Caire s'accompagne d’un taux d'emploi élevé, avant tout dans le commerce et le petit commerce de marchandises importées de Chine.

Mais cette situation n'est pas productrice de révolte générale contre le système, l'État est loin et les rapports d'exploitations sont dissous dans l'économie informelle. Le désordre social est le signe apparent de la réorganisation de l'économie, mais une réorganisation toujours contrôlée par les caciques. C'est ce qui s'est passé dans les années 1990, quand une nouvelle hiérarchie a remplacé les vieux notables, constituant de nouvelles hiérarchies islamo-racketteuses.

L'Égypte n'est pas l'Algérie et la paix sociale n'a pas besoin d'être imposée par les lourds bataillons de flics anti-émeutes. Les pauvres acceptent massivement l'ordre social. Leur principale revendication concerne la dignité : « Nous sommes des êtres humains et pas des chiens ! ». Par exemple, les habitants d'un bidonville d'Alexandrie ont brûlé le siège d'une préfecture après qu'une rumeur ait couru selon laquelle leur pétition avait été jetée à la poubelle.

Quand le mouvement a fait surface, une fois renforcé par la présence des militants des frères musulmans, le gouvernement a utilisé diverses méthodes pour essayer de le combattre. Ouvertement par la police, et par derrière, soit par les membres de la police secrète soit par des militants du PND soit par des gangs. Cela a permis au gouvernement d’appliquer une répression à deux niveaux. Premièrement la police de face, ensuite les autres derrière pour créer la terreur et diminuer la confiance des manifestants en eux-mêmes. Quand la police a été conviée à rester à la maison, dans plusieurs quartiers du Caire, les habitants ont commencé à organiser la protection sous forme de « milice populaire » informelle. Celle-ci avait pour fonction de contrôler qui voulait entrer dans le quartier quand c’était un inconnu ou quelqu’un de non accompagné. Plusieurs fois, c’était un produit de la paranoïa mais d’autres fois cela a aidé à arrêter des policiers en civil ou à repousser des ennemis. Néanmoins, les points de contrôle servaient aussi de lieux de discussion sur la situation et sur les moyens pour assurer le succès de la révolution. Ceci est certainement une bonne chose mais en considérant le nombre de personnes impliquées, cela est resté à la surface.

ARRIERE PLAN DE LA SITUATION EGYPTIENNE

QUELQUES DONNÉES ÉCONOMIQUES CLÉS

Introduction

En Égypte, comme en Tunisie, la hausse des prix alimentaires a été un des déclencheurs majeurs des protestations. En dépit du delta fertile du Nil, l’Égypte doit importer de grandes quantités de denrées alimentaires (elle est le premier importateur mondial de blé).

La hausse des prix alimentaires a donc un effet immédiat sur sa capacité à répondre à ses besoins vitaux (en Égypte, la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages est de l’ordre de 50 %). Jusqu’à présent, les pouvoirs publics ont tenté de limiter l’impact de la hausse des prix alimentaires via des subsides, mais le déficit budgétaire élevé limite la marge de manœuvre.

Contrairement à l’économie tunisienne, la structure de l’économie égyptienne repose pour une part non négligeable sur la rente. Bien que la proportion de cette rente au regard du PIB soit moindre que dans les années 1974-862 (37 % du PIB et 130 % des exportations totales de biens et services), elle reste actuellement de l’ordre de 20 %. Cette rente est à plusieurs composantes : le tourisme, les revenus du canal de Suez, les transferts des expatriés, les recettes des hydrocarbures (pétrole, gaz, taxes et royalties en tout genre) et les aides diverses (y compris américaines). Ces ressources ont pris largement le pas sur les exportations de coton (au premier rang, il y a peu), de riz et d’autres produits agricoles.

Par nature, chaque État est rentier, car il perçoit sa rente sous forme d’impôts, de taxes, etc. Ce que nous appelons État rentier est un État qui perçoit une grande partie de ses revenus en provenance de la rente produite par une matière première (provenant de l'agriculture comme c’était le cas pour l'Argentine dans les 50 premières années du XXe siècle ou du cacao pour la Côte d'Ivoire de nos jours ou de l'exploitation minière comme le pétrole aujourd'hui dans le cas du Venezuela jusqu’aux pays du Moyen-Orient) et qui est incapable, de même que sa classe dirigeante, d'accumuler du capital dans la zone où il détient le pouvoir, à un niveau en adéquation avec le développement du marché mondial.

Le reste de l’économie égyptienne se concentre essentiellement sur les domaines suivants (sur lesquels nous reviendrons plus loin) : l’agriculture, le textile, le BTP, le secteur pharmaceutique, les télécommunications, le secteur bancaire, la production d’acier ainsi qu’un large secteur d’économie « grise » plus difficilement quantifiable3 .

Le changement de la structure économique et sociale, initié en fin de règne par Gamal Abdel Nasser, après la défaite de la guerre des Six Jours en 1967, poursuivie par Anouar el Sadate (politique dite d’infitah, d’ouverture économique), puis par Hosni Moubarak4 , a fait migrer la majorité de l’économie du secteur public mis en place durant les années 1950 vers le secteur privé. Ce changement étant le reflet de l’incapacité de l’État à gérer de manière adéquate l’industrialisation de l’Égypte plutôt qu’une volonté affirmée de libéralisation de l’économie. Cette privatisation causant l’apparition d’une catégorie de bénéficiaires, adeptes d’un capitalisme rentier, étroitement lié à l’appareil d’État et donc à l’armée, a très largement entraîné une dégradation des conditions de vie pour la majorité des Égyptiens, en particulier les paysans, les ouvriers et les classes moyennes qui constituent la grande majorité de la population (on estime que 40 % de la population égyptienne vit avec +/- 2 dollars par jour).

L’Égypte a bien résisté à la crise de 2007-2009, non parce que son économie est florissante, mais plutôt du fait que la contagion financière a été contenue par une exposition directe limitée aux produits structurés, de faibles niveaux d'intégration financière avec les marchés financiers mondiaux, d’absence d’un système de retraites financé par les fonds de pension, etc.5 Si avant la crise, le taux de croissance avoisinait les 7 %, il était de 4,7 %, en 2009, et de l’ordre de 5,1 %, en 2010.

En ce qui concerne les contributions des secteurs public et privé à la croissance économique (5,1 %) au cours de l'année 2010, le secteur public a généré 1,1 point de pourcentage (contre 1,4 point un an plus tôt), et le secteur privé 4 points (contre 3,3 points), indiquant le rôle clé joué par ce dernier dans le développement économique. Les principaux contributeurs à la croissance économique ont été les secteurs de la fabrication, le commerce de gros et de détail, la construction, le tourisme et l'agriculture. Au niveau du secteur public, le principal moteur de la croissance a été le gouvernement général.6

Cette croissance est polluée par un taux d’inflation assez élevé (16,2 %, en 2008, 12 %, en 2009 et 10 %, en 2010) et par un taux de chômage élevé, particulièrement chez les jeunes et les diplômés (la moyenne d’âge en Égypte est de 24,8 ans). Les taux officiels sont de 9,2 % en 2007, de 8,1 %, en 2008, et de 9 %, en 2009 (FMI), mais le taux réel serait beaucoup plus élevé (le chômage toucherait au moins 50 % de la classe d’âge des 15-29 ans)7 .

La production égyptienne, au-delà de chiffres macro-économiques assez favorables, souffre globalement d’un manque de compétitivité, des graves défauts de formation de sa main-d’œuvre, exporte principalement des produits à faible valeur ajoutée (matériaux bruts, aluminium, coton, produits semi-finis, produits pharmaceutiques standards), d’une carence importante des infrastructures, de nombreux non-respect des contrats, et également de la corruption. Cette dernière, loin de s’éroder, est quasi généralisée, et ne se limite pas au seul secteur public. D’après Transparency International, l’ « indice de corruption » de l’Égypte, entre 2005 et 2007, est passé de 3,3 à 2,9 sur une échelle de 10 (0 équivalent à une corruption massive).

La croissance économique repose sur des bases fragiles.

Les piliers de la croissance économique égyptienne sont traditionnellement le tourisme, le transfert d'argent, les revenus du canal de Suez et du pétrole. Mais ils subissent à présent un ralentissement :

  • Le tourisme estsoumis à la fois aux aléas conjoncturels des pays d’où les touristesproviennent, mais aussi aux menaces de terrorisme (l’Égypte a connuplusieurs attentats ces dernières années, qui ont momentanément fait fuirles touristes).
  • Les transfertsd’argent des expatriés sont proportionnels à la bonne santé des économiesqui les emploient, et sont donc aussi dépendants des aléas économiques desautres zones. Ils dépendent aussi de l’évolution des politiques d’émigration,liées elles-mêmes aux cycles économiques (préférence accordée auxtravailleurs originaires d’Asie du Sud et du Sud-est, face à ceux des paysarabes).
  • Les recettes ducanal de Suez sont pour leurs parts sensibles à la conjoncture économique,à la mise en service de nouveaux oléoducs, mais aussi au problème depiratage aux abords de la Mer rouge, près des côtes somaliennes.
  • Les ressources enpétrole s’amenuisent (la production qui n’a cessé de diminuer ne couvremême pas la consommation intérieure). L’Égypte est donc obligée d’importerdu pétrole (à prix élevé) et de subventionner les prix (double pénalité).Le gaz, lui, se porte mieux et régulièrement de nouveaux gisements sontdécouverts. Il s’opère actuellement en Égypte une substitution de l’énergiepétrolière par le gaz.
  • Le secteur del’éducation est en complète déliquescence. Le système éducatif égyptienest sinistré. Les enseignants ne sont quasi pas rémunérés et sont obligésde se tourner vers les cours privés pour tenter de s’en sortir. Dansl’enseignement public, l’accent est mis sur l’apprentissage par cœur desmatières et les formations sont de très bas niveau. À un point tel que lesentreprises privées en dépit du bon marché de la force de travailégyptienne, se tournent vers de la main-d’œuvre indienne plus qualifiée.

Les transformations de l’économie égyptienne

Si la période Nasser impliquait une économie protectionniste et « socialiste » avec son cortège de nationalisations (dans le textile notamment), de travaux pharaoniques comme la construction du barrage d'Assouan ainsi que la création d'industries lourdes (aciéries, fonderies, cimenteries)8 , Sadate engagera l’Égypte dès le début des années 1970 sur la voie de la libéralisation.

Le début de cette refonte de l’économie se situe dans une période marquée par un taux de croissance record. Les années 1974-1985 sont des années économiquement fastes du fait de cours de pétrole à la hausse, d’un afflux massif de devises en provenance de la main-d’œuvre égyptienne expatriée dans les pays du Golfe, d’une augmentation importante des revenus du tourisme.

« En vertu de la politique de “dénassérisation”, la confiscation des biens opérée dans les années 1960 est déclarée illégale, l’investissement étranger passe pour la clé du développement et les activités d’import-export s’ouvrent au secteur privé. »9

Mais, cette politique d’ « ouverture » (infitah) économique n’est pas sans conséquences sociales qui vont marquer durablement le règne de Moubarak. La réforme agraire de 1974 qui va restituer les terres à leur ancien propriétaire va laisser sur le carreau un grand nombre de paysans. De nombreux fonctionnaires (pléthoriques dans le gouvernement précédent) se trouvent confrontés à une réduction drastique de leur salaire et à une dégradation de leurs conditions de vie, qui entraînent des affrontements en 1977 contre la hausse du prix du pain.

En 1979, la signature du traité de paix avec Israël exclut l’Égypte de la Ligue arabe, et supprime des aides y afférant. Cette perte étant compensée par la prime à la paix octroyée par les États-Unis.

Les premières années Moubarak (Sadate est assassiné en 1981) s’inscrivent dans un contexte économique encore favorable. Ce qui lui permet de lâcher du lest vis-à-vis des fonctionnaires et de largement subventionner certains postes de l’économie (énergie, denrées de base, transport, logement[s],[/s]…). Mais, cette embellie est vite ternie par le contrecoup de la crise pétrolière, et une pression démographique à la hausse. L’État égyptien est obligé de recourir massivement à l’endettement extérieur et à restreindre[s] [/s]certaines subventions, tout en essayant de préserver la paix sociale.

Equilibre précaire s’il en est. Rapidement, dans une situation critique et au bord de la faillite, l’État égyptien est contraint de signer un accord avec le FMI qui lui impose des mesures drastiques notamment de réduction des subventions, de lutte contre l’économie grise, etc. Accord qu’il n’a pas les moyens politiques de mettre en application.

La première guerre contre l’Irak, en 1991, arrive à point nommé pour l’Égypte. En effet, l’État égyptien, quasi en faillite, s’alignera sur le camp américain et se verra pour l’occasion largement récompenser par de nouvelles aides.

« Le Caire obtient de ses débiteurs occidentaux du Club de Paris l’annulation de la moitié de ses 20 milliards de dollars de dette et le rééchelonnement des 10 milliards restants. En échange, il faut cette fois engager les réformes et mettre en application le programme d’ajustement structurel (PAS) du FMI (accords de mai 1991) et de la Banque mondiale (accords de novembre 1991), même si une flexibilité du calendrier est autorisée pour éviter de nouvelles émeutes. »10

S’ensuit une période un peu plus favorable (hausse du prix du baril) et l’État égyptien augmente à nouveau ses dépenses publiques, et on assiste à une vague de privatisation dans les secteurs agroalimentaires, de l’hôtellerie, du BTP.

Mais, en 1993-1994, du fait de conjonctures différentes (réorientation des aides occidentales vers les pays de l’Est, chute des revenus du canal de Suez), la situation se dégrade. L’État redirige ses dépenses vers les forces de sécurité et leur administration pour faire face à l’islamisme « renaissant » des Frères musulmans, et tente de créer des contre-feux idéologiques, par exemple, en prenant en charge des milliers de mosquées associatives. Ces dépenses se faisant au détriment des secteurs productifs, des secteurs de l’éducation, etc.

« Le programme de réformes se remet malgré tout en marche dans la seconde moitié des années 1990, avec la vente de nouvelles compagnies publiques et la libéralisation des loyers de la terre, achevée en 1997, qui ne provoque finalement pas la mobilisation paysanne redoutée. Dans le courant de la décennie, les emprunts intérieurs, souscrits pour financer les grands travaux et consentir des prêts aux hommes d’affaires, prennent le pas sur la dette extérieure. Il s’agit de financement sur les caisses de retraites via la Banque nationale d’investissement, d’obligations du Trésor, de bons du Trésor. Cette dette publique constitue aujourd’hui l’un des principaux points noirs du tableau économique. »11

Une phase de ralentissement de l’économie débute en 2000 (taux de croissance de l’ordre de 3 %) et conduira, en 2003, à l’arrêt de l’ancrage de la livre égyptienne au dollar, permettant une dévaluation de celle-ci et entraînant une amélioration de la compétitivité des prix.

L’année 2004 marque l’accélération des réformes de la structure économique. Les privatisations sont relancées, notamment dans le domaine de la banque, des télécommunications, du commerce de détail et dans le ciment.

Dès 2005, ce sont près de 600 millions de dollars de recettes qui sont dégagés de ce processus, et près du triple en 2006. Les procédures douanières sont allégées, les droits d’entrée sont fortement diminués et l’État met en place des zones franches (ZIQ12 – zones industrielles qualifiées) qui vont ouvrir le marché américain aux productions égyptiennes de textile.

Pour relancer la consommation et lutter contre la fraude (moins de la moitié des déclarations d’impôts seraient remplies chaque année), l’État réduit les impôts sur le revenu en 2005 (de 40 % à 20 % pour les revenus les plus élevés et de 27 % à 10 % pour les revenus faibles) et sur les bénéfices (unifiés à 20 %).

En 2007, lors des amendements à la Constitution, toute référence au socialisme disparaît. Ainsi, dans l’article 4 « L’économie de la République arabe d’Égypte est fondée sur le système démocratique socialiste » est remplacé par « L’économie de la République arabe d’Égypte est fondée sur le développement de l’esprit d’entreprise ».

La structure de l’économie égyptienne

Les cinq piliers

Comme nous l’avons vu plus haut, l’économie égyptienne reste encore fortement marquée par une logique rentière (+/- 20 % du PIB).

Le tourisme

Le secteur fournit 10 millions d’emplois directs ou indirects et occupe ainsi une part très importante de la structure de l’emploi. En 2006, le tourisme a rapporté 7,2 milliards de dollars, soit près de 23 % de l’ensemble des devises et 11,8 milliards de dollars en 2009/2010. Le tourisme[s],[/s] ne se limite pas aux seuls hôtels accueillant les touristes et n’a donc pas un rôle exclusivement improductif (du point de vue de la valeur). Il est composé également d’une part importante d’entreprises de BTP qui non seulement construisent les hôtels, mais aussi toutes les infrastructures qui en découlent (routes, chemin de fer, aéroport, transport, etc.), d’entreprises agricoles (pour nourrir tous ces touristes), etc.

Les zones touristiques importantes se situent à Louxor, Le Caire, Hurghada, Charm el-Cheikh, Assouan, les régions de la Mer rouge et du Sinaï.

Revenus du canal de Suez

Cela représente 4,7 milliards de dollars de revenu en 2009/2010. Le transport du pétrole assure 15 à 20 % des revenus du canal, en baisse relativement au transport de produits finis. Ses revenus sont étroitement liés aux conditions géopolitiques ainsi qu’aux transformations de l’économie mondiale (destinations des marchandises – Chine et Inde – ainsi que la taille des bateaux). D’importants travaux sont régulièrement entrepris pour faire face à la taille croissante des bateaux (5 000 tonnes en 1869, 210 000 en 2006, 350 000 prévues en 2012.13 )

Cette voie économique et géostratégique importante pourrait être menacée par divers projets d’acheminement des marchandises par le rail (reliant le port d’Ashdod en Israël, à ceux d’Eilat ou d’Aqaba).

Transfert des expatriés

Cela représente 9,8 milliards de dollars, en 2009/2010. En 2006, environ 4 millions d’Égyptiens vivent à l’étranger. Cette émigration, déjà entamée dans les années 1930, est due à la pression démographique et au manque de possibilité d’emploi en Égypte. Dans les années 1960-70, les pays de destination étaient principalement les pays du Golfe et la Libye. Actuellement, les pays du Golfe sont aussi confrontés au chômage et privilégient leurs travailleurs locaux ou font appel pour des raisons de coûts et de qualification à des travailleurs originaires d’Asie (Indiens, Pakistanais, Philippins). Les travailleurs égyptiens se retrouvant dans des emplois moins qualifiés du BTP, de la restauration et de l’agriculture.

Le secteur des hydrocarbures (pétrole et gaz)

L’Égypte est un modeste pays producteur de pétrole (sa position oscille entre le 19e et le 26e rang mondial des producteurs, suivant les années prises en compte), qui plus est avec peu de réserves. Son pic de production remonte à 1996.

Les réserves prouvées de pétrole égyptien représentent 4,07 milliards de barils (Mds b) en 2008 (6e rang en Afrique), soit seize années de production. Les réserves prouvées de gaz atteignent 2 060 Mds m3 (3e rang en Afrique) complétées par plus de 3 000 Mds m3 de réserves probables. Au point de vue de la production de gaz, l’Égypte occupe la 22e place au niveau mondial.

Les gisements de pétrole sont concentrés dans le golfe de Suez (42,6 %) et dans le désert de Libye (24,7 %). Les réserves gazières se situent en Méditerranée et dans le delta du Nil (Port Faud, Temsah du Sud et Wakah) et dans le désert occidental.

L’ensemble des activités d’exploration, de production, de raffinage et de distribution est administré par les établissements publics sous tutelle du ministère, à savoir l’Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC) pour le secteur pétrolier et l’Egyptian Natural Gas Holding Company (EGAS) pour le secteur gazier. Toute activité d’exploration et de production nécessite la création d’une joint-venture avec EGPC ou EGAS. Les contrats d’exploration et de production prennent alors la forme d’une concession accordée pour une durée déterminée à la joint-venture.

Production de pétrole et capacité de raffinage14 .

[table][tr] [td]

[/td] [td] Production de pétrole

Barils/jour

[/td] [td]

[/td] [td] Capacité de raffinage

Barils/jour

[/td] [td]

[/td][/tr][tr] [td] BP Egypt

[/td] [td] 12 000

[/td] [td] Capacités existantes

(9 installations)

[/td] [td] 747 000

[/td] [td]

[/td][/tr][tr] [td] ENI Egypt

[/td] [td] 97 000

[/td] [td] Canal de Suez

[/td] [td] 500 000

[/td] [td] Investisseurs : Égypte, Arabie Saoudite, Koweït

[/td][/tr][tr] [td] Apache Energy

[/td] [td] 66 934

[/td] [td] Ain Sukhna sur la Mer Rouge

[/td] [td] 130 000

[/td] [td]

[/td][/tr][tr] [td] Autres compagnies étrangères

[/td] [td] 33 000

[/td] [td] Asyut

[/td] [td] 250 000

[/td] [td] États égyptien et libyen

[/td][/tr][tr] [td] EGPC

[/td] [td] 491 066

[/td] [td] Total des nouvelles capacités

[/td] [td] 880 000

[/td] [td]

[/td][/tr][tr] [td] Sum

[/td] [td] 700 000

[/td] [td]

[/td] [td]

[/td] [td]

[/td][/tr] [/table]

Actuellement, l’Égypte est en passe de devenir importateur net de pétrole, sa consommation intérieure excédant sa production. Ce qui l’oblige à importer du pétrole à coût élevé, et vu que le prix de cette matière à la pompe est largement subventionné, ceci entraîne des dépenses de plus en plus importantes pour le budget de l’État. C’est pourquoi l’Égypte est en train de développer de manière importante la production de gaz, à la fois pour pallier le déficit du pétrole et pour augmenter ses revenus à l’exportation.

Les principaux producteurs de gaz en Égypte sont BG Egypt (18 Mds m3/an représente à lui seul +/- 40 % de la production totale), ENI (8,39 Mds m3/an), BP Egypt (3,24 Mds m3/an), Apache Energy (2,26 Mds m3/an) et Dana Gas (0,2 Mds m3/an)15 .

Aide internationale.

À elle seule, l’aide américaine (armement compris) est de l’ordre de 3 milliards de dollars en 2009/2010 et plus généralement, de l’ordre de 1,7 milliard de dollars par an (environ 400 millions de dollars pour l’aide civile et le reste pour le domaine militaire). En juillet 2007, c’est 13 milliards de dollars d’aide supplémentaire sur 10 ans qui ont été octroyés par les États-Unis à l’Égypte. Mais ce n’est pas la seule source à laquelle s’abreuve l’État égyptien. Il y a l’aide de la Banque mondiale (2 à 2,8 milliards entre 2005 et 2008 pour promouvoir l’investissement et des réformes économiques, sociales et financières), l’aide de l’Europe (2 milliards de dollars pour mettre à niveau l’économie égyptienne et constituer une zone de libre-échange), l’aide japonaise, arabe et aussi en provenance des pays du Golfe.

Outre ces cinq piliers de la rente, d'autres secteurs importants composent l'économie de l'Égypte : certaines activités traditionnelles, en recul, comme l'agriculture et les textiles, et d'autres plus « modernes » telles que la construction et les télécommunications.

Les autres secteurs de l’économie égyptienne

L’agriculture

La surface cultivée est de 3,8 millions d’hectares, ce qui correspond à 4 % de la superficie du pays. L’agriculture repose quasi entièrement sur un système d’irrigation alimenté par le Nil. Les eaux du Nil sont de mauvaise qualité, en partie parce que l’agriculture égyptienne utilise des pesticides et engrais en masse (un taux parmi les plus élevés du monde), mais aussi parce que bon nombre d’industries polluantes rejettent leurs déchets non filtrés directement dans les eaux du Nil. D’un point de vue agroalimentaire, le pays n’est pas autosuffisant. Il est d’ailleurs le premier importateur mondial de blé. L’importance de l’agriculture dans l’accroissement du PIB est en constant déclin. De 50 % du PIB en 1979, à 10 % en 1990 et à 5 % actuellement.

[H5]L’industrie[/h5]Le secteur emploie environ 14 % de la main-d’œuvre égyptienne. Les industries sont réparties dans une quarantaine de zones industrielles et dans une dizaine de zones franches16 .

Le textile

Le textile et son exportation ne sont plus soumis au monopole de l’État depuis les années 1990. Néanmoins, l’État continue à dominer les activités de filature et de tissage, tandis que les capitalistes privés se concentrent sur les activités de finition (teinture, façon).

Ce secteur est en crise car, depuis 2005, il subit les effets de la suppression des quotas décrétée par l’OMC (perte de conditions d’accès privilégiées au marché européen) et est soumis à la concurrence chinoise et indienne (de moins bonne qualité, mais beaucoup moins chère) voire américaine en ce qui concerne le coton. Secteur en pleine restructuration, de nombreuses entreprises ont été vendues à des industriels étrangers qui n’ont de cesse de tenter de moderniser le procès de fabrication et d’augmenter les cadences de travail, ce qui a conduit à de nombreuses grèves les années précédentes (telle celle de l’usine Misr Spinning and Weaving à Mahalla al-Kubra en 2007).

Le BTP

La production de ciment connaît une forte progression depuis 1989. Ce secteur a été privatisé début 2000, et des capitaux privés étrangers ont investis en masse ce secteur. Les français Lafarge, Ciment français et Vicat, des portugais, italiens et mexicains. Ces groupes étrangers représentent plus de 50 % de la production totale.

Les télécommunications

Il s’agit d’un secteur qui a été profondément restructuré et développé ces dernières années. L’Égypte possède le nombre de lignes par habitant parmi le plus élevé du Moyen-Orient. On comptait 22 millions d’abonnés au téléphone portable en 2007, contre 4.3 millions en 2002. Le réseau mobile couvre les grandes villes, la région de Suez et les grands axes du Delta, et est en croissance rapide. Le secteur de la téléphonie mobile est largement ouvert aux capitalistes privés. Les principaux acteurs sont Mobinil (détenue par Orascom Telecom, groupe également actif dans le BTP), Vodafone, Etisalat (Emirates Telecommunications Corporation).

Le développement de ce secteur est dû pour une bonne part à l’aide internationale de développement, notamment américaine (USAID) et de l’État égyptien (le ministre des Télécommunications, Mr. Ahmed Nazif est au départ professeur d’informatique).

L’industrie pharmaceutique

Caractérisée par une production, des équipements et de la main-d’œuvre bon marché, elle représente 30 % du marché régional et en est le premier acteur. Ce secteur est largement subventionné. Il importe ses composants de l’étranger à prix élevé, ce qui rend moins intéressante cette activité pour les investisseurs privés, du fait du contrôle des prix.

[H5]Le secteur bancaire[/h5]
Le secteur bancaire a subi, au cours du XXe siècle, des mouvements de nationalisation et de privatisation. Au début des années 1950, les banques étrangères contrôlent largement le secteur bancaire égyptien. En 1956, sur les 32 banques opérant en Égypte, 12 ont leur siège social à l’étranger. Ces banques étrangères collectent environ 54 % des dépôts bancaires et distribuent près de 47 % des crédits.

Sous Nasser, une grande vague de nationalisations touche le secteur bancaire égyptien en 1960 et 1961. À la suite de celle-ci, l’État contrôle la totalité du secteur bancaire. En fait, la propriété publique du secteur bancaire égyptien s’est accompagnée d’une très nette dégradation des performances des banques égyptiennes.

De 1961 à 1974, le secteur bancaire égyptien est un secteur très concentré (10 banques en 1963, puis 6 banques en 1971) et très rigide. Ce secteur pratiquait ses activités traditionnelles dans un cadre de spécialisation décidé par l’État et avec l’absence totale de concurrence ou de développement des services offerts.

Une première correction s’opère, en 1974, avec la promulgation de la loi du 10 juin (dite « loi d’investissement des fonds arabes et étrangers ») et l’organisation des Zones franches. Les banques étrangères sont autorisées à établir des banques sur le territoire égyptien soit par la voie de succursales, soit en association avec des capitaux égyptiens. Pour accomplir leurs activités en monnaie locale, les banques créées doivent être fondées sous la forme d’une société mixte comportant une participation égyptienne d’au moins 51 %.

En dépit de ce début de privatisation, l’État continue de contrôler la majorité du secteur bancaire à travers les quatre grandes banques commerciales publiques qui représentent alors près de 60 % de la capitalisation des banques en Égypte. En outre, l’État possède indirectement (par les banques publiques seules ou avec d’autres organismes publics) des parts majoritaires dans les capitaux de la plupart des banques mixtes crées depuis 1974.

Un nouveau programme de privatisation des banques démarre en 1993, en grande partie dicté par les injonctions du FMI et de la Banque mondiale. En 2003, le pays compte encore 64 banques (dont 28 banques commerciales et 31 banques d’investissements et d’affaires), mais le marché est dominé par le secteur public qui détient 8 établissements parmi lesquels figurent les quatre plus grosses banques égyptiennes.

Les quatre grandes – la banque MISR, la National Bank of Egypt (NBE), la Banque du Caire et la Banque d’Alexandrie – contrôlent plus de 50 pour cent des activités totales du secteur bancaire, mais elles détiennent également un montant important de créances douteuses.

En décembre 2004, il y a 57 banques. En juin 2006, il n’y a plus que 43 banques et en juin 2010, seulement 39. Le but de la restructuration conduite par la Banque centrale d’Égypte est de réformer le secteur bancaire en créant des banques de taille importante, capables de satisfaire les normes internationales prévues par l’accord de Bâle (notamment le ratio international de solvabilité), et de faire face à une concurrence internationale accrue.

Le secteur bancaire en Égypte est composé (depuis 2006) par trois types de banques : les banques commerciales, les banques spécialisées (relatives à des secteurs économiques bien précis) et les banques islamiques. Le gros de la capitalisation bancaire restant aux mains des banques commerciales.

Mais, en dépit de la restructuration qui dure depuis plus de 10 ans, comparé aux standards internationaux, le secteur bancaire égyptien reste encore peu soumis à la concurrence. Au sein du secteur privé, le manque d’accès au crédit reste important, les restrictions des changes extérieurs et la bureaucratie excessive du gouvernement sont souvent citées comme étant des obstacles à l’investissement et l’Égypte reste une économie avec des services bancaires très basiques. Le secteur bancaire pèse pour à peu près 4 % du PIB.

En 2011, la privatisation des quatre grandes banques publiques est toujours en cours. Les banques islamiques représentent à peine 1 % du secteur.

Une démographie galopante

En 1962, la population égyptienne se chiffrait à environ 30 millions. En 2010, à 77,8 millions. Ce sont là les chiffres des Égyptiens résidant en Égypte. Si on tient compte des expatriés, la population dépasse les 80 millions de personnes. En 48 ans, on a enregistré une croissance de 193 %. Près de 43 % de la population vit dans une zone urbaine en 2008 et la moyenne d’âge est de 24,8 ans17 .

La majeure partie du pays est inhabitée, 95 % de la population étant regroupée sur 5,5 % de la surface, dans le delta et la vallée du Nil, sur les zones côtières et dans les gouvernorats du nord18 .

Près des deux tiers de la population égyptienne vit au jour le jour, sans revenu assuré. Ils n’ont pas accès aux services de santé, d’éducation, etc. En 2006, sur l’ensemble du territoire, le taux d’analphabétisme des femmes était de 37 % contre 22 % parmi les hommes. Dans les zones rurales, ce taux atteignait 47 % et 27 % pour les hommes.

Un quart de la population aurait accès aux services courants (santé, éducation dans le secteur privé, logement), à un salaire régulier leur donnant accès de plus en plus à l’automobile et à différents loisirs. 10 % auraient un niveau de vie correspondant à un niveau de qualification élevé (haute administration, cadres d’entreprises, etc.) et 1 % aurait une vie de loisirs et de voyages et accès aux meilleures universités d’Europe ou des États-Unis (soit moins de un million de personnes)19 .

La ville du Caire regroupe à elle seule 25 % de la population, avec une forte proportion de petits paysans pauvres venus des campagnes et vivant des miettes des plus riches et de l’économie de survie.

« La structure rentière de l’économie ne repose en effet plus sur l’exploitation d’une main-d’œuvre locale, excédentaire par rapport aux besoins du tourisme, de l’industrie de transformation des ressources locales (coton, pétrole, agro-industries) ou de produits semi-manufacturés importés tels que la construction automobile ou électromécanique… ainsi que des services marchands. Il s’ensuit une prolifération de faux emplois de services et une saturation de l’administration, alliées avec une corruption et une mendicité déguisées, omniprésentes et qui grippent la machine économique et sociale, tout en permettant aussi la survie de millions de bouches “inutiles” »20 .

Composition de classe

Les 15-64 ans représentent 63 % des Égyptiens, mais les moins de 14 ans comptent pour 33 % de la population totale. La population active est estimée à 26 millions de personnes environ. Selon les dernières estimations disponibles, 32 % des actifs travaillent dans le secteur agricole, 17 % dans l'industrie (surtout le textile, mais également dans le bâtiment et la production de ciment, de gaz et de pétrole), et 51 % dans les services (tourisme en particulier). L'emploi rural reste important en Égypte, malgré l'afflux de population vers les villes (vers Le Caire en particulier) au cours des deux dernières décennies.

Une forte proportion d'Égyptiens travaille comme indépendants au sein du secteur informel de l'économie. Dans ce secteur informel, ce sont les micros et petites entreprises qui prédominent par centaines de milliers. Le secteur informel comprend les travailleurs du secteur des services, ainsi que les employé(e)s de maison. Mais le secteur qui pèse le plus lourd dans l'économie égyptienne, et en termes de nombre d'emplois, c'est le secteur public ; ce fut même le secteur qui connut la plus forte croissance et le plus grand nombre de créations d'emploi au cours des années 1990 (alors même que l'époque était aux privatisations et aux mesures d'austérité).

Le taux de participation de la main-d'œuvre féminine est en augmentation. Il n'était que de 11 % environ en 1980, mais atteignait 22 % en 2001. L'augmentation du nombre de femmes occupant un emploi est surtout due à l'emploi féminin dans le secteur public. De nombreuses Égyptiennes travaillent dans le secteur informel, surtout comme aides familiales non rémunérées.

En 2005, on évaluait le nombre d'habitants vivant au-dessous de la ligne de pauvreté à 20 % environ du total de la population. Le taux de chômage est de 10 %. Du point de vue géographique, le déficit d'emplois concerne surtout les zones rurales, en particulier en Basse-Égypte. Le taux de chômage déclaré est au plus haut chez les 20-24 ans, ainsi que chez les diplômés de niveau moyen. Mais on constate avec surprise que le taux de chômage est plutôt bas chez les illettrés. Le chômage touche bien davantage les femmes que les hommes.

Structure sectorielle de l'emploi en Égypte pour la période 1977-1992 et la tranche d'âge 12-64 ans

[table][tr] [td] SECTEUR

[/td] [td] MILLIONS

[/td] [td] STRUCTURE ( %)

[/td] [td] TAUX ANNUEL MOYEN DE CROISSANCE ( %)

[/td][/tr][tr] [td] 1977

[/td] [td] 1981

[/td] [td] 1984

[/td] [td] 1992

[/td] [td] 1977

[/td] [td] 1981

[/td] [td] 1984

[/td] [td] 1992

[/td] [td] 1977-1981

[/td] [td] 1981-1984

[/td] [td] 1984-1992

[/td][/tr][tr] [td] AGRICULTURE

[/td] [td] 5,3

[/td] [td] 5,4

[/td] [td] 5,4

[/td] [td] 5,8

[/td] [td] 51,5

[/td] [td] 47,5

[/td] [td] 43,5

[/td] [td] 39,6

[/td] [td] 0,2

[/td] [td] 0,1

[/td] [td] 0,9

[/td][/tr][tr] [td] INDUSTRIE, MINES ET MATIÈRES PREMIÈRES

[/td] [td] 1,4

[/td] [td] 1,7

[/td] [td] 1,8

[/td] [td] 2,2

[/td] [td] 13,8

[/td] [td] 14,7

[/td] [td] 14,2

[/td] [td] 15 0

[/td] [td] 3,9

[/td] [td] 1,9

[/td] [td] 2,8

[/td][/tr][tr] [td] dont entreprises publiques

[/td] [td] 0,7

[/td] [td] 0,7

[/td] [td] 0,7

[/td] [td] 0,8

[/td] [td] 6,4

[/td] [td] 6,2

[/td] [td] 5,8

[/td] [td] 5,7

[/td] [td] 1,6

[/td] [td] 0,6

[/td] [td] 1,8

[/td][/tr][tr] [td] dont secteur privé (+ de 10)

[/td] [td] 0,1

[/td] [td] 0,2

[/td] [td] 0,2

[/td] [td] 0,3

[/td] [td] 1,4

[/td] [td] 1,4

[/td] [td] 1,5

[/td] [td] 2

[/td] [td] 2,2

[/td] [td] 4,7

[/td] [td] 6 0

[/td][/tr][tr] [td] RÉSIDUEL (SECTEUR INFORMEL)

[/td] [td] 0,6

[/td] [td] 0,8

[/td] [td] 0,9

[/td] [td] 1,1

[/td] [td] 6 0

[/td] [td] 7,1

[/td] [td] 7 0

[/td] [td] 7,4

[/td] [td] 6,5

[/td] [td] 2,5

[/td] [td] 2,8

[/td][/tr][tr] [td] BÂTIMENT

[/td] [td] 0,3

[/td] [td] 0,5

[/td] [td] 0,6

[/td] [td] 0,9

[/td] [td] 3,2

[/td] [td] 4,6

[/td] [td] 4,9

[/td] [td] 6

[/td] [td] 10,8

[/td] [td] 5,6

[/td] [td] 4,6

[/td][/tr][tr] [td] SERVICES

[/td] [td] 3,2

[/td] [td] 3,6

[/td] [td] 4,3

[/td] [td] 5,8

[/td] [td] 31,4

[/td] [td] 31,6

[/td] [td] 34,5

[/td] [td] 39,3

[/td] [td] 2,4

[/td] [td] 6 0

[/td] [td] 3,7

[/td][/tr][tr] [td] EMPLOI NATIONAL TOTAL

[/td] [td] 10,3

[/td] [td] 11,3

[/td] [td] 12,4

[/td] [td] 14,7

[/td] [td] 100

[/td] [td] 100

[/td] [td] 100

[/td] [td] 100

[/td] [td] 2,3

[/td] [td] 3,1

[/td] [td] 2,1

[/td][/tr][tr] [td] CHÔMAGE

[/td] [td] 0,3

[/td] [td] 0,6

[/td] [td] 0,8

[/td] [td] 1,4

[/td] [td] 2,8

[/td] [td] 4,8

[/td] [td] 5,7

[/td] [td] 8,8

[/td] [td] 16,5

[/td] [td] 9,3

[/td] [td] 7,8

[/td][/tr][tr] [td] MAIN D'ŒUVRE NATIONALE TOTALE

[/td] [td] 10,6

[/td] [td] 11,9

[/td] [td] 13,2

[/td] [td] 16,1

[/td] [td] -

[/td] [td] -

[/td] [td] -

[/td] [td] -

[/td] [td] 2,8

[/td] [td] 3,4

[/td] [td] 2,5

[/td][/tr] [/table]Source : Ikram, Khalid, The Egyptian economy, 1952-2000: performance, policies, and issues. London, 2006.

La place de l’armée dans l’économie

Dès la période Nasser, l’armée a eu accès au monde des affaires. On retrouve des militaires impliqués dans le secteur immobilier dont ils tirent des profits substantiels du fait de l’expansion démographique importante. Les militaires gèrent également un important patrimoine foncier comportant bon nombre d’entreprises agricoles et ils participent en outre au programme de bonification des terres prises sur le désert ainsi que dans le développement d’infrastructures pour le tourisme.

On les retrouve également dans diverses activités industrielles (construction, armement notamment) pour lesquelles ils bénéficient de subventions pour l’achat de matières premières, et échappent à quelques lois trop contraignantes. L’industrie de l’armement est directement gérée par l’armée. On les trouve impliqués dans divers chantiers importants, comme la construction de routes, du métro du Caire et l’aménagement de l’aéroport.

L’armée contrôlerait entre 33 % et 45 % de l’économie égyptienne. (Voir plus loin).

L'OPPRESSION RAMPANTE DES FEMMES

Un peu d’histoire

Pour supporter l’effort de guerre pendant la Première Guerre mondiale, le gouvernement britannique a très largement puisé dans les ressources de sa colonie égyptienne. Cette situation a conduit à une sévère dégradation des conditions de vie des Égyptiens, entraînant une hausse du chômage, des réquisitions de récoltes, des incorporations de forces de paysans, etc. Cette situation a engendré une réaction se concrétisant notamment par la formation d’un mouvement d’indépendance nationale interclassiste. L’arrestation de trois de leurs leaders et leur envoi en exil, en 1919, déclenchent un vaste mouvement de grèves et de manifestations, avec affrontements avec les forces de l’ordre britanniques.

Les femmes se sont jointes au mouvement notamment lors de manifestions spontanées issues des écoles secondaires ainsi que lors d’une manifestation appelée par Hoda Shaarawi (1879-1947), une des fondatrices du mouvement féministe en Égypte, dès 1919.

Lors de ces manifestations, les femmes décident d’enlever le voile (le voile faisant partie de la tenue importée par les ottomans) comme signe de la revendication de leur indépendance, au même titre que les hommes. Suite à ce mouvement, se développe dans les années 1920 un processus d’émancipation des femmes dans différents domaines (enseignement, presse, littérature) toujours dans le contexte de lutte pour l’indépendance nationale contre la colonisation britannique.

Le processus s’accélère à partir de 1952 (période nassérienne) avec l’instauration d’une nouvelle constitution dans laquelle est stipulée l’égalité homme-femme. La scolarisation des filles, l’accès à l’enseignement supérieur ainsi que le travail des femmes sont encouragés par les autorités égyptiennes.

De cette époque jusqu'à la venue au pouvoir de Sadate, le décalage entre les lois et leur application dans tout ce qui touche de près ou de loin à la situation des femmes est à l’opposé de ce qu’il deviendra à partir de l’ère Sadate À cette époque, la pratique sociale était très en avance sur la loi (moins favorable aux femmes). La polygamie est désapprouvée, le refus d’accorder le divorce est perçu comme indigne[s].[/s]

Tout cela change avec l’arrivée au pouvoir de Sadate. Le processus de régression de la condition féminine date de cette période. Sadate réintroduit le « religieux » dans l’espace public d’où il avait été chassé pendant la période précédente. Sadate a alors en vue de construire « l’État de la Science et de la Foi », accordant la grâce politique à des militants islamiques, et faisant revenir en Égypte les Frères musulmans, exilés sous le régime de Nasser. Les gouvernements post-Sadate vont continuer sur la même voie.

Paradoxalement, c’est donc lors de la période Sadate et post-Sadate que (sous l’impulsion des États-Unis, de manière à garder leur soutien financier) que les lois concernant les femmes ont connus une évolution positive tandis que leur position sociale a régressé.

La situation des femmes de par le monde, quelle que soit leur classe sociale, est celle de l’oppression comme constante mais à des degrés divers. En Égypte, il ne s’agit pas de décrire l’oppression de la femme comme étant la pire au monde, mais de comprendre en quoi elle présente des caractères spécifiques.

L'infibulation reste le symbole de cette oppression qui n’a à peine été touché par la modernité capitaliste. D'après un rapport de l'Organisation mondiale de la santé, 91 % des Égyptiennes ont subi ce type de mutilation. Cette pratique antérieure à l’avènement du christianisme et de l'islam, en Égypte, touche aussi bien les femmes de confession musulmane que chrétienne. En juin 2008, l’État a voté une loi condamnant cette pratique. Et il y a eu un certain nombre de campagnes publiques contre cette pratique depuis la conférence internationale du Caire, en 1994, sur la Population et le Développement. Mais sa prévalence ne semble avoir qu’à peine décliné ces dernières années et seulement parmi les couches les plus urbanisées et les plus éduquées de la population21 .

Le poids constant de la religion

La religion est au centre de la législation égyptienne. Quatre-vingt pour cent de la législation est basé sur la charia.

L’article 2 de la constitution stipule que :

« La coordination entre les devoirs d'une femme envers sa famille et son travail dans la société, compte tenu de son égalité avec l'homme dans les domaines politique, social, culturel et économique [doit se faire] sans porter préjudice aux règles de la jurisprudence islamique (la charia) et aux dispositions de l'article 2 de la constitution qui stipule que “la principale source de la législation est la jurisprudence islamique (la charia)”. »

L'article 9 ajoute :

« La famille qui a ses racines dans la religion, la moralité et le patriotisme, est le fondement de la société. L’État veille à préserver le caractère authentique de la famille égyptienne, les valeurs et les traditions qu'elle représente, tout en affirmant et développant ce caractère dans les relations au sein de la société égyptienne ».

L’influence de la religion est si forte que même les ONG féministes doivent se baser sur des interprétations des textes islamiques classiques pour justifier leurs revendications d’améliorer le statut des femmes.22

Toutefois, le sentiment de la supériorité de l'homme sur la femme est assez diffus dans les mentalités et ne trouve pas forcément toujours sa source dans la religion mais plutôt sa légitimation. La femme est un objet aux mains de l'homme.

La femme : esclave des hommes

Les femmes ne peuvent voyager sans le consentement de leur époux même si elles sont en droit de disposer d'un passeport.

L'héritage est fondé sur une inégalité entre hommes et femmes favorisant une fois de plus le mâle dans sa toute-puissance. Ces dernières ne peuvent prétendre qu'à un huitième du legs s’il existe un descendant mâle et un quart, s’il n’y en a pas.

Juridiquement, le droit du divorce est réformé. Les femmes peuvent légalement obtenir le divorce lors d’une procédure judiciaire (longue et compliquée) exigeant la présence d’un avocat, elles peuvent également transmettre la nationalité égyptienne à un enfant de père non égyptien, et enfin, il y a obligation en cas de polygamie d’informer la première épouse et d’obtenir son consentement. Mais, contrairement à la période Nasser où les comportements sociaux étaient en avance sur les lois, actuellement, c’est exactement le contraire

Les mariages se contractent généralement tôt. La polygamie est tolérée tandis que les dispositions pour divorcer demeurent, malgré une modification de loi en janvier 2000, à l'avantage des maris. Si auparavant, il suffisait à un homme de répudier son épouse en prononçant à trois reprises « je divorce », cette dernière de son côté devait prouver qu’elle subissait de mauvais traitements. Quitter le domicile familial signifiait pour l’épouse vivre sans ressources et être vouée à la misère. Aucun refuge et aucune assistance financière ne peuvent être fournis tant que le divorce n’est pas prononcé.

Depuis la nouvelle loi, une femme peut invoquer le divorce à condition de renoncer à son patrimoine, à une pension alimentaire sans oublier qu’elle devra restituer la dot engagée. Ce qui expose généralement l’ex-épouse à des problèmes financiers. Quant aux Égyptiennes de confession chrétienne, elles doivent se tourner vers l’Église copte pour valider l'annulation d'un mariage.

Les crimes d’honneur

Un époux qui supprime la vie de son épouse, prise en état d’adultère, s'en sortira avec une peine entre trois et sept années d’emprisonnement. Ce qui s'appelle en l’occurrence un « crime d'honneur » qui n’a pas lieu d'être si l’épouse avait gardé une conduite vertueuse.

L'homme adultère est considéré de la sorte s'il se fait prendre à la maison. Il écopera de six mois de prison contre deux ans pour son épouse. Une simple lettre d'amour suffit pour accuser une femme de tromperie. Le viol au sein du couple n'est guère considéré comme un délit. Au contraire, l'épouse se doit d'être disponible selon les désirs de son homme.

Les exemples d'assassinats ne manquent pas : un frère qui doute de la conduite de sa sœur, un fermier qui décapite sa fille après lui avoir découvert un petit ami, une mère qui se retrouve avec une fille enceinte d'un inconnu et qui la châtie en l'électrocutant… Les exemples ne manquent pas. Les filles victimes d’un viol connaissent généralement le même sort, sans parler des cas d’inceste, sujet tabou, qui voit un père incestueux contraint d'éliminer physiquement si elle est enceinte de lui pour laver l'honneur de la famille. Certains de ces assassinats servent également de prétexte pour éliminer une héritière gênante pour la course à l’héritage.

En Égypte, on préfère voir dans ces disparitions de simples suicides. Selon le Center for Egyptian Women’s Legal Aid, 75 % des bourreaux sont des hommes contre 25 % de femmes. Pour la seule ville d'Alexandrie, 47 % des femmes décédées ont été assassinées par un membre de la famille parce qu'elles avaient été victimes d'un viol.23

Les violences faites aux femmes ont augmenté, depuis le second semestre 2010, et 49,8 % des femmes se plaignent notamment de harcèlement sexuel24 . La violence domestique et les crimes d'honneur ont connu une augmentation respective de 13,2 % et 7,9 % durant la même période. Selon l'Unesco, la moitié des personnes de sexe féminin âgées entre 15-49 ans pensent qu'un mari est en droit de frapper son épouse.

« La violence contre les femmes en Égypte reste à la fois culturellement et légalement admissible et est généralement acceptée par le grand public comme une forme normale et légitime de la “discipline”25 ».

83 % des égyptiennes ont été confrontées au harcèlement sexuel. Selon une étude de l’Egyptian Center for Women’s Rights, les victimes du harcèlement sont majoritairement des femmes voilées, alors que la majorité des Égyptiens, des deux sexes, croit que s’habiller discrètement préserve du harcèlement.26

Un statut inférieur

Le statut de la femme en Égypte, qui s'apparente à un statut de mineure, désignée donc comme irresponsable, la rend totalement dépendante de son mari, de ses frères, de cousins, des mâles de la famille élargie mais également des femmes plus âgées (en particulier de la mère) qui sont généralement le premier vecteur de transmission des valeurs traditionnelles et des mises en garde contre les mâles extérieurs à la cellule familiale et même contre les autres femmes... à la fois vulnérable à la violence masculine sous tous les traits imaginables, esclave et dépendante socialement et économiquement de l'homme. Celle qui mène de front une carrière professionnelle s'entiche d'une mauvaise réputation et est la seule responsable de la violence subie dans la rue.

La femme est une machine à reproduire, de préférence des hommes, nourricière et ménagère dont le foyer familial se révèle être la frontière. Cet état des choses transcende toutes les classes sociales. Cette situation s'aggrave selon l'appartenance géographique. Les mœurs dans les campagnes sont plus conservatrices et archaïques qu'en ville tandis que le sud du pays, la Haute-Égypte, est réputé comme encore plus réactionnaire en matière de mœurs que le nord, car le code de l’honneur, le Tar, s’y applique de façon très prégnante contre les femmes.

Car le mâle reste, dans cette société patriarcale, une garantie de survie pour la famille. La naissance d'une fille est considérée comme un poids financier. Dès sa naissance, le garçon est choyé et dispose d'un statut de privilégié par rapport à ses sœurs pour lesquelles il faut avant tout veiller à ce qu'elle préserve leur virginité avant un mariage qui se fera généralement tôt parce que « la perte de virginité [avant mariage] constitue un déshonneur que seul le sang peut laver27 ».

Un accès réduit à l’éducation et à l’emploi

Au niveau de l'éducation, l'écart à combler entre les garçons et les filles s'est réduit ces dernières années suite à une intervention volontariste de l'État. Selon un rapport de 2008, le pays enregistrait 34 % d'analphabètes28 . D'après l’agence égyptienne de statistiques, 37 % des femmes ne savent ni lire ni écrire contre 22 % d'hommes. Ce chiffre atteint 47 % dans les zones rurales contre 27 % pour les hommes.

Les familles hésitent à investir dans l'éducation des filles doutant des retombées positives de cet investissement ou refusent tout simplement de les inscrire dans un établissement mixte.

La proportion de jeunes femmes avec un diplôme universitaire en poche, en 2006, était de 12 %. Le chômage chez les femmes s’élevait, en 2009, selon les chiffres de la Banque mondiale à 22,9 % contre 5,2 pour les hommes29 . En 2010, d'après un rapport réalisé par une agence d'État, le chômage chez les femmes de 15 à 29 ans s'élevait à 32 % pour seulement 12 % pour les garçons du même âge. Quant aux professions, certaines ne peuvent être réservées qu'aux hommes.

Selon Demographic and Health Surveys, le pourcentage de femmes disposant d'un emploi n’était que de 16 % en 2008.

UN PEU DE GEOPOLITIQUE

LE PARI AMÉRICAIN

« Je considère réellement le Président et Madame Moubarak comme des amis de ma famille. » (Secrétaire d’État Hillary Clinton, mars 2010.)

Ce qui est remarquable au sujet de la réponse américaine aux événements en Égypte est qu'il n'y en a pas eu. Le gouvernement américain a essentiellement été un spectateur, avec ses représentants faisant différents commentaires vagues, d'abord en faveur de Moubarak – « Je ne penserais pas à lui comme à un dictateur », a déclaré le vice-président, Joe Biden – puis en appelant à une « transition ordonnée », et finalement en acceptant un changement de régime comme inévitable. Il est impossible de parler des États-Unis comme ayant une stratégie, autre que simplement « attendons et voyons ». Le 6 février, Clinton a déclaré qu'elle ne « préjugerait » pas une offre faite par les Frères musulmans d'entrer dans le processus politique de l'Égypte. Le 8 février, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a déclaré que les militaires égyptiens s'étaient comportés d’« une manière exemplaire » en se tenant en grande partie de côté pendant les manifestations. Le 7 février, le porte-parole de la Maison-Blanche, Robert Gibbs, a déclaré que « les États-Unis ne choisissent pas les dirigeants des autres pays ! »

Si les dirigeants des États-Unis sont préoccupés par les soulèvements populaires au Moyen-Orient, ce n'est pas parce qu'ils craignent la révolution prolétarienne mondiale ou même une utopie libérale et démocratique dans les pays producteurs de pétrole. C'est parce qu'ils craignent que toute la base de leur politique moyen-orientale puisse être bouleversée par l'arrivée de régimes populistes qui tiennent réellement compte de l'opinion publique arabe. Toute action entreprise par les Etats-Unis, jugée trop agressive, peut rendre ces régimes encore plus susceptibles d'adopter des politiques hostiles au statu quo.

Le fondement de la politique américaine dans la région peut se résumer ainsi : Israël est l’allié numéro un, soutenu par une élite égyptienne et une élite saoudienne fortement corrompues qui savent qu'elles ne peuvent pas survivre sans le soutien américain. En outre, l'influence iranienne doit être contenue à tout prix.

Le premier signe que l'équilibre a pu devenir changeant s’est manifesté, à la mi-février, lorsque le nouveau Conseil militaire a accordé la permission à deux navires de la marine iranienne de transiter par le canal de Suez jusqu’en Méditerranée, sur le chemin de la Syrie. Aucun navire iranien n’avait fait cela depuis la « révolution » de 1979. Une fois de plus, la réponse américaine a été mitigée – un porte-parole du Département d'État a simplement dit : « Nous avons, vous le savez, des préoccupations constantes ».

Les Accords de Camp David, en 1978, ont servi de base pour les relations entre Égyptiens, Israéliens et Américains. En vertu de ces accords, payés par les États-Unis, l'Égypte a accepté de ne pas envahir Israël, de servir de tampon de sécurité entre Israël et le monde arabe et de fournir à Israël la moitié de son gaz naturel. Cela coûte annuellement aux États-Unis 1,5 milliard de dollars d’aide, principalement militaire, à l'Égypte. Israël reçoit 3 milliards de dollars en aide américaine chaque année. Le président Moubarak a été, assez naturellement, un partisan enthousiaste des Accords de Camp David durant trois décennies.

L'évolution des relations avec Israël est devenue claire au début de mai lorsque les dirigeants des factions palestiniennes rivales du Hamas et du Fatah ont signé un pacte de réconciliation dans la capitale égyptienne. Le rôle secret de l'Égypte dans la négociation pour un accord a pris à la fois Israël et les États-Unis par surprise. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a appelé l'affaire « une grande victoire pour le terrorisme ».

Il existe également des signes que le Caire espère renouer des liens avec l'Iran et renégocier le contrat de longue date pour la fourniture de gaz naturel à Israël. Ensuite, il y a le plan des autorités égyptiennes d'ouvrir le passage de Rafah vers Gaza, ce qui aurait pour effet de mettre fin au blocus de quatre ans. Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères égyptien, Nabil Elaraby, a appelé les États-Unis à reconnaître un État palestinien - une référence à la manœuvre prévue en septembre par Mahmoud Abbas, le président palestinien, pour demander la reconnaissance d'un État palestinien aux Nations Unies. Israël et les États-Unis ont déjà insisté sur le fait que les Palestiniens ne peuvent obtenir un État que par des négociations avec Israël.

Ces changements dans la politique d'un pays du Moyen-Orient ne représentent pas un bouleversement extraordinaire par rapport aux certitudes géopolitiques en elles-mêmes, mais combinés avec le bourbier continu de l'implication américaine en Irak et en Afghanistan, ils ne peuvent qu'accélérer son déclin en tant que faiseur de rois du Moyen-Orient.

POURQUOI LA TURQUIE ET PAS L’ÉGYPTE ?

Quel pourrait être le destin de l’Égypte selon la politique des Frères musulmans ? Leur offre politique large pourrait indiquer une volonté de normaliser leur position en évoluant d’un parti islamiste traditionnel, il pourrait se transformer en un parti plus moderne à l’image du parti turc AKP (Adalet ve Kalk?nma Partisi – le parti de la justice et du développement dirigé par Erdo?an). Depuis 2003, ce parti est au pouvoir en Turquie avec Erdo?an comme premier ministre et avec Abdullah Gül, président élu depuis 2007. Mais est-ce réellement possible ? Nous devons examiner les raisons du succès d’Erdo?an mais, au-delà de sa personne et de son parti, les raisons doivent être étudiées sous un angle à la fois économique et historique.

La révolution bourgeoise et l’établissement d’un État de plein droit commencèrent en 1922 après la guerre contre les pays étrangers et les minorités intérieures. À l’issue de cette guerre, les kémalistes arrivèrent à la tête de l’État et firent entrer le pays dans l’époque moderne. Sous la houlette des kémalistes, la Turquie fut modernisée avec une poigne de fer, ce qui permit la libération des femmes, l’adoption à la fois des lois occidentales et du système éducatif, concomitamment avec un fort développement industriel dans les secteurs contrôlés par l’État. Les campagnes ne restèrent pas en reste et furent elles aussi modernisées par une vaste réforme agraire.

La révolution bourgeoise égyptienne de 1921 fut un échec. Le pays resta sous la domination britannique jusqu’en 1952. Durant 30 ans, l’industrie se développa lentement et l’État ne fut pas modernisé. Le socialisme arabe de Nasser soutenu par des investissements soviétiques instaura aussi un développement industriel à la soviétique (le barrage d’Assouan, l’industrie lourde.) Ce fut un échec et les réformes des campagnes ne frappèrent que les Coptes et les propriétaires étrangers mais ne changèrent en rien la vie des paysans pauvres.

En Turquie, l’armée était un pilier du régime kémaliste et intervint trois fois dans la vie politique (1960, 1971 et 1980) en prenant le pouvoir au détriment des partis civils. En 1997 encore, lorsqu’elle aida à la destitution du gouvernement pro-islamiste de Necmettin Erbakan. Les dix dernières années, elle sut s’entendre avec l’AKP, entente basée sur un isolement mutuel et la non-intervention dans leur domaine respectif tout en restant le pilier de la laïcité. Ainsi, nous pouvons affirmer que la Turquie a maintenant atteint un point de stabilité. Le succès contre la rébellion du PKK et les interventions victorieuses dans les conflits régionaux ont prouvé les compétences de l’armée. Néanmoins, elle a aussi subi une énorme défaite politique, le 29 juillet 2011, quand le gouvernement fut capable d’imposer le limogeage de tout l’État-major sans que l’armée ne réagisse. Ceci faisant suite à l’arrestation de 125 officiers supérieurs, en avril 2011, pour tentative de coup d’État remontant à 2003.

En Égypte, l’armée n’est pas prête à se retirer des affaires comme l’ont montré les derniers évènements. Profondément implantée dans l’économie, elle est aussi la garantie du régime depuis la fondation de l’Égypte moderne.

Après 1980 et en dépit d’une guerre difficile contre la guérilla kurde (commencée en 1984), de la guerre civile contre les organisations d’extrême-gauche, l’économie turque a été en mesure de se développer dans le secteur privé industriel, d'abord comme sous-traitants des sociétés étrangères et sous le manteau protecteur de l'État, ensuite en tant qu'acteur à part entière sur le marché. Ensuite, l'État a commencé à abandonner le contrôle sur l'économie.

Jusqu’ici, la Turquie d'aujourd'hui est plus une puissance économique régionale (en concurrence avec la Grèce ou la Russie et d'autres pays européens), mais elle est devenue la 17e puissance économique mondiale avec des taux de croissance, semblables à ceux du Brésil (7,3 %, en 2010). La part du marché noir est restée non négligeable : les chiffres varient de 15 à 30 % du PIB et environ 1/3 de la force de travail y participe.

Lorsque l'État a commencé à moins s'impliquer dans diverses industries (mines, services publics, banques, sidérurgie, transport et communications), l’économie a continué à prospérer et une nouvelle classe d’entrepreneurs capables est née et a pris le relais dans l’industrie. Le secteur textile et de l'habillement traditionnels, en Turquie, représentent encore un tiers de l'emploi industriel, malgré la forte concurrence des marchés internationaux depuis la fin du système global des quotas. D'autres secteurs, notamment l'automobile, la construction et l'électronique progressent et leur part dans les exportations de la Turquie a dépassé le textile.

C'est cette classe de nouveaux entrepreneurs en réaction au « bureaucratisme d'État » (considéré par eux comme inefficace), née en premier lieu en Anatolie centrale (une zone d'influence religieuse encore puissante dans la vie quotidienne) qui a décidé de créer ses propres syndicats de patrons islamiques qui, naturellement, a plaidé en faveur de l'intégration dans l'Europe (sous le drapeau de la liberté d'entreprise contre un état arriéré). Ainsi Erdo?an, et sa politique lente de compromis (i.e. pas de césure violente du pouvoir qui pourrait être douloureuse pour les entreprises) et l'infiltration dans l'état laïque, a réussi à convaincre que l'AKP n’était ni hostile à leur égard, ni au développement capitaliste. Pour les patrons, l'affaire est simple : tirons le bénéfice de la fin des guerres internes qui avaient jusque-là détourné les investissements. Peu importe l'idéologie du gouvernement aussi longtemps qu'il nous laisse libre de faire des profits, nous n’y serons pas hostiles. Et nous ne nous impliquerons pas dans la lutte souterraine entre l’armée soutenant la laïcité kémaliste et l'AKP.

Au contraire, en Égypte, même après la dénationalisation lancée par Sadate, l'État reste un acteur majeur sur le plan économique (mise à part les usines appartenant à l'Armée). Même si une nouvelle génération de gestionnaires commence à prendre les rênes d'entreprises publiques et à lancer des changements dans le secteur privé, il n'y a pas l’équivalent de ce bourgeonnement d’entrepreneurs qui existe en Turquie.

Au niveau politique, l'AKP est un parti plus interclassiste que les Frères musulmans. Même si l’AKP est moins actif dans la classe ouvrière, il est dominant dans d'autres classes, même parmi les paysans (qui représentent encore 25 % de la population totale) et dispose d'un accord tacite avec les entrepreneurs. Au contraire, il est totalement absent dans l'armée et dans l'éducation mais il a réussi à infiltrer la police.

Au contraire, les Frères musulmans sont absents des campagnes (qui représentent encore 41 % de la population totale), faibles dans la classe ouvrière (ou à un niveau individuel) et dans la bourgeoisie traditionnelle. Les pauvres qui vivent dans les bidonvilles des grandes villes, employés de l'État, les enseignants, les médecins (à savoir les professions libérales déjà salariés ou employés de l'État) et les couches inférieures de la bourgeoisie constituent leur bastion principal. Dans l’armée, on trouve leur influence également chez les sous-officiers et les soldats.

Même si les courants les plus modernes des Frères musulmans ont souhaité se transformer en un parti politique moderne tel que l’AKP et s’ils gagnent à cette idée la majorité de leurs membres organisés (ce qui n'est vraiment pas acquis), ils hériteront d’une société bien plus arriérée que la société turque (où la question de l'agriculture n'est pas encore résolue sans parler des problèmes de nourriture et d'eau), et surtout ils hériteront d'une structure économique chaotique n’ayant pas atteint le niveau des enjeux de développement capitaliste et sans les entrepreneurs modernes qui existent en Turquie.

Mais même si un jour ou l'autre, les Frères musulmans sont capables d'évoluer vers un « AKP moderne », ce ne serait pas un progrès pour les femmes et la classe ouvrière. L’AKP, très lentement il est vrai, est en train de défaire ce que le kémalisme (d’une manière bourgeoise autoritaire) avait fait pour les femmes, sans parler de la pression qu’il exerce contre la liberté d’expression.

LES PILIERS DU COMPROMIS SOCIAL

PUISSANCE DE L’ARMÉE

Présentation

L’armée égyptienne est importante à plus d’un titre. Non seulement elle est classée comme la dixième armée du monde, mais elle a également fourni au pays tous ses dirigeants depuis la chute de la monarchie : Neguib (juillet 1952-novembre 1954), Nasser (novembre 1954-septembre 1970), Sadate (septembre 1970-octobre 1981) et enfin Moubarak (octobre 1981-février 2011). Certes, l’armée a subi des défaites à l’étranger (1948, 1956, 1967, 1973) mais elle a montré sa force militaire lors des répressions intérieures (1977, 1986), sa force économique dans les entreprises privées et publiques, tant dans le secteur civil que militaire. Et surtout, elle est aussi la seule puissance politique, capable de contenir l’influence des Frères musulmans et cela aussi a une conséquence économique forte.

Organisation de l’armée égyptienne

L'armée égyptienne est organisée autour de quatre composantes principales, l'armée de terre, armée de l'Air, et le Commandement de la marine et de l’aviation. L'armée égyptienne comprend dans son ensemble 668 000 soldats réguliers et 500 000 conscrits.

La cinquième composante étant les forces gouvernementales paramilitaires 397 000 ; le personnel de la sécurité centrale 337 000 et parmi eux, 60 000 Gardes des frontières sous le contrôle du ministère de l'Intérieur.

Le ministère de la Défense contrôle la Garde nationale qui défend l'institution présidentielle et la capitale.

Budget

Les États-Unis d'Amérique fournissent une aide militaire annuelle à l'Égypte qui s'élève à 1,3 milliard de dollars, en 2009 (corrigé de l'inflation, 1,33 milliard en 2011). Ici, le pilier de l'État est sans aucun doute l'armée, avec un million d'hommes. Approvisionnée par ses propres industries, occupant presque tous les niveaux supérieurs de l'administration d'État, elle est la gardienne et la première bénéficiaire de la rente lucrative du Canal de Suez (3,5 milliards de dollars américains en droits perçus par an sur un PIB de moins de 220 milliards de dollars) et de l'aide financière internationale (environ 2 milliards de dollars par an). Joshua Stacher, un spécialiste américain du pays, estime que les militaires contrôlent entre 33 % et 45 % de l'économie égyptienne. L'armée qui a fait Hosni Moubarak, et qui est maintenant derrière Omar Suleiman est le protagoniste politique incontesté, avec les Frères musulmans (de cinq à six millions de membres payants), des événements présents au Caire.

Structure

Il est très difficile de considérer l’armée égyptienne comme un corps unifié. Bien sûr comme dans n’importe armée du monde, il y a des rivalités entre l’armée de l’air30 , la marine et l’armée de terre. Mais l’armée égyptienne est profondément divisée de haut en bas entre les officiers de haut rang généralement formés aux États-Unis [5 rangs s’échelonnant de général de brigade à général 5 étoiles], les officiers de niveau intermédiaire [5 rangs s’échelonnant de second lieutenant à colonel], les officiers de rang inférieur [2 rangs] et les troupes. Parmi les deux dernières catégories, nous savons que l'influence de « l'islam politique » est importante. Sans parler du fait que les tueurs de Sadate étaient des officiers proches du Djihad Islamique.

À l’opposé, des officiers de haut rang ont été formés par l'armée américaine, et non plus formés par l'armée soviétique, comme leurs prédécesseurs, après le tournant politique post-Sadate de 1974. Mais les chiffres manquent pour décrire les trois strates de l’armée égyptienne.

Quelques faits historiques

En janvier 1977, lors des « révoltes de la faim », lancées pour protester contre la hausse des prix des produits de première nécessité, l'armée a soutenu le régime en organisant une répression dure qui a tué au moins 800 personnes. Ces émeutes ont cessé quand les hausses ont été annulées.

En 1986, l'armée réprime les mutineries des forces de sécurité centrale (organisme équivalent aux « CRS » français, créés en 1966, réorganisés en 1977) qui mène à l'expulsion de 20 000 de ces membres, parmi 300 000, indiquant ainsi l'influence des Frères musulmans au sein de cet organisme.

Pendant la « guerre » contre les Frères musulmans, l’armée a été obligée d'être en tête de la répression et a brutalement chassé les Frères musulmans « soldats » dans la campagne en brûlant les cultures des villages de la vallée du Nil où ils s’étaient cachés. Depuis, l’armée est restée « calme » dans les années 1990 et 2000.

Évolution

Malgré les accords de paix et traités signés avec Israël depuis 1979, l'Égypte est restée engagée dans le maintien de sa puissance militaire en regard de celle d’Israël. Ainsi l'État égyptien a décidé que c’était à l'armée d'autofinancer ses dépenses. Pour faire face à cela, l'armée a commencé à investir dans l'industrie, l'énergie et dans le développement immobilier.

Néanmoins, en raison des Accords de Camp David, l'armée égyptienne a reçu des États-Unis 40 milliards de dollars, mais plusieurs voix au sein du Pentagone et d'autres organismes militaires américains expliquent aujourd'hui que cet argent a été détourné des pures dépenses militaires au bénéfice direct ou indirect des officiers supérieurs.

Pour les officiers, des villes nouvelles ont été créées (comme la ville de Nasser dans les environs du Caire) où ils peuvent profiter de bonnes conditions de vie et accéder à des magasins et à des boutiques dédiées. Cela conduit à une séparation entre la société « civile » et la société « militaire ».

L’armée, une puissance économique

L’armée égyptienne est non seulement une puissance dans le sens militaire, mais aussi dans le sens économique. Pendant de nombreuses années (depuis 1978), elle est parvenue à travers trois organismes à devenir propriétaire (ou propriétaire majoritaire en cas de joint-ventures) de 28 usines égyptiennes importantes31 avec un effectif d'environ 80 000 travailleurs dont 3 000 ingénieurs. Une majorité de ces usines, dans un style très soviétique, produit au même endroit à la fois pour des besoins militaires et civils, une production couvrant un large éventail de produits dont, pour le côté militaire, le char Abrams M1A1 est le joyau.

D’un point de vue géographique, ces usines sont majoritairement (27/28) situées dans la région du Caire (10 usines dans la ville d’Hélouân, 7 usines à Héliopolis, une usine à Kalioubia et 9 usines au Caire même).

Les organismes à travers lesquels l'Armée dirige ces usines sont les suivants :

• Le ministère de la Production militaire pour 16 usines militaires, dont 14 produisant à la fois des biens civils et des produits militaires,

• L’Organisation arabe pour l'industrialisation (AOI) un fonds commun de placement créé en 1975 par l'Égypte, l'Arabie saoudite, le Qatar et les Emirats Arabes Unis et géré depuis 1993 par l'Égypte et entièrement détenu par l'État égyptien seulement (et géré par un comité présidé par le président égyptien) pour 9 usines militaires, dont 2 produisent à la fois des biens civils et des produits militaires,

• L’organisation des produits nationaux (NSPO), créée en 1975, une entité appartenant à l'État, pour 3 sociétés dont l'une est une des sociétés de services.

Le montant du budget de la défense n'est pas dévoilé par le gouvernement égyptien. Cependant, diverses publications estiment les dépenses de défense à environ 3 milliards de dollars par an, dont le gouvernement américain fournit environ 1,3 milliard de dollars sous forme de subventions militaires.

L’ASSOCIATION DES FRERES MUSULMANS

Une longue histoire

L’Association des Frères musulmans (jamiat al-Ikhwan al-musliminà) est fondée, en 1928, par un instituteur, Hassan al-Banna, alors que l’Égypte se trouve sous occupation britannique. La création de ce mouvement est une réaction face au vent de liberté qui souffle sur certaines villes égyptiennes à l’égard des mœurs et de la pensée.

L’AFM a pour projet de fonder un État islamique basé sur la charia. Pour parvenir à cette édification, il faut « réislamiser » toutes les couches de la société égyptienne par la prédication, da’wa, c'est-à-dire favoriser un retour à la pratique de l’Islam des ancêtres (salaf), l’Islam originel.

Les premiers membres de l’Association sont des citadins issus à la fois de la classe ouvrière et de la petite-bourgeoise. Le projet des Frères se veut avant tout un mouvement populaire qui transcende toutes les classes sociales prêchant parmi les populations de l'arrière-pays.

Les valeurs de l’Islam doivent pénétrer chaque foyer, chaque école, chaque usine, etc. La famille constitue un des fondements de l’idéologie des Frères musulmans. Outre la da’wa, les Frères mettent sur pied des œuvres caritatives qui pallient l’absence de l’État. La question sociale reste un autre socle de leur action constituant un bon stimulant pour sensibiliser les personnes à leur discours.

Si les Frères prétendent arriver au pouvoir par des voies pacifiques, ils se gardent bien de mettre en avant leurs conceptions à propos de l’usage de la violence. Dès la naissance de la confrérie, Al-Banna va penser à cette question dans l’éventualité d’un affrontement avec le pouvoir égyptien une fois bien entendu que toute la société sera assez mûre, à savoir assez pieuse, pour prendre le pouvoir. C’est pourquoi, dès le début des années 1930, parallèlement à l’Association, qui a pignon sur rue, va se créer un appareil militaire clandestin, l’« Organisation spéciale ». L’existence de cet appareil n’est connue que de la direction et des seuls initiés. Diffusant un message pacifique en public, Al-Banna et ses séides se préparent cependant à faire usage de la force si des obstacles devaient jalonner le chemin devant les conduire à l’édification d’un État islamique.

« Orants la nuit, chevaliers le jour ! L’islam est religion et État, Coran et glaive, culte et commandement, patrie et citoyenneté. Dieu est notre but, le Prophète notre modèle, le Coran notre loi, le Djihad notre voie, le martyr notre vœu32 ».

L’ « Organisation spéciale » fomente des attentats contre le pouvoir en place et participe à la guerre de 1948 contre Israël, le nouvel ennemi héréditaire. Les Frères sont les pères spirituels du djihadisme armé. Sayyd Qutb, exécuté sous Nasser, théorisera dans ses écrits la lutte armée sous la bannière de l'Islam. Séduit par les écrits de l’eugéniste Alexis Carel, Sayyid Qutb ne cachait pas son admiration pour le fascisme. Aujourd'hui encore, Qutb reste la figure de référence auprès des djihadistes contemporains.

Les Frères voient dans l’expression du pouvoir ce que nous serions tentés d’appeler le « parti unique de l’Islam », une assemblée constituée de sages avec à sa tête un guide, un chef :

« […] l’islam refuse l’appartenance à un parti car cela nuit à l’unité de la communauté et à sa consistance ; puis le pluripartisme n’est pas une condition au système fondateur dont la base s’accorde avec les principes de gouvernement en islam ; ensuite, l’existence de partis n’est pas la condition de la pratique du travail politique ; enfin, le pluripartisme n’est pas une garantie d’opinion et d’expression33 ».

Hostile au capital étranger et contre toute révolution sociale, l’Oumma, la masse, constitue à leurs yeux un modèle de paix sociale :

« Sur le plan de la politique intérieure, ils appelaient à l’union des classes sociales, à l’entente et à l’harmonie entre ouvriers et direction, entre propriétaires fonciers et fellahs. C’étaient là les traits caractéristiques de la “réforme conservatrice” au sein de la classe moyenne dans le monde arabe »34 .

Al-Banna vouait une admiration pour le fascisme et le national-socialisme en Europe partageant avec eux une certaine conception de l’État.

« Le communisme, le socialisme et le capitalisme sont des inventions occidentales visant à imposer une défaillance religieuse. Ce même Occident n'a pas tranché pour le meilleur à choisir pour construire une société ou faire renaître une civilisation […]. Parti a été cité dans le Coran quatorze fois, associé à l'idée de malfaisance et de méchanceté.35 »

Tandis que le guide suprême d'alors, al-Tilmisânî, ajoute :

« Je rejette le régime du parti unique du plus profond de moi-même et sur la base de mes convictions religieuses. De même, je n'accepte pas le principe du multipartisme et plus spécialement le principe sur lequel il est actuellement fondé : celui de l’opinion et de son opposé. L'islam ne connaît pas la concurrence pour arriver au pouvoir.36 »

Durement réprimés sous Nasser, les Frères ont été contraints de s'adapter à la nouvelle situation, non seulement pratiquement (création illégale d’une structure souterraine), mais aussi idéologiquement (le nationalisme arabe prôné par Nasser a également besoin d'une réponse nationaliste des Frères, ce qui les amène à passer de la conception classique de la Oumma des Sunnites Saoudiens à celle de la nation de l’Islam enraciné).

En 1967, lorsque Nasser a besoin de soutien après la défaite dans la guerre des Six jours, il relâche la pression sur les Frères, mais ceux-ci seront seulement réintégrés sur la scène égyptienne par Sadate, anti-communiste avoué, après 1972. Ce dernier utilisera les Frères pour lutter contre les communistes athées en Égypte.

« Comment peut-on prétendre que la gauche marxiste est en accord avec l'islam alors que le salut dans l’islam ne se réalise que par la disparition du marxisme ? 37 »

Durant la période Sadate, les Frères musulmans vont livrer une bataille sans merci contre les communistes athées et les gauchistes. Dans les territoires palestiniens, les Frères musulmans pourchassent et assassinent tout ce qui se déclare marxiste et athée. Plus tard, une frange de l'AFM palestinienne donnera naissance au Hamas. La défaite de 1973 contre Israël va être à l'origine de la fin de la lune de miel entre les Frères et le pouvoir. Sadate devient le premier dirigeant arabe à se rendre dans l'État hébreu pour négocier le retrait du Sinaï. En échange, il signe un traité qui formalise une reconnaissance mutuelle entre les deux pays.

Suite à l’assassinat de Sadate par d'anciens Frères devenus dissidents, la répression s’abat à nouveau sur les militants de l’AFM. Une grande partie des années Moubarak constitue pour les Frères un nouveau repli. Entre-temps, l'État égyptien tente de couper l'herbe sous le pied des islamistes de tout bord en édictant des lois conformes à la charia et en se lançant à la chasse à tout ce qui n’est pas conforme à l’Islam. Il faut toutefois souligner que, depuis sa création, l’Association des Frères musulmans est parvenue à réaliser un de ses projets avec l’aide sans doute involontaire de l’État égyptien : rendre les égyptiens pieux, religieux et conservateurs.

Le retour sur scène

En 2005, les Frères remportent quatre-vingt-huit sièges, soit un cinquième des sièges pourvus au parlement. Cinq ans plus tard, ils boycotteront le deuxième tour des élections accusant le pouvoir de fraude. La répression contre le mouvement n’a jamais cessé. C’est la raison pour laquelle, les Frères ont gardé un profil bas au début des manifestations avant d’entrer en scène, prudents et guettant la tournure qu'allait prendre les événements avant d'intervenir. Avant cette répression, différents courants s'affrontent au sein de l'AFM, dont la vieille garde et les jeunes recrues, sur la tactique à adopter. Les premiers étant pour un repli afin de se concentrer à nouveau sur la da'wa, les seconds plus ouverts se présentant comme des réformistes ouverts sur le monde et luttent contre l'emprise de la vieille garde sur le Bureau de l'Orientation. L'AKP turc leur sert de modèle. Aujourd’hui, nous pouvons désigner trois grands courants au sein des Frères : deux ailes dures à savoir les héritiers de Sayyd Qutb, les salafistes, et la jeune garde séduite par l'AKP turc.

L’AFM et les Coptes

Durant les années 1970 et 1980, les chrétiens d'Égypte sont considérés comme la cinquième colonne des Croisés et des communistes. Les Coptes qui représentent officiellement 10 % de la population sont perçus comme des comploteurs, des prosélytes et des conquérants mettant en place une politique favorisant les naissances en vue de devenir majoritaires en Égypte. Des églises sont brûlées, des paysans contraints de vendre leur terre, les commerçants sommés de payer l'impôt imposé aux non-musulmans. Comme les Juifs, les Chrétiens portent un statut inférieur par rapport aux Égyptiens de culte musulman. Les Frères accusent les Coptes d'être à l'origine des violences qui les frappent. Ils en appellent pourtant à la concorde pour le bien de la nation comme ce fut le cas lors de l'occupation britannique ou lors des manifestations de la place Tahrir. Les Frères, nostalgiques de l'âge d'or de l'Islam, veulent offrir aux chrétiens et juifs le statut de « dhimmis », « protégés », soumis à l'ordre islamique.

L’AFM et les syndicats

L'AFM profite d'abord du désinvestissement et du vide laissés par l'État en matière de protection sociale, offrant aux membres affiliés à ses syndicats une couverture maladie ou des prêts d'argent préférentiels. Les Frères ont toujours joué de cette arme grâce à leur réseau caritatif. En outre, ils profitent de la désorganisation des syndicats traditionnels plutôt faibles et peu attentifs aux revendications de leurs membres. Toutefois, leur infiltration dans les organisations ouvrières fût longtemps réduite parce que ces dernières étaient principalement contrôlées et financées par le Ministère du Travail (dès 1952) en vue de neutraliser leur influence politique et encadrées dès 1957 par l'Union Générale des Syndicats Ouvriers. Après la mort de Sadate, l'AFM se lance dans l'action syndicale avec un certain succès. Les Frères arrivent à rallier à leur message des pans des classes supérieures :

« La majorité des Frères syndicalistes appartiennent à la jeune génération qui a dirigé les mouvements étudiants des années 1970 ; les “nouveaux Frères” acceptent la règle pacifique du jeu politique et font en sorte de parvenir à leurs objectifs en suivant une méthode douce et progressive et en recherchant un appui populaire important. En même temps, les “nouveaux Frères” tirent les leçons des expériences de l'ancienne génération. Ils usent désormais de la puissance de l'organisation, d'actions précises et du travail collectif, ayant pris conscience de la force de la foi dans une société où la composante religieuse pèse lourd.38 »

Aujourd’hui, ils contrôlent principalement les syndicats des ingénieurs, des médecins et celui des avocats qui luttent pour les retraites, la fin de l'État d'urgence, le pluripartisme et les droits de l'homme. Ces syndicats dénoncent l’impérialisme économique de l'hémisphère nord, dominateur et exploiteur, qui pille le Sud et le laisse exsangue. Si les Frères ont longtemps délaissé la classe ouvrière, un soudain intérêt est apparu depuis deux décennies. Briseurs de grève dans les années 1940, les Frères ont toujours pensé que cette arme aux mains des prolétaires était contraire à l’Islam et l’affaire des communistes, même s’ils en soutinrent certaines. Ce sentiment est toujours présent et les Frères sont capables de mener des actions pour dissuader les prolétaires de manifester.

L’AFM a une approche moderne du syndicat considérant ce type d’organisation comme « une instance de réconciliation des intérêts du capital et des ouvriers »39 . En 2006, ils présentent 2 200 candidats pour les postes à pourvoir dans les syndicats ouvriers, mais nous ne savons pas quelle fut leur réussite. Néanmoins, en vingt ans, les Frères sont parvenus à obtenir, principalement par la prédication, une certaine visibilité au sein du monde ouvrier.

L’AFM et les femmes

Le rôle des femmes en Islam pour les Frères est simple : elles ont la noble tâche d'engendrer et d'éduquer les générations à venir d'hommes....

« Nous ne devons pas oublier que la femme a une tâche noble et importante qui lui a été confiée par Dieu Tout-Puissant, la procréation et la maternité. (…).

Ces caractéristiques, devoirs et droits qui ont été attribués aux femmes par Allah sont en équilibre avec les devoirs qu'elle a envers son mari et ses enfants. Ces devoirs doivent avoir la priorité sur d'autres responsabilités et ils sont nécessaires pour la stabilité de la famille qui est la cellule fondamentale de la société et la cause de sa cohésion, de sa force et de son efficacité. Toutefois, le mari a le droit d'autoriser sa femme à travailler. Ce droit doit être régi par un accord entre le mari et la femme. Ces droits ne doivent pas être réglementés par la loi et les autorités ne devraient pas interférer avec eux, sauf dans quelques rares cas.40 »

L'islam leur confère des droits et leur permet de travailler dans certaines branches. Si les femmes peuvent être éduquées et travailler, leur véritable place, selon les Frères, est leur foyer. « En outre, il n'y a rien pour l'empêcher de travailler dans ce qui est admissible, puisque la fonction publique est un type de travail que la charia a permis aux femmes d'entreprendre. Les femmes peuvent travailler dans les professions telles que médecins, enseignants, infirmières, ou dans des domaines dont elles ou la société peuvent avoir besoin.41 »

Leur conclusion sur le statut de la femme est explicite :

« Nous, les Frères musulmans, souhaitons attirer l'attention sur la nécessité de distinguer entre une personne ayant un droit et la manière, les conditions, et les circonstances appropriées pour l'utilisation de ce droit. Ainsi, si les sociétés d'aujourd'hui ont différentes circonstances sociales et traditions, il est acceptable que l'exercice de ces droits soit introduit progressivement pour que la société puisse s'adapter à ces circonstances. Plus important encore, un tel exercice ne devrait pas conduire à la violation des règles de déontologie fixées par la charia et rendues obligatoires par celle-ci.

Nous rejetons complètement la façon dont la société occidentale a presque complètement dépouillé les femmes de leur moralité et chasteté. Ces idéaux sont construits sur une philosophie qui est en contradiction avec la charia et ses mœurs et valeurs. Il est important, dans notre société islamique, que les principes islamiques de la morale et les valeurs soient maintenus avec la plus entière conviction, honneur et austérité, dans l'obéissance à Allah, exalté soit-Il.

Et toutes les louanges sont dus à Allah, dans le commencement et à la fin. Que les bénédictions d'Allah soient sur son messager et ses compagnons et sa famille. »42

L’AFM et l’économie, les ouvriers et les paysans

À côté des œuvres caritatives, les Frères disposent d’un réseau de société et d’entreprises. Bien qu'hostiles au capital étranger, les Frères sont libéraux sur le plan économique. Favorables à un État et une fonction publique dégraissés, ils ont toujours soutenu les différentes politiques de privatisation et d'ajustements structurels des successeurs de Nasser, considérant la propriété privée comme un droit béni par l’Islam.

Les Frères ont appuyé la réforme agraire promulguée en 1992 qui donna lieu à des révoltes paysannes. Celle-ci consistait à augmenter graduellement, sur une période de cinq années, le loyer lié à la location des terres cultivables de sept à vingt-deux fois le montant de la taxe foncière. Ensuite, chaque propriétaire fût autorisé à fixer librement le prix de la rente foncière. À cela s’ajoutera l’obligation de s’affranchir du payement du bail à ferme une fois signé le contrat de location représentant généralement entre 30 et 50 % du chiffre d'affaires. En somme, bien avant la récolte. Les paysans endettés et incapables de payer seront expulsés. Les Frères considéreront que l’on « revenait à la loi de Dieu »43 .

Si, dans le discours d'al-Ikhwan, la question sociale et le caritatif ont une place importante, les Frères sont plus proches des classes moyennes que des ouvriers et des paysans, notamment en terme de membres actifs. Les Frères disposent parmi eux d’hommes d’affaires. L’AFM investit dans la santé, la construction et l’immobilier, l’éducation, les transports, le tourisme… Les Frères musulmans non jamais été pour la fin de l’exploitation de l’Homme par l’Homme, ce sont des conservateurs favorables au maintien du capitalisme, de la division en classes, entre exploiteurs et exploités, offrant en échange le mirage d'une communauté fictive d’intérêts communs, la communauté de l'Islam. Comme nous l'écrivions en 2001 :

« Qu’y a-t-il de commun entre le jeune chômeur de Gaza ou d'Alger et les milliardaires du Golfe ou les classes dominantes des États de la région, hormis leur appartenance religieuse ? Rien, bien évidemment. L'islam ne sert ici qu'à créer une prétendue communauté d'intérêts entre oppresseurs et opprimés “musulmans” dont le prolétariat de ces régions ne cesse de payer le prix. »44

Le pauvre, le déshérité, l’exploité, le prolétaire représentent le fonds de commerce des Frères comme de toutes les religions monothéistes :

« Les nouveaux islamistes ne parlent jamais de justice sociale ou de redistribution (…). Leur revendication est qu’ils doivent être riches pour être de bons islamistes sans que jamais ils ne renversent l’argument pour dire : les bons islamistes sont ceux qui travaillent pour la justice sociale et la redistribution. »45

En d’autres termes, les Frères, comme tout bourgeois philanthrope, entendent répondre à la misère et à l’exploitation par la charité et la bonne conscience. Signification morale religieuse importante puisque l’aumône, zaakat, fait partie intégrante des cinq piliers de l’Islam constituant une obligation pour tout bon musulman s'il veut sa place au paradis. À travers Dieu, les Frères légitiment l’ordre capitaliste dans lequel l’Homme exploite l’Homme, présentant cet état des choses comme naturel.

La grève, du 6 avril 2008, contre le chômage et la vie chère, est marquée par l'absence des Frères qui se refusent à y participer. Outre le fait que les Frères soient généralement contre les manifestations ouvrières, il est difficile pour eux de les soutenir notamment lorsque l’un des leurs, Saad Husseini, est propriétaire d’une des usines en grève. Ils décideront toutefois de faire une petite apparition le 4 mai. Un an plus tard, l’AFM hésite à participer à la commémoration de la grève de 2008 mais finit par conseiller aux manifestants de défiler pacifiquement et donne son accord aux étudiants pour y prendre part. Certes en janvier 2008, les Frères dénoncèrent dans un communiqué, la vie chère et l’injustice sociale mais cette démarche fut entreprise dans un souci de prévenir d'éventuels troubles pouvant mettre à mal l’ordre social bourgeois.

Et maintenant ?

Que veulent les Frères aujourd'hui ?

Tapis dans l'ombre et représentant l'unique force d'opposition, les Frères constituent un atout pour le pouvoir en place afin d’assurer sa pérennisation. Loin d'être révolutionnaires et ne souhaitant nullement briguer la présidence, les Frères réclament une place sur la scène politique égyptienne en échange de leur influence pour calmer les ardeurs de ceux qui ont chassé Moubarak. Les Frères sont le seul groupe d'opposition regroupant 600 000 membres capables de descendre dans la rue si le pouvoir le demande afin de ramener les opposants au régime à la raison. Les Frères n'ont d'ailleurs pas tardé à négocier avec l'État une fois leur exigence de voir Moubarak quitter son poste. Le 19 mars 2011, l'AFM et les autres groupes islamistes ont fait campagne massivement pour amender la constitution plutôt que d'en effectuer une refonte complète. Le 6 juin 2011, al-Ikhwan reçoit l'accord tacite du pouvoir pour la légalisation du Parti de la Liberté et de la Justice, vitrine politique du mouvement comptant huit mille membres fondateurs dont une centaine de Coptes.

Par ailleurs, l’AFM semble montrer une évolution interne marquée par certaines confrontations, sans parler des tendances existantes. Certains jeunes membres se sont rassemblés et plaident pour une forme moderne de militance. D’autres ont parlé d’une transformation de l’AFM en un parti plus moderne comme l’AKP turque ; peu importe le manque de bases sociales et économiques pour parvenir à un tel projet. Cela prouve-t-il quelque chose ? Même au niveau de la politique étrangère, certaines voix, parmi l’AFM, ont plaidé pour une paix froide avec Israël. Au cours de son existence, sous la clandestinité et la répression, l’AFM a formé un noyau fort de militants et de cadres capables. Elle a aussi profondément enraciné son influence dans les différentes couches de la société civile égyptienne. Par ailleurs, l'islam n'a jamais été absent de l'Égypte durant la « voie vers le socialisme arabe » de Nasser et l’AFM a toujours tiré bénéfice de cette situation. La charia a toujours été potentiellement applicable, le seul problème étant que l'État prétendait être la seule autorité pour décider de l’appliquer ou non. Le compromis passé entre l’AFM et le régime de Moubarak peut être résumé par « à vous le pouvoir, à nous la société » et, malgré des hauts et des bas, ils travaillaient main dans la main. Le mouvement de février a ouvert une petite fenêtre, ce qui a rendu l’AFM capable de changer de partenaire mais pas de politique, effectuant seulement un grand pas en avant.

Mais quelle est leur véritable politique derrière leur façade ?

Premièrement, nous devons comprendre que l’AFM est un véritable mouvement politique dont le but est de changer la société, ou du moins la société civile parce qu’ils ne proposeront jamais de briser le capitalisme, même en faisant certaines pressions à l’intérieur des entreprises afin qu’elles redistribuent ne serait-ce qu’une partie du profit. Mais ils souhaitent réellement effectuer de vrais changements, une réislamisation de la société civile encore plus importante qu'aujourd'hui.

Deuxièmement, il s'est avéré qu’en février, ils ont participé à un mouvement qu’ils n’avaient pas lancé et pour lequel ils n’étaient pas favorables, acceptant ensuite de manger avec le diable, c'est-à-dire l'armée. C'est dire que ce que décide le « bureau politique » est bien transmis au « comité central », puis aux membres et ensuite diffusé parmi les sympathisants. Néanmoins, le fait que, maintenant, l’AFM n’est pas réprimé, que l’avenir semble radieux favorise l’expression de différences internes et même le souffle démocratique les a touchés.

Troisièmement, dans la situation quotidienne compliquée en raison des conséquences affectant l'économie, il est préférable pour l’AFM de rester dans l'opposition (tout en partageant le pouvoir de fait avec l'armée) et d'attendre le moment où les fruits seront complètement mûrs et aisés à récolter. Avec une telle perspective, il est bon pour l’AFM de se présenter comme la plus moderne des tendances exprimant elle-même publiquement beaucoup plus que l’ « offre politique » du mouvement. En ce sens, l’AFM peut ressembler à un parti hybride, capable, comme les staliniens d’un côté (pour le noyau de militants formés et cadres) et les péronistes de l’autre (par leur enracinement dans la société civile), d'infiltrer toutes les couches de la société (avec des limites objectives chez les paysans et les classes supérieures).

Quel peut être l'avenir de l’AFM ? Est-il capable de gagner, sur les lieux de travail, une fraction d’ouvriers ? Est-ce que les classes supérieures sont toujours hésitantes à faire un compromis à la « turque » face à l’AFM ? Si la situation économique n'est pas restaurée, certaines couches de la bourgeoise pourraient choisir l’AFM comme le meilleur défenseur contre les troubles sociaux. En fait, l’AFM ne considère pas les travailleurs comme des ennemis en tant que tels. Tant que le travailleur reste un individu, il est le bienvenu. Mais ce que l’AFM déteste, avant tout, c'est la classe ouvrière en tant qu'organe collectif. « Classe contre classe » est une politique anti-islamique qui doit être combattue par l’AFM. Le problème est que si l’économie s’écroule, la classe ouvrière égyptienne n'est pas prête, pour le moment, à contester la classe dirigeante, laissant la solution de l’AFM au frigo.

L’église copte46 est une des plus anciennes Églises chrétiennes du Moyen-Orient ; la première église ayant été fondée en 42 après J.-C. Née d’une scission, en 451, pendant le concile de Chalcédoine ; l’église copte a vécu une vie séparée des autres églises chrétiennes tant catholique qu’orthodoxe. Elle s’est repliée sur l’Égypte et s’est identifiée elle-même comme la mémoire de l’Égypte des temps anciens et ainsi les Coptes furent les promoteurs, pendant le XIXe siècle, du nationalisme moderne. Sa principale spécificité religieuse est le culte des martyrs, persécutés par l’Empire Romain en 284 après JC, mais aussi l’utilisation de la langue copte47 pour les cérémonies religieuses. À partir de la conquête islamique en 640, l’influence de l’église copte a décliné continûment à travers des périodes de relative tolérance et de dures persécutions, comme celles de 1010 (sous le Calife al-Hakim), ou, en 1320, sous la domination des Mamelouks. Les Coptes désignent ainsi à la fois les adeptes d’une religion et les personnes appartenant à une communauté.

La révolution bourgeoise de 1921 ouvrit la route à une participation des Coptes (principalement la bourgeoisie copte) à la vie nationale ; les Coptes furent militants du parti Wafd et deux furent premier ministre et un président du parlement. Mais le succès de la bourgeoisie copte fut tel qu’elle détenait 50 % de la richesse nationale, pas seulement comme la famille Boutros Galli propriétaire de 10 000 feddans (1 feddan = 40 ares ou 0,4 ha) de terre mais aussi comme capitalistes privés dans divers secteurs industriels.

Après la chute de la monarchie en 1952, pour le soi-disant socialisme arabe représenté par Nasser, il fut facile d’exproprier la bourgeoisie copte, principalement à la campagne, au nom du nationalisme et du socialisme. Beaucoup de Coptes (ainsi que des Juifs) quittèrent l’Égypte réduisant ainsi l’importance des Coptes dans la société. En compensation, la liberté de pratiquer la religion copte fut garantie comme contrepoids à la répression menée par Nasser contre les Frères musulmans ; mais ceci changea après la défaite de 1967, pendant la guerre des Six Jours. Pour consolider son pouvoir affaibli, Nasser appela à l’unité de la nation derrière l’islam. Pendant les décennies 1970 et 1980, les Coptes souffrirent de la pression islamiste caractérisée par des taxes islamiques pour les boutiquiers, des ventes forcées de propriétés et de terres, du boycott des médecins et des pharmacies, etc. L’État ignora objectivement cela mais changea d’état d’esprit quand il réattaqua les Frères musulmans et les islamistes, comme le Gamaat Islamiya, à partir de 1992. Néanmoins, les islamistes commencèrent, en 1997, à viser les Coptes en tirant dessus et en plaçant des bombes dans les quartiers et les écoles coptes, comme à Abu Qourqas (en moyenne Égypte) en février 1997 où 10 Coptes furent tués, tandis que des pogromes spontanés éclataient. Et le fait est que si les islamistes tuèrent dans des lieux publics, les personnes attaquèrent des Coptes qui vivaient à leurs côtés et comme eux, sans autre raison apparente que la panique ou la peur de l’autre. Le plus dur fut celui de janvier 2000, à Al-Kocheh en haute Égypte, quand un conflit entre vendeurs de rues (un copte et un musulman) dégénéra après un appel des mosquées à « la chasse aux chrétiens » qui entraîna la mort de 21 Coptes et l’incendie de plusieurs de leurs maisons.

En juin 2001, les Coptes manifestèrent dans les rues du Caire pour protester contre des rumeurs dans la presse indiquant qu’un prêtre copte avait eu des relations sexuelles dans un monastère de la région d’Assiout. Ceci aboutit à 70 manifestants blessés mais sans mort.

Les Coptes sont des citoyens de seconde zone. Il leur est interdit d’être officiers supérieurs dans l’armée, doyens et professeurs de haut rang à l’université, juges à tous les niveaux… ils ne représentent pas plus de 1,5 % des employés du secteur public. Ils sont en dehors de la « politique » En 1995, le PND (le parti de Moubarak) n’avait aucun candidat copte et c’est seulement parce que, selon les lois égyptiennes, le président peut désigner 10 députés que 6 Coptes étaient présents à la chambre basse du parlement (sur 454 députés).

Au contraire, dans les régions du Caire et d’Alexandrie, les capitalistes coptes sont très actifs, comme la famille Sawiris propriétaire d’entreprises du bâtiment, des télécommunications, du tourisme et des services. En gage de bonne volonté, Moubarak a désigné, en 1999, un Copte Youssef Boutros Ghali comme ministre de l’Economie et des Finances.

En fait, le régime de Moubarak a eu une attitude ambigüe vis-à-vis des Coptes. En 2004, le Noël copte (le 7 janvier) devint fête nationale et, en 2005, il établit que les églises coptes détruites pouvaient être reconstruites. C’était avant les élections de décembre 2005 qui virent une relative victoire des Frères musulmans. Les représentants officiels de l’Église copte, comme le pape Shenouda III, appelèrent publiquement à voter pour le parti de Moubarak. Pendant la campagne, à Alexandrie, des affrontements entre Coptes et musulmans eurent lieu.

En janvier 2011, après l’attentat à la bombe contre une église copte à Alexandrie, qui tua 21 personnes et en blessa 96, des émeutes éclatèrent accompagnées d’affrontements avec la police à Alexandrie, le jour même, et le lendemain au Caire.

Pendant les événements de février et mars, aucun signe d’agitation anti-copte n’a été relevé.

Aujourd’hui, il est difficile d’estimer le nombre de Coptes parce que le terme « minorité » est un non-sens pour les statistiques égyptiennes mais le mot est aussi rejeté par certains intellectuels Coptes parce qu’ils affirment que les « Coptes ne sont pas une minorité mais une part essentielle de l’Égypte »48 . Les estimations donnent environ 8 millions de Coptes. Très présents au Caire et à Alexandrie, les grandes villes de l’Égypte moderne, les Coptes sont aussi présents dans la haute vallée du Nil d’Assiout à Louxor (la région appelée le Saïd) où ils représentent 1/3 de la population (soit environ 4 millions de Coptes) et sont majoritaires dans plusieurs villages. Dans cette région, les Coptes ne sont pas différents de leurs voisins arabes : pauvres et très pauvres, paysans accrochés à la terre et respectant le Tar, le code local de l’honneur.

Mais on ne peut pas dire que les Coptes sont, même au Caire, une communauté unifiée de personnes riches. Par exemple, le ramassage et le traitement des ordures ne sont pas faits par une administration publique mais par des entrepreneurs « privés » qui négocient leur travail avec les autorités locales ; ils sont appelés les Zabbalin et 90 % d’entre eux (soit environ 150 000) sont des Coptes et vivent dans le quartier de Moqattam. Ils sont aussi méprisés parce qu’ils élèvent des porcs, ce qui est le pire sacrilège pour les musulmans. En avril 2009, sous la pression des Islamistes, le gouvernement décida d’un abattage massif de 250 000 porcs appartenant aux Coptes au prétexte de la grippe porcine. Ceci a réduit les moyens de survive de nombreux Coptes pauvres.

Les Coptes ne constituent pas un corps unifié même pour la Religion : il y a 350 000 Coptes catholiques et 200 000 Coptes protestants sans parler des Coptes athées.

Ce qui est certain, c’est qu’après les derniers massacres de mai 2011, la situation des Coptes ne va pas s’améliorer.

OPPOSITION : LE VIDE

Les partis politiques

En Égypte, le parti au pouvoir a eu jusqu’à deux millions de membres encartés.

Après la chute de Moubarak, les tentatives d'établir différents partis politiques dans tous les coins de l'échiquier politique ont explosé. Par exemple, ont éclos des partis libéraux de droite, comme le Parti des Égyptiens libres (Free Egyptians Party), lancé récemment par le magnat des télécommunications Naguib Sawiris. Le parti envisage un état civil démocratique qui adopterait une économie de libre marché, encouragerait l'investissement privé et, dans l'intervalle assurerait la justice sociale.

Les Socialistes Révolutionnaires

Le parti relativement important (ou tout au moins visible) du militantisme de gauche en Égypte, sont les Socialistes Révolutionnaires (SR, proches de The International Socialist Tendency) et du Socialist Workers Party (SWP) britannique. Le groupe a émergé en 1980 parmi les petits cercles d'étudiants influencés par le trotskisme. L'organisation a fonctionné durant l'ère Moubarak de manière souterraine. Les militants des SR se sont engagés, après 2000, dans le mouvement de solidarité avec les Palestiniens et ont attiré des centaines de nouveaux militants. Les militants de la SR ont été très actifs lors des derniers évènements en Égypte ; parmi eux certains sont médiatiquement connus, comme par exemple le blogueur Hossam El-Hamalawy (pseudonyme 3arabawy) ou Gigi Ibrahim.

Les SR soulignent l'importance de la lutte des travailleurs sur les lieux de travail. « Le régime peut se permettre d'attendre la fin des sit-in et des manifestations pendant des jours et des semaines, mais il ne peut pas durer au-delà de quelques heures si les travailleurs utilisent les grèves comme une arme », ont écrit les SR, en février 2011. Ils soutiennent que la classe ouvrière a été l’acteur clé dans l’éviction de Moubarak, plutôt que l’utilisation de Facebook et de Twitter par les jeunes égyptiens, comme cela a été largement rapporté.

Le profil politique des SR a beaucoup de faiblesses. De la même façon que leurs collègues britanniques, les SR sont sur une ligne anti-impérialiste. Concrètement, leurs positions sont marquées par un très fort sentiment anti-américain et anti-Israël. De ce point de vue, ils ont déjà franchi[s]s[/s] plus d’une étape vers le « front uni avec toutes les forces anti-impérialistes », dans leur cas, avec les islamistes.

La relation des SR avec le mouvement hors-la-loi des Frères musulmans est distincte de celle des premières organisations gauchistes en Égypte, qui ont tenu des positions similaires à celle du Parti communiste stalinien d'Égypte (voir ci-dessous), qui a généralement assimilé l'islamisme et le fascisme. Les SR ont avancé le slogan « Parfois avec les islamistes, jamais avec l'État ». Le slogan a été inventé par Chris Harman du SWP anglais, dans son livre, Le Prophète et le prolétariat, qui a été traduit en arabe, et largement diffusé par les SR en 1997. Les SR ont ainsi pu faire campagne aux côtés des Frères à certains moments, par exemple, lors des mouvements pro-Intifada et anti-guerre.

Parti démocratique des travailleurs

Les Socialistes Révolutionnaires ont collaboré avec d'autres gauchistes à la création du Parti Démocratique des Travailleurs (WDP), créé en février 2011, mais toujours pas (août 2011) officiellement reconnu car tombant sous la loi interdisant les partis fondés sur une base de classe.

Le WDP est soutenu par la nouvelle Fédération des syndicats égyptiens. Selon les données officielles, il a environ 2 000 membres. Le parti se déclare anticapitaliste et du côté des travailleurs, mais il affirme aussi que la révolution socialiste « n'est pas réalisable dans l'environnement politique actuel ». La classe ouvrière égyptienne ayant un « manque d'expérience politique et un sous-développement du mouvement ouvrier ». Il préconise plutôt la renationalisation de l'industrie et une « démocratie des travailleurs plus authentique ». Contrairement à la situation à l’époque de Gamal Abdel Nasser, où les cadres des entreprises d'État étaient nommées par le président, le WDP appelle les travailleurs de ces usines à nommer leurs propres cadres. « Nous voulons ramener les entreprises, qui ont été usurpées sous l'ère corrompue de Moubarak et de l'ancien gang, au peuple égyptien », explique Fayoumy, l'un des fondateurs du WDP, militant syndical et électricien longtemps employé par la Misr Spinning and Weaving Company, dans le centre du Delta de Mahalla al-Kubra.

Ceci rejoint probablement aussi la demande d’une partie de la classe ouvrière qui voit dans les privatisations une aggravation supplémentaire des conditions de travail, la baisse des salaires et des licenciements. Mais sans doute, des désirs similaires sont aussi présents dans l'armée, dont le pouvoir économique a été peu à peu érodé par les privatisations déclenchées par Moubarak et son fils Gamal lors des deux décennies précédentes.

Parti Communiste égyptien

En Égypte, un Parti Communiste stalinien (PCE) existe depuis 1975, a fonctionné jusqu'en 2011 de manière souterraine et a été confronté à la répression d'État. Il se réfère lui-même au Parti Communiste d’Égypte fondé en 1922, qui plus tard soutiendra le président Nasser (même aujourd'hui, le PCE ne parle de Nasser que positivement). Le PCE a pris part au mouvement récent, mais ses demandes étaient orientées principalement vers les formes de gouvernement de l'après-Moubarak sans référence à la situation sur les lieux de travail. Nous manquons malheureusement d’information sur le nombre de militants du PCE et sur son influence réelle dans la classe ouvrière.

Les Syndicats

Egyptian Trade Union Federation (ETUF)

La seule structure syndicale existante en Égypte, avant 2011, était la Fédération des syndicats égyptiens, qui était essentiellement le relais dans les usines du parti au pouvoir – proche de ce qu’étaient avant 1989 les syndicats en Europe de l'Est. Selon les données officielles, l’ETUF comprenait 23 syndicats, 2,5 millions de membres, ce qui correspond à environ 10 % de la population active.

L’ETUF n’a joué rôle aucun dans les luttes ouvrières de la dernière décennie, au contraire, il s’opposait aux grèves et appuyait les plans de privatisation du gouvernement. Donc, cela signifie que jusqu'en 2011, toutes les luttes en Égypte se sont organisées en dehors des syndicats, parce que ces structures étaient totalement étrangères aux besoins et aux revendications des travailleurs. C’est l'une des différences principales par rapport au mouvement récent en Tunisie, où la Fédération syndicale officielle, l’UGTT, a rejoint officiellement les manifestations de la classe ouvrière.

Federation of Egyptian Trade Unions (FETU)

La réponse de l’ETUF à la nouvelle situation égyptienne a été de se reformer en une nouvelle Fédération des syndicats égyptiens. La FETU a été fondée, le 30 janvier 2011, pendant les manifestations, lors d’une réunion convoquée sur la place Tahrir. Au début elle comprenait des travailleurs du secteur de la santé, des enseignants, d'autres employés de l'État et des différentes industries. Mais numériquement, cette nouvelle fédération est très faible : elle comprend 12 syndicats pour un total de seulement 250 000 membres ; ce qui ne correspond plus qu’à environ 1 % de la population active.49

ONG spécialisées dans le travail

Ce sont les ONG actives sur les questions liées au travail qui, au contraire, ont joué un rôle important dans les manifestations et les grèves en Égypte de ces dernières années. Un des plus connus de ces groupes est le Centre pour les Syndicats et les Services aux Travailleurs (CTUW), qui existe depuis 1990 – il a été précédé par les grandes grèves des chemins de fer (1986) et des aciéries (1989). En conséquence, ces organisations ont été ciblées par le régime, leurs bureaux fermés et leurs dirigeants arrêtés. La connexion des militants (par exemple, du CTUW) avec les syndicats occidentaux était importante, comme avec les syndicats des Pays-Bas ou avec l’AFL-CIO américaine.

Récemment, le CTUW avec d'autres groupes actifs dans les questions liées au travail et les syndicats, a appelé à la dissolution de l’ETUF, mais jusqu'ici sans succès.

En dépit de la vague récente de nouveau syndicalisme, on doit se demander si la classe ouvrière en Égypte a encore, malgré ses expériences avec le syndicat d’État, la volonté de goûter à nouveau les fruits insipides de n’importe quel autre syndicat. « Les travailleurs sont habitués à croire que les syndicats sont des entités gouvernementales que l'on rejoint pour servir ses intérêts personnels », se plaint M. Kamal Abbas, coordinateur général du CTUW. « Nous avons besoin d'exercer beaucoup d'efforts pour convaincre les travailleurs que les syndicats sont des organisations qui cherchent à améliorer les conditions de travail des travailleurs. »50

DU CÔTE DE LA CLASSE OUVRIERE

UNE BRÈVE HISTOIRE DES LUTTES OUVRIERES EN EGYPTE

Retour vers le XIXe siècle

Le développement du prolétariat dans sa forme moderne est toujours inextricablement lié à l’essor des syndicats et de la social-démocratie ; néanmoins, nous espérerions beaucoup voir une « pure » expression du prolétariat se détachant lui-même de sa représentation au sein de la société bourgeoise. En Égypte, comme dans les autres pays de cette région et en particulier en Tunisie, une complication supplémentaire vient de son enchevêtrement avec le nationalisme populiste et par conséquent avec l’essor « de l’État comme moteur du développement ».

On peut faire remonter, au début du XIXe siècle, l’émergence en Égypte d’une classe ouvrière, industrielle et urbaine, lorsque le gouverneur ottoman d’Égypte, Méhémet Ali, qui a participé aux campagnes anglo-ottomanes pour repousser les Français, établit des ateliers textiles nationaux. Dès 1820, des machines à vapeur importées d’Angleterre sont installées dans les ateliers du Caire et de Mansourah. Cette brève expérience, dirigée par l’État, de développement par substitution aux importations, est démantelée en 1840 par les Britanniques, qui imposent le libre-échange dans le textile. L’industrie textile joua cependant un rôle important dans la formation de la classe ouvrière en Égypte jusqu’à nos jours. Le coton, en tant que produit agricole mais aussi en tant que matière première pour les filatures, est central dans le textile. La Guerre civile américaine et le blocus sur le coton des États sudistes créent les conditions du boom des exportations du coton égyptien.

Le Canal de Suez ouvre en 1869. Il a été construit en grande partie grâce au travail forcé, avec une corvée annuelle s’appliquant à 20 000 paysans dont plusieurs milliers meurent lors de la construction entre 1859 et 1869. La main-d’œuvre esclave est aussi impliquée, les esclaves est-africains sont utilisés sur les bateaux côtiers jusqu’en 1873. L’une des premières grèves de travailleurs enregistrées en Égypte est celle des pelleteurs de charbon de Port-Saïd (une ville fondée au cours de la construction du canal) en 1882.

Le plus grand employeur, au début du 20e siècle, est le réseau ferroviaire national, qui inclut la première ligne jamais construite au Proche Orient (la ligne Le Caire-Alexandrie est achevée en 1854). Il emploie 12 000 travailleurs. De son côté, la Compagnie de tramways du Caire, fondée en 1894, emploie plus de 2 000 travailleurs.

Après la banqueroute de l’État, en 1876, et l’occupation britannique de 1882, l’investissement industriel en Égypte se déplace de façon décisive vers les groupes multinationaux d’investissement, principalement français, britanniques et grecs. Aux côtés des transports modernes, l’industrie de la cigarette est un autre centre majeur de formation de la classe ouvrière. Dans les premières années du XXe siècle, cinq firmes grecques contrôlent 80 % des exportations et emploient 2 200 personnes. Le marché local en emploie 2 000. Les travailleurs les plus qualifiés du secteur, les rouleurs de cigarettes, sont principalement grecs. Ils organisent la première grève au Caire et créent les premiers syndicats.

À la suite d’une provocation d’officiers britanniques en 1906 (l’incident de Denshaway), l’agitation nationaliste connaît une recrudescence massive au Caire. Ceci aura un impact profond sur la vie et l’organisation de la classe ouvrière, malgré la séparation entre les nationalistes, propriétaires terriens éduqués, et la classe ouvrière. Que le mouvement nationaliste soit dirigé par des propriétaires terriens entre en jeu dans le développement d’une relation forte entre les nationalistes et les syndicats. Les revendications des travailleurs urbains ne représentent pas une menace directe sur les grands propriétaires fonciers ! Par conséquent, ces derniers cherchent à appuyer leur nationalisme sur les travailleurs urbains plutôt que les paysans. Il faut noter que, jusque dans les années 1930, la plupart des travailleurs salariés des grandes compagnies étaient employés et dirigés par des personnes perçues comme étrangères en raison de la langue, de la nationalité ou de la religion. Patrons britanniques ou français, mais aussi grecs, italiens, arméniens, syriens chrétiens, et juifs qui résident sur place. Il est donc peu surprenant que les grèves soient souvent vues, par les travailleurs et plus largement par la société, comme partie intégrante du mouvement nationaliste.

Les travailleurs du rail et des tramways font grève plusieurs fois, entre 1908 et 1910, et, alors que les revendications des travailleurs ne concernent strictement que des besoins ouvriers (pour une journée de travail plus courte, une augmentation de salaire, contre les amendes et les renvois), les grèves sont soutenues avec enthousiasme par les nationalistes.

La tentative bourgeoise

À la fin de la Première Guerre mondiale, un parti nationaliste, connu sous le nom de Wafd (« Délégation », car il voulait participer à la conférence de paix de Versailles) est créé. La répression du Wafd entraîne manifestations massives et grèves. Il y a une recrudescence des luttes ouvrières et la formation d'organisations du même type que dans les autres centres industriels. Le Parti Communiste d’Égypte (PCE) et la confédération syndicale qui lui est associée, la CGT (Confédération Générale du Travail), sont fondés en 1921. La CGT a une influence importante sur le mouvement ouvrier, en particulier à Alexandrie. Au même moment, les avocats wafdistes deviennent des conseillers importants des syndicats et encouragent même les travailleurs à faire grève, comme le faisaient les radicaux des classes moyennes en Grande-Bretagne au XIXe siècle.

Le Wafd prend la tête du gouvernement en 1924 et, naturellement, commence par réprimer les grèves ainsi qu’interdire le PCE et la CGT. Le Wafd crée, dans le même temps, sa propre fédération syndicale. Ainsi se formait le schéma typique des relations entre travailleurs et régime nationaliste.

La classe ouvrière urbaine s’accroît significativement lors de la Seconde Guerre mondiale, alors que les travailleurs salariés sont recrutés pour les besoins des armées alliées basées en Égypte. À la fin de la guerre, il y a 623 000 ouvriers d’usine sur une population de 18 millions. Cependant, de nombreux ouvriers sont licenciés une fois la guerre terminée. Il y a trois grandes vagues de grèves entre 1945 et 1952. Dans chacune d’elles, les travailleurs du textile et leurs revendications économiques jouent un rôle directeur, tout comme les organisations nationalistes telles le DMNL (Democratic Movement of National Liberation).

Les deux premières vagues ne sont endiguées qu’au moyen d’une répression sauvage – la loi martiale est appliquée entre 1948 et 1949. La troisième éclate après que le Wafd est une nouvelle fois porté à la tête du gouvernement, en 1950, lors d’élections qui voient une très forte abstention. L’un des problèmes majeurs pour les travailleurs est alors que les législations concernant le salaire minimum et l’indexation sur le coût de la vie ne sont pas appliquées. Le 25 janvier 1952, les forces britanniques attaquent une station de police égyptienne et tuent plus de 50 flics en tous genres, apparemment parce qu’elles pensaient que les flics aidaient aux attaques de la guérilla dans la zone du Canal de Suez. Ceci entraîne immédiatement l’indignation populaire et une émeute nationaliste de masse au Caire. Les incendies détruisent une grande partie du quartier d’affaires européen. La loi martiale est déclarée, la répression réussit de nouveau à écraser l’agitation ouvrière et nationaliste, mais l’ancien régime, qui tourne autour de la monarchie, est largement perçu comme condamné.

Après l'indépendance 1952-1984

Cependant, une seule force dans la société égyptienne est suffisamment organisée et unifiée pour achever le régime, il s’agit de l’armée. Le 23 juillet 1952, Gamal Abdel Nasser et de jeunes officiers, se faisant appeler les Officiers libres, renversent la monarchie et établissent un Conseil du Commandement révolutionnaire. Comme pour plusieurs gouvernements nationalistes qui l’ont précédé, il bénéficie d’un réel soutien des travailleurs, grâce à son discours sur la « justice sociale » autant que sur l’indépendance de l’Égypte et l’abolition du « féodalisme » (autrement dit, de la domination des grands propriétaires terriens). Une fois de plus, les travailleurs paieront cet enthousiasme mal placé. En août, 9 000 travailleurs de la Misr Fine Spinning et de la Weaving Company à Kafr al-Dawwar, sur le delta du Nil, entrent en grève pour des revendications économiques diverses, le renvoi des chefs abusifs et le droit à un syndicat librement élu. Malgré les déclarations de soutien au régime par les travailleurs, l’armée brise rapidement la grève après un échange de coups de feu entre ouvriers et flics. Deux travailleurs sont trainés devant le tribunal militaire et condamnés à mort, ils seront exécutés quelques jours plus tard. Au même moment, le CCR interdit les grèves mais rend aussi les licenciements plus difficiles, imposant un arbitrage sur tous les conflits du travail. En 1956, Nasser, unique candidat, est élu avec 99,9 % des voix. Comme cela est bien connu, Nasser devient populaire à travers le monde arabe après avoir nationalisé le Canal de Suez et obtenu, avec l’aide des États-Unis et de l’Union soviétique bien sûr, le départ des Français, Britanniques et Israéliens, lors de la « Crise de Suez » d’octobre 1956. En janvier 1957, le régime crée la première fédération syndicale dirigée par l’État, la fédération des travailleurs égyptiens. En 1961, elle est réorganisée en une Fédération des syndicats égyptiens (Egyptian Trade Union Federation, ETUF), qui existe encore. C’est ainsi que sont posées les fondations de l’autoritarisme militaire qui existe encore de nos jours en Égypte.

De la fin des années 1950 au début des années 1960, Nasser consolide un nouveau compromis social connu sous le nom de socialisme arabe. Toutes les compagnies étrangères ainsi que les compagnies égyptiennes de large et moyenne taille, sont nationalisées. Leurs travailleurs deviennent des fonctionnaires, leur niveau de vie est sensiblement amélioré et ils bénéficient de nombreux avantages sociaux. Le régime garantit un emploi de col blanc à tous les diplômés universitaires et un emploi de col bleu à tous les diplômés du lycée.

Mais la gloire du socialisme arabe ne dure pas longtemps. Le premier plan quinquennal (1957-62) génère un million de nouveaux emplois et une croissance annuelle du PIB de 6 %. Cependant, le second plan quinquennal (1962-67) est abandonné en raison du manque d’investissement et les salaires réels baissent brutalement en 1965. La défaite de l’Égypte, en 1967, dans la guerre israélo-arabe mine encore plus la légitimité du nassérisme.

Les présidents Anouar el Sadate (1970-81) et Hosni Moubarak (1981-2011) entreprennent d’inverser l’orientation économique et politique de Nasser en appliquant la politique pro-américaine du « Consensus de Washington » avec, notamment, des réformes visant à rendre plus flexible le marché du travail et baisser les subventions sur les produits de consommation de base. Les coupes dans les subventions conduisent à des émeutes du pain en janvier 1977, obligeant le gouvernement à reculer provisoirement. Le boum des prix du pétrole entre 1974 et 1982 créé l’opportunité pour les travailleurs d’émigrer vers les pays exportateurs de pétrole et de gagner plusieurs fois ce qu’ils gagneraient en Égypte. Les envois de fonds de ces travailleurs devient la plus importante source de devises pour l’Égypte et créé un modèle de travail émigré massif qui existe encore jusqu’à nos jours. La chute des prix du pétrole, après 1982, et la contraction économique qui s’ensuit conduisent à une poussée brusque des luttes ouvrières entre 1984 et 1989.

Des émeutes du pain à la chute de Moubarak

En 1984, une nouvelle loi est appliquée qui double les déductions salariales pour la santé et les retraites du secteur public. En octobre, des dizaines de milliers de travailleurs du textile de Kafr al-Dawwar et leurs familles sortent dans les rues pour une émeute qui dure trois jours. Ils coupent les lignes téléphoniques, allument des incendies, bloquent les transports et détruisent des voitures de train, ce qui conduit à une confrontation de masse avec les forces de sécurité. La Compagnie du Fer et de l’Acier (Iron and Steel Company), de Hélouân, une banlieue industrielle du Caire, pour laquelle travaillent 25 000 ouvriers, est occupée deux fois, en juillet et août 1989, pour les augmentations de salaire et contre le licenciement de plusieurs militants ouvriers. La confrontation avec les forces de l’ordre entraîne la mort d’un ouvrier.

En 1991, l’Égypte se met d’accord avec le FMI et la Banque mondiale sur un Programme d’ajustement structurel et de réforme économique. Ceci conduit à la privatisation d’un grand nombre de sociétés publiques, mais de larges concentrations de travailleurs restent employées par l’État, comme les 25 000 travailleurs du textile du complexe de Mahalla al-Kubra, symbole du nationalisme économique et du pouvoir ouvrier. Une autre vague d’actions collectives voit le jour en 1995, mais il faut attendre les années 2000 pour que les luttes ouvrières décollent à nouveau. Celles-ci concernent principalement les pertes de salaire réel dues à l’inflation et le futur incertain des travailleurs qui font face aux privatisations des compagnies d’État. Ceci est particulièrement vrai après la venue au pouvoir du gouvernement Nazif, en juillet 2004.

Pendant la décennie 2000-2010, plus de 2 millions de travailleurs ont participé à plus de 3 300 occupations d’usine, grèves, manifestations et autres actions collectives. Comme avant, les travailleurs du textile jouent un rôle de leader, l’usine de Mahalla al-Kubra est en grève en décembre 2006 et septembre 2007 et les travailleurs gagnent des améliorations économiques significatives. En 2008, ce sont les travailleurs de cette usine historique qui sont les premiers à revendiquer un salaire minimum national de 1 200 livres égyptiennes (environ 215 dollars) par mois, une demande reprise par d’autres groupes de travailleurs à travers l’Égypte. Les grèves s’étendent aussi aux manufactures de matériaux de construction, aux transports, à l’industrie agroalimentaire, au secteur de l’assainissement, à la production pétrolière…

De plus, une vague de militance sans précédent traverse les travailleurs administratifs du secteur public, notamment chez les collecteurs d’impôts fonciers en zone urbaine. Ces derniers ont compris que leur grève pouvait instantanément priver l’État d’un de ses revenus. En décembre 2007, 3 000 collecteurs d’impôt municipaux occupent, pendant 11 jours, la rue devant le Ministère des Finances. Ils gagnent une augmentation de salaire de 325 % et leur action conduit à la création du premier syndicat indépendant de l’État depuis que Nasser les avait abolis. Il est intéressant de noter que c’est à cette occasion que les occupations de rue prolongées sont développées comme méthode de lutte. Ainsi, reprenant cet exemple en février 2010, des travailleurs d’une douzaine d’endroits différents[s], [/s]se rassemblent devant le parlement pendant de nombreuses semaines. Les organisations pro-démocratiques des classes moyennes urbaines se sont certainement identifiées à ces luttes ouvrières même si la réciproque n’est pas toujours vraie. En mars 2008, par exemple, des militants démocrates lancent sur internet un appel à la grève générale qui semble voir eu de l’effet, mais seulement parce que les ouvriers du textile de Mahalla al-Kubra étaient déjà en lutte ! Ceci entraîne la création du groupe de la Jeunesse du 6 avril. À l’inverse, lorsque celui-ci répète son appel en mai de la même année, il est largement ignoré. Malgré cela, il n’est pas trop fantaisiste de dire que les occupations à durée indéterminée ont été copiées par les militants ouvriers.


LES LUTTES OUVRIERES

Présentation

Pour la chronologie suivante des luttes ouvrières qui ont eu lieu dans les usines aussi bien qu'à l'extérieur, nous avons croisé des données de différents médias d'Égypte (à l'exclusion de ceux de langue arabe) et du reste de monde. Nous avons sélectionné uniquement les informations les plus précises, à savoir celles qui mentionnent les usines (lieu, production) et surtout le nombre de grévistes par rapport à l'effectif global. Comme vous pourrez le constater, l'ensemble reste « flou » parce que l'issue de la plupart de ces grèves reste pour nous inconnue. Par bonheur, nous avons trouvé deux descriptions suffisamment détaillées et nous les avons mis en encadré ci-dessous. (L’une concerne une gigantesque usine de tissage située à El-Mahalla El-Koubra, le 24 février, l'autre une usine textile situé à Ghazl El-Mahalla, le 23 février).

Chronologie

Mardi 08 février

À moins d'un kilomètre de la place Tahrir, environ 500 employés du journal Rose al-Youssef, détenu par l'État se sont massés devant les bureaux de la direction pour dénoncer les pratiques ainsi que la ligne éditoriale du directeur de la rédaction, Abdallah Kamal, ainsi que du responsable administratif, Karam Gaber. Une autre manifestation, de 200 journalistes environ, s'est déroulée devant le siège du syndicat des journalistes, situé dans le centre du Caire pour demander le départ du président du syndicat Makram Mohamed Ahmed, membre du NDP.

Devant les bâtiments abritant la direction du journal d'État Al-Ahram, le quotidien le plus diffusé d'Égypte, quelque[s]s[/s] 500 employés d'imprimerie manifestent pour demander des contrats à temps plein, des primes ainsi que des compléments sociaux.

5 000 employés du géant des télécommunications, l'entreprise d'État Telecom Egypt, organisent trois rassemblements en différents endroits de la ville pour revendiquer un salaire minimal correct ainsi que le plafonnement des hauts salaires.

Plus de 6 000 manifestants, travaillant pour l'Autorité du Canal de Suez, participent à des sit-in dans les villes de Port-Saïd, Ismaïlia, Suez, pour la revalorisation de leurs salaires.

Plus de 100 travailleurs des entreprises textiles d'État Kafr al-Dawwar Silk Company et Kafr al-Dawwar Textile Company manifestent avant et après leur poste pour demande le rattrapage des primes non versées, ainsi que des augmentations pour compenser l'augmentation du prix de la nourriture.

Environ 4 000 ouvriers de la Coke Coal and Basic Chemical Company, située à Hélouân, appellent à une grève pour des augmentations de salaire, l'embauche des intérimaires, le payement de primes sur les produits exportés ainsi que l'arrêt de la corruption. Ils se solidarisent avec les manifestants du centre du Caire.

Environ 2 000 ouvriers de la Helwan Silk Factory participent à une manifestation au siège de la société pour appeler à la démission du comité de direction.

À Mahalla, quelque 1 500 travailleurs de la compagnie Abul Sebae Textile Company, appartenant au secteur privé, réclament leur salaire ainsi que leurs primes non versées. Ils bloquent une autoroute.

À Quesna, quelques 2 000 ouvriers et employés de la société Sigma Pharmaceuticals démarrent une grève. Ils réclament de meilleurs salaires, des promotions et le renvoi de plusieurs de leurs chefs.

À Mahalla, dans le gouvernorat de Gharbiya des centaines de travailleurs de la société de filage de Mahalla organisent un sit-in devant le siège de la compagnie pour demander le passage effectif de grade promis. Plus de 1 500 ouvriers de l'Hôpital de Kafr al-Zayyat aussi dans le gouvernorat de Gharbiya, organisent un sit-in dans l'hôpital pour réclamer le payement de leurs bonus non versés. Les infirmières démarrent le mouvement, rejointes par les médecins et enfin par le reste des salariés.

Environ 350 salariés de la société de ciments Egyptian Cement Company, organisent des piquets à l'usine ainsi qu'au siège de la compagnie à Quttamiya. Ils demandent la création d'un syndicat dans l'usine, ce que la direction leur a toujours refusé.

À Suez, plus de 1 000 ouvriers de la société Nationale de métallurgie, Misr National Steel company, déclenchent une grève pour des augmentations de salaire, en expliquant qu'ils n'ont pas reçu la moindre prime depuis des années et que le salaire moyen dans l'entreprise n'excède pas 600 LE51 . Environ 2 000 jeunes chômeurs se sont réunis devant la société du pétrole afin de demander des embauches.

Mercredi 09 février

Des manifestants à Port-Saïd, une ville de 600 000 habitants, ont mis le feu à un bâtiment officiel, se plaignant que les responsables locaux ont ignoré leur revendication pour de meilleurs logements.

3 000 manifestants se rassemblent au Caire à l'appel d'un syndicat d'avocats.

5 000 jeunes chômeurs prennent d'assaut le siège du gouverneur dans la ville d'Assouan, demandant sa démission.

Les ouvriers du Canal de Suez continuent leur grève, cependant il faut noter qu'aucun blocage de navire n'est signalé.

Quelque 3 000 employés de la Société de chemin de fer égyptienne, les Egyptian National Railways (ENR), démarrent une grève afin de soutenir leurs revendications auprès du ministre. Ils occupent les voies, causant de nombreux retard ou blocage de trains, menaçant de ne quitter les lieux qu'après avoir reçu satisfaction. Une source officielle au ministère des Transports affirme que l'ENR a reçu des instructions de répondre favorablement à toutes les demandes et de sortir du conflit de manière pacifique.

1 000 ouvriers de Petrotrade Co (Compagnie Egyptienne pour la commercialisation du pétrole) déclenchent de manière sporadique des manifestations dans les différentes branches de la compagnie au Caire. Ils sont rejoints par les ouvriers de Petroment et Syanco des sociétés pétrolières. Ils demandent des augmentations de salaire, des emplois non précaires. Les manifestants organisent des sit-in dans les usines de Petrotrade Co d'Abdeen, de Maadi, de Masr City, de Haram et de Faisal ; les rassemblements à Haram et Faisal totalisant 1 500 personnes. Ils demandent que leurs salaires mensuels qui sont aux alentours de 300 à 700 LE soient portés à 3 000 ou 4 000 LE.

Plus de 2 000 travailleurs de la Sigma Pharmaceutical Company, située à Quwasnah, sont toujours en grève.

Jeudi 10 février

Les grèves et manifestations continuent malgré les promesses du gouvernement égyptien nouvellement formé d'augmenter les salaires du secteur public ainsi que les retraites d'au moins 15 %, ce qui est une des mesures destinées à désamorcer la colère des manifestants.

100 ouvriers des tunnels, bloquent l'entrée du tunnel Saleh Salem, interrompant ainsi, aux alentours de midi, un axe majeur de circulation pour demander de meilleurs contrats de travail.

Jusqu'à 3 000 employés de la compagnie Nationale de pétrole et de gaz dans la ville d'Alexandrie au nord du pays démarrent une grève sur les salaires ainsi que sur les conditions de travail.

Environ 150 employés précaires de l'aéroport du Caire demandent des contrats à durée indéterminée et de meilleures conditions de travail.

Les employés et les travailleurs de l'Autorité des transports publics démarrent une manifestation en face de leur siège principal situé à Gabal el Ahmar dans la région du Caire. Des centaines revendiquent en chantant de meilleurs salaires, des primes, une caisse d'assurance maladie. « Nous n'avons rien en commun avec la place Tahrir et nous n'avons pas de revendications politiques. Nos revendications sont avant tout axées sur les salaires et les primes. » dit un chauffeur. Un conducteur de bus, en grève au dépôt de Shubra Mazala, brandit sa fiche de paye pour montrer son salaire ridicule de 342 LE, soit 58 dollars par mois.

Des centaines de médecins en blouse blanche descendent dans la rue, depuis l'hôpital Qasr El-Aini vers la place Tahrir, en chantant « Ô Égyptien, rejoins-nous ».

Les salariés de l'usine textile Misr Spinning and Weaving – qui emploie 24 000 personnes à El-Mahalla El-Koubra - cadenassent les bâtiments et se rassemblent en face des bureaux de l'administration en solidarité aux occupants de la place Tahrir et pour demander l'instauration d'un salaire minimal.

Dimanche 13 février

« Les grèves se propageaient comme un feu de forêt » dit Mohamed Mourad, un travailleur des Chemins de Fer du Comité de coordination des libertés et des droits, un groupe qui couvre des organisations ouvrières de Assouan dans le sud à Alexandrie sur le bord de la méditerranée.

Les travailleurs de Misr Spinning and Weaving, suspendent leur grève dans un geste de soutien à la révolte qui vient de déchoir Hosni Moubarak mais vont continuer à demander des salaires plus élevés.

Plus de 400 travailleurs d’une usine de fabrication de machines à filer, dans le gouvernorat de Hélouân, sont en grève. Ils réclament un relèvement des primes annuelles et le rattrapage des passages aux échelons supérieurs qui sont gelés.

Environ 700 travailleurs de l'usine Coca-Cola de Nasr City reprennent leur grève. Ils réclament l’intégration des intérimaires ainsi que des augmentations pour compenser l'inflation.

À Misr-Iran, une entreprise du textile, 2 400 ouvriers font un sit-in pour réclamer la démission du comité de direction de l'entreprise.

À El Mahalla, les salariés, en majorité des femmes, d'un des fabricants de tapis les plus importants, poursuivent leur grève pour la hausse du salaire minimum.

Dans un grand mouvement général allant des employés des institutions financières d'État du Caire aux dockers d'Alexandrie, les travailleurs, par des débrayages, des blocages imposent à la Banque Centrale de déclarer lundi 14 février, jour férié.

Lundi 14 février

L'armée égyptienne appelle à une journée de solidarité, demande instamment aux travailleurs égyptiens de tenir leur rôle en faisant redémarrer l'économie et critique les grèves après que de nombreux employés se soient distingués dans des manifestations pour de meilleurs salaires. C'était le cinquième communiqué de Haut conseil militaire qui a pris le pourvoir.

Un militant ouvrier explique : « C'est la deuxième phase de la révolution, lorsque la classe ouvrière fait venir la place Tahrir à l'intérieur des usines. »

Environ 150 travailleurs du secteur du tourisme manifestent ce lundi au pied des grandes pyramides pour des augmentations de salaire.

La Banque centrale d'Égypte a demandé aux banques commerciales de maintenir leurs agences fermées ce lundi suite à la grève qui touche les banques tenues par l'État.

Au Caire, des milliers de travailleurs manifestent devant la Fédération des syndicats égyptiens pour demander la démission de son chef le très impopulaire Hussein Megawer, ainsi que du comité de direction qu'ils accusent de corruption.

Au moins 3 000 travailleurs de l'autorité des transports publics continuent leur mouvement au cinquième jour de grève. Ils réclament le licenciement de la direction et de meilleurs salaires.

À l'Opéra du Caire, le personnel demande le départ du directeur accusé de corruption et de ne pas tenir compte des demandes des employés pour de plus hauts salaires.

Les employés de l'hôpital Qasr al-Aini, sont sortis en bloquant la circulation d'une artère majeure de centre du Caire.

Dans la ville de Gizeh, des centaines d'ambulanciers ont manifesté pour demander des augmentations ainsi que des emplois non précaires. Soixante-dix ambulances ont été stationnées dans la rue, le long du Nil, sans toutefois bloquer la circulation.

À Alexandrie, des milliers d'employés de banque, d'hôpitaux, de magasins d'État, d'usines continuent leur grève pour la troisième journée.

À Kerdassa, au sud de la capitale, plus de 5 000 ouvriers d'une importante usine textile démarrent un sit-in pour de meilleures conditions de travail. Ils demandent aussi des contrats à durée indéterminée en remplacement de leurs contrats précaires.

Dans la province de Qaliubiya, dans le delta du Nil, les agents de circulation ont refusé de travailler pour réclamer des salaires plus élevés.

Dans la province de Beni Sueif, des milliers de résidents manifestent devant le siège du gouvernorat pour demander des logements plus décents.

À l'hôpital spécialisé dans le cancer de la ville d'Assouan, le personnel médical a refusé de travailler en solidarité à leurs collègues dans des conditions précaires.

Mardi 15 février

Les militaires envoient des textos sur tous les téléphones mobiles d'Égypte, qui exhortent les travailleurs à faire les bons choix. Un de ces mini-messages disait : « Certains secteurs qui organisent la contestation, malgré le retour à la vie normale, compromettent notre progression »

Des milliers de travailleurs des secteurs de la banque, du textile, de l'industrie alimentaire, du pétrole, de l'administration sont toujours en grève. Le prix de la nourriture, des boissons qui représentent 44 % du panier utilisé pour mesurer l'inflation a bondi sur une année à 18 % en janvier, alors qu'il était à 17,2 % en décembre. Ceci était avant la crise. Les Égyptiens affirment que les prix ont augmenté depuis. Le nouveau cabinet mis en place a d’ores et déjà promis de maintenir les produits subventionnés, d'augmenter certains salaires dans le public ainsi que les retraites de 15 %.

1 500 employés de l'entreprise Tenth of Ramandan City, qui en compte 6 000, ont démarré une grève.

Lecico, un fabricant de céramique, fait état d’interruptions de production sur les deux semaines et demie passées. Il a accepté d'augmenter les salaires et les aides après une grève de deux jours. La productivité a baissé de 30 % sur les deux dernières semaines et l'activité commerciale et d'exportation s'est arrêtée pendant 8 jours.

Mercredi 16 février

Hussein Megawer, le secrétaire général la Fédération Egyptienne des syndicats (Egyptian Trade Union Federation), a appelé à terminer les actions sur les lieux de travail, a demandé aux syndicats « d’entreprendre un dialogue avec les travailleurs afin de comprendre leurs problèmes et revendications.[../..] dans le but de mettre un terme aux grèves. »

Plus de 12 000 ouvriers de la Misr Spinning and Weaving reprennent la grève. À Damiette, environ 6 000 ouvriers du secteur du filage et tissage débrayent aussi.

Sinaï Cements (entreprise de production de ciment) a déclaré que ses profits seront affectés par la fermeture des banques et ASEC Cements, une entreprise du fond d'investissement Citadel Capital, affirme que ses sous-traitants ont des problèmes avec les grèves et que cela perturbe ses plannings.

Les employés du Bureau central de l'Audit ont fait un sit-in pour réclamer la totale indépendance vis-à-vis de l'État. Les salariés demandent des changements dans la gestion, des promotions ainsi que des primes entre autres revendications.

Environ 2 000 employés du ministère de la Main-d’œuvre ont protesté contre la corruption et demandent des primes des frais de transport forfaitaire de 200 LE.

À Ismaïlia, des employés du gouvernement des ministères de l'Irrigation, de l’Éducation, la Santé protestent devant les bâtiments de la direction de province pour demander des « salaires plus justes ».

La Banque Centrale égyptienne a résolu de prendre toutes les mesures nécessaires afin que les revendications légitimes des employés de banques soient satisfaites.

À Port-Saïd, environ 1 000 personnes ont manifesté pour demander la fermeture d'une usine chimique qui enfouit ses déchets dans un lac proche de la ville.

Jeudi 17 février

Le transport par voie ferrée en Égypte est perturbé par les conducteurs qui veulent obtenir une prime de 30 % déjà en vigueur dans les autres branches du transport et qui a été approuvée par le Ministère du Transport.

Plus de 600 travailleurs des ateliers de maintenance du métro, à Tora, au sud du Caire, ont empêché les rames de s'arrêter à cette station afin d'obtenir des contrats de travail à durée indéterminée au lieu des contrats temporaires.

Environ 1 500 travailleurs de l'Autorité du Canal de Suez participent, dans trois villes, à une agitation afin d'obtenir de meilleurs salaires et une assurance santé. Les salariés y compris les techniciens et les administratifs se sont massés devant les bâtiments officiels du gouvernorat à Ismaïlia, Suez, et Port Saïd.

Quelqu[s]e[/s] 20 000 ouvriers de la Mahalla Textile, une entreprise gérée par l'état, se mettent en grève pour l'amélioration de leurs conditions de travail, pour plus de droits, et pour les salaires. Les travailleurs ont annoncé une grève illimitée et s'opposent aussi à la corruption administrative.

Dans un communiqué, les ouvriers en grève de Mahalla el-Kobra, affirment qu'ils refusent désormais d'être dans un syndicat contrôlé par l'État, mais qu'ils allaient plutôt intégrer la nouvelle Fédération Egyptienne des syndicats indépendants, qui a été créée le 30 janvier.

Mahalla Textile Company :

« Nous sommes dans une révolution et la révolution, comme ils disent, purge les leaders corrompus », explique Faisal Naousha. Cet homme trapu et moustachu de 43 ans est l'organisateur d'une lutte qui selon ses dires a fermé l'usine de la Misr Spinning and Weaving à Al-Mahalla el-Kubra. « La grève continue [../..] La direction militaire nous a rencontrés et nous lui avons donné la liste de nos revendications. »

Une augmentation de salaire est une revendication clé. « Les salaires des travailleurs à Mahalla sont insignifiants » dit Ibrahim, qui a 35 ans et qui travaille dans l'usine depuis 14 ans. Naousha dit que les ouvriers touchent par mois entre 400 et 1 000 LE (68 et 170 dollars) mais réclament des salaires allant de 1 200 à 2 500 LE (204 et 425 dollars). En plus de faire la grève en solidarité avec les anti-Moubarak les ouvriers de l'usine Misr Spinning and Weaving ont dit être directement impliqués dans le mouvement. Les ouvriers « travaillaient » puis « manifestaient », raconte Tantawi, qui grillait et distribuait librement des cigarettes Cleopatra produites localement.

Samedi 19 février

Environ 300 manœuvres de la mine d'or de Sukari près de Marsa Alam, ville située sur la côte de la Mer rouge, ont démarré une grève de la faim. Ils mettent en cause les salaires de misère, l'augmentation du temps de travail, des coups bas de la direction, ainsi que la précarité dans laquelle la direction les maintient par des contrats de travail à durée limitée.

 Environ 15 000 ouvriers de la Misr Spinning and Weaving tiennent un sit-in, pour la quatrième journée, en face des bâtiments de l'administration et ont refusé d'arrêter leur action avant que leur principale revendication de se débarrasser de la direction de l'entreprise ne soit satisfaite.

Lundi 21 février

La contestation ouvrière dans le secteur de l'électricité augmente. Les ouvriers dans 7 centrales électriques ont organisé des sit-in. Les techniciens, employés administratifs ont organisé des grèves dans la centrale de Nubariya dans le gouvernorat de Beheira, Tebbin et Karimat, à Hélouân, Abu Sultan en Ismaïlia et Oyaoun Moussa et Ataga, près de Suez. Ils ont préféré l'action basée sur le sit-in afin de ne pas arrêter le travail des secteurs vitaux.

L'usine Kaft al-Battikh de Damiette connaît aussi bon nombre de manifestations de moyennes importances revendiquant des contrats à durée indéterminée. Ils demandent des primes de risques ainsi que des aides au logement, l'augmentation de leur salaire de base ainsi que la promotion à un échelon qui corresponde à leur niveau de qualification obtenu dans l'usine.

Mardi 22 février

Le Vice-Président de l'entreprise textile Misr Fine Spinning and Weaving, située à Kafr al-Dawar, Raafat Geneidi, est décédé après que des milliers d'ouvriers d'usine en colère ont pris d'assaut son bureau, mardi.

Les ouvriers de l'entreprise ont démarré la contestation, ils demandent la démission du conseil des directeurs et du conseil syndical. Ils réclament aussi la démission des conseillers de l'entreprise ainsi que le départ de ceux qui ont dépassé l’âge légal de la retraite.

Mercredi 23 février

Un groupe d'officiers de police, qui manifestaient après avoir été licenciés, mercredi, ont mis le feu au bâtiment du ministère de l'Intérieur au centre du Caire. Les forces de l'ordre font un cordon autour du ministère alors que les manifestants hurlaient des slogans appelant à être réintégrés. Des officiers de police ont, les jours précédents, déjà manifesté devant le bâtiment pour demander des salaires plus élevés. Certains s’étaient plaints d'avoir été mis à la porte de manière arbitraire.

1 800 ouvriers des sociétés South Valley Agricultural Development ainsi que de la Ramses Agricultural Services, à Toshka déclarent se mettre en grève mercredi, menaçant de mettre le feu aux locaux de leur société si leurs revendications n'étaient pas satisfaites. Des ouvriers de la compagnie d'électricité East Delta continuent de manifester pour demander le départ du responsable du département de production qu'ils accusent d'avoir licencié de manière arbitraire nombre d'entre eux.

Les enseignants recrutés sur contrats précaires par le ministère de l'Education ont manifesté pour demander de vrais contrats de travail ainsi que des augmentations de salaire.

Devant les locaux de la direction des Chemins de fer (National Railways Authority), quelque 300 employés licenciés manifestent pour demander leur réintégration. Dès que leur présence est signalée, un véhicule militaire vient défendre le bâtiment.

1 500 ouvriers de l'usine de Loqma Pipes, prennent 50 managers en otage afin de contraindre le PDG, Ahmed Abdel Azim Loqma, d'attribuer des augmentations de salaire ainsi que des primes.

Des ouvriers de l’aéroport international du Caire ainsi que de la compagnie de Coton du Nil demandent des primes ainsi que de meilleures conditions de travail.

À Qena, 400 salariés de la société Hebi Pharmaceutical bloquent l'autoroute. Ils affirment ne pas avoir reçu d'augmentations depuis plus de deux ans

À Sharqiya, les salariés de Hakim Plastics parviennent à bloquer l'autoroute Le Caire- Ismaïlia pendant trois heures avant que les forces armées n'interviennent pour les disperser.

Les employés de banque appartenant à l'United Bank, la Bank for Development and Agricultural Credit ainsi qu'à la Misr-Iran Development Bank organisent un sit-in.

Environ 700 employés de l’United Bank font un sit-in pour demander plus d'argent et accusent leur président de les ignorer et de refuser de répondre à leurs demandes.

Les employés de nombreuses branches de la Bank for Development and Agricultural Credit manifestent devant le siège pour soutenir leurs revendications.

Parmi les revendications des salariés de la Misr-Iran Development Bank, on trouve plus de salaire et une assurance santé.

Les salariés de la Misr Spinning & Weaving Company obtiennent partiellement satisfaction : « Nos revendications les plus importantes ont été satisfaites, et nous sommes très heureux de cela » dit Fayomy, un électricien de 47 ans et un des 10 membres du comité qui a négocié l'arrêt de cette courte grève avec le gouvernement.

Jeudi 24 février

Des centaines de mineurs à l’oasis d’Al-Bahariya font des sit-in pour protester contre les conditions de travail déplorables.

À Port-Saïd, des centaines de résidents du village de Radwan demandent l'ouverture d'une enquête sur des transactions immobilières frauduleuses concernant la vente de terrains alloués aux étudiants dans le cadre d'un projet destiné aux jeunes étudiants lancé par Moubarak.

À Beni Suef, 1 000 personnes dont des étudiants, des ouvriers et des enseignants, manifestent pour le second jour devant les bâtiments du ministère de l'Education.

Des dizaines de résidents du village de Nadha, dans la province d’Amriaya, manifestent devant une usine produisant du carbone. Ils se plaignent des nuisances dues à l'émission de poussières dans l'air.

À Suez, environ 1 200 ouvriers de l'aciérie Egyptian and national steel company bloquent la route reliant Al-Adabiya à Ain Sokhna. Les ouvriers de Egypt Amiron company for steel pipes continuent, eux, leur sit-in devant les bâtiments de la direction pour la quatrième journée consécutive.

Dans la province de Kafr al-Sheikh, les chauffeurs de bus de la ville de Desouk, se mettent en grève pour dénoncer le coût croissant de leur assurance.

Dans la province de Dagahlia, 1 500 paysans manifestent contre le ministère des Affaires religieuses qui a, de manière illégale, vendu aux enchères à des hommes d'affaires des terrains qu'ils louaient depuis des dizaines d'années.

À Damiette, des dizaines d'employés du département santé de Farsco et Zarkaa manifestent pour des primes plus élevées, une remise à plat des salaires, et le départ du directeur financier.

À Menoufiya, 50 femmes des familles des prisonniers de la centrale de Chibin al-Kom[s],[/s] manifestent pour la libération des leurs ou pour l'octroi d'autorisation de visite.

À Qalyoubia, environ 300 automobilistes prennent d'assaut le bâtiment officiel du gouvernorat. Ils détruisent le portail d'entrée, montent au deuxième étage et encerclent les bureaux du gouverneur.

À Assouan, 700 travailleurs de la compagnie minière Al-Nasr, à Edfou, présentent un mémorandum au syndicat général des mineurs, l’Egyptian Trade Union Federation, et à la Holding Company for Mining Industries, exigeant le retrait de la confiance accordée au président du conseil et aux employés du comité syndical. Les travailleurs exigent un nouveau comité administratif temporaire composé de travailleurs.

[H6]Samedi 26 février[/h6]Un groupe de militants ouvriers se rencontre pour créer la « Coalition des travailleurs de la révolution du 25 janvier ». Dans un communiqué, la coalition - à laquelle appartiennent Khaled Ali chef du centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, Saber Barakat, ainsi que d'autres chefs de file ouvriers – affirme le droit absolu des travailleurs à restaurer leurs droits, à faire grève, à manifester pacifiquement et à lutter contre la corruption dans leurs équipes ainsi que dans les syndicats.

Le communiqué appelle aussi à l'abolition de la loi d'urgence, la libération immédiate de tous les prisonniers politiques, le démembrement des forces de sécurité d'État, ainsi qu’à des poursuites judiciaires à l'encontre des officiels responsables de répression et de torture.

Les journalistes de l'agence d'État, Middle East News Agency (MENA) ont décidé de créer un comité « des sages », afin de définir une nouvelle ligne éditoriale ainsi que d'élire un nouveau président et un nouveau directeur de rédaction.

Les journalistes du journal Al-Osbou continuent leur sit-in devant le siège du syndicat des journalistes pour le deuxième jour.

Les journalistes du journal Al-Ahram continuent de contester la ligne éditoriale de leur journal et remettent en cause le choix des personnes nommées par le président. Ils insistent pour élire les directeurs de rédaction eux-mêmes. Dans la plupart des médias, les employés accusent leur direction de corruption.

Dimanche 27 février

Les villageois de Rumeia bloquent l'autoroute Assiout-Le Caire pendant quatre heures et mettent le feu à des pneus, blâmant le gouvernement pour n'avoir pas empêché les boulangeries de vendre de la farine subventionnée au marché noir.

À Manfalout, l'une des principales villes du gouvernorat d’Assiout, quelque 2 000 employés municipaux et travailleurs se mettent en grève exigeant des conditions de vie meilleures et accusant des hauts fonctionnaires de corruption. Des manifestants en colère mettent le feu au siège du Parti National Démocratique dans la ville.

Les travailleurs de la Cairo Pharmaceuticals and Chemical Industries de Choubra commencent à protester, demandant la révocation du conseil d'administration de la compagnie ainsi que certains chefs de secteur qu'ils accusent de corruption. Ils disent aussi qu'ils veulent des contrats permanents et des bonus plus importants.

Lundi 28 février

Les travailleurs d'un certain nombre de sociétés appartenant au gouvernement dans l'importante ville industrielle d'Hélouân, au sud du Caire, continuent de protester à propos de leur paye, des conditions de travail et de la corruption.

Plus de 1 500 travailleurs de l'Organisation arabe pour l'industrialisation poursuivent un sit-in au siège de la société pour le deuxième jour consécutif. Les travailleurs de la Al-Nasr Company for Coke and Chemicals déclenchent une grève pour demander la démission de leur conseil d'administration, la punition des fonctionnaires qui ont causé le déclin de l'entreprise et l'amélioration de leur situation financière.

[H6]Mardi 01 mars[/h6]Environ 1 000 ouvriers et employés des Cairo Pharmaceuticals and Chemical Industries, à Shoubra, entament un sit-in. Pendant ce temps, plus de 300 travailleurs de Samuel Tex, un fabricant de draps, annoncent une grève pour réclamer le paiement de leurs salaires, de meilleurs salaires, des horaires fixes, et les jours officiels de congé comme indiqué dans la loi.

[H5]Dimanche 03 avril[/h5]Environ 7 000 travailleurs sous-traitants de l’Autorité du Canal de Suez mènent une grève jusqu’à ce que leurs revendications soient satisfaites. Ils réclament la parité avec leurs collègues en CDI.

[H5]Jeudi 07 avril[/h5]Les travailleurs de la Arab Company for Radio Transistor and Electronic Appliances (Telemasr) ont protesté après la fermeture de l'usine par les propriétaires et ont imposé le payement d'un mois de congés. Il y avait encore 3 000 employés dans les années 1990 et il n’en reste que 200.

[H5]Lundi 11 avril[/h5]Les employés de quatorze centrales électriques ont entamé une série de grèves pour pousser à l'élimination des responsables du ministère impliqués dans la corruption et contre la dilapidation des fonds publics qu’ils disent endémique.

[H5]Jeudi 14 avril[/h5]Des dizaines de travailleurs de la Al-Nasr Automotive company au Caire ont organisé une manifestation pour demander au gouvernement de tenir sa promesse de payer le reste de leurs primes de retraite anticipée. Plus de 3 100 travailleurs de l'entreprise ont été contraints d'accepter des régimes de retraite anticipée entre 2005 et 2010. La compagnie a cessé toute production il y a trois ans.

[H5]Du 11 au 17 avril [/h5]Au Caire, 200 employés de l'Autorité fiscale ont organisé des manifestations, exigeant des salaires et des primes correspondant à leurs qualifications.

À Gharbiya, 1 200 travailleurs de la Financial and Industrial Company ont manifesté pour de meilleurs salaires et avantages, tandis que 350 travailleurs de la Chipsy Company, à Monufiya, ont organisé des manifestations pour les mêmes raisons.

Les travailleurs de la Shebin El-Kom Textile Company de Menoufiya, au nord du Caire, ont repris leur grève après une suspension de deux jours la semaine dernière suite à un accord entre les travailleurs et la direction de l'entreprise. Ils accusent l'entreprise de tenter de manipuler les travailleurs licenciés, les forçant à signer des lettres de démission en disant que cela va permettre à leurs collègues de retourner au travail. La direction a appelé les forces armées dans l'usine le 6 avril, tandis que les travailleurs cherchaient à reprendre leur sit-in.

Les travailleurs de la Shebin El-Kom Textile Company ont tenu un sit-in de 35 jours pour protester contre les tentatives de la direction indonésienne d’élimination de la main-d'œuvre et de démantèlement des usines afin de réutiliser les 152 acres de terrain sur lesquels se trouve l'usine. Maintenant, ils disent qu'ils ne mettront pas fin à leur sit-in tant que toutes leurs revendications ne seront pas satisfaites.

[H5]Samedi 23 avril[/h5]Environ 4000 travailleurs ont entamé une grève ensemble avec le directeur d'une usine dans la ville industrielle de Mahalla, pour protester contre la hausse des prix du coton.

Premier témoignage52 :

Depuis Al Mahalla Al Kubra, Égypte

Le grondement des machines à tisser industrielles se fait à nouveau entendre à l'intérieur de l'usine Misr Spinning & Weaving Co. dans cette ville du delta du Nil, entourée de gravelles, célèbre pour ses textiles. Les ouvriers s'écoulent autour de tanks de l'armée et de fil barbelé pour reprendre la production de tissus de coton et de laine après une grève sauvage de quatre jours.

C'est une bonne nouvelle pour les ouvriers du textile têtus, comme Kamal Mohamed Fayomy – et également pour les dirigeants militaires luttant pour empêcher les ralentissements de l'économie égyptienne au lendemain du soulèvement national, qui a renversé le Président Hosni Moubarak après trois décennies de pouvoir.

« Nos demandes les plus importantes ont été satisfaites, et nous en sommes très heureux », a dit Fayomy, 47 ans, électricien et membre d'un comité de 10 ouvriers qui négocièrent la fin de la courte grève avec le gouvernement cette semaine.

Alarmés par une manifestation avec sit-in, dans une ville industrielle avec une longue histoire d'agitation ouvrière, les dirigeants militaires avaient, au début, menacé d'employer la force pour arrêter la grève dans le complexe industriel appartenant à l’État. Au lieu de cela, le Conseil suprême des forces armées accepta rapidement certaines revendications ouvrières sans recourir à la violence.

Et cela, a indiqué Fayomy avec satisfaction, a donné un nouvel espoir à un mouvement ouvrier longtemps dominé par l'écrasant contrôle du gouvernement. Les militaires ont satisfait une des demandes principales des ouvriers et ont licencié le directeur d'usine, accusé de corruption. Les ouvriers de cette entreprise d’État ont également reçu une augmentation de salaire mensuel de 25 %.

« Et nous avons été payés pour les quatre jours où nous étions en grève », a indiqué Fayomy, rayonnant alors qu'il énumérait les concessions du gouvernement.

La résolution rapide d'une grève potentiellement dévastatrice fut un rappel que l'agitation ouvrière est une question-clé dans une Égypte cherchant un retour à la normale après le chaos du soulèvement.

« Disons seulement qu'un accord politique a été trouvé. Cet accord était important pour les deux parties », dit Hamdy Hussein, un socialiste qui dirige l'agence de défense du travail Afak, affiliée au Parti communiste, depuis un bureau étroit au-dessus d'une rue pleine de détritus.

Al Mahalla Al Kubra53 , où habitent plus de 100 000 ouvriers répartis dans 3 000 usines textiles, est devenu un foyer d'agitation, il y a trois ans, pendant plusieurs semaines. Une grève ici, le 6 avril 2008, a donné naissance au mouvement de la jeunesse égyptienne après que des vidéos de la police attaquant des ouvriers se sont répandues à travers le pays et le monde, grâce à YouTube et Facebook.

Les protestataires ont saccagé Mahalla après que la police a tiré et tué au moins deux personnes. Leur acte le plus symbolique fut d'arracher et piétiner un portrait de Moubarak, dans la place centrale – un acte rare de défi en public.

« Nous avons cassé le tabou des lois d'exception interdisant les rassemblements et les manifestations », dit Fayomy, qui a été arrêté deux fois pour militantisme au travail.

Clairement, les militaires ne voulaient plus de conflit du travail, à l'usine de Misr, en raison de sa capacité d'entraînement. Misr est la plus grande usine de textile en Égypte et une pièce maîtresse d'un secteur qui représente plus qu'un quart de la production industrielle du pays. Environ 15 000 ouvriers sur les 24 000 de l'usine ont rejoint la grève sauvage.

« Une grève ici capte vraiment l'attention du gouvernement. Elle affecte les ouvriers à travers tout le pays », a dit Gamal Abu Ela, qui gère une autre fondation de défense du travail à Mahalla. Ela a indiqué que des jeunes organisateurs des manifestations de la place Tahrir ont conduit près de 100 km depuis le Caire, lundi, pour féliciter les meneurs de la grève.

Le gouvernement a accepté de satisfaire plus de « revendications ouvrières dès que le pays sera plus stabilisé », a dit Fayomy. D'autres ouvriers ont dit ne pas vouloir profiter de l'instabilité politique ou endommager davantage, par des demandes excessives, l'économie éclatée.

« Nous ne voulons pas gâcher la révolution en demandant trop dès maintenant », dit Faisal Lakosha, 43 ans, qui a travaillé pour l'entreprise pendant 19 années. « À un moment ou un autre, nous obtiendront ce qui nous voulons. »

Mohamed Mustafa Sabagh, un fonctionnaire de la Direction de la Main d’Œuvre du gouvernement, a dit « C'est une simple question de temps » avant que les revendications ouvrières soient satisfaites.

Les ouvriers sont censés gagner 1 200 livres égyptiennes (environ 205 dollars) par mois, mais les dirigeants syndicaux disent qu'ils sont réellement payés à peine un tiers de ce montent. Des primes spéciales compensent une partie de la différence.

Les ouvriers avaient exigé un doublement du salaire, une meilleure assurance-maladie, des crédits de formation et une hausse des compensations pour les repas et les transports. Mais ils ont dit que se débarrasser du directeur d'usine, Fouad Abdel Alim Hassan, était plus important maintenant qu'obtenir plus d'avantages.

Une fois Hassan parti, la gargantuesque usine de Misr a rugi d'une vie nouvelle cette semaine. S'étirant sur des blocs entiers, l'usine est une ville dans la ville et est connue localement comme le « château industriel ». Protégée par de hauts murs en béton et du fil barbelé, elle contient des mosquées, un hôpital et des logements de salariés.

En dehors des murs, la ville vibrait de commerce. Les colporteurs criaient le prix des oranges et des tomates, les femmes vendaient des poissons depuis des étals en bord de route, et les mendiants demandaient des pièces de monnaie dans les maisons de thé couvertes de chiures de mouche. Les négociants montraient des rouleaux brillants de tissu coloré, et des robes de mariée blanches accrochées à côté de carcasses de vaches sanglantes pendues à des crochets.

Mahalla est une ville morne et ouvrière, d'un demi-million d'habitants, entourée par des fermes aux champs verts et étouffée par une couverture de smog gris. En raison de ses ouvriers du textile politiquement actifs, elle est vue avec méfiance par les autorités au Caire.

Fayomy et d'autres meneurs de grève ont dit vouloir une réforme politique tout autant que des améliorations pour les ouvriers – non seulement dans Mahalla mais dans toute l’Égypte.

Fayomy a dit que les ouvriers garderaient la pression sur le gouvernement militaire, afin qu'il honore ses promesses, parce qu'ils se méfient des « mêmes tours que le vieux régime ». Pour le moment, cependant, les ouvriers semblent plus disposés à prendre le gouvernement au mot.

« La révolution est encore en marche », a dit Hussein, un militant, qui a été arrêté plusieurs fois. « Si les militaires ne tiennent pas leurs promesses, nous retournerons en grève ».

Deuxième témoignage:54

En dehors des portes de l'usine étatique de textile Ghazl d'Al-Mahalla, les employés en colère ont échangé le tissage contre la protestation face au canon d'un tank.

Sous le regard fixe du soldat, à l'air ennuyé, de la tourelle, une masse d'ouvriers a protesté à l'occasion d'une des nombreuses grèves post-révolutionnaires qui ont éclaté dans les entreprises et les bureaux gouvernementaux à travers le pays.

Elsaid Habib, un retraité qui a travaillé 43 ans dans l'entreprise, déclare : « La révolution nous donnera plus de levier contre les dirigeants d'entreprise. Peut-être ne savent-ils pas faire tourner les affaires – mais nous demandons nos droits ».

L'agitation est un emblème de ce que beaucoup voient comme les échecs d'une politique industrielle mal gérée durant le règne de 30 ans du président Hosni Moubarak, et qui doit être révisée pour que le nouvel ordre politique du pays puisse également apporter la prospérité économique.

Avec son mélange de grandes entreprises gouvernementales sclérosées, de mécontentement des salariés et de luttes contre les forces du marché mondial, l'industrie textile de la ville de Mahalla fait partie d'un malaise économique beaucoup plus large s'étendant après le renversement de Moubarak, ce mois-ci.

Dans la période fébrile avant et depuis la démission de l'ancien président, une vague des grèves a éclaté dans les lieux de travail s'étendant des hôpitaux aux hôtels. Effrayés par la manière dont les manifestations de rue de la place Tahrir au Caire semblent de plus en plus se fondre avec et se transformer en conflits industriels, les nouveaux dirigeants militaires du pays ont exigé que tous retournent au travail.

Il n'est pas étonnant de voir que Mahalla, un centre industriel du delta du Nil au nord du Caire, est l'un des lieux où l'ordre des militaires a été ignoré. La longue histoire d'agitation ouvrière dans cette ville inclut une grève en 2008 des ouvriers du textile dont la date – le 6 avril – est devenue le nom d'un des principaux mouvements d'opposition derrière le soulèvement contre Moubarak.

Dans une chambre donnant sur une des nombreuses ruelles de terre de la ville, les dix machines à coudre de Hany Matawea étaient encore occupées à produire des chaussettes – mais pas, dit-il, avec beaucoup de profit.

Luttant pour se faire entendre par-dessus le cliquetis des machines et la récitation coranique jouée par sa vieille radio FM/AM, il dit qu'avec le coût croissant des matières premières, il ne peut pas concurrencer les chaussettes chinoises se vendant pour 18 livres égyptiennes (3 dollars) la douzaine, qui est son coût de production.

Une partie du problème, dit-il, est la myriade d'impôts et de frais qu'il doit payer – 24 en tout – et la paperasse sans fin et les obstacles bureaucratiques auxquels il doit faire face. Il s'accroche à un petit signe positif qu'il a vu depuis le départ de M. Moubarak : les livraisons d'eau à son usine, autrefois bloquées par des fonctionnaires exigeant des papiers, sont maintenant autorisées.

« Je pense que, dans les prochains jours, les choses seront plus optimistes », dit-il.

Les difficultés de M. Matawea ont été comprises de ses employés, tels que Suleiman Abd El Latif, qui s'inquiète des deux choses qui peut-être préoccupent le plus les ouvriers égyptiens : les coûts de logement et l'augmentation des prix.

M. Latif dit qu'il gagne juste 20 livres par jour, comparé à un loyer mensuel de 300 livres, alors que son sandwich au haricot, pris au petit déjeuner, est maintenant à 75 piastres, 150 %de plus qu'il y a deux ans.

Il dit : « J'espère que le changement politique améliorera mes droits en tant qu'ouvrier – et j'espère qu'il m'aidera à vivre une vie meilleure ».

Ses plaintes sont amplifiées plusieurs milliers de fois parmi l'énorme main d’œuvre des entreprises textiles étatiques, où des années d'investissement par l’État n'ont réussi à amener ni une productivité et des bénéfices convaincants, ni un personnel heureux. Les gardiens de l'usine Ghazl disent qu'aucun cadre n'est disponible pour faire des déclarations.

Ghazl, comme ses concurrents industriels, lutte pour faire face à une montée subite des prix internationaux de coton de près de 45 % ; entre le début de l'année et la mi-février.

Hisham Ghida, cadre supérieur de MG, une entreprise familiale de lingerie, argue que le gouvernement est, même là, en partie responsable, parce qu'il aurait pu en diminuer l'impact en faisant plus pour favoriser la culture intérieure du coton.

M. Ghida dit que c'est l'un des points sur lesquels la révolution doit déclencher un changement d'approche économique – pas simplement dans le secteur étatique mal portant, mais parmi les entreprises privées qui avaient autrefois trop peur de faire campagne pour de nouvelles politiques, par crainte des représailles.

« Maintenant, nous devons être ensemble », dit-il. « La mentalité sera différente – celle des propriétaires et celle des travailleurs également ».

Analyse

Etapes

On peut diviser la chronologie des luttes ouvrières en trois étapes :

  • Du 8 février au12 février (chute de Moubarak) : irruption des ouvriers plus pendantles manifestations que par des grèves mais donnant le signal nécessaireaux classes dominantes pour remplacer Moubarak ;
  • Du 13 février au23 février (fin de la seconde grève à l’usine textile Misr Spinning andWeaving co.), la plus grande usine d’Égypte, avec ses 24 000ouvriers, à El-Mahalla El-Koubra) extension des grèves, blocages, dessit-in et des manifestations ;
  • Du 24 févrierjusqu’à maintenant (août 2011), consolidation des organisations (anciensou nouveaux syndicats contrôlés par leurs membres et les ouvriers) etrésurgence de quelques grèves.

Implantation

Les luttes ouvrières (grèves, manifestations, protestations, etc.) ont eu lieu évidemment dans les importantes zones industrielles, la région du grand Le Caire, la zone du canal (villes de Port-Saïd, Ismaïlia et Suez), Alexandrie et la région textile du delta du Nil (autour de El-Mahalla El-Koubra). En dehors de ces régions, les événements restent isolés (Assiout, etc.)

Composition de classe

Les ouvriers impliqués dans les grèves appartiennent à l’industrie principale de l’Égypte, le textile, mais pas seulement.

Certaines grandes entreprises du secteur public comme Egypt Telecom et SCÀ (Suez Canal Authority) furent touchées pendant quelques jours.

Dans les transports, le métro du Caire ne s’est pas arrêté même si les ouvriers de maintenance des ateliers de Tora firent grève. Les chemins de fer nationaux (dont dépend le métro du Caire) ont été touchés par une grève mais ne furent pas paralysés. Quelques ouvriers de l’aéroport du Caire firent grève mais pas longtemps.

Deux hôpitaux furent touchés et même si certains médecins ont participé, nous n’avons aucune donnée précise sur la composition des grévistes et l’organisation des grèves (au sujet de l’attitude des grévistes vis-à-vis des malades, par exemple).

Même des secteurs marginaux ont participé (chauffeurs d’ambulance, ouvriers de l’Opéra, guides pour touristes).

Revendications

Les revendications concernaient les besoins de base des ouvriers : salaires, structure de la paie, primes, santé, heures supplémentaires, mais aussi la transformation des contrats à temps partiel en CDI (preuve qu’être un ouvrier n’est pas une situation « garantie »). Il y a eu aussi beaucoup de revendications au sujet du renvoi de patrons accusés d’être corrompus. Et seulement deux cas de solidarité avec les manifestants.

Méthodes

Les revendications sont assez bien connues (tout du moins par grandes catégories) mais les informations sur les méthodes d’organisation ne sont pas légion sauf pour la grande usine textile à El-Mahalla El-Koubra pour laquelle nous savons qu’un comité de grève a organisé les discussions avec les patrons.

On se doit aussi d’être clairs sur ce que signifie sit-in et protestations. En général, un sit-in correspond à une courte grève (quelques heures) pendant laquelle les ouvriers restent à l’usine ou juste devant pour exprimer leur insatisfaction. Les manifestations peuvent être incluses dans des grèves mais peuvent aussi se dérouler en dehors du temps de travail. Ce fut le cas, par exemple, avant la chute de Moubarak pour les ouvriers des compagnies étrangères dans les zones de développement le long de canal de Suez. Travaillant en deux équipes, ils ont été capables de participer aux manifestations toute la journée sans pour autant être en grève.

Il y a eu quelques affrontements violents dans une usine et des blocages dans les rues ou d’une ligne de chemin de fer au Caire, mais en général, ce n’a pas été la caractéristique principale.

Succès et échecs

Une fois de plus, à cause du manque de données précises, nous ne pouvons pas écrire sur ce qu’a été le destin des grèves, à l’exception de la grande usine textile à El-Mahalla El-Koubra. Mais on peut concevoir que les actions des ouvriers ont consisté plus en des « bulles éruptives » qu’en une vague profonde, que des revendications simples furent satisfaites (renvoi d’un directeur, par exemple) et d’autres pas. D’un point de vue général, le constat est que les grèves et autres actions sont restées minoritaires pas seulement par le nombre, par rapport aux endroits où rien ne s’est passé mais aussi dans l’endroit où elles ont eu lieu (et même malgré l’absence de données précises). Encore une fois, la grève de la grande usine textile à El-Mahalla El-Koubra est l’exception : commencée le 10 février et ayant duré jusqu’au 13 février, lors de la première tentative, et recommençant du 16 février au 19 février. Dans le deuxième cas, le nombre de grévistes a commencé à 12 000 (50 % de l’effectif) et atteint 20 000 (83 % de l’effectif) : cela signifie que non seulement la grève était puissante dès le début mais qu’elle a été capable de s’étendre encore. Cela signifie une organisation des grévistes (des ateliers jusqu’au niveau de l’usine entière) avérée par l’existence d’un comité de grève de 10 membres en charge des négociations.

Au contraire, nous avons plein d’exemples de grèves débutant et restant minoritaires. Le cas des grandes entreprises (avec beaucoup de lieux de travail dispersés) comme SCÀ ou Egypt Telecom le montre. Dans le premier cas, les grévistes commencèrent et restèrent à 42 % (sur 16 000) et la grève ne fut pas capable d’aller plus avant et chez Egypt Telecom, les grévistes commencèrent et restèrent à 10 % (sur 55 000) et rien d’autre ne se passa. Évidemment, dans cette entreprise où les effectifs sont dispersés géographiquement (sur plus de 50 sites) et par catégories (installation, exploitation, maintenance, R & D, etc.), il est très difficile de s’organiser lors des premières tentatives surtout si l’entreprise est dirigée d’une main ferme par un directeur55 qui a été capable d’augmenter considérablement la productivité en réduisant les effectifs (9 000) et en réorganisant le processus de travail, pendant les dix dernières années, sans rencontrer une grande résistance des ouvriers.

À l’exception des secteurs où les ouvriers avaient déjà fait l’expérience des grèves et de l’organisation, les années précédentes (comme les ouvriers du textile en 2008), l’auto-organisation est dans son enfance et tout doit être découvert pas à pas ; les ouvriers ont besoin de s’entraîner par eux-mêmes lors de courtes escarmouches contre le capital avant de se lancer dans des mouvements plus importants. Il y a autre chose à prendre en compte en Égypte : les relations de travail entre les ouvriers et l’État ne sont pas similaires à celles des pays avancés et la répression féroce n’est jamais très loin. En février et mars, les ouvriers ont bénéficié d’une certaine « absence » de l’autorité de l’État (principalement de la police) qui a libéré leurs énergies. Mais l’État n’a évidemment pas disparu et cela conduit les ouvriers à consolider leurs nouvelles organisations fraîchement nées. Cela explique à la fois la création ouverte de nouveaux syndicats indépendants en même temps que des liaisons clandestines à la base. On ne doit pas oublier une autre chose : la puissance des Frères musulmans obscurcit l’avenir des ouvriers de nuages noirs tant que leur attitude ne sera pas claire vis-à-vis d’eux. Leur dernière prise de position connue est d’avoir condamné publiquement les grèves de 2008. Veulent-ils et sont-ils toujours capables de s’affronter aux grévistes dans les temps qui viennent ?

Il y a autre chose qui bloque l’avenir du mouvement ouvrier en Égypte : deux secteurs industriels ont été totalement absents ces derniers mois : les usines propriétés de l’armée et les grands hôtels des rivages de la Mer rouge. Qu’est-ce qui peut expliquer, dans le premier cas, que ces 80 000 ouvriers très qualifiés et dans le second cas, les 100 000 employés de ces grands hôtels « industriels » n’ont pas tiré avantage de la chute de Moubarak pour agir par des grèves ?

Certainement, pour les usines de l’armée, le niveau plus élevé des salaires et les meilleures conditions de travail, plus que n’importe où ailleurs en Égypte, en sont la cause mais est-ce suffisant pour expliquer au moins la passivité ? Quoique puissent être les raisons, si elles persistaient, ce serait un fardeau pour les prochaines tentatives des ouvriers.

CONCLUSION

REVENDICATIONS DÉMOCRATIQUES, LIBERTÉ ET COMMUNISME

Quel fut le déclencheur des événements?

Après les évènements de Tunisie, les personnes ont commencé à réagir d’abord contre les prix des produits et contre le régime de Moubarak identifié comme le responsable de tous les maux qui frappaient l’Égypte.

L’augmentation des prix de la nourriture et le chômage, particulièrement parmi les jeunes ont été à l’origine de ces explosions. Dans ces pays, les dépenses pour la nourriture par foyer représentent environ 40 % du total des dépenses. En 2010, le prix du blé en Égypte, qui en est le premier importateur mondial, a augmenté de 73 % et le maïs de 88 %. La viande, les fruits et les légumes deviennent inabordables pour bon nombre d'Égyptiens.

Mais sur ce début, une fois que les personnes se sont rassemblés sur la place Tahrir (pour la région du Caire), et à cause de la répression (le seul moyen choisi par le gouvernement) les personnes ont mis en avant la liberté comme objectif principal, la chute de Moubarak comme objectif immédiat et les manifestations quotidiennes comme moyens, faisant preuve ainsi d’une détermination courageuse payée par des centaines de morts. En dépit de leur forme violente, ces premières émeutes ont un caractère éminemment défensif. Façon de rappeler que l'exercice prolétarien de la violence n'est en rien synonyme d'offensive, ni et encore moins d'autonomie ouvrière.

Quelles furent les principales revendications ?

Les aspirations libertaires sont bien ancrées dans cette vague de révoltes populaires. Et pour cause. Les prolétaires savent pertinemment que toute protestation, même la plus pacifique, sera étouffée dans la violence par les États. Dans un premier temps, les exploités ont satisfait ce besoin essentiel en pratiquant les libertés auxquelles ils aspirent dans et par leurs propres luttes. Dans le combat indépendant, la parole se libère, l'organisation autonome peut s'épanouir et les individus développent toute leur capacité de socialisation. C'est uniquement sur ce terrain que la lutte des classes peut résorber et résoudre, dans le feu du combat, les aspirations libertaires les plus étendues de la société civile. Ce type d'approche est le seul apte à inscrire une ligne de démarcation avec la revendication démocratique bourgeoise.

Aucune formalisation des libertés individuelles et collectives dans le cadre de l'État n'est satisfaisante car l’État en est leur négation active. Le besoin d’expression de l’individu social et, à plus forte raison, des prolétaires indépendants, est découpé et encadré systématiquement par l’État. Cette opération de l’État représente une ligne de démarcation infranchissable qui ne tolère aucun marchandage ni arrangement. L’État, par son essence, définit le cadre de l’expression individuelle et collective du besoin de liberté. L’État exige que l’individu social lui délègue son sort et la satisfaction de ses besoins. Tout le contraire de l’aspiration à l’indépendance de l’individu social qui vise, par son mouvement de libération, à fonder lui-même directement, dans un environnement défini par la socialisation et la coopération productive, les contours de sa propre liberté et de celle de ses semblables. Ceci n’entraîne pas la conclusion que rien ne peut être acquis dans le cadre de l’État.

Les revendications démocratiques se placent à ce niveau : elles sont le résultat de la tentative de créer un terrain de compromis possible avec l’État. Portées souvent par les prolétaires indépendants, elles ne sont pas moins un leurre contre lequel les révolutionnaires doivent se dresser. La conception et la pratique des libertés singulières et collectives de l’individu n’ont de sens que si ce dernier assume pleinement son être social en contribuant à organiser la société autour du pilier de l’association pour la coopération productive libérée de la marchandise, de la valeur, du capital et, bien sûr, de l’État.

Tout mouvement qui tend vers la satisfaction autonome et collective du besoin de libertés s’engage sur le long chemin vers le communisme. En revanche, si ou quand l’aspiration libertaire dévie vers la revendication démocratique adressée à l’État, la perspective du communisme s’éloigne. La perspective du communisme s’efface même si des succès partiels sont remportés, comme dans le cas de l’élargissement ou du renforcement de la démocratie sociale (les fameux acquis des luttes trade-unionistes). L’échange que l’État est amené de façon récurrente à proposer aux insoumis et aux prolétaires est de cesser l’agitation et la construction d’un ordre nouveau contre la satisfaction de certaines revendications.

En matière de libertés, il leur offre le droit, sous haute surveillance, de délégation et de députation. Il exige pour cela que l’individu accepte de troquer sa créativité et son originalité pour la conformation, son être social pour une représentation politique tronquée, son potentiel de coopération productive pour l’acceptation de la discipline de l’usine, son besoin de libre association pour la soumission aux règles du capital, son individualité pour le nivellement.

D’un côté, il serait enfantin et finalement contre-productif de nier ces avancées partielles mais, d’un autre côté, on ferait preuve d’aveuglement en n’en voyant pas, en elles, un élément potentiel de restauration de l’ordre du capital. Face à un dilemme de cette nature, le seul critère à retenir, le seul facteur qui détermine le jugement des révolutionnaires est identique à celui qui leur inspire toute fin d’un combat ouvrier défensif : le degré d’organisation autonome acquis par les minorités révolutionnaires au travers de ces luttes.

Dans le même ordre d’idées, il serait stupide d'écarter d'un revers de main l'opportunité offerte ponctuellement au prolétariat par le desserrement de la dictature du capital et de son État, y compris quand elle se cristallise en une assise démocratique bourgeoise. Le rejet d'une attitude indifférente vis-à-vis de changements institutionnels et constitutionnels démocratiques ne doit cependant pas aller jusqu'à soutenir directement ou indirectement le processus de restructuration de l'État. Tout en prenant toutes les positions qui favorisent son organisation et ses luttes, il est nécessaire pour la classe ouvrière de ne pas oublier que c'est juste un moment dans la lutte de longue durée pour écraser le capitalisme. La boussole qui doit servir à la classe ouvrière est de toujours promouvoir ses propres exigences. Ceci vaut même quand ce processus démarre par l'action prolétarienne et se déroule « à chaud », dans un cadre de crise aigüe de l'État.

Après la chute de Moubarak, la police à qui fut reprochée la répression fut autorisée à « rester » à la maison et de ne pas se faire voir dans les rues le temps que les choses rentrent dans l’ordre. Entre temps, les personnes ont appris à s’organiser et à contrôler leurs quartiers contre la police ou les partisans de Moubarak. Mais ceci ne s’est pas répandu dans tout Le Caire et n’a pas duré trop longtemps. L’absence de critiques envers l’armée, toujours présentée comme le protecteur de la « révolution », lui permit avec succès de faire retourner les manifestants chez eux et d’abandonner la rue.

Qu’a fait la classe ouvrière dans ce mouvement ?

La capacité de la classe ouvrière en mouvement d'attirer à soi des secteurs et des individus issus d'autres couches de la société civile reste, à nos yeux, une condition vitale de sa victoire sur les classes dominantes. Le problème est qu'à ce stade, la cause prolétarienne est masquée par les revendications démocratiques classiques et les jeux de pouvoir au sein des classes dominantes. Rapidement, les insurgés se sont montrés incapables de se penser comme une expression d'une classe sociale indépendante et sans patrie.

Une classe qui aspire au renversement non seulement des régimes autoritaires et corrompus mais aussi à la destruction de l'État, de tous les États, et, surtout, à la constitution révolutionnaire d'une société coopérative centralisée, sans classes, sans argent, sans exploitation et sans oppression.

Comme en Iran, à l’été et l’automne 2009, la principale limite du mouvement demeure la sous-utilisation par les ouvriers de l'arme essentielle dont ils disposent : la grève. De ce fait, ils se privent à la fois du seul ancrage véritablement solide de leur combat et d’une forme de lutte des plus efficaces contre l’État et les patrons, qu'ils soient « autochtones » ou « étrangers ». Le cœur du système de domination de tous les pays au monde est la production. C'est à cet endroit-là qu'il doit être frappé.

Ouvriers et classes opprimées

Si la classe ouvrière se dirige à travers des chemins difficiles, faits d’avancées et de défaites, vers le communisme (qui est par nature antidémocratique), cela ne signifie pas qu’elle n’a rien à faire avec la démocratie ou les revendications démocratiques ou est indifférente à celles-ci. Au contraire, la classe ouvrière a « intérêt » (ou n’y est pas opposée) à ce qui est qualifié, en général, sous le terme de liberté (liberté de circulation, liberté de parole, etc.) pour chaque être humain. Mais il y a plusieurs points importants à établir :

•la classe ouvrière pendant une lutte contre la dictature ou un régime autoritaire met en avant les libertés qu’elle peut, ou aspire à, pratiquer directement et qui sont cohérentes avec sa lutte générale contre le capital et l’État (liberté d’organisation dans les usines, par exemple) ;

•la classe ouvrière s’adresse aux autres classes opprimées pour leur expliquer que pour obtenir ces libertés, il faut se battre aussi contre la perspective bourgeoise de l’État démocratique. Une perspective qui vise à transformer et à congeler ces libertés en droits octroyés et conditionnés à la paix sociale ;

•lorsque les personnes aspirent à satisfaire leur besoin d’expression directe, la classe ouvrière met toujours en avant la lutte et l’organisation pour transformer ces revendications en pratiques vivantes et, surtout, directes ; en mouvements qui préfigurent un ordre nouveau, fondé sur la coopération sociale et sur le dépassement de la forme étatique ;

•la force de conviction de la classe ouvrière est directement proportionnelle à sa capacité avérée d’être un protagoniste social et politique indépendant, dans les lieux qui sont les siens : les usines, les quartiers populaires, les transports en commun, les écoles, les hôpitaux, etc. Son pouvoir de persuasion dépend, en somme, de l’exercice de son pouvoir direct pour détruire le capital et son État.

QUE PEUT-IL SE PASSER ?

Bref état des lieux

Une fois que les lampions de la chute de Moubarak ont été éteints, la dure réalité de la crise de la valorisation du capital en Égypte a repris le devant de la scène. Plusieurs économistes tablent sur une baisse de l’ordre de 1 % du PIB en 2011. Les exportations de pétrole, qui représentent à elles seules plus de 40 % du total des marchandises égyptiennes vendues à l’étranger, vont diminuer à nouveau avec le ralentissement de la croissance en Europe. Le tourisme (20 % du PIB) a vu ses clients baisser de 40 % au premier semestre 2011. Pendant les « événements », beaucoup d’entreprises étrangères ont fermé non à cause de grèves mais par la crainte d’attaques, par les innombrables interruptions de service dans les transports et par la cessation temporaire d’activité des banques. La fermeture provisoire du canal de Suez a réduit les rentrées de l’État. Depuis, une pénurie d’essence frappe le pays et provoque une nouvelle hausse des prix et des troubles dans les transports. Des approvisionnements insuffisants et aléatoires de farine et de maïs ont suivi. Depuis deux mois, les prix alimentaires baissent fortement avec la chute de la demande globale de ces marchandises. En août, l’inflation est retombée à son plus bas niveau depuis 45 mois (+8,5 % en données annualisées). Les subsides aux produits alimentaires du gouvernement ont augmenté depuis juillet. Mais le risque, que ces améliorations soient effacées par une dépréciation de la lire pour cause de crise fiscale de l’État, est élevé.

L’administration civile, quant à elle, demeure généralement inefficiente. L’arrêt de certains services de police a créé des zones où l‘État n’a plus la main. La crise fiscale de l’État frappe aussi à la porte. Avec un déficit budgétaire de l’ordre de 10 % du PIB en 2010/2011, l’Égypte s’est tournée, d’abord vers le FMI pour obtenir les quelque 10 milliards de dollars qui lui manquent, puis vers les riches Emirats voisins, plus fréquentables au plan politique. En plus de ces problèmes internes, des facteurs négatifs extérieurs en rajoutent : la guerre en Libye a renvoyé en Égypte des centaines de milliers d’immigrants devenus chômeurs. Leur retour signifie à la fois un appauvrissement considérable de leurs familles et une chute verticale des transferts de liquidités de l’étranger vers le pays. En conséquence de quoi, les envois d’argent par les immigrés ont fondu de 20 % sur un an. Or, avant les « événements », ces transferts de liquidités, avec les revenus du tourisme, apportaient à l’Égypte quelque 70 % du total des devises fortes. Les patrons étrangers observent avec beaucoup de prudence la situation et réduisent leur contribution. Les investissements productifs directs étrangers ont presque entièrement disparus alors qu’ils s’élevaient à plus de 4 milliards de dollars entre janvier et juin 2010.

Scénarios politiques

Les Frères musulmans gagnent chaque jour de plus en plus d’influence, jouant très progressivement pour gagner pied à pied des positions dans la société civile et dans les rouages de l’État. Objectif ultime : gagner une partie de l’armée, véritable ossature de l’État, à leur cause ou, au pire, sceller avec elle une partition durable des pouvoirs. Pouvons-nous néanmoins dire définitivement que la route du pouvoir est parfaitement assurée ? Peut-être pas. Les Frères musulmans ont encore beaucoup d’obstacles à surmonter dans leur longue marche vers l’exécutif.

S’ils n’ont pas d’adversaires politiques sérieux, ils n’en sont pas pour autant hégémoniques dans toutes les couches de la société égyptienne. Un grand nombre de paysans et d’ouvriers leur sont réticents ou indifférents. Les Frères musulmans doivent encore définir une ligne de politique économique, alors qu’ils se cantonnent à proposer des solutions inspirées d’une redistribution plus égalitaire de la richesse nationale, conformes à leur credo piétiste.

L’industrie manufacturière compte pour 20 % du PIB égyptien, presque autant que le tourisme. Le rôle de la classe ouvrière d’usine dans le processus de reproduction du capital social en Égypte n’est donc guère négligeable. Une classe ouvrière aux faiblesses structurelles multiples mais qui a montré savoir se battre. Or, les Frères musulmans ont été incapables jusqu’ici de développer un discours spécifique s’adressant aux ouvriers et en prenant en compte leurs traditionnelles revendications salariales et relatives aux conditions de travail.

En 2008, pendant la grève des ouvriers du textile, les Islamistes ont clairement choisi le camp des patrons. Un gage de stabilité sociale et politique qui profite à l’État en pleine restructuration et à l’armée, qui table sur la continuité du régime avec quelques modifications de façade. Le fait que la succession de Moubarak se soit déroulée sans trop de grands problèmes témoigne que les classes dominantes peuvent s’appuyer sur cette nouvelle configuration du pouvoir exécutif et législatif. Une configuration où l’armée serait toujours la clé de voûte du système et où les Frères musulmans se poseraient en parti de masse, en parti de la société civile, d’un régime devenu en partie bicéphale.

Environnement international

La vague de nationalisme exacerbé qui déferle dans la rue en Tunisie et en Égypte pourrait rouvrir une phase de guerre avec l'État sioniste. Dans certaines circonstances de crise, il n'y a rien de plus efficace que de ressouder un pays en identifiant et en appelant à combattre un ennemi extérieur ou intérieur. L'ennemi intérieur d'antan en Égypte, les Frères musulmans, entretient des liens organiques avec le parti islamiste jordanien et le Hamas palestinien. Ce dernier est très proche de la Syrie et de l'Iran qui dispose d'une puissante antenne régionale en le Hezbollah libanais aux portes du pouvoir à Beyrouth. Le Hezbollah est à son tour étroitement lié à Damas. Ce scénario n'est pas sûr mais il faut en tenir compte. Surtout quand il s'agit de s'adresser aux prolétaires qui seront la chair à canon des éventuelles guerres à venir.

Plus que jamais, seule une politique rigoureusement antiétatique et défaitiste est à même de représenter l'intérêt immédiat et historique de la classe ouvrière.

Là-bas comme partout ailleurs.

La classe ouvrière

Comment tirer un bilan précis maintenant que les ouvriers ont, en général, cessé d’agir ouvertement ? Ce que l’on peut dire, c’est que les ouvriers qui ont lutté, en février et mars, après avoir gagné ou pas sur leurs revendications, ont pensé que c’était une bonne occasion de tirer avantage d’une faiblesse temporaire du pouvoir en général et de l’État en particulier. Mais si l’État d’une société non-démocratique (c’est-à-dire sans institutions capables d’intégrer les conflits sans les nier au moyen d’une dure répression) a été affaibli, c’est certainement un bon indicateur de la maturité des ouvriers que de vouloir maintenant consolider ce qui a été gagné, leur plus grande unité. Mais comme on l’a signalé, deux faits demeurent négatifs : les ouvriers sont une minorité parmi les prolétaires et au sein de cette minorité beaucoup d’ouvriers n’ont rien fait pendant les événements.

Jusqu’à présent, aucune opposition n’est apparue entre les ouvriers et les autres sans réserves. Toutefois, l’influence que les Frères musulmans ont sur une portion conséquente de ces derniers pourrait, dans un deuxième temps, être dépensée par l’État et les patrons pour les séparer, voire les lancer contre la classe ouvrière d’usine au nom de l’Islam, de la Nation et de la lutte contre les privilégiés qui ont un bon boulot. C’est pourquoi, en Égypte, les travailleurs devraient tout à la fois reprendre le chemin de la lutte pour leurs propres intérêts spécifiques, sous leur maîtrise et veiller à élargir le spectre du combat en intégrant les objectifs qui relèvent de la condition générale des sans réserves avec une attention particulière aux chômeurs, aux travailleurs au noir, la grande majorité des travailleurs en Égypte, et aux petits paysans pauvres de l’intérieur.


ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE

En français

Hélène Cottenet Ressources exogènes et croissance industrielle : le cas de l'Égypte. Tiers-Monde Année 2000. Volume 41, Numéro 163.

Sophie Pommier Égypte, l’envers du décor. La Découverte 2008.

Confluences Méditerranée n°75

Martine Gozlan, Pour comprendre l’intégrisme islamiste. Albin Michel, 2002.

H. Tammam, P. Haenni, Les Frères musulmans égyptiens face à la question sociale : autopsie d’un malaise socio-théologique. Institut Religioscope - Etudes et analyses – N° 20 – Mai 2009

En anglais

BARTOLOMEO, Anna Di, FAKHOURY, Tamirace, PERRIN, Delphine, Egypt – Migration Profil, avril 2010 (http://www.carim.org/public/migrationprofiles/MP_Egypt_EN.pdf)

CIÀ World Factbook - Egypt (https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/)

EL DEEB, Bothaina, Social Statistics in Egypt. 2003, (http://unstats.un.org/unsd/demographic/meetings/egm/Socialstat_0503/docs/no_32.pdf)

GUALDONI, Annabela, Egypt´s Types of Employment, janvier 2011,  (http://www.ehow.com/info_7756006_egypts-types-employment.html)

The Egyptian economy, 1952-2000: performance, policies, and issues. Londres, 2006.

  • 1Selon la Banque mondiale, en 2009, 4 % de la population (en y incluant les lieux de travail) a un ordinateur et 1 % a accès à internet. (Voir http://www.tradingeconomics.com/egypt/personal-computers-per-100-people-wb-data.html). Les données disponibles sur Pyramid Research indiquent que les chiffres ont atteint 10 % pour les ordinateurs et 10 % pour l'accès à Internet.
  • 2Ressources exogènes et croissance industrielle : le cas de l'Égypte par Hélène Cottenet.
  • 3« L’analyse de la situation économique, tributaire de données chiffrées, ne peut pas prendre en compte le secteur informel. Celui-ci ne saurait pourtant être ignoré : il concernerait en effet entre 27 % et 40 % de la force de travail selon les sources et selon la prise en compte ou non du double emploi ; jusqu’à 40 % des unités économiques privées seraient non déclarées. Les conséquences de ce phénomène sont considérables, tant, sur le plan social, du fait de l’absence de protection (santé, retraite) des employés, que par le manque à gagner fiscal qui en découle pour les caisses de l’Etat, inconvénients auxquels s’ajoute l’absence de contrôle sur la qualité des produits. Le gouvernement a engagé une réflexion en vue de légaliser cette économie parallèle, mais le processus sera long compte tenu des enjeux en matière d’emploi, d’accès à la consommation pour les petits budgets et de production. » (Sophie Pommier. Égypte, l’envers du décor. La Découverte. P.154)
  • 4Si dès 1974, l’Égypte s’est lancée dans la libéralisation de son économie, c’est sous la contrainte du FMI et de la Banque mondiale que cette libération prend une grande ampleur et se plie aux lois de la concurrence internationale. Elle renonce à sa politique protectionniste et de ce fait, va bénéficier d’aides internationales qui vont s’ajouter à l’aide américaine. Les échanges avec l’UE vont s’accélérer à partir de 2000. Les exportations vont passer de 2 à 7 milliards de dollars entre 2001 et 2006, tandis que les importations passent de 5,2 à 11 milliards de dollars.
  • 5Source IMF Country Report No. 10/94 – April 2010.
  • 6Source : Central Bank of Egypt, Annual report 2009/2010.
  • 7Source : Confluences Méditerranée n°75.
  • 8Mais pas seulement, comme mentionné ci-dessous concernant les usines modernes travaillant pour l'armée, déjà construites à la fin des années 1950.
  • 9Sophie Pommier. Ibidem, P.155
  • 10Ibid.
  • 11Sophie Pommier. Ibidem. P.156
  • 12« La mise en place de zones industrielles qualifiées (ZIQ) résulte d’un accord signé fin 2004 entre l’Égypte et Israël sous parrainage américain. Il ouvre l’accès au marché américain pour des produits textiles fabriqués en Égypte, hors taxes et hors quotas, sous réserve que ces produits soient réalisés avec un certain pourcentage de composants israéliens. Fin 2007, cet accord a été révisé : la part des composants a été un peu réduite (de 11,7 % à 10,5 %). Entre-temps, le nombre des entreprises égyptiennes engagées dans ce partenariat était passé de 54 à 203. » (Sophie Pommier. Ibidem. P.157)
  • 13Source : Pommier. p.162.
  • 14Source : Le pétrole et le gaz en Égypte. UBI France. Juin 2009
  • 15« Les opportunités d’investissement sont nombreuses. Le Groupe Gaz de France est opérateur depuis 2005 dans la concession de West El Burullus. L’entreprise française s’est engagée à investir 22 milliards de dollars sur 8 ans dans la prospection pour le creusement de trois nouveaux puits. Le britannique BG, principal producteur de gaz en Égypte (40 % de la production totale), a annoncé qu’il allait investir 1 milliard de dollars en Égypte en 2009 et 2,5 milliards de dollars en 2010. Le groupe énergétique Edison (détenu à 49 % par EDF et à 51% par le groupe italien A2A), qui a acquis les droits sur l’exploitation du gisement d’Aboukir, a prévu d’investir 1,7 milliard de dollars sur vingt ans.
    En mai 2009, l’italien ENI s’est engagée à investir 1,5 Md de dollars sur les cinq ans à venir dans l’exploration et la production. Dana Gas (EAU), qui a fait d’importantes découvertes de gaz en octobre 2008 à l’ouest de Manzala, a aussi confirmé sa volonté d’intensifier sa présence dans le pays et de doubler ses réserves. Enfin, la société Total a annoncé, en mai 2009, que les autorités égyptiennes lui avaient attribué une licence d’exploration dans le Bloc 4 du site d’El Burullus Offshore East, situé à environ 70 km de la côte méditerranéenne (100 à 1600 m de profondeur). » (Le pétrole et le gaz en Égypte. UBI France. Juin 2009)
  • 16« Alexandrie, Madinet Nasr (Le Caire), Port-Saïd, Suez, Ismaïlia, Damiette (Delta nord), Six-Octobre (Le Caire) ; zone franche de Media Public, Shabin al-Qom (gouvernorat de Menoufiya, delta centre), Qoft (gouvernorat de Qena, en Haute-Égypte), Port-Saïd port oriental ». Sophie Pommier. Op. cit. P.165.
  • 17Source : Banque mondiale.
  • 18Confluences Méditerranée N°75.
  • 19ibidem
  • 20ibidem
  • 21« The Decline of Female Circumcision in Egypt: Evidence and Interpretation » Report by the Population Council, 1999.
  • 22Confluences Méditerranée. P. 75
  • 23Krug et al. 2002. World Report on Violence and Health. Geneva: WHO. 93.
  • 24Egyptian center for women's right (2010)
  • 25HUMAN RIGHTS WATCH VOL. 16, NO. 8 (E), December 2004
  • 26BBC News, 18 July 2008.
  • 27Poverty and Development, Calling for Change, Development Strategies to End Violence Against Women”, Dutch Ministry of Foreign Affairs.
  • 28Unicef, http://www.unicef.org/infobycountry/egypt_statistics.html#77
  • 29http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.UEM.TOTL.FE.ZS
  • 30Moubarak était un pilote célèbre et ancien commandant de la force aérienne.
  • 31Pour la liste de ces usines ainsi que la main-d'œuvre, l'emplacement et la production, se référer au site (www.mouvement-communiste.com).
  • 32Martine Gozlan, Pour comprendre l’intégrisme islamiste, p. 50
  • 33Amr Elshobaki, p20.
  • 34ibid p. 22
  • 35ibid p. 117
  • 36ibid p. 117
  • 37Al-da'wa n°2, 1976 p. 18 in « Les frères musulmans des origines à nos jours »
  • 38Op. Cit. p.171
  • 39H. Tammam, P. Haenni, Les Frères musulmans égyptiens face à la question sociale : autopsie d’un malaise socio-théologique.
  • 40http://www.ikhwanweb.com/article.php?id=4914: The Role of Muslim Women in an Islamic Society.
  • 41Ibid.
  • 42Ibid.
  • 43http://www.cetri.be/spip.php?article757&lang=fr: Paysans contre Propriétaires.
  • 44http://www.mouvement-communiste.com/pdf/leaflet/tract_011008_contre_la_croisade_et_le_jihad.
  • 45Op. cit. Les Frères musulmans égyptiens.
  • 46Le mot Copte vient de l’ancien mot grec « Aegyptos » signifiant Égypte, venant lui-même d’un vieux mot égyptien « Het Ka Ptah »
  • 47Cette langue vient de l’ancienne langue égyptienne, le démotique, et est écrite dans un alphabet mélangeant lettres coptes et grecques.
  • 48Muhammad Haykal.
  • 49http://www.almasryalyoum.com/en/node/418296.
  • 50http://www.almasryalyoum.com/en/node/418296.
  • 51La livre égyptienne (LE) vaut environ 0,125 euro.
  • 52« EGYPT COTTON MILLS WHIR AGAIN AFTER ARMY, WORKERS REACH PACT », David Zucchino, Los Angeles Times, 24 Février 2011.
  • 53Ville de 500 000 habitants.
  • 54 « Egyptian workers strike for change » par Michael Peel au Caire, 23 février 2011.
  • 55Akil Besher est le PDG d’Egypt Telecom, depuis 2000.

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