Joseph Déjacque Essai sur la Religion
Essai sur la Religion.
I.
Qu’est-ce que la Religion ? Que doit-elle être ?
Qu’est-ce que la Religion aujourd’hui ? C’est la synthèse immuable de toutes les erreurs anciennes et modernes, l’affirmation de l’arbitraire absolutiste, la négation de l’anarchisme attractionnel, c’est le principe et la consécration de tout inertisme dans l’humanité et l’universalité, la pétrification du passé, son immobilisation permanente.
Que doit-elle être ? La synthèse évolutive de toutes les vérités contemporaines ; la constatation et l’unification perpétuelles ; l’organisation progressive de toutes les sciences acquises, gravitant du présent au futur, du connu à l’inconnu, du fini à l’infini ; la négation de l’absolutisme arbitraire et l’affirmation de l’anarchisme attractionnel ; le Principe et la consécration de tout mouvement dans l’humanité et l’universalité la pulvérisation du passé et sa régénération ascensionnelle dans l’avenir, sa révolution permanente.
II.
Le Travail de conservation du Dualisme.
Jusqu’à ce jour, en Religion comme en Politique (et, par politique, j’entends ici, non pas “l’art de gouverner les états,” mais l’art d’organiser la société ; comme, par religion, j’entends ici, non pas “le culte qu’on rend à la divinité,” mais le lien ou concept humanitaire). Jusqu’à ce jour il n’y a pas eu en elles de révolution ; il n’y a eu que des évolutions, qui ont bien pu amener quelques modifications dans le système, mais qui n’ont rien changé au principe. Le principe de l’économie religieuse comme de l’économie politique, c’est encore Dieu, c’est encore l’autorité. Tant qu’on n’aura détruit Dieu, dans le ciel, et l’autorité, son satellite, sur la terre, on n’aura révolutionné ni la religion, ni la politique ; tout au plus aura-t-on révolutionné le déisme et le gouvernementalisme : le dualisme religieux, — esprit et matière, — et le dualisme politique, — gouvernants et gouvernés. Révolutionner le dualisme, n’est-ce pas le conserver ?
III.
Le Code religieux est le Code pénal suprême.
“Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es” ; ainsi parle la sagesse proverbiale. — Dis-moi quelle religion tu professes, et je te dirai aussi, homme on peuple, qui tu es. La religion, pour les peuples sauvages comme pour les peuples barbares ou civilisés, n’est-elle pas la loi des lois, la morale des morales ? L’homme saisi d’une fanatique superstition en Dieu ne place-t-il pas la loi divine bien au-dessus, de la loi humaine, la morale de l’Eglise bien au-dessus de la morale de l’Etat ? Il se peut qu’il subisse l’une si on la lui impose, il n’a de piété fervente que pour l’autre. Est-ce que, pour gouverner le monde, il y aurait besoin de lois pénales, de morales civiles, de légions d’archanges laïques, si les peuples avaient une foi aveugle dans le dogme religieux ? L’armée cléricale serait suffisante à elle seule pour les maintenir dans la soumission, et la voix des prêtres plus terrifiante à leur oreille que le bruit des armures des licteurs.
IV.
La Religion prépare son suicide en se servant d’une arme à deux tranchants.
Si la Religion, contrairement à son principe même, qui est la domination exclusive de la force brutale par la force intellectuelle, principe qui lui défendait, dans son intérêt propre, de reconnaître au glaive une puissance gouvernementale capable de se retourner contre elle, comme on l’a vu à la naissance de toute réforme religieuse, par le massacre des premiers chrétiens, par exemple, et des premiers huguenots si la Religion, dis-je, a eu recours aux guerriers, si elle a appelé à un aide l’appui de glaive, c’était dans le but de réduire à l’obéissance les hommes ou les peuples qui, dans les temps anciens, n’avaient pas encore la foi, ou qui, dans les temps modernes, ne l’avaient plus. Les fidèles, ses esclaves volontaires, n’avaient pas besoin de cette brutale contrainte pour ne courber et la servir. C’est au contraire cet emploi inconséquent de la violence qui a contribué à leur désiller** les yeux et à leur déboucher les oreilles. Bientôt les zélés serviteurs devinrent d’agressifs rebelles. La Religion, en voulant trop embrasser, [n’étreignerait] qu’elle-même : elle porta à un principe un coup mortel.
V.
La Religion est le thermomètre de la raison publique.
Si la Religion a pu agir ainsi, si elle a été à toutes les époques de l’histoire la personnification la plus radicale de l’exploitation de l’homme par l’homme, c’est que, synthèse des fausses sciences, expression transcendante des préjugés autoritaires, des superstitions divines qui avaient cours dans l’humanité, il était fatal, il était logique qu’en les résumant elle let affirmât dans toute leur hideur. La Religion n’est que le thermomètre de la raison publique, elle ne fait qu’indiquer par sa formule le degré d’élévation ou d’abaissement général des connaissances humaines. Pas plus l’idée religieuse que l’idée politique ne peuvent résister à l’action magnétique dos esprits, se soustraire au mouvement, de la température intellectuelle. Comme Une constitution nouvelle marque pour un peuple le niveau de ses progrès politiques, l’apparition d’une religion nouvelle constate le niveau de me progrès philosophiques.
VI.
Les Religions régnantes sont le testament de générations qui ne sont plus.
Seulement à leur avènement dans le monde, les religions comme les constitutions n’affirment jamais que les connaissances acquises la veille, et se posent toujours en obstacle à l’affirmation des connaissances latentes et qui embrâseront l’atmosphère social[e] le lendemain : et, en cela, il faut l’avouer, elles ne sont encore que l’image des peuples et des hommes, qui se cramponnent toujours, avec une sorte de fureur stupide, à leurs idées mortes, et me cèdent à l’attraction des idées vivantes qu’après avoir été longuement violentée par elles. On dirait que tous, hommes et peuples, constitutions et religions, sont comme honteux de s’avouer Vaincus, et ne s’abandonnent que de mauvaise grâce aux charmes ou à la séduction fascinatrice de l’irrésistible et universel progrès.
(A continuer)
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