lundi, 14 mai 2007
« …les deux candidats ont proposés une rénovation de la vie politique. La France en avait besoin, après une crise morale, économique, et sociale qui dure depuis une vingtaine d’années : du « ni…ni » de François Mitterrand en 1988 aux fausses promesses de Jacques Chirac sur la fracture sociale en 1995, du 21 avril 2002 au non à la Constitution européenne en 2005, la France était devenu le pays malade de l’Europe. L’intérêt pour la présidentielle et la participation massive ont montré que ce temps est révolu. La population ne croit plus à l’idéologie et ne se satisfait plus de promesses vagues. »
Voilà ce qu’on lit en page une du Monde du 8 mai 2007, on peut évidemment considérer cet article comme un cocorico d’un « réformiste » (L’article s’intitule : L’Obligation de réformer de Sarkozy) acharné qui s’illusionne et que les prolos et les jeunes vont bien vite remettre sur ses pieds, mais rien n’est moins sûr tout semble montrer qu’une étape est franchie le mise en place du capital restructuré est globalement accomplie, il y des reste à liquider, ils vont le faire, la résistance est brisée depuis 2003 la 2ème phase de la domination réelle connaîtra des crises mais ce sera plus du genre de celles démarrées en 1995.
Dans les années 80 on a assisté à une vaste offensive de restructuration capitaliste d’ampleur mondiale. Cette politique avait deux versants dont l’un était la déconstruction de l’Etat providence keynésien (l’autre était la fin de la grande usine fordienne comme paradigme de l’industrie et le début de la révolution informatique/télématique). Cette offensive a été initiée de manière extrêmement brutale sur le plan social par Thatcher en Angleterre et Reagan aux Usa. Ce fût la fin de la cogestion et l’effondrement du syndicalisme, la mise au chômage de secteurs entiers de la classe ouvrière, tels les mineurs après des grèves qui auront duré un an. Cette politique délibérée et cohérente n’a pas été appliquée avec la même brutalité et la même systématicité en France sous Mitterrand. (La liquidation de larges part des charbonnages et de la sidérurgie avait cependant déjà été accomplie sous Giscard à la fin des années 70). La flexibilisation du rapport salarial, par rapport à sa codification relativement protectrice issue des années de la reconstruction de l’après-guerre et des années 50 et 60 de prospérité capitaliste, ainsi que la libéralisation économique, par rapport à la régulation et à la planification « colbertistes » de la IVème république et de la période gaulliste, ont été effectuées en France. Cette libéralisation s’est faite après les nationalisations de 81 à 83 - parenthèse atypique qui a quand même permis des recapitalisations bien très rentables une fois ces entreprises reprivatisées - mais en protégeant le cœur du salariat (emploi public, salariés qualifiés et à ancienneté des grandes entreprises) et en conservant les grands éléments du Welfare comme la sécu. , le SMIC, les allocs. (le salaire socialisé) puis en créant des dispositifs comme le RMI la CMU et la kyrielle « d’emplois aidés » pour « les nouveaux pauvres » - comme on a commencé par dire pour ensuite devenir les « exclus ». Les 35 h ont été un chef d’œuvre de flexibilisation maquillée (avec l’aide d’un Medef hurlant « A l’assassin ! ») en conquête salariale.
La succession d’alternances gauche – droite, droite – gauche…, à la tête de l’Etat (la majorité à l’assemblée changeant à chaque élection en 81, 86, 88, 93, 97 et 2002) a induit une attaque contrôlée et plus ou moins contrebalancée des conditions de travail et des salaires réels (directs + indirects). Il y a bien des différences entre les gestions de droite et de gauche, et les plus efficaces du point de vue capitaliste peuvent être celles de la gauche infiniment mieux au fait de la réaction des salariés et plus capable de trouver des formes relativement acceptables et d’organiser les correctifs nécessaires. L’accessibilité, tant pécuniaire que de proximité, aux services publics a ainsi été préservée, ce qu’en Angleterre Blair a dû plus ou moins reconstruire. Les résultats concernant la baisse des salaires réels, la flexibilisation, et la mise au travail des femmes ont été considérables, à tel point que la productivité du travail en France est reconnue comme la meilleure et les salaires comme très « raisonnables », mais toujours ralentis et étalés par la résistance combative considérable des luttes de toute cette période. On a eu le refus victorieux du CPI de Balladur, la grande grève de 95 contre le plan Juppé contre les retraites des cheminots et la Sécu. , le mouvement des chômeurs, la grève et les manifs géantes de 2003 contre le recul de l’âge de la retraite, le mouvement des intermittents bloquant les festivals l’été suivant (« pris en otages ! » comme la droite a dit sans rire), la révolte des banlieues et le mouvement anti-CPE.
Sur le plan électoral l’alternance a sérieusement dysfonctionné à l’élection présidentielle de 2002, qui a vu le spectre hurlant de la défunte identité ouvrière au 2ème tour, de même le politiquement correct a été bousculé, à l’occasion du référendum de 2005 sur la constitution européenne qui a vu le rejet « agoraphobe » (c’est-à-dire, pour continuer de perler grec, non pas xénophobe, mais anti-grand marché) de l’attaque des dernière protections salariales via des disposition européennes comme la directive « Frankenstein » (jeux de mots du moment sur Bolkenstein) sur le « plombier polonais ». Ce sont des dysfonctionnements électoraux par rapport au fonctionnement harmonieux de la démocratie comme autorégulation du rapport capital à lui-même se dédoublant en rapport entre l’Etat et la société civile, niveau de l’existence sociologique réifiée des classes. Ces couacs auront-ils été les derniers à-coups de la résistance à la restructuration ? (Le mouvement anti-CPE, en connexion avec les « émeutes », ayant déjà été au-delà de cette résistance.)
Cette longue séquence a vu se développer le démocratisme radical qui manifeste à la fois la disparition de tout au-delà socialiste du capital et la contradiction entre les prolétaires et leur condition même de prolétaires, qui manifeste que c’est le caractère de classe des luttes qui est leur limite même. L’analyse du démocratisme-radical a été longuement faite par ailleurs (cf. « Le démocratisme radical » R. Simon Ed. Senonevero) nous n’allons pas y revenir ici, il me semble que le démocratisme radical a commencé de régresser très rapidement après les affrontements autour du sommet de Gênes en 2001, où le mouvement anti-sommet a explosé entre altermondialistes et « black blocks », où la critique de la mondialisation n’a plus pu unir les partisans du « fare trade » et les partisans du communisme immédiat. Ce n’est pas l’explosion interne en, elle-même qui a été le début de la régression du DR, c’est le succès global de la mondialisation et de libéralisation qui en sont la cause, ce succès global ne se déroule pas partout de la même façon et au même rythme l’Argentine le montre, mais même en Amérique du sud la tendance dominante est à la réussite de la restructuration.
Pour revenir à la France le mouvement anti-cpe n’a pas vu de contre-plan démocratique être présenté, le rejet du CPE ne donnant même pas de défense du CDI , la « langue DR » qui avait été la langue spontanée du mouvement de 2003 n’a pas été entendue en 2006. Parallèlement la crise d’ATTAC, vestale de la démocratie, sombrant dans le ridicule du trucage des élections internes et l’incapacité de la « gauche de la gauche » de se réunir sur une candidature unique sont les formes proprement politiques du déclin rapide du DR qui de toute façon n’avait jamais pu avoir de débouché politique véritable dans la mesure où aucune politique d’Etat DR n’est possible. (Le cas du Venezuela de Chavez n’a rien de DR c’est du clientélisme populiste permis par la rente pétrolière et en aucun cas de l’économie solidaire et de la démocratie participative).
Les luttes de Oaxaca et des échos de luttes de quartier en Argentine sont actuellement les seuls mouvement de classe explicitement démocrates radicaux, le contre-sommet du G8 en Allemagne sera un symptôme de l’Etat du DR. Le rapport de fond qui a donné naissance au DR est que le caractère de classe des luttes de classe est immédiatement leur limite, cela ne peut pas être dépassé d’ici à la communisation, mais cela pourrait n’avoir pris la forme démocrate radicale que pendant la crise de passage à la 2ème phase de la domination réelle.
Cette élection présidentielle me semble se situer après la fin de cette longue séquence de résistance active à l’achèvement en France de la restructuration. La fin de cette période de la résistance à la libéralisation de la régulation d’Etat de l’exploitation, n’est pas la fin des luttes contre les mesures concrètes d’attaque, mais on est probablement maintenant après les vagues de grandes mesures qui sont maintenant faites. Celle annoncée instituant le service minimum dans les transports, pour casser toute possibilité de blocage de l’économie en utilisant le caractère stratégique des transports, ne pourra probablement pas être combattue par un grand mouvement. (Toutes les autres mesures et en particulier la flexibilisation du CDI seront négociées avec les syndicats, la sécurité sociale professionnelle de la CGT est prévue pour ça.). Cette mesure contre les cheminots ira de pair (sans doute pas simultanément) avec la nouvelle attaque des régimes spéciaux et ce sera probablement le test essentiel du gouvernement Sarko, gouvernement poursuivant le combat anti-ouvrier. Contre une classe qui n’a plus d’identité, plus de programme, plus d’organisation ce gouvernement doit organiser et négocier l’après restructuration car bien que jamais finie, la longue offensive a réalisé l’essentiel et c’est sur cette base que Sarko va faire son Blair (Lors de cette élection le PS n’est pas parti de cet acquis en faisant l’aggiornamento voulu par Strauss-kahn, et a perdu.
La crise finale du programme prolétarien d’affirmation du travail a traversé plusieurs phases.
1° Pendant les 30 glorieuses la perspective d’affirmation de la classe s’est transformée en revendication de la fin de la contradiction, le socialisme se confondant avec la simple gestion pacifiée du capital et du travail. La domination réelle avait intégré la reproduction de la classe dans la reproduction même du capital. Qui plus est le capital a intégré concrètement la subsistance du prolétariat en liquidant le paysannat du même coup.
2° La 2ème phase de la domination réelle qui se met en place dans la grande crise de la fin des années 70 (Après qu’ait été vaincu le grand mouvement de lutte de classe qui commençant avec la lutte des noirs pour les droits civiques aux Usa, et comprenant les mouvement contre la guerre du Vietnam, mai 68, le mai rampant italien a fini en mettant en cause toutes les formes du mode de vie capitaliste tant dans la production ( avec l’autogestion) que dans la reproduction avec la lutte pour l’avortement et le développement des communautés, voit la fin des partis communistes et du syndicalisme ouvrier de masse.
3° Les années 90 voient le grand mouvement démocrate-radical combattre et accompagner conflictuellement la fin de la crise/restructuration, en même tant que disparaissent les pays socialistes et le tiers-monde. Dans les années 2000, la disparition officielle des partis communistes aura été le symbole de la fin de la restructuration et peut-être de la fin de la tentative du mouvement ouvrier de muter en démocratisme radical. Plus rien ne rattache l’actuel cycle de luttes à l’ancien cycle programmatique.
Tempus fugit
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Fin de récré ?, Patlotch, 23 juin 2007En complément, passées les élections, un petit texte sans prétention : Face à la classe capitaliste, la politique met à nu le prolétaire français, suivi de Symptomatiques, les contorsions démocrates radicales de Philippe Corcuff, à propos de son texte Sur le "sarkozysme", le PS, la possibilité d’une gauche radicale et le tragi-comique-
Patlotch, 23 juin
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