jeudi, 21 juillet 2005
Malgré sa longueur, ceci est un message de forum, une contribution dans une discussion en cours. Je maîtrise mal le type particulier d’expression qu’est le « message de forum » et je demande aux usagers de ce site de m’en excuser. Si ça se trouve dans la catégorie textes, c’est parce que les messages de forums sont limités à 20000 signes.
Au cours de cette réponse au texte de Simpson, je commente également le texte de BL : Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?
Toutes les questions que soulève Amer Simpson viennent de ce qu’il commence par poser deux questions et distinguer deux « tendances ».
Les deux questions : « Comment se préparer à mener la révolution ? » ; « Comment saisir les conditions présentes ? ».
Les deux « tendances » : la tendance « autonomiste » ou parfois « immédiatiste » ; la tendance « cours quotidien de la lutte des classes » (c’est moi qui la désigne ainsi, Simpson ne lui donne d’abord aucune appellation puis vers la fin de son texte la désigne comme tendance de la « perspective révolutionnaire », « perspective » s’opposant à « immédiatisme »).
Pour moi, il y a quelque chose qui est de l’ordre de l’évidence : si idéologiquement ou théoriquement on peut dire qu’il y a actuellement, dans le courant communisateur, deux tendances, dans le réel, il n’y a qu’un seul mouvement qui nous autorise à parler de la révolution comme communisation : le cours de la lutte des classes comportant ce que j’ai appelé « l’écart ». Le courant « autonomiste » ou « immédiatiste » est un courant théorique, une certaine conception du rapport entre la situation actuelle et la révolution. En tant que pratiques, il ne constitue pas une autre voie par rapport à ce que Simpson appelle la « perspective révolutionnaire » (le cours de la contradiction comme histoire du mode de production capitaliste - si j’ai bien compris), toutes ses activités sont parties intégrantes de la situation actuelle, non comme les acteurs de ce courant se l’imaginent, en tant que questionnement sur le communisme ou « expérimentation », mais en tant que pratiques dans lesquelles la dynamique de ce cycle s’autonomise (j’y reviendrai) et en tant qu’appartenant avec sa spécificité à ces pratiques qui actuellement définissent un écart à l’intérieur de la limite des luttes : agir en tant que classe.
Mes réponses aux questions de Simpson sont simples :
* « saisir les conditions présentes » c’est « se préparer à mener la révolution » ;
* la « tendance autonomiste » peut dire ce qu’elle veut sur le communisme et le désirer autant qu’elle en est capable, elle n’est qu’un élément, parmi d’autres, spécifique mais ni plus ni moins remarquable, du cours quotidien de la lutte des classes.
Mes deux réponses n’en font qu’une, la réponse à la première est la réponse aux deux. Cela est de l’ordre de l’évidence, mais il faut tout de même argumenter.
Disons tout de suite que pour moi une chose n’est pas claire dans le texte de Simpson. Est-ce que les tendances sont seulement deux tendances théoriques ou idéologiques, deux conceptions de la lutte des classes présentées par des groupes restreints de personnes ? Ou, est-ce que ces deux tendances constituent la réalité empirique de la lutte de classe ? Je considèrerai que pour la première tendance dans la conception qu’elle a d’elle-même, les deux sont identiques, mais il ne peut en être de même pour la seconde. Je considèrerai finalement que l’une et l’autre sont en fait des tendances théoriques au sens restreint du terme (voir plus loin).
Amer Simpson part du principe que la « frange autonomiste » pose la question « comment se préparer à mener la révolution ? » et agit « en sorte qu’elle arrive un jour » » ; cette tendance « exprime la volonté de vivre le communisme ». Ce serait « l’apport du mouvement d’action directe (Mad) tel que décrit par TC ». Ce qui échappe à Simpson, c’est que, dans TC, les choses ne sont malheureusement jamais aussi simples. Cet « apport » n’existe que parce que le Mad est l’autonomisation de la dynamique de ce cycle (sa transformation en opposition de modes de vie) et tous les « apports » qui peuvent être les siens n’existent que marqués de cette autonomisation et n’ont de valeur qu’une fois décryptés. Si « la question de savoir comment se préparer à la révolution se pose en premier lieu à ceux et celles qui la veulent », ce n’est simplement que parce que sortant la dynamique de ce cycle de son cours dans la lutte des classes en tant que cours du mode de production capitaliste (l’autonomisation de la dynamique), leur question n’est que le reflet de la réponse qu’ils ont déjà donnée, elle n’est que la question qu’ils doivent se poser pour comprendre, vis-à-vis d’eux-mêmes, leur existence. Cette « tendance » contient, dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer ». C’est tout à fait exact, mais pas pour les raisons qu’en donne Simpson. Pour lui cette importance provient de ce que cette tendance appartiendrait simultanément à plusieurs moments historiques qu’elle synthétiserait en elle. Elle serait bien sûr de notre époque (« d’où on part »), elle serait également du futur puisqu’elle ne s’intéresse à « d’où on part » que parce qu’elle sait « où nous devons arriver », elle appartiendrait aussi à la période intermédiaire (« comment se préparer »). Simpson croit la « tendance autonomiste immédiatiste » sur paroles, il veut seulement qu’elle tiennent un peu plus compte des réalités présentes, il ne voit pas que ses interrogations sur la révolution et le communisme, la forme même qu’elle leur donne et le contenu même de ses réponses tiennent à ce qu’elle ne tient pas compte des réalités présentes autrement que comme un environnement hostile ou favorable. Le Mad n’est pas en attente, et « expérimentant », il s’imagine ainsi. Finalement, tout en cherchant à accélérer le mouvement, donc de façon active, ses acteurs attendent que le mouvement profane de la lutte des classes les rejoigne. D’où le « que faire ? » ou le « comment faire ? », nous y reviendrons.
En prenant cette « tendance » au pied de la lettre, Simpson a séparé la réalité actuelle avec d’un côté des gens qui « posent la question du communisme », « expérimentent » et finalement doivent « trouver un point d’appui » et, de l’autre, les « conditions présentes ». Si cette « tendance » contient, comme le dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer » c’est qu’elle est une somme d’activités et de pensées à l’intérieur du présent et ne l’excède d’aucune façon. Le Mad est un élément des « conditions présentes » ce qui revient finalement à lui conférer une importance plus grande que celle qui serait la sienne si l’on se contentait de le prendre au pied de la lettre. Il est une de ces activités qui permettent de définir un écart à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe. Sa spécificité est d’avoir autonomisé le moment de la remise en cause, par là n’étant pas simplement embarqué dans le cours de la lutte des classes comme reproduction du mode de production, il est amené à réfléchir sur lui-même, à devenir théorique, à penser son rapport à la reproduction capitaliste sur la base d’un face à face avec elle, d’où son auto-compréhension comme « expérimentation » et sa question « comment se préparer ? ». D’où également sa confrontation inévitable avec ce qui apparaît face à lui et qu’il comprend lui-même comme une autre « tendance » : celle de la « perspective révolutionnaire ». D’où également que dans ce mouvement des éléments de cette « tendance » sont amenés à devenir de plus en plus critiques vis-à-vis d’elle et à s’en détacher. La seconde « tendance », quant à elle, ne ferait que chercher la « perspective » dans les conditions présentes. Elle serait une autre façon de relier « d’où on part » à « où on arrive », elle répondrait non pas par un « immédiatisme » ou une « expérimentation », mais par la nécessité d’un cours historique à accomplir. Mais, cette seconde « tendance » ne répond pas d’une autre façon à la même question que la première. Elle ne cherche pas quel peut être l’entre-deux reliant deux moments de l’histoire déjà connus. Elle cherche comment la situation présente produit autre chose, il ne peut y avoir d’autre « préparation » que le cours de la lutte des classes tel qu’il est et dont la « tendance autonomiste » fait partie. La « tendance autonomiste » croit qu’il y a deux tendances, deux types d’approche du même problème. La tendance « dynamique » ne reconnaît pas la question de la première et la considère comme un élément de la situation présente, c’est-à-dire non comme apportant une réponse mais comme une partie du problème. Accepter la typologie des « deux tendances » c’est accepter la question telle que la pose la « tendance autonomiste » et ne reconnaître qu’il n’y a que les réponses qui diffèrent.
S’il le croit sur paroles, Simpson n’est pas pour autant un apologiste du courant « autonomiste »et c’est là l’intérêt de son texte. « Les expériences autonomistes sont loin de m’avoir convaincu », en effet elles buttent sur « la gestion de nécessités matérielles que la misère ambiante les contraint à résoudre ». Cependant on y trouverait toujours « la volonté d’articuler le quotidien avec les idées, d’en finir avec le monde... etc. ». il est évident que pour Amer Simpson, les thèmes et les pratiques de la « tendance autonomiste » ne sont pas un retravail de ce que ce cycle peut nous dire sur la révolution et le communisme, un retravail effectué au travers des prismes et des miroirs déformants de leur isolement et de leur existence même entérinant l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes (la contradiction du prolétariat avec le capital comporte sa propre remise en cause comme classe dans son action de classe). La « tendance autonomiste » fait de la « remise en cause » un moment particulier pouvant exister et être poursuivi pour lui-même. Pour Simpson, les thèmes et les pratique de la tendance sont « bons » mais limités (extérieurement), elle n’a qu’à « se poser la question du point de départ, des conditions présentes » : la question du « point d’appui » (souligné par moi). La « tendance autonomiste » doit savoir qu’il lui faut attendre de concorder avec son temps, c’est seulement en cela que réside pour Simpson la critique de son « immédiatisme ». Les « autonomistes » seraient seulement indifférents aux conditions présentes qui « ne permettent pas de réaliser la moindre initiative communiste à l’intérieur du capitalisme ». Mais le problème n’est pas de ne pas pouvoir réaliser des « initiatives communistes », mais précisément croire en avoir.
Tout le texte de Simpson repose implicitement sur l’existence d’une « tendance » plus ou moins (plutôt plus que moins) en avance sur son temps. Ce que dit Simpson à cette « tendance » c’est qu’elle doit savoir attendre l’arrivée de son « point d’appui » ou, ce qui est tout de même un peu mieux, voir que la lutte des classes ordinaire lui offre parfois ce « point d’appui ». C’est là que le texte de Simpson bascule dans l’objectivisme dans le but de l’éviter. D’un côté, des gens qui savent ce qu’est le communisme, qui sont actifs, qui cherchent par tous les moyens (parfois un peu « immédiatistes ») à le faire advenir, de l’autre : « le prolétariat, tout comme le capital, n’étant jusqu’à ce jour qu’une abstraction qui nous permet de rendre compte de la contradiction dans les termes opposés qui la définissent ne nous en dit pas plus sur la façon de préparer cette révolution qui abolira les conditions présentes. A moins de croire à ces conditions objectives qui feront le job à notre place (...), nous (les "révolutionnaires" nda) avons un rôle à jouer qu’on le souhaite ou non. ». Si nous avons bien lu, le prolétariat, le capital, et à leur suite la contradiction entre le prolétariat et le capital, ne nous disent rien sur la façon de « préparer cette révolution », tout cela n’est que « conditions objectives ». Face à ces « conditions objectives » nous trouvons naturellement « ceux et celles qui agissent de façon à rendre possible cette révolution ». Chez Amer Simpson, l’objectivisme est dans les prémisses. Il est dans les deux questions : « comment se préparer ? » ; « comment saisir les conditions présentes ? ». Des gens « cherchent à se préparer », à partir de là le monde n’est plus l’action elle-même qui prépare (pour employer ce terme), le monde est un environnement que ces gens doivent percevoir de la façon la plus fine pour réaliser leurs fins. Dès que l’on pose un sujet (les « révolutionnaires », les « communistes ») qui se demande « que faire ? », on est dans l’objectivisme. L’activité devient un idéalisme. Mais « « qui éduquent les éducateurs ? ».
Cependant, Simpson, en conservant ses prémisses (les deux questions et la tendance « autonomiste » qui pose la question du communisme - alors qu’elle ne pose que la question à laquelle sa pratique répond), donne la réponse à une question qu’il n’a pas posé.
« Mais voilà, nous savons qu’il existe des initiatives qui crée l’écart nécessaire pour définir les liens entre les conditions présentes et la révolution et ces initiatives sont tout ce que nous savons pour explorer des perspectives communisatrices. Cette exploration ne se veut pas expérimentation dans le sens autonomiste mais bien définition du comment cela va se faire selon ce que nous sommes en moyens de définir à partir des conditions présentes en lien avec la révolution... ». Soupçonneux, j’ai beau lire et relire ces deux phrases, mis à part « l’exploration des perspectives communistes » je signe des deux mains.
Mais, ici, Simpson répond à la question : qu’est-ce que nous faisons ? Question tout à fait différente de « que faire ? » ou « comment faire pour que ce que nous voulons advienne ? ». Oui, tout à fait d’accord, nous avons quelque chose à faire : ce que nous faisons déjà (plus ou moins bien). Analyser, écrire, faire la théorie de l’époque, la rendre publique dans la mesure de nos moyens, la diffuser, organiser des rencontres, des réunions, être dans une lutte lorsque l’occasion directe se présente, rendre nos positions incontournables dans le milieu où l’on discute de révolution et de communisme. Je ne pourrais ici que reprendre tout ce que dit BL sur le sujet dans son texte Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?
* être élément réel des luttes, c’est-à-dire sans les comparer à un archétype de la bonne lutte, sans les insérer dans une quelconque stratégie ;
* attacher la plus grand importance à la caractérisation du cycle de luttes ;
* être partie prenante des luttes, soit personnellement et directement soit par une attention intense et engagée ;
* se sentir intimement investi dans la formation d’un courant pour la communisation ;
* être cuirassé contre les accusations d’attentisme ;
* ne plus décliner la théorie en « grands travaux » et applications comme « slogans » et « revendications ».
* ne pas parler au nom de la classe.
A ce point de mon commentaire de Simpson, malgré mon accord fondamental avec BL je voudrais discuter ici de quelques points de son texte.
BL veut attaquer toute position normative, programmatique, toute propagande, toute attitude de « en tant que », toute vision de la révolution comme suspendue à la diffusion et la reconnaissance préalable de la bonne théorie. Partant de là, il nous prévient même que nous ne devons « avoir aucunement l’idée que des positions communisatrices puissent infléchir de quelque façon que ce soit le cours des luttes actuelles ».Mais au-delà des gens et des attitudes qu’il vise implicitement, est-ce que cette proposition est juste ?
Qu’est-ce actuellement une « position communisatrice » ? S’il s’agit d’une liste de préceptes révolutionnaires sur la révolution comme communisation et le communisme comme moyen même de la lutte révolutionnaire, s’il s’agit d’une forme radicale de : « une seule solution la révolution », BL a parfaitement raison. Mais si les luttes sont théoriciennes cela implique qu’elles sont très bavardes, on y parle de tout et de n’importe quoi mais jamais par hasard ni à tort et à travers. Une position communisatrice, c’est sur la multiplicité des sujets abordés de n’avoir jamais de position normative et surtout, positivement, d’être capable de reconnaître, si cela se produit, le moment où, dans une lutte, une action, une façon de s’organiser ou de ne pas s’organiser, de chercher des alliances, d’abandonner ou d’élargir les revendications originelles, une position vis-à-vis des organismes de luttes existants officiels ou non, une position vis-à-vis de la négociation, des activités « suicidaires » ou de dérisions de l’adversaire et partant de soi-même dans son rapport à lui, créent cet écart dont je parle dans d’autres textes. Nous sommes théoriquement et pratiquement les guetteurs et les promoteurs de cet écart, c’est cela avoir des positions communisatrices et si nous ne les avons pas personne ne les aura à notre place.
Que de telles positions n’infléchissent pas le cours des luttes actuelles est loin d’être une évidence, notre modestie dut-elle en souffrir. Avant de me faire exclure de Meeting ou de TC pour une telle affirmation, je voudrais préciser deux points : « infléchir » et quel est le « nous » auquel je m’adresse et dans lequel je m’inclus.
Les luttes, on l’a dit, sont bavardes pour la même raison qu’elles sont théoriciennes : le prolétariat n’a pas de conscience de soi, sa conscience est la connaissance de son autre, c’est par là une conscience théorique et dit de façon condensée : une théorie. Dans ces bavardages, ces affrontements (il ne peut pas y avoir d’unanimité dans les luttes, c’est définitoire de la situation du prolétariat et de la « conscience » qu’il en a), il ne s’agit pas de défendre un credo, mais nous pouvons nous faire entendre et infléchir. L’écart n’existe pas comme une force sous-jacente qui pourrait ou non venir à la lumière, il n’existe que dans des expressions et des pratiques sinon il n’existe pas, ce n’est pas une potentialité. Tout ne peut pas arriver, mais ce qui arrive doit être fait. L’inflexion c’est une action, une attitude, une prise de position dans les affrontements inhérents à toute lutte, c’est reprendre au vol ce qui, parfois très brièvement, est dans l’humeur du moment, le formaliser, insister...Si ce que nous disons du cycle de luttes actuel est valable alors l’inflexion par des positions communisatrices (telles que définies plus haut) existe.
Quel est le « nous » dont je parle et auquel je m’adresse ? Ce n’est pas le même que celui de BL. L’interlocuteur de BL est le cercle très restreint des plus ou moins initiés à la théorie communiste et ceux que Simpson désigne comme la « tendance autonomiste ». BL a raison dans ce qu’il dit vis-à-vis du « nous » auquel il s’adresse, mais ce « nous » est trop restreint par rapport aux questions mêmes qu’il aborde. Par rapport aux questions abordées, le « nous » qui est ce sujet qui infléchit par ses positions communisatrices (telles que définies) c’est le militant piqueteros qui met en avant la subjectivité, la critique du travail et sape l’auto-organisation, c’est le kabyle qui considère les aarchs comme quelque chose qui lui est étranger et par là même qui se transforme lui-même en se considérant comme étranger à ce qu’il est dans cette société, c’est le « sauvageon » de l’entreprise, c’est l’activiste du mouvement d’action directe, c’est l’ouvrier « suicidaire », c’est le chauffeur de car de Milan ou le métallurgiste de Melfi qui lutte contre le capital sans considérer que ce qu’il est dans la société est la base d’un faire valoir social... Bien sûr, demeure le « nous » restreint qui n’a qu’à bien se tenir et faire attention à ce qu’il se passe.
Pour parler de ce « nous » (restreint), je suis obligé de considérer comme connus la théorie de l’écart et le concept de théorie au sens restreint.
Sur l’écart : il me semble que Simpson utilise le concept en lui conférant un contenu « positif » face à la reproduction des rapports de classes. Je ferai donc un peu de service après-vente.
Qu’est ce que « l’écart » ?
Résumons et disons le de la façon la plus simple possible : agir en tant que classe c’est n’avoir, dans les conditions actuelles (que personne ne me cherche des poux sur l’utilisation ici de « conditions ») comme existence et horizon que le mode de production capitaliste (d’où le démocratisme radical comme expression et activité de formalisation des limites des luttes), c’est simultanément et pour la même raison, dans sa contradiction avec le capital, pour le prolétariat se remettre en cause comme classe (si je suis en contradiction avec le capital et que je n’existe que comme moment de lui, je suis en contradiction avec moi-même). Cette identité n’est pas une confusion elle est le produit de l’affrontement de pratiques, affrontement dans lequel la classe capitaliste de par la subsomption du travail sous le capital l’emporte toujours jusqu’à ce qu’il y ait abolition de la règle du jeu et non victoire du joueur systémiquement dominé. L’identité n’est pas confusion, il y a des pratiques du prolétariat qui créent un écart dans cette identité. La dynamique de ce cycle de luttes n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de la limite (agir en tant que classe), écart qui se crée de par la dualité que contient cette limite ( n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe). Il arrive que la remise en cause soit spécifiquement annoncée, mais non qu’elle existe pour elle-même en tant qu’objet propre.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe, mais l’action en tant que classe qui ne reconnaît et ne produit l’existence de la classe que dans son rapport au capital, dans des pratiques qui annoncent le dépassement de ce cycle de luttes, n’est pas renvoyée à elle-même comme limite sui generis, elle l’est par la reproduction du rapport capitaliste qui est l’activité de la classe adverse (qu’elle implique). C’est cela l’écart (c’est la raison d’être du « courant communisateur »). Pour moi, l’écart se situe à l’intérieur de la limite de ce cycle de luttes, limite qui est le fait même d’agir en tant que classe, il ne s’oppose pas à la limite comme le positif au négatif, il est un mouvement interne de la limite et ce n’est qu’en cela que la limite définit la dynamique de ce cycle. La dynamique (la remise en cause) n’est pas première. Ce point est essentiel, sans cela nous tomberions dans une téléologie du communisme et nous envisagerions la lutte des classes et le cours du cycle de luttes comme une mauvais moment à passer, ce qui semble être le cas dans la texte de Simpson lorsqu’il envisage le rapport de la tendance « autonomiste » au cours quotidien des luttes.
Il n’empêche qu’imbriquée dans le cours des luttes quotidiennes et ne pouvant exister que dans cette imbrication, La liaison des luttes actuelles à la révolution n’est plus seulement une « abstraction théorique ». Nous rejoignons ici la théorie dans son sens restreint.
D’abord, qu’est-ce que la théorie dans son sens global ?
La pratique du prolétariat est toujours une pratique consciente, mais pratique consciente d’une classe qui n’est jamais confirmée dans la reproduction d’ensemble de la société, cette pratique consciente n’acquiert jamais la caractéristique d’un destin (c’est-à-dire du mouvement autoprésupposé de la totalité : la production est reproduction), elle se rapporte toujours à elle-même par la médiation du capital, elle ne se prend jamais elle-même directement pour objet, ce retour médié sur soi qui ne peut jamais être une conscience de soi immédiate (c’est pour ça que les luttes sont si bavardes) c’est la théorie dans son sens le plus large, consubstantielle à l’activité même du prolétariat dans la lutte des classes. C’est une différence fondamentale avec la conscience de la classe capitaliste. La classe capitaliste aussi ne se connaît elle-même (et ses pratiques) que dans son rapport à la classe qu’elle a en face d’elle et dont elle peut même reconnaître l’existence en tant que classe ; elle peut même accepter le caractère inconciliable des intérêts de cette classe par rapport aux siens propres. La grande différence c’est que dans l’activité de la classe capitaliste le capital subsume le prolétariat, en cela la propre connaissance de son activité particulière devient la connaissance de la totalité. Le capital se présuppose lui-même, la médiation est dépassée (engloutie). On peut alors, pour la classe capitaliste, parler simplement de conscience, c’est-à-dire de connaissance de soi-même et de l’activité qui définit cet être, parce qu’elle devient un simple rapport de cet être à lui-même. Cela est radicalement impossible du côté du prolétariat, c’est pour cela que nous parlons de conscience théoricienne ou théorique et pour éviter toute ambiguïté, nous dirons que le rapport à soi du prolétariat n’est pas conscience mais théorie en ce qu’il passe par ce qui n’est pas lui et ne peut dépassser la médiation (contrairement à la classe capitaliste).
Qu’est-ce la théorie dans son sens restreint ?
C’est ce que l’on entend habituellement par théorie. Elle n’est pas la simple formalisation de l’existence théorique de la lutte de classe. Dans ce sens restreint, la théorie n’est pas un instrument d’enregistrement passif. C’est d’abord un travail particulier de formalisation intellectuelle plus ou moins systématique s’appuyant sur un corpus déjà existant, le retravaillant pour produire de nouvelles connaissances ; travail difficile et qui ne va pas de soi. En matérialistes scrupuleux, ceux qui s’y livrent ont souvent tendance à prendre cette chose comme non significative, ils aboutissent alors à idéaliser (au sens habituel et au sens philosophique) la réalité dans la confusion du « concret de pensée » et des existences. Nous dirons donc que la théorie (dans ce sens là) n’est pas la simple expression formelle de cette détermination théorique consubstantielle à l’existence et à la pratique du prolétariat.
Si, dans ce sens restreint ou formel, la théorie pose problème ce n’est, bien sûr, pas sans rapport avec le sens général. C’est le même mouvement par lequel existe comme théorique l’existence et la pratique du prolétariat dans sa contradiction avec le capital qui est mouvement de reproduction du mode de production capitaliste et se résout dans cette reproduction (qui est aussi reproduction du prolétariat). Ainsi la détermination, nécessairement théorique de l’existence et de la pratique du prolétariat, ne peut se confondre avec le simple mouvement de la contradiction-reproduction de la classe dans sa relation avec le capital qui constamment nie cette détermination (la fait disparaître). Par rapport à ce mouvement, elle s’abstrait en formalisation intellectuelle théorique qui entretient un rapport critique avec cette reproduction. La détermination théorique de l’existence et de la pratique du prolétariat parce qu’elle est effective mais se résout dans la reproduction du capital, se précipite (cristallise) en une abstraction critique par rapport à elle-même. Abstraite et critique par rapport à l’immédiateté des luttes, c’est là sa relative autonomie. Aucune théorie se contente de dire « voilà ce qui arrive « , « ça parle ». La théorie transforme, elle retravaille ce qu’elle condense, elle a ses propres critères (l’abstraction et la critique). La condensation théorique est un changement d’état.
Dans le mode de production capitaliste l’implication réciproque est subsomption (reproduction), par là ce que nous produisons comme théorie dans son sens restreint est bien une formalisation de l’expérience actuelle des prolétaires, mais elle est loin d’être la conscience immédiate massive de cette expérience, elle est abstraction et critique de cette expérience. Cela ne tient pas à une scientificité mais au mouvement complet de la contradiction entre le prolétariat et le capital. L’expérience nous donne immédiatement et massivement qu’une conscience de l’antagonisme (de l’opposition simple et symétrique dans l’implication réciproque)etseulement médiatement une conscience de la contradiction (c’est-à-dire, à partir de la subsomption elle-même, de l’unité asymétrique et, dans cette unité, parce qu’asymétrique, le procès de son dépassement). La théorie est cette conscience qui n’est pas la conscience immédiate de l’expérience, même si elle y est immergée.
A ce titre, la théorie dans son sens restreint fait tout autant partie de la lutte de classe que n’importe laquelle des activités qui la constituent. La théorie dans son sens général et dans son sens restreint sont des productions constantes au cours de la lutte de classe, elles sont nécessairement liées, elles peuvent tout aussi bien être leur constant passage de l’une en l’autre que s’affronter. Dans son sens restreint, elle ne préexiste jamais comme constituée, ni comme projet, elle se remet en chantier dans la lutte de classe et plus empiriquement dans les luttes immédiates parce qu’elles la remettent en chantier, elle est contredite, elle reprend la contradiction, elle fixe des objectifs, des limites parce qu’elle est produite à ce moment comme objectifs, elle est compréhension et anticipation mais ne se fixe jamais comme compréhension achevée ni comme anticipation à réaliser. En un mot, elle est active, vivante parce qu’elle sait que la condensation n’est pas un reflet, une expression immédiate de l’expérience. Elle ne se place jamais du point de vue d’un but à atteindre pour lequel il faudrait mettre des moyens en oeuvre. Le but c’est ce que produit le mouvement, le communisme c’est ce que produit la lutte des classes et à partir de là je ne suis pas un précurseur du but, toujours un peu orphelin de celui-ci, mais seulement impliqué dans le mouvement, impliqué théoriquement ce qui n’est ni attentisme ni extériorité.
Se poser la question du « rôle » de la théorie c’est admettre que ce sur quoi, ou même dans quoi, elle a un rôle à jouer existe sans elle. C’est admettre la lutte de classe sans théorie ce qui est une contradiction dans les termes, ce qui n’a jamais existé et n’existera jamais.
Tout le monde aura deviné que pour parler de ce « nous » désignant les gens s’occupant de théorie, se posant dès maintenant la question de la révolution et du communisme, je vais croiser la théorie de l’écart et le concept de théorie au sens restreint. C’est sur cette base que je peux reprendre les critiques que je faisais du texte de BL. BL renvoie au futur de la révolution « l’emparement » de la théorie par la « lutte de classe pratique ». Cette position s’inscrit dans une histoire qui n’est pas stricto sensu celle du programmatisme mais qui lui est liée comme expression interne de ses impasses dans l’Ultra-Gauche ou l’IS et que l’on trouve déjà exprimée chez Marx de la façon suivante : « La théorie n’est jamais réalisée dans un peuple que dans la mesure où elle est la réalisation des besoins de ce peuple (...) Il ne suffit pas que la pensée recherche la réalisation, il faut encore que la réalité recherche la pensée. » (Contribution à la critique de la philosophie du droit).
C’est un petit retour sur l’IS qui sera le plus éclairant pour saisir les contradictions de BL. « Nous avons dit les idées qui étaient forcément déjà dans ces têtes prolétariennes, et en les disant nous avons contribué à rendre actives de telles idées, ainsi qu’à rendre la critique en actes plus théoricienne, et décidée à faire du temps son temps. » (Debord et Sanguinetti, La véritable scission..., p. 14). Il ne s’agit plus alors de mesurer la production théorique à l’aune de son influence : « L’autonomie prolétarienne ne peut être influencée que par son temps, sa propre théorie, et son action propre. » (ibid, p.100). Cette conception demeure, enfermée dans une problématique programmatique. La théorie existe et la lutte de classe vient à sa rencontre. La lutte de classe n’est pas elle-même conçue comme productrice, la théorie existe déjà. « Contrairement aux vieux micro-partis qui ne cessent d’aller chercher les ouvriers, dans le but heureusement devenu illusoire d’en disposer, nous attendrons que les ouvriers soient amenés par leur propre lutte réelle à venir jusqu’à nous (souligné par moi) ; et alors nous nous placerons à leur disposition. » (IS 11, p. 64). Toute cette conception de la théorie, comme corps constitué et préexistant, est à l’oeuvre chaque fois que l’IS envisage sa production théorique comme le fait de rendre conscientes les tendances inconscientes des luttes : « le mouvement des occupations » (IS 12, p 19), l’émeute de Watts (IS 10). La pratique rechercherait une vérité que la théorie détiendrait et c’est pour cela que cette pratique viendra à sa rencontre.
BL sait que c’est la théorie qui est elle-même le produit des conflits de ce monde, que ces conflits ne recherchent pas leur vérité, ils en sont le vrai mouvement théorique producteur. La pratique ne recherche pas sa vérité dans une théorie préexistante ou même se faisant à partir d’elle. BL sait tout cela et il le dit, mais en renvoyant la rencontre au futur, BL se contredit. D’un côté, la théorie ne se constitue que dans le cours de la lutte des classes dans sa réalité la plus immédiate ; d’un autre côté elle est un ensemble de vérités constitué puisque le prolétariat va s’en emparer. Le temps est chargé d’effectuer la synthèse : les luttes se dirigent d’elles-mêmes, nécessairement vers leur théorie, c’est-à-dire la théorie déjà constituée qu’elles « recherchent » et dont elles « s’emparent » parce qu’elles l’ont produite.
C’est au présent que nous devons penser la relation des luttes de classe et de la théorie au sens restreint. Je ne vais pas proposer un nouveau programme d’actions retentissantes, ni d’aller distribuer des tracts à la porte des usines, ni de nous mettre en communauté. Comme je le disais précédemment, s’il ne s’agit que de faire ce que, plus ou moins, nous faisons déjà, il s’agit de comprendre que cela signifie deux choses : la question de la diffusion de la théorie communiste se pose (pas au sens de propagande, ce que critique très justement BL sans voir que par là il gomme une partie de la question) ; les positions communistes peuvent infléchir le cours des luttes actuelles (si elles ne le pouvaient pas, elles n’existeraient pas). Ces deux points sont foncièrement identiques.
« La question de la diffusion de la théorie communiste ne se pose pas » dit BL. Fondamentalement BL a raison et ses arguments sont catégoriques : « la théorie n’est plus le grand arrière de la propagande et de l’agitation » ; « la théorie n’est plus programme ». « Le caractère théoriciens des luttes pratiques, rejoindra le caractère dissolvant de la lutte théorique (...), les luttes s’empareront des moyens théoriques », en conséquence « la théorie aura la faculté de se répandre par la force de sa justesse ». Plus loin, BL écrit : « Il est possible et même probable que dans la formation de la situation révolutionnaire, les élaborations théoriques soient ré-exprimées (il vaut mieux..., nda) dans les termes de la transformation des luttes, cette nouvelle expression serait une première phase de l’emparement du discours théorique par la pratique ». Tout cela est parfait pour le futur dont nous parle BL, mais cela suppose que jusque là nous avons deux mondes parallèles : celui des luttes « pratiques », celui de la lutte théorique. Ces deux mondes se rencontrant à l’infini de la « situation révolutionnaire ». Mais, jusque là, à mon avis, la question de « la diffusion de la théorie communiste » se pose. Et d’une certaine façon, BL la pose sous le thème de la « présence en communiste dans les luttes » qui est un décalque de « présence en théoricien », l’une et l’autre formule s’opposant à « en tant que ». Mais il la pose en sens unique. « Etre en théoricien » dans les luttes, pour simplifier, c’est se laisser enseigner par elles non comme une matière brute mais en ayant la capacité de les comprendre comme théoriciennes, c’est-à-dire en ayant les données a priori de « l’entendement théorique » (pour parodier un philosophe). En conséquence « être en théoricien », c’est aussi y être (un peu) « en tant que théoricien ». S’opposer à toute attitude normative c’est avoir des idées sur la liaison entre les luttes actuelles et la révolution, ce n’est pas être un bloc de cire vierge. C’est avoir la capacité d’être surpris par le nouveau, mais aussi de voir qu’il y a du nouveau. Cette capacité c’est le précipité de toutes les luttes antérieures, de la lutte des classes en général et de l’histoire du mode de production capitaliste, un précipité systématisé, une construction intellectuelle, un concret de pensée, une théorie de la lutte des classes.
BL parle « d’efficience » de la théorie qui en fait un élément réel (et vice versa), mais cette « efficience » se confondrait avec sa propre énonciation, elle serait « efficiente » du fait même qu’elle est énoncée. Ce qui n’empêche BL de faire la « petite liste » (résumée plus haut) des « conditions » pour que « l’articulation luttes actuelles / révolution puisse être autre chose qu’une pétition de principe ». Bien sûr cette articulation n’est jamais et ne peut pas être une application de la théorie, mais il est remarquable que BL pour expliciter cette « articulation » ne se livre pas à une analyse de la lutte des classes dans la période actuelle, ce que logiquement on attendrait à partir de ses prémisses, mais donne une liste de ce que les « communistes » peuvent plus ou moins faire. On ne soupçonnera pas BL de penser que l’articulation n’est pas une pétition de principe qu’à la condition que « nous » en soyons partie prenante, il n’en demeure pas moins que même si la théorie est un élément réel de par sa seule énonciation, les choses vont encore mieux en les poussant un peu. La théorie ne peut d’un côté être un « élément réel » et, de l’autre, ne pas en être un.
Prenons au sérieux deux choses : les luttes sont théoriciennes, productives de théorie ; la théorie au sens restreint ne se confond pas avec une simple expression (une photographie) de la lutte des classes, elle en est une abstraction et une critique. Ce que nous devons parvenir à penser c’est que comme abstraction et comme critique, la théorie au sens restreint est incluse dans la définition générale (globale) de la théorie. C’est cette inclusion, toujours présente, qui est fort problématique, c’est dans ce rapport que nous sommes à même de fonder nos interventions parce que nos positions communistes ne sont pas des positions sur l’avenir (le futur) mais des positions actuelles (l’écart). Le rapport entre la théorie au sens restreint et au sens général est précisément celui de l’écart, la théorie au sens restreint est elle-même une pratique de l’écart. Le guet et la promotion de ces pratiques qui constituent l’écart ne sont ni avant-garde, ni complaisance. Bien sûr, il s’agit avant tout de « faire exister théoriquement le dépassement communiste de la manière la plus claire possible » (BL). Mais le faire exister théoriquement de la manière la plus claire possible ce n’est pas énoncer un nouveau programme à réaliser, ce à quoi inévitablement en reviendrait une conception et une pratique qui ne voient la relation entre la théorie au sens restreint et les luttes que comme « jonction » et de plus jonction « future ». La théorie au sens restreint est incluse dans le caractère théorique global de la lutte de classe actuelle, cette inclusion, je l’ai montré n’est pas une confusion, elle peut même se trouver en opposition frontale avec le caractère dominant de telle ou telle lutte, mais cela n’empêche que nous avons intérêt de ne rien oublier de ce que nous savons par ailleurs et même de s’en souvenir clairement, si nous voulons que ce « ce que nous savons par ailleurs » soit de la théorie, c’est-à-dire quelque chose de vivant parce que repris et travaillé par le nouveau (ressuscité même). La théorie dans son sens restreint s’inscrit dans les luttes actuelles dans le moment où, intriquées dans l’action en tant que classe, des activités annoncent la remise en cause de la classe dans la lutte contre le capital et se heurtent au fait d’agir en tant que classe comme une limite, quelle que soit la forme qu’elle prend : organisationnelle, prises de positions politiques ou autres. C’est cela maintenant des positions communistes au présent, et c’est ainsi que cet « emparement futur » dont parle BL n’est pas un miracle ou une simple affirmation par définition (puisque c’est la révolution, donc..., etc.). Si nous n’avions pas des positions communistes à défendre au présent, nous n’en aurions aucune dont les luttes seraient susceptibles de s’emparer dans le futur.
Si nous avons des positions communistes à défendre au présent, alors la question de la diffusion se pose comme conflit à l’intérieur de l’activité de la classe. Feuerbach dit quelque part que le fou fait n’importe quoi n’importe où et Lino Ventura dans les Tontons flingueurs que le fou est capable de tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. Evitons donc d’être fous, pour le reste c’est affaire d’analyses et de flair.
Pour terminer, nous pouvons maintenant revenir à Simpson là où nous l’avons laissé. Il croit avoir répondu à sa question d’origine mais il vient de répondre à une question qu’il n’avait pas posée : « qu’est-ce que nous faisons ? » ou « comment cela va se faire ? ». C’est à cette question dont je viens d’essayer de mettre à plat les fondements et les conditions d’énonciation que j’ai tenté, par là, d’apporter une réponse.
La problématique générale de son texte (les deux questions et les deux tendances) empêche Simpson de voir qu’il a changé de question et que, ce faisant, plus ou moins résolu son problème. En effet, dans les deux derniers paragraphes, Simpson conserve sa problématique mais ne revient pas exactement à son point de départ. La tendance « perspective révolutionnaire », celle qui suit le cours de la contradiction entre prolétariat et capital en tant qu’histoire du mode de production capitaliste, s’est enrichie en cours de route des « écarts » ; la tendance « autonomiste » (également appelée « immédiatiste »), quant à elle, se trouve engluée, à son corps défendant, dans des situations revendicatives (les « centres sociaux », les « sans »). Finalement les « revendicatifs » se trouvent un peu « révolutionnarisés » et les « révolutionnaires » un peu « revendicatisés ». Donc chacun a besoin de l’autre : « ...immédiatisme et perspective révolutionnaire cherchent leur point de rencontre et se questionnent l’un l’autre. ». A un niveau supérieur, les deux erreurs de départ ont été reproduites.
Premièrement, Simpson conserve deux tendances et croit sur paroles ce que la tendance « autonomiste » dit d’elle-même, alors qu’elle n’est qu’un cas particulier du cours quotidien de la lutte des classes.
Deuxièmement (qui découle du premier, à moins que cela ne soit l’inverse), les conditions présentes ne seraient rien de plus qu’un environnement dont la tendance « autonomiste » doit tenir compte (c’est l’ajout critique de Simpson vis-à-vis d’elle) et dans lesquelles elle se doit de trouver un « point d’appui » (c’est sa solution). Mis à part le paragraphe que je signalais, auquel je souscris et dans lequel Simpson paraissait changer de question, les conditions présentes ne sont qu’une somme de disparition : classe comme abstraction, une classe sans identité, destruction de la classe ouvrière, etc. Si l’on ne saisit pas positivement les phénomènes qui ne sont ici que des disparitions, il est évident que la « frange qui veut mener à bien la révolution » ne peut que se demander « que faire ? » et a tout intérêt à trouver les bonnes réponses.
En conclusion : la structure même de la question « Que faire ? » est reproduite : des gens se posant la question de la révolution en tenant compte de leur environnement. Toujours l’idée d’une avance sur son temps et donc d’un hiatus à combler. Le point de départ a été conservé : « Loin de moi, ici, de prétendre que la révolution se fait essentiellement par ceux et celles qui la veulent et prétendent la faire ici et maintenant, mais force objective est de constater que la frange dite révolutionnaire de la population est celle qui peut et veut la saisir adéquatement pour la mener à bien et qui agit en sorte qu’elle arrive un jour... ».
Ce n’était pas dans les réponses que résidait l’erreur mais dans la question.
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Théorie, Meeting, "nous" etc., Patlotch, 24 août 2005Quitte à ne pas faire écho à la cohérence de cette intervention de RS qui répond simultanément à plusieurs autres (Amer Simpson, BL, et autres débats récurrents sur la théorie, le "nous", et le Que faire ?...), je m’en tiens à quelques aspects.
Malgré sa longueur, ceci est un message de forum, une contribution dans une discussion en cours. Je maîtrise mal le type particulier d’expression qu’est le « message de forum » et je demande aux usagers de ce site de m’en excuser. Si ça se trouve dans la catégorie textes, c’est parce que les messages de forums sont limités à 20000 signes.
Pour le site : Il y aurait peut-être moyen de signaler dans le fil des interventions en cause l’existence de cette réponse.
Pour la revue n°3 : dans l’éventualité de la publication de textes proposés, il serait peut-être intéressant de publier à la suite des extraits des interventions (une différence donc avec un choix d’interventions en forums coupés des textes).
BL veut attaquer toute position normative, programmatique, toute propagande, toute attitude de « en tant que », toute vision de la révolution comme suspendue à la diffusion et la reconnaissance préalable de la bonne théorie. Partant de là, [BL] nous prévient même que nous ne devons « avoir aucunement l’idée que des positions communisatrices puissent infléchir de quelque façon que ce soit le cours des luttes actuelles ».Mais au-delà des gens et des attitudes qu’il vise implicitement, est-ce que cette proposition est juste ?
Qu’est-ce actuellement une « position communisatrice » ? [...] Nous sommes théoriquement et pratiquement les guetteurs et les promoteurs de cet écart, c’est cela avoir des positions communisatrices et si nous ne les avons pas personne ne les aura à notre place.
Que de telles positions n’infléchissent pas le cours des luttes actuelles est loin d’être une évidenceJe dois dire ma satisfaction que la question de cette « évidence » puisse être posée, et plus clairement qu’elle l’a été dans les échanges depuis quelques mois. On s’est beaucoup focalisé sur la critique du « militantisme », le "rien" à "faire"... mais il y a eu des moments où c’était à devenir schizophrène. Un marathon, c’est certes une course d’endurance à petite vitesse, mais il n’empêche qu’on y met un pied devant l’autre : sur terre et pas au nom de la promesse du paradis (évacuer la téléologie du communisme ne peut pas être sans implication pratique : il faut choisir, ne serait-ce que pour être cohérent intellectuellement, et donc admettre que ce que "nous" dit et fait produit des effets). A trop vouloir montrer une extériorité non impliquée de la théorie, on en vient à ne plus se considérer "embarqué" dans le mouvement de ce cycle et les contradictions propres au démocratisme radical en tant que "nécessité" produite par la lutte de classe à ce stade : bien malin celui qui tracerait une frontière nette entre les faits (purifiés par le discours théorique ?) qui relèveraient du démocratisme radical et d’autres du courant communisateur, comme si la contradiction principale était ce qui les oppose "idéologiquement" et non dans la praxis, dans le mouvement de la reproduction (du capital, des classes et de leur contradiction).
Il me semble que prendre à bras le corps la "théorie de l’écart", cela change la donne par rapport à ce qu’elle a pu être il y a quelques années, et qu’au fond, c’est cela qui justifie l’existence même de Meeting, qui ne peut pas être considéré strictement comme une revue de théorie restreinte, comme pure abstraction, mais bien une revue collant le mieux possible au "nous" et cherchant à couvrir le plus largement possible le champ communisateur, cad aussi ses contradictions concrètes dans leur rapport aux réalités, et non dans un champ théorique "en l’air". Finalement, la modestie n’est peut-être pas celle qu’on croyait... ("nous" = la théorie m’avait particulièrement déplu).
J’apprécie donc la mise au clair tendant à poser les problématiques (et les tâches) "communisatrices") au présent du concret, et non comme anticipation éclairée de ce qui devra forcément arriver plus tard.
RS « L’écart n’existe pas comme une force sous-jacente qui pourrait ou non venir à la lumière, il n’existe que dans des expressions et des pratiques sinon il n’existe pas, ce n’est pas une potentialité ».Concernant le "nous", s’il devait être étriqué, ramené à, disons, ceux qui font Meeting et environs, voire à ceux sur les actes desquels on appuie l’abstraction théorique parce qu’ils agissent le plus visiblement aux limites du cycle, je ne serais pas sûr de ma légitimité à en être, ni du point de vue de l’élaboration théorique, ni du point de vue d’une exemplarité de mon activisme. Pourtant la question se pose pour moi d’ores et déjà, individuellement, mais aussi dans un milieu professionnel, social... dont il est pourtant peu probable que surgisse de si tôt des événements marquants, exploitables théoriquement, parce que c’est à terme une question pour le prolétariat et le salariat dans son ensemble, et non pour une fraction éclairée de purs et durs. Je suis convaincu d’une part qu’il y a partout à lire et interpréter des paroles ou des actes qui témoignent du mouvement de ce cycle de luttes, d’autre part qu’il n’est pas possible de considérer les événements les plus lisibles comme produits par une avant-garde (que seraient par ex. les chômeurs). Je considère même qu’il pourrait y avoir une tendance à se focaliser sur certains milieux ou certains actes et qu’elle témoignerait d’une immaturité de la critique communisatrice liée au fait que nous sommes en début de cycle, immaturité dont il s’agirait de prendre la mesure parce qu’elle interviendra à contre-courant avec les meilleures intentions communisatrices.
Quoi qu’il en soit, je considère que ces reformulations pour définir la théorie globale/restreinte, l’écart... sont une avancée qui évacue certains flous, et que loin d’avoir été inutiles les échanges sur le "que faire ?" portaient de vraies questions sur le "nous", auxquelles RS apporte là des éléments de réponse qui permettent de mieux situer le rôle de Meeting et sans doute de rapprocher les points de vue.
Patlotch 24 août
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> Quelque chose de l’ordre de l’évidence, domduverger, 3 décembre 2005Amer Simpson est un demeuré
Amer Simpson est un demeuré, relevant du service après vente.
Amer Simpson comme d’habitude ne pose pas les bonnes questions. Il donne des réponses idiotes à des questions qui ne se posent pas
Amer Simpson de plus à l’arrogance de poser deux questions et même plus car il répond à des questions qu’il ne pose même pas
Amer Simpson n’à pas compris que seul RS à les ou plus exactement LA bonne question et cela depuis prés d’un quart de siècle : comment une classe agissant strictement en tant que classe etc.
Amer Simpson n’a pas compris que quand on avait LA question tout était de l’ordre de l’évidence.
Il n’ y a qu’a faire comme on à toujours fait : des réunions, des revues, des manifestations, des grèves. Les réunions existent, les revues sont produites, les gréves ont lieu, tout cela est réel donc nécessaire. Elles sont l’existence même LA question.
lAmer Simpson souffre de diplopie car il voit deux mouvement là ou, dans le réel (alias la Chose Elle Même) il y à un seul mouvement qui nous autorise à parler de la communisation.
Il faut faire taire Amer Simpson
Amer Simpson est un alternativiste, car il croit qu’il y a d’autres questions, peut être même qu’il croit pouvoir choisir entre les questions, avantgardiste car ce croit en avance sur son temps et de surcroît myope et crédule car il croit l’autonomie sur parole.
Amer Simpson, à trop poser de questions, finira par mal tourner il mystifie le Prolétariat.
Amer Simpson est un contre révolutionnaire en puissance.
Amer Simpson ne mérite pas qu’on lui réponde mais le Calme de l’Evidence ne veut pas la mort subite du pécheur et lui donnera donc une dernière chance.
On va feindre de s’intéresser aux questions de Amer Simpson (4 pages, puis 12 consacrée à BL avec qui il est d’accord, c’est-à-dire presque à parler de soi même, et retour en conclusion sur Amer Simpson, puisque parait-il c’est de lui qu’il est question).On peut appeler cela un polémique aussi rude qu’amicale.
Pour moi j’appelle cela de l’arrogance et du mépris.DomDuverger
- Un accusateur public, Bernard Lyon, 4 décembre 2005
Si on est pas d’accord avec un texte, on le dit, mais on ne se contente pas que lancer des imprécations, on argumente, on démonte, on discute, il est totalement irrecevable de faire des déclarations comme celle- la, pourquoi se permet-on de traiter les gens de vieux crabes (depuis 25 ans ) sans savoir un mot de leur théorie ! De quel science, on se permet de savoir ce que les autres ont dans la tête ? (du mépris). Je pense que c’est DomDuverger qui est méprisant, oui la polémique est rude, mais DD n’en prend pas le risque, il préfére à l’avance, drapé dans son honnêteté radicale outagée, laisser deviner la culture hégélienne (la chose elle-même) de quelqu’un à qui on ne la fait pas ! Mais il ne nous la fait pas non plus ! La blague de faire dire à l’autre qu’il déclare que ses contradicteurs sont des contre-révolutionnaires, ne me fait pas rire, c’est tout simplement traiter un camarade de stalinien (en dérision bien sûr mais tout pour DD mérite dérision). DD se pose comme au-dessus de la polémique, mais subrepticement il lance une critique morale à la théorie de TC. C’est toujours la morale qu’on ressort quand on a rein à dire.
Oui RS est foncièrement d’accord avec moi, mais les divergences qu’il a exprimées sont réelles (ou au moins l’étaient dans le moment) et renvoient à des divergences importantes dans le courant communisateur, divergences qui portent sur les mêmes points que ceux qu’aborde Amer Simpson. Il est donc faux de dire que RS chosit ce qui est le moins loin de lui par mépris pour les autres divergences. Dire que des opinions sont erronées ou mal fondées n’a rien de méprisant, considerer l’autre comme un vieux crabe méprisant est en revanche le comble du mépris et de l’arrogance.
Ce n’est pas par le speudo respect des divergences qui fera avancer les choses, l’éclectisme est le plus sûr moyen de se faire des amis,
et DD se satisfait de lui dans le rôle du redresseur de tords en millieu révolutionnaire, de l’observateur impartial mais radical.
Un site comme celui là permet ce genre d’apparition de statue du commandeur. Le premier mouvement est de les traiter par le mépris (le vrai) mais à la réflexion non. Nous avons une exigence, celle de l’honnêteté (la vrai) qui est de predre au sérieux ce que les gens disent . On ne doit pas laisser DD vomir sur les camarades en faisant semblant de s’indigner, en renvoyant sur les autres son propre mépris et ses propres incompréhensions.- > Un accusateur public, Patlotch, 4 décembre 2005
Bien que je souscrive au fond à cette réaction de BL, je compatis et rend hommage à ceux qui s’en prennent plein la gueule, de part et d’autres, certes de confondre peut-être "se prendre au sérieux" et "prendre ce qu’ils font au sérieux". Néanmoins cela mériterait parfois plus de doigté, car après tout il y a des "douches froides" qui ne refroidissent que ceux qui tournent le robinet comme un révolver pour se tirer une balle dans le pied : le plus visible et le plus triste, c’est que ni Amer ni quelques autres n’interviennent plus ici.
Je ne crois pas, ni d’un côté ni de l’autre à l’explication par "le mépris", c’est une explication qui ne fait que dresser l’écran des difficultés réelles, car émanant du fond de la problématique ouverte par Meeting, dans la dynamique de la pratique théorique comme pratique du ’courant communisateur’ dans la contradiction propre à ce cycle de luttes (être ou ne plus être un prolétaire dans et face au capital). Je ne crois pas qu’on en sorte par le haut en parlant sans le souci élémentaire d’être compris -c’est à dire en se donnant les moyens de cette patience-, et encore moins -bien que j’en sois un spécialiste honteux- en renvoyant l’autre à son incompréhension ou à son hostilité estampillée d’une étiquette quelconque de façon précipitée : gare que les tares supposées du militantisme ne deviennent, dans l’écart, les nôtres.
Patlotch en un instantané oecuméniste
- > Un accusateur public, une réponse perso, Amer Simspon, 5 décembre 2005
Permettez-moi d’intervenir, puisque, de toute évidence, il est question de moi dans ce débat quelque peu houleux.
Premièrement, je dirais simplement qu’on se sent méprisé que si on le veut bien. Que des gens nous méprise, soit, on n’y peut rien. Mais en revanche, cela pourrait très bien me concerner à la seule condition que je le considère comme tel et là n’est pas le cas. Donc, pour répondre à ce mystérieux D. D. dont c’est la première manifestation sur ce site, de mon propre avis, je n’ai considéré dans la réponse de Roland Simon aucune animosité qui relevait du mépris. Tout au plus, une façon un peu trop commune de répondre dans la rectitude et la précipitation, et c’est peut-être là que le ton choque parfois. Mais de là en tenir rigueur, il y a perte de temps. Car si R. S. a la prétention d’exposer des grandes vérités que rien ne saurait ébranler, c’est son truc à lui. Pour ma part, je crois plutôt que R. S. ne fait qu’exposer ses propres théories sur la réalité présente et que cela ne plaise ou non, elles sont pertinentes.
Deuxièmement, que ma présence sur ce site n’ait pas connu beaucoup de manifestation n’en fait pas moins que je suis là. Toutefois, je n’ai pas réponse à tout – dans le sens que je n’ai pas toujours mon mot à dire sur les divers sujets abordés et non dans le sens de voilà la façon de voir les choses – et c’est pourquoi, j’écris que lorsque cela semble pertinent de faire l’effort. Il en va tout autant avec la réponse aux critiques de R. S. et de B. L. dont la rédaction est encore en cours. Je ne vois pas vraiment ce qui presse et j’ai pour ma part mes propres questionnements qui méritent que j’y consacre le temps qu’il faut. Bref, bientôt sera disponible sur le présent site mes réflexions entourant le fameux sujet de ce que nous faisons pour parvenir à la révolution et je ne crois pas que ce soit là une question stupide.
Amer Simpson
- > Un accusateur public, une réponse perso, Amer Simspon, 5 décembre 2005
- > Un accusateur public, Patlotch, 4 décembre 2005
- Un accusateur public, Bernard Lyon, 4 décembre 2005
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Un renversement de perspective, Denis, 7 décembre 2005A une question mal posée on répond de travers. Tel est tout le problème du débat engagé sur le forum de Meeting à la suite du texte d’Amer Simpson : en raisonnant à partir du cadre conceptuel erroné tracé par Amer Simpson, l’échange s’égare et risque de perdre de vue les questions essentielles que la thématique de « l’agir » pose au courant communisateur.
Il faut donc commencer par une critique non pas des positions d’Amer Simpson, ce que Roland fait très bien, mais de sa manière de construire une « tendance autonomiste » qui n’existe que dans son imagination.
Roland voit parfaitement qu’Amer Simpson, en posant ses deux questions, a déjà faussé le débat : en complétant la question « comment se préparer à mener la révolution ? » par une seconde, « comment saisir les conditions présentes ? », Simpson s’embourbe d’entrée de jeu dans la problématique des conditions objectives et subjectives. Bernard Lyon puis Roland font un sort, chacun a leur manière, à cette manière de voir les choses : je n’y reviendrai pas. Mais au passage, Simpson a chargé une « tendance autonomiste » d’être la tentative de réponse à sa première question, tentative qu’il pourra ensuite critiquer pour pouvoir introduire la nécessité de sa seconde question. Qu’est-ce que cette « tendance autonomiste », d’ou sort-elle, et comment Simpson sait-il à quelle question une telle tendance cherche à répondre ? Le texte nous répond par quelques lieux communs et une lecture approximative de Tiqqun : il évoque quelques pratiques comme « abolir la propriété par le vol et le squat, confronter l’autorité par la violence et l’organisation horizontale, détruire la marchandise par le pillage et la gratuité des services publiques, mettre fin au salariat par la récupération, la débrouillardise collective, le partage des responsabilités et du savoir-faire... » pour ensuite leur donner un sens (« préparer dès aujourd’hui les armes qui critiqueront cette société un jour ») qu’il est le seul a y trouver...Roland flaire le piège, en demandant si les « deux tendances » (Simpson, lui, ne parle jamais que d’une) sont « théoriques ou idéologiques » ou si elles « constituent la réalité empirique de la lutte des classes » . Mais, cette réserve posée, Roland entérine sans plus de recul l’existence de la « tendance autonomiste » avec les caractéristiques attribuées par Amer Simpson.
De quoi Simpson parle-t-il ? En choisissant curieusement de l’appeler tendance « autonomiste », terme que l’on croyait plutôt réservé jusque là aux Bretons ou aux Corses, Simpson ne fait qu’éviter d’utiliser le mot « autonome », alors qu’en fait c’est cela qu’il veut dire. En effet, les pratiques qu’il décrit ont été importantes dans un contexte et une période ou existaient en Italie et en France des mouvement, des nébuleuses, des « tendances » qui se qualifiaient elles-mêmes d’autonomes : que certaines de ces pratiques existent toujours, c’est un fait, qu’il faille pour autant les rattacher, même en rajoutant un « isme », à des mouvements historiquement défunts, c’est déjà beaucoup plus discutable. C’est exactement comme si on qualifiait Théorie Communiste de courant « ultra-gauche conseilliste ». Si on cherche des généalogies ou des filiations, pourquoi pas : certes, le lien existe, direct ou indirect, entre la période de l’autonomie parisienne (fin des années 70, début des années 80) et maintenant, tout comme le lien existe entre l’ultra-gauche historique et Théorie Communiste. Mais que devrait-on penser de quelqu’un qui, sans jamais avoir lu une seule ligne de Roland Simon, lui reprocherait tout bonnement de tenir les positions d’Echanges ? C’est pourtant exactement ce que fait Simpson avec sa « tendance autonomiste ».S’il existe donc sûrement des alternatifs pour qui le « vol » ou le « squat » valent abolition de la propriété privée, il y a tout autant de voleurs ou de squatteurs pour qui une telle position n’a aucun sens. S’il y a peut-être des gens qui s’imaginent que par ce qu’ils ne travaillent pas, le salariat est aboli, il y en a tout autant qui comprennent bien que le rapport social capitaliste est un tout qui ne s’annihile pas localement. Bien plus, si l’alternative est, comme je l’ai dit dans un texte de Meeting 1, une tentation permanente, elle n’arrive jamais pour autant à être l’essentiel tout simplement parce qu’elle est intenable. Même une partie de ceux qui sont le plus tentés par le discours alternatif sont toujours renvoyés à des impasses très concrètes, et donc condamnés à être orphelins d’une pratique alternative impossible. C’est ce qui arrive déjà à nos amis « appelistes » (ceux qui ont été convaincus par le texte intitulé l’Appel, voir Meeting 2).
Pour parler de cette « tendance », un terme qui pouvait paraître relativement approprié est celui trouvé par Aufheben, Mouvement d’Action Directe, à plusieurs réserves près. D’abord, Aufheben n’a jamais pu mesurer à quel point ce mouvement, qui s’était retrouvé un temps sur l’antimondialisation, ne s’est jamais défini par cette lutte qu’il a plutôt eu tendance à considérer comme un terrain favorable à l’expression de son urgent besoin d’action. Le MAD, ou plutôt ce qui a donné le MAD, préexistait, mais d’une manière qu’Aufheben ne comprend pas, à l’antimondialisation et surtout l’antimondialisation, après Gênes, a continué sans lui. Le moment ou le MAD a cherché dans l’antimondialisation un terrain de jeu et d’aventure, et peut-être, pour une fois, ce qui lui est souvent reproché comme si cela lui était constitutif, un terrain d’expérimentation, ne se sera étendu que de 1998 à 2001 environ.
Une seconde réserve à propos de l’appellation « MAD » est que ce dont il s’agit est quelque chose de trop diffus pour l’appeler un « mouvement » : le regroupement temporaire que l’antimondialisation a favorisé lui en a seulement donné l’apparence.
Enfin, TC a tellement identifié le MAD à ce qu’il a cru y voir (« l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de lutte ») qu’il devient difficile d’utiliser ce terme si on ne veut pas y mettre cette signification.En fait, si on comprend qu’il existe quelque chose qui s’est trouvé regroupé de manière temporaire dans le MAD au moment de la lutte antimondialisation entre 1998 et 2001, que ce quelque chose a lui-même dans son ensemble jugé le MAD en tant que composante de la lutte antimondialisation comme un moment abstrait des dynamiques des luttes communes, non pas en dehors de ces dynamiques, mais coupé de celles-ci (et ce sans avoir besoin de lire TC), et que par conséquent ce quelque chose a cessé de s’intéresser à l’antimondialisation et donc que le MAD en tant qu’apparition plus visible de ce quelque chose a lui aussi cessé d’être, on aura sûrement progressé. Alors, Aufheben et TC cesseront de prendre ce qui n’est qu’un moment, et qui plus est un moment bref, pour l’essence intangible et presque intemporelle de ce qu’ils cherchent à décrire.
Les pratiques dont il est question, l’auto-réduction, le vol, le squatt, sont loin d’être cantonnées à la sphère d’une « tendance » quelconque. Il s’agit de pratiques apparues dans un contexte de lutte : et qui, certes, ne concerne pas en permanence le prolétariat tout entier, mais par intermittence des secteurs importants de celui-ci. D’une part, ces pratiques ne sauraient en tant que telles définir la « tendance », puisqu’on les trouve de manière diffuse dans le prolétariat, et d’autre part ces pratiques ne distinguent pas la « tendance » d’autres composantes des luttes et n’en font pas quelque chose de radicalement à part.
Il s’agit donc de comprendre que la « tendance », le « quelque chose », est avant tout une composante réelle du cours commun des luttes, et ne vaut que par cela. C’est un peu ce que répond Roland à Amer Simpson, mais tout en croyant celui-ci lorsqu’il affirme que la « tendance » se veut elle-même une préparation et une préfiguration de la révolution et même qu’elle n’existe que comme cette tentative. On comprendra donc que lorsque je dis que la « tendance » appartient au cours commun des luttes, je ne dis pas la même chose que Roland, car lui comprend cette appartenance sur la base de la présentation faussée qu’en fait Simpson. En réalité, personne ne se prépare plus à la révolution : cette problématique est réellement d’un autre temps, celui que TC, dans sa périodisation, nomme la période du programmatisme. Il suffit d’aller voir, dans les luttes, les acteurs parler d’eux-mêmes et de ce qu’ils y font pour comprendre à quel point caricatures et lieux communs font office, chez Amer Simpson, d’analyses.
La « tendance » ou le « quelque chose » est une position dans les luttes, position qu’on peut tenter de décrire de bien des manières : on pourrait l’appeler, comme je l’ai proposé, « aire qui pose la question de la communisation », s’il n’était gênant d’utiliser une métaphore topologique pour décrire ce qui justement n’est pas un territoire - pas un bastion, pas un point d’appui, pas un « communisme dans une seule ferme ». C’est une composante réelle des luttes qui, dans les faits, se retrouve à se confronter à ces problématiques qu’on a choisi, dans Meeting, de nommer « communisatrices ».
Cette position ne peut se réduire à un « milieu », même si par la force des choses une partie de ceux qui se trouvent engagés constamment dans les luttes autour de cette tendance finissent par se rencontrer et forment entre eux des liens qui perdurent au-delà du seul espace de l’affrontement commun. Pourtant, la « tendance » ne se confond jamais avec ce « milieu », puisque la tendance c’est une position, et qu’une position se définit dans un rapport : la position est une position dans la lutte, nulle part ailleurs. Ailleurs elle devient mondanité, art ou débrouille collective entre potes pour survivre, selon les cas, mais en tout cas elle perd ce qui permet de la rattacher à la problématique de la communisation.
Une dernière remarque : à la fin de son texte, récusant les questions formulées par Simpson, Roland parvient à dégager, de manière très claire, la véritable question à laquelle la théorie cherche à répondre. Il ne s’agit pas de savoir « comment se préparer à la révolution », pas plus que de « saisir les conditions présentes pour arriver à la révolution ». La véritable question est bien « que faisons-nous ? » (et pas, d’ailleurs, « que font-ils ? », car « ce qu’ils font » est partie prenante de ce que nous faisons ou pouvons faire). « Que faisons-nous ? » est la question que toutes les luttes se posent à un moment ou à un autre, et c’est pourquoi elles sont, en effet, « théoriques » même si elles n’utilisent pas le langage abstrait de la théorie telle qu’on la trouve dans Meeting : et elles sont théoriques lorsqu’elles font des choix, puisqu’en décidant de faire quelque chose plutôt qu’une autre elles répondent aussi à cette question.
Au-delà d’une lutte particulière, la question « Que faisons-nous dans les luttes en général ? » est celle qui fonde la théorie telle qu’elle est conçue dans une revue comme Meeting. Ce que nous y faisons a un sens, et c’est ce sens qu’il s’agit de formuler ensemble.
- > Un renversement de perspective, mais lequel ?, patlotch, 10 décembre 2005
Sans réagir point par point au contenu de ce message, qui répond en partie aux questions que je posais plus bas ("le sens des mots, pas seulement"), je fais part d’une impression (ce qui peut passer pour pire qu’une "construction spéculative", mais après tout, le premier temps de la théorie n’est-il pas l’intuition ?)
Dans ce qu’écrit Denis, il y a quelque chose que je sens, mais pas à partir des mêmes références ou expériences. Ses explications autour du MAD et de l’évolution des autonomes (me) sont précieuses, en ce qu’elles (me) permettent de distancier la compréhension que j’en ai à travers les seules analyses de Roland (c’est pas sa faute, mais Meeting pourrait jouer un rôle de témoin des luttes théoriciennes, genre Echanges en brut, avant autonomisation, et sans lunettes filtrantes de l’écart). Sur ce point, je ne peux qu’apprendre de façon très indirecte ("théorie indirecte contre action directe", voilà qui pourrait être comme un problème communisateur). Cette distance critique permet de relativiser une lecture técéiste des événements, et d’en interroger la cohérence, dans laquelle on est pris qu’on le veuille ou non. Comme on ne peut ni tout jeter ni tout prendre, on cherche à cerner jusqu’où c’est incontournable (cf l’Invite, comme base si n’était son consensus rédactionnel), et à creuser ce qui est moins convaincant. Mais avec TC, mettre en cause un point, c’est comme d’enlever une patte à une araignée : est-ce encore une arachnide ?
Ce que je sens c’est qu’il y a de l’idée de révolution dans l’air. Une idée qui ne passe plus pour ’délirante’, c’est qu’elle puisse arriver un de ces jours, comme une explosion : que la situation l’amène comme incontournable, tout simplement parce qu’on ne voit pas d’autre "solution", sans pour autant affirmer qu’elle est "la seule". Dans des milieux quasi à l’opposé de ceux dont parle Denis, je constate comme les idées alternatives marchent sur du sable, comme si rien n’arrivait à se fixer, à être crédible pour d’autres que ceux qui y investissent une foi militante (ce que je perçois comme transformer la résistance aux sales coups en perspective politique, cf la négativité du référundum transformée par les ’collectifs du non’ en positivité qui fait flop chez leurs partisans mêmes, cf l’Appel à signature Alternative Unitaire 2007 [sic] qui semble pédaler dans la choucroute). Il y a donc quelque part un enjeu qui traverse la société au-delà des manifestations que l’on tient pour exemplaires. C’est le contraire qui serait étonnant, et c’est aussi la limite et la relativité des exemples d’avant-garde, même présentés comme annonce ou aire de la communisation. Je préfère humer l’air de la communisation. Si j’attends quelque chose, c’est un bougé qui traverse tout le corps social.
Pour autant, je ne suis pas sûr qu’on puisse projeter sur les événements l’analyse de TC, l’écart etc. jusque dans toutes les implications qu’impose sa construction systématique. Il y a quelques noeuds qui font problème, comme dirait l’autre. Christian Charrier, de La Matérielle, en relève quelques-uns sans que je saisisse où il veut, ou peut, en venir, avec quoi je recoupe mes propres interrogations (je ne suis pas encore charriériste, mais lui non plus) : l’anti-humanisme systématique me semble faire peu de cas des niveaux de généralité par lesquels on peut construire une critique qui intégre l’histoire longue de l’humanité dans celle du capital, et la révolution comme bouclant plus que l’histoire du capital, abolissant plus que l’exploitation spécifiquement capitaliste, même si c’est à partir et contre celle-ci. Il y a là des traces d’althussérisme que relevait Aufheben en le rapportant à une situation différente en Europe continentale et dans les pays anglo-saxons (une histoire différente du marxisme, d’autres nécessités théoriques). Or, je constate mais sans pouvoir en tirer quoi que ce soit, que ce point focalise ce qui oppose TC aux autres théoriciens, pour faire court, relevant du courant communisateur. Quelque chose est ligoté par TC, qui demande à être libéré, ce que TC fait mine d’ignorer en allant jusqu’au bout de sa logique, à un point tel que si la révolution n’avait pas lieu « comme ça », c’est qu’elle aurait tort, comme disait Brecht. Je me demande un peu où est la place de la surprise, de l’improvisation, et pour tout dire, de la liberté, en tant que part de réel aussi, là-dedans. Faire l’histoire dans les conditions déterminées par le capital, d’accord. Par la théorie pas d’accord.
Peut-être que ça a l’air de noyer le poisson, devant les textes élaborés de Roland, Denis, Christian, et les autres. Je le mets néanmoins en relation avec ce que Denis dit là : le "quelque chose" que "nous faisons dans les luttes", et j’ajoute : ou que nous ne faisons pas que nous pourrions faire, si nous en avions une autre idée que celle de TC, alors qu’il n’y en a pas d’autres, à un tel degré d’idéel/idéal. Je ne suis pas convaincu que nous soyons allés au bout de la discussion sur "Que faire ?", et mon petit doigt me dit que la modestie théoricienne pourrait n’être que fausse modestie, en ce qu’elle restreint les potentialités de la théorie abstraite des luttes dans son rapport aux luttes. Je maintiens que l’alternative "agir en théoricien / agir en tant que théoricien", si elle a sa pertinence pour ceux qui élaborent théoriquement, n’est pas la nôtre ; qu’elle est décalée par rapport à "agiter le courant communisateur" quand on n’est pas un théoricien : que cela ne les empêche pas de faire leur travail concret d’abstraction concrète, ni "nous" de n’être plus le même de les lire.
Mais peut-être suis-je hors sujet...
Patlotch, 10 décembre
- Sur un air de révolution, Bernard Lyon, 11 décembre 2005
Sur un air de révolution
De la révolution dans l’air ?
Cette formule, on ne peut plus intuitive, que veut-elle dire ?
Que des luttes comme celle des banlieues sont inintégrables dans le démocratisme radical ?
Que la sphère de la politique apparaît de plus en plus déconnectée de la réalité de la vie dans la société capitaliste restructurée ?Tout cela certainement, mais aussi et surtout , comme le dit le texte, qu’elle peut commencer n’importe quand, que la restructuration n’aurait plus rien à accomplir, que la contradiction de classe pourrait exploser mondialement du jour au lendemain, ("un de ces jours"). L’explosion de la contradiction capitaliste étant celle de tout le cycle de l’exploitation, elle aurait peut-être pour Patlotch quelque chose à voir avec une dimension anthropologique qu’elle actualiserait (cf. la critique du soi-disant althussérisme de Tc .). Discuter de l’existence d’une telle dimension n’a pas grand intérêt pratique, mais cette dimension est là pour soutenir la possibilité de révolution maintenant. Les deux considérations de se rejoignent ; la révolution est possible tout de suite parce qu’elle a quelque chose d’irréductible à l’économique, quelque chose de transhistorique qui l’a fait échapper au déterminisme. Et ce quelque chose serait ce qui fonde notre « faire » puisque ce faire relève de ce qui fait pencher la balance. La part de la liberté dans la révolution que Patlotch recherche c’est en réalité la totalité de la révolution, il ne sert à rien de rechercher dans les coins, ce qui est le tout en face nous ! Cette recherche cache toujours, à soi-même, un déterminisme mécanique honteux. (A part ça comparer Tc à une araignée, qui donc tisse sa toile, est sinon répréhensible du moins assez triste, quant à lui arracher une patte il faudrait d’autres éléments que la critique de la critique de « l’humanisme théorique », idéologie bricolée qui est la béquille des programmatistes orphelins inconsolables de l’identité ouvrière -même s’ils ne le savent pas- et surtout qui est la rustine théorique qui donne la positivité qu’on ne trouve pas dans le prolétariat empirique, c’est l’ersatz de la nature révolutionnaire du prolétariat transféré dans l’humain, il n’a d’autre fonction que de se rassurer pour pas cher)
Or ce « faire », cette activité dans la situation, est constitutif – en autres- de l’écart qui se creuse dans la limite des luttes, c’est-à-dire dans le fait fondamental que lutter en tant que classe est maintenant la limite des luttes, c’est là que les luttes des banlieues dans leur impossibilité même de s’auto – organiser d’affirmer une nature de classe, manifestent immédiatement cet écart (ce que Denis rattache dans ce texte à l’aire de la communisation, qui ici change passablement de contenu en ce qu’elle ne se pose pas vraiment la question de la communisation)Pour en rajouter une couche (en parlant de couche le choix du texte « L’auto - organisation est le 1er… »a été proposé par des copains qui ne participent pas à Tc) je me dois de réentonner l’air de la crise mondiale, oui il faut la crise, non ce n’est pas immédiat, oui il faut que l’ensemble du cycle de capital s’enraye, et cela le plus probablement, au terme de ce qu’ont été jusqu’à présent les cycles du capital, c’est à dire cinquantenaires, (le cycle actuel commençant à la fin des 30 glorieuses -de 65 à 75- et s’achevant autour de 2015/2025)
En ce qui concerne l’auto – organisation, pour Denis elle ne concernerait que les luttes et non pas ce que l’on est dans le capital, cette formule est séduisante car ainsi auto–organisation serait radicalement distincte de l’autonomie de classe. Mais auto–organiser sa lutte sans s’auto-organiser soi-même, c’est impossible, on lutte comme salarié, comme chômeur, comme enseignant, etc.… ce « comme » n’est pas un choix politico-social, il est la réalité du rapport de ceux qui luttent contre leur capital, l’organisation qu’ils se donnent pour lutter ne se différencie pas de leur lutte même, contre le capital, dans les catégories du capital. C’est bien parce que les JPR n’ont pas de place reconnue dans la société capitaliste, qu’ils ne peuvent pas s’organiser comme jeunes de banlieues. Bien qu’ils soient « organisés » en groupe d’amis selon moi, et en bandes selon Sarko. Il ne peut pas y avoir d’auto–organisation des luttes elles- mêmes, sans référence explicite à qui lutte, donc à un « qui » de cette société.L’auto – organisation ne débouche pas sur une autonomie de classe stable, au contraire puisque la période de l’autonomie de classe était celle du programme d’affirmation du travail, celle où la structure adéquate de l’autonomie était le parti et le syndicat ! Cependant considérer que l’auto – organisation actuelle est déjà au-delà de l’autonomie est aller vite et surtout accorder à l’auto–organisation la neutralité technique d’un mode organisation sans contenu à priori. Ce qui succédera à l’auto–organisation n’a pas de nom autre que communisation, car ce n’est plus un mode d’organisation qui le définira, l’autotransformation des prolétaires est production de nouveau contre l’existant, qui seul peut relever de l’auto - organisation.
Au sens strict, notre action « n’influence » rien car l’influence suppose l’extériorité, nous sommes un élément réel théorique et donc pratique des luttes, tous les questionnements sur le faire, sur l’influence, réifient la situation du capital en conditions objectives et nous réifient en conditions subjectives, d’où le questionnement sur « et si c’était possible tout de suite ? » et quelle est la part de liberté ? L’unité de la contradiction de classes qu’est le capital et celle du cycle de lutte et du cycle du capital sont oubliées.
Le fait que ce cycle de luttes soit le dernier cycle du capital semble impliquer, pour beaucoup de monde, qu’il ne puisse absolument pas en avoir la caractéristique essentielle de tout cycle, à savoir tout simplement de sortir d’une crise et d’entrer lui même en crise. Ce qui a été reproché par beaucoups à "Trop loin" c’est d’avoir dit « il va falloir attendre », reproche fait en pensant qu’au contraire ce serait aujourd’hui la veille ! Alors que la vraie fausse route, ce n’était pas le moment mais comment on y arrive. La restructuration réelle a créé la situation qui rend la révolution à fois invisible à l’horizon politique et flagrante au niveau de la contradiction réelle, celle d’une reproduction des classes de plus en plus problématique. On a maintenant à la fois l’éternisation du capital et l’immédiatisme de la révolution (personne ne se prépare plus à la révolution dit Denis), ces deux éléments sont totalement liés, ils nient tous deux, le cycle, que le capital ait encore un cycle allant banalement vers la crise. Mais dans ce cycle se produit le dépassement du capital, les luttes de classe se transforment et la révolution comme production du communisme, commence à être développée dans la conceptualisation même de la transformation de ces luttes, ce que Tc appelle "l’écart", d’autres "l’aire de la communisation" (suspension faite des différences considérables, mais qui peuvent diminuer si « l’aire » n’a plus rien de géométrique, si elle n’est plus réductible à un milieu, si elle est l’ensemble des actions, positions et analyses qui creusent l’écart dans la limite des luttes )« Agiter le courant communisateur » qu’es acco ? On ne fait que ça justement et c’est bien ce qu’on pourrait se reprocher ! Ecrire pour Meeting, diffuser la revue, faire des réunions, sur les luttes actuelles (réunion publique sur Meeting 2 faite à Marseille, réunion sur invite, de débats de textes à venir). Echanges les plus divers tant du côté de Marseille que de Paris, suivi des discussions sur le courant communisateur, au sein des réseaux ultra-gauche et au sein de la mouvance intéressée par l’aire de la communisation.
La lutte de classe est la production réelle de la révolution réelle, la communisation. Au travers de nos divergences et de notre convergence fondamentale, c’est cela que nous devons suivre, comprendre et diffuser, en participant au creusement de l’écart, en agitant le courant communisateur, en le faisant devenir incontournable pour toute critique conséquente du capitalisme et de l’altermondialisme. La crise qui vient montrer ce qu’elle sera, dans la poursuite de la restructuration par la segmentation des prolétaires qui se poursuit ici dans par la racisation d’Etat aggravée et dans l’antiracisme, le communautarisme et le laïcisme. Les clivages vont s’horizontaliser, se géographier de plus en plus, dans une mise en abîme des contradictions de classe, au sein de chaque zone, mondiales, nationales et locales. La lutte des banlieues qui nous a passionnés et fait débattre nos compréhensions, nous place de manière incontournable devant le fait que nous sommes les seuls a ne lui adresser aucune critique, à la considérer, telle quelle est, comme un élément constitutif de l’advenue de la crise révolutionnaire et non comme un symptôme. C’est à des situations comme celle là que nous seront confrontés, dans le conflit entre socialisation et communisation, dont la situation en Argentine dont montre le point de clivage essentiel : ne plus se battre pour rester ce qu’on est dans cette société, mais pour être immédiatement notre communauté.- Sur un air de révolution, Patlotch, 12 décembre 2005
Avant de revenir sur quelques points de cette réponse de BL, je fais un détour sur "comment j’en suis venu à partager l’idée de communisation ?"
Il y a un an, je piétinais dans l’élaboration d’un "Carrefour des émancipations", dont le titre dit assez le rapport qu’il entretient avec ce dont il s’agit de s’émanciper : une somme de dominations. Certes je cherchais "un retour à Marx", un refondement et "un élargissement de la critique du capital et de l’Etat". Je cherchais ce qui ne marchais pas dans l’alternative politique radicale, je leur faisais toutes sortes de reproches dont leur "déficit théorique" et leurs pratiques politiciennes même hors partis, etc. Je n’en pouvais mais... Pour le meilleur j’arrivais à BIHR ("Actualiser le communisme", qui s’échoue en jus de boudin radical avec la taxe Tobin), ou ABENSOUR ("la démocratie contre l’Etat", donc Marx expurgé du Capital comme critique de l’économie politique - ie de l’exploitation), pour le pire à Nicanor PERLAS ("La société civile, le troisième pouvoir", cad une analyse de la réalité dans "l’apparence des choses"). Je n’arrivais pas à articuler mes "dominations" et le capital, car repartir de l’exploitation équivalait pour moi à retomber dans "contradiction principale/ contradictions secondaires". Intellectuellement j’aboutissais à un magma et une impasse. "Politiquement" j’étais isolé, sachant que je ne supportais plus les tartufferies militantes.
C’est à ce moment que je suis tombé sur les écrits de RS ("Les fondements..."). Désolé, ça fait un peu conte de fée, "euréka...", "nouveau messie" etc. et certains l’ont compris comme ça, c’est dommage. Mais pas du tout pour moi. Ce n’est pas la cohérence en soi de TC qui m’a séduit mais, si j’essaye de le saisir rétrospectivement, trois points que je simplifie : 1) l’exploitation = cours du capital 2) l’implication réciproque = praxis 3) la révolution = auto-abolition du prolétariat dans celle du capital. Cela signifie que je tenais pour essentielles l’idée de dépassement produit, la praxis comme celle du tout des deux pôles prolétariat-capital etc. Je ne pense donc pas être tenté par la considération de conditions subjectives / objectives. Je comprends l’insistance de BL pour que cela soit clair : « notre action n’influence rien car l’influence suppose l’extériorité ». Au regard de ce que je raconte plus haut, dois-je considérer que n’ai pas été "influencé" ? Certes il s’agit, du moins en apparence, d’un parcours plus "spéculatif" que lié aux luttes, voire...
Les théoriciens ont aussi un "nous" au sens restreint (« nous sommes un élément réel théorique et donc pratique des luttes »), d’où ils parlent bien qu’adoptant la posture du "nous" prolétarien dans l’écart, ce qui suppose, comme le dit Charrier, que leur théorie soit "naturelle à l’époque". Les problèmes liés à cette rencontre seront de plus en fréquents, et c’est d’ailleurs pourquoi Meeting ne peut pas exposer que des textes à haute densité théorique, dans le langage de leur élaboration rigoureuse, sauf à prendre son retard dans "l’écart", et à jongler avec ses "nous". C’est pour ça que je me permets des interventions "inintéressantes". La question est d’ouvrir, car tous ceux ’appelés’ (’invités’ par la cours quotidien de l’exploitation...) à s’inscrire dans "le courant communisateur" (il faut bien des individus, même particuliers comme appartenant à une classe, en chair et en os pour se battre ’physiquement’, et avec, accessoirement, un cerveau pour penser théoriquement autant qu’un coeur pour agir ’en conscience’) ne proviennent pas de l’Ultra-gauche ou des autonomes et autres, mais tout simplement de « la sphère politique de plus en plus déconnectée de la réalité de la vie dans la société capitaliste restructurée ».
Alors, un mot sur « la critique de la critique de "l’humanisme théorique" ». J’ai eu tort d’évoquer Althusser, d’une part parce que je n’ai pas les moyens de ma fausse prétention théoricienne, d’autre part parce que ce n’est pas le problème. Appelons un chat un chat. Toutes les critiques de RS (celle de l’IS, celle de Dauvé-Nésic, celle d’Astarian...) convergent sur cette question, à un point de si haute-tension qu’il rend le dialogue impossible. Ils ramènent l’humain en lieu et place du prolétaire, et c’est rhédibitoire. Quand BL résume ce dont je voulais parler, c’est tout de suite les grands mots : « L’explosion de la contradiction [...] aurait peut-être pour Patlotch quelque chose à voir avec une dimension anthropologique qu’elle actualiserait... ». Merci pour la précaution du "peut-être" et de retenir l’idée que quelque chose s’actualise, dans l’abolition du capitalisme (niveau de généralité trois selon B. OLLMAN, "La dialectique avancée" ), qui est en même temps l’abolition des sociétés de classes (niveau de généralité quatre, d°) et (en redescendant dans les niveaux de généralité), l’émancipation de ce qui est "général aux individus" (niveau deux, d°), et "ce qui fait qu’une personne est unique" (niveau 1, d°). Jusque-là, pas de problème, on voit bien, avec ce schéma, qui n’est qu’un schéma, que nos ’humanistes’, s’ils ne sautent pas purement et simplement le niveau trois (le capital en tant que tel, donc l’exploitation), passant des niveau un et deux (Stirner et l’anarchisme individualiste ou personnaliste, cf l’en-dehors, les tourments de Benasayag), au niveau cinq ("la société humaine", d°). Dans ce sens ça marche bien : reconnaître la contradiction motrice du capital, et donc se reconnaître comme prolétaire est une condition nécessaire (pour sortir des perceptions de "dominés" par genres, et les débouchés communautaristes...). Ce que je sens chez TC, c’est comme d’en faire une condition suffisante, ce que j’interprète comme la surdétermination sur tous les autres du niveau trois (le capital), par le règne absolu de subsomption réelle, y compris aux niveaux six ("le règne animal", d°), et sept ("comme parties matérielles de la nature"). Précisons qu’Ollman élabore ces niveaux (en les théorisant) à partir de Marx, et donc réintègrant l’humanisme universel de ses écrits de jeunesse dans la critique du Capital (en quoi la coupure est relative, comme le soutient Camatte, et je pense aussi autrement TC).
J’ai vu qu’il y avait par ailleur un débat sur exploitation-aliénation, entre TC et Aufheben, dont il ressort en définitive des rapprochements entre ce que les uns et les autres mettent sous chacun des deus termes (je crois que c’est dans TC 19). Il se trouve qu’Holman est connu pour son livre de 1971 : Alienation : Marx’s Conception of Man in Capitalist Society...
Voilà, je laisse tout ça à la réflexion, pour voir si cela a un « intérêt pratique, en soutenant la possibilité de la révolution » dans ce cycle, à condition de ne pas le rabattre systématiquement dans deux dimensions opposées binairement dans le schéma prolétariat vs espèce humaine, dimension de classe et dimension anthropologique. Pour ma part, je pense qu’il y a quelque chose à articuler (on n’enlèvera pas à Ollman d’être assez fin dialecticien), et que ce n’est pas sans rapport avec le débat de fond sur l’auto-organisation, en tant que quoi ? parce que s’il s’agit de s’émanciper du rapport capitaliste, on le fait à tous les niveaux en passant par l’abolition au niveau trois (l’exploitation) : comme individu unique, singulier, particulier, appartenant à l’espèce humaine, en tant qu’animal et que partie de la nature. Voilà qui promet de savoureux échanges entre communisateurs et écologistes radicaux...
Pour terminer, quelques mots de comparaison « répréhensible et triste » de TC à l’araignée. Je n’avais pas pensé à la toile qu’elle tisse - toute métaphore a ses limites - mais au fait que privée d’une patte, elle appartient quand même à la famille des arachnides (8 pattes), comme un unijambiste à l’espèce humaine. Je voulais souligner cette irritation que je ressens devant le "systématisme de TC" (Charrier) : on ne peut rien enlever sans toucher au tout, on a l’impression que c’est à prendre ou à laisser. Ce qui est irritant, ça gratte, c’est comme une araignée, qui tisse des fils plus résistants à la rupture que l’acier, même trempé...
Patte-lotch, animal de classe singulier, 12 décembre
Remarque en quoi ceci est lié au débat sur "auto-organisation des luttes / auto-organisation du prolétariat" : BL répond à la question que je posais plus bas, souhaitant discerner dans les luttes ce qui serait auto-organisation "formelle" et en "contenu" (portant l’autonomie du prolétariat). Pour lui, il n’y en n’a pas : quand on auto-organise une lutte, cela porte toujours l’autonomie. Cela se boucle sur l’affirmation tout l’être se ramène à sa condition de classe, où je renvoie à ce que j’en ai dit plus haut.
- Sur un air de révolution, Patlotch, 12 décembre 2005
- Sur un air de révolution, Bernard Lyon, 11 décembre 2005
- > Un renversement de perspective, mais lequel ?, patlotch, 10 décembre 2005
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