jeudi, 8 juin 2006
Le mouvement anti-CPE a bien été essentiellement étudiant. Et de ce point de vue, insister sur l’importance de la participation des lycéens n’y change rien, dans la mesure où nombre de ceux-ci sont de futurs étudiants, en, tout cas de la force de travail en formation. Par ailleurs « l’hégémonie » de la composante proprement étudiante est suffisamment analysée dans le texte « Le Mouvement anti-CPE en Ile-de- France ».
Il s’agissait du refus d’un nouveau contrat de travail entérinant plusieurs aspects de la précarisation du salariat. Il concernait potentiellement toute la jeunesse en-deçà de 26 ans. Or, si des franges non-étudiantes sont intervenues, ce fut soit en tant qu’activistes aux motivations différentes, soucieux de radicalisation - dans la critique et les pratiques - et d’extension. Et s’ils exprimèrent la dynamique du mouvement (j’y reviendrai) selon les textes de R.S., ils servirent concrètement la « victoire » très limitée du refus de masses peu actif. Soit aussi en tant que les désirés/redoutés « banlieusards », « émeutiers de novembre » qui, s’ils furent présents, exprimèrent - violemment et parfois de façon barbare - des séparations objectives et subjectives importantes et graves. Quand bien même, ce n’est jamais inutile de le répéter, les dépouilleurs ne formaient pas un groupe homogène aux « émeutiers de novembre », ils étaient sans doute pour une part les mêmes.
Quelle précarité le mouvement a-t-il refusé ? Est-ce donc que, comme le montrait en 1986 le film des « Lascars du LEP électronique », il s’agissait de rejeter ce qu’on acceptait implicitement pour les « autres », les non-diplômés ? Le mouvement aurait été corporatiste, mais en quel sens ? Il y a actuellement en France, selon les données statistiques de l’INSEE, près de deux millions trois cent mille étudiants toutes filières confondues, environ 57% dans les universités publiques, près de la moitié de ceux-ci dans des filières très générales. Certaines exposent davantage au risque de dévalorisation sociale, même si aucun niveau de diplôme, dans aucune filière, ne garantit absolument contre celle-ci. Elle s’exprime précisément par un « déclassement » à l’issue des études : emploi qui requiert des compétences moindres qu’acquises, à temps partiel, rémunération à l’avenant, etc.
Cinq ans après leur sortie de la faculté, 7% des licenciés sont au chômage, 5% ouvriers ou employés non qualifiés, 14% ouvriers ou employés qualifiés. Sur les quelque 240 000 bacheliers entamant des études chaque année près de 25% les arrêtent au bout d’un an. Environ 70% d’une génération ont le bac général, techno ou pro. Mais 38% deviennent diplômés du supérieur, surtout les bacheliers des filières générales, moins ceux issus du bac techno et moins encore ceux du bac pro. Il s’agit là d’une tendance, il importe de le garder à l’esprit. Une majorité des bacs + 4 ou +5 deviennent encore cadres ou professeurs, employés en CDI dans la fonction publique ou privée, etc. Le tableau est celui d’une érosion des classes moyennes par relative dévalorisation des diplômes dans le cadre d’une mise en concurrence généralisée de plus de monde pour moins de places à prestige et rémunération « confortable ». Mais on voit bien aussi que la valorisation personnelle par le parcours qualifiant, « le mérite », permet toujours de s’en sortir moins mal. A savoir concrètement être moins exploité, quand bien même on serait « précaire » ou « flexible ». Si les illusions « diplômistes » existent encore, c’est qu’il s’agit bien sûr d’illusions qui ont une base objective même en voie de restriction. L’université n’est sans doute pas encore vécue comme ce « parking bon marché » dans la file d’attente du marché du travail. Un détail significatif d’ailleurs : si nombreux sont les étudiants qui travaillent (près de la moitié à des degrés divers) souvent employés à des postes subalternes, mal payés, ils le vivent comme une pénibilité transitoire à laquelle échapper justement. Pas comme une réalité définitoire de leur condition.
L’idéologie pratique diplômiste, le refus de son évanescence tendancielle aurait été le « moteur réactif » de ce mouvement. Par opposition à sa dynamique identifiée par R.S. (ruptures... et explosion...). Que celle-ci, portée par des minorités actives, ait été à l’inverse celle de la caducité tendancielle de la revendication (de CDI, stabilité, reconnaissance sociale...) n’a pas empêché que c’est bien cela qui a été « vainqueur ».
Mais qu’est-ce précisément que cette précarité dont il a tant été question ? Laurence Parisot, philosophe du Medef, note très justement que tout est précaire : santé, amour, travail, la vie même... Mais d’où vient le mot ? son étymologie nous apprend, avec intérêt, qu’il est issu du latin prex, la prière. Est donc précaire ce qui requiert une prière pour l’obtenir, le garder. On connaissait l’instrument qui nous a donné le gracieux « travail » : avec cette famille de mots devenus célèbres et appelés à l’être d’avantage, on voit très bien se dessiner les contours de l’Inquisition capitaliste. Tout sujet vivant prolétarisé doit avouer, c’est-à-dire être vecteur d’accumulation, dont la survie est révocable, à doses raisonnables la peur peut être un excellent aiguillon. Flexible est ce qui plie, par extension est adaptable. Comment est-on flexible et/ou précaire en France aujourd’hui ? Ce qui y vaut n’est guère éloigné de ce qui se passe dans les autres pays capitalistes avancés. Tout le prolétariat est précarisable, mais les précarités sont encore assez différentes, parfois très nettement. L’oublier expose à des effets de réel cruels.
Un certain négrisme semble avoir eu la tentation de créer une nouvelle figure « centrale » : le Précaire, identifié au « travailleur intellectuel immatériel ».. En gros, les travailleurs d’un certain nombre de services, au statut juridique exotique ou complexe selon les lois du travail actuelles. Intermittents du spectacle, employés qualifiés des NTIC, de l’édition (maquettistes, correcteurs, SR), journalistes... Or, si évidemment un certain nombre d’entre eux peuvent galérer, leur situation permet à beaucoup un accès au crédit sans menace de surendettement, à un niveau de consommation nettement au-delà de la stricte reproduction de la force de travail. Leur précarité est compensée par des niveaux de rémunération relativement élevés en période de travail et leur flexibilité est une adaptabilité permise par des périodes de formation ou d’autoformation, une acceptation d’horaires éventuellement décalés en contrepartie d’un certain niveau de « temps libre ». Il ne s’agit pas là d’un cas idéal ou « bon » à opposer à d’autres réalités mais il y a bien des places particulières dans la production. Certaines moins exploitées et subalternes que celles auxquelles j’en viens.
Car il existe bien sûr des formes de précarité autrement aiguës. On parle depuis quelques années des working poors. Ces travailleurs dont le niveau de rémunération ne leur permet même pas de se loger, par exemple, à peu près réduits, eux, à la stricte reproduction de leur force de travail. Mais des pans entiers de prolétariat sont déjà soumis à des formes virulentes de précarité et de flexibilité. Et souvent alors même qu’employés en CDI, qui n’est absolument pas le gage d’une reconnaissance sociale automatique. Les salariés - beaucoup de femmes - de la grande distribution sont ainsi très souvent employés à temps partiel bien qu’en CDI. L’annualisation du temps de travail, issu de l’application des 35 heures, a généré des horaires particulièrement déstructurés dans ce secteur, qui accroissent souvent considérablement la part de la journée de travail non payée (déplacements, « pauses »). Une autre modalité de précarité très présente dans cette branche est le flicage, sinon généralisé du moins très présent, par l’encadrement ou des sous-traitants spécialisés, avec à la clé des licenciements fréquents pour fautes (vols, etc.). Et aussi la gêne ou l’empêchement des activités syndicales ou de défense hors syndicats. Sont exemplaires également des services taylorisés en forte expansion, les salariés des call centers ou de MacDo (80% en CDI) sans gratification ni intérêt possible et donc au turn-over important. Également les intérimaires, volant d’adaptation à l’activité dans de nombreuses industries comme l’automobile.
Les bastions de la fonction publique connaissent également un pourcentage important de statuts précaires, de 20 à 30 % des salariés à la Poste comme dans l’éducation nationale. Actuellement, c’est de l’ordre de 25% des actifs qui sont employés en CDD, temps partiel, intérim, emplois aidés ou stages. Mais, on l’aura compris, la précarisation réelle est bien plus structurelle et tout à fait enkystée dans des formes juridiques de contrat soi-disant non précaires.
Le mouvement anti-CPE, nonobstant certaines de ses composantes, aurait alors été un mouvement non pas « de classes moyennes », mais d’une partie notable de la jeunesse de celles-ci (ou qui, par le biais du diplôme, pourrait théoriquement prétendre y accéder) en voie de prolétarisation visible. Mais que sont les classes moyennes ? C’est un enjeu d’analyse. On le sait aussi, une sorte de fourre-tout, qui fut à une époque le fétiche de certains sociologues, qui y voyaient l’avenir des sociétés capitalistes avancées, à rebours des analyses de Marx. Les situationnistes, eux, par leur définition des prolétaires comme étant ceux qui ne déterminent pas l’emploi de leur vie, rendirent mieux compte de ce que prolétariat et capital sont deux pôles dans la « légitime abstraction théorique » et que de ce point de vue les classes moyennes étaient de facto une composante du prolétariat, même si pleines d’identifications mystifiantes. Il ne faut évidemment pas chercher de frontières strictes et tomber dans un pointillisme sociologisant mais il existe un certain nombre de critères permettant de les cerner : selon la place dans la production - elle sera d’encadrement, conception, reproduction qualifiante de la force de travail ou indépendante libérale. Selon le niveau de rémunération bien sûr. En France, le salaire médian est actuellement d’environ 1200 euros : 50% de la force de travail est au-dessus, mais la plupart un peu au-dessus, 50% au-dessous, beaucoup assez nettement. La tranche des 1500 à 3000 euros correspondrait. On y trouverait pêle-mêle instituteurs et professeurs, travailleurs sociaux, fonctionnaires (catégorie B), techniciens de diverses branches à « expertise », une partie des professions libérales (quoiqu’eux soient une couche plutôt supérieure de ces classes moyennes). Mais les pratiques socio-culturelles et le prestige ou la reconnaissance sociale du métier jouent aussi. Un certain rapport donc aux études, la voie de reproduction de ces classes. Le pourcentage d’enfants d’ouvriers et d’employés dans les filières d’ « excellence » n’a cessé de décroître depuis une vingtaine d’années. Quant au prestige, celui d’un médecin, d’un journaliste (il fut un temps en tout cas), d’un universitaire est supérieur à celui d’une caissière semble-t-il.
Dans Le Monde du 3 mai 2006, le sociologue Louis Chauvel fournit quelques précisions sur leur formation et leur crise actuelle. L’économiste allemand Gustav Schmoller forgea en 1897 la notion de « nouvelles classes moyennes ». S’il existait selon lui d’anciennes classes moyennes issues de l’économie traditionnelle (boutique, artisanat, accumulation patrimoniale, offices), ces nouvelles reposaient sur le développement d’un Etat fort et de la grande industrie exigeant qualifications et carrières strictement encadrées. Bureaucratie industrielle-étatique de techniciens, ingénieurs - on ne les appelait pas cadres - ou fonctionnaires, qui connurent une expansion forte dans l’Allemagne de 1860 à 1920, avant les effondrements dus aux crises des années vingt puis de 29 et ses suites. Un développement similaire eut lieu dans des pays dont les structures sociales étaient antérieurement moins modernisées, comme la France, à l’époque des Trente glorieuses. C’est cette période qui s’achève, ces couches qui ne sont plus et ne seront pas reproduites telles quelles, quantitativement et qualitativement.
Prolétariat et capital/bourgeoisie, s’ils sont invariants en tant que pôles conceptuels, sont pleinement historiques et donc évolutifs. La composition des strates sociales l’est aussi, le capitalisme n’a pas généré une société de castes. Il a connu, à différents degrés suivant les situations locales et les périodes, une réelle mobilité sociale. Il est arrivé que des ouvriers s’intègrent à la bourgeoisie, que des bourgeois soient déclassés. Quant aux classes moyennes, si dans leurs couches supérieures elles se confondent plus ou moins avec la bourgeoisie, ne serait-ce que par la pluralité des revenus : salariaux ou d’honoraires, mais aussi patrimoniaux, financiers, etc. dans leur majorité elles ne sont pas très au-dessus des segments qualifiés de la classe ouvrière. Aux Etats-Unis, à une époque en voie désormais d’être révolue, les « cols bleus » (les Blancs du moins...) étaient considérés comme faisant partie de la middle-class.
Mais la dynamique propre au capital restructuré est bien celle d’une prolétarisation des dites classes moyennes et d’une faible mobilité sociale, ce qu’on appelle aussi « ascenseur social ». Comme si par ailleurs tous avaient jamais été invités à l’emprunter et que la division du travail pouvait être supprimée en société capitaliste... Quand paupérisation relative (parfois effondrement drastique comme un temps en Argentine, où si l’économie s’est « rétablie » c’est avec des taux de pauvreté bien plus conséquents qu’antérieurement) il y a pour ces couches sociales, il va de soi que pour la classe ouvrière déstructurée/restructurée aussi, mais partant de plus bas. Et que s’accroît la masse de ceux qui survivent de revenus sociaux et de miettes de salariat. Ou d’infrasalariat, comme ces dizaines de millions de travailleurs des secteurs informels, c’est à dire hors lois du travail, cadres juridiques, etc. Voilà un point d’achoppement guère contournable de l’analyse théorique. Il y a un « geste », quasiment d’intervention, théorique, qui dit l’unicité du prolétariat (y compris classes moyennes) mais cette abstraction théorique nécessaire qui voit les dynamiques ne doit pas perdre de vue ce que la segmentation produit comme différenciations renouvelées, durcies, etc. On peut estimer qu’un mouvement puissant réussirait à résorber l’essentiel de celles-ci dans une généralisation concrète. Mais on peut craindre à l’inverse qu’elles ne deviennent, en s’aggravant, autant de boulets contrariant le dépassement produit envisageable... Sinon, le point de vue unificateur pourrait apparaître comme un tour de passe-passe glissant sur les contradictions au sein du prolétariat. Il ne s’agit pour autant pas de prendre comme critère d’analyse une situation qui serait la « pire » dans l’exploitation. On peut aller loin, sans ignorer que les formes extrêmes existent et même encore l’esclavage, plus comme mode de production généralisé bien sûr mais comme situation illégale de facto qui concerne tout de même quelques millions d’individus.
R.S. dit dans le texte « Explosion dans la revendication » qu’il n’y a « pas de lien logique, théorique, historique, empirique entre la dynamique d’un mouvement et l’aspect minoritaire ou majoritaire de ceux qui a un moment l’ont exprimée. » Si c’est parfaitement vrai dans la mesure où ce constat illustre « l’écart » qui se joue dans certains mouvements de ce cycle de lutte, cela pose tout de même un sérieux problème. Le mouvement anti-CPE a bien montré, à la suite et malgré le lien évident qu’il avait avec la révolte de novembre, ce que la segmentation dans le prolétariat peut provoquer.
En admettant que la communisation comme soulèvement surgirait de foyers ponctuels et serait donc d’abord le fait de minorités, elle devrait très vite tenter de les unifier dans une course de vitesse avec diverses contre-révolutions (plusieurs textes de Meeting 1 et de Meeting 2 ont déjà abordé cet aspect). On en revient obligatoirement, dans cette problématique, au rôle de la théorie, analyse, parole précise portée par des minorités de minorités pour l’instant. Le « courant communisateur » en gestation ne doit-il pas s’envisager pleinement comme un « sujet politique ». L’expression a été avancée précédemment par Bernard Lyon et l’idée mérite sans doute un débat approfondi.
Qu’exprime le concept de communisation ? Partant de la caducité du Programme révolutionnaire du mouvement ouvrier, il n’en dit pas moins précisément ce qu’il faut détruire. Le processus, dans la mesure où il serait d’emparement, lié à la résolution de difficultés et tâches pratiques, est descriptible schématiquement. Mais en ce sens aussi, et quand bien même on n’imagine pas bien un monde « d’individus immédiatement sociaux », l’indication de ce qui serait aboli dans le moment (lui-même période, mais pas « transition ») de la communisation, dessine déjà quelque chose de ce monde. Revenons à ce point au mouvement anti-CPE. Certains récits, analyses, ont pu donner l’impression de minorer son intérêt, d’être le fruit d’une « déception ». Mais il a, malgré toutes ses limites été aussi le révélateur de la (ré)émergence d’un refus global porté par des minorités et se plaçant d’emblée dans l’au-delà de la revendication. C’est en fonction de prévisibles mouvements futurs (pas forcément très lointains) que l’intervention théorique pourrait être voulue comme effort accru de cette sorte « d’idée régulatrice » : la communisation, nécessité et horizon pratique. Nécessité, parce qu’au pied du mur elle serait la seule sortie par le haut, et le pied du mur c’est la contradiction prolétariat-capital en crise. Horizon, parce qu’elle n’est pas une utopie et que rien n’interdit de penser que puisent être liés dans la lutte généralisée des modes d’action strictement « en tant que classe » et de diverses volontés déjà élaborées de dépassement pratique. C’est là qu’il faut préciser que la contradiction essentielle qui ne se déploie que selon un cours strictement historique est certainement dans un contexte un peu « enrichi » mais d’un enrichissement quelque peu désastreux.
Agir en tant que classe prend et prendra sans doute des figures multiples : parfois même criminalité organisée (un vrai travail serait à effectuer sur ces phénomènes eux-mêmes très variés et tout à fait contradictoires), révoltes « sauvages » quoiqu’en partie coordonnées contre l’écrasement-relégation, lutte contre la dévalorisation de la force de travail, mais aussi conflits liés à des problèmes d’environnement. En Chine en 2005 plus de 50 000 de cet ordre (136 par jour en moyenne) auraient éclaté.. Et on ne parle pas de luttes de bobos mais d’ouvriers et de paysans vivant dans des endroits littéralement pourris par l’actuel développement chinois. Il n’y a rien de périphérique et de secondaire dans le fait que le mode de production capitaliste dans ses modalités (notamment énergétiques mais pas seulement) actuelles n’est pas viable à moyen terme.
J’ai dit dans Meeting 2 que cela n’était porteur de rien de « révolutionnaire » en soi. Les capitalistes concrets (Etats, entreprises, institutions diverses) tenteront obligatoirement et réussiront peut-être partiellement une réorganisation technique d’ampleur pour durer davantage. Il ne s’agira pas pour autant d’aménager vertement et vertueusement l’exploitation. Ce sera plutôt par des modes d’encadrement de la force de travail, exclusion d’une part accrue de celle-ci sans doute pires parce que dans un contexte de raréfaction, concurrence aiguë et mobilisation qui ne pèseront pas également sur tous les dos. L’horizon pratique c’est alors aussi le fait de (se) poser dès maintenant et pas comme incommensurables problèmes futurs certaines questions relatives à ces données qui ne sont pas tout à fait nouvelles mais en voie de devenir des éléments très aggravants du problème. Car la segmentation dont on a vu certains effets récemment est pire envisagée d’un point de vue mondial, ses réalités sont déterminées également par ces questions et le seront de plus en plus, avec tous les effets de « guerre de tous contre tous » redoutables.
Pourquoi un courant communisateur se priverait-il de dire et de répéter sans cesse que s’il n’est pas, lui, dans sa dérisoire puissance immédiate (« combien de divisions ? ») porteur de solution(s,) il dessine ceci en creux : la seule issue difficile mais pensable contre une implication réciproque prolétariat/capital mortelle, qui devient tendanciellement celle d’une humanité prolétarisée emportée dans le mouvement de sa soumission totalisante au capital. Ce mouvement, s’il n’est pas un sujet automate, n’en est pas moins une puissance incontrôlable, bien que produite et reproduite par des êtres humains, incontrôlable même par ses plus hauts bénéficiaires.
Il faudra peut-être créer des formes d’agrégations, mouvantes, expérimentales, de l’identification en tant que membres de cette humanité prolétarisée devant impérativement s’unir pour détruire la puissance - issue d’eux, qui les écrase très différemment mais tous. Le risque est bien sûr d’une idéologisation à partir de cette humanité devant extirper de sa « véritable nature » un dragon de la mort capitaliste qui, bien qu’elle, ne serait pas tout à fait elle, et de tentatives plus ou moins confuses d’alternatives, de « sorties », etc.
Mais la part du mythe n’est-elle pas incontournable dans une certaine mesure, et donc à assumer, au sens non pas d’aveuglant mot d’ordre, de volonté d’homogénéisation disciplinaire mais, on y revient, d’idée-horizon. Après tout, pourquoi un monde sans économie - valeur - argent, sans Etat(s) et dominations, pourquoi un monde d’individus immédiatement sociaux ? Parce que la structure du rapport contradictoire... Oui, mais nous en sommes aussi bien assez objectivement à une sorte de décisive crise de croissance de notre espèce. Il n’y a aucune raison transcendantale pour qu’elle continue et beaucoup d’éléments de la situation qui disent qu’elle pourrait cessera son aventure. Le dessin en creux de ce monde d’individus immédiatement sociaux qu’est-ce d’autre que le mythe rationnel d’une humanité qui se serait surmontée ? L’expression, qu’on ne s’y trompe pas, signifie récit vraisemblable. Quant à la direction prise à partir de certains processus, les mille biais et difficultés de l’élaboration d’un tel monde ne nous étant bien sûrs pas accessibles dans leur détail.
Et pas pour une fin heureuse et sans histoire mais une tout autre histoire. Autrement intéressante que ce qu’on ressasse, qui nous en a tenu lieu pour l’heure.
Joachim Fleur.
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