November 2008 article by Bernard Lyon on the election of Barack Obama.
Même en étant un opposant résolu au capitalisme et à son système politique préféré la démocratie et en boycottant sans cesse et sans illusion les élections (sans prendre la seconde pour l’essence du premier, ce qui amena la mort de l’ultra-gauche des années 80), on ne peut qu’être content et même heureux de l’élection triomphale d’Obama car la joie profonde des noirs d’Amérique et du monde entier est ressentie par tous ceux qui subissent ou imaginent l’humiliation qu’infligent tous les racismes. On ne peut qu’être heureux de voir le dépit et la rage de tous les racistes à commencer par les folkloriques red-necks du sud profond et par Sara Palin si parfaite dans son rôle de Cruella !
Obama est la nouvelle icône, mais comme tous les portraits gravés sur les pièces, ce côté face a son côté pile qui, une fois passée l’euphorie du moment, va sans doute s’imposer comme l’aspect essentiel de cette élection, une fois encore la bonne vieille formule ‘les deux faces d’une même médaille’ sera justifiée.
Un président démocrate noir, avec une majorité très nette et même un consensus quasi unanime en tant que « refondateur du rêve américain », est élu dans le cadre d’une crise qui menace d’être la pire depuis 29. Dans un contexte de guerre, il a toutes les raisons d’être un président de combat. Combat pour la liberté et la démocratie comme lors de la 2ème guerre mondiale. En effet l’Amérique qui nous arrive essaie d’être celle qui a chassé le nazisme d’Europe occidentale, permis son écrasement par l’URSS, et abattu l’empire de la « Grande Asie » que voulait fonder le Japon militariste et colonialiste.
L’élection d’un noir rénove l’image de l’Amérique. Elle va, au moins un temps, écarter le terme ‘l’impérialisme US’ tant cette formule était intriquée à l’idée de racisme et ce d’autant plus qu’Obama veut refocaliser la guerre contre Al Qaïda et les Talibans en exigeant l’envoi de troupes européennes et en recadrant sévèrement le Pakistan grâce à un dégagement d’Irak où un Etat ad hoc semble se stabiliser sur la base d’une tripartition ethnique : chiites, sunnites, kurdes. Pour l’Iran, l’orientation semble être d’essayer de favoriser le remplacement d’Ahmadinedjab par des mollahs rendus conciliants par des sanctions, qui mettant l’économie à genoux, engendrent des grèves et font passer le Bazar (la bourgeoisie nationale) à l’opposition. Les USA et l’Iran ont depuis la chute de Saddam Hussein des intérêts convergents en Irak (cessez-le-feu de Moqtada Sadr), c’est peut-être maintenant le moment où cette convergence peut se boucler contre les Talibans les plus durs (on pense négocier avec les « modérés ») et contre le Pakistan, le contentieux sur le nucléaire étant gelé au passage.
Cette évocation un tantinet « café du commerce » se fonde sur l’idée que les USA vont tenter de solder tous les comptes ouverts depuis la guerre du Viêt-Nam, de redevenir chevalier blanc (!) de l’après-guerre et prendre le leadership d’une nouvelle forme du « nouvel ordre mondial » après celle bien décatie de Bush. Cela amène inévitablement à se poser la question : Obama sera-t-il un nouveau Roosevelt, sa politique intérieure s’articulant à sa politique extérieure offensive comme le New Deal s’articula à la mise en place des conditions de la 2ème guerre mondiale ?
Les années qui s’ouvrent avec la crise et l’élection d’Obama vont être celles de la restructuration du capital restructuré, il est d’ailleurs clair qu’Obama a été élu non seulement dans le cadre de la crise, mais grâce à la crise et pour la crise, qu’il est un président de crise, crise interne et externe, crise du capital financier américano-centré et crise du leadership américain mondial.
La crise financière qui devient crise de « l’économie réelle » et la crise du capital tel qu’il s’est restructuré entre 71 et 95 avec comme acmé 74 et la 1ère crise pétrolière, les politiques de Thatcher et Reagan, rapidement suivies par tous les Etats occidentaux, ont été ce que l’on appelle couramment le néolibéralisme. Cette restructuration a liquidé l’identité ouvrière, le socialisme réel et le tiers monde en tant qu’ensemble cernable, il a établi la libre circulation des capitaux et a financiarisé le capital. Le profit a été augmenté massivement par rapport au salaire, équilibrant de manière nouvelle les plus-values relative et absolue et contournant les limites de la plus-value relative. Les limites de la plus-value relatives sont produites par le niveau inaccessible requis pour des investissements permettant une hausse notable du profit par la baisse de la valeur de la force de travail grâce à la hausse de la productivité du travail abaissant suffisamment le contenu valeur des biens et services entrant dans la valeur de la force travail. Cette baisse absolue imposée au salaire réel direct et indirect, a eu pour conséquence que la réalisation de la plus-value entravée par la faiblesse des salaires est passée par la financiarisation du salaire, par l’explosion du crédit à la consommation. Le capitalisme tout entier est devenu financier (voir l’article de Endnotes). La crise actuelle est donc crise du rapport capital/travail, crise de l’implication réciproque du prolétariat et de capital. Ce qui se manifeste par les expulsions des habitants de leurs maisons mises à l’encan et par les vagues de licenciements qui commencent.
L’intervention massive des Etats, à commencer par l’Etat américain, pour sauver le système financier et les banques, ainsi que le laisser-filler des déficits budgétaires est une réaction radicalement différente de celle de 29 qui amène à parler de retour du Keynésianisme. Va-t-on avoir un nouveau New Deal ?
Les premières mesures attribuées à Obama (hausse des indemnités de chômage, grands travaux, assurance maladie) ainsi que l’évocation d’un « nouveau Bretton Wood » pourraient le laisser penser, partout on ne parle que re-régulation et de contrôles, dixit : Strauss-Khan du FMI et Lamy de l’OMC ( deux grands socialistes devant l’Eternel). Mais il est invraisemblable que toute l’œuvre de la restructuration soit détricotée, que le Wellfarestate soit rétabli et surtout que la gestion conflictuelle raisonnée de l’exploitation avec les syndicats soit rétablie. L’identité ouvrière a été détruite, elle ne se reformera pas, l’exploitation a été restructurée en profondeur et pas seulement le salaire baissé, la précarité et la flexibilité en sont les caractéristiques essentielles, et cela ne changera pas pour la bonne raison que c’est justement maintenant qu’elles vont être mises à l’épreuve dans leur fonction la plus importante : attaquer la force de travail.
La dévalorisation du capital a frappé et frappera encore bien plus (Général motors, Ford, etc.), la contradiction de classe va s’aggraver. La politique d’Obama va devoir faire avec, et ici l’inquiétude qui s’exprime c’est le protectionnisme, chose peu vraisemblable à grande échelle puisque c’est dans et par la mondialisation que le capital US fonctionne. C’est ici qu’un nouveau leadership américain mondial est indispensable pour imposer les mesures nécessaires au capital transnational. Une nouvelle domination américaine est indispensable (on parle d’un nouveau « soft power » plutôt qu’un « hard power » à la Bush, et l’on verra que le soft power démocrate peut être bien plus efficace que le hard power néoconservateur, qu’il reconstituera le monde libre à direction américaine.
La restructuration du capital restructuré sera le redoublement de l’offensive antiprolétaire, mais par d’autres voies, celles d’une union sacrée démocratique pour sauver l’Amérique et le monde en accentuant la hiérarchisation fractale du cycle du capital. Les pays du BRICS et les pétromonarchies ont intérêt à bien se tenir et à cracher au bassinet des bons du trésor américains, les alliés ont intérêt à envoyer des troupes et eux aussi du cash.
A l’interne moyennant certaines mesures incontournables (maladie), il sera possible de faire « patienter » les masses jusqu’à ce que « The change » l’emporte partout pour toucher les dividendes. La fuite selon laquelle la nouvelle administration souhaiterait un renforcement du rôle des syndicats pour qu’ils puissent négocier des hausses de salaires fait plutôt penser que les syndicats pourraient être de bons relais pour défendre une politique un peu plus protectionniste dans certains secteurs et pour faire passer une « modération » salariale partout. « Modération » qui ne pourra maintenant plus être compensée par le surendettement.
Au total la politique d’Obama sera probablement l’austérité consentie à l’intérieur et l’augmentation des transferts massifs de l’extérieur vers des US relégitimés comme gendarme du monde.
Tempus Fugit
BL, mardi 11 novembre 2008