jeudi, 21 juillet 2005
Meeting 4
Quelque chose de l’ordre de l’évidence: En réponse aux Questions Préliminaires d’Amer Simpson - Roland Simon
Malgré sa longueur, ceci est un message de forum, une contribution dans une discussion en cours. Je maîtrise mal le type particulier d’expression qu’est le « message de forum » et je demande aux usagers de ce site de m’en excuser. Si ça se trouve dans la catégorie textes, c’est parce que les messages de forums sont limités à 20000 signes.
Au cours de cette réponse au texte de Simpson, je commente également le texte de BL : Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?
Toutes les questions que soulève Amer Simpson viennent de ce qu’il commence par poser deux questions et distinguer deux « tendances ».
Les deux questions : « Comment se préparer à mener la révolution ? » ; « Comment saisir les conditions présentes ? ».
Les deux « tendances » : la tendance « autonomiste » ou parfois « immédiatiste » ; la tendance « cours quotidien de la lutte des classes » (c’est moi qui la désigne ainsi, Simpson ne lui donne d’abord aucune appellation puis vers la fin de son texte la désigne comme tendance de la « perspective révolutionnaire », « perspective » s’opposant à « immédiatisme »).
Pour moi, il y a quelque chose qui est de l’ordre de l’évidence : si idéologiquement ou théoriquement on peut dire qu’il y a actuellement, dans le courant communisateur, deux tendances, dans le réel, il n’y a qu’un seul mouvement qui nous autorise à parler de la révolution comme communisation : le cours de la lutte des classes comportant ce que j’ai appelé « l’écart ». Le courant « autonomiste » ou « immédiatiste » est un courant théorique, une certaine conception du rapport entre la situation actuelle et la révolution. En tant que pratiques, il ne constitue pas une autre voie par rapport à ce que Simpson appelle la « perspective révolutionnaire » (le cours de la contradiction comme histoire du mode de production capitaliste - si j’ai bien compris), toutes ses activités sont parties intégrantes de la situation actuelle, non comme les acteurs de ce courant se l’imaginent, en tant que questionnement sur le communisme ou « expérimentation », mais en tant que pratiques dans lesquelles la dynamique de ce cycle s’autonomise (j’y reviendrai) et en tant qu’appartenant avec sa spécificité à ces pratiques qui actuellement définissent un écart à l’intérieur de la limite des luttes : agir en tant que classe.
Mes réponses aux questions de Simpson sont simples :
* « saisir les conditions présentes » c’est « se préparer à mener la révolution » ;
* la « tendance autonomiste » peut dire ce qu’elle veut sur le communisme et le désirer autant qu’elle en est capable, elle n’est qu’un élément, parmi d’autres, spécifique mais ni plus ni moins remarquable, du cours quotidien de la lutte des classes.
Mes deux réponses n’en font qu’une, la réponse à la première est la réponse aux deux. Cela est de l’ordre de l’évidence, mais il faut tout de même argumenter.
Disons tout de suite que pour moi une chose n’est pas claire dans le texte de Simpson. Est-ce que les tendances sont seulement deux tendances théoriques ou idéologiques, deux conceptions de la lutte des classes présentées par des groupes restreints de personnes ? Ou, est-ce que ces deux tendances constituent la réalité empirique de la lutte de classe ? Je considèrerai que pour la première tendance dans la conception qu’elle a d’elle-même, les deux sont identiques, mais il ne peut en être de même pour la seconde. Je considèrerai finalement que l’une et l’autre sont en fait des tendances théoriques au sens restreint du terme (voir plus loin).
Amer Simpson part du principe que la « frange autonomiste » pose la question « comment se préparer à mener la révolution ? » et agit « en sorte qu’elle arrive un jour » » ; cette tendance « exprime la volonté de vivre le communisme ». Ce serait « l’apport du mouvement d’action directe (Mad) tel que décrit par TC ». Ce qui échappe à Simpson, c’est que, dans TC, les choses ne sont malheureusement jamais aussi simples. Cet « apport » n’existe que parce que le Mad est l’autonomisation de la dynamique de ce cycle (sa transformation en opposition de modes de vie) et tous les « apports » qui peuvent être les siens n’existent que marqués de cette autonomisation et n’ont de valeur qu’une fois décryptés. Si « la question de savoir comment se préparer à la révolution se pose en premier lieu à ceux et celles qui la veulent », ce n’est simplement que parce que sortant la dynamique de ce cycle de son cours dans la lutte des classes en tant que cours du mode de production capitaliste (l’autonomisation de la dynamique), leur question n’est que le reflet de la réponse qu’ils ont déjà donnée, elle n’est que la question qu’ils doivent se poser pour comprendre, vis-à-vis d’eux-mêmes, leur existence. Cette « tendance » contient, dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer ». C’est tout à fait exact, mais pas pour les raisons qu’en donne Simpson. Pour lui cette importance provient de ce que cette tendance appartiendrait simultanément à plusieurs moments historiques qu’elle synthétiserait en elle. Elle serait bien sûr de notre époque (« d’où on part »), elle serait également du futur puisqu’elle ne s’intéresse à « d’où on part » que parce qu’elle sait « où nous devons arriver », elle appartiendrait aussi à la période intermédiaire (« comment se préparer »). Simpson croit la « tendance autonomiste immédiatiste » sur paroles, il veut seulement qu’elle tiennent un peu plus compte des réalités présentes, il ne voit pas que ses interrogations sur la révolution et le communisme, la forme même qu’elle leur donne et le contenu même de ses réponses tiennent à ce qu’elle ne tient pas compte des réalités présentes autrement que comme un environnement hostile ou favorable. Le Mad n’est pas en attente, et « expérimentant », il s’imagine ainsi. Finalement, tout en cherchant à accélérer le mouvement, donc de façon active, ses acteurs attendent que le mouvement profane de la lutte des classes les rejoigne. D’où le « que faire ? » ou le « comment faire ? », nous y reviendrons.
En prenant cette « tendance » au pied de la lettre, Simpson a séparé la réalité actuelle avec d’un côté des gens qui « posent la question du communisme », « expérimentent » et finalement doivent « trouver un point d’appui » et, de l’autre, les « conditions présentes ». Si cette « tendance » contient, comme le dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer » c’est qu’elle est une somme d’activités et de pensées à l’intérieur du présent et ne l’excède d’aucune façon. Le Mad est un élément des « conditions présentes » ce qui revient finalement à lui conférer une importance plus grande que celle qui serait la sienne si l’on se contentait de le prendre au pied de la lettre. Il est une de ces activités qui permettent de définir un écart à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe. Sa spécificité est d’avoir autonomisé le moment de la remise en cause, par là n’étant pas simplement embarqué dans le cours de la lutte des classes comme reproduction du mode de production, il est amené à réfléchir sur lui-même, à devenir théorique, à penser son rapport à la reproduction capitaliste sur la base d’un face à face avec elle, d’où son auto-compréhension comme « expérimentation » et sa question « comment se préparer ? ». D’où également sa confrontation inévitable avec ce qui apparaît face à lui et qu’il comprend lui-même comme une autre « tendance » : celle de la « perspective révolutionnaire ». D’où également que dans ce mouvement des éléments de cette « tendance » sont amenés à devenir de plus en plus critiques vis-à-vis d’elle et à s’en détacher. La seconde « tendance », quant à elle, ne ferait que chercher la « perspective » dans les conditions présentes. Elle serait une autre façon de relier « d’où on part » à « où on arrive », elle répondrait non pas par un « immédiatisme » ou une « expérimentation », mais par la nécessité d’un cours historique à accomplir. Mais, cette seconde « tendance » ne répond pas d’une autre façon à la même question que la première. Elle ne cherche pas quel peut être l’entre-deux reliant deux moments de l’histoire déjà connus. Elle cherche comment la situation présente produit autre chose, il ne peut y avoir d’autre « préparation » que le cours de la lutte des classes tel qu’il est et dont la « tendance autonomiste » fait partie. La « tendance autonomiste » croit qu’il y a deux tendances, deux types d’approche du même problème. La tendance « dynamique » ne reconnaît pas la question de la première et la considère comme un élément de la situation présente, c’est-à-dire non comme apportant une réponse mais comme une partie du problème. Accepter la typologie des « deux tendances » c’est accepter la question telle que la pose la « tendance autonomiste » et ne reconnaître qu’il n’y a que les réponses qui diffèrent.
S’il le croit sur paroles, Simpson n’est pas pour autant un apologiste du courant « autonomiste »et c’est là l’intérêt de son texte. « Les expériences autonomistes sont loin de m’avoir convaincu », en effet elles buttent sur « la gestion de nécessités matérielles que la misère ambiante les contraint à résoudre ». Cependant on y trouverait toujours « la volonté d’articuler le quotidien avec les idées, d’en finir avec le monde... etc. ». il est évident que pour Amer Simpson, les thèmes et les pratiques de la « tendance autonomiste » ne sont pas un retravail de ce que ce cycle peut nous dire sur la révolution et le communisme, un retravail effectué au travers des prismes et des miroirs déformants de leur isolement et de leur existence même entérinant l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes (la contradiction du prolétariat avec le capital comporte sa propre remise en cause comme classe dans son action de classe). La « tendance autonomiste » fait de la « remise en cause » un moment particulier pouvant exister et être poursuivi pour lui-même. Pour Simpson, les thèmes et les pratique de la tendance sont « bons » mais limités (extérieurement), elle n’a qu’à « se poser la question du point de départ, des conditions présentes » : la question du « point d’appui » (souligné par moi). La « tendance autonomiste » doit savoir qu’il lui faut attendre de concorder avec son temps, c’est seulement en cela que réside pour Simpson la critique de son « immédiatisme ». Les « autonomistes » seraient seulement indifférents aux conditions présentes qui « ne permettent pas de réaliser la moindre initiative communiste à l’intérieur du capitalisme ». Mais le problème n’est pas de ne pas pouvoir réaliser des « initiatives communistes », mais précisément croire en avoir.
Tout le texte de Simpson repose implicitement sur l’existence d’une « tendance » plus ou moins (plutôt plus que moins) en avance sur son temps. Ce que dit Simpson à cette « tendance » c’est qu’elle doit savoir attendre l’arrivée de son « point d’appui » ou, ce qui est tout de même un peu mieux, voir que la lutte des classes ordinaire lui offre parfois ce « point d’appui ». C’est là que le texte de Simpson bascule dans l’objectivisme dans le but de l’éviter. D’un côté, des gens qui savent ce qu’est le communisme, qui sont actifs, qui cherchent par tous les moyens (parfois un peu « immédiatistes ») à le faire advenir, de l’autre : « le prolétariat, tout comme le capital, n’étant jusqu’à ce jour qu’une abstraction qui nous permet de rendre compte de la contradiction dans les termes opposés qui la définissent ne nous en dit pas plus sur la façon de préparer cette révolution qui abolira les conditions présentes. A moins de croire à ces conditions objectives qui feront le job à notre place (...), nous (les "révolutionnaires" nda) avons un rôle à jouer qu’on le souhaite ou non. ». Si nous avons bien lu, le prolétariat, le capital, et à leur suite la contradiction entre le prolétariat et le capital, ne nous disent rien sur la façon de « préparer cette révolution », tout cela n’est que « conditions objectives ». Face à ces « conditions objectives » nous trouvons naturellement « ceux et celles qui agissent de façon à rendre possible cette révolution ». Chez Amer Simpson, l’objectivisme est dans les prémisses. Il est dans les deux questions : « comment se préparer ? » ; « comment saisir les conditions présentes ? ». Des gens « cherchent à se préparer », à partir de là le monde n’est plus l’action elle-même qui prépare (pour employer ce terme), le monde est un environnement que ces gens doivent percevoir de la façon la plus fine pour réaliser leurs fins. Dès que l’on pose un sujet (les « révolutionnaires », les « communistes ») qui se demande « que faire ? », on est dans l’objectivisme. L’activité devient un idéalisme. Mais « « qui éduquent les éducateurs ? ».
Cependant, Simpson, en conservant ses prémisses (les deux questions et la tendance « autonomiste » qui pose la question du communisme - alors qu’elle ne pose que la question à laquelle sa pratique répond), donne la réponse à une question qu’il n’a pas posé.
« Mais voilà, nous savons qu’il existe des initiatives qui crée l’écart nécessaire pour définir les liens entre les conditions présentes et la révolution et ces initiatives sont tout ce que nous savons pour explorer des perspectives communisatrices. Cette exploration ne se veut pas expérimentation dans le sens autonomiste mais bien définition du comment cela va se faire selon ce que nous sommes en moyens de définir à partir des conditions présentes en lien avec la révolution... ». Soupçonneux, j’ai beau lire et relire ces deux phrases, mis à part « l’exploration des perspectives communistes » je signe des deux mains.
Mais, ici, Simpson répond à la question : qu’est-ce que nous faisons ? Question tout à fait différente de « que faire ? » ou « comment faire pour que ce que nous voulons advienne ? ». Oui, tout à fait d’accord, nous avons quelque chose à faire : ce que nous faisons déjà (plus ou moins bien). Analyser, écrire, faire la théorie de l’époque, la rendre publique dans la mesure de nos moyens, la diffuser, organiser des rencontres, des réunions, être dans une lutte lorsque l’occasion directe se présente, rendre nos positions incontournables dans le milieu où l’on discute de révolution et de communisme. Je ne pourrais ici que reprendre tout ce que dit BL sur le sujet dans son texte Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?
* être élément réel des luttes, c’est-à-dire sans les comparer à un archétype de la bonne lutte, sans les insérer dans une quelconque stratégie ;
* attacher la plus grand importance à la caractérisation du cycle de luttes ;
* être partie prenante des luttes, soit personnellement et directement soit par une attention intense et engagée ;
* se sentir intimement investi dans la formation d’un courant pour la communisation ;
* être cuirassé contre les accusations d’attentisme ;
* ne plus décliner la théorie en « grands travaux » et applications comme « slogans » et « revendications ».
* ne pas parler au nom de la classe.
A ce point de mon commentaire de Simpson, malgré mon accord fondamental avec BL je voudrais discuter ici de quelques points de son texte.
BL veut attaquer toute position normative, programmatique, toute propagande, toute attitude de « en tant que », toute vision de la révolution comme suspendue à la diffusion et la reconnaissance préalable de la bonne théorie. Partant de là, il nous prévient même que nous ne devons « avoir aucunement l’idée que des positions communisatrices puissent infléchir de quelque façon que ce soit le cours des luttes actuelles ».Mais au-delà des gens et des attitudes qu’il vise implicitement, est-ce que cette proposition est juste ?
Qu’est-ce actuellement une « position communisatrice » ? S’il s’agit d’une liste de préceptes révolutionnaires sur la révolution comme communisation et le communisme comme moyen même de la lutte révolutionnaire, s’il s’agit d’une forme radicale de : « une seule solution la révolution », BL a parfaitement raison. Mais si les luttes sont théoriciennes cela implique qu’elles sont très bavardes, on y parle de tout et de n’importe quoi mais jamais par hasard ni à tort et à travers. Une position communisatrice, c’est sur la multiplicité des sujets abordés de n’avoir jamais de position normative et surtout, positivement, d’être capable de reconnaître, si cela se produit, le moment où, dans une lutte, une action, une façon de s’organiser ou de ne pas s’organiser, de chercher des alliances, d’abandonner ou d’élargir les revendications originelles, une position vis-à-vis des organismes de luttes existants officiels ou non, une position vis-à-vis de la négociation, des activités « suicidaires » ou de dérisions de l’adversaire et partant de soi-même dans son rapport à lui, créent cet écart dont je parle dans d’autres textes. Nous sommes théoriquement et pratiquement les guetteurs et les promoteurs de cet écart, c’est cela avoir des positions communisatrices et si nous ne les avons pas personne ne les aura à notre place.
Que de telles positions n’infléchissent pas le cours des luttes actuelles est loin d’être une évidence, notre modestie dut-elle en souffrir. Avant de me faire exclure de Meeting ou de TC pour une telle affirmation, je voudrais préciser deux points : « infléchir » et quel est le « nous » auquel je m’adresse et dans lequel je m’inclus.
Les luttes, on l’a dit, sont bavardes pour la même raison qu’elles sont théoriciennes : le prolétariat n’a pas de conscience de soi, sa conscience est la connaissance de son autre, c’est par là une conscience théorique et dit de façon condensée : une théorie. Dans ces bavardages, ces affrontements (il ne peut pas y avoir d’unanimité dans les luttes, c’est définitoire de la situation du prolétariat et de la « conscience » qu’il en a), il ne s’agit pas de défendre un credo, mais nous pouvons nous faire entendre et infléchir. L’écart n’existe pas comme une force sous-jacente qui pourrait ou non venir à la lumière, il n’existe que dans des expressions et des pratiques sinon il n’existe pas, ce n’est pas une potentialité. Tout ne peut pas arriver, mais ce qui arrive doit être fait. L’inflexion c’est une action, une attitude, une prise de position dans les affrontements inhérents à toute lutte, c’est reprendre au vol ce qui, parfois très brièvement, est dans l’humeur du moment, le formaliser, insister...Si ce que nous disons du cycle de luttes actuel est valable alors l’inflexion par des positions communisatrices (telles que définies plus haut) existe.
Quel est le « nous » dont je parle et auquel je m’adresse ? Ce n’est pas le même que celui de BL. L’interlocuteur de BL est le cercle très restreint des plus ou moins initiés à la théorie communiste et ceux que Simpson désigne comme la « tendance autonomiste ». BL a raison dans ce qu’il dit vis-à-vis du « nous » auquel il s’adresse, mais ce « nous » est trop restreint par rapport aux questions mêmes qu’il aborde. Par rapport aux questions abordées, le « nous » qui est ce sujet qui infléchit par ses positions communisatrices (telles que définies) c’est le militant piqueteros qui met en avant la subjectivité, la critique du travail et sape l’auto-organisation, c’est le kabyle qui considère les aarchs comme quelque chose qui lui est étranger et par là même qui se transforme lui-même en se considérant comme étranger à ce qu’il est dans cette société, c’est le « sauvageon » de l’entreprise, c’est l’activiste du mouvement d’action directe, c’est l’ouvrier « suicidaire », c’est le chauffeur de car de Milan ou le métallurgiste de Melfi qui lutte contre le capital sans considérer que ce qu’il est dans la société est la base d’un faire valoir social... Bien sûr, demeure le « nous » restreint qui n’a qu’à bien se tenir et faire attention à ce qu’il se passe.
Pour parler de ce « nous » (restreint), je suis obligé de considérer comme connus la théorie de l’écart et le concept de théorie au sens restreint.
Sur l’écart : il me semble que Simpson utilise le concept en lui conférant un contenu « positif » face à la reproduction des rapports de classes. Je ferai donc un peu de service après-vente.
Qu’est ce que « l’écart » ?
Résumons et disons le de la façon la plus simple possible : agir en tant que classe c’est n’avoir, dans les conditions actuelles (que personne ne me cherche des poux sur l’utilisation ici de « conditions ») comme existence et horizon que le mode de production capitaliste (d’où le démocratisme radical comme expression et activité de formalisation des limites des luttes), c’est simultanément et pour la même raison, dans sa contradiction avec le capital, pour le prolétariat se remettre en cause comme classe (si je suis en contradiction avec le capital et que je n’existe que comme moment de lui, je suis en contradiction avec moi-même). Cette identité n’est pas une confusion elle est le produit de l’affrontement de pratiques, affrontement dans lequel la classe capitaliste de par la subsomption du travail sous le capital l’emporte toujours jusqu’à ce qu’il y ait abolition de la règle du jeu et non victoire du joueur systémiquement dominé. L’identité n’est pas confusion, il y a des pratiques du prolétariat qui créent un écart dans cette identité. La dynamique de ce cycle de luttes n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de la limite (agir en tant que classe), écart qui se crée de par la dualité que contient cette limite ( n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe). Il arrive que la remise en cause soit spécifiquement annoncée, mais non qu’elle existe pour elle-même en tant qu’objet propre.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe, mais l’action en tant que classe qui ne reconnaît et ne produit l’existence de la classe que dans son rapport au capital, dans des pratiques qui annoncent le dépassement de ce cycle de luttes, n’est pas renvoyée à elle-même comme limite sui generis, elle l’est par la reproduction du rapport capitaliste qui est l’activité de la classe adverse (qu’elle implique). C’est cela l’écart (c’est la raison d’être du « courant communisateur »). Pour moi, l’écart se situe à l’intérieur de la limite de ce cycle de luttes, limite qui est le fait même d’agir en tant que classe, il ne s’oppose pas à la limite comme le positif au négatif, il est un mouvement interne de la limite et ce n’est qu’en cela que la limite définit la dynamique de ce cycle. La dynamique (la remise en cause) n’est pas première. Ce point est essentiel, sans cela nous tomberions dans une téléologie du communisme et nous envisagerions la lutte des classes et le cours du cycle de luttes comme une mauvais moment à passer, ce qui semble être le cas dans la texte de Simpson lorsqu’il envisage le rapport de la tendance « autonomiste » au cours quotidien des luttes.
Il n’empêche qu’imbriquée dans le cours des luttes quotidiennes et ne pouvant exister que dans cette imbrication, La liaison des luttes actuelles à la révolution n’est plus seulement une « abstraction théorique ». Nous rejoignons ici la théorie dans son sens restreint.
D’abord, qu’est-ce que la théorie dans son sens global ?
La pratique du prolétariat est toujours une pratique consciente, mais pratique consciente d’une classe qui n’est jamais confirmée dans la reproduction d’ensemble de la société, cette pratique consciente n’acquiert jamais la caractéristique d’un destin (c’est-à-dire du mouvement autoprésupposé de la totalité : la production est reproduction), elle se rapporte toujours à elle-même par la médiation du capital, elle ne se prend jamais elle-même directement pour objet, ce retour médié sur soi qui ne peut jamais être une conscience de soi immédiate (c’est pour ça que les luttes sont si bavardes) c’est la théorie dans son sens le plus large, consubstantielle à l’activité même du prolétariat dans la lutte des classes. C’est une différence fondamentale avec la conscience de la classe capitaliste. La classe capitaliste aussi ne se connaît elle-même (et ses pratiques) que dans son rapport à la classe qu’elle a en face d’elle et dont elle peut même reconnaître l’existence en tant que classe ; elle peut même accepter le caractère inconciliable des intérêts de cette classe par rapport aux siens propres. La grande différence c’est que dans l’activité de la classe capitaliste le capital subsume le prolétariat, en cela la propre connaissance de son activité particulière devient la connaissance de la totalité. Le capital se présuppose lui-même, la médiation est dépassée (engloutie). On peut alors, pour la classe capitaliste, parler simplement de conscience, c’est-à-dire de connaissance de soi-même et de l’activité qui définit cet être, parce qu’elle devient un simple rapport de cet être à lui-même. Cela est radicalement impossible du côté du prolétariat, c’est pour cela que nous parlons de conscience théoricienne ou théorique et pour éviter toute ambiguïté, nous dirons que le rapport à soi du prolétariat n’est pas conscience mais théorie en ce qu’il passe par ce qui n’est pas lui et ne peut dépassser la médiation (contrairement à la classe capitaliste).
Qu’est-ce la théorie dans son sens restreint ?
C’est ce que l’on entend habituellement par théorie. Elle n’est pas la simple formalisation de l’existence théorique de la lutte de classe. Dans ce sens restreint, la théorie n’est pas un instrument d’enregistrement passif. C’est d’abord un travail particulier de formalisation intellectuelle plus ou moins systématique s’appuyant sur un corpus déjà existant, le retravaillant pour produire de nouvelles connaissances ; travail difficile et qui ne va pas de soi. En matérialistes scrupuleux, ceux qui s’y livrent ont souvent tendance à prendre cette chose comme non significative, ils aboutissent alors à idéaliser (au sens habituel et au sens philosophique) la réalité dans la confusion du « concret de pensée » et des existences. Nous dirons donc que la théorie (dans ce sens là) n’est pas la simple expression formelle de cette détermination théorique consubstantielle à l’existence et à la pratique du prolétariat.
Si, dans ce sens restreint ou formel, la théorie pose problème ce n’est, bien sûr, pas sans rapport avec le sens général. C’est le même mouvement par lequel existe comme théorique l’existence et la pratique du prolétariat dans sa contradiction avec le capital qui est mouvement de reproduction du mode de production capitaliste et se résout dans cette reproduction (qui est aussi reproduction du prolétariat). Ainsi la détermination, nécessairement théorique de l’existence et de la pratique du prolétariat, ne peut se confondre avec le simple mouvement de la contradiction-reproduction de la classe dans sa relation avec le capital qui constamment nie cette détermination (la fait disparaître). Par rapport à ce mouvement, elle s’abstrait en formalisation intellectuelle théorique qui entretient un rapport critique avec cette reproduction. La détermination théorique de l’existence et de la pratique du prolétariat parce qu’elle est effective mais se résout dans la reproduction du capital, se précipite (cristallise) en une abstraction critique par rapport à elle-même. Abstraite et critique par rapport à l’immédiateté des luttes, c’est là sa relative autonomie. Aucune théorie se contente de dire « voilà ce qui arrive « , « ça parle ». La théorie transforme, elle retravaille ce qu’elle condense, elle a ses propres critères (l’abstraction et la critique). La condensation théorique est un changement d’état.
Dans le mode de production capitaliste l’implication réciproque est subsomption (reproduction), par là ce que nous produisons comme théorie dans son sens restreint est bien une formalisation de l’expérience actuelle des prolétaires, mais elle est loin d’être la conscience immédiate massive de cette expérience, elle est abstraction et critique de cette expérience. Cela ne tient pas à une scientificité mais au mouvement complet de la contradiction entre le prolétariat et le capital. L’expérience nous donne immédiatement et massivement qu’une conscience de l’antagonisme (de l’opposition simple et symétrique dans l’implication réciproque)etseulement médiatement une conscience de la contradiction (c’est-à-dire, à partir de la subsomption elle-même, de l’unité asymétrique et, dans cette unité, parce qu’asymétrique, le procès de son dépassement). La théorie est cette conscience qui n’est pas la conscience immédiate de l’expérience, même si elle y est immergée.
A ce titre, la théorie dans son sens restreint fait tout autant partie de la lutte de classe que n’importe laquelle des activités qui la constituent. La théorie dans son sens général et dans son sens restreint sont des productions constantes au cours de la lutte de classe, elles sont nécessairement liées, elles peuvent tout aussi bien être leur constant passage de l’une en l’autre que s’affronter. Dans son sens restreint, elle ne préexiste jamais comme constituée, ni comme projet, elle se remet en chantier dans la lutte de classe et plus empiriquement dans les luttes immédiates parce qu’elles la remettent en chantier, elle est contredite, elle reprend la contradiction, elle fixe des objectifs, des limites parce qu’elle est produite à ce moment comme objectifs, elle est compréhension et anticipation mais ne se fixe jamais comme compréhension achevée ni comme anticipation à réaliser. En un mot, elle est active, vivante parce qu’elle sait que la condensation n’est pas un reflet, une expression immédiate de l’expérience. Elle ne se place jamais du point de vue d’un but à atteindre pour lequel il faudrait mettre des moyens en oeuvre. Le but c’est ce que produit le mouvement, le communisme c’est ce que produit la lutte des classes et à partir de là je ne suis pas un précurseur du but, toujours un peu orphelin de celui-ci, mais seulement impliqué dans le mouvement, impliqué théoriquement ce qui n’est ni attentisme ni extériorité.
Se poser la question du « rôle » de la théorie c’est admettre que ce sur quoi, ou même dans quoi, elle a un rôle à jouer existe sans elle. C’est admettre la lutte de classe sans théorie ce qui est une contradiction dans les termes, ce qui n’a jamais existé et n’existera jamais.
Tout le monde aura deviné que pour parler de ce « nous » désignant les gens s’occupant de théorie, se posant dès maintenant la question de la révolution et du communisme, je vais croiser la théorie de l’écart et le concept de théorie au sens restreint. C’est sur cette base que je peux reprendre les critiques que je faisais du texte de BL. BL renvoie au futur de la révolution « l’emparement » de la théorie par la « lutte de classe pratique ». Cette position s’inscrit dans une histoire qui n’est pas stricto sensu celle du programmatisme mais qui lui est liée comme expression interne de ses impasses dans l’Ultra-Gauche ou l’IS et que l’on trouve déjà exprimée chez Marx de la façon suivante : « La théorie n’est jamais réalisée dans un peuple que dans la mesure où elle est la réalisation des besoins de ce peuple (...) Il ne suffit pas que la pensée recherche la réalisation, il faut encore que la réalité recherche la pensée. » (Contribution à la critique de la philosophie du droit).
C’est un petit retour sur l’IS qui sera le plus éclairant pour saisir les contradictions de BL. « Nous avons dit les idées qui étaient forcément déjà dans ces têtes prolétariennes, et en les disant nous avons contribué à rendre actives de telles idées, ainsi qu’à rendre la critique en actes plus théoricienne, et décidée à faire du temps son temps. » (Debord et Sanguinetti, La véritable scission..., p. 14). Il ne s’agit plus alors de mesurer la production théorique à l’aune de son influence : « L’autonomie prolétarienne ne peut être influencée que par son temps, sa propre théorie, et son action propre. » (ibid, p.100). Cette conception demeure, enfermée dans une problématique programmatique. La théorie existe et la lutte de classe vient à sa rencontre. La lutte de classe n’est pas elle-même conçue comme productrice, la théorie existe déjà. « Contrairement aux vieux micro-partis qui ne cessent d’aller chercher les ouvriers, dans le but heureusement devenu illusoire d’en disposer, nous attendrons que les ouvriers soient amenés par leur propre lutte réelle à venir jusqu’à nous (souligné par moi) ; et alors nous nous placerons à leur disposition. » (IS 11, p. 64). Toute cette conception de la théorie, comme corps constitué et préexistant, est à l’oeuvre chaque fois que l’IS envisage sa production théorique comme le fait de rendre conscientes les tendances inconscientes des luttes : « le mouvement des occupations » (IS 12, p 19), l’émeute de Watts (IS 10). La pratique rechercherait une vérité que la théorie détiendrait et c’est pour cela que cette pratique viendra à sa rencontre.
BL sait que c’est la théorie qui est elle-même le produit des conflits de ce monde, que ces conflits ne recherchent pas leur vérité, ils en sont le vrai mouvement théorique producteur. La pratique ne recherche pas sa vérité dans une théorie préexistante ou même se faisant à partir d’elle. BL sait tout cela et il le dit, mais en renvoyant la rencontre au futur, BL se contredit. D’un côté, la théorie ne se constitue que dans le cours de la lutte des classes dans sa réalité la plus immédiate ; d’un autre côté elle est un ensemble de vérités constitué puisque le prolétariat va s’en emparer. Le temps est chargé d’effectuer la synthèse : les luttes se dirigent d’elles-mêmes, nécessairement vers leur théorie, c’est-à-dire la théorie déjà constituée qu’elles « recherchent » et dont elles « s’emparent » parce qu’elles l’ont produite.
C’est au présent que nous devons penser la relation des luttes de classe et de la théorie au sens restreint. Je ne vais pas proposer un nouveau programme d’actions retentissantes, ni d’aller distribuer des tracts à la porte des usines, ni de nous mettre en communauté. Comme je le disais précédemment, s’il ne s’agit que de faire ce que, plus ou moins, nous faisons déjà, il s’agit de comprendre que cela signifie deux choses : la question de la diffusion de la théorie communiste se pose (pas au sens de propagande, ce que critique très justement BL sans voir que par là il gomme une partie de la question) ; les positions communistes peuvent infléchir le cours des luttes actuelles (si elles ne le pouvaient pas, elles n’existeraient pas). Ces deux points sont foncièrement identiques.
« La question de la diffusion de la théorie communiste ne se pose pas » dit BL. Fondamentalement BL a raison et ses arguments sont catégoriques : « la théorie n’est plus le grand arrière de la propagande et de l’agitation » ; « la théorie n’est plus programme ». « Le caractère théoriciens des luttes pratiques, rejoindra le caractère dissolvant de la lutte théorique (...), les luttes s’empareront des moyens théoriques », en conséquence « la théorie aura la faculté de se répandre par la force de sa justesse ». Plus loin, BL écrit : « Il est possible et même probable que dans la formation de la situation révolutionnaire, les élaborations théoriques soient ré-exprimées (il vaut mieux..., nda) dans les termes de la transformation des luttes, cette nouvelle expression serait une première phase de l’emparement du discours théorique par la pratique ». Tout cela est parfait pour le futur dont nous parle BL, mais cela suppose que jusque là nous avons deux mondes parallèles : celui des luttes « pratiques », celui de la lutte théorique. Ces deux mondes se rencontrant à l’infini de la « situation révolutionnaire ». Mais, jusque là, à mon avis, la question de « la diffusion de la théorie communiste » se pose. Et d’une certaine façon, BL la pose sous le thème de la « présence en communiste dans les luttes » qui est un décalque de « présence en théoricien », l’une et l’autre formule s’opposant à « en tant que ». Mais il la pose en sens unique. « Etre en théoricien » dans les luttes, pour simplifier, c’est se laisser enseigner par elles non comme une matière brute mais en ayant la capacité de les comprendre comme théoriciennes, c’est-à-dire en ayant les données a priori de « l’entendement théorique » (pour parodier un philosophe). En conséquence « être en théoricien », c’est aussi y être (un peu) « en tant que théoricien ». S’opposer à toute attitude normative c’est avoir des idées sur la liaison entre les luttes actuelles et la révolution, ce n’est pas être un bloc de cire vierge. C’est avoir la capacité d’être surpris par le nouveau, mais aussi de voir qu’il y a du nouveau. Cette capacité c’est le précipité de toutes les luttes antérieures, de la lutte des classes en général et de l’histoire du mode de production capitaliste, un précipité systématisé, une construction intellectuelle, un concret de pensée, une théorie de la lutte des classes.
BL parle « d’efficience » de la théorie qui en fait un élément réel (et vice versa), mais cette « efficience » se confondrait avec sa propre énonciation, elle serait « efficiente » du fait même qu’elle est énoncée. Ce qui n’empêche BL de faire la « petite liste » (résumée plus haut) des « conditions » pour que « l’articulation luttes actuelles / révolution puisse être autre chose qu’une pétition de principe ». Bien sûr cette articulation n’est jamais et ne peut pas être une application de la théorie, mais il est remarquable que BL pour expliciter cette « articulation » ne se livre pas à une analyse de la lutte des classes dans la période actuelle, ce que logiquement on attendrait à partir de ses prémisses, mais donne une liste de ce que les « communistes » peuvent plus ou moins faire. On ne soupçonnera pas BL de penser que l’articulation n’est pas une pétition de principe qu’à la condition que « nous » en soyons partie prenante, il n’en demeure pas moins que même si la théorie est un élément réel de par sa seule énonciation, les choses vont encore mieux en les poussant un peu. La théorie ne peut d’un côté être un « élément réel » et, de l’autre, ne pas en être un.
Prenons au sérieux deux choses : les luttes sont théoriciennes, productives de théorie ; la théorie au sens restreint ne se confond pas avec une simple expression (une photographie) de la lutte des classes, elle en est une abstraction et une critique. Ce que nous devons parvenir à penser c’est que comme abstraction et comme critique, la théorie au sens restreint est incluse dans la définition générale (globale) de la théorie. C’est cette inclusion, toujours présente, qui est fort problématique, c’est dans ce rapport que nous sommes à même de fonder nos interventions parce que nos positions communistes ne sont pas des positions sur l’avenir (le futur) mais des positions actuelles (l’écart). Le rapport entre la théorie au sens restreint et au sens général est précisément celui de l’écart, la théorie au sens restreint est elle-même une pratique de l’écart. Le guet et la promotion de ces pratiques qui constituent l’écart ne sont ni avant-garde, ni complaisance. Bien sûr, il s’agit avant tout de « faire exister théoriquement le dépassement communiste de la manière la plus claire possible » (BL). Mais le faire exister théoriquement de la manière la plus claire possible ce n’est pas énoncer un nouveau programme à réaliser, ce à quoi inévitablement en reviendrait une conception et une pratique qui ne voient la relation entre la théorie au sens restreint et les luttes que comme « jonction » et de plus jonction « future ». La théorie au sens restreint est incluse dans le caractère théorique global de la lutte de classe actuelle, cette inclusion, je l’ai montré n’est pas une confusion, elle peut même se trouver en opposition frontale avec le caractère dominant de telle ou telle lutte, mais cela n’empêche que nous avons intérêt de ne rien oublier de ce que nous savons par ailleurs et même de s’en souvenir clairement, si nous voulons que ce « ce que nous savons par ailleurs » soit de la théorie, c’est-à-dire quelque chose de vivant parce que repris et travaillé par le nouveau (ressuscité même). La théorie dans son sens restreint s’inscrit dans les luttes actuelles dans le moment où, intriquées dans l’action en tant que classe, des activités annoncent la remise en cause de la classe dans la lutte contre le capital et se heurtent au fait d’agir en tant que classe comme une limite, quelle que soit la forme qu’elle prend : organisationnelle, prises de positions politiques ou autres. C’est cela maintenant des positions communistes au présent, et c’est ainsi que cet « emparement futur » dont parle BL n’est pas un miracle ou une simple affirmation par définition (puisque c’est la révolution, donc..., etc.). Si nous n’avions pas des positions communistes à défendre au présent, nous n’en aurions aucune dont les luttes seraient susceptibles de s’emparer dans le futur.
Si nous avons des positions communistes à défendre au présent, alors la question de la diffusion se pose comme conflit à l’intérieur de l’activité de la classe. Feuerbach dit quelque part que le fou fait n’importe quoi n’importe où et Lino Ventura dans les Tontons flingueurs que le fou est capable de tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. Evitons donc d’être fous, pour le reste c’est affaire d’analyses et de flair.
Pour terminer, nous pouvons maintenant revenir à Simpson là où nous l’avons laissé. Il croit avoir répondu à sa question d’origine mais il vient de répondre à une question qu’il n’avait pas posée : « qu’est-ce que nous faisons ? » ou « comment cela va se faire ? ». C’est à cette question dont je viens d’essayer de mettre à plat les fondements et les conditions d’énonciation que j’ai tenté, par là, d’apporter une réponse.
La problématique générale de son texte (les deux questions et les deux tendances) empêche Simpson de voir qu’il a changé de question et que, ce faisant, plus ou moins résolu son problème. En effet, dans les deux derniers paragraphes, Simpson conserve sa problématique mais ne revient pas exactement à son point de départ. La tendance « perspective révolutionnaire », celle qui suit le cours de la contradiction entre prolétariat et capital en tant qu’histoire du mode de production capitaliste, s’est enrichie en cours de route des « écarts » ; la tendance « autonomiste » (également appelée « immédiatiste »), quant à elle, se trouve engluée, à son corps défendant, dans des situations revendicatives (les « centres sociaux », les « sans »). Finalement les « revendicatifs » se trouvent un peu « révolutionnarisés » et les « révolutionnaires » un peu « revendicatisés ». Donc chacun a besoin de l’autre : « ...immédiatisme et perspective révolutionnaire cherchent leur point de rencontre et se questionnent l’un l’autre. ». A un niveau supérieur, les deux erreurs de départ ont été reproduites.
Premièrement, Simpson conserve deux tendances et croit sur paroles ce que la tendance « autonomiste » dit d’elle-même, alors qu’elle n’est qu’un cas particulier du cours quotidien de la lutte des classes.
Deuxièmement (qui découle du premier, à moins que cela ne soit l’inverse), les conditions présentes ne seraient rien de plus qu’un environnement dont la tendance « autonomiste » doit tenir compte (c’est l’ajout critique de Simpson vis-à-vis d’elle) et dans lesquelles elle se doit de trouver un « point d’appui » (c’est sa solution). Mis à part le paragraphe que je signalais, auquel je souscris et dans lequel Simpson paraissait changer de question, les conditions présentes ne sont qu’une somme de disparition : classe comme abstraction, une classe sans identité, destruction de la classe ouvrière, etc. Si l’on ne saisit pas positivement les phénomènes qui ne sont ici que des disparitions, il est évident que la « frange qui veut mener à bien la révolution » ne peut que se demander « que faire ? » et a tout intérêt à trouver les bonnes réponses.
En conclusion : la structure même de la question « Que faire ? » est reproduite : des gens se posant la question de la révolution en tenant compte de leur environnement. Toujours l’idée d’une avance sur son temps et donc d’un hiatus à combler. Le point de départ a été conservé : « Loin de moi, ici, de prétendre que la révolution se fait essentiellement par ceux et celles qui la veulent et prétendent la faire ici et maintenant, mais force objective est de constater que la frange dite révolutionnaire de la population est celle qui peut et veut la saisir adéquatement pour la mener à bien et qui agit en sorte qu’elle arrive un jour... ».
Ce n’était pas dans les réponses que résidait l’erreur mais dans la question.
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Théorie, Meeting, "nous" etc., Patlotch, 24 août 2005Quitte à ne pas faire écho à la cohérence de cette intervention de RS qui répond simultanément à plusieurs autres (Amer Simpson, BL, et autres débats récurrents sur la théorie, le "nous", et le Que faire ?...), je m’en tiens à quelques aspects.
Malgré sa longueur, ceci est un message de forum, une contribution dans une discussion en cours. Je maîtrise mal le type particulier d’expression qu’est le « message de forum » et je demande aux usagers de ce site de m’en excuser. Si ça se trouve dans la catégorie textes, c’est parce que les messages de forums sont limités à 20000 signes.
Pour le site : Il y aurait peut-être moyen de signaler dans le fil des interventions en cause l’existence de cette réponse.
Pour la revue n°3 : dans l’éventualité de la publication de textes proposés, il serait peut-être intéressant de publier à la suite des extraits des interventions (une différence donc avec un choix d’interventions en forums coupés des textes).
BL veut attaquer toute position normative, programmatique, toute propagande, toute attitude de « en tant que », toute vision de la révolution comme suspendue à la diffusion et la reconnaissance préalable de la bonne théorie. Partant de là, [BL] nous prévient même que nous ne devons « avoir aucunement l’idée que des positions communisatrices puissent infléchir de quelque façon que ce soit le cours des luttes actuelles ».Mais au-delà des gens et des attitudes qu’il vise implicitement, est-ce que cette proposition est juste ?
Qu’est-ce actuellement une « position communisatrice » ? [...] Nous sommes théoriquement et pratiquement les guetteurs et les promoteurs de cet écart, c’est cela avoir des positions communisatrices et si nous ne les avons pas personne ne les aura à notre place.
Que de telles positions n’infléchissent pas le cours des luttes actuelles est loin d’être une évidenceJe dois dire ma satisfaction que la question de cette « évidence » puisse être posée, et plus clairement qu’elle l’a été dans les échanges depuis quelques mois. On s’est beaucoup focalisé sur la critique du « militantisme », le "rien" à "faire"... mais il y a eu des moments où c’était à devenir schizophrène. Un marathon, c’est certes une course d’endurance à petite vitesse, mais il n’empêche qu’on y met un pied devant l’autre : sur terre et pas au nom de la promesse du paradis (évacuer la téléologie du communisme ne peut pas être sans implication pratique : il faut choisir, ne serait-ce que pour être cohérent intellectuellement, et donc admettre que ce que "nous" dit et fait produit des effets). A trop vouloir montrer une extériorité non impliquée de la théorie, on en vient à ne plus se considérer "embarqué" dans le mouvement de ce cycle et les contradictions propres au démocratisme radical en tant que "nécessité" produite par la lutte de classe à ce stade : bien malin celui qui tracerait une frontière nette entre les faits (purifiés par le discours théorique ?) qui relèveraient du démocratisme radical et d’autres du courant communisateur, comme si la contradiction principale était ce qui les oppose "idéologiquement" et non dans la praxis, dans le mouvement de la reproduction (du capital, des classes et de leur contradiction).
Il me semble que prendre à bras le corps la "théorie de l’écart", cela change la donne par rapport à ce qu’elle a pu être il y a quelques années, et qu’au fond, c’est cela qui justifie l’existence même de Meeting, qui ne peut pas être considéré strictement comme une revue de théorie restreinte, comme pure abstraction, mais bien une revue collant le mieux possible au "nous" et cherchant à couvrir le plus largement possible le champ communisateur, cad aussi ses contradictions concrètes dans leur rapport aux réalités, et non dans un champ théorique "en l’air". Finalement, la modestie n’est peut-être pas celle qu’on croyait... ("nous" = la théorie m’avait particulièrement déplu).
J’apprécie donc la mise au clair tendant à poser les problématiques (et les tâches) "communisatrices") au présent du concret, et non comme anticipation éclairée de ce qui devra forcément arriver plus tard.
RS « L’écart n’existe pas comme une force sous-jacente qui pourrait ou non venir à la lumière, il n’existe que dans des expressions et des pratiques sinon il n’existe pas, ce n’est pas une potentialité ».Concernant le "nous", s’il devait être étriqué, ramené à, disons, ceux qui font Meeting et environs, voire à ceux sur les actes desquels on appuie l’abstraction théorique parce qu’ils agissent le plus visiblement aux limites du cycle, je ne serais pas sûr de ma légitimité à en être, ni du point de vue de l’élaboration théorique, ni du point de vue d’une exemplarité de mon activisme. Pourtant la question se pose pour moi d’ores et déjà, individuellement, mais aussi dans un milieu professionnel, social... dont il est pourtant peu probable que surgisse de si tôt des événements marquants, exploitables théoriquement, parce que c’est à terme une question pour le prolétariat et le salariat dans son ensemble, et non pour une fraction éclairée de purs et durs. Je suis convaincu d’une part qu’il y a partout à lire et interpréter des paroles ou des actes qui témoignent du mouvement de ce cycle de luttes, d’autre part qu’il n’est pas possible de considérer les événements les plus lisibles comme produits par une avant-garde (que seraient par ex. les chômeurs). Je considère même qu’il pourrait y avoir une tendance à se focaliser sur certains milieux ou certains actes et qu’elle témoignerait d’une immaturité de la critique communisatrice liée au fait que nous sommes en début de cycle, immaturité dont il s’agirait de prendre la mesure parce qu’elle interviendra à contre-courant avec les meilleures intentions communisatrices.
Quoi qu’il en soit, je considère que ces reformulations pour définir la théorie globale/restreinte, l’écart... sont une avancée qui évacue certains flous, et que loin d’avoir été inutiles les échanges sur le "que faire ?" portaient de vraies questions sur le "nous", auxquelles RS apporte là des éléments de réponse qui permettent de mieux situer le rôle de Meeting et sans doute de rapprocher les points de vue.
Patlotch 24 août
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> Quelque chose de l’ordre de l’évidence, domduverger, 3 décembre 2005Amer Simpson est un demeuré
Amer Simpson est un demeuré, relevant du service après vente.
Amer Simpson comme d’habitude ne pose pas les bonnes questions. Il donne des réponses idiotes à des questions qui ne se posent pas
Amer Simpson de plus à l’arrogance de poser deux questions et même plus car il répond à des questions qu’il ne pose même pas
Amer Simpson n’à pas compris que seul RS à les ou plus exactement LA bonne question et cela depuis prés d’un quart de siècle : comment une classe agissant strictement en tant que classe etc.
Amer Simpson n’a pas compris que quand on avait LA question tout était de l’ordre de l’évidence.
Il n’ y a qu’a faire comme on à toujours fait : des réunions, des revues, des manifestations, des grèves. Les réunions existent, les revues sont produites, les gréves ont lieu, tout cela est réel donc nécessaire. Elles sont l’existence même LA question.
lAmer Simpson souffre de diplopie car il voit deux mouvement là ou, dans le réel (alias la Chose Elle Même) il y à un seul mouvement qui nous autorise à parler de la communisation.
Il faut faire taire Amer Simpson
Amer Simpson est un alternativiste, car il croit qu’il y a d’autres questions, peut être même qu’il croit pouvoir choisir entre les questions, avantgardiste car ce croit en avance sur son temps et de surcroît myope et crédule car il croit l’autonomie sur parole.
Amer Simpson, à trop poser de questions, finira par mal tourner il mystifie le Prolétariat.
Amer Simpson est un contre révolutionnaire en puissance.
Amer Simpson ne mérite pas qu’on lui réponde mais le Calme de l’Evidence ne veut pas la mort subite du pécheur et lui donnera donc une dernière chance.
On va feindre de s’intéresser aux questions de Amer Simpson (4 pages, puis 12 consacrée à BL avec qui il est d’accord, c’est-à-dire presque à parler de soi même, et retour en conclusion sur Amer Simpson, puisque parait-il c’est de lui qu’il est question).On peut appeler cela un polémique aussi rude qu’amicale.
Pour moi j’appelle cela de l’arrogance et du mépris.DomDuverger
- Un accusateur public, Bernard Lyon, 4 décembre 2005
Si on est pas d’accord avec un texte, on le dit, mais on ne se contente pas que lancer des imprécations, on argumente, on démonte, on discute, il est totalement irrecevable de faire des déclarations comme celle- la, pourquoi se permet-on de traiter les gens de vieux crabes (depuis 25 ans ) sans savoir un mot de leur théorie ! De quel science, on se permet de savoir ce que les autres ont dans la tête ? (du mépris). Je pense que c’est DomDuverger qui est méprisant, oui la polémique est rude, mais DD n’en prend pas le risque, il préfére à l’avance, drapé dans son honnêteté radicale outagée, laisser deviner la culture hégélienne (la chose elle-même) de quelqu’un à qui on ne la fait pas ! Mais il ne nous la fait pas non plus ! La blague de faire dire à l’autre qu’il déclare que ses contradicteurs sont des contre-révolutionnaires, ne me fait pas rire, c’est tout simplement traiter un camarade de stalinien (en dérision bien sûr mais tout pour DD mérite dérision). DD se pose comme au-dessus de la polémique, mais subrepticement il lance une critique morale à la théorie de TC. C’est toujours la morale qu’on ressort quand on a rein à dire.
Oui RS est foncièrement d’accord avec moi, mais les divergences qu’il a exprimées sont réelles (ou au moins l’étaient dans le moment) et renvoient à des divergences importantes dans le courant communisateur, divergences qui portent sur les mêmes points que ceux qu’aborde Amer Simpson. Il est donc faux de dire que RS chosit ce qui est le moins loin de lui par mépris pour les autres divergences. Dire que des opinions sont erronées ou mal fondées n’a rien de méprisant, considerer l’autre comme un vieux crabe méprisant est en revanche le comble du mépris et de l’arrogance.
Ce n’est pas par le speudo respect des divergences qui fera avancer les choses, l’éclectisme est le plus sûr moyen de se faire des amis,
et DD se satisfait de lui dans le rôle du redresseur de tords en millieu révolutionnaire, de l’observateur impartial mais radical.
Un site comme celui là permet ce genre d’apparition de statue du commandeur. Le premier mouvement est de les traiter par le mépris (le vrai) mais à la réflexion non. Nous avons une exigence, celle de l’honnêteté (la vrai) qui est de predre au sérieux ce que les gens disent . On ne doit pas laisser DD vomir sur les camarades en faisant semblant de s’indigner, en renvoyant sur les autres son propre mépris et ses propres incompréhensions.- > Un accusateur public, Patlotch, 4 décembre 2005
Bien que je souscrive au fond à cette réaction de BL, je compatis et rend hommage à ceux qui s’en prennent plein la gueule, de part et d’autres, certes de confondre peut-être "se prendre au sérieux" et "prendre ce qu’ils font au sérieux". Néanmoins cela mériterait parfois plus de doigté, car après tout il y a des "douches froides" qui ne refroidissent que ceux qui tournent le robinet comme un révolver pour se tirer une balle dans le pied : le plus visible et le plus triste, c’est que ni Amer ni quelques autres n’interviennent plus ici.
Je ne crois pas, ni d’un côté ni de l’autre à l’explication par "le mépris", c’est une explication qui ne fait que dresser l’écran des difficultés réelles, car émanant du fond de la problématique ouverte par Meeting, dans la dynamique de la pratique théorique comme pratique du ’courant communisateur’ dans la contradiction propre à ce cycle de luttes (être ou ne plus être un prolétaire dans et face au capital). Je ne crois pas qu’on en sorte par le haut en parlant sans le souci élémentaire d’être compris -c’est à dire en se donnant les moyens de cette patience-, et encore moins -bien que j’en sois un spécialiste honteux- en renvoyant l’autre à son incompréhension ou à son hostilité estampillée d’une étiquette quelconque de façon précipitée : gare que les tares supposées du militantisme ne deviennent, dans l’écart, les nôtres.
Patlotch en un instantané oecuméniste
- > Un accusateur public, une réponse perso, Amer Simspon, 5 décembre 2005
Permettez-moi d’intervenir, puisque, de toute évidence, il est question de moi dans ce débat quelque peu houleux.
Premièrement, je dirais simplement qu’on se sent méprisé que si on le veut bien. Que des gens nous méprise, soit, on n’y peut rien. Mais en revanche, cela pourrait très bien me concerner à la seule condition que je le considère comme tel et là n’est pas le cas. Donc, pour répondre à ce mystérieux D. D. dont c’est la première manifestation sur ce site, de mon propre avis, je n’ai considéré dans la réponse de Roland Simon aucune animosité qui relevait du mépris. Tout au plus, une façon un peu trop commune de répondre dans la rectitude et la précipitation, et c’est peut-être là que le ton choque parfois. Mais de là en tenir rigueur, il y a perte de temps. Car si R. S. a la prétention d’exposer des grandes vérités que rien ne saurait ébranler, c’est son truc à lui. Pour ma part, je crois plutôt que R. S. ne fait qu’exposer ses propres théories sur la réalité présente et que cela ne plaise ou non, elles sont pertinentes.
Deuxièmement, que ma présence sur ce site n’ait pas connu beaucoup de manifestation n’en fait pas moins que je suis là. Toutefois, je n’ai pas réponse à tout – dans le sens que je n’ai pas toujours mon mot à dire sur les divers sujets abordés et non dans le sens de voilà la façon de voir les choses – et c’est pourquoi, j’écris que lorsque cela semble pertinent de faire l’effort. Il en va tout autant avec la réponse aux critiques de R. S. et de B. L. dont la rédaction est encore en cours. Je ne vois pas vraiment ce qui presse et j’ai pour ma part mes propres questionnements qui méritent que j’y consacre le temps qu’il faut. Bref, bientôt sera disponible sur le présent site mes réflexions entourant le fameux sujet de ce que nous faisons pour parvenir à la révolution et je ne crois pas que ce soit là une question stupide.
Amer Simpson
- > Un accusateur public, une réponse perso, Amer Simspon, 5 décembre 2005
- > Un accusateur public, Patlotch, 4 décembre 2005
- Un accusateur public, Bernard Lyon, 4 décembre 2005
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Un renversement de perspective, Denis, 7 décembre 2005A une question mal posée on répond de travers. Tel est tout le problème du débat engagé sur le forum de Meeting à la suite du texte d’Amer Simpson : en raisonnant à partir du cadre conceptuel erroné tracé par Amer Simpson, l’échange s’égare et risque de perdre de vue les questions essentielles que la thématique de « l’agir » pose au courant communisateur.
Il faut donc commencer par une critique non pas des positions d’Amer Simpson, ce que Roland fait très bien, mais de sa manière de construire une « tendance autonomiste » qui n’existe que dans son imagination.
Roland voit parfaitement qu’Amer Simpson, en posant ses deux questions, a déjà faussé le débat : en complétant la question « comment se préparer à mener la révolution ? » par une seconde, « comment saisir les conditions présentes ? », Simpson s’embourbe d’entrée de jeu dans la problématique des conditions objectives et subjectives. Bernard Lyon puis Roland font un sort, chacun a leur manière, à cette manière de voir les choses : je n’y reviendrai pas. Mais au passage, Simpson a chargé une « tendance autonomiste » d’être la tentative de réponse à sa première question, tentative qu’il pourra ensuite critiquer pour pouvoir introduire la nécessité de sa seconde question. Qu’est-ce que cette « tendance autonomiste », d’ou sort-elle, et comment Simpson sait-il à quelle question une telle tendance cherche à répondre ? Le texte nous répond par quelques lieux communs et une lecture approximative de Tiqqun : il évoque quelques pratiques comme « abolir la propriété par le vol et le squat, confronter l’autorité par la violence et l’organisation horizontale, détruire la marchandise par le pillage et la gratuité des services publiques, mettre fin au salariat par la récupération, la débrouillardise collective, le partage des responsabilités et du savoir-faire... » pour ensuite leur donner un sens (« préparer dès aujourd’hui les armes qui critiqueront cette société un jour ») qu’il est le seul a y trouver...Roland flaire le piège, en demandant si les « deux tendances » (Simpson, lui, ne parle jamais que d’une) sont « théoriques ou idéologiques » ou si elles « constituent la réalité empirique de la lutte des classes » . Mais, cette réserve posée, Roland entérine sans plus de recul l’existence de la « tendance autonomiste » avec les caractéristiques attribuées par Amer Simpson.
De quoi Simpson parle-t-il ? En choisissant curieusement de l’appeler tendance « autonomiste », terme que l’on croyait plutôt réservé jusque là aux Bretons ou aux Corses, Simpson ne fait qu’éviter d’utiliser le mot « autonome », alors qu’en fait c’est cela qu’il veut dire. En effet, les pratiques qu’il décrit ont été importantes dans un contexte et une période ou existaient en Italie et en France des mouvement, des nébuleuses, des « tendances » qui se qualifiaient elles-mêmes d’autonomes : que certaines de ces pratiques existent toujours, c’est un fait, qu’il faille pour autant les rattacher, même en rajoutant un « isme », à des mouvements historiquement défunts, c’est déjà beaucoup plus discutable. C’est exactement comme si on qualifiait Théorie Communiste de courant « ultra-gauche conseilliste ». Si on cherche des généalogies ou des filiations, pourquoi pas : certes, le lien existe, direct ou indirect, entre la période de l’autonomie parisienne (fin des années 70, début des années 80) et maintenant, tout comme le lien existe entre l’ultra-gauche historique et Théorie Communiste. Mais que devrait-on penser de quelqu’un qui, sans jamais avoir lu une seule ligne de Roland Simon, lui reprocherait tout bonnement de tenir les positions d’Echanges ? C’est pourtant exactement ce que fait Simpson avec sa « tendance autonomiste ».S’il existe donc sûrement des alternatifs pour qui le « vol » ou le « squat » valent abolition de la propriété privée, il y a tout autant de voleurs ou de squatteurs pour qui une telle position n’a aucun sens. S’il y a peut-être des gens qui s’imaginent que par ce qu’ils ne travaillent pas, le salariat est aboli, il y en a tout autant qui comprennent bien que le rapport social capitaliste est un tout qui ne s’annihile pas localement. Bien plus, si l’alternative est, comme je l’ai dit dans un texte de Meeting 1, une tentation permanente, elle n’arrive jamais pour autant à être l’essentiel tout simplement parce qu’elle est intenable. Même une partie de ceux qui sont le plus tentés par le discours alternatif sont toujours renvoyés à des impasses très concrètes, et donc condamnés à être orphelins d’une pratique alternative impossible. C’est ce qui arrive déjà à nos amis « appelistes » (ceux qui ont été convaincus par le texte intitulé l’Appel, voir Meeting 2).
Pour parler de cette « tendance », un terme qui pouvait paraître relativement approprié est celui trouvé par Aufheben, Mouvement d’Action Directe, à plusieurs réserves près. D’abord, Aufheben n’a jamais pu mesurer à quel point ce mouvement, qui s’était retrouvé un temps sur l’antimondialisation, ne s’est jamais défini par cette lutte qu’il a plutôt eu tendance à considérer comme un terrain favorable à l’expression de son urgent besoin d’action. Le MAD, ou plutôt ce qui a donné le MAD, préexistait, mais d’une manière qu’Aufheben ne comprend pas, à l’antimondialisation et surtout l’antimondialisation, après Gênes, a continué sans lui. Le moment ou le MAD a cherché dans l’antimondialisation un terrain de jeu et d’aventure, et peut-être, pour une fois, ce qui lui est souvent reproché comme si cela lui était constitutif, un terrain d’expérimentation, ne se sera étendu que de 1998 à 2001 environ.
Une seconde réserve à propos de l’appellation « MAD » est que ce dont il s’agit est quelque chose de trop diffus pour l’appeler un « mouvement » : le regroupement temporaire que l’antimondialisation a favorisé lui en a seulement donné l’apparence.
Enfin, TC a tellement identifié le MAD à ce qu’il a cru y voir (« l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de lutte ») qu’il devient difficile d’utiliser ce terme si on ne veut pas y mettre cette signification.En fait, si on comprend qu’il existe quelque chose qui s’est trouvé regroupé de manière temporaire dans le MAD au moment de la lutte antimondialisation entre 1998 et 2001, que ce quelque chose a lui-même dans son ensemble jugé le MAD en tant que composante de la lutte antimondialisation comme un moment abstrait des dynamiques des luttes communes, non pas en dehors de ces dynamiques, mais coupé de celles-ci (et ce sans avoir besoin de lire TC), et que par conséquent ce quelque chose a cessé de s’intéresser à l’antimondialisation et donc que le MAD en tant qu’apparition plus visible de ce quelque chose a lui aussi cessé d’être, on aura sûrement progressé. Alors, Aufheben et TC cesseront de prendre ce qui n’est qu’un moment, et qui plus est un moment bref, pour l’essence intangible et presque intemporelle de ce qu’ils cherchent à décrire.
Les pratiques dont il est question, l’auto-réduction, le vol, le squatt, sont loin d’être cantonnées à la sphère d’une « tendance » quelconque. Il s’agit de pratiques apparues dans un contexte de lutte : et qui, certes, ne concerne pas en permanence le prolétariat tout entier, mais par intermittence des secteurs importants de celui-ci. D’une part, ces pratiques ne sauraient en tant que telles définir la « tendance », puisqu’on les trouve de manière diffuse dans le prolétariat, et d’autre part ces pratiques ne distinguent pas la « tendance » d’autres composantes des luttes et n’en font pas quelque chose de radicalement à part.
Il s’agit donc de comprendre que la « tendance », le « quelque chose », est avant tout une composante réelle du cours commun des luttes, et ne vaut que par cela. C’est un peu ce que répond Roland à Amer Simpson, mais tout en croyant celui-ci lorsqu’il affirme que la « tendance » se veut elle-même une préparation et une préfiguration de la révolution et même qu’elle n’existe que comme cette tentative. On comprendra donc que lorsque je dis que la « tendance » appartient au cours commun des luttes, je ne dis pas la même chose que Roland, car lui comprend cette appartenance sur la base de la présentation faussée qu’en fait Simpson. En réalité, personne ne se prépare plus à la révolution : cette problématique est réellement d’un autre temps, celui que TC, dans sa périodisation, nomme la période du programmatisme. Il suffit d’aller voir, dans les luttes, les acteurs parler d’eux-mêmes et de ce qu’ils y font pour comprendre à quel point caricatures et lieux communs font office, chez Amer Simpson, d’analyses.
La « tendance » ou le « quelque chose » est une position dans les luttes, position qu’on peut tenter de décrire de bien des manières : on pourrait l’appeler, comme je l’ai proposé, « aire qui pose la question de la communisation », s’il n’était gênant d’utiliser une métaphore topologique pour décrire ce qui justement n’est pas un territoire - pas un bastion, pas un point d’appui, pas un « communisme dans une seule ferme ». C’est une composante réelle des luttes qui, dans les faits, se retrouve à se confronter à ces problématiques qu’on a choisi, dans Meeting, de nommer « communisatrices ».
Cette position ne peut se réduire à un « milieu », même si par la force des choses une partie de ceux qui se trouvent engagés constamment dans les luttes autour de cette tendance finissent par se rencontrer et forment entre eux des liens qui perdurent au-delà du seul espace de l’affrontement commun. Pourtant, la « tendance » ne se confond jamais avec ce « milieu », puisque la tendance c’est une position, et qu’une position se définit dans un rapport : la position est une position dans la lutte, nulle part ailleurs. Ailleurs elle devient mondanité, art ou débrouille collective entre potes pour survivre, selon les cas, mais en tout cas elle perd ce qui permet de la rattacher à la problématique de la communisation.
Une dernière remarque : à la fin de son texte, récusant les questions formulées par Simpson, Roland parvient à dégager, de manière très claire, la véritable question à laquelle la théorie cherche à répondre. Il ne s’agit pas de savoir « comment se préparer à la révolution », pas plus que de « saisir les conditions présentes pour arriver à la révolution ». La véritable question est bien « que faisons-nous ? » (et pas, d’ailleurs, « que font-ils ? », car « ce qu’ils font » est partie prenante de ce que nous faisons ou pouvons faire). « Que faisons-nous ? » est la question que toutes les luttes se posent à un moment ou à un autre, et c’est pourquoi elles sont, en effet, « théoriques » même si elles n’utilisent pas le langage abstrait de la théorie telle qu’on la trouve dans Meeting : et elles sont théoriques lorsqu’elles font des choix, puisqu’en décidant de faire quelque chose plutôt qu’une autre elles répondent aussi à cette question.
Au-delà d’une lutte particulière, la question « Que faisons-nous dans les luttes en général ? » est celle qui fonde la théorie telle qu’elle est conçue dans une revue comme Meeting. Ce que nous y faisons a un sens, et c’est ce sens qu’il s’agit de formuler ensemble.
- > Un renversement de perspective, mais lequel ?, patlotch, 10 décembre 2005
Sans réagir point par point au contenu de ce message, qui répond en partie aux questions que je posais plus bas ("le sens des mots, pas seulement"), je fais part d’une impression (ce qui peut passer pour pire qu’une "construction spéculative", mais après tout, le premier temps de la théorie n’est-il pas l’intuition ?)
Dans ce qu’écrit Denis, il y a quelque chose que je sens, mais pas à partir des mêmes références ou expériences. Ses explications autour du MAD et de l’évolution des autonomes (me) sont précieuses, en ce qu’elles (me) permettent de distancier la compréhension que j’en ai à travers les seules analyses de Roland (c’est pas sa faute, mais Meeting pourrait jouer un rôle de témoin des luttes théoriciennes, genre Echanges en brut, avant autonomisation, et sans lunettes filtrantes de l’écart). Sur ce point, je ne peux qu’apprendre de façon très indirecte ("théorie indirecte contre action directe", voilà qui pourrait être comme un problème communisateur). Cette distance critique permet de relativiser une lecture técéiste des événements, et d’en interroger la cohérence, dans laquelle on est pris qu’on le veuille ou non. Comme on ne peut ni tout jeter ni tout prendre, on cherche à cerner jusqu’où c’est incontournable (cf l’Invite, comme base si n’était son consensus rédactionnel), et à creuser ce qui est moins convaincant. Mais avec TC, mettre en cause un point, c’est comme d’enlever une patte à une araignée : est-ce encore une arachnide ?
Ce que je sens c’est qu’il y a de l’idée de révolution dans l’air. Une idée qui ne passe plus pour ’délirante’, c’est qu’elle puisse arriver un de ces jours, comme une explosion : que la situation l’amène comme incontournable, tout simplement parce qu’on ne voit pas d’autre "solution", sans pour autant affirmer qu’elle est "la seule". Dans des milieux quasi à l’opposé de ceux dont parle Denis, je constate comme les idées alternatives marchent sur du sable, comme si rien n’arrivait à se fixer, à être crédible pour d’autres que ceux qui y investissent une foi militante (ce que je perçois comme transformer la résistance aux sales coups en perspective politique, cf la négativité du référundum transformée par les ’collectifs du non’ en positivité qui fait flop chez leurs partisans mêmes, cf l’Appel à signature Alternative Unitaire 2007 [sic] qui semble pédaler dans la choucroute). Il y a donc quelque part un enjeu qui traverse la société au-delà des manifestations que l’on tient pour exemplaires. C’est le contraire qui serait étonnant, et c’est aussi la limite et la relativité des exemples d’avant-garde, même présentés comme annonce ou aire de la communisation. Je préfère humer l’air de la communisation. Si j’attends quelque chose, c’est un bougé qui traverse tout le corps social.
Pour autant, je ne suis pas sûr qu’on puisse projeter sur les événements l’analyse de TC, l’écart etc. jusque dans toutes les implications qu’impose sa construction systématique. Il y a quelques noeuds qui font problème, comme dirait l’autre. Christian Charrier, de La Matérielle, en relève quelques-uns sans que je saisisse où il veut, ou peut, en venir, avec quoi je recoupe mes propres interrogations (je ne suis pas encore charriériste, mais lui non plus) : l’anti-humanisme systématique me semble faire peu de cas des niveaux de généralité par lesquels on peut construire une critique qui intégre l’histoire longue de l’humanité dans celle du capital, et la révolution comme bouclant plus que l’histoire du capital, abolissant plus que l’exploitation spécifiquement capitaliste, même si c’est à partir et contre celle-ci. Il y a là des traces d’althussérisme que relevait Aufheben en le rapportant à une situation différente en Europe continentale et dans les pays anglo-saxons (une histoire différente du marxisme, d’autres nécessités théoriques). Or, je constate mais sans pouvoir en tirer quoi que ce soit, que ce point focalise ce qui oppose TC aux autres théoriciens, pour faire court, relevant du courant communisateur. Quelque chose est ligoté par TC, qui demande à être libéré, ce que TC fait mine d’ignorer en allant jusqu’au bout de sa logique, à un point tel que si la révolution n’avait pas lieu « comme ça », c’est qu’elle aurait tort, comme disait Brecht. Je me demande un peu où est la place de la surprise, de l’improvisation, et pour tout dire, de la liberté, en tant que part de réel aussi, là-dedans. Faire l’histoire dans les conditions déterminées par le capital, d’accord. Par la théorie pas d’accord.
Peut-être que ça a l’air de noyer le poisson, devant les textes élaborés de Roland, Denis, Christian, et les autres. Je le mets néanmoins en relation avec ce que Denis dit là : le "quelque chose" que "nous faisons dans les luttes", et j’ajoute : ou que nous ne faisons pas que nous pourrions faire, si nous en avions une autre idée que celle de TC, alors qu’il n’y en a pas d’autres, à un tel degré d’idéel/idéal. Je ne suis pas convaincu que nous soyons allés au bout de la discussion sur "Que faire ?", et mon petit doigt me dit que la modestie théoricienne pourrait n’être que fausse modestie, en ce qu’elle restreint les potentialités de la théorie abstraite des luttes dans son rapport aux luttes. Je maintiens que l’alternative "agir en théoricien / agir en tant que théoricien", si elle a sa pertinence pour ceux qui élaborent théoriquement, n’est pas la nôtre ; qu’elle est décalée par rapport à "agiter le courant communisateur" quand on n’est pas un théoricien : que cela ne les empêche pas de faire leur travail concret d’abstraction concrète, ni "nous" de n’être plus le même de les lire.
Mais peut-être suis-je hors sujet...
Patlotch, 10 décembre
- Sur un air de révolution, Bernard Lyon, 11 décembre 2005
Sur un air de révolution
De la révolution dans l’air ?
Cette formule, on ne peut plus intuitive, que veut-elle dire ?
Que des luttes comme celle des banlieues sont inintégrables dans le démocratisme radical ?
Que la sphère de la politique apparaît de plus en plus déconnectée de la réalité de la vie dans la société capitaliste restructurée ?Tout cela certainement, mais aussi et surtout , comme le dit le texte, qu’elle peut commencer n’importe quand, que la restructuration n’aurait plus rien à accomplir, que la contradiction de classe pourrait exploser mondialement du jour au lendemain, ("un de ces jours"). L’explosion de la contradiction capitaliste étant celle de tout le cycle de l’exploitation, elle aurait peut-être pour Patlotch quelque chose à voir avec une dimension anthropologique qu’elle actualiserait (cf. la critique du soi-disant althussérisme de Tc .). Discuter de l’existence d’une telle dimension n’a pas grand intérêt pratique, mais cette dimension est là pour soutenir la possibilité de révolution maintenant. Les deux considérations de se rejoignent ; la révolution est possible tout de suite parce qu’elle a quelque chose d’irréductible à l’économique, quelque chose de transhistorique qui l’a fait échapper au déterminisme. Et ce quelque chose serait ce qui fonde notre « faire » puisque ce faire relève de ce qui fait pencher la balance. La part de la liberté dans la révolution que Patlotch recherche c’est en réalité la totalité de la révolution, il ne sert à rien de rechercher dans les coins, ce qui est le tout en face nous ! Cette recherche cache toujours, à soi-même, un déterminisme mécanique honteux. (A part ça comparer Tc à une araignée, qui donc tisse sa toile, est sinon répréhensible du moins assez triste, quant à lui arracher une patte il faudrait d’autres éléments que la critique de la critique de « l’humanisme théorique », idéologie bricolée qui est la béquille des programmatistes orphelins inconsolables de l’identité ouvrière -même s’ils ne le savent pas- et surtout qui est la rustine théorique qui donne la positivité qu’on ne trouve pas dans le prolétariat empirique, c’est l’ersatz de la nature révolutionnaire du prolétariat transféré dans l’humain, il n’a d’autre fonction que de se rassurer pour pas cher)
Or ce « faire », cette activité dans la situation, est constitutif – en autres- de l’écart qui se creuse dans la limite des luttes, c’est-à-dire dans le fait fondamental que lutter en tant que classe est maintenant la limite des luttes, c’est là que les luttes des banlieues dans leur impossibilité même de s’auto – organiser d’affirmer une nature de classe, manifestent immédiatement cet écart (ce que Denis rattache dans ce texte à l’aire de la communisation, qui ici change passablement de contenu en ce qu’elle ne se pose pas vraiment la question de la communisation)Pour en rajouter une couche (en parlant de couche le choix du texte « L’auto - organisation est le 1er… »a été proposé par des copains qui ne participent pas à Tc) je me dois de réentonner l’air de la crise mondiale, oui il faut la crise, non ce n’est pas immédiat, oui il faut que l’ensemble du cycle de capital s’enraye, et cela le plus probablement, au terme de ce qu’ont été jusqu’à présent les cycles du capital, c’est à dire cinquantenaires, (le cycle actuel commençant à la fin des 30 glorieuses -de 65 à 75- et s’achevant autour de 2015/2025)
En ce qui concerne l’auto – organisation, pour Denis elle ne concernerait que les luttes et non pas ce que l’on est dans le capital, cette formule est séduisante car ainsi auto–organisation serait radicalement distincte de l’autonomie de classe. Mais auto–organiser sa lutte sans s’auto-organiser soi-même, c’est impossible, on lutte comme salarié, comme chômeur, comme enseignant, etc.… ce « comme » n’est pas un choix politico-social, il est la réalité du rapport de ceux qui luttent contre leur capital, l’organisation qu’ils se donnent pour lutter ne se différencie pas de leur lutte même, contre le capital, dans les catégories du capital. C’est bien parce que les JPR n’ont pas de place reconnue dans la société capitaliste, qu’ils ne peuvent pas s’organiser comme jeunes de banlieues. Bien qu’ils soient « organisés » en groupe d’amis selon moi, et en bandes selon Sarko. Il ne peut pas y avoir d’auto–organisation des luttes elles- mêmes, sans référence explicite à qui lutte, donc à un « qui » de cette société.L’auto – organisation ne débouche pas sur une autonomie de classe stable, au contraire puisque la période de l’autonomie de classe était celle du programme d’affirmation du travail, celle où la structure adéquate de l’autonomie était le parti et le syndicat ! Cependant considérer que l’auto – organisation actuelle est déjà au-delà de l’autonomie est aller vite et surtout accorder à l’auto–organisation la neutralité technique d’un mode organisation sans contenu à priori. Ce qui succédera à l’auto–organisation n’a pas de nom autre que communisation, car ce n’est plus un mode d’organisation qui le définira, l’autotransformation des prolétaires est production de nouveau contre l’existant, qui seul peut relever de l’auto - organisation.
Au sens strict, notre action « n’influence » rien car l’influence suppose l’extériorité, nous sommes un élément réel théorique et donc pratique des luttes, tous les questionnements sur le faire, sur l’influence, réifient la situation du capital en conditions objectives et nous réifient en conditions subjectives, d’où le questionnement sur « et si c’était possible tout de suite ? » et quelle est la part de liberté ? L’unité de la contradiction de classes qu’est le capital et celle du cycle de lutte et du cycle du capital sont oubliées.
Le fait que ce cycle de luttes soit le dernier cycle du capital semble impliquer, pour beaucoup de monde, qu’il ne puisse absolument pas en avoir la caractéristique essentielle de tout cycle, à savoir tout simplement de sortir d’une crise et d’entrer lui même en crise. Ce qui a été reproché par beaucoups à "Trop loin" c’est d’avoir dit « il va falloir attendre », reproche fait en pensant qu’au contraire ce serait aujourd’hui la veille ! Alors que la vraie fausse route, ce n’était pas le moment mais comment on y arrive. La restructuration réelle a créé la situation qui rend la révolution à fois invisible à l’horizon politique et flagrante au niveau de la contradiction réelle, celle d’une reproduction des classes de plus en plus problématique. On a maintenant à la fois l’éternisation du capital et l’immédiatisme de la révolution (personne ne se prépare plus à la révolution dit Denis), ces deux éléments sont totalement liés, ils nient tous deux, le cycle, que le capital ait encore un cycle allant banalement vers la crise. Mais dans ce cycle se produit le dépassement du capital, les luttes de classe se transforment et la révolution comme production du communisme, commence à être développée dans la conceptualisation même de la transformation de ces luttes, ce que Tc appelle "l’écart", d’autres "l’aire de la communisation" (suspension faite des différences considérables, mais qui peuvent diminuer si « l’aire » n’a plus rien de géométrique, si elle n’est plus réductible à un milieu, si elle est l’ensemble des actions, positions et analyses qui creusent l’écart dans la limite des luttes )« Agiter le courant communisateur » qu’es acco ? On ne fait que ça justement et c’est bien ce qu’on pourrait se reprocher ! Ecrire pour Meeting, diffuser la revue, faire des réunions, sur les luttes actuelles (réunion publique sur Meeting 2 faite à Marseille, réunion sur invite, de débats de textes à venir). Echanges les plus divers tant du côté de Marseille que de Paris, suivi des discussions sur le courant communisateur, au sein des réseaux ultra-gauche et au sein de la mouvance intéressée par l’aire de la communisation.
La lutte de classe est la production réelle de la révolution réelle, la communisation. Au travers de nos divergences et de notre convergence fondamentale, c’est cela que nous devons suivre, comprendre et diffuser, en participant au creusement de l’écart, en agitant le courant communisateur, en le faisant devenir incontournable pour toute critique conséquente du capitalisme et de l’altermondialisme. La crise qui vient montrer ce qu’elle sera, dans la poursuite de la restructuration par la segmentation des prolétaires qui se poursuit ici dans par la racisation d’Etat aggravée et dans l’antiracisme, le communautarisme et le laïcisme. Les clivages vont s’horizontaliser, se géographier de plus en plus, dans une mise en abîme des contradictions de classe, au sein de chaque zone, mondiales, nationales et locales. La lutte des banlieues qui nous a passionnés et fait débattre nos compréhensions, nous place de manière incontournable devant le fait que nous sommes les seuls a ne lui adresser aucune critique, à la considérer, telle quelle est, comme un élément constitutif de l’advenue de la crise révolutionnaire et non comme un symptôme. C’est à des situations comme celle là que nous seront confrontés, dans le conflit entre socialisation et communisation, dont la situation en Argentine dont montre le point de clivage essentiel : ne plus se battre pour rester ce qu’on est dans cette société, mais pour être immédiatement notre communauté.- Sur un air de révolution, Patlotch, 12 décembre 2005
Avant de revenir sur quelques points de cette réponse de BL, je fais un détour sur "comment j’en suis venu à partager l’idée de communisation ?"
Il y a un an, je piétinais dans l’élaboration d’un "Carrefour des émancipations", dont le titre dit assez le rapport qu’il entretient avec ce dont il s’agit de s’émanciper : une somme de dominations. Certes je cherchais "un retour à Marx", un refondement et "un élargissement de la critique du capital et de l’Etat". Je cherchais ce qui ne marchais pas dans l’alternative politique radicale, je leur faisais toutes sortes de reproches dont leur "déficit théorique" et leurs pratiques politiciennes même hors partis, etc. Je n’en pouvais mais... Pour le meilleur j’arrivais à BIHR ("Actualiser le communisme", qui s’échoue en jus de boudin radical avec la taxe Tobin), ou ABENSOUR ("la démocratie contre l’Etat", donc Marx expurgé du Capital comme critique de l’économie politique - ie de l’exploitation), pour le pire à Nicanor PERLAS ("La société civile, le troisième pouvoir", cad une analyse de la réalité dans "l’apparence des choses"). Je n’arrivais pas à articuler mes "dominations" et le capital, car repartir de l’exploitation équivalait pour moi à retomber dans "contradiction principale/ contradictions secondaires". Intellectuellement j’aboutissais à un magma et une impasse. "Politiquement" j’étais isolé, sachant que je ne supportais plus les tartufferies militantes.
C’est à ce moment que je suis tombé sur les écrits de RS ("Les fondements..."). Désolé, ça fait un peu conte de fée, "euréka...", "nouveau messie" etc. et certains l’ont compris comme ça, c’est dommage. Mais pas du tout pour moi. Ce n’est pas la cohérence en soi de TC qui m’a séduit mais, si j’essaye de le saisir rétrospectivement, trois points que je simplifie : 1) l’exploitation = cours du capital 2) l’implication réciproque = praxis 3) la révolution = auto-abolition du prolétariat dans celle du capital. Cela signifie que je tenais pour essentielles l’idée de dépassement produit, la praxis comme celle du tout des deux pôles prolétariat-capital etc. Je ne pense donc pas être tenté par la considération de conditions subjectives / objectives. Je comprends l’insistance de BL pour que cela soit clair : « notre action n’influence rien car l’influence suppose l’extériorité ». Au regard de ce que je raconte plus haut, dois-je considérer que n’ai pas été "influencé" ? Certes il s’agit, du moins en apparence, d’un parcours plus "spéculatif" que lié aux luttes, voire...
Les théoriciens ont aussi un "nous" au sens restreint (« nous sommes un élément réel théorique et donc pratique des luttes »), d’où ils parlent bien qu’adoptant la posture du "nous" prolétarien dans l’écart, ce qui suppose, comme le dit Charrier, que leur théorie soit "naturelle à l’époque". Les problèmes liés à cette rencontre seront de plus en fréquents, et c’est d’ailleurs pourquoi Meeting ne peut pas exposer que des textes à haute densité théorique, dans le langage de leur élaboration rigoureuse, sauf à prendre son retard dans "l’écart", et à jongler avec ses "nous". C’est pour ça que je me permets des interventions "inintéressantes". La question est d’ouvrir, car tous ceux ’appelés’ (’invités’ par la cours quotidien de l’exploitation...) à s’inscrire dans "le courant communisateur" (il faut bien des individus, même particuliers comme appartenant à une classe, en chair et en os pour se battre ’physiquement’, et avec, accessoirement, un cerveau pour penser théoriquement autant qu’un coeur pour agir ’en conscience’) ne proviennent pas de l’Ultra-gauche ou des autonomes et autres, mais tout simplement de « la sphère politique de plus en plus déconnectée de la réalité de la vie dans la société capitaliste restructurée ».
Alors, un mot sur « la critique de la critique de "l’humanisme théorique" ». J’ai eu tort d’évoquer Althusser, d’une part parce que je n’ai pas les moyens de ma fausse prétention théoricienne, d’autre part parce que ce n’est pas le problème. Appelons un chat un chat. Toutes les critiques de RS (celle de l’IS, celle de Dauvé-Nésic, celle d’Astarian...) convergent sur cette question, à un point de si haute-tension qu’il rend le dialogue impossible. Ils ramènent l’humain en lieu et place du prolétaire, et c’est rhédibitoire. Quand BL résume ce dont je voulais parler, c’est tout de suite les grands mots : « L’explosion de la contradiction [...] aurait peut-être pour Patlotch quelque chose à voir avec une dimension anthropologique qu’elle actualiserait... ». Merci pour la précaution du "peut-être" et de retenir l’idée que quelque chose s’actualise, dans l’abolition du capitalisme (niveau de généralité trois selon B. OLLMAN, "La dialectique avancée" ), qui est en même temps l’abolition des sociétés de classes (niveau de généralité quatre, d°) et (en redescendant dans les niveaux de généralité), l’émancipation de ce qui est "général aux individus" (niveau deux, d°), et "ce qui fait qu’une personne est unique" (niveau 1, d°). Jusque-là, pas de problème, on voit bien, avec ce schéma, qui n’est qu’un schéma, que nos ’humanistes’, s’ils ne sautent pas purement et simplement le niveau trois (le capital en tant que tel, donc l’exploitation), passant des niveau un et deux (Stirner et l’anarchisme individualiste ou personnaliste, cf l’en-dehors, les tourments de Benasayag), au niveau cinq ("la société humaine", d°). Dans ce sens ça marche bien : reconnaître la contradiction motrice du capital, et donc se reconnaître comme prolétaire est une condition nécessaire (pour sortir des perceptions de "dominés" par genres, et les débouchés communautaristes...). Ce que je sens chez TC, c’est comme d’en faire une condition suffisante, ce que j’interprète comme la surdétermination sur tous les autres du niveau trois (le capital), par le règne absolu de subsomption réelle, y compris aux niveaux six ("le règne animal", d°), et sept ("comme parties matérielles de la nature"). Précisons qu’Ollman élabore ces niveaux (en les théorisant) à partir de Marx, et donc réintègrant l’humanisme universel de ses écrits de jeunesse dans la critique du Capital (en quoi la coupure est relative, comme le soutient Camatte, et je pense aussi autrement TC).
J’ai vu qu’il y avait par ailleur un débat sur exploitation-aliénation, entre TC et Aufheben, dont il ressort en définitive des rapprochements entre ce que les uns et les autres mettent sous chacun des deus termes (je crois que c’est dans TC 19). Il se trouve qu’Holman est connu pour son livre de 1971 : Alienation : Marx’s Conception of Man in Capitalist Society...
Voilà, je laisse tout ça à la réflexion, pour voir si cela a un « intérêt pratique, en soutenant la possibilité de la révolution » dans ce cycle, à condition de ne pas le rabattre systématiquement dans deux dimensions opposées binairement dans le schéma prolétariat vs espèce humaine, dimension de classe et dimension anthropologique. Pour ma part, je pense qu’il y a quelque chose à articuler (on n’enlèvera pas à Ollman d’être assez fin dialecticien), et que ce n’est pas sans rapport avec le débat de fond sur l’auto-organisation, en tant que quoi ? parce que s’il s’agit de s’émanciper du rapport capitaliste, on le fait à tous les niveaux en passant par l’abolition au niveau trois (l’exploitation) : comme individu unique, singulier, particulier, appartenant à l’espèce humaine, en tant qu’animal et que partie de la nature. Voilà qui promet de savoureux échanges entre communisateurs et écologistes radicaux...
Pour terminer, quelques mots de comparaison « répréhensible et triste » de TC à l’araignée. Je n’avais pas pensé à la toile qu’elle tisse - toute métaphore a ses limites - mais au fait que privée d’une patte, elle appartient quand même à la famille des arachnides (8 pattes), comme un unijambiste à l’espèce humaine. Je voulais souligner cette irritation que je ressens devant le "systématisme de TC" (Charrier) : on ne peut rien enlever sans toucher au tout, on a l’impression que c’est à prendre ou à laisser. Ce qui est irritant, ça gratte, c’est comme une araignée, qui tisse des fils plus résistants à la rupture que l’acier, même trempé...
Patte-lotch, animal de classe singulier, 12 décembre
Remarque en quoi ceci est lié au débat sur "auto-organisation des luttes / auto-organisation du prolétariat" : BL répond à la question que je posais plus bas, souhaitant discerner dans les luttes ce qui serait auto-organisation "formelle" et en "contenu" (portant l’autonomie du prolétariat). Pour lui, il n’y en n’a pas : quand on auto-organise une lutte, cela porte toujours l’autonomie. Cela se boucle sur l’affirmation tout l’être se ramène à sa condition de classe, où je renvoie à ce que j’en ai dit plus haut.
- Sur un air de révolution, Patlotch, 12 décembre 2005
- Sur un air de révolution, Bernard Lyon, 11 décembre 2005
- > Un renversement de perspective, mais lequel ?, patlotch, 10 décembre 2005
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Les sept petits cochons: Fable urbaine véridique et sans morale
samedi, 21 octobre 2006
Chacun sait, ou devrait savoir, que les politiques dites « sécuritaires » -devenues, depuis les attentats du 11 septembre 2001, la seule manière de gouverner- sont indissociables d’une inflation illimitée du mensonge d’État. Partout la police justifie l’inquiétante augmentation de ses effectifs, de ses pouvoirs et de ses moyens par la mise en scène médiatique de la prétendue « barbarie » de ceux qu’elle est censée mater. On transforme ainsi une baston entre lycéens en « pogrome anti-Blancs », ou une vague d’émeutes spontanées en complot islamo-mafieux, quand on ne fabrique pas de toutes pièces, sur la base de faux témoignages ou d’aveux extorqués, une agression antisémite dans le RER ou une « cellule terroriste islamiste ». L’actualité nous fournit un nouvel exemple de ce genre de manipulation médiatique, dans la cité des Musiciens aux Mureaux, par ailleurs « ville-pilote » de la répression.
Dimanche 1" octobre 2006, un automobiliste en défaut d’assurance qui fuit un contrôle routier finit sa course dans un véhicule de police disposé en barrage. Bien qu’il soit le seul vraiment amoché dans l’accident, il est brutalement jeté hors de sa voiture par la police, ce qui provoque une légitime indignation parmi les badauds. Quand on leur demande d’appeler une ambulance les flics répondent par les gaz lacrymo : cela déclenche la colère d’une quinzaine de jeunes qui, armés de quelques pierres et de beaucoup d’audace, parviennent à libérer le blessé promis au passage à tabac. Les sept flics, contusionnés et paniqués, s’enfuient sous les huées en abandonnant sur le terrain une voiture, qui est incendiée après que les jeunes y ont récupéré un flash-ball et deux radios de police. Le tout ne dure que quelques minutes.
Les autorités, ne pouvant évidemment reconnaître officiellement que deux patrouilles de police ont été ridiculisées et humiliées par une poignée de jeunes rebelles, tentent d’accréditer l’idée d’une véritable émeute préméditée, en gonflant démesurément les faits et les chiffres : les sept flics auraient été « agressés » et même « menacés de mort » par « 130 » (selon le parquet de Versailles) à « 250 personnes » (selon la police) armées de « manches de pioche » et de « boucliers artisanaux ». Cette grossière déformation des faits serait presque comique si elle n’avait pour but de justifier, trois jours plus tard, une rafle de représailles dans la cité : le mercredi à 6 heures du matin, plusieurs centaines de flics perquisitionnent au hasard, deux heures durant, les appartements des habitants, à la traque de prétendus « meneurs ». Comme d’habitude, ces intrusions donnent lieu à des brutalités policières, notamment à l’encontre de femmes et d’enfants. On ne peut dire que l’opération soit une surprise, bien au contraire : de nombreux habitants ont, en prévision, laissé leur porte d’entrée entrouverte, frustrant ainsi les flics d’une de leurs activités favorites, le défonçage de portes. Une seule personne est embarquée, dont le tort est d’être le frère de l’automobiliste en fuite. (Le lendemain une autre personne, qui a protégé l’un des sept flics, connu pour être moins salaud que ses collègues, se livrera à la police.) L’opération est en effet d’abord une punitioncollective, destinée à faire pression sur les jeunes révoltés en terrorisant leurs familles. Mais le ministère de l’ intérieur, qui prend sa fonction éducative très au sérieux, veut aussi faire un exemple, réaffirmer bruyamment à la une des médias « l’autorité de l’État », c’est-à-dire l’arbitraire de la police : et dans ce but une brigade spéciale composée d’une trentaine de journalistes est conviée à filmer la curée. C’est cette obscénité « spectaculaire », évidente signature du nabot hystérique qui cherche à en tirer profit - mais non le scandale des violences policières quotidiennes -, qui suscite quelques communiqués indignés de la part du Parti Socialiste, qui évoque un « show médiatico-policier », du Syndicat de la Magistrature, qui dénonce une « opération de police-spectacle », et même du Syndicat National des journalistes, qui s’inquiète des effets de la « médiatisation à outrance » !
L’opération des Mureaux répète, à peu de chose près, ce qui s’est passé à la cité des Tarterêts de Corbeil-Essonnes, après cet autre prétendu « guet-apens » dont auraient été victimes deux CRS le 19 septembre dernier. Confronté à une révolte croissante contre les brutalités policières, les délits de sale gueule, les humiliations bureaucratiques, les injustices des tribunaux, etc., etc., l’État voudrait faire croire qu’il n’est menacé que par une vaste et obscure conspiration des « barbares des cités », plus ou moins liée au « terrorisme international » et/ou aux « mafias de la drogue ». C’est un grand mérite des émeutiers de novembre 2005 que d’avoir ridiculisé publiquement ce délire paranoïde, en ayant rendu la lutte des classes à nouveau visible. Depuis la levée de l’état d’urgence, aux premiers jours de 2006, la confrontation entre les victimes du système et les milices sarkozystes a pris dans nos cités la forme d’une « insurrection rampante » : des manifs sauvages des lycéens du 93 pendant tout le mouvement « anti-CPE » aux récents incidents de Corbeil, des Mureaux, de Toulouse et de Vitrolles, en passant par les échauffourées qui ont suivi les quarts et demi-finales de la Coupe du monde de foot, il est clair que les jeunes des cités sont seuls à affronter radicalement l’évidente montée en puissance de la terreur policière. II aura fallu beaucoup de temps, souvent jusqu’au mouvement « anti-CPE », pour que ceux qui prétendent s’intéresser à la question sociale osent exprimer leur solidarité envers les émeutiers de novembre. Aujourd’hui les jeunes rebelles des Musiciens, des Tarterêts et d’ailleurs sont à nouveau menacés de lourdes sanctions, pour les mêmes faits de résistance à l’oppression : faudra-t-il autant de temps pour que la solidarité se manifeste en leur faveur ?
Vendredi 13 octobre 2006
Éditions Antisociales
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Quelques remarques sur Meeting 3 - Roland Simon
samedi, 3 mars 2007
Quelques remarques sur Meeting 3
1) Déduction et induction
Dans les deux premiers numéro de Meeting l’approche de la communisation relevait de la déduction. C’est-à-dire d’une opération consistant à passer d’une proposition ou plusieurs propositions à une proposition qui en est la conséquence nécessaire en vertu de lois logiques. Donc sans faire appel à l’expérience, on conclut rigoureusement, d’une ou plusieurs propositions prises pour prémisses, à une proposition qui en est la conséquence nécessaire, en vertu de règles logiques.
Cependant, pour Kant, à la déduction transcendentale (des concepts a-priori sont appliqués aux objets de l’expérience) on peut opposer la déduction empirique qui consiste à construire ces concepts par une réflexion faite sur l’expérience elle-même et non sur son principe.
Dans le numéro 3 de Meeting, l’induction prend le pas sur la déduction, c’est-à-dire le passage du particuler au général, l’analyse de plusieurs choses particulières nous mène à la connaissance d’une vérité générale : l’impasse, dans les faits, de la lutte revendicative, la dynamique contradictoire de celle-ci, la remise en cause de soi-même. L’induction n’est pas un empirisme, elle ne s’arrête pas brusquemet à la limite de l’observation immédiate, elle poursuit sa route, prolonge la ligne décrite par l’observation et la pratique, cède, pour ainsi dire, pendant quelque temps encore, à la loi du mouvement qui lui a été imprimée.
Toute observation réfléchie, en tant qu’elle serait réitérable à l’infini, implique un caractère d’universalité, une tendance spontanée à ériger en règles fixes les rapports qui constituent nos perceptions, et nos conceptions explicites. Mais, si nous avons affaire là à l’induction amplifiante, il ne faut pas la confondre avec une implication logique. En effet de ce que quelques luttes sont remise en cause, ou même de ce que beaucoup de luttes sont remise en cause, il ne saurait s’en suivre que toutes les luttes sont remise en cause. L’induction complète serait une apparence de déduction, mais seulement une apparence.
Dans le numéro 2, un texte comme celui sur l’Argentine et plus encore, dans le numéro 3, le texte sur l’auto-organisation et la communisation, procèdent d’une forme intermédiaire : la collégation. Il s’agit de réunir dans une conception synthétique unique un ensemble de faits séparément observés : l’idée d’ « orbite elliptique » condense toutes les observations faites sur les positions d’une planète, l’idée de « nouveau cycle de luttes » condense toutes les observations faites sur les luttes particulères d’une période. Cependant si la collégation va jusqu’à la production d’un concept, elle est sous un autre aspect en retrait par rapport à l’induction qui, elle, suppose une extension à l’inconnu et au futur.
Jamais dans la production de théorie l’induction ne peut supplanter la déduction. Son apport essentiel est de faire en sorte que le sujet réel, la lutte des classes, la société, ne subsiste de manière autonome en dehors de la théorie, en dehors de la déduction. Dans la production théorique, il faut que le sujet agisse constamment dans la théorie en tant que donnée préalable et interne et inversement que la déduction ne soit pas l’auto-engendrement des concepts. « La totalité concrète, puisqu’elle est totalité pensée ou représentation intellectuelle du concret, est le produit de la pensée et de la représentation. Mais elle n’est nullement le produit du concept qui s’engendrerait lui-même, qui penserait en dehors et au-dessus dela perception et de la représentation : elle est le produit de l’élaboration des concepts à partir de la perception et de l’intuition. Ainsi, la totalité, qui se manifeste dans l’esprit comme un tout pensée, est un produit du cerveau pensant qui s’approprie le monde de la seule façon possible. » (Marx, Introduction de 1857, in Fondements de la critique de l’économie politique, Ed. Anthropos, t.1, p.31). L’induction de la communisation sur laquelle fonctione ce numéro 3 de Meeting est le moment essentiel qui permet de reproduire le concret, par la voie de la pensée, dans l’exposition déductive de la relation entre cycle de luttes et communisation : « … alors le mouvement réel peut être exposé dans son ensemble. Si l’on y réussit, de sorte que la vie de la matière se réfléchisse dans sa reproduction idéale, ce mirage peut faire croire (à tous les empiristes mal-intentionnés réclamant des exemples, et encore des exemples pour ne surtout rien en déduire, nda) à une construction a priori » (Marx, Postface à la deuxième édition allemande du Capital).
Pour élargir les considérations précédentes. L’intérêt de Meeting doit se situer dans la clôture d’une longue période qui commence au début des années 1970. C’est-à-dire que Meeting doit achever le passage d’une période où la théorie de la révolution comme communisation était essentiellement déductive, à la période actuelle où elle devient inducto-déductive. Un tel passage ne va pas sans modification, rejet, reformulation et abandon de développements spéculatifs liés à son caractère antérieurement déductif.
Par exemple : il manquait au texte de la Tendance (La Révolution sera communiste ou ne sera pas) la restructuration et le nouveau cycle de luttes, si bien que, dans ce texte, l’action de classe ne peut être autre que programmatique, il ne fonctionne alors que sur une alternative absolue entre programmatisme et révolution qui devient luttes immédiates ou révolution. Il manquait aux rédacteurs de ce texte la maturation d’un cycle de luttes où être en contradiction avec sa propre existence comme classe s’enracine et se produit maintenant dans les luttes immédiates comme l’annonce de leur dépassement.
2) Emeutes de novembre et lutte anti-CPE
Une conséquence de ce qui précède (si on le prend dans l’ordre de l’exposition) ou une cause (si on le prend dans l’ordre de l’investigation) est : parler de la révolution comme communisation est devenu une prise de positions immédiates dans la lutte de classe et dans les luttes particulières. Parler de révolution comme communisation prend définitivement le large par rapport à la révolution comme affirmation de la classe et à la démarche et aux positions immédiates, dans le présent, que cette position implique. C’est là également un des objets essentiel de ce Meeting 3.
Je reprends des choses qui sont dans Meeting 3, mais pour leur doner une valeur plus généralement méthodologique et historique.
D’un côté, ceux pour qui la lutte de classe est une défense de la situation de prolétaire jusqu’à ce que les ouvriers, suffisamment unis et puissants prennent en mains la société et affirment leur puissance et leur rôle social de classe en se libérant de la domination capitaliste.
De l’autre, ceux pour qui la lutte de classe s’achève non dans la victoire du prolétariat, mais dans l’abolition de toutes les classes y compris le prolétariat. Il ne s’agit pas d’un suicide social, mais de l’abolition du capital, de la valeur, de l’échange, de la division du travail, de toute forme de propriété, de l’Etat (ce que l’on peut également formuler comme abolition du travail et de l’économie – si l’on a établi toutes les médiations théoriques produisant ces formulations). Le prolétariat abolit tout ce qu’il est, toutes ses conditions d’existence. Cela, immédiatement, dans le processus révolutionnaire à venir, comme condition expresse de sa victoire.
Cette opposition est le contenu et l’enjeu actuel de la lutte de classe. Si agir en tant que classe est devenu la limite même de la lute de classe, cela est un processus éminemment conflictuel.
Les émeutes.
Leur contenu fut l’attaque ici et maintenant de tout ce qui définissait, signifiait, produisait les émeutiers dans leur situation : un crime vis-à-vis de la classe ouvrière appelée à un « avenir radieux ». Il ne s’agit même plus, pour les émeutiers d’être des prolétaires ordinaires. Etre un travailleur n’exprime plus rien au-delà du capital, mais seulement la hantise d’être précipité dans le monde des exclus au fur et à mesure que le travail lui-même n’assure plus la frontière entre les deux.
On ne peut plus envisager la lutte de classe comme la classe ouvrière se préservant de la précarité qui la minerait en tant que porteuse du grand programme émancipateur. Il ne peut plus s’agir de préserver ou de revenir à un état antérieur, de faire « reculer le patronat » ou l’Etat. Il s’agit de dépasser la situation présente à partir d’elle-même et non de revenir à une situation antérieure.
Le contenu général des émeutes s’oppose à leur forme particulière, une forme sociale définissable dans les catégories de la reproduction et facilement repérable. Il en est résulté ce renversement de point de vue : ce serait dans la particularité qu’existe le contenu général. L’erreur de trouver le général dans chaque particulier réside dans l’oubli que le particulier n’est pas un point de départ, mais est lui-même produit (une particularisation trouvant dans la totalité sa raison d’être)
Lutte anti-CPE
En tant que mouvement revendicatif, le mouvement des étudiants ne peut se comprendre lui-même qu’en devenant le mouvement général des précaires, mais alors : soit, il se saborde lui-même dans sa spécificité ; soit, il ne peut qu’être amené à se heurter plus ou moins violemment à tous ceux qui, dans les émeutes de novembre, ont montré qu’ils refusaient de servir de masse de manœuvre.
Faire aboutir la revendication par son élargissement sabote la revendication. L’élargissement, inscrit dans le code génétique du mouvement, est une contradiction. La généralisation devient conflit et remise en cause de la revendication dans la dynamique même de la revendication.
3) Paysage actuel du « milieu théorique »
Soit, le subjectivisme devenu fou pour lequel chacun se considère, du fait même d’exister comme il existe, de vivre comme il vit, et de penser come il pense, comme la preuve de la révolution communiste toujours là. Puisque j’existe comme je suis, je suis la preuve vivante de la révolution. Zeus rend fou (hybris) ceux qu’il veut perdre.
Soit, l’empirisme le plus plat qui se shoote aux détails de la lutte de classe et aux micro-récits et se refuse à penser la révolution, cet empirisme ne se situe même pas au niveau de l’induction. On ne considère la lutte des classes que comme la simple rencontre d’intérêts opposés et la « radicalité » consiste à refuser les « grands récits ». Cet empirisme répète la mort du programmatisme (comme l’art moderne, disait l’IS, répète sa mort) sans viser son dépassement ou en croyant que répéter la mort des « grands récits », c’est les dépasser. Il suffirait, consciemment ou non, d’en être le négatif.
Il s’agirait de se contenter de décrire les luttes avec force détails et statistiques (surtout tirées de journaux anglo-américain, cela fait partie de la posture de dévoilement du réel) et de les vouloir les plus « radicales » possibles, c’est-à-dire un syndicalisme qui réussirait. Le reste, c’est-à-dire aborder la question de la révolution et du communisme, tombe sous le feu des injonctions empiristes, de l’amalgame de toute déduction à la spéculation. « Des exemples ! des exemples ! », crient-ils en sautant comme des cabris.
Il s’agit d’occulter la question de la nature de la révolution communiste, comme si les porteurs de ce post-modernisme étaient conscients de la rupture entre leur implication syndicaliste radicale (avec de nombreuses références opéraïstes) – dont le plus souvent ils se contentent et dont leur discours « révolutionnaire » n’est que l’accompagnement – et la révolution communiste, c’est-à-dire l’abolition de toutes les classes. En même temps, ils sont prêts à grapiller de façon éclectique, dans les discours passés de la révolution et du communisme pour agrémenter leur position normative vis-à-vis de la lutte de classe dans son actuelle immédiateté qui est leur horizon indépassable. Car, ils sont en fait des empiristes contrariés qui ne peuvent rien dire du réel tel quel sans dire ce qu’ils auraient pu ou du être pour être conforme à lui-même.
4) La question interne au concept de communisation
Une théorie de la révolution communiste comme communisation inclut comme une « dérive nécessaire » ou une « dimension nécessaire » ( l’emploi de l’une ou l’autre expression est une partie du débat sur l’auto-organisation rapporté dans Meeting 3) l’expression d’une « existence positive » (actuelle, tendancielle, contradictoire, comme limite…) de la communisation. Cette « dimension » dérive nécessairement de l’enjeu actuel de la lutte de classe : la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action en tant que classe. Si, personnellement, je considère que la remise en cause est interne à la limite (l’action en tant que classe), cela ne m’empêche pas d’admettre que le cycle de luttes est une tension constante entre l’autonomisation de la dynamique (la remise en cause) et la reconnaissance de l’action en tant que classe comme toute entière dans les catégories du capital.
L’autonomisation de la dynamique qui est une constante de ce cycle suppose que l’appartenance de classe est déjà dépassée ou devra l’être préalablement pour que la révolution soit. La lutte de classe dans sa manifestation immédiate comme classe du mode de production capitaliste ne pourrait sortir de son implication réciproque avec le capital que si des actions sont en elle déjà réellement ou tendanciellement au-delà. Je fais référence ici, entre autres choses, au débat entre Denis et moi ayant précédé la réunion de mars sur l’auto-organisation, ces textes publiés sur le site n’ont pas été repris dans la version papier de Meeting 3, mais le débat est incontournable dans la poursuite de Meeting. La « Critique de l’Appel » publiée dans le numéro 2 de Meeting et le concept d’ « aire de la communisation » dans le numéro 1, laissent entendre qu’une action de classe pourrait être un processus qui ne soit pas capitaliste ou d’une certaine façon au-delà, le courant communisateur ne serait pas seulement un « précipité » de la lutte de classe avec « l’écart » qu’elle comporte, mais aurait une possibilité d’existence pratique actuelle positive. La discussion sur la critique de cette « Critique de l’Appel » est incontournable dans la poursuite de Meeting, non pas tant pour produire une position commune, mais parce que nous devons intégrer que cette question est interne, définitoire, du concept de communisation.
Incontournable, d’autant plus qu’un tel débat n’est pas spécifique aux participants directs de Meeting. C’est la question que soulève Patlotch dans son texte « Une troisième tendance… » (sur le site de Meeting), ce sont les thèses de Bruno Astarian, en partie celle de Dauvé et Nésic, on retrouve la question (bien que très affadie d’un point de vue théorique) dans les débats internes à Perspectives internationalistes dans leurs derniers numéros à propos de l’ « Etre Générique », c’est également au travers de la discussion sur les concepts d’aliénation et d’humanisme un des problèmes auxquels se confrontent les copains anglais « ex d’Aufheben », enfin la question est soulevée à un niveau théorique exceptionnel dans un texte suédois (signé Marcel) que nous avons traduit en français à partir de l’anglais, texte qui crée de sérieux remous dans le groupe-revue Riff-Raff, et que nous proposons de mettre en ligne sur le site.
5) Déception et théorie
La déception ou un certain sentiment d’échec qui transparaissent parfois dans les textes de ce numéro 3 de Meeting sur le mouvement anti-CPE à Paris, résultent du piège rétrospectif de l’analyse de l’action. Le piège rétrospectif de l’analyse d’activités particulières dans un mouvement se définit par la séparation qui a posteriori semble aller de soi (le mouvement étant clos) entre les conditions du mouvement et les activités ou les décisions de ses acteurs (vues après coup comme des objets particuliers). La déception est une inversion de la méthode, elle sous-entend l’analyse des limites d’actions particulières par rapport au mouvement, et non les limites du mouvement dont ces actions sont constitutives, mais sans lesquelles, c’est exact, il n’aurait pas été ce qu’il fut.
Le piège rétrospectif consiste à séparer ce qui était indissolublement uni : conditions et activités. Termes qui non seulement étaient unis mais absolument identiques au point qu’aucune réalité ne se présente comme la relation de ces deux termes. La séparation des deux est la reconstruction du monde par le militantisme : un monde objectif face à l’activité. L’oiseau de Minerve, qui prend son envol la nuit venue, crée cette distinction.
Les conditions et l’activité auraient pu être autres (surtout l’activité). Posé ainsi, cela semble évident comme critique d’un « ennemi » sur mesure : le « déterminisme ». Mais l’erreur est non seulement dans la séparation des termes mais dans la conception du réel dans ces termes. Le militant a des principes à appliquer, une boite à outils toute garnie, en revanche l’acteur du moment fait avec les possibilités (qui sont elles-mêmes des actions), les pensées produites, les initiatives du moment de l’action, parce qu’il est lui-même défini par elles sans s’y identifier. Le piège rétrospectif transforme un mouvement de luttes qui est une somme ou mieux une interaction constamment changeante d’actions et de décisions prises, en un lieu qui devient l’objet de l’action sur lequel elle s’applique. C’est alors une reconstruction militante du réel dans laquelle l’action est « pure action » et son sujet préexistant « pur sujet constituant la réalité ». L’une et l’autre, l’activité et son sujet, ne sont pas eux-mêmes produits, ils sont face au monde qui est « pur objet ». La relation au monde est alors celle de la réussite ou de l’échec. L’illusion rétrospective crée une alternative dans laquelle nous ne pourrions être que Prométhée ou K dans Le Procès.
La dynamique contradictoire de la lutte anti-CPE, sur laquelle insistent les textes de ce numéro de Meeting (« Le point de rupture de la revendication » et « Le point d’explosion de la revendication ») existe, de fait, dans un certain nombre de ruptures pratiques, organisationnelles, d’analyses faites dans le vif du mouvement, de décisions prises. L’analyse que nous faisons de cette lutte, c’est-à-dire la production d’une abstraction, est, non pas simultanément, mais de façon définitoire, la pratique la plus immédiate de certains participants à Meeting. Il ne s’agit pas de l’application de principes, ces pratiques se sont imposées dans le cours du mouvement pour la même raison que nous pouvons analyser le mouvement comme cette dynamique conflictuelle. En disant, dans Meeting 3, ce qu’est le mouvement, nous disons ce que ceux (participants à Meeting) qui y ont été ont fait.
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Communisme de l’attaque et communisme de la défection
samedi, 17 mars 2007
traduit de la version anglaise du texte original suédois écrit par l’un des membres du groupe RIFF-RAFF
« Nous devons être des réactionnaires et des révolutionnaires, hérétiques et prophètes. Nous n’avons jamais été si loin et plus près de Marx ! Notre contradiction est seulement sa contradiction impliquée par ses développements théoriques. » (J.L. Darlet, Lettre à Jacques Camatte)
À maintes reprises, nous [1] avons décrit le communisme comme le mouvement du prolétariat dans mais contre le capitalisme. Nous avons affirmé que ce mouvement, c’est-à-dire la lutte de classe de la classe ouvrière, de façon dialectique, avait à la fois produit et été produit par les rapports capitalistes. Ainsi, nous avons souligné que c’est cette contradiction qui fournit au capital sa capacité de développement. De ce point de vue nous avons analysé ce paradoxe comme la véritable contradiction entre le capital et le travail. À de multiples occasions nous avons discuté et repris ce point, et grâce aux enquêtes ouvrières nous avons essayé de décrire comment cette contradiction apparaissait en réalité. Toutefois, un texte interrogeant et définissant ce paradoxe – c’est-à-dire le mouvement réel du prolétariat – d’une façon conceptuelle, faisait défaut et était attendu depuis longtemps.
Le propos de ce texte, donc, était initialement de définir la communisation et le mouvement communiste, et d’expliquer pourquoi nous avions considéré le communisme comme identique à la relation antagonique entre le prolétariat et la capital. Ainsi l’idée initiale était de creuser ce que Antonio Negri et Michael Hardt, dans « Empire », appellent « la volonté de résister ». Toutefois, pendant l’écriture, cela a changé, parce qu’alors que nous étions en train de travailler sur le texte, nos perspectives se sont radicalement développées. Nous avons fondamentalement abandonné la mythologie marxiste à propos du prolétariat, ce qui, à son tour, nous a amené à critiquer cette partie de notre dialectique qui affirmait que le communisme est le résultat d’une contradiction interne des rapports du capital. Cela ne signifie pas que nous nions le processus dialectique entre le capital et le travail. Ce qui a changé, ce n’est pas la notion de capital, mais une vision obsolète de la nature de la révolte. En opposition avec ce que nous affirmions alors – c’est-à-dire que le communisme est une autoproclamation qui n’a pas encore été démentie et par conséquent doit naître de l’anéantissement de l’organisation capitaliste de la classe ouvrière – nous affirmons dorénavant que le communisme doit être compris comme un produit « mécanique » plutôt que comme un phénomène issu des rapports capitalistes. Le communisme bloque et anéantit la dialectique capitaliste, il ne l’annule pas. C’était la seule façon pour nous d’éviter toute téléologie et métaphysique tout en maintenant dans le même temps notre utilisation de la critique de l’économie politique de Marx. Ainsi, nous insistons aujourd’hui sur le fait que le communisme doit être compris comme quelque chose créé artificiellement, à l’opposé de quelque chose issu de contradictions internes [2]. Pour le dire brièvement : le communisme survient malgré le capitalisme, et non à cause du capitalisme, mais ce « malgré », toutefois, signifie que la cause logique et matérielle du communisme est le capital lui-même [3].
Ce texte est à la fois une recherche et une lecture. Il est une recherche dans la mesure où il tente de définir le capital et le communisme, mais dans le même temps il est une lecture du sixième chapitre inédit du Capital – Résultats du procès de production immédiat – que nous considérons comme la clé pour comprendre la situation actuelle et le capital.
Ce texte est divisé en cinq parties différentes. Le fil rouge qui les relie est la relation entre théorie et praxis, autrement dit, les implications organisationnelles de la théorie communiste. Les deux premières parties définissent le capital et le travail, décrivent les relations entre ces deux entités, et donnent un bref aperçu des implications pratiques que cela entraîne pour les révolutionnaires d’aujourd’hui. La deuxième partie discute aussi de la nécessité pour le capital de conquérir le futur et de l’organiser comme temporalité. La troisième partie interroge la différence entre subsomption formelle et réelle. Dans cette partie nous verrons aussi la transformation du travail concret [4] qu’implique la généralisation de la subsomption réelle. La quatrième partie de ce texte est une discussion sur la réflexivité pratique et sur ce qui distingue cette méthode de la perspective léniniste et de celle de la Gauche communiste. Il y a aussi dans cette partie une définition catégorique du communisme, et une discussion sur les deux modes d’apparition de la communisation. La cinquième et dernière partie, pour conclure, est plus immédiatement organisationnelle et pratique, puisque qu’elle présente ce qu’est un parti de la théorie et une proposition pour de futures recherches à l’aide de la typologie de la communisation présentée dans la quatrième partie.
La tautologie du capital : travail et travail
Tant que la classe ouvrière se définit elle-même par rapport à ses acquis, ou même par rapport à un État théoriquement conquis, elle apparaît seulement comme « capital », une partie du capital (le capital variable), et ne quitte pas le plan du capital. (Gilles Deleuze & Félix Guattari, Mille plateaux)
Il est bien connu que le capital est du travail abstrait accumulé. Malgré la différence entre ces deux entités, elles sont parties d’un seul et même procès dialectique. Le rapport capitaliste – mouvement unifiant et dialectique du capital et du travail – fait du travail, du capital, mais les deux parties doivent être réunies par un autre élément – l’argent. D’autre part, l’argent tire sa force du rapport capitaliste, parce que la fonction de l’argent est d’unifier la circulation avec la production. Le procès de production est initié par l’argent (A) achetant une marchandise (M) : A – M, mais comme l’écrit Marx, ce procès de circulation :
« Est interrompu par P, où les marchandises T et Mp achetées sur le marché sont consommées comme partie constitutives, en substance et en valeur, du capital productif ; le produit de cette consommation est une marchandise nouvelle, M’, modifiée quant à la substance et quant à la valeur. Il faut que le procès de circulation interrompu, A – M, soit complété par M – A. Mais comme support de cette deuxième et dernière phase de la circulation apparaît M’, une marchandise différente de la première, M, tant au point de vue de la substance qu’à celui de la valeur ». [5]
La valorisation « se rapporte exclusivement à la transformation P, le procès de production, qui apparaît ainsi comme transformation réelle du capital, en comparaison de la transformation simplement formelle de la circulation » [6]. La garantie de la valorisation est le travail abstrait. Le travail abstrait est le travail échangeable, la force de travail, c’est-à-dire la marchandise que le capital doit acheter pour générer de la valeur. La force de travail doit être achetée pour devenir du capital. Est-ce que le travail acheté est par conséquent du capital ? Oui, mais même lorsque la force de travail est achetée, il existe une différence entre le capital et le travail, et elle est constituée par les deux abstractions qui s’incarnent en différents groupes sociaux : le prolétariat et la bourgeoisie. Le prolétariat est exploité par le capital, mais l’existence de cette classe est conditionnée par la médiation du capital. La classe ouvrière est conditionnée par la force de travail. Sans cela, elle n’existerait pas. Dans le même temps, la force de travail est conditionnée par le capital, comme le capital est conditionné par la force de travail. Ainsi nous voyons que la classe ouvrière est la classe qui rend le rapport capitaliste possible.
La classe ouvrière est une classe exploitée puisque exploitée par un capitaliste ou un bureaucrate (par exemple agissant pour le compte d’un État) qui achète une certaine quantité de temps au travailleur, la force de travail. L’ouvrier, toutefois, n’est pas payé pour tout le travail qu’il accomplit. Le travail non payé est le surtravail, et ce surtravail génère de la plus-value, une plus-value que le capitaliste (après avoir vendu les produits), peut convertir en profits, et donc en plus d’argent. Ce nouvel argent, toutefois, n’est pas en lui-même du capital ; il le devient uniquement lorsqu’il est investi dans une nouvelle force de travail, afin de produire de la nouvelle valeur. Ainsi, le capital repose sur du travail destiné à l’échange générant de la valeur d’échange, mais cette valeur d’échange doit à son tour rendre possible plus de valeur d’échange. Comme nous pouvons le voir, le capital est un rapport social, et non, par exemple une usine ou un rouet à filer. Plutôt, le capital est un rapport social organisant le travail d’une certaine façon, dans l’usine ou par le rouet, c’est-à-dire en faisant travailler les salariés dans l’usine ou par le mouvement du rouet. Le capital met en œuvre la force de travail et l’exploite pour la plus-value, par le moyen du surtravail. Cela prouve qu’il peut y avoir un capitalisme sans capitalistes (comme en URSS), mais que le capitalisme ne peut jamais exister sans un prolétariat exploité, c’est-à-dire une classe de salariés. Que cette classe, alors, travaille dans des usines, des hôpitaux ou des bureaux n’a aucune importance.
Nous voyons que le capital est un rapport social dont le principe moteur (et la cause) est la production de plus-value. L’essence du capital est ainsi la valeur mais, pour qu’existe cette essence, la production doit être structurée autour d’un certain schéma. Le rapport social capitaliste possède donc une existence matérielle. Cela peut sembler évident, mais il est important de souligner que l’on ne peut séparer la forme du capital (l’organisation réelle du travail) de son contenu (la production de plus-value rendant possible l’accroissement de plus-value). Le prolétariat et la bourgeoisie, donc, ne sont pas simplement des acteurs incarnant un certain contenu, mais plutôt l’existence de ces classes sont identiques de par le rapport social qui produit le capitalisme. Pour Hegel, et aussi pour Marx, il est fondamental que cette essence apparaisse comme son existence. C’est-à-dire que l’essence du capitalisme (travail abstrait, forme de la valeur, etc.) apparaisse comme normalité : travail, argent et ainsi de suite. Ainsi, il n’y a pas d’essence par-delà l’existence, nul fond derrière la forme, mais un seul et même phénomène. Cela signifie que les abstractions de Marx, telles que le travail, l’échange et la capital sont des abstractions concrètes et réelles. Elles sont perceptibles et déterminées par l’époque historique, le capitalisme, dans lesquelles elles existent :
« Le travail n’est point une “chose vague” ; c’est toujours un travail déterminé, ce n’est jamais le travail en général que l’on vend et que l’on achète. Ce n’est pas seulement le travail qui se définit qualitativement par l’objet, mais c’est encore l’objet qui est déterminé par la qualité spécifique du travail. » [7]
L’existence procède de l’essence, mais dans le même temps l’essence est sa propre existence. Le rapport social capitaliste n’est pas introduit dans la production, mais son essence est sa propre existence : ce sont les salariés travaillant et suant dans les usines, ou les salariés faisant tourner le rouet. Ainsi, le capitalisme est une société de classes, et l’existence des classes produit un antagonisme, dans le même moment où ces classes sont constituées par cet antagonisme. Classe contre classe, les travailleurs essayent d’échapper au travail et la bourgeoisie/l’État essaye d’imposer le surtravail au travailleur. Ces derniers profitent de leur aliénation, pendant que les premiers souffrent et sont obligés de travailler pour eux. Sur cette base, il est évident que la thèse avancée par le philosophe slovène Slavoj Žižek dans son livre « The Sublime Object of Ideology », à savoir que le capitalisme serait défini par ses symptômes, est fondamentalement fausse. Žižek affirme que le capitalisme est défini par les anomalies qu’il créé, par exemple la criminalité, la guerre et la famine. Cette théorie du symptôme, fondamentalement freudienne, développée par Jacques Lacan, est déjà fausse quand il s’agit d’expliquer le psychisme d’un individu isolé, elle est proche du ridicule quand on l’utilise pour expliciter un système social. Les extrêmes d’une société ne peuvent jamais l’expliquer. Bien au contraire : la normalité d’une société explique ses symptômes et ses extrêmes. La poursuite de la valeur et du profit, par exemple, produit les guerres, ce ne sont pas les guerres qui produisent la plus-value, même si la guerre peut aider et intensifier la production de plus-value. Bien mieux, peut-être, c’est la normalité de la société capitaliste, telle que la production de plus-value, qui donne à la guerre et à la criminalité leur mode d’existence capitaliste. Dans le capitalisme, ce sont les profits et la plus-value qui sont des facteurs déterminants pour la composition technologique de la guerre et de la criminalité. Les cartels de la drogue et autres groupes criminels, par exemple, sont obligés d’utiliser les banques pour blanchir l’argent, et les activités des fractions combattantes sont déterminées par des phénomènes capitalistes tels que la lutte de classe et les crises économiques.
La relation étroite, relation qui se développe en une identité, entre l’existence et le contenu nous fait surmonter une des faiblesses de Marx, qui est son « optimisme progressiste ». Cette tendance dans la pensée de Marx est rarement exprimée explicitement, mais, comme l’a noté Gilles Dauvé, dans d’autres œuvres de Marx, notamment politiques, elle constitue la logique sous-jacente. [8] Les spécificités de son époque, l’esprit des Lumières, et l’optimisme progressiste de Marx voient les forces productives comme un phénomène neutre dont le développement est entravé et contrôlé par la bourgeoise. Le prolétariat doit donc libérer les forces de production des entraves que lui impose le capitalisme : il s’ensuit logiquement que le socialisme devient le pouvoir des ouvriers plus l’électrification, et le communisme devient une utopie, une société d’abondance. Cette tendance qui existe chez Marx sera développée par Engels et le marxisme des IIème et IIIème Internationales, et, dans son expression la plus vulgaire, par la théorie de la décadence de Lénine. [9] Le marxisme productiviste n’est pas seulement commun à la social-démocratie et au léninisme, mais aussi à la gauche communiste. La perspective ultime est qu’il existe une contradiction entre le système de la production industrielle et le système de répartition bourgeois. D’où il s’ensuit que le communisme est une question de socialisation du système industriel de production et de développement d’un nouveau système de répartition. Communément, cette théorie a amené à désigner le capital financier comme l’ennemi principal du prolétariat, ce qui, à son tour, a généré une incompréhension des fonctions du capital industriel et du capital total. Dans le nazisme, le fascisme et le léninisme, nous pouvons voir à quoi ces théories ont mené en pratique, quand, au même moment, elles considéraient le capital industriel comme une force de développement, elles désignaient le capital financier comme un secteur parasitaire. Il est intéressant de souligner que ce sont les organisations « sociales-démocrates » et humanistes, telles qu’Attac, qui sont aujourd’hui les héritières de cette tendance historique qui a trouvé son expression la plus brutale dans le stalinisme, le fascisme et la nazisme. Ces théories identifient le communisme (ou le socialisme, en l’occurrence, comprenant le prétendu national-socialisme) au développement des forces productives en les séparant de leur contenu, et vice-versa. Le capital n’est pas analysé comme une totalité, comme un rapport existant d’une façon donnée, mais, plutôt, le mode d’existence des forces productives est considéré comme neutre, et l’inégalité capitaliste est simplement réduite à un problème de gestion et de répartition des forces productives. La seule chose qui doive être changée, pour ces socialismes de droite ou de gauche, ce sont donc les rapports de production. Les forces productives, toutefois, demeurent inchangées. Nous pouvons aujourd’hui constater à quoi ont abouti ces prétendues « sociétés de transition ». Le socialisme, c’est la socialisation, la démocratisation, la généralisation du travail salarié, et par conséquent, aussi, la souffrance humaine inutile.
Toutefois, plusieurs marxistes modernes ont insisté sur le fait qu’il existe une autre tendance chez Marx que celle soulignée précédemment, et que cet autre tendance peut nous permettre une véritable compréhension des forces productives. Cet autre – ou peut-être premier – Marx n’analyse pas les forces productives comme des entités neutres, mais insiste sur le fait que, tout comme les rapports de production et de répartition, elles possèdent des fonctions capitalistes et classistes. [10] Le fond n’est pas séparé de la forme, il est plutôt affirmé que le fond apparaît comme son existence. Le rapport social capitaliste est une combinaison spécifique de forces et de rapports de production, et c’est cette combinaison qui doit être modifiée.
Pour donner un exemple de la connexion entre l’essence et l’existence du capital chez Marx, nous utiliserons le classique Sixième chapitre inédit du Capital : résultats du procès de production immédiat. Dans une réflexion sur le caractère ambivalent de la marchandise, Marx écrit : « Considèrons tout d’abord la valeur d’usage. Pour définir la notion de marchandise, il importe peu, comme nous l’avons vu, de connaître son contenu particulier et sa destination exacte » [11]. Cela signifie que pour qu’une chose soit une marchandise, cette chose doit comporter une valeur d’échange. C’est pourquoi la forme de la valeur, la valeur d’échange, est première, et que dans la définition de la marchandise, la valeur d’usage est inapplicable. (En réalité, toutefois, la valeur d’usage joue son propre rôle puisque c’est elle que le consommateur recherche.) Pourtant, Marx note « qu’il ne saurait en être de même pour la valeur d’usage des marchandises qui opèrent au sein du procès de production. De par la nature même du procès de travail, les moyens de production se scindent d’abord en objets de travail et en moyens de travail, ou plus exactement, en matières premières d’une part, et en instruments, matières auxiliaires, etc. d’autre part. Ce sont là des spécifications formelles de la valeur d’usage qui découle de la nature même du procès de travail. C’est donc pour les moyens de production que la valeur d’usage est le plus étroitement déterminée » [12]. Les valeurs d’usage dans le procès de production ne sont donc pas triviales « en théorie ». Ces valeurs d’usage ont des fonctions immédiates dans l’organisation du travail. Ceci est non seulement vrai pour les moyens de surveillance, tel que la pointeuse, mais toute l’objectivité capitaliste, c’est-à-dire les moyens et forces de production, possède en elle-même une spécification de classe. Marx lui-même écrit : « La forme spécifique de la valeur d’usage devient alors essentielle pour le développement du rapport économique, de la catégorie économique » [13]. Ainsi, les valeurs d’usage des marchandises capitalistes ne sont pas des phénomènes neutres, mais des déterminations formelles des rapports de l’économie capitaliste. A ce propos, il ne faut pas oublier que, pour Marx, la force de travail est le fondement des rapports économiques capitalistes. Du passage précédent à propos des diverses fonctions des valeurs d’usage dans le procès de production on peut déduire que la détermination formelle des valeurs d’usage de la reproduction de la force de travail n’est pas neutre mais est une détermination de classe. Pour le travailleur individuel, l’argent ne représente « rien d’autre que les moyens de subsistance qui se trouvent sur le marché (ou y arrivent à divers intervalles) et sont destinées à la consommation individuelle de l’ouvrier. L’argent n’est qu’une métamorphose de ces moyens de subsistance : à peine l’a-t-il touché, que l’ouvrier le reconvertit en moyens de subsistance » [14]. La valeur d’usage des ces moyens de subsistance n’existe que sous forme capitaliste. Les théories autonomistes et situationnistes infèrant la lutte de classe des rapports marchands, se méprennent donc sur la dimension capitaliste de la valeur d’usage. Parce qu’ils identifient le communisme avec la libération des valeurs d’usage, cela leur interdit de voir, plutôt que la forme marchandise, la singularité du capital comme exploitation de la force de travail (c’est-à-dire la production de plus-value). De cela il s’ensuit que la révolution communiste doit aussi révolutionner les valeurs d’usage capitalistes. Ce changement, bien sûr, ne fera pas en sorte que les gens, dans le communisme, n’aient plus la nécessité de valeurs d’usage. La révolution est une mutation, un changement, pas un anéantissement. Si l’on prend comme exemple la nourriture, cela signifie que la nourriture consommée dans le communisme sera très certainement différente de ce qui est servi aujourd’hui. En fait, les nouvelles formes des rapports à la nourriture sont souvent développées durant les périodes révolutionnaires. On peut voir comment, durant les situations insurrectionnelles historiques les pauvres ont saccagé les restaurants de luxe pour y pratiquer des orgies qui ne prirent fin que lorsque l’insurrection eût été écrasée. Dans d’autres cas, les paysans ont combattu pour le droit de chasse, alors que dans d’autres situations de nouvelles attitudes alimentaires, comme le végétarisme et le jeûne, se sont développées.
En fait, Marx dit que l’on ne peut pas nier que la consommation de moyens de subsistance par les travailleurs doive « être incluse ou englobée dans le procès de travail, à l’instar de celle des matières instrumentales par les machines. L’ouvrier n’est plus considéré alors que comme un instrument acheté par le capital et ayant besoin, pour opérer dans le procès de production, de consommer et de s’adjoindre comme matières instrumentales une portion déterminée de moyens de subsistance » [15]. A partir de là, il est évidemment faux de considérer la valeur d’usage comme un élément « neutre » et la valeur d’échange comme la spécificité capitaliste dans la marchandise. La société de consommation a certainement produit une variété de nouveaux désirs et de goûts pour l’homme moderne (qui de nos jours ne se sentirait pas nu sans Internet ou un téléphone portable ?), mais cela uniquement parce que, en stimulant et produisant de nouveaux désirs chez le consommateur individuel, la reproduction de la force de travail est un marché avec des perspectives en expansion. Avec la subsomption réelle, la détermination formelle du procès de production par les valeurs d’usage, c’est-à-dire l’organisation matérielle du rapport économique devient, selon les termes de Marx, « spécifiquement capitaliste ». Cette organisation spécifique de la production et de la reproduction parachève ce que le réalisateur, écrivain et poète, Pier Pasolini, appelle une révolution anthropologique [16]. La révolution anthropologique met en conformité les besoins des gens avec les besoins du capitalisme, c’est-à-dire que tout ce que nous désirons, le capital tente de nous le procurer avec la valeur comme médiation. Quelques-uns des meilleurs penseurs de notre temps, par exemple Jacques Camatte et Antonio Negri, ont essayé de décrire cette capitalisation des besoins et désirs humains. D’après eux, l’homme lui-même est devenu un être capitaliste et par conséquent souhaite sa propre subsomption. [17] Toutefois, cela ne signifie pas que les gens désirent leur travail, mais qu’ils demandent l’argent et les moyens de subsistance, c’est-à-dire les valeurs d’usage, que le travail et le salaire peuvent leur fournir. [18] Mais puisque la valeur d’usage de ces moyens de subsistance est une détermination formelle du capitalisme, le désir en lui-même amène à ce que ce qui est désiré soit la propre subsomption de chacun. [19]
Dans la domination réelle il n’y a ni temps ni espace en dehors du capital. Cela implique que l’ouvrier non seulement incarne le travail mais aussi le capital, par exemple à travers son rôle de consommateur. Dans son livre Capital et Gemeinwesen, Jacques Camatte remarque que Marx nomme la subsomption réelle du travail par le capital Subsumtion et non Unterordnung. Unterordnung est le mot allemand pour domination, alors que bien sûr subsumieren signifie aussi cela, mais le sens du mot insiste sur l’inclusion de quelque chose. Il apparaît donc que quand Marx écrivait sur la subsomption réelle du travail par le capital, il voulait dire que le travail était réellement inclus dans le capital. Le capital s’incarne donc en l’ouvrier.
Ainsi Camatte écrivait ceci à propos de la domination réelle du travail :
« Il [le capital] peut seulement faire cela en s’appropriant la force de travail, et ici, comme en allemand, « se l’approprier » (sich aneignen) doit être pris au pied de la lettre, dans son sens le plus fort. Dans la période de domination formelle, le capital ne contrôle pas la force de travail pour la subsumer, et donc pour l’incorporer, elle demeure extérieure à lui, se rebelle contre lui dans la mesure où elle met en danger le développement du processus, puisque le capital en dépend complètement. Mais l’introduction de la machinerie change tout. Le capital intègre le cerveau humain, se l’approprie, avec le développement de la cybernétique : avec l’ordinateur, il créé son propre langage, sur lequel le langage humain doit lui-même se greffer, etc. A présent ce ne sont plus seulement les prolétaires – ceux qui produisent la plus-value – qui sont subsumés par le capital, mais tous les hommes, dont la majeure partie est prolétarisée. C’est la domination réelle de la société, une domination dans laquelle chaque homme devient esclave du capital (= esclavage généralisé, et donc convergence avec le mode production asiatique).
« Ainsi ce n’est plus alors seulement le travail, un moment particulier et bien défini de l’activité humaine, qui est subsumé et incorporé par le capital, mais le processus de toute la vie de l’homme. Le procès d’incarnation du capital (Einverleibung), qui a commencé en Occident il y a cinq siècles, est achevé. Le capital est dorénavant l’être commun, l’oppresseur de l’homme ». [20]
Avec cette transformation, l’individu est transformé en capital variable en-dehors et, en tout état de cause, avant la vie au travail, et, comme l’écrivait Pasolini, cela fait que l’ouvrier incarne le conflit de classe comme totalité. « L’ouvrier en lui-même est une contradiction » [21]. Avec la révolution anthropologique du capital, le travailleur individuel est incarné dans la dialectique capitaliste. Le travailleur individuel devient un microcosme capitaliste, une petite unité de production. De même, toujours plus de groupes de gens et de couches sociales sont prolétarisés, transformés en ouvriers. Toutefois, Pasolini réalise que c’est durant la domination réelle que l’on produit des efforts en vue de créer des extériorités, c’est-à-dire, des sphères et des relations qui abandonnent le capital. Par exemple, cela survient lorsque des gens en ont assez du travail et de ce qu’il est commun d’appeler la société de consommation [22] et attaquent le capital par le vol, le refus du travail, les émeutes et les grèves. La compréhension de Pasolini de l’individu en domination réelle comme incarnant à la fois le capital et le travail l’amène à développer une typologie des concepts de développement et de progrès.
Nous pouvons définir le développement comme les pratiques sociales dont participe la subjectivité et les actions constituantes de la classe ouvrière. Cette subjectivité et ces actions sont bien sûr contaminées et enveloppées par le capitalisme dans ce qui est généralement appelé le travail. Ceux qui souhaitent le développement sont les industriels et les ouvriers. « Bien sûr, c’est pour autant que ce qui veulent le développement dans ce sens sont ceux qui produisent, c’est-à-dire les industriels… D’un autre côté, les consommateurs de ces biens superflus sont tout à fait heureux d’un tel ‘développement’ » [23]. Mais dans le même moment, Pasolini dit que l’ouvrier, l’exploité, est divisé. Il veut aussi le progrès, c’est-à-dire un développement communiste. Le progrès doit donc être vu comme une pratique sans médiation et comme des rapports communistes. La dichotomie développement/progrès nous donne l’image de ce que l’ouvrier veut en tant que « consommateur » ou de ce que l’on appellerait force de travail, et dans le même temps que c’est en étant un consommateur et une force de travail qu’il fournit le matériel potentiel pour la production du progrès. Quand les gens mettent en cause le développement du capitalisme, cela doit amener à une attaque de la détermination formelle des valeurs d’usage et des rapports économiques, Ou alors cette remise en cause conduira seulement au développement du capitalisme. Ceci puisque le contenu du capitalisme (la production de valeur) est immanent au mode d’existence du capital (l’industrie, les centres commerciaux, etc.). Il était déjà évident pour Marx que le communisme devait être produit par la révolution de la vie et du travail en tant que tels sous le capitalisme :
« Dans toutes les révolutions antérieures, le mode d’activité restait inchangé et il s’agissait seulement d’une autre distribution de cette activité, d’une nouvelle répartition du travail entre d’autres personnes ; la révolution communiste par contre est dirigée contre le mode d’activité antérieur, elle supprime le travail et abolit la domination de toutes les classes en abolissant les classes elles-mêmes, parce qu’elle est effectuée par la classe qui n’est plus considérée comme une classe dans la société, qui n’est plus reconnue comme telle et qui est déjà l’expression de la dissolution de toutes les classes, de toutes les nationalités, etc., dans le cadre de la société actuelle » [24].
De cela il découle évidemment que le communisme ne peut pas être décrit comme la satisfaction des désirs qui existent aujourd’hui. Bien au contraire nous devons examiner comment les pratiques communistes sont produites lorsque les gens sont en demande de rapports, de relations et de choses qui n’existent pas encore. D’après Marx, de nouveaux désirs sont formés lorsque les gens font face à des bouleversements. C’est ce qu’il veut dire quand il affirme que « [Ce mode d’activité] est déjà l’expression de la dissolution de toutes les classes, de toutes les nationalités, etc., dans le cadre de la société actuelle ». Le communisme, la dissolution émergente, apparaît lorsque les gens désirent une autre existence.
La réflexion du fanatique de l’apocalypse qu’est Oswald Spengler sur la différence entre les communautés spirituelles et les entités cosmiques peut illustrer cette situation. Une communauté spirituelle est, par exemple, un parti ou une organisation à laquelle les gens choisissent d’adhérer, et cette communauté prétend seulement à « une nouvelle distribution de l’activité » (Marx). Une entité cosmique, au contraire, est l’expression d’une dissolution émergente. Ceci parce qu’à une entité cosmique vous « vous dévouez, et ceci de tout votre être. Cela peut être extatique comme à Eleusis ou Lourdes ou virilement courageux comme les Spartiates aux Thermopyles et les derniers Goths au Vésuve. Cela se forme à partir des chœurs, des marches et des danses, et est amplifié par les effets des couleurs vives et les bijoux, les costumes et les uniformes. » [25] Les entités cosmiques sont cosmiques dès lors qu’elles développent de nouveaux rapports à l’existence, au monde et à l’univers par le biais des masses qui veulent être absorbées dans cette entité. Les communautés spirituelles sont purement mathématiques. Elles peuvent rassembler des gens, s’étendre et croitre – mais elles restent toujours une somme, jamais une entité. Les entités, au contraire, apparaissent quand existe pour les masses la possibilité matérielle d’être animées et unies par de nouveaux rapports au monde (au cosmos). Le dilemme est que l’entité cosmique est facilement rompue, et retombe dans la normalité :
« Pendant les temps d’agitation politique, les mots peuvent devenir des destins et les opinions publiques des passions. Une masse réunie fortuitement dans la rue peut tout à coup réaliser une conscience, une émotion, un langage, jusqu’à ce que l’état d’esprit fortuit disparaisse et que chacun regagne son foyer. Cela arrivait tous les jours à Paris en 1789, aussitôt après qu’on ait affiché les appels sur les réverbères ». [26]
Nous pouvons voir ici un autre lien entre la dissolution émergente de Marx et les entités cosmiques de Spengler – toutes deux étant directement une critique destructive contre l’ordre actuel des choses. Les émotions contemporaines et les désirs d’aujourd’hui sont remis en cause par le fait que de nouvelles émotions, langages et désirs se développent au sein du langage actuel. Si l’on fait le lien entre cette irrationalité et le développement précédent sur la détermination formelle des valeurs d’usage du capital, on constate que l’essence du capital, qui est la valeur, peut seulement être attaquée lorsque l’objectivité capitaliste (comprenant les forces et rapports de production capitalistes) est attaquée. Ce que l’on peut remarquer par exemple dans le sabotage, tant à l’intérieur qu’en dehors de l’usine. Lorsque qu’une brique est lancée à travers une vitrine ou qu’un centre commercial est ravagé par le feu, non seulement les rapports à la valeur sont attaqués (comme lorsque des biens sont dérobés), mais aussi les valeurs d’usage qui déterminent le mode d’existence du capital. Toutefois, il faut insister sur le fait que le communisme ne peut être produit que par une pratique constructive et positive, par la production de nouveaux désirs. L’entité cosmique et la dissolution émergente, qui est la survenue de la révolution, doivent être répandues parmi les masses de façon à ce que l’unité de cette multitude consiste en la capacité particulière et individuelle de chaque être humain à agir de façon autonome. Parce que la destruction et « l’appel depuis les réverbères » ne changent pas par eux-mêmes le monde pour le meilleur. S’il est une chose que la pensée de Bakounine selon laquelle la destruction est une force créatrice a réalisée et rendu compréhensible, c’est le capitalisme. Le capital doit de façon continue nier le travail mort et la valeur passée pour produire de la nouvelle valeur. Toutefois, cela exclut la nécessité d’attaques dirigées contre le vieux monde. Au contraire, ce sont seulement la critique pratique et les efforts concrets pour nier l’état actuel de la société qui peuvent produire le communisme. Certes, Marx relève combien il est important pour le capitalisme de protéger l’objectivité du procès de production (sa détermination formelle). Cela apparaît à travers la rationalisation de la surveillance du capital constant.
« Cependant, pour ce qui touche la conservation de la valeur du capital constant, il y a quelque chose de plus : dans la limite du possible, il doit être consommé productivement et ne pas être gaspillé, sinon le produit fini pourrait contenir une portion de capital matérialisé supérieure à ce qui est socialement nécessaire. Or cela dépend en partie des ouvriers eux-mêmes : c’est ici que commencent donc le contrôle et la surveillance du capitaliste (qui atteint son but, en imposant le travail à la tâche et en opérant des retenues sur le salaire). En outre, le travail doit s’effectuer à un rythme régulier et approprié, les moyens de production se transformer en produits suivant un processus rationnel, et la valeur d’usage recherchée sortir effectivement du procès d eproduction sous une forme réussie. Le capitalisme affirme ici encore son contrôle et sa discipline.
Enfin le procès de production ne doit être ni perturbé ni interompu. A la fin du cycle, il doit aboutir effectivement au produit, dans les délais (laps de temps) dictés par la nature même du procès de travail et par ses conditions objectives. Ce résultat est assuré en partie par la continuité du travail (qui est une caractéristique de la production capitaliste), mais en partie aussi par des circonstances extérieures et incontrôlables » [27].
Donc, la désobéissance et le désordre au travail, le sabotage et la rupture de la continuité du travail sont des phénomènes qui rompent avec l’objectivité du capital et tendent à paralyser les rapports capitalistes. Dans le même moment où les pratiques subversives signifient de-objectivation, elles peuvent aussi signifier de-subjectivation. En effet, quand la reproduction de la force de travail est perturbée, quand elle désobéit et devient insoumise, sa convocation par le capital échoue. La force de travail est de la sorte à la fois le sujet et l’objet du capital. Marx qualifie le travail de « condition subjective » du travail [28] dans le procès de travail au moment même où il décrit comment le travail est nécessairement transformé en son « autre », un élément objectif. Le salarié est le sujet du capitalisme, puisque les valeurs d’usage qui sont les matières premières du procès de production sont transformées en marchandises par l’intervention du travail vivant.
« A présent, dans le procès de travail, elle (la valeur d’usage) est transformation en une valeur d’usage nouvelle (produit) des objets (valeurs d’usage) qui ont servi au travail vivant, en activité créatrice, de matière première et de moyens de travail » [29]
Mais quand l’ouvrier donne cette force subjective, actu, au capitaliste, il valorise et produit du travail mort, qui est du travail vivant passé. Ainsi l’ouvrier « entre dans le procès de production comme composante de la valeur d’usage, l’existence réelle du capital, son existence comme valeur. Et cela reste vrai même lorsque cette relation se noue seulement dans le procès de production… » [30]. Ainsi le travail mort est l’objectivité capitaliste que le travail vivant (la subjectivité du capital) valorise. Ce rapport est déjà réalisée lors de l’émergence du capitalisme. L’objet est le travail mort et le sujet le travail vivant, le travail échangeable. Ceci illustre sur quelle tautologie est bâti le capital : le rapport commence avec le travail et se termine avec lui. Ce rapport est tautologique de la même façon pour le capitaliste individuel puisque la relation commence avec l’argent A utilisé afin d’acheter une marchandise M qui est vendue, ce qui crée plus d’argent A’ : A – M – A’. Et la tautologie apparaît aussi pour l’ouvrier individuel puisque le rapport, pour lui, commence avec une marchandise M (la force de travail) qui est vendu pour de l’argent A par lequel l’ouvrier achète ses moyens de subsistance M (de nouvelles marchandises) : M – A – M. La force de travail passée est investie dans la force de travail (la subjectivité). La plus-value et donc les nouveaux produits peuvent seulement être produits par ce procès tautologique. Marx écrit :
« Cependant, le capital, pas plus que l’argent, n’est un objet. Dans l’un et l’autre, des rapports de productions sociaux déterminés entre individus apparaissent comme des rapports se nouant entre objets et individus. Autrement dit, des rapports sociaux déterminés semblent être des propriétés sociales naturelles des objets. Sans salariat, dès lors que les individus se font face comme des persones libres, pas de production de plus-value, et sans celle-ci, pas de production capitaliste, donc ni capital, ni capitaliste ! » [31]
Le caractère fétiche du capitalisme et l’aliénation de l’ouvrier sont donc dépendants de la division du travail et de la séparation des moyens de production d’avec l’ouvrier. Le caractère fétiche du capital, d’après Marx, est le pouvoir qui obscurcit le fait que la force de travail est le « sujet » du rapport capitaliste. Cet « écran de fumée », n’est pas le produit d’une fausse conscience, mais la nature réelle du caractère fétiche est dérivée du fait que les moyens de production « n’ont plus pour fonction que d’aspirer en eux la plus grande quantité possible de travail vivant » [32]. Ce « recouvrement » inverse réellement le sujet en objet, la machine met l’ouvrier à l’œuvre. Ainsi nous avons un mouvement de balancier continu entre la subjectivité et l’objectivité, et c’est ce mouvement pendulaire – cette dialectique – qui est le rapport capitaliste. Quand Marx écrivait que « cette force qui conserve la valeur tout en en créant une nouvelle, est donc la force même du capital, et son procès apparaît comme procès d’auto-valorisation du capital, et plus encore d’appauvrissement de l’ouvrier, qui est bien celui qui crée la valeur, mais valeur étrangère à lui-même. » [33], il veut dire que non seulement l’ouvrier est aliéné au produit qu’il produit, mais aussi qu’il se méprend sur la réalité. L’ouvrier ne prête plus attention au fait qu’il est celui qui génère la valeur et produit le rapport capitaliste. Toutefois, l’aliénation du capital ne peut pas être supprimée par la classe ouvrière en passant simplement au-delà du caractère fétiche du capital. Il n’est pas suffisant que l’ouvrier réalise qu’il est le sujet de l’histoire capitaliste. L’aliénation est une pratique matérielle et doit donc être remplacée par de nouvelles pratiques entre les « hommes ». C’est ainsi qu’aujourd’hui le travail vivant apparaît comme travail aliéné, bien que l’ouvrier sache qu’à long terme il est celui qui rend l’intégralité de la production capitaliste possible. La plupart des ouvriers se sont mépris sur l’idéologie dont Marx disait qu’elle concernait « l’homme ». Ils ont vu au travers du caractère fétiche du capital, mais malgré ça, ils n’ont pas substitué au capitalisme un nouvel ordre des choses. Selon les mots de Peter Sloterdijk, le sujet capitaliste est devenu un sujet cynique. Ce cynisme appelle une nouvelle forme d’idéologie critique. Il n’est plus suffisant de souligner que le roi est nu en disant : « c’est nous, la classe ouvrière, qui faisons tourner les rouets du capital. Nous sommes le pouvoir ! » Bien au contraire, nous devons attaquer les rapports qui rendant les gens cyniques et apathiques. Slavoj Žižek écrit, à propos de ce développement cynique du sujet : « Le sujet cynique est entièrement conscient de la distance entre le masque idéologique et la réalité sociale, mais il maintient néanmoins le masque. » [34] A partir de Marx, Žižek interprète la thèse à propos des ouvriers embarqués dans l’idéologie (ils ne savent pas ce qu’ils font, et pourtant ils le font) comme suit : avec le sujet cynique il faut dire : ils savent ce qu’ils font, et persistent pourtant. Ce cynisme généralisé n’est rien moins qu’un signe de la révolution anthropologique du capitalisme. Les ouvriers, non seulement incarnent le travail, mais aussi bien le rapport capitaliste. L’ouvrier peut très bien ne pas se sentir à l’aise au travail, mais il travaille néanmoins puisque c’est le monde du travail qui lui rend tout possible. « L’homme » moderne est prisonnier du marché ; toute communauté entre les « hommes » est déterminée par ce que Marx nomme la communauté de l’argent. Ceci, parce que l’existence et la communauté sont plus ou moins impossibles sans argent, c’est-à-dire sans travail. La subsomption réelle du travail fait du capitalisme une communauté humaine matérielle, puisque la communauté de l’argent occupe de plus en plus notre existence. Si cette communauté devait être détruite, cela signifierait la de-objectivation de la détermination formelle des rapports économiques, en même temps qu’une de-subjectivation de la qualité des « hommes » en tant que valeurs d’usage pour le capital, qui est une de-subjectivation de leurs fonctions comme sujet du procès capitaliste de production.
La de-subjectivation et la de-objectivation de ces rapports réaliseraient une révolution, mais cette révolution ne serait pas causé par une crise dans le capitalisme, puisque les crises ne font que développer le capital : de nouveaux marchés sont créés alors que d’autres disparaissent. Le communisme ne peut s’obtenir à partir des contradictions qui marquent le capitalisme ; au contraire, le communisme peut survenir malgré ces contradictions. Ceci parce que la possibilité pour le communisme de se constituer comme communauté peut seulement apparaître si la crise se développe en une crise pour le capital, à l’opposé d’une crise dans le capital. Parce que l’hostilité et la contradiction entre les classes est partie intégrante du capitalisme, il se trouve que le rapport capitaliste n’est rien d’autre que la contradiction en procès entre le capital et le travail. Comme l’ont montré Machiavel et Mario Tronti, chacun à sa façon et en son temps, la bourgeoisie a de tout temps été contrainte d’avoir partie liée à la pratique constituante des masses. Les crises créent de façon répétée des « entités cosmiques », mais ces entités ne peuvent jamais, par leur puissance propre, transcender le système dominant. Le capital total est revigoré par la lutte de classe du prolétariat, du moins si cette lutte de classe se limite à une question d’exploitation, au prix du la force de travail, etc., même si les capitaux individuels ne se multiplient pas, du fait des contestations incessantes de ces entités. Historiquement nous pouvons voir comment le capital total se développe au travers des conflits entre classes, États et entreprises. Ceci, malgré le fait que durant la relativement brève histoire du capitalisme, on a vu combien de capitaux ont été confrontés à leur perte, et même à leur disparition, lorsque des économies entières, dans différents pays, se sont effondrées à cause de dépressions, de la lutte de classes et/ou de la guerre. Dans la mesure où le capital est le mouvement entre le capital et le travail, il n’y a rien là d’insolite – LE CAPITAL EST EN LUI-MÊME UN ANTAGONISME. Nous obtenons ainsi, de façon abstraite, l’antagonisme entre le capital et le travail. C’est un procès sans sujet et sans but, c’est-à-dire un procès qui n’est pas téléologique, et ce procès peut seulement se transcender lui-même (dans le sens hégélien), mais jamais réaliser sa propre extinction.
La transcendance/abolition des anciens antagonismes établit les anciennes contradictions à un nouveau niveau et sous de nouvelles formes. Ainsi, le communisme ne peut pas croître mécaniquement de la dialectique entre le travail et le capital, comme l’affirment par exemple Negri et la tendance Johnson–Forest [35] (ils affirment ceci parce qu’ils ont une vision affirmative de la pratique constituante du sujet). Si le communisme s’obtient comme Aufhebung, c’est-à-dire comme résultat interne du mouvement entre le capital et le travail, alors, dans ce cas, le communisme survient à cause de la contradiction en procès qu’est le capital. Que ce communisme soit le résultat du capital lui-même ne signifie pas nécessairement qu’il soit un déterminisme, mais de facto une téléologie. Toutefois, nous affirmons que le principe causal et historique du communisme réside dans la contradiction avec et de l’échappement de la contradiction du rapport capitaliste. Pour que le rapport capitaliste soit bloqué, il est nécessaire qu’il y ait intervention qui mette fin à la dialectique capital-travail. Cette intervention est la lutte de la classe ouvrière contre elle-même, dont l’expression principale visent les médiations (par exemple l’existence d’une classe dominante) qui rendent possible l’existence du capital. Toutes les autres pratiques conduiront seulement au renforcement du développement tautologique du capital. Toutefois, nous voudrions dire que l’accent mis sur la nature anti-dialectique de la révolte ne rend pas la dialectique marxiste superflue. Négatif ! Au contraire, cela doit mener à l’intuition que le communisme doit être obtenu de l’anéantissement de l’objectivité et de la subjectivité capitalistes. Et cela doit survenir quand le sujet du capital – la classe ouvrière – abandonne la monstrueuse dialectique dans laquelle il est enferré.
De la même façon qu’il est impossible qu’une révolution communiste soit seulement le produit d’une crise, ni de contradictions capitalistes internes, elle se saurait être une production de la conscience. La classe ouvrière a déjà vu par-delà le caractère fétiche du capital, et le prolétaire individuel est largement conscient de sa position dans les rapports de production capitalistes. Toutefois, cette conscience ne supprime pas son aliénation. Toute conscience est aujourd’hui incluse dans la mega-machine capitaliste, et seule la raison capitaliste existe. Toutes les innovations et tout esprit d’entreprise sont inévitablement médiés par le travail et le capital. Le criminel est de bien des façons l’esprit d’entreprise conduit à son extrémité logique et la plus nihiliste. Le gangster est celui qui fera n’importe quoi pour de l’argent. De là, il est évident que l’irrationalité, par exemple les actes altruistes et gratuits ainsi que l’absence de dialogue (avec la classe capitaliste – ajout du traducteur) dans les mouvements contestataires et autour d’eux, peuvent souvent fonctionner comme un premier pas vers des actions subversives. Un mouvement qui demeure dans l’ordre moral existant et qui ne tente pas de faire un pas au-delà de la loi et l’ordre n’évoluera pas vers ce que Marx nommait « le parti de l’anarchie » [36] dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte. Toutefois, l’illégalité et la remise en cause des coutumes existantes ne peuvent par elles-mêmes se débarrasser du capital. Ce qui est important est que les désirs développés durant une lutte ne peuvent être réalisés dans le capitalisme. Quand les gens attaquent le capital sans mettre en avant des revendications nous pouvons voir exactement que de tels désirs sont allumés. Quand il n’y pas de dialogue ou de communication entre les classes la dialectique entre le capital et le travail commence à s’affaiblir. La seule communication intéressante d’un point de vue révolutionnaire est celle qui survient entre les gens qui essayent de rompre avec le vieux monde. Ce dialogue est le dialogue sur la tactique et la stratégie des communautés à venir en train de se former et la réalisation des nouvelles formes de désir. Si la révolution n’est stimulé ni par la conscience ni par la crise, c’est donc que la révolte doit conduire à une activité dans laquelle les gens s’échappent de et attaquent le rapport capitaliste par le développement de désirs et de rapports que le capital ne peut satisfaire. [37]
La pratique constituante du capital : temps et temporalité
« Le temps est désarticulé ! » (William Shakespeare, Hamlet)
« Le temps est tout, l’homme n’est rien : il est, au plus, la carcasse du temps » (Karl Marx, Misère de la philosophie)
Le capitalisme est le premier mode de production à être fondé sur la nécessite d’assujetir le futur. Les modes de production précédent, le féodalisme par exemple, étaient contraints de conserver le passé en organisant la conservation du présent. Au contraire, le capitalisme est constamment contraint d’organiser le futur. Le capitalisme est la production du temps à venir. Comment cette production et cette organisation se sont-elles imposées ? Et qu’est-ce que le temps dans son découpage temporel, dans sa forme capitaliste ?
Une des révolutions philosophiques d’Immanuel Kant, dans la Critique de la Raison pure, consiste à situer le sujet dans le temps. Le sum res cogitans de Descartes, « je suis une chose pensante » signifie, quelque peu simplifié, que quelque chose pense et par conséquent existe, mais le cogito de Descartes ne nous dit rien sur le « fondement » de cette existence, au-delà du pur fait de penser. Kant, de son côté, s’intéresse au fondement de cette existence et, pour lui, les déterminations ultimes de cette existence sont le temps (et l’espace). Notre raison et notre existence sont donc déterminées à l’intérieur du temps et de l’espace. Je pense n’est déterminable que dans la forme du temps. En conséquence, le temps n’est plus la mesure du mouvement, mais le mouvement existe en lui. Lorsqu’un être humain pense, cet homme pense dans le temps et donc succesion et changement sont dans le temps. Le temps est compris par Kant comme la possibilité du changement, puisque le changement se situe dans le temps. Le temps est éternel et linéaire, il va de l’avant, il est tension vers l’avant et toute chose est subsumé sous lui. Même la fin du monde ne serait pas la disparition du temps, puisque seulement les existences dans le temps sont temporaires.
La Critique de la Raison pure, publiée en 1781, préfigure en France la révolution bourgeoise de 1789, la philosophie de Kant fonde notre faculté de penser en présentant les facultés qui l’organisent. L’œuvre de Kant est, à quelque chose prés, contemporaine du moment où la révolte de la bougeoisie posa les fondations de la dialectique qui deviendra la philosophie du capitalisme. De nouvelles bases de la pensée et de la vie se mirent donc en place à la fin du dix-huitième siècle. Toutefois, aucune révolution n’est le produit de la veille. Des transformations radicales de la notion de temps étaient intervenues en Europe occidentale entre 1300 et 1650 (cf. Thompson, Customs in common : Studies in traditional popular culture, p.9). On peut penser que trois cents ans c’est long, mais il faut se souvenir qu’en comparaison avec les sociétés primitives, dont la notion de temps est déterminée pas le cycle des travaux et la succesion des saisons, trois cents ans c’est ridiculement court.
Dans les sociétés paysannes (même à l’époque moderne), la notion de temps est principalement déterminée par les travaux. Le temps est ressenti et organisé autour des tâches quotidiennes, cela signifie également que la séparation entre la vie et le travail est floue (cf. E.P. Thompson). La notion de temps commença à changer dans les milieux intellectuels, là où la vie n’était pas déterminée par le travail de la terre, là où au contraire existait une séparation entre la profession et la vie, travail et temps libre. Toutefois, l’horloge fut bien sûr la machine qui généralisa le temps comme temporalité. Déjà au quatorzième siècle les horloges des églises et les autres horloges publiques apparaissent dans les villes. Cependant jusqu’à ce que le balancier soit inventé en 1658, ces horloges n’étaient pas très précises. La sonnerie des cloches fut une autre façon de généraliser et démocratiser cette nouvelle notion de temps. La sonnerie des cloches avertit chacun – riche ou pauvre – du moment de se lever et de se coucher. En Angleterre un domaine était donné aux sonneurs de cloches, car leur fonction était considérée comme importante dans la création d’une appréhension rationnelle et systématique du temps qui découpe la journée et organise le travail [38]. En outre, le son des cloches renforçait l’emprise du christianisme sur l’humanité. Le temps (matérialisé par la sonnerie des cloches) rappelait aux hommes leur caractère mortel qui ne pouvait être dépassé que dans la croyance à la résurrection du Christ. Toutefois, la sonnerie des cloches fut ensuite remplacée par des signaux sonores et lumineux dans les régions industrielles et, avec le balancier, les horloges se répandirent de plus en plus durant les années 1660. La production d’horloges devint alors une vaste industrie, et autour de 1680, l’industrie horlogère anglaise l’emporta sur ses concurrentes pour au moins une centaine d’années [39].
Quand l’activité manufacturière anglaise était encore limitée à l’industrie domestique, ou à de petits ateliers, ni l’usage de l’horloge ni la nouvelle notion de temps ne provoquèrent une révolution de la production. Dans le cadre de cette activité industrielle, les gens pouvaient contrôler eux-mêmes le travail. En conséquence, des périodes d’inactivité étaient mélangées à des périodes d’activité intense [40]. Selon Thompson, il était en outre très fréquent parmi les ouvriers de dormir et de repousser le travail autant qu’il était possible. Dans un grand nombre de profession, comme les cordonniers, les tailleurs, les mineurs de charbon, les typographes, les tisserands, etc. il était largement répendu et accepté que non seulement le dimanche mais aussi le lundi, était un jour de repos. Le temps de travail irrégulier dans l’industrie manufacturière s’accompagnait également, durant les weekends, d’orgies qui vous laissaient assomés et d’autres festivités. En conséquence, le puritanisme victorien et le mouvement pour la tempérence avaient non seulement pour cible l’excès de boisson, mais aussi le repos du lundi. Ce jour offrait aux gens la possibilité de boire et festoyer largement. Même le temps de travail des ouvriers agricoles semble avoir été relativement irrégulier, puisque le temps et les saisons provoquaient de longues interruptions dans le travail au long de l’année. Les propriétaires terriens avaient également de grandes difficultés pour surveiller les ouvriers agricoles éparpillés dans les champs et les granges. Au dix-huitième siècle, les enclosures furent une façon de surveiller et contrôler les ouvriers agricoles. Comme on le sait, ce mouvement créa également une force de travail surnuméraire croissante qui rendit possible l’expansion de l’industrie manufacturière. Cela signifie que l’industrie manufacturière passa de l’atelier domestique à de vastes établissements où une organisation stricte du temps et de la division du travail transforma le temps de travail irrégulier du passé en travail effectif et rationalisé. A la place d’ouvriers allant et venant à leur guise et travaillant à leur volonté dans l’atelier, chacun avait sa place pour effectuer une tâche particulière.
Déjà en 1700, des horaires contrôlés par des surveillants existent dans certains ateliers autant pour combattre la paresse que pour planifier les mouvements de la force de travail. Celui qui était en retard recevait une amende. La nouvelle notion du temps fonctionnait donc comme une force disciplinaire et cela longtemps avant l’industrialisation de l’activité manufacturière. Les controleurs devaient donc arriver au travail les premiers, contrôler l’arrivée des ouvriers et répartir le travail. La première organisation du temps controlée par une horloge fut introduite dans une usine de poterie au dix-huitième siècle [41]. Les toutes premières formes de littérature manageriale apparaissent au dix-huitième siècle également. Par exemple, dans sa brochure, Amical Conseil aux pauvres, le révérend J. Clayton écrit que si l’ouvrier ne s’emploie pas au travail de façon continue et gâche sa santé par la paresse, il se condamne lui-même à ne pas avoir de salaire. Clayton se plaint même du fait que les églises soient pleines à déborder. Ils devraient être au travail ! Il faut que non seulement la paresse soit punie, mais encore que l’argent récompense le sens du devoir. Toutefois, la nouvelle notion du temps ne fut pas seulement imposée par une contrainte externe. Des inventions comme l’horloge et des phénomènes idéologiques comme le puritanisme ou d’autres formes de christianisme rigoureux agirent comme des instruments biopolitiques, ils créerent un sens du devoir et de la mesure parmi les croyants. La nouvelle notion du temps mit en mouvement des sujets qui avaient acquis une autre notion du temps, non seulement par la division du travail, le contrôle et le système des bonus (par exemple les bons ouvriers pouvaient obtenir leur propre horloge), mais aussi par les règles de l’éthique puritaine. Le puritanisme affirmait que le travail et la ponctualité étaient un signe du choix de Dieu. L’éthique protestante, poussée à terme dans le puritanisme, le Calvinisme et ses équivalents, combattait la contemplation catholique et, contre elle, insistait sur le fait que le plus important était l’activité pratique. L’activité consciencieuse et ponctuelle travaillait à la gloire de Dieu et était un signe de la prédestination dans la vie matérielle. Comme Weber l’expose, il était important de travailler, car cela montrait le choix de Dieu [42]. Inversement, ceux qui s’adonnaient à la boisson, aux fêtes et arrivaient toujours en retard au travail étaient prédestinés à l’enfer.
Nous pouvons comprendre maintenant que la notion de temps de Kant comme phénomène éternel et linéaire, le temps qui est l’organisation de toute chose comme un moment de la continuité temporelle, n’est pas une détermination valable pour toutes les époques.(Bien sûr, cela ne signifie pas que le temps apparaît avec Kant. Cela signifie seulement qu’une certaine vision du temps apparaît avec lui. De la même façon que Debord souligne que l’histoire n’a pas toujours existé dans sa forme historique. [43]) Nous pouvons suvre à la trace les origines de cette notion de temps avec les clochers des États et des églises dans les villes au quatorzième siècle. En organisant les sonneries de cloches, les protestants bénissaient le travail, ils bénissaient l’extension et la généralisation de l’horloge ainsi que l’accumulation primitive qui entrainait de force les gens dans le travail salarié. Ces phénomènes désignent la fabrication des fondements matériels et idéologiques qui consolidèrent le capitalisme comme mode de production.
Dans les sociétés primitives, les sociétés agricoles et parmi les travailleurs des champs, pendant le féodalisme (et plus tard), la conception cyclique du temps était prédominante. La conception cyclique du temps avec l’expérience humaine individuelle de la répétition constante de la vie et de la mort, trouve son origine dans la relation organique entre le paysan et la terre, le paysan et le monde. Durant ces périodes, le travail humain concret était donc une activité qui provenait et qui utilisait la terre. La terre, à travers le travail humain, était le fondement de la représentation de la richesse. L’accumulation primitive détruisit cette relation organique avec la terre. L’exploitation, contraire à l’usage, de la terre par le système des fabriques ne fut pas la cause première de cette destruction, mais le fait de faire de l’homme (comme force de travail) la source de la richesse. Le capitaliste tire énergie et valeur de la force de travail à peu près de la même façon que le fermier utilise les champs. Le Capital inverse la relation précédente : au lieu que ce soit la force de travail qui fait surgir la richesse de la matière, c’est la matière / machines qui tire la richesse de la force de travail. Le travail concret devient travail abstrait et la valeur du travail abstrait, la valeur de la force de travail, est déterminée par le temps de travail moyen nécessaire à la production de marchandises. C’est à travers le pouvoir de la valeur sur l’homme que l’activité humaine devient temporalisée et située dans le temps. C’est à travers la valeur que le temps existe dans sa temporalité rationnelle et mercantile : le temps comme argent, le temps comme mesure de la valeur du travail.
« La mesure du travail, c’est le temps. La valeur relative des produits est déterminée par le temps du travail qu’il a fallu employer pour les produire. Le prix est l’expression monétaire de la valeur relative d’un produit. Enfin, la valeur constituée d’un produit est tout simplement la valeur qui se constitue par le temps de travail y fixé. » [44]
Toutefois, le développement du capitalisme de la subsomption formelle à la subsomption réelle détermine une transformation dans l’organisation capitaliste du temps. Des boucles apparaissent dans la stricte ligne droite. Cette ligne du temps revenant sur elle-même est ce que Guy Debord appelle le temps pseudo-cyclique [45]. Mais dans la mesure où Debord ne réalise pas que le spectacle est la représentation qui surgit de la production de valeur et non pas du rapport social de la marchandise, il parvient à une conception limitée de la notion de temps spectaculaire. Pour lui la représentation du capital et le temps pseudo-cyclique sont seulement une transformation de la qualité en quantité.
« Le temps pseudo-cyclique est celui de la consommation de la survie économique moderne, la survie augmentée, où le vécu quotidien reste privé de décision et soumis, non plus à l’ordre naturel, mais à la pseudo-nature développée dans le travail aliéné ; et donc ce temps retrouve tout naturellement le vieux rythme cyclique qui réglait la survie des sociétés pré-industrielles. Le temps pseudo-cyclique à la fois prend appui sur les traces naturelles du temps cyclique, et en compose de nouvelles combinaisons homologues : le jour et la nuit, le travail et le repos hebdomadaire, le retour des périodes de vacances. » [46]
La description par Debord du retour du temps cyclique dans le capitalisme est correcte, mais il n’a pas tant à voir avec la privation de décision et le fait de rendre chaque chose ennuyeuse, mais plutôt avec la décision pratique prise par les gens qui constitue la reproduction du système : les besoins humains peuvent, de facto, être satisfaits par le capital, mais seulement, bien sûr, jusqu’à un certain point. Il n’y a pas que les situationnistes qui ne veulent plus travailler. La plupart d’entre nous le veulent également, mais en même temps ils veulent les valeurs d’usage au travers desquelles le capitalisme apparaît.
Avec la subsomption réelle, le temps devient plus diffus et plus difficile à quantifier, cependant il est quantifié et mesuré, ce que nous pouvons voir dans les procédures locales et globales de rationalisation de la vie au travail. Les usines se déplacent de Bengtsfors à Göteborg et de Goteborg à Shanghaï. L’organisation du travail est modifiée, les sociologues mesurent le temps et, en conséquence, des lignes d’assemblage sont installées ou déplacées. Mais la subsomption réelle produit des boucles sur la ligne du temps. Le capital devient monde, devient un organisme, et la valeur, qui est le temps de travail moyen, se répand et détermine encore plus nos vies, en dehors même de la production directe. Toute la machinerie technique et sociale qui a été conçue pour accélérer les activités humaines est la manifestation vivante de la manière dont notre monde est dominé par le temps. Tout est accéléré et même le temps hors de la production devient de l’argent. L’allure s’accélère au point où tout mouvement semble s’arrêter et tout changement paraît impossible. Monotonie et vitesse ne sont pas contradictoires. Les fours à micro-ondes, les fast food et les téléphones portables réalisent des transformations dans le temps, et la subsomption réelle réalise une transformation du temps. La subsomption formelle s’occupait de la production et l’espace en dehors de la production directe était un temps extérieur à l’organisation capitaliste du temps. Avec la subsomption réelle, cette relative autonomie en dehors du capital est détruite, toutefois, à l’intérieur de cette transformation, le temps éternel, cyclique et païen qui caractérisait les sociétés agricoles est réssuscité. Quand le capitalisme devient un organisme cela signifie que le temps redevient cyclique. Cyclique, puisque le capitalisme est fondé sur l’argent achetant la force de travail pour créer plus d’argent : A – M – A’. Si ce mouvement tautologique ne se confirme pas, le capital s’effondre ainsi que sa temporalité : l’organisation marchandisée du temps. La réalisation de la valeur se valorisant c’est un capital futur ou la monnaie, c’est à travers le procès A – M – A’ que le capital devient un mouvement récurrent, éternel et cyclique. Si quelque chose d’autre que les conditions de la production capitalistes revient de l’automouvement du capital, alors le mode de production capitaliste ne peut continuer à exister. Pour le capitalisme la reproduction est donc une production : production de la consommation, production de la reproduction, production d’une nouvelle production. Toute chose se réduit à la production pour la production.
En imposant des qualités abstraites aux hommes, le capitalisme montre qu’il devient organique. Tout est réduit à une question de temps, d’argent et de travail. Sous le capitalisme, les relations que les personnes entretiennent entre elles et avec le monde qui les entoure sont unifiées comme relations entre le monde environnant et des individus séparés adéquats au marché.
La communauté humaine devient la communauté monétaire. Le capital cherche à quantifier tous les phénomènes qu’il rencontre. Toutefois, cela ne signifie pas que toutes les valeurs substantielles sont réduites à des valeurs fonctionnelles, comme cela a été proclamé par différents théoriciens comme Heidegger, Baudrillard et Debord. La quantification ne signifie pas que toute qualité s’évanouit. Le capitalisme ne rend pas toute chose sans intérêt. La sexualité, comme n’importe quelle autre joie ou enthousiasme, demeure par exemple une pratique qualitative qui peut relier les persones. (Tout comme l’anxiété, la dépression et d’autres phénomènes en augmentation dans notre monde, sont des phénomènes qualitatifs.) En conséquence, le capital n’est pas la transformation de toute qualité en quantité, mais plutôt le capitalisme cherche à renforcer l’existence d’une différence fondamentale entre les deux. De cette façon, la qualité ce sont ces choses qui nécessitent la plus grande quantité d’argent, les marchandises les plus désirables sont également les plus chères. Le communisme ne place donc pas la qualité face à la quantité, mais probablement il sera la transformation de ces deux phénomènes au point que nous ne les reconnaitrons plus. Car, comme Camatte l’a décrit, quantité et qualité sont conjointement interne à la mesure de la valeur, c’est-à-dire la valeur.
« Quantité et qualité existent ensemble dans une étroite liaison avec la mesure, et tout est lié à la valeur. La mesure agit avec une force identique au niveau de la valeur d’usage et au niveau de la valeur d’échange. Dans le premier cas, cela est en relation étroite avec un type de domination : les valeurs d’usage mesurent la position sociale particulière d’une personne, et sont également une mesure de l’oppression qu’elle endure. Les valeurs d’usage imposent leur propre despotisme qui enveloppe l’autre despotisme (la valeur d’échange), et maintenant aussi celui du capital. Marx, dans ses notes sur J. S. Mill, critique l’utilitarisme en tant que philosophie dans laquelle l’homme ne vaut que selon son usage, tandis que l’échange tend à s’autonomiser lui-même. » [47]
En conséquence, la quantification effectuée par le capitalisme ne signifie pas que toute activité qualitative disparaît :
« Dans l’atelier automatique, le travail d’un ouvrier ne se distingue presque plus en rien du travail d’un autre ouvrier : les ouvriers ne peuvent plus se distinguer entre eux que par la quantité de temps qu’ils mettent à travailler. Néanmoins, cette différence quantitative devient, sous un certain point de vue, qualitative, en tant que le temps à donner au travail dépend, en partie, de causes purement matérielles, telles que la constitution physique, l’âge, le sexe ; en partie, de causes morales purement négatives, telles que la patience, l’impassibilité, l’assiduité. » [48]
Le procès de quantification est donc avant tout une illustration de la transformation réelle du travail concret en travail abstrait, toutefois cette transformation n’implique pas que toute qualité s’évanouisse – certains travailleurs sont, par exemple, plus compétents que d’autres. Ceci ne signifie pas que le travail abstrait ne possède pas une existence réelle, en effet l’abstraction devient réelle puisque le travail est comparable et échangeable au travers du temps de travail comme détermination de la valeur. C’est au travers du temps que l’ensemble de l’activité humaine constitue un système organique :
« Votre heure de travail vaut-elle la mienne ? C’est une question qui se débat par la concurrence.
« La concurrence, d’après un économiste américain, détermine combien de journées de travail simple sont contenues dans une journée de travail compliqué. Cette réduction de journées de travail compliqué à des journées de travail simple ne suppose-t-elle pas qu’on prend le travail simple lui-même pour mesure de la valeur ? La seule quantité de travail servant de mesure à la valeur sans égard à la qualité suppose à son tour que le travail simple est devenu le pivot de l’industrie. Elle suppose que les travaux se sont égalisés par la subordination de l’homme à la machine ou par la division extrême du travail ; que les hommes s’effacent devant le travail ; que le balancier de la pendule est devenu la mesure exacte de l’activité relative de deux ouvriers, comme il l’est de la célérité de deux locomotives. Alors, il ne faut pas dire qu’une heure d’un homme vaut une heure d’un autre homme, mais plutôt qu’un homme d’une heure vaut un autre homme d’une heure. » [49]
Le développement organique du capitalisme n’est pas une évolution, en effet c’est un mouvement continu mais qui s’effectue au travers de sauts et de petites révolutions. La valeur, en fait, ne domine pas toutes les parties de la société, même durant la subsomption réelle il existe des lieux et des espaces contre lesquels le capitalisme lutte pour les internaliser et les révolutionner. En dépit de cela, Marx qualifie son époque comme « l’époque de la corruption généralisée, de la vénalité universelle, ou, pour parler avec les mots de l’économie politique, l’époque où toute chose, morale ou physique, a acquis une valeur marchande, elle est apportée au marché pour que soit fixé sa valeur la plus exacte » [50]. Selon Marx, le capitalisme est l’époque où « tout ce que les hommes avaient considéré comme ne pouvant ête vendu devient un objet d’échange, de trafic et peut être aliéné. C’est l’époque où les choses mêmes qui jusque là avait été communiquées mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises mais jamais achetées – le courage, l’amour, les croyances, la connaissance, la conscience, etc. – où tout, en résumé, passe dans le commerce. » [51] Ce n’est pas complétement vrai, encore. Tout ne peut pas être acheté ou vendu sur le marché. Même pas à l’époque où la subsomption réelle est totale. Malgré cela, c’est quand le capital devient « spécifiquement capitaliste », c’est-à-dire avec la subsomption réelle du travail, que le capitalisme devient un organisme. Mais, même lorsque les temps sont venus où toute chose passe dans le commerce, il y aura toujours un extérieur dont le capital ne peut s’emparer. Car, tout comme l’organisme humain meurt sans oxygène, le capital est dépendant d’une variable externe : le travail vivant. Le travail vivant est l’oxygène du corps capitaliste. C’est la pratique qui doit être achetée et introduite dans le travail productif pour que le capital perpétue son existence – sans travail vivant, pas de valeur. C’est le travail vivant qui est le futur, le temps que le capitalisme doit recréer ; cela parce que l’homme personnifie le temps. Nous expliquerons plus loin que ce n’est pas le sujet qui est situé dans le temps, comme le soutient Kant, mais c’est à travers le sujet que le temps peut exister. Les hommes – sous la forme particulière du travail vivant – sont ce qui fait que le temps existe dans sa temporalité, sa forme mesurable. En conséquence, c’est un fait, au moins dans la théorie, que le travail vivant, à un moment donné, existe en dehors de la dialectique du capital. Ce moment se situe bien sûr au moment de la consommation des biens ou avant que l’individu vende sa force de travail. Toutefois le capital cherche constamment à limiter cet extérieur. En pratique, cet extérieur n’existe pas pour l’individu, si ce n’est sous des formes extrêmement limitées, puisque même les études et les loisirs deviennent de plus en plus des activités productives et utiles pour le capital. Comme nous le savons, les entreprises sont touchées par le chômage, par exemple par la baisse des salaires pour rendre l’emploi compétitif. En outre, notre existence est de plus en plus occupée par la valeur. Cependant, toute activité n’est pas encore médiatisée par la valeur. Ainsi, respirer est encore gratuit. Que le capitalisme soit en train d’essayer d’absorber sa propre limite, la force de travail vivante, montre que c’est en fait le capital qui est en train d’essayer de réaliser la vieille utopie communiste d’unifier l’essence et l’existence ; car l’essence (la production de plus-value) est de plus en plus déterminée par l’existence humaine et pas seulement de par une pratique humaine (le travail abstrait). Le travail salarié est généralisé à un tel degré que le capital non seulement devient identique au procès de production, mais à l’humain lui-même.
« Le capital (…) capitalise le prolétariat – c’est-à-dire qu’il crée en lui le comportement suivant : il se considère lui-même comme capital, donc il doit rapporter, le travail doit être une activité en vue du profit, et rien d’autre. Ce phénomène arrive simultanément à l’anthropomorphose du capital : le capital devient homme. Par là, sa domination devient non seulement naturelle (…) mais aussi humaine, et à travers cette dernière généralisation de son être, il semble disparaître. Quand cela arrive, le capital devient l’apologiste de ce qui était son principal ennemi – le travail qui produit la plus-value (et donc le profit). » [52]
Toutefois, cette coïncidence entre essence et apparence n’est pas seulement visible dans la transformation de l’ouvrier en capital, mais aussi dans les tentatives des ouvriers d’attaquer ce qui produit la situation d’ouvrier – avant tout l’existence d’une classe supérieure – en effet, grace à l’unification de l’essence et de l’apparence, des pratiques particulières acquièrent la capacité d’attaquer directement la valeur comme rapport social. Aujourd’hui, les activités anti-capitalistes ne peuvent être analysées comme étant seulement des événements purements empiriques, elles doivent être comprises en rapport avec les abstractions concrètes que le capital implique : la forme marchandise, le travail abstrait, la valeur, etc. Bien sûr, la lutte de la classe ouvrière a toujours été une négation et toujours été antagoniste aux abstractions capitalistes, mais avec le devenir du capitalisme en un organisme, la relation entre ce que l’on peut appeler concret et abstrait est renforcée. En effet, avec la subsomption réelle du travail, les pratiques particulières (singulières) ne reste jamais isolées ou « concrètes » puisque chaque action possède, dans son caractère unique, potentiellement la capacité d’attaquer les abstractions capitalistes en tant que telles. Cela parce que la subsomption réelle du travail signifie que l’ouvrier est inclus dans le capital et de cette façon devient capital, c’est ainsi que le capital devient un organisme.
Mais, qu’est-ce qu’un organisme réellement ? Un organisme consiste en des organes entrelacés dans un corps qui vit par l’activité des organes. Le capitalisme est un tel corps improductif et les prolétaires individuels sont des « organes » qui produisent la connection et le fonctionnement du corps. Le capitalisme travaille comme un homme dans le sommeil, en effet, dans le sommeil, l’homme est incapable d’agir. Dans le sommeil, il devient comme une plante ; il n’a pas de conscience, mais seulement une existence. Une existence qui est déterminée par certaines fonctions répétitives, respirer par exemple.
« Dans l’existence, il y a un destin. Quand on est réveillé, on trouves des causes et des effets, pour les premières les questions “quand ?” et “pourquoi ?”, et pour les autres, les questions “où ?” et “quand ?”, La plante a une existence inconsciente et, pendant le sommeil, toutes les espèces deviennent des plantes : la conscience du monde environnant est éteinte, mais la vie continue. Une plante n’a de relations qu’avec les questions “quand ?” et “pourquoi ?”. Les premiers bourgeons qui sortent de la terre d’hiver, la violence de la floraison, l’odeur, les couleurs et la maturation, tout ça est un désir d’accomplissement du destin et une réponse à la question “quand ?”. La réponse à la question “quand ?” ne peut avoir un sens pour une plante. Et c’est cette question que chaque humain se pose tous les jours et le poul de l’existence est toujours présent dans toutes les générations. Mais, l’état de veille recommence pour chaque microcosme. C’est la différence entre la reproduction et la naissance. La première affirme la durée et la deuxième le début. C’est pour ça que la plante se reproduit mais ne naît pas, elle existe mais elle n’est pas en veille, il n’y a pas de début à l’ouverture de ses sens. » [53]
En conséquence, pendant la subsomption formelle, le capitalisme est un phénomène en éveil qui est « né » grace aux actions « conscientes » des marchands, de la bourgeoisie et des prolétaires, ainsi que des conséquences matérielles auxquelles dès le début ces actions ont conduit. Cependant, durant la subsomption réelle, le capitalisme s’est assoupi et doit en conséquence reproduire constamment ses propres fondements. Comme un corps endormi qui doit constamment répéter sa respiration pour se réveiller demain, le capital total doit constamment engendrer de nouveaux marchés, des travailleurs salariés et des entreprises pour être en mesure de demeurer dans le sommeil. C’est seulement la conscience qui peut détruire les rapports sociaux capitalistes, cela signifie que les gens retirent le futur du capital (« människor drar undan framtiden från kapitalet » / « people withdraw the future from capital » : le privant de futur, il l’anihile, lui qui n’est qu’assignation sur le temps à venir, note du traducteur) et utilise la possibilité aléatoire qui existe à partir de la fondation, sur laquelle repose le capitalisme – le temps actuel dans sa forme de temporalité en tant que production de plus-value. La possibilité du communisme est donc purement abstraite dans le refus du prolétariat à être prolétariat. Si les ouvriers évitent de reproduire les rapports sociaux qui génèrent la plus-value, le capital total tombera comme un château de cartes.
La domination du travail par le capital : subsomption formelle et subsomption réelle
Le capital, comme mode de production, réalise sa domination réelle lorsqu’il réussit à remplacer toutes les présuppositions sociales et naturelles préexistantes par ses propres formes d’organisation qui médiatisent la soumission de toute la vie physique et sociale à son besoin de valorisation. « L’essence de la Gemeinschaft du capital est l’organisation ». (Gianni Collu, Transition).
Comme nous l’avons vu, le capitalisme est fondé sur un rapport contingent : la nécessité de conquérir le futur. Nous avons vu aussi que le besoin du capital de garantir ce rapport contingent devient encore plus aigu quand le capitalisme « s’engage » dans la domination réelle. Depuis que la valeur est répartie dans toute l’usine sociale, les antagonismes suivent. Mais qu’est-ce que la domination réelle ? Et qu’est-ce qui distingue la domination réelle de la domination formelle ?
La domination formelle signifie que le capital prend le contrôle des moyens de production et les transforme en moyens de production capitalistes. Le travail est mis de force dans la domination capitaliste (l’usine). Le travail devient le travail abstrait, et nous avons vu aussi comment cette marchandise rend possible le capital. (L’accumulation primitive se poursuit, malgré le fait que le monde entier soit emprisonné par la domination réelle). La domination formelle signifie la production de plus-value absolue par l’extension de la journée de travail. La domination réelle commence par la transformation technique du travail. Cette transformation fait passer la production de la production de plus-value absolue à la production de plus-value relative. Ainsi, la plus-value relative est une stratégie qui intensifie le travail durant la journée de travail. Au début, la domination réelle transforme seulement l’organisation de l’usine et les techniques pour exploiter la force de travail.
« La production de plus-value absolue n’affecte que la durée du travail, la production de plus-value relative en transforme entièrement les procédés techniques et les combinaisons sociales. Elle se développe donc avec le mode de production capitaliste proprement dit. » [54]
Historiquement, nous pouvons trouver la naissance du capitalisme, ou du moins de la bourgeoisie, dans les villes, surtout dans les villes de l’Italie de la Renaissance. Il est intéressant de noter que malgré le fait que la naissance de la bourgeoisie eut comme centre la ville, le capitalisme naquit dans l’industrie et la domination réelle non pas dans l’industrie mais dans l’usine dans son sens le plus restreint, comme le constata Marx. Le centre de la domination réelle, son essence, est en effet, tout comme celui de la domination formelle, le travail abstrait. La domination réelle se mit en place dans l’usine moderne et industrialisée. Pour le dire simplement, la domination réelle est l’introduction de technologies nouvelles et l’organisation « réelle » du travail dans l’usine. La domination réelle n’est cependant pas la disparition de la domination formelle, comme le montre, par exemple, l’extension de la journée de travail. Par conséquent, il est important de souligner que la domination réelle existe toujours, comme base. Cependant nous devons dire que le capitalisme oeuvre dans un sens hégélien puisque c’est un bon exemple d’Aufhebung capitaliste. Les anciens moyens de contrôle existent toujours, mais leurs limites sont surmontées et le travail est maintenant structuré d’une manière plus raffinée. La domination formelle devient réelle Marx décrit cet Aufhebung capitaliste :
« Si l’on considère à part chacune des formes de plus-value, absolue et relative, celle de la plus-value absolue précède toujours celle de la plus-value relative. Mais à ces deux formes de plus-value correspondent deux formes distinctes de soumission du travial au capital ou deux formes distinctes de production capitaliste, dont la première ouvre toujours la voie à la seconde, bien que cette dernière, qui est la plus développée des deux, puisse ensuite constituer à son tour la base pour l’introduction de la première dans de nouvelles branches de production. » [55]
En fait, la domination réelle s’approfondit par ses propres conséquences, car elle « transforme entièrement les procédés techniques et les combinaisons sociales ». Par la domination réelle dans les usines, le capital devient une révolution permanente.La domination réelle, cependant, se propage au delà de son terrain initial, l’usine, et transforme la société entière en une industrie. La société devient capitaliste, pas immédiatement mais à partir du besoin du capital de se dépasser lui-même. Le capital est lui-même sa limite, il a seulement besoin de renverser et de révolutionner sa propre production, par exemple par la réitération de sa propre histoire par de nouvelles formes de mouvements d’enclosures. L’accumulation primitive, par conséquent, est encore à l’œuvre, non seulement dans les dénommés « pays sous-développés » mais aussi par la privatisation des anciens secteurs publics dans les « pays industrialisés » [56]. Ainsi la domination réelle n’est pas la disparition des phénomènes d’origine, elle les parcourt, les détermine. Une accumulation primitive est toujours à l’œuvre, mais elle est incluse dans la domination réelle. Bien que la domination réelle fût déjà engagée à l’époque de Marx, elle était encore limitée à l’usine.
Historiquement, nous pouvons constater que dans certains pays – comme en Russie [57] – le mouvement ouvrier, l’organisation de la classe ouvrière en tant que pouvoir ouvrier, fit passer la domination formelle dans sa phase réelle. La révolution russe se transforma d’une révolte prolétarienne en une révolte capitaliste. Dans d’autres pays, nous pouvons voir comment la vague de luttes de classe de 1917 à 1936, le fascisme, le développement du keynésianisme et la victoire de la démocratie sur le fascisme créèrent les bases matérielles pour que la domination réelle sorte de l’usine et transforme toute la société en une usine. Depuis qu’elle réorganise le monde en une usine diffuse, la domination réelle oeuvre géopolitiquement. Certaines régions peuvent être fournisseuses de matières premières et d’autres pays de force de travail hautement qualifiée. Cette évolution a été décrite, par exemple, par Immanuel Wallerstein dans sa théorie du Système monde [58] Mais comme Antonio Negri et Michael Hardt l’ont bien montré dans leur Empire, cette géopolitique s’effondre aujourd’hui. Les limites entre les « premier », « second » et « tiers » mondes sont de plus en plus diffuses. Aujourd’hui nous trouvons des technologies hyper-modernes dans les dénommés pays « sous-développés » et au sein des « pays développés » le « tiers-monde » apparaît dans des campagnes désertées et des banlieues pauvres.
Le capital détruit les anciens obstacles, mais seulement en en produisant de nouveaux. Il détruit du travail mort en créant de nouvelles marchandises. Des marchés sont détruits seulement pour en créer d’autres et des frontières sont rayées de la carte seulement pour en tracer d’autres. Le capital est ainsi à la fois une révolution permanente et une contre-révolution permanente, il déterritorialise l’espace seulement pour le reterritorialiser. Ce développement agité et convulsif du capital subsume toute existence humaine sous lui. La séparation entre reproduction et production est anéantie, malgré le fait qu’elles soient maintenues distinctes pour le capitaliste et l’ouvrier individuels. Pendant la domination réelle, ce n’est pas le travail individuel mais le travail socialisé qui règle le développement des entreprises. C’est, par exemple, ce qu’indique le développement de la technologie et les besoins croissant de force de travail éduquée et qualifiée dans les entreprises/l’État :
« Tout ce développement de la force productive du travail socialisé, de même que l’application au procès de production immédiat de la science, ce produit général du développement social, s’opposent au travail plus ou moins isolé ou dispersé de l’individu particulier, et ce, d’autant que tout se présente directement comme force productive du capital, et non comme force productive du travail, que ce soit celle du travailleur isolé, des travailleurs associés dans le procès de production, ou même d’une force de travail qui s’identifierait au capital. Cette mystification, propre au rapport capitaliste en général, va se développer désormais beaucoup plus que ce ne pouvait être le cas dans la simple soumision formelle du travail au capital (souligné par l’auteur du texte) ». [59]
Ainsi la domination réelle développe le travail social, qui est le travail total, par une reproduction du travail toujours plus déterminée par le capitalisme. La science, et la pensée en soi, sont embarquées dans ce processus. Ce processus illustre que la domination réelle n’est pas seulement la réorganisation de l’usine, mais aussi celle des écoles, des universités,du mouvement ouvrier et même de « l’homme lui-même ». Voici comment la domination réelle créa au milieu du XX°s. ce que nous avons appelé ci-dessus une révolution anthropologique : « Cette mystification, propre au rapport capitaliste en général, va se développer désormais beaucoup plus que ce ne pouvait être le cas dans la simple soumision formelle du travail au capital ». La mystification ne concerne pas seulement le lieu de travail mais la société en soi. La domination réelle fait sauter les limites de la domination formelle. La société du Welfare, la consommation de masse, la société de l’automobile, tout le développement de l’« après-guerre » est lié au dégagement de la domination réelle des limites de l’usine. L’ensemble des manifestations politiques de notre époque – comme le monétarisme, la globalisation, les privatisations – est simplement la conséquence immédiate même de l’intensification et du développement de la domination réelle. Le monde devient de plus en plus capitaliste.
Il est donc évident que la dialectique entre travail et capital s’approfondit, ou plutôt s’établit, pendant la domination réelle. Au sein de l’usine, il y a bien sûr toujours existé un moment dialetique entre le travail et le capital, mais, durant la domination formelle et lorsque la domination réelle était limitée à l’usine, le mouvement ouvrier disposait d’un espace autonome. De ce fait, le mouvement ouvrier pouvait se constituer lui-même, à partir du capital, comme une force révolutionnaire autonome – en Partis, syndicats et soviets. De toute évidence cet espace était mal utilisé depuis que la classe ouvrière avait perdu l’initiative, mais quoi qu’il ait pu arriver, l’histoire montre que le prolétariat est devenu une catégorie a priori capitaliste et le capital un monde, une société. Voilà pourquoi aujourd’hui, nous observons des conflits dans toute l’usine sociale. Depuis que la domination réelle fait sauter les limites de l’usine, la possibilité de l’autonomie ouvrière disparaît. Si l’espace pour l’autonomie existait encore, toutes les luttes que nous observons aujourd’hui ne se dérouleraient certainement pas dans l’usine sociale. C’est justement du fait de l’inexistence de l’autonomie que le prolétariat peut se révolter contre la domination réelle. La domination réelle, en effet, concerne le fait que : « non seulement dans les idées, mais encore dans la réalité, le caractère social (socialité) du travail se dresse en face de l’ouvrier comme un élément étranger et, qui plus est, hostile et antagonique, lorsqu’il est objectivé et personnifié dans le capital ». [60]
Cependant, ce que Marx décrit comme la socialité dans le travail est, en domination réelle, identique au travail. Cela, parce que la subsomption réelle du travail signifie que le capital agit ainsi :
« En se développant, les forces de production de la société, ou forces productives du travail se socialisent et deviennent directement sociales (collectives), grâce à la coopération, la division du travail au sein de l’atelier, l’emploi du machinisme et, en général, les transformations que subit le procès de production grâce à l’emploi conscient des sciences naturelles, de la mécanique, de la chimie, etc. appliquées à des fins technologiques déterminées, et grâce à tout ce qui se rattache au travail effectué à une grande échelle etc. (Seul ce travail socialisé est en mesure d’appliquer les produits généraux du développement humain – par exemple les mathématique – au procès de production immédiat, le développement de ces sciences étant à son tour déterminé par le niveau atteint par le procès de production matériel.) » [61]
Parce que, par exemple, en domination réelle, la science et les autres secteurs externes au procès de production immédiat jouent un rôle croissant pour le capital, la distinction entre travail improductif et travail productif devient vaine. Malgré la possibilité de différencier travail improductif et travail productif, cette différence n’a plus aucune importance politique. Cela depuis que le travail improductif et le travail productif sont tous deux des éléments du travail total, c’est-à-dire du travail socialisé. Marx affirme que le travail social se retourne contre le travailleur comme un pouvoir hostile et capitaliste ; comprenons alors que non seulement le travail abstrait doit être attaqué mais encore le travail concret ! En effet, le travail socialisé n’est pas seulement du travail abstrait mais aussi du travail concret. La domination réelle, ainsi, organise de manière toujours plus capitaliste le travail productif comme le travail concret. Par conséquent, le communisme doit être la destruction du travail, et cela non pas pour des raisons de principe ou utopiques, mais parce que c’est le travail social, et non le travail abstrait, que les travailleurs affrontent comme un pouvoir étranger auquel il est nécessaire de résister. Dans la pratique, c’est le travail en soi (et pas seulement le travail salarié) que les gens attaquent lorsque par différents moyens ils se soustraient au travail ou sabotent l’organisation du travail.
Nous avons vu comment la domination réelle signifie que la valeur traverse toute la société. Les implications organisationnelles de cette situation sont nombreuses, à la fois pour la classe et les révolutionnaires individuels. A la fin du XIX°s. et au début du XX°s., le mouvement ouvrier était une menace pour le développement du capitalisme industriel, et même une menace révolutionnaire dans certaines parties du monde. L’organisation de la classe ouvrière en syndicats était, entre autres, une réaction à la production de plus-value absolue. La revendication était d’avoir une journée de travail plus courte et l’utopie que la classe ouvrière prenne le contrôle de la production. Nous savons ce à quoi ont participé les luttes ouvrières – la transition de la domination formelle à la domination réelle du travail. Le mouvement ouvrier combattit pour la destruction, ou du moins pour la réforme d’un des fondements du capitalisme – la production de plus-value absolue – et le capital réagit en s’engageant dans la production de plus-value relative et en offrant un espace à la classe ouvrière, en tant que capital variable, au sein du capitalisme. De cette manière le rapport entre travail et capital fut approfondi, le capital variable fut reconnu par l’intégration du mouvement ouvrier à l’État. Ainsi, le mouvement ouvrier, obstacle encore pour la course au profit du capital, fut intégré à l’État, directement lié à lui et à la croissance économique. Par conséquent, les syndicats sont encore un « obstacle » pour les capitaux individuels, mais sont nécessaires pendant la phase historique de la domination réelle. Cela illustre la reterritorialisation de la domination réelle. Malgré le fait que le capital soit une révolution permanente, il a besoin d’utiliser des instruments stabilisants et des appareils de médiation. L’intégration du mouvement ouvrier à l’État signifie aussi que la lutte de classe devint, pendant les années 1960 et 1970, antisyndicale et anti-institutionnelle dans une grande mesure. Ces nouvelles pratiques des fractions révoltées de la classe ouvrière forcèrent le capital, une fois encore, à révolutionner sa politique et ses appareils de médiation. La globalisation et le monétarisme sont deux conséquences de la révolte de la classe ouvrière dans cette période.
Comme nous l’avons vu, lors de la transition de la domination formelle à la domination réelle, et de la première domination réelle à la domination réelle intensifiée, l’aire de l’autonomie révolutionnaire qui en fut l’expression, par exemple le Bolchevisme et le Syndicalisme, fut anéantie. L’incapacité de la classe ouvrière, pendant la période de la domination formelle, à se nier elle-même en tant que classe amena à un changement de la composition de classe et de la composition organique du capital. Elle donna naissance à divers appareils de médiation. L’organisation de la classe ouvrière comme capital variable, y compris la lutte de classe elle-même, fut, par le biais des syndicats, liée à la croissance économique. Durant « l’ère de l’après-guerre », dans certains secteurs de l’industrie, il était obligatoire d’être syndiqué. Ainsi, pendant cette période, le syndicat devint un élément de base pour le capital. Cela ne se mit pas en place tout seul. Il fallut des luttes et du sang versé. L’organisation réelle du travail, par conséquent, ne signifie pas que l’organisation formelle est impossible, mais qu’elle est partie prenante du capitalisme. Lorsque les révolutionnaires sont organisés formellement, cela aboutit soit à en organiser seulement un petit nombre, soit à une incorporation dans les relations sociales du capitalisme. La transition de la domination formelle à la domination réelle ne démantèle pas l’organisation formelle, mais signifie que la séparation entre classe et révolutionnaires est rendue obsolète. Nous pouvons lutter partout contre le capital depuis que la seule pratique qui puisse être organisée est la notre propre et depuis que le travail social est l’ennemi, un ennemi présent partout. Dans une perspective organisationnelle, la transition à la domination réelle signifie, selon Johan Forsberg, que :
« Toutes les organisations établies avec une caractéristique de synthèse (unité idéologique) signifient inévitablement une séparation aliénante entre objet et conscience. Elles reproduisent ainsi l’essence de la forme capitaliste de l’État (la médiation de la lutte de classe en tant qu’aggrégation des intérêts du capital total contre le travail total). Pratiquement, cela signifie la séparation entre la décision et l’exécution (quel que soit le degré de démocratie) et qu’elles deviennent des médiations appartenant à la sphère politique représentative. Les membres de ces organisations de gauche croient que la lutte de classe se joue sur la scène politique seulement parce qu’elle semble politique du fait qu’elle dissout l’ordre ancien. En imitant la forme de la lutte de classe (et non son essence – une rupture avec l’accumulation de valeur) cela devient une représentation, et en soi un fétiche, déterminée par le rapport de valeur. Elles organisent un pseudo parti substitutionniste, au mieux dans une forme parti réifiée. »
Le masque de Janus de la communisation : communisme de guerre et architecture [62]
« L’expression du passé est toujours une déclaration sybilline. Vous ne la comprendrez que si vous construisez le futur en tant que gens qui connaissent le présent. On explique aujourd’hui l’étendue et la profondeur de l’influence de Delphes par le fait particulier que ses prêtres avaient une connaissance précise du passé. Il est temps de comprendre que seul l’homme qui construit le futur à le droit de juger le passé. » (Nietzsche, Sur l’usage et l’abus de l’Histoire, et de la Vie)
« Le communisme n’est pas la gestion ouvrière de ce mode de production, la prise en charge consciente de ses contradictions, soutenant le développement des forces productives alors que le capitalisme ne peut plus le faire. N’ayant aucune présupposition à reproduire, le communisme n’est pas un mode de production, pas même une société dans le sens d’une totalité dépassant les relations que les individus définissent entre eux dans leur singularité. » (Théorie Communiste)
Selon la tradition du Communisme de Conseil, les pratiques révolutionnaires se limitent à la discussion et à la diffusion. [63] Les révolutionnaires sont censés réfléchir la situation elle-même. Afin que la pratique ne débouche pas sur une politique représentative aliénante, elle doit s’exercer par et au travers de ce que le vocabulaire de gauche appelle la classe ouvrière. Les révolutionnaires, par conséquent, n’ont qu’à chercher à participer au débat sur la position et la situation de la classe ouvrière. En raison de l’accent mis par les léninistes sur le besoin d’activité révolutionnaire des révolutionnaires, de multiples façons, le communisme de conseils n’est que l’image inversée du léninisme. Gilles Dauvé résume la théorie communiste de conseils en une phrase « les travailleurs eux-mêmes », et le léninisme en un concept « le Parti ». [64]
Les gauches communistes hollandaise et allemande, ont eu le mérite, hormis le fait d’avoir décrit les luttes autonomes de la classe ouvrière, d’insister sur la réflexion et la compréhension, comme parties prenantes de la pratique communiste. Mais les communistes de conseil ne formalisent qu’un moment dialectique de la pratique communiste. L’autre moment – l’intervention, la transformation – fait défaut. Pour le communisme de conseil il n’y a pas de jeu dialectique entre la compréhension et la transformation. On retrouve dans le léninisme la même erreur. Pour le léninisme il n’y a rien d’autre que sa propre intervention. Les léninistes confondent le mouvement communiste réel avec leur propre pratique. Les léninistes séparent le Sujet de l’Objet. Leur intervention vise un objet auquel ils n’appartiennent pas. La réflexivité pratique signifie, contrairement à la séparation léniniste du sujet et de l’objet, qu’intervention et réflexion se situent au sein de l’objet auquel le sujet réfléchissant et agissant appartient. Penser et créer, les deux phénomènes font partie du même procès – réflexion pratique – sans être identiques. Le léniniste refoule ses désirs et ses besoins, il oriente son intervention vers un monde auquel il n’appartient pas, et par conséquent son activité échoue. Le communiste de conseil pense que la contemplation de l’objet dont il fait partie équivaut à sa transformation. Le léniniste est politique, le communiste de conseil apolitique.
La réflexivité pratique, ainsi que Marx le formule dans ses thèses sur Feuerbach, est l’interaction entre la compréhension (conscience) et la transformation. Cela ne veut pas dire que les deux moments sont unis. Penser et créer, la contemplation et le dépassement, conservent leurs caractéristiques individuelles. Une réflexivité pratique, par conséquent doit être une réelle pratique et réflexion sur cette pratique. La philosophie pour se réaliser doit devenir pratique. La pratique de la philosophie n’est pas la pratique politique d’une théorie politique, mais plutôt la pratique poétique d’une théorie poétique… Ainsi la réflexivité pratique s’exprime en poétiques théorique, un processus qui est critique et constituant à la fois.
La tradition communiste de conseil est ainsi coincée dans une impasse, par le fait que sa théorie du prolétariat semble signifier : regarder mais sans toucher. Dans des groupes tels qu’Aufheben, l’héritage communiste de conseil, conduit à combiner des notions non dialectique de pratique et de théorie avec une sorte d’hyper-Hégélianisme. Aufheben rejette, par exemple, l’enquête militante et ne saisit pas cette pratique comme étant une expression de la réflexivité pratique. [65] C’est ici que le caractère non dialectique de leur perspective est manifeste. Leur hyper-hégélianisme s’affiche quand le groupe reconnaît qu’il suffit de constater qu’il y a mouvement entre le capital et le travail, un mouvement qui fonctionne par lui-même, qui doit se dépasser lui-même sans aucune intervention extérieure. Ce n’est rien d’autre que de la téléologie.
Dans Kämpa tillsammans ! [66] nous avons essayé de développer une réflexivité pratique, et pour cette raison, nous étions constamment ouverts à la théorie, en premier lieu en tant qu’outil pour l’action pratique. Le groupe allemand Kolinko, par exemple, qui a mené des enquêtes dans les centres d’appels de toute l’Europe, affirme que l’enquête est le commencement et la fin de toute compréhension de la composition de classe aujourd’hui, mais ils sont en même temps opposés à tout interventionnisme révolutionnaire, étant donné disent-ils, que cette intervention est « extérieure ». [67] Au travers des discussions au sein du groupe Kämpa tillsammans !, nous avons cependant réalisé, à la différence de Kolinko, que c’est seulement parce que nous étions à la fois révolutionnaires et ouvriers que nous pouvions produire du changement. Nous avons affirmé cette différence. Nous avons ainsi réalisé que notre potentiel de transformation réside en nous, en tant que force de travail, étant donné que c’est cette marchandise qui produit la tautologie du capital ; par là nous avons compris que c’est seulement en tant que révolutionnaires que nous pouvions abandonner nos rôles de prolétaires, de force de travail. [68] Notre problème reste que nous étions toujours englués dans le capital. Ce que nous voulions c’était « sortir » du capitalisme. Cette compréhension a produit une distance d’avec nos propres vies. En lieu et place d’une quelconque sociologie spontanéiste, nous avons systématisé la connaissance qu’en tant qu’ouvriers nous avions atteint purement « spontanément ». Nous étions, et sommes, révolutionnaires, et c’est en tant que révolutionnaires que nous avons enquêté dans nos vies quotidienne, mais le pouvoir de changer cette vie quotidienne surgissait alors de nos rôles en tant que force de travail. Cet élément révolutionnaire fut le pouvoir, le phénomène, et la distance qui nous permit d’éviter les impasses du léninisme et du communisme de conseil.
Ce que nous partageons avec les gauches communiste allemande et hollandaise, c’est l’insistance sur les pratiques autonomes de la classe ouvrière, et ce que nous retenons de Lénine c’est l’accent mis sur l’importance de ses propres actions. Ainsi, la réflexivité pratique nous fournit l’opportunité de développer une sorte de « Bolchévisme sans parti », une pratique immédiate orientée par le désir, qui évite les appareils de médiation avec lesquels le capital désarme la lutte de classes. Toutefois, il est important de relever la vérité triviale contenue dans l’affirmation par Lénine et Kautsky que les ouvriers parviennent seulement à atteindre la conscience syndicaliste, étant donné qu’un travailleur n’est rien d’autre que du capital variable. Aussi longtemps que l’ouvrier lutte en tant que travailleur, le capital évoluera. C’est seulement quand cette disposition est mise en question qu’une rupture révolutionnaire est possible, et cette rupture est le produit de la classe ouvrière produisant une distance d’avec ce qui la fait exister en tant que classe… Une intervention repose sur une différence, une forme de distance. Cette distance se produit quand la classe ouvrière essaie de s’organiser de façon autonome vis-à-vis de la classe dirigeante, et quand cette autonomie est atteinte, cela signifie, en même temps, que la classe ouvrière attaque la médiation qui est la présupposition de son existence en tant que classe. Quand les travailleurs remettent en question leur existence en pratique, quand ils ne se contentent pas de sentir leurs vies dans le capitalisme comme quelque chose contre quoi ils aimeraient se révolter, mais de facto, comme quelque chose contre lequel ils ont la capacité de se soulever, alors une distance se produit entre le travail et le capital. L’organisation qui rompt avec la dialectique travail–capital n’est autre qu’une intervention. Une intervention, dès lors qu’il s’agit pour la « classe ouvrière » d’attaquer son rôle de « force de travail ». Cette intervention c’est le mouvement communiste, la communisation, et ces interventions surviennent continuellement étant donné que la lutte de classe n’est pas indépendante de l’économie ou du capital total. Le mouvement communiste, par conséquent, est le moment d’interférence que peut produire une crise à l’intérieur de la dialectique du capital, mais le communisme en tant que société n’est pas donné dans le conflit entre le travail et le capital, il doit être produit par l’intervention d’un troisième élément. Un moment contre-dialectique est nécessaire pour abolir le rapport au capital. Le capitalisme doit être attaqué de l’extérieur, par l’échappement du capital.
Ces problématiques qui voient le communisme comme résultant des contradictions d’un processus interne sont engluées dans la téléologie. La classe ouvrière, telle qu’elle est aujourd’hui, ne peut jamais produire le communisme, et son renforcement débouche sur le renforcement de la tautologie du capital. Bien que le communisme ne résulte pas du procès qui relie travail et capital, le mouvement communiste est un phénomène qui existe à l’intérieur même et contre le capital. Le développement interne de cette contradiction, c’est-à-dire, la lutte de classes, est nécessaire pour que le capitalisme soit écrasé. Cependant, le moment contre-dialectique ne peut être produit que par des gens qui organisent leurs rapports sociaux en écartant la « lutte économique ». Avec les mots de Lénine, des « sphères en dehors de la lutte économique » doivent se créer. Refus du travail et « grèves sauvages » sont deux exemples de création de telles sphères. Même en domination réelle, les gens trouvent des poches de résistance. De cette façon, se créent en permanence des « sphères au-delà », « distanciées » et « extérieures » au rapport travail-capital. Le problème est que ces ces « sphères » sont facilement écrasées par la violence étatique, ou capturées par le rapport capitaliste. A coté de cela, même en domination réelle, le travail vivant bénéficie d’une certaine autonomie, pour autant que de faibles et insignifiantes poches de résistance peuvent œuvrer en tant que force unificatrice pour le capital. Par exemple, elles peuvent amener les travailleurs à se sentir bien au travail, et ne plus questionner leurs rôles de force de travail. La socialisation de la classe ouvrière s’effectue pour le capital sur un axe double, elle relie les travailleurs à l’entreprise pour laquelle ils travaillent, et simultanément les relie contre l’entreprise. Y compris des conflits plus importants, tels que les grèves, peuvent renforcer le capital total, malgré le fait que les grèves signifient des difficultés pour l’entreprise visée. En posant le capital comme accumulation de valeur, c’est-à-dire accumulation de travail abstrait, on peut comprendre que la lutte de classes développe le capital. Cela signifie que le capital est lutte de classes, étant donné que l’accumulation de valeur repose sur l’exploitation. La lutte sur les salaires et l’organisation du travail affecte les rapports économiques du capital. Les luttes de la classe ouvrière provoquent des crises, de la même façon que les crises donnent naissance aux révoltes prolétariennes. Dans ce sens, le communisme n’est pas un état social à atteindre dans le futur, mais le mouvement réel, la communisation, montrée au travers de la lutte de classe. Mais la communisation est-elle identique au mouvement du prolétariat, c’est-à-dire, à la lutte de classe ? Oui et Non. Selon Marx, la lutte de classe est le moteur de l’histoire, mais par le fait que l’histoire est un mouvement sans but, même la lutte de classe ne saurait être prédestinée à s’achever dans le communisme. Dans cette problématique il est nécessaire de revenir à Marx.
Marx n’a jamais développé une théorie explicite du prolétariat. Mais il releva que le prolétariat est la classe qui peut renverser le capital, cette notion étant déduite autant qu’induite. Marx déduit la possibilité du communisme du fait que le prolétariat possède la marchandise, force de travail, qui rend possible le capitalisme. La force de travail est une variable, une entité flottante en devenir, qui, toujours selon Marx, donne au prolétariat son rôle révolutionnaire. La preuve induite du communisme, réside dans le mouvement matériel, réel, présent – c’est-à- dire, la lutte de classe – que Marx désignait métaphoriquement comme la vieille taupe. Au côté de cette induction-déduction Marx créa un roman du prolétariat. Cette vision, probablement issue de l’évolutionnisme optimiste de Marx, se résume dans le fait que la bourgeoisie a failli à la réalisation de l’émancipation de l’humanité. Au contraire, la prise du pouvoir par la bourgeoisie a débouché sur un passage du relais aux mains du prolétariat. Faisant de cette classe l’émancipatrice de l’humanité, émancipant par là, les forces productives de leur carcan. Cette notion du prolétariat de Marx est non seulement déductive – inductive mais également idéologique. Ceci, et le fait que la domination réelle avait seulement commencé dans l’industrie, font que Marx a développé une mythologie du prolétariat, qui pour plus d’un marxiste s’est tournée en conscience répressive, aussi bien qu’en vain rêve du communisme surgissant des contradictions internes du capitalisme.
Aujourd’hui le prolétariat est enfermé par le capital, au point que la force de travail et par conséquent le travailleur en premier lieu, est devenu partie du capitalisme. Ce mode de production spécifiquement capitaliste, que Marx a commencé de décrire, a achevé de transformer l’apparence du capital, sa représentation. Que le capital soit représentation a été (mal-)interprété de diverses manières. Nous utilisons ici le concept de représentation dans le sens où Marx l’utilise ; la représentation est la médiation entre la forme et le contenu. Selon Camatte, que la valeur doive se représenter dans l’argent est une telle « Vorstellung ». La « valeur », on le sait, est une abstraction, mais une abstraction effective et concrète, mise en œuvre par la pratique de la classe ouvrière, une activité qui donne à l’argent, l’entité sensible de la valeur, son pouvoir. Cela signifie que le capital est une pratique externalisée. L’externalisation est déterminée par deux facteurs. Le premier, dans la pratique des gens qui se résoud en un rapport devenu extérieur à l’action qui produit la relation. Le second, dans l’extériorité de la relation de la classe ouvrière aux moyens de production médiée par la force de travail et l’existence de la classe capitaliste. Cette relation externe s’objective dans le fait que la pratique est externalisée. Autrement dit, la pratique externalisée est vécue comme quelque chose de donné objectivement, non produit par des êtres humains. Cette objectivation est internalisée dans l’« homme ». Par conséquent, l’internalisation est une forme d’interpellation. La représentation en elle-même n’est pas n’importe quoi qui puisse être aboli. Le langage, par exemple, n’est pas seulement un appareil de traduction, c’est aussi une représentation qui donne à l’individu « homme » une « distance », mais qui fonctionne en même temps comme un « pont » vers les autres. La problème du capital en tant que représentation c’est d’être un rapport social qui doit nécessairement prendre une forme objective. Ce qui signifie qu’il échappe à tout contrôle et détermine nos vies. Il en est ainsi par le fait que le capital est une tautologie, dont le fondement est A – M – A’, la valeur s’auto-valorisant. L’auto-valorisation de la valeur, comme l’histoire nous l’a montré, ne peut jamais être contrôlée par l’État ou l’autogestion des travailleurs. La valeur doit être abolie si nous voulons nous débarrasser du capital comme représentation.
Avec l’organisation spécifiquement capitaliste du travail, une mutation de la représentation du capital se produit dans la communauté matérielle qu’il constitue. Le capital n’est plus une représentation dont l’apparence se limite à l’argent, le capital se représente dans toutes les formes déterminant les valeurs d’usage qui constituent le prolétariat en tant que variable capitaliste ! Nous avons vu que sous la domination réelle du procès de production, le processus individuel effectif du travail est davantage déterminé par le travail total que par ses caractéristiques individuelles. Cela signifie que la représentation du capital est modifiée en ce qu’elle est mise en mouvement par l’ouvrier total qui constitue le capital total. Cela ne signifie pas pour autant que le communisme disparaisse en tant que possibilité, mais que l’antagonisme du prolétariat à l’intérieur et contre le capital n’est plus le même. Il en est ainsi depuis que la domination réelle a étendu la définition du travail productif, et enfermé le travail improductif et reproductif dans ce que Marx qualifie de travail total (la somme du travail objectivé).
« Avec le développement de la soumission réelle du travail au capital ou mode de production spécifiquement capitaliste, le véritable agent du procès de travail total n’est plus le travailleur individuel, mais une force de travail se combinant toujours plus socialement. Dans ces conditions, les nombreuses forces de travail, qui coopèrent et forment la machine productive totale, participent de la manière la plus diverse au procès immédiat de création des marchandises ou, mieux, des produits – les uns travaillant intellectuellement, les autres manuellement, les uns comme directeur, ingénieur, technicien ou comme surveillant, les autres, enfin, comme ouvrier manuel, voire simple auxiliaire. Un nombre croissant de fonctions de la force de travail prennent le caractère immédiat de travail productif, ceux qui les exécutent étant des ouvriers productifs directement exploités par le capital et soumis à son procès de production et de valorisation. Si l’on considère le travailleur collectif qui forme l’atelier, son activité combinée s’exprime matériellement et directement dans un produit global, c’est-à-dire une masse totale de marchandises. Dès lors, il est parfaitement indifférent de déterminer si la fonction du travailleur individuel – simple maillon du travailleur collectif – consiste plus ou moins en travail manuel simple. L’activité de cette force de travail globale est directement consommée de manière productive par le capital dans le procès d’autovalorisation du capital : elle produit donc immédiatement de la plus-value ou mieux, comme nous le verrons par la suite, elle se transforme directement elle-même en capital. » [69]
Ainsi, nous voyons que le travail productif se développe par l’accroissement incessant des fonctions que la capacité de travail « incorpore dans le caractère immédiat de travail productif ». En domination réelle, de cette façon il y a prolétarisation permanente, et nous pouvons voir également comment la domination réelle réalise la révolution anthropologique annoncée, puisque « l’activité de cette force de travail globale est directement consommée de manière productive par le capital dans le procès d’autovalorisation du capital : elle produit donc immédiatement de la plus-value ou mieux, comme nous le verrons par la suite, elle se transforme directement elle-même en capital ». Le travailleur total devient également le mode d’apparition du capital total ! La dialectique travail capital n’est plus seulement production mais également reproduction. La lutte de classe, c’est-à-dire, le rapport du capital, n’est plus seulement le développement et le moteur de notre temps, son rapport est immanent dans chaque travailleur individuel. Qu’advient-il alors de la communisation dans la lutte de classe ? Et si le communisme n’a jamais résulté des contradictions internes du capitalisme – comment pouvons-nous proclamer que le communisme est une possibilité réelle ?
Les tendances à la communisation au sein de la lutte de classe apparaissent au travers des attaques contre la valeur. La resquille, le téléchargement de films, sont des moyens que beaucoup de gens utilisent pour échapper à la médiation de la valeur d’échange. Ces moyens frappent le capital total, en libérant une certaine quantité de valeurs d’usages de la marchandise totale produite par le travailleur total. Ces deux pratiques sont des exemples de communisation, qui illustrent en même temps leur engluement dans le capital. La communisation est immanente à la lutte de classe qui ne fait pas que développer le capital mais produit le capital en tant que capital : le téléchargement favorise certaines branches du capital. De plus gros disques durs sont nécessaires, par exemple. Au même titre, la resquille produit la nécessité de sociétés de sécurité, telles que Securitas, et de meilleurs moyens de surveillance. Le communisme, mouvement interne et contradiction du prolétariat – le si bien dénommé mouvement réel – nuit cependant aux entreprises individuelles en attaquant la production de plus-value et l’accumulation pour ces entreprises. Afin de limiter les dégâts causés aux entreprises individuelles par la lutte de classe, et permettre la formation de capital au bout du compte, l’État endosse son rôle de médiation. Il légifère, contrôle et régule le travail et les mouvements du capital. Le capital total n’a pas seulement intérêt, comme n’importe quelle entreprises, à ce que la force de travail soit organisée en tant que capital variable variable au travers de médiations telles que les syndicats, les partis, ainsi que par l’État, pour le capital total la classe ouvrière doit exister en tant que capital variable pour que le rapport capitaliste puisse, au final, se constituer. En conséquence, la fonction de l’État consiste à régulier les rapports du capital. Les moyens pour parvenir au statut quo, pourront tout aussi bien prendre la forme de politiques anti-syndicale, néo-libérale, draconienne et même fasciste contre les citoyens. L’État fournit au mouvement ouvrier légaliste les fondements matériels d’une politique constituante par sa fonction médiatrice dans les crises. Le mouvement des travailleurs peut utiliser cet espace pour les intérêts de la classe ouvrière en tant que capital variable. Cette forme politique d’institutionnalisation du mouvement ouvrier a produit historiquement son contretype, ce que Karl-Heinz Roth nomme, l’« Autre » mouvement ouvrier. [70] Cet « autre » mouvement ouvrier qui s’est effectivement développé avant même la social démocratie et le bolchévisme, n’est autre que les luttes autonomes de la classe ouvrière, et c’est ce mouvement dont Marx pense qu’il peut produire le communisme ; d’où le mot d’ordre selon lequel l’émancipation de la classe ouvrière sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. Cette émancipation demeure cependant un mythe dans le sens où le mouvement du prolétariat, le communisme, ne peut pas faire voler en éclats le capital. En tant que contradiction interne, la communisation n’est qu’une négation, et par conséquent elle ne peut que réaliser la désubjectivation et désobjectivation du rapport du capital. Elle doit être complétée par la production de nouveaux rapports entre les gens. Pour que la communisation s’émancipe de la dialectique du capital, il faut encore une participation consciente et active afin de rompre avec la lutte de classe au sein du rapport du capital. Cela se produit seulement lorsque les individus cherchent à désorganiser leur part de travail total, ce qui participe alors du blocage de l’accumulation de travail abstrait. Nous voyons maintenant que la communisation apparaît sous deux formes, deux visages. D’un côté, on tient la communisation en tant que mouvement interne de la lutte de classe et de l’autre la dimension externe de la communisation. Ces deux mouvements sont imbriqués et souvent simultanés car ils n’impliquent aucune différence temporelle. L’un ne se constitue pas avant l’autre, ce sont des procès simultanés. Il est important de souligner qu’ils ne se déduisent pas l’un de l’autre. De fait, le mouvement et sa dimension sont le résultat de pratiques distinctes. Toutefois le mouvement externe ne peut se développer et s’étendre que si l’expression interne de la communisation est donnée, au même titre que la domination formelle précède la domination réelle. Ainsi, la dimension externe de la communisation est déterminée par la lutte de classe, c’est-à-dire, la communisation comme mouvement interne. Le mouvement interne est la négation à partir du mouvement du prolétariat au sein et contre le capital (désobjectivation et désubjectivation), alors que la dimension externe résulte d’une pure pratique constituante. Cette dernière en découle dès lors que la précédente à produit la volonté de quitter le vieux monde. Cette volonté ou plutôt ce désir, qui constitue la dimension de la communisation, grossit « inconsciemment » et « spontanément », et ne survient jamais qu’avec des pratiques destructives. Encore une fois, ce n’est pas comme tel que le prolétariat détruit d’abord le capital et ensuite construit le communisme, en réalité les deux formes sont exclusivement simultanées, ce qui rend difficile de les isoler. La constitution inconsciente de sphères extérieures non-capitalistes a toujours signifié, jusqu’à maintenant, que l’existence dimensionnelle de la communisation avait été détruite par des limites internes, ou que les rapports capitalistes l’avaient emporté en englobant ces extérieurs. Thomas Edward Laurence , plus connu sous le nom de Laurence d’Arabie, sait combien il est facile d’être dépossédé du pouvoir de changer sa propre vie.
« Nous étions enthousiaste, en raison de l’étendue des espaces ouverts, du goût des vents sauvages, du soleil et de l’espoir dans lequel nous travaillions. La fraîcheur du matin d’un monde-à-venir nous intoxiquait. Nous étions enveloppés par des idées inexpressibles et vaporeuses, qui valaient la peine que l’on se batte. Nous avions vécu de nombreuses vies dans ces tourbillons de campagnes, ne nous épargnant jamais ; cependant quand le nouveau monde vit le jour, le vieil homme vint une nouvelle fois pour s’emparer de notre victoire et re-faire à l’identique le monde précédent qu’il connaissait. La jeunesse pouvait l’emporter, elle n’avait pas appris à conserver : elle restait pitoyablement faible en face de l’âge. Nous avons bégayé que nous avions œuvré pour de nouveaux cieux et une nouvelle terre, ils nous ont remerciés gentiment et ont fait leur paix. » [71]
Si la communisation doit passer de la critique négative du capital à la critique créative, c’est-à-dire, à la formation de rapports non-mercantiles, des « extérieurs » au capital doivent se créer dans la lutte du prolétariat ; des Extérieurs qui soient externes au rapport du capital, des communautés qui ne soient pas marquées des contradictions du capital Ces extérieurs, exemples de la dimension externe de la communisation, se créent alors que les gens désertent leurs rôles de force de travail. Cela signifie que la production des ces extérieurs ne s’effectue pas via la représentativité et les pratiques substitutionnistes de révolutionnaires ou d’organisations, mais résulte plutôt de pratiques autonomes immédiates. Le suicide de la classe ouvrière doit être sa propre tâche. Cela affecte la relation contingente sur laquelle le capital repose, c’est-à-dire, la nécessité de conquérir le futur, étant donné que de plus en plus de gens échappent au capital, et que les contradictions internes débouchent sur l’attaque immédiate de l’État et du pouvoir de la valeur, le future fait défaut au capital. Les insurgés seront les bâtisseurs du futur, qui selon les mots de Nietzsche, abandonnent l’histoire « vous avez suffisamment à prévoir et à inventer quand vous imaginez cette vie future pour vous-mêmes. Mais considérant l’histoire, ne lui demandez ni le « comment ? » ni le « avec quoi ? » [72]
Les modes d’apparition internes et externes de la communisation peuvent sembler abstraits, mais dès lors qu’on considère que la communisation interne, le mouvement, se produit sur le terrain capitaliste en tant que critique de ce terrain, et que la communisation externe, sa dimension, est constituée par des sphères extérieures à ce terrain, on voit que l’intérêt immédiat de cette typologie est de nous donner l’opportunité de saisir les différents composants qui constituent le potentiel communiste de la lutte de classe, ce qui nous permet en retour de comprendre les processus simultanés dans une lutte (destruction, constitution, échappement, attaque, etc…). Les tendances à la négation du capital dans la lutte de classe réelle sont le mouvement interne contre le capital, et la dimension externe c’est l’en-dehors où des relations autres que capitalistes sont produites. Les communautés de constituent lorsque les gens s’échappent de la dialectique de la lutte de classes. Les espaces et les extérieurs donnent l’accès aux futurs mondes et communautés. On trouve des exemples des formes dimensionnelles de la communisation dans certaines tendances des soviets de la révolution russe ainsi que dans l’auto-organisation des travailleurs de la crise argentine de 2003. Les communautés sont des extérieurs du capital. On ne doit pas les confondre avec la prise en mains des espaces capitaliste par les ouvriers eux-mêmes, que sont la socialisation et l’autogestion. Cependant, ces extérieurs sont toujours encerclés et ne persistent que le temps d’un clin d’œil, à l’image du temps volé au travail par les ouvriers. Le mouvement interne de la communisation est par conséquent un communisme de guerre, l’état de guérilla du prolétariat contre le capital. La communisation externe, quant à elle, est plutôt géopolitique ou peut-être architecture ; une géopolitique qui ne soit pas l’expropriation d’espaces existants, mais la production de nouveaux. Le communisme est un art, une construction, pas une société. Ainsi, le communisme n’est pas donné par la socialisation des usines ou la prise de l’État, elle doit être la dé-territorialisation de l’espace du capitalisme – même si cette communisation démarre inévitablement sur le terrain capitaliste.
Lénine en Scandinavie : Que doit-il se passer ?
« Tous les hommes rêvent, mais pas de la même manière. Ceux qui rêvent la nuit dans les cavités poussiéreuses de leurs esprits s’éveillent le jour pour trouver qu’il s’agit là de vanité ; mais les rêveurs du jour sont des hommes dangereux, car ils pourraient actuer leurs rêves les yeux ouverts, afin de le rendre possible. » [73]
« Ce qui montre du doigt la réalité extérieure dit : voilà ce qui est -
Mais ce qui est signifie quelque chose qui est déjà achevé, quelque
chose qui par conséquent semble mort et qui n’influe pas sur la
volonté d’agir. Ce qui par l’imagination va au delà des possibilitées
de la réalité dit : voilà ce qu’il souhaite qu’elle soit. » [74]
Tout comme Marx le fit avec Hegel, Mario Tronti remet la dialectique du travail et du capital sur ses pieds en écrivant son classique Lénine en Angleterre :
« Nous aussi, nous avons travaillé avec un concept qui pose le développement capitaliste en premier et les travailleurs ensuite. C’est une erreur. Maintenant, nous devons tourner le problème sur sa tête, inverser la polarité et recommencer depuis le début : et ce début c’est la lutte de classe de la classe ouvrière. Au niveau du capital développé socialement, le développement capitaliste devient subordonné aux luttes de la classe ouvrière ; il les suit, et elles donnent la cadence sur laquelle les mécanismes politiques de la reproduction du capital doivent se régler. »
L’aboutissement théorique le plus avancé de Tronti est la reconnaissance du prolétariat comme sujet du capitalisme, en tant que sa principale force productive et par conséquent sa plus forte garantie – sans prolétariat pas de capitalisme. Tronti tire également cette conclusion que c’est le refus de cette force productive d’être au service du capital qui est la source du potentiel révolutionnaire. Nous ne pouvons pas laisser cette thèse ainsi, nous devons la faire évoluer. Le communisme peut mettre le capital en crise, mais le capital surmontera sa crise et évoluera avec elle, à moins que le communisme ne se sauve du capital par les trous épars créés par la lutte de classe dans le rapport capitaliste. La correction apportée par Tronti à cette dialectique est le point de départ de sa méthode pour identifier ce que nous appelons l’aspect interne de la communisation, c’est-à-dire, les tendances de la lutte de classes à la négation du capital. « La recherche théorique et la pratique politique doivent être déplacées, violemment si nécessaire, pour se concentrer sur cette question : le développement de la révolution, pas celui du capitalisme. »
Lénine en Angleterre n’est pas le programme politique de Tronti, mais son projet politique, qui devait conduire au développement de l’operaïsmeVoir le livre de Kämpa tillsammans ! (Luttez ensemble !), Vi vill ha allting ! (Nous voulons tout !), pour une introduction à l’operaïsme et au marxisme autonomiste.. Le projet visait à créer la théorie adéquate pour comprendre la puissance des luttes de la classe ouvrière, bien que Tronti sache que la lutte de classe, livrée à elle-même, fonctionne en tant que moteur du capitalisme. La lutte de classe autonome doit évoluer quand une rupture avec le capital s’accomplit. C’est pourquoi Tronti met l’accent sur l’importance de la perspicacité de Lénine quant à la nécessité du parti révolutionnaire, à la différence des gauches communistes germano-hollandaise qui, auparavant, avaient déjà mis l’accent sur l’auto-activité de la classe ouvrière sans toutefois remettre la dialectique entre travail et capital sur ses pieds. Tronti met l’accent sur cette importance, en dépit du pouvoir institutionnalisant du mouvement ouvrier dont l’objectif vise la canalisation et le désarmement de la lutte de classe prolétarienne. Lénine en Angleterre, par conséquent ne visait pas seulement une altération de la méthode marxiste, c’était également une tentative de développer une théorie moderne du parti :
« Nous le savons. Et Lénine avant nous. Et avant Lénine, Marx également découvrit, de sa propre expérience, combien est cruciale la transition vers l’organisation. La continuité de la lutte est un simple fait : les ouvriers ont seulement besoin d’eux-mêmes et des patrons pour leur faire face. Mais la continuité de l’organisation est une chose rare et complexe : aussitôt qu’une organisation s’institutionnalise et prend forme, qu’elle est immédiatement utilisée par le capitalisme (ou par le mouvement ouvrier à la place du capitalisme). Ceci explique le fait que les ouvriers laissent tomber aussi rapidement les formes d’organisation qu’ils viennent juste de conquérir. Et à la place du vide bureaucratique des organisations politique générale, ils substituent la lutte continuelle au niveau de l’usine, une lutte qui prend sans cesse de nouvelles formes que seule la créativité intellectuelle du travail productif peut découvrir. Le processus révolutionnaire ne commencera pas avant qu’une organisation politique directement issue de la classe ouvrière se généralise : les ouvriers le savent, et c’est pourquoi vous n’en trouverez aucun parmi les chapelles des partis officiels qui chantent les hymnes de la révolution « démocratique ». La réalité de la classe ouvrière est fermement attachée au nom de Karl Marx, tout autant que le besoin d’une organisation politique pour la classe ouvrière est attaché au nom de Lénine. »
Pour comprendre la relation entre capital et communisme, nous avons aujourd’hui, grâce à l’éclairage de Tronti, non seulement une méthode théorique éprouvée qui tourne autour de l’opposition de la classe ouvrière au capital, mais également une théorie du parti révolutionnaire. Nous savons en outre, que le communisme ne peut résulter seulement du mouvement interne de la communisation. Le communisme ne peut apparaître comme communauté qu’au travers de la défection, de l’abandon du rapport au capital. Cela signifie encore, si notre observation quant au double aspect de la communisation est correcte, qu’il faille aller au-delà de l’apport de Tronti à la dialectique du travail et du capital. Tronti comprenant le prolétariat comme sujet du capital, revendiqua qu’il soit en conséquence sujet de la révolution. Cette polarité comme prémisse, conduisit Tronti vers une sorte de parallélisme dans ses théories, parallélisme qui voit la classe comme étant à la fois un sujet du communisme et une fonction du capital, son sujet. De cette façon nous avons deux discours, l’un qui exprime l’action de classe en tant que force de travail, l’autre qui exprime l’action de la classe en tant que classe ouvrière. Tronti indiquant que la contradiction entre ces deux rôles donne à la classe ouvrière un potentiel révolutionnaire. Nous ne sommes d’accord que jusqu’à un certain point. Parce que Tronti n’a jamais formulé l’abandon, le caractère de désertion que la communisation implique, Tronti n’a relevé que le mouvement interne de la communisation et indiqué que ce mouvement pouvait rompre avec le capitalisme, par là créant le communisme. Laissant, par conséquent, le communisme déterminé par les conditions du prolétariat. De cette façon, la discussion sur le communisme devient une pure conversation sur un aspect que l’on refuse de prendre en compte. Dans le cours de chacune et de toute insurrection, la classe ouvrière renouvelée ses tentatives pour devenir ce qu’elle est réellement, la force productive révolutionnaire qui n’est rien mais doit devenir tout. Dans chaque lutte nous trouvons la transformation de la force de travail en classe ouvrière : la transformation de la quantité en qualité. Par conséquent, la théorie du parti de Tronti amène avec elle la dualité que nous devons abandonner : la dichotomie entre les luttes économiques et politiques. Ce dualisme implique la nécessité du parti révolutionnaire, un sujet révolutionnaire, qui intervient avec une objectivité révolutionnaire, la lutte de classe, afin de développer la révolution et non pas le capitalisme. Mais la production de subjectivité et d’objectivité dans le capitalisme est a priori capitaliste. Une situation objective qu’un sujet peut utiliser de façon révolutionnaire ne peut jamais exister. Cela est vrai depuis qu’avec la domination réelle, subjectivité et objectivité sont des « formes d’organisation » capitaliste. La révolte d’aujourd’hui doit se nourrir des possibilités historiques de dé-subjectivation et dé-objectivation qui sont produites dans la lutte de classe. C’est ce projet que nous appelons Lénine en Scandinavie.
Le projet de Tronti n’est pas une proposition rhétorique ou encore une intention d’encourager ses propres rangs, c’est une tentative de changer la théorie marxiste et de fournir une compréhension de l’organisation politique de la classe ouvrière. C’est exactement ce que nous voulons faire, révolutionner la compréhension de la lutte de classe, le mouvement révolutionnaire et la méthode « marxiste ». Tronti partait du « marxisme othodoxe », du marxisme qui place le capital en amont du travail. C’est ce qu’il voulait changer, et c’est peut-être ce pourquoi il n’a pu aller plus loin, il n’aboutit qu’à une inflexion. Aujourd’hui nous devons partir de l’operaïsme et de cette inflexion du « marxisme orthodoxe », sans pour autant changer le point de départ. Nous persistons à considérer le travail comme le point de départ du rapport capitaliste. Cependant, ce n’est pas une bénédiction pour nous, mais cela nous contraint à sortir de la mythologie du prolétariat de Marx.
Précédemment nous avons affirmé que le mouvement communiste n’est pas identique à la lutte de classe, mais qu’il est une tendance de cette lutte. Cette tendance, la communisation interne, ce sont les pratiques qui, directement et sans médiation, se tournent contre l’exploitation, l’accumulation de valeur. La communisation ne passe pas par un réorientation de la politique, des syndicats ou de la distribution. Cela ne signifie pas que les militants syndicaux ou politiques sont incapables de réaliser des actions communisatrices, comme par exemple les grèves sauvages qui évitent la médiation syndicale. L’évitement des médiations, ne confère pas seulement aux pratiques communistes un caractère immédiat, il travaille aussi « verticalement » ou même « abstraitement », parce que le potentiel communiste de l’attaque se mesure au degré auquel il est capable d’attaquer la relation de la valeur. La pratique communiste ne peut par conséquent être définie par l’organisation, mais par son aptitude à frapper au cœur de la bête – la valeur. Le mouvement communiste, par là, est un communisme d’attaque, communisme de guerre, tandis que l’aspect dimensionnel de la communisation, par contraste, est un communisme de défection. Nous voyons maintenant que ces deux formes de communisation dépendent de l’existence du rapport au capital. Ce sont des tendances effectives et finies qui surviennent dans la résistance autonome de la classe ouvrière à l’exploitation. Communisation interne et externe ne sont pas des phénomènes suprahistoriques, ils ne peuvent être compris qu’en connexion avec la valeur : le mouvement interne est l’attaque prolétarienne sur la valeur et l’aspect dimensionnel de la communisation est l’échappement prolétarien de la valeur. Ces deux formes de communisation ont en conséquence des rapports causals avec le capital ; le communisme de guerre advient à cause du capital tandis que la géopolitique advient en dépit du capital. De ce fait, notre typologie n’est pas une tentative de remise en cause des aspects déterministes du marxisme. A l’opposé, nous sommes ici du côté de l’orthodoxie en essayant de montrer la fonction radicale du déterminisme. Pour nous, le déterminisme ne signifie pas nécessité dans l’effet, mais surtout nécessité dans la cause. Cela signifie que chaque action est déterminée, nécessitée et causée. Cela ne signifie pas la disparition de la liberté, mais, à l’opposé, le rapport causal est la prémisse de la liberté, si on définit la liberté comme une rupture d’avec le « fondement » qui prédestine certaines attitudes. C’est pour cela que les sujets sont des figurations causales, mais par le fait que les pratiques sont le fondement des subjectivités, ce fondement est altéré conformément au changement de pratique du sujet. Ce n’est pas le sujet qui produit des pratiques mais les pratiques qui créent les sujets. Nous pouvons essayer d’apporter un éclairage sur ce point à partir de la théorie de la performativité de Judith Butler. Le genre (les rôles sexuels ) pour Butler n’est pas à l’origine une construction sociale, mais plutôt une forme de représentation. Le genre se mobilise dans l’action. Les rôles sexuels sont actés et les rôles reproduits par les gens retournant à leur partition dans le théâtre qu’est la réalité.
« Le genre est ainsi une construction qui efface régulièrement ses origines ; l’accord collectif tacite de jouer, produire, soutenir des genres discrets et polarisés en tant que fictions culturelles est obscurci par la crédibilité de ces productions et les châtiments encourus pour ne pas croire en elles ; la construction « oblige » notre attitude dans sa nécessité et sa naturalité ». [75]
Cependant, la thèse de Butler ne doit pas être interprétée comme si le théâtre masquait une vraie subjectivité au-delà du spectacle, à l’inverse elle essaie de montrer comment les identités sont un phénomène purement discursif mobilisé au travers de la constante répétition des représentations, sans que l’identité ne soit jamais complètement internalisée, étant donné que la répétition est constituée de pratiques finies toujours contraintes d’être répétées. Ainsi la subjectivité n’est pas un trait essentiel incarné par un individu mais la subjectivité est donnée au travers de différentes attitudes et jeux. Ce jeu est un jeu aux règles réelles et brutales, car ceux qui brisent les règles du jeu sont punis réellement. Si l’on cesse de jouer le rôle d’un citoyen honnête pour commettre un crime c’est pour finir probablement en prison. Si l’on brise les rôles sexuels sociaux, on ne risque pas seulement l’exclusion mais aussi la mort. Donc, les discours ne sont d’aucunes façons fictifs, mais très concrets. Butler n’essaie pas de montrer que tout est réellement fiction, mais que seul le « fondement » de la société, dans son cas « homme » et femme » sont des fabrications. Le fondement est lui-même un produit, constitué par différentes formes de pratiques :
« the abiding gendered self sera ainsi montré comme étant structuré par des actes répétés qui cherchent à approcher l’idéal d’un terrain substantiel d’identité, qui, dans leur discontinuité occasionnelle révèlent la temporalité et la contingence hors sol de ce “terrain” ». [76]
Quand les pratiques sont changées alors les sujets qui produisent les pratiques le sont aussi. Par exemple, si le capital signifie capital en mouvement, c’est-à-dire la valeur s’auto-incrémentant sous la forme de l’argent qui est investi pour générer davantage d’argent, alors le capital à besoin de certaines subjectivités, par exemple travailleurs salariés et capitalistes, accompagnées de certaines « propriétés » telles que les banques, l’argent et les systèmes de productions. Dans le même temps, le capital est la cause de ces subjectivités et de ces propriétés, ce qui est en même temps le fondement du capital. C’est par conséquent une dialectique constante entre « fondement » et « pratiques », entre conditions nécessaires et actions déterminantes. Les pratiques créent le fondement, mais le fondement requiert les pratiques et détermine leur forme. De ce fait, le communisme doit être compris comme l’attaque de et la défection vis-à-vis des pratiques qui fabriquent et sont fabriquées par les dispositions qui façonnent le capitalisme. Parce que, de la même manière que nous comprenons le communisme comme une structure d’évènements, en tant que verbe, comme communisation, le capitalisme est une pratique, ou plutôt une série d’actions qui déterminent le capitalisme en individualisant les sujets en individus capitalistes, entre autres choses. Le capitalisme signifie, par exemple, que les classes et d’autres variables matérielles telles que les marchés, les systèmes bancaires, les États et leurs semblables existent et si ces variables sont perturbées, les « fondements » de l’abstraction réelle que l’on nomme capital sont paralysés.
Les anarchistes insurectionnalistes ont raison, par conséquent, lorsqu’il définissent ce que nous appelons communisation comme une attaque, parce que la communisation prend le caractère d’une attaque quand elle frappe l’accumulation du capital et le rapport de la valeur. [77] Cela ne se voit pas seulement dans l’organisation informelle de la classe sur les lieux de travail, que nous avons vivement décrite dans Riff-Raff n°3–4, mais également dans les émeutes et pillages au niveau de la sphère de la circulation. La lutte de classe dans le procès de travail ainsi que les luttes dans la sphère de la circulation fonctionnent également comme négations. Ces négations sont, comme nous l’avons déjà relevé, inadéquates par elles-mêmes afin de produire le communisme. Il en est ainsi parce qu’elles sont soit canalisées et conduisent aux réformes ou bien elles sont dépassées. Bien entendu nous ne sommes pas opposés aux réformes et changements à l’intérieur du capitalisme. Nous ne sommes pas des jésuites de la révolution qui renonçons à nos besoins immédiats pour un meilleur futur. Ce n’est pas le désintérêt, mais la lutte qui est nécessaire pour produire une révolution. Ce sur quoi nous voulons insister ici se ramène à ceci : une négation ne constitue pas le communisme. Pour Tronti et toute la production théorique dans son sillage, le communisme est possible au travers de cette négation. Ils se contentent de la description du mouvement interne au sein du capital, le communisme, qui tend à l’abandon du capital. Ce mouvement étant une pure négation, une critique du capital. La lutte de classe est l’auto-critique du capital, le processus qui initie les crises du capital. Crises qui régénèrent ce même capital. La seule façon d’arrêter ça, réside dans la constitution du second aspect de la communisation avec une force telle qu’elle rende impossible pour le capital son emprise sur le futur. Le communisme, la mort potentielle du capital, ne peut venir d’une dialectique entre le travail et le capital, il peut uniquement se produire si le blocage du capital par la lutte de classe est simultané au processus constitutif qui remplace les rapports du capital par de nouveaux rapports. Notre révolution doit être double.
Ainsi Lénine en Scandinavie est une tentative de développement d’une théorie révolutionnaire qui traite des deux aspects de la communisation, au moyen de notre typologie de la communisation. Nous ne pouvons tout simplement pas abandonner l’investigation de la négation du fait que seules les tendances à la défection peuvent constituer le communisme en tant que communauté. Nous ne jettions pas par dessus bord les théories et notions antérieures. Nous élargissons simplement notre vision en essayant de souligner comment la classe ouvrière agit simultanément de façon destructive et constitutive. Cependant cette forme de constitution n’est pas une forme d’auto-valorisation. Ce n’est pas une affirmation de ce qui existe déjà, mais de ce qui doit advenir. C’est la production d’aspirations qui portent un nouveau futur, un autre monde. Avec la seconde tendance de la communisation, nous voulons essayer de décrire l’à-venir révolutionnaire. Les deux aspects de la communisation ne peuvent par conséquent être vus comme deux notions théoriques et abstraites ne servant qu’au discours sur la pratique. Elles doivent réellement faire partie de la pratique effective en formant un mode d’emploi pour notre propre intervention sur le terrain capitaliste. De cette manière, Lénine en Scandinavie est un projet organisatoire, ou si vous préférez une théorie du parti pour le XXIe siècle.
Nombreux sont ceux qui ont abandonné toute discussion sur le parti sous l’influence de l’opéraïsme et des communistes français qui ont insisté sur l’autonomie de la classe ouvrière. Le communisme de conseil a été résuscité et un anti-léninisme s’est formé, alors que peut-être l « anti-léninisme » n’était principalement qu’une crainte de substituer sa propre action à celle de la classe. En réalité cela a souvent conduit à substituer à sa propre action la non-action d’un modèle théorique (la classe ouvrière). Les contributions théoriques les plus intéressantes de cette époque, aussi bien chez les marxistes autonomes italiens que chez les communistes de conseil français, ont ainsi tenté de dépasser les théories du parti issues du communisme de conseil et du léninisme. En 1962, Jacques Camatte publia « Origine et fonction de la forme parti » et sept ans plus tard Gilles Dauvé publia son article « Critique de l’idéologie ultra-gauche ». Les deux textes visaient au dépassement de la dichotomie entre spontanéisme et volontarisme/activisme pour produire une théorie du parti qui n’abandonne pas l’accent mis par Marx sur le fait que la libération de la classe ouvrière résulte de sa propre action. Dauvé analysa comment le capitalisme produit un parti révolutionnaire, qui est le mouvement révolutionnaire :
« La société capitaliste produit elle-même un parti communiste, qui n’est autre que l’organisation du mouvement objectif (ce qui implique que la conception de Lénine et Kautsky de la « conscience socialiste » qui doit être apportée de l’« extérieur » est un non-sens) qui pousse la société vers le communisme. Lénine voyait un prolétariat réformiste et disait qu’il fallait faire quelque chose (la « conscience socialiste » devait être importée) pour le transformer en prolétariat révolutionnaire. Ainsi Lénine montrait qu’il avait totalement mal interprété la lutte de classe. Dans une période non révolutionnaire, le prolétariat ne peut changer les rapports de production capitalistes. Il essaie par conséquent de modifier les rapports de distribution capitaliste au travers des revendications de hausse salariale. » [78]
Pour Dauvé, le parti révolutionnaire c’est simplement le mouvement objectif révolutionnaire. Le parti n’est pas un produit formel, mais un produit matériel. Cependant, Dauvé soutenait que l’intervention des révolutionnaires pouvait contribuer à la formation de ce parti. Les communistes n’étaient pas supposés attendre le jour J, quand le parti communiste était matérialisé.
« Les communistes représentent et défendent les intérêts généraux du mouvement. En toutes circonstances, ils n’hésitent pas à exprimer la pleine signification de ce qui se passe, et font des propositions pratiques. Si l’expression est juste et la proposition adéquate, ils sont partie prenante de la lutte du prolétariat et contribuent à construire le « parti » de la révolution communiste. » [79]
Il est intéressant de relever que Dauvé considère la tâche des communistes comme étant de réduire la séparation entre révolutionnaires et prolétariat. Les révolutionnaires doivent faire des suggestions pratiques sur le développement de la lutte de classe. Ce que Dauvé propose est donc la perspective développée par Camatte (abandonnée depuis), basée sur l’insistance mise par Amadéo Bordiga sur le fait que ni les révolutions, ni les partis ne sont créés mais guidées. En contraste avec la théorie du parti de Dauvé, Jacques Camatte dans Origine et fonction de la forme parti, se concentre sur la différence entre partis formels et parti historique. Le jeune Camatte écrivit ce texte pour défendre l’originalité de Bordiga et de la gauche communiste italienne. Il visait les courants néo-léninistes à l’intérieur du Parti Communiste International auquel Bordiga et Camatte ont appartenu à une époque. La théorie du parti de Bordiga et Camatte repose sur l’opinion que la théorie de Marx est une théorie sur le prolétariat. La critique de l’économie politique de Marx étant ainsi une expression théorique du communisme réellement existant, de la lutte de classe prolétarienne. Pour Camatte, le parti historique est une notion synonyme du programme communiste formulé par Marx dans son œuvre, implicitement ou explicitement. Cela signifiant que lorsque les partis formels et effectifs organisant le prolétariat déviaient de ce programme, ils cessaient d’être la manifestation du parti historique, c’est-à-dire du programme communiste. Selon Camatte, le parti historique n’est pas le produit de l’activisme des révolutionnaires, mais en premier lieu le produit de circonstances matérielles, un parti qui se matérialise au travers de l’organisation formelle du prolétariat. En conséquence, Bordiga réclamait qu’en période contre-révolutionnaire, alors que le parti historique ne pouvait se matérialiser, les révolutionnaires ne devaient pas tomber dans l’activisme, mais travailler au développement et à la défense du programme communiste, en développant par exemple la critique de l’économie politique de Marx. Pour cela, toujours selon Camatte et Bordiga, la critique de l’économie politique n’était rien d’autre que l’expression théorique du communisme, qui est le parti du communisme : le mouvement de la classe ouvrière à l’intérieur mais contre le capital.
« Marx et Engels ne se contentèrent pas d’une « intuition », ils montrèrent la réalité du programme. Chaque fois que la question de la lutte révolutionnaire n’était plus au centre de leur activité, ils retournaient à leurs « études théoriques », c’est-à-dire à la spécification du programme. » [80]
Les deux théories de Camatte et Dauvé ont le mérite, tout comme les discussions sur la composition de classe dans le marxisme autonomiste, d’essayer de décrire le terrain objectif et matériel des mouvements. Les deux dépeignent de manière raffinée comment l’analyse théorique du capital peut être intimement entrelacée avec les tentatives pratiques de démolir le capital. Compréhension et création ne deviennent pas la même chose, mais elles sont entremêlées d’une manière perspicace dont nous ne pouvons pas nous passer : sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire. En dépit de cela, il nous faut abandonner les deux. Camatte abandonna lui-même sa théorie en 1969, indiquant que la thèse d’un parti historique (singulier) et plusieurs partis formels (pluriel) débouchait sur une abstraction supra-historique du prolétariat.
Le prolétariat effectif, contemporain, est un objet fini et situé, il existe dans le temps et l’espace, et c’est ce prolétariat contemporain qui combat à l’intérieur et contre le capital, et qui s’est historiquement organisé sous différentes formes de partis matériels et formels ( conseils ouvriers en Allemagne, IWW aux USA, etc…). Ainsi, le parti historique peut être identique à la situation où la classe ouvrière se constitue en tant que parti matériel, mais dans ce cas, le parti historique n’est plus le même parti historique, parce que le prolétariat existant réellement n’est plus le même prolétariat. Ce n’est pas le modèle théorique « prolétariat » qui combat à l’intérieur et contre le capitalisme, ce sont des sujets spécifiques qui, déterminés par leur disposition en tant que prolétaires, continuent la lutte de classe. Il en est ainsi même si les luttes effectives du prolétariat sont réformistes ou demeurent à l’intérieur du capitalisme, cette théorie revendique que le prolétariat soit toujours révolutionnaire. [81] C’est de cette façon que Bordiga et Camatte purent construire une histoire du parti historique dans la continuité de Marx. La théorie du prolétariat était par là transformée en mythe du prolétariat, à la classe ouvrière effective se substituait une abstraction n’ayant jamais existé en réalité. [82] Ainsi, le problème avec la théorie du parti de Camatte et Bordiga est d’avoir confondu le prolétariat réel et le prolétariat virtuel, le prolétariat théorique dont Marx se sert en tant que figuration, comme modèle théorique, dans certains de ses travaux tels que le Capital et les Grundrisse. (Cependant dans d’autres ouvrages, Marx se sert du prolétariat existant réellement, comme par exemple dans La Guerre Civile en France, mais alors, dans cette partie de son œuvre, Marx formule rarement la critique dévastatrice, communiste du capital qu’il effectue dans ses travaux plus purement théorique). Camatte formulera plus tard de sévères critiques de sa propre théorie distinguant les partis formels du parti historique :
« C’est ici que le bât blesse, il y a un vrai prolétariat, mais il n’a pas de conscience, ainsi ce ne peut être le bon. Cependant, il vient ici une explication reposant sur diverses théorisations de l’intégration du prolétariat dans la société bourgeoise. La crise le détruit sans cesse, ce faisant, il ne devrait plus y avoir d’obstacle à la rencontre prolétariat–conscience. » [83]
Ainsi, la théorie du parti de Camatte reproduit-elle les écueils de la théorie de Tronti sur la classe ouvrière. La critique émise à l’encontre de la notion de prolétariat de Camatte vaut également pour la théorie du parti de Dauvé. Dauvé déduit également le potentiel révolutionnaire du prolétariat d’une abstraction que Marx mit à l’œuvre dans ses recherches théoriques et non des classes ouvrières qui existent en réalité, luttant effectivement et héroïquement. Même si nous lisons avec bienveillance les théories du parti de Camatte et Dauvé, au lieu de décrire le parti historique/matériel comme étant identique à la lute de classe de la classe ouvrière réelle, il est clair que ces théories, tout comme la théorie du parti de Tronti, se concentrent simplement sur le premier aspect de la communisation – c’est-à-dire les tendances négatrices du capital dans la lutte de classe et, à partir du moment où la lutte de classe apparaît clairement, le communisme devient une question posée dans le cours de cette lutte de classe. Par conséquent, le parti matériel et le parti historique sont des notions théoriques adéquates si on les fait seulement fonctionner comme manifestations des tendances négatrices du capital dans la lutte de classe du prolétariat. A y regarder superficiellement, il peut sembler que ces notions puissent nous aider dans la compréhension du comment et pourquoi il y a continuité entre les différentes formes d’organisation au sein de la classe ouvrière, mais dans ce cas nous oublions que le parti matériel est le produit d’un prolétariat réel. C’est pourquoi, il n’est pas totalement erroné de revendiquer une histoire du parti matériel. Les luttes menées par les prolétaires russes en 1905 n’étaient pas les mêmes que celles conduites par leurs camarades de classe espagnols en 1936. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’analogies entre ces deux situations historiques, mais que le plus intéressant est que ces similarités sont plus grandes encore lorsqu’elles parviennent à la critique des abstractions capitalistes : valeur, travail, etc. Cela décrit le fait que l’histoire de l’activité révolutionnaire n’est pas une histoire de ce qui est déjà, mais une histoire à-venir sur les tentatives humaines d’abandonner le présent. C’est l’histoire d’un défi face à la situation historique, qui provoque paradoxalement diverses tentatives de réalisation du bouleversement. C’est pourquoi, il est correct de dire que le premier aspect de la communisation, le parti matériel, manque d’histoire réelle, parce que son histoire est simplement locale et négative, c’est l’histoire bizarre de l’attaque des abstractions réelles conduite par d’empiriques entités finies. La dimension externe de la communisation a cependant une histoire plus traditionnelle par son invariabilité. C’est pourquoi la dimension externe est intemporelle. Cette intemporalité a en effet une très riche histoire, les histoires de toutes les tentatives pratiques de dépasser le présent. Par conséquent, ni Dauvé ni Camatte, ni même le courant autonomiste, ne peuvent nous donner une théorie et une histoire de ce que l’on pourrait appeler le parti de l’abandon – qui est le mouvement ne précipitant pas seulement le capital dans la crise, mais qui a également le potentiel de détruire le capital étant donné que son activité vise au delà des abstractions concrètes qui constituent le capital.
Plus encore, ces théories du parti sont inadéquates lorsqu’il s’agit de comprendre la lutte de classe prolétarienne. En premier lieu parce qu’elles ne font que constater ce qui est, le présent et le passé. Elles ne se concentrent que sur le fait qu’un parti (c’est-à-dire un mouvement révolutionnaire) est devenu objectif, qu’il s’est matérialisé. Mais la théorie ne nous aide pas à examiner ce que ce parti peut devenir. Ces théories du parti ne posent jamais la question : cette lutte de classe peut-elle nous libérer de la lutte de classe ? En second lieu, toutes ces théories du parti conduisent à se concentrer sur : comment les révolutionnaires peuvent-ils faire se rencontrer la théorie révolutionnaire et la classe ouvrière ? Mais aujourd’hui, notre objectif est qu’une telle rencontre soit sans objet. Ce que nous avons a faire c’est de développer notre propre activité et c’est pour cela que nous utilisons la théorie. Selon Dauvé, la séparation des révolutionnaires et des ouvriers ne peut s’effacer que dans une insurrection ouverte. Nous savons aujourd’hui qu’une telle séparation est fictive. La seule organisation qui puisse être organisée de manière révolutionnaire c’est l’attaque de la valeur par chacun. Les révolutionnaires n’ont pas à intervenir en direction de la classe ouvrière, mais seulement sur le rapport du capital, les communistes ne devraient pas suggérer des actions mais conduire la pratique subversive. C’est ce que nous appelons le bolchévisme sans parti, intervention consciente visant à renforcer les tendances à la négation du capital par la lutte de classes.
Maintenant, comment y parvient-on en pratique ? Une voie consiste à utiliser l’élément de la réflexivité pratique en ayant recours aux enquêtes militantes [84]. Les enquêtes militantes sont des outils d’intervention qui travaillent inductivement. Outils inductifs, par le fait qu’ils nous aident à décrire la lutte de classe et outils d’intervention en ce qu’ils contribuent au développement de ces luttes. En Suède aujourd’hui, Motarbetaren (le contre-travailleur) – tract d’information circulant sur les lieux de travail dans différentes régions de Suède –, est une expression plus systématique de l’enquête militante. Motarbetaren décrit et répand des tactiques en dehors des syndicats que les ouvriers utilisent pour se faciliter la vie sur le lieu de travail. Le tract d’information fait se rencontrer les gens, au moins indirectement. Ceux qui diffusent et lisent Motarbetaren, prenant son contenu au sérieux, sont aujourd’hui déjà en train de produire de nouveaux rapports construits sur d’autres forces et valeurs que des valeurs de représentation. Motarbetaren est par conséquent une modeste tentative de répandre l’auto-activité, en ce que la production d’auto-activité aujourd’hui est une part nécessaire de la future révolution triomphante :
« Quand la révolution aura commencé il n’y aura plus besoin de justifier ce qui se passe ; il s’agira plutôt d’être assez puissant pour éviter les excès et les abus. Et cela ne sera possible que si les individus hommes, femmes, avant l’explosion révolutionnaire, ont commencé d’être autonomes : étant donné qu’ils n’ont aucun besoin de chefs, ils peuvent gagner le contrôle de leur propre révolte. » [85]
Le bolchévisme sans parti est par conséquent le nom d’une stratégie que nous avançons dans la lutte de classe, elle est la participation directe au mouvement contre la valeur, mais cette rébellion doit se combiner avec l’échappement hors de la valeur. Cet échappement de la dialectique du capital ne se produit pas par lui-même, il est produit par la réelle opposition des gens au capital. La lutte de classe se constitue au travers du rapport au capital. Mais ce que nous appelons le parti de l’abandon, qui est l’échappement hors de la dialectique du capital, ne peut jamais surgir spontanément, même si ce parti a été produit inconsciemment de nombreuses fois. Le parti de l’abandon se caractérise par sa pratique, non par sa forme. Le parti de l’abandon est par conséquent les pratiques qui constituent les extérieurs, des relations qui échappent aux rapports capitalistes. Par conséquent, ce que nous appelons « Lénine en Scandinavie » est également un projet de développement d’une histoire, d’une théorie et d’une pratique autour du parti de l’abandon, qui depuis la naissance du capitalisme a tenté de laisser le travail, le capital et toutes les autres abstractions capitalistes aux poubelles de l’histoire. [86] Ainsi les deux aspects de la communisation requièrent deux formes d’activité de la part des révolutionnaires : à la fois l’engagement direct et immédiat dans la lutte de classe, mais également les tentatives de produire dès aujourd’hui le terrain et les espaces (au moins en théorie) qui peuvent nous porter loin de la dialectique du capital. Nous espérons sincèrement que nos lecteurs nous aiderons dans cette difficile mais combien excitante besogne qui nous attend.
Marcel
[1] Nous devons clarifier le fait que le « nous » ne se réfère pas à l’ensemble de la rédaction de Riff-Raff, du moins pour l’instant. Il fait principalement référence à l’auteur lui-même, Marcel, même si nous trouvons son texte très intéressant et même provocant. (Note de la rédaction de Riff-Raff)
[2] Le lecteur aura remarqué que cela ne signifie nullement que nous soyons tombés dans un social démocratisme/léniniste ou un utopisme. Si c’était le cas, nous devrions être à la recherche de moyens matériels afin de réaliser la société de demain. Cela nous aurait une fois encore fait choir dans la même téléologie que nous voulons abandonner. Le développement de ce qui est aujourd’hui est seulement le développement de notre société présente, c’est-à-dire la communauté matérielle du capital. La seule cause fonctionnelle que le communisme puisse avoir dans le capitalisme est la fuite du capital. C’est l’abandon, et non le développement, qui pourrait nous donner le communisme. La mise au point sur la fuite est une conséquence de notre volonté de développer la notion qui était la nôtre jusqu’à présent, à savoir que le communisme ne peut être compris comme une continuation du capitalisme, mais seulement comme son anéantissement. Notre désir d’abandonner le capitalisme n’est pas fondé sur l’idée que le capital serait devenu un parasite, comme l’affirment Antonio Negri et Michael Hardt – nous ne sommes pas des théoriciens de la décadence. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur l’abandon, puisque le communisme ne peut qu’être produit par des gens abandonnant ces pratiques qui constituent la machine capitaliste abstraite.
[3] Même si nous reviendrons sur ce point plus loin dans le texte, en partie avec la même argumentation, nous pensons devoir d’ores et déjà souligner que nous ne voulons pas, par ce texte, attaquer ce qui est couramment nommé déterminisme. Par exemple, comme les derniers travaux de Gilles Dauvé et Karl Nesic (« Prolétaires et travail : une histoire d’amour ? » en est un bon exemple) (publié dans Riff-Raff n°5, 2003) qui mettent en lumière l’action libre et subjective comme ingrédient nécessaire de la révolte communiste. En fait, nous voulons défendre le prétendu déterminisme et essayer de souligner sa véritable radicalité. Ceci donc, parce que nous insistons sur le fait que chaque acte, et non seulement les prétendus « actes libres », mais aussi, de façon cognitive, le phénomène perçu comme « acte libre », repose sur la base qui les a engendrés. Ce qui détermine un acte libre, par exemple, est une libre volonté, telle que déterminée par un libre sujet agissant. Toutefois, évidemment, nous ne critiquerons pas le subjectivisme à partir du point de vue stupide qui est que l’on peut toujours tracer une chaîne de causalité dans un ensemble préexistant de pratiques, volontés et motivations déterminant la volonté et l’action présentes. Nous ne souhaitons pas non plus souligner cette trivialité que les matérialistes dialectiques utilisent habituellement – à savoir l’existence d’une interaction continue entre la nécessité et la contingence. Ce sur quoi nous insistons plutôt est réellement que le déterminisme est la condition de la liberté, parce que cela nous fournit une compréhension de la liberté comme action contre ce qui nous détermine. Si, par exemple, le prolétariat est destiné à produire le capitalisme, le capitalisme peut seulement prendre fin lorsque le prolétariat nie son rôle comme prolétariat pour devenir quelque chose de différent. Si, de la sorte, le communisme est un acte libre, alors il est libre parce qu’il signifie que les gens se libèrent de ce qui les détermine, et les mobilise, pour devenir les sujets spécifiques qu’ils constituent aujourd’hui. Ainsi donc, avec la théorie du philosophe G.W. Leibniz sur les mondes possibles, nous pouvons dire que le communisme est un monde possible qui n’est pas impossible, mais incompossible (Littré : qui se détruit réciproquement, qui ne peut exister ensemble, en parlant d’idées, de propositions. NdT) avec le monde réellement existant. Ce que, de façon un peu prétentieuse, on appelle habituellement les tâches des révolutionnaires, est donc de s’éloigner de cet ensemble de pratiques (par ex. la production de plus-value) qui font du capitalisme le monde réel (c’est-à-dire qui rendent le communisme incompossible). De cette façon, donc, le communisme peut devenir le monde compossible, réel…(cf. le livre de Deleuze sur Leibniz, en particulier le chapitre 5 – Le pli, Leibniz et le baroque, NdT). Cette divergence d’avec l’ensemble des pratiques qui individualisent les individus du capital aujourd’hui n’est donc pas produit par ces sujets qui peuplent le monde de nos jours, mais produit malgré l’individuation contemporaine – malgré les individus bien trop contemporains et capitalistes.
[4] Marx distingue le travail concret du travail abstrait. Le travail concret est le travail effectif requis pour produire une plus-value spécifique. Mais le travail abstrait, c’est-à-dire le travail échangeable, est indifférent au regard de la forme spécifique de plus-value et de travail. Cf. Marx, Contribution à la critique de l’économie politique.
[5] Marx, Livre II, section 1, Chap. 1, Le Capital, Éditions Sociales Tome 4, p 49.
[6] Ibid.
[7] Marx, Misère de la philosophie. I.2
[8] Cf. Gilles Dauvé : « Revisiting the east… and popping at Marx’s » (2002, préface à l’édition tchèque de Eclipse and Re-emergence of the communist mouvement , publié par Solidarita (ORA-S), NdT).
[9] Pour un débat de ce point, voir Aufheben, « Sur la décadence. Théorie du déclin ou déclin de la théorie ? », Théorie Communiste n°15, 1999.
[10] Panzieri et Tronti sont des marxistes italiens qui ont développé ces idées de Marx. Voir par exemple Capitalisme et machinisme de Panzieri, et « Capital social » (un chapitre de Ouvriers et capital, NdT). Jacques Camatte et Gilles Dauvé sont deux communistes français, qui ont aussi essayé de développer ces thèmes, toutefois de manière différente des Italiens. Cf. Dauvé, Vägrandets dynamik, et Camatte, Communauté et communisme en Russie.
[11] Un chapitre inédit du Capital, Éditions 10/18, p. 124.
[12] ibid
[13] ibid
[14] ibid, p. 130.
[15] ibid, p. 131.
[16] Voir Pasolini, Développement et progrès (« Fragments de la révolution anthropologique en Italie »)
[17] Voir Camatte, « De l’organisation » (Invariance, série II, n°2), « Errance de l’humanité ; Conscience repressive ; Communisme », « Declin du mode de production capitaliste ou declin de l’humanité ? », « Contre la Domestication » (Invariance, série II, n°3, 1973), « Ce monde qu’il faut quitter » (Invariance, série II, n°5, et Negri & Hardt, Empire (Exils, 2000).
[18] Nous utilisons le mot « désir » de la même façon que Gilles Deleuze et Félix Guattari l’utilisent. « Désir » n’est pas synonyme de besoin, mais la force que constitue une société, un individu et d’autres entités. Ainsi le « désir » précéde la constitution de la société. Toutefois, cela ne signifie pas que le désir soit fortuit, il est déterminé par la société ou par l’organisation d’un individu. Le désir existe via « les machines désirantes », et ces machines sont les composantes et les formes d’existence que prend le désir. Dans le même moment, les « machines désirantes » sont déterminées par les désir qui les constituent. Toutefois, le désir a tendance à combler le manque dans l’organisation des « machines désirantes ». Cela produit le changement et le développement.
[19] Cf. Baruch Spinoza, philosophe du XVIIe siècle
[20] Camatte, Capital et Gemenweisen.
[21] Pasolini, Op. Cit.
[22] La société de consommation est un concept problématique. Ceci, parce que la consommation est un moment de la production, la force de travail est consommée dans la production, et produite dans la consommation.
[23] Pasolini, Op. cit
[24] Marx, Idéologie allemande, Éd. Sociales, 1968, p.68.
[25] Spengler, Le déclin de l’Occident
[26] Ibid.
[27] Marx, Un chapitre inédit du Capital, Éditions 10/18, p. 134
[28] Ibid.
[29] Ibid, p. 125–126
[30] Ibid, p. 141
[31] Ibid, p. 168
[32] Ibid, p. 139
[33] Ibid, p. 139
[34] Žižek, op. cit.
[35] Voir par exemple l’important et intéressant livre de C.L.R. James, Notes on dialetics, comme une tentative, à partir de Marx et d’Hegel, d’illustrer le mouvement réel de la classe ouvrière. « Hegel est ici mis en exergue pour sa méthode de pensée, mais aussi pour sa méthose quant au développement objectif. La conception originale du socialisme reçoit de plus en plus de déterminations, mais chacune va plus loin et dans le même moment s’approche de la conception originale. Les Soviets étaient plus proches du Socialisme universel que la Commune, l’Internationale communiste plus proche que la 1re et la 2nde. Une internationale européenne des ouvriers moderne qui aurait surmonté le stalinisme serait encore plus proche de l’universalité abstraite du socialisme que tout ce que nous avons pu voir jusqu’ici. » Pour James, le prolétariat a une histoire, un mouvement qui est toujours lié à « l’abstraction » socialiste fonctionnant comme un universel. Il est toutefois important de remarquer que nous ne sommes pas plus opposés aux abstractions de James qu’à sa façon de les employer. Nous ne lions pas le communisme à « l’abstraction universelle du socialisme », mais aux attaques contre les abstractions capitalistes. Le communisme n’est pas présent dans « l’abstraction socialiste » que le prolétariat doit trouver pour produire le communisme, parce qu’alors le communisme serait un processus téléologique et cumulatif. Au contraire, nous trouvons le communisme en dehors du prolétariat dans le mouvement contre et s’éloignant de la machinerie abstraite du capitalisme. L’idée de la tendance Johnson–Forest que les possibilités de communisme existent dans le prolétariat se trouve aussi dans leur ouvrage The Invading Socialist Society. Ce texte a en fait beaucoup en commun avec le type de marxisme autonomiste d’Antonio Negri. Il est intéressant de noter que Negri, qui a si farouchement opposé Hegel et la dialectique, reproduise justement cet hyper-hégélisnisme qu’il prétend éviter. Dans Empire, sa thèse est que le communisme réside dans la multitude. Dans le même livre, il dit que le capital a été transformé en parasite réactif qui peut seulement agir à partir de l’extérieur, se reproduisant grâce au travail et à la créativité de la multitude. Le potentiel du communisme doit donc se trouver dans l’unification la multitude avec elle-même, une auto-unification contre laquelle agit le capital parasite. Au contraire de quoi nous soulignons que nous sommes les parasites, nous parasitons et violons le rapport capitaliste. Le travail n’est pas un corps malade qui doive être guéri de l’ingérence continuelle du capital, mais le communisme est la maladie qui tuera le corps sain du capital, et donc du travail.
[36] NdT. On trouve comme référence de cette expression : Révolte contre la dictature bourgeoise, besoin d’une modification de la société, maintien des institutions démocratiques-républicaines comme étant ses organes moteurs, groupement autour du prolétariat en tant que force révolutionnaire décisive – telles sont les caractéristiques communes de ce qu’on a appelé le parti de la social-démocratie, le parti de la République rouge. Ce parti de l’anarchie, comme le baptisent ses adversaires, n’est pas moins que le parti de l’ordre, une coalition d’intérêts différents. De la plus petite réforme de l’ancien désordre social jusqu’à la subversion de l’ancien ordre social, du libéralisme bourgeois jusqu’au terrorisme révolutionnaire, tels sont les lointains extrêmes qui constituent le point de départ et le point terminal du parti de l’« anarchie ». » dans Les luttes de classes en France, Du 13 juin 1849 au 10 mars 1850.
Source : http://www.marxists.org/francais/ma...
[37] Les désirs et les rapports ne sont toutefois pas quelque chose que « l’homme » produit par lui-même, ni quelque chose produit spontanément. De tels désirs peuvent être le produit de la crise capitaliste et de la conscience anticapitaliste. La théorie communiste et la crise capitaliste peuvent participer de la passion subversive nécessaire aux gens afin de commencer à transformer et attaquer le capital et sa représentation.
[38] ibid., p. 18
[39] Ibid., p. 20
[40] ibid., p. 28
[41] Ibid., p. 42
[42] Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme
[43] Debord, La société du spectacle (Chapitre VI, « Le temps spectaculaire »)
[44] Marx, Misère de la philosophie, Éditions Sociale, 1968, p. 55
[45] Debord, La société du spectacle (Chapitre VI, « Le temps spectaculaire »)
[46] Ibid., thèse 150.
[47] Camatte, ?
[48] Marx, Misère de la philosophie, Éditions Sociale, pp. 64–65
[49] Ibid., p.64 (la célébre phrase sur la carcasse du temps suit exactement cette citation)
[50] Ibid., p. ?
[51] Ibid., p. ?
[52] Camatte, Capital et Gemeinwesen
[53] Spengler, Le déclin de l’Occident (traduction directe du suédois en français)
[54] Marx, Le Capital, Éditions Sociales, t. 2, p. 184. La phrase dans la version française s’arrête là, dans la citation anglaise (utilisée dans le texte), la phrase se poursuit ainsi : « un mode de production qui apparaît et se développe spontanément sur la base de la subsomption formelle du travail sous le capital. Cette subsomption formelle est alors remplacée par une subsomption réelle. » NdT.
[55] Marx, Un chapitre inédit du Capital, Éditions 10/18, p. 201.
[56] Nous sommes très critique au sujet de la division du monde en « pays sous-développés » et « pays industrialisés », nous utilisons ces termes par convenances d’écriture.
[57] Goldner, « Le Communisme est la Communauté Materielle Humaine : Amadeo Bordiga et notre temps », publié dans Riff-Raff n° 3
[58] Balibar et Wallerstein, Race, Nation, Classe, les identités ambiguës, Éditions La Découverte.
[59] Marx, Un chapitre inédit du Capital, Éditions 10/18, p. 200
[60] Ibid., p. 201
[61] Ibid, pp. 199–200
[62] « architecture » au sens de « construction » (note du traducteur).
[63] Le « meilleur » exemple contemporain en est le réseau communiste de conseils Echanges et Mouvement. Ils visent le débat et la circulation de l’information concernant la résistance autonome de la classe ouvrière. A la lecture de leur présentation et de leur bulletin, il est évident qu’ils considèrent toute intervention comme extérieure, et par conséquent, pour diverses raisons, comme du léninisme (= à condamner).
[64] Barrot, « Critique de l’idéologie ultra-gauche », in Communisme et question russe, Spartacus, 1984 [I.C.O. 1969], p. X.
[65] Cf. leur compte-rendu des enquêtes militantes en général, et le livre de Kolinko, Hotlines, Une enquête sur le sectuer des centre d’appels, en particulier, Aufheben n°12.
[66] Note du traducteur : Kämpa tillsammans ! (Luttez ensemble !) était un groupe principalement consacré à la production théorique. Le groupe a été constitué en 1997 sur Malmö et Göteborg. Il prend racine dans la « scène activiste autonome ». Le groupe actuellement est en sommeil ou a disparu sans annonce « officielle ». Marcel faisait partie de K.t. et a commencé à participer à Riff-Raff à partir du n° 3–4 en 2003 (jusqu’à la fin de l’année 2006 quand il a cédé la rédaction).
K.t. trouvait son inspiration dans différents courants impliqués dans les luttes autonomes de la classe ouvrière. K.t. est surtout connu pour avoir été inspiré par l’operaïsme. Le principal intérêt du groupe se porte sur les « micro-luttes ordinaires » sur les lieux de travail, habituellement négligées, le groupe défend l’utilisation de l’ « enquête ouvrière », de l’auto-investigation afin d’apréhender les formes concrètes des antagonismes de classe.
Pour désigner tous les faits de la lutte de classe quotidienne qui restent « dans le noir » sur tous le lieux de travail K.t. utilise l’expression de « résistance sans visage ». Par cela ils entendent la désobéissance spontanée et les petits sabotages du salariat.
« Nous mettons l’accent là-dessus car 1) cela inclut l’activité militante dans la vie quotidienne ; 2) Tout le monde a connu l’expérience de cela ; 3) les autres révolutionnaires ne font pas cas de cela.
« D’autres positions de K.t. sont :
La conscience actuelle de la classe ne peut se voir que dans les actions de la classe. L’expression principale de la lutte de classe est la lutte contre la valeur d’échange, pour la valeur d’usage. Ceci apparaît principalement dans la lutte contre le travail. Les organisations de gauche reproduisent l’organisation du travail (et l’aliénation) dans leur vision du futur ou dans leur propre organisation et, en aucun cas, ne peuvent renforcer le mouvement communiste.
La lutte contre le travail est précisément autant l’expression positive d’une vie se déterminant elle-même qu’une résistance à l’ennui et à la souffrance du travail – c’est-à-dire l’aliénation.
La lutte de classe ne se limite pas à une quelconque partie de l’usine sociale.
Les formes autonomes de la lutte de classe sont, en elles-mêmes les semences dans le présent de la possible révolution future ; elles sont une partie du mouvement communiste.
Le communisme est le mouvement réel que le prolétariat développe dans sa lutte contre le capital.
La communauté humaine se montre elle-même dans le mouvement communiste.
Le communisme signifie la dissolution révolutionnaire du prolétariat par lui-même comme classe. Le prolétariat n’a aucun rapport positif au capital, il est sa négation. » (Kämpa tillsammans !, in Préface à Vi vill ha allting ! – « Nous voulons tout ! » – recueil de textes operaïstes italiens et de Castoriadis, précédés d’une longue préface de K.t., 2003)
[67] Voir Kolinko, Hotlines
[68] Le révolutionnaire, toutefois, n’est pas nécessairement synonyme de « conscience » communiste, même si c’était le cas pour nous. Nous ne souhaitons, d’aucune manière, réduire l’importance de la « théorie » pour l’avènement du communisme, malgré cela nous définissons comme pratique révolutionnaire toute pratique contre et au-delà du rapport au capital, indifféremment du fait que ces pratiques soient ou non révolutionnairement « articulées ». Ce qui est révolutionnaire en pratique ne peut se mesurer que par la relation de l’action aux abstractions du capital, son potentiel en devenir, et non pas en regard des incitations qui motivent l’action.
[69] Marx, Un chapitre inédit du capital, Éditions 10/18, p. 226–227
[70] Voir Karl-Heinz Roth, l’« Autre » mouvement ouvrier, Éditions Bourgois
[71] Lawrence, Les 7 piliers de la sagesse, p. 22–23
[72] Nietzsche, L’Histoire et la vie, Un reflet indémodable
[73] T. E. Lawrence, Les 7 piliers de la sagesse, p. 23
[74] Verner von Heidenstam, Hans Alienus
[75] Butler, p. 178
[76] Ibid, p. 179
[77] Pour en savoir plus sur la vision insurectionnaliste de l’attaque, voir « Some notes on insurrectionary anarchism » sur Killing King Abacus n°2.
[78] Barrot, « Critique de l’idéologie ultra-gauche », in Communisme et question russe, Spartacus, 1984 [I.C.O. 1969], p. ?.
[79] Ibid., p. ?.
[80] Camatte, Origine et fonction de la forme parti, p. 10
[81] Que les luttes de la classe ouvrière aient été révolutionnaires reste vrai jusqu’au point où la part révolutionnaire de ces luttes du prolétariat empirique est l’attaque par cette entité concrète des abstractions capitalistes qui constituent le capital en tant que tel.
[82] Au lieu de cela, ils auraient dû examiner la relation finie, spécifique du prolétariat aux abstractions supra-historiques bien concrètes tout au long de l’histoire entière du capitalisme : par exemple, la forme marchandise, la valeur, le travail abstrait, etc.
[83] Ibid, p. 28
[84] Une grande partie de Riff-Raff n°3–4 porte sur les enquêtes militantes. En outre, deux enquêtes militantes ont été publiées. L’une analyse la composition de classe dans un entrepôt et l’autre décrit la lutte de classe dans un restaurant hamburger.
[85] Camatte, ?
[86] Nous pensons que l’article de Dauvé et Nesic « Prolétaires et travail, un histoire d’amour ? » publié dans Riff-Raff n°3–5, est un bon exemple de point de départ d’une enquête historique de ce genre.
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De la contradiction entre le prolétariat et le capital à la production du communisme
lundi, 14 mai 2007
De la contradiction entre le prolétariat et le capital à la production du communisme
ou
de l’identité de l’abolition du capital et de la production du communisme
Le texte qui suit relie entre eux divers fragments dissiminés dans plusieurs numéros de Théorie Communiste, ces fragments parfois réécrits et organisés tentent d’offrir une synthèse sur une question qui traverse et crée des clivages à l’intérieur de la théorie de la révolution comme communisation depuis que l’évidence de la mort du programmatisme l’a rendue incontournable (cf. La question interne au concept de communisation dans les notes Sur Meeting 3).
-# L’exploitation comme contradiction
a) L’exploitation
Le capital est valeur en procès, cela signifie que la contradiction entre le prolétariat et le capital se noue dans le seul rapport qui peut être le leur : l’exploitation.
L’exploitation est la succession de trois moments :
- le face à face de la force de travail et du capital en soi et l’achat-vente de la force de travail,
- l’absorption du travail vivant par le travail objectivé dans le procès de production immédiat où se forme la plus-value,
- la transformation de la plus-value en capital additionnel.
b) Une contrainte théorique de la définition
La définition de cette contradiction doit satisfaire à une contrainte théorique. L’exploitation est simultanément la contradiction dynamique et reproductrice du capital et la contradiction portant le communisme comme sa résolution. En considérant l’exploitation comme le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital, nous devons montrer que ce qui fait du prolétariat une classe du mode de production capitaliste en fait identiquement une classe révolutionnaire.
c) Les déterminations de la contradiction
* Séparation, intérêts opposés, implication réciproque, auto-présupposition, subsomption
Ce qui définit l’exploitation comme contradiction, c’est tout d’abord la séparation : le travail d’un côté comme pure subjectivité ; les conditions du travail de l’autre comme objectivité. Le travail est objectif mais il crée l’objectivité comme son non-être à lui. Nous n’avons là qu’une contradiction dans les termes, c’est-à-dire simplement des intérêts opposés, mais qui, déjà, contiennent leur rapport, leur unité.
La contradiction est unité, implication réciproque entre les termes. Chacun se reproduit lui-même en reproduisant l’autre qui est sa négation. Le capitaliste produit l’ouvrier et l’ouvrier le capitaliste. Une implication réciproque est, pour elle-même, nécessaire, elle s’auto-présuppose. Sans cela elle n’est pas implication réciproque mais rencontre fortuite.
La contradiction est auto-présupposition. Le rapport capitaliste est la division d’éléments d’un procès de production qui en réalité forment un tout mais dont l’autonomie est poussée jusqu’à l’antagonisme et la personnification. Ce procès a pour résultat essentiel la reproduction du rapport entre le capital et le travail.
La contradiction en tant qu’implication réciproque se présupposant elle-même est subsomption du travail sous le capital. La relation entre les éléments de l’implication n’est pas symétrique. Non seulement c’est le capital qui absorbe le travail, qui le consomme, mais encore le résultat tout entier du travail est posé sous forme de capital. La plus-value créée par le travail implique la production de surtravail nouveau et toutes les conditions du renouvellement du procès appartiennent au capitaliste.
* Une contradiction pour elle-même
La contradiction en tant que subsomption est le passage à la détermination suivante de l’exploitation comme contradiction : l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le mouvement. C’est cette détermination de ce qu’est une contradiction que nous allons plus longuement développer.
La contradiction comme non-égalité entre ses termes, c’est-à-dire comme subsomption, est le passage à cette détermination. Pour le prolétariat, la nécessité de sa reproduction est quelque chose qu’il trouve face à lui représentée par le capital, il ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est pourtant un pôle nécessaire. Défini comme classe dans le rapport d’exploitation, le prolétariat n’est jamais confirmé dans son rapport au capital.
Cette détermination s’énonce alors ainsi : défini comme classe par l’exploitation (implication réciproque avec le capital, appartenance à la totalité du capital), le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme valeur autonomisée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant. Cela dans la mesure où, comme capital, cette valeur autonomisée pose toujours le prolétariat comme de trop (augmentation de la composition organique) en tant que travail nécessaire, dans le même moment où elle l’implique en tant que travail vivant pour se conserver et s’accroître. Cette détermiantion c’est la loi de la baisse tendancielle du taux de profit qui n’est rien d’autre qu’une contradiction de classes entre le prolétariat et la classe capitaliste qui comporte l’originalité suivante : le prolétariat est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe.
Pour définir une contradiction, il ne suffit pas de constater une implication réciproque des termes, ni même des intérêts opposés : capital financier et capital productif, aires nationales d’accumulation, petit et grand capital, importateurs et exportateurs, peuvent avoir des intérêts opposés, ils ne représentent pas les pôles d’une contradiction. La contradiction entre le prolétariat et le capital est une contradiction en ce que l’opposition de leurs intérêts est aussi la remise en cause de leur propre existence en tant que définie dans cette opposition d’intérêts.
L’exploitation comme rapport entre le prolétariat et le capital est une contradiction en ce qu’elle est un procès en contradiction avec sa propre reproduction (baisse du taux de profit), totalité dont chaque élément n’existe que dans sa relation à l’autre et se définissant dans cette relation comme contradiction à l’autre et par là à soi même, tel que le rapport le définit (travail productif et accumulation du capital ; surtravail et travail nécessaire ; valorisation et travail immédiat). Le capital est une contradiction en procès, ce qui signifie que le mouvement qu’est l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le contenu et le mouvement. En ce sens, c’est un jeu qui peut amener à l’abolition de sa règle, nous n’avons plus affaire au processus du « capital seulement », mais à la lutte des classes. Elle est, comme contradiction entre le prolétariat et le capital, le procès de la signification historique du mode de production capitaliste ; elle définit l’accumulation du capital comme « contradiction en procès » ; elle définit l’accumulation du capital comme sa nécrologie.
On ne peut en rester là, la contradiction entre les éléments qui est une contradiction à eux-mêmes implique une étape suivante. C’est l’objet comme totalité, le mode de production capitaliste, qui est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses éléments parce que cette contradiction à l’autre est pour chaque élément une contradiction à soi même, dans la mesure où l’autre est son autre.
* Dépassement
Nous arrivons à l’ultime détermination de la contradiction : le dépassement. Son dépassement est son mouvement de par la position et l’activité d’un de ses termes qui, de par la contradiction, pose sa reproduction en contradiction avec elle-même. Le concept d’exploitation définit les classes en présence (prolétariat et classe capitaliste) dans un strict rapport d’implication réciproque sur la base du travail productif et de l’extraction de plus-value. Dans la mesure où la forme de la plus-value est le profit, les classes sont la polarisation sociale et historique de la contradiction qu’est toujours, pour le capital lui-même, sa valorisation comme extraction de plus-value et inversement, pour le prolétariat lui-même, la reproduction de ce qu’il est comme travail productif de plus-value. En tant que polarisation, les classes ne sont pas des listes d’individus, elles ne sont pas une sorte d’ « état-civil », elles sont construites dans leur contradiction. Mais les situations ne sont pas symétriques en ce que le capital reprend en lui-même, dans sa dynamique de contradiction en procès, dans la dynamique de son accumulation, la contradiction à lui-même qu’est sa valorisation comme extraction de plus-value.
Dans cette contradiction qu’est l’exploitation, c’est son aspect non symétrique qui nous donne le dépassement. Quand nous disons que l’exploitation est une contradiction pour elle-même nous définissons la situation et l’activité révolutionnaire du prolétariat. On déduit de la définition de l’exploitation comme contradiction qu’il y a identité entre ce qui fait du prolétariat une classe de ce mode de production et ce qui en fait une classe révolutionnaire. Mais on déduit également que cela ne signifie pas que les prolétaires « sont » révolutionnaires comme le ciel « est » bleu, parce qu’ils « sont » salariés, exploités, ni même la dissolution des conditions existantes. Cela signifie seulement que la reproduction du capital n’occulte pas la contradiction par laquelle ils peuvent devenir révolutionnaires en la dépassant. En s’autotransformant (identité de la transformation de soi et de l’abolition des circonstances), à partir de ce qu’ils sont, ils se constituent eux-mêmes en classe révolutionnaire. Les prolétaires ne trouvent pas dans leur situation envisagée de façon contemplative et passive des attributs révolutionnaires. Le dépassement, se constituer en classe révolutionnaire, est un produit de la contradiction, de la lutte de classe, dans la mesure seulement où le dépassement de la contradiction gît dans le mouvement de la contradiction se retournant contre elle-même. Il en résulte qu’être une classe révolutionnaire n’est pas une réalité objective de la situation du prolétariat, mais la possibilité d’action contre cette réalité, être révolutionnaire n’est pas une essence mais l’action concrète, historiquement située des ouvriers.
Trouver, dans le mouvement du capital comme contradiction en procès, la nécessité de sa reproduction en contradiction avec elle-même, définit conceptuellement la constitution du prolétariat en classe révolutionnaire abolissant ses conditions d’existence. Mais son auto-transformation est le produit de sa propre action à partir de sa contradiction avec le capital devenue, dans ce cycle de luttes, la contradiction avec sa propre existence comme classe. La possibilité pour le prolétariat de devenir le sujet révolutionnaire ne gît pas dans le développement linéaire de caractéristiques qu’il possèderait dans son être de classe du mode de production capitaliste. Au contraire, dans cette situation, ne se trouve que la possibilité d’entrer en guerre contre tout ce qui le définissait antérieurement. Les hommes qui vivent au coeur du conflit du capital comme contradiction en procès et qui n’y trouvent jamais aucune confirmation d’eux-mêmes sont en situation de le détruire en se constituant en communauté révolutionnaire. Ils trouvent alors, dans ce qu’ils sont contre le capital, le contenu de l’abolition du capital comme production du communisme.
d) La contradiction est une histoire
* L’accumulation fait partie de la définition du prolétariat
Définir ainsi la contradiction nous amène à ne pas laisser le cours historique de l’accumulation en dehors ou comme simple réalisation de la contradiction. L’activité du prolétariat ne se définit pas par rapport à l’accumulation qui serait une condition, simplement parce qu’on ne peut définir le prolétariat sans intégrer l’accumulation dans cette définition. Chaque époque historique de l’accumulation du capital n’est pas un ensemble de conditions par rapport à un prolétariat défini de façon statique une fois pour toutes, mais fait partie de la définition même de la classe au travers de l’exploitation. On ne peut même pas dire que le niveau qualitatif et quantitatif de l’accumulation est intégré car l’accumulation ni ne préexiste, ni n’existe d’une façon quelconque en dehors de la définition du prolétariat par l’exploitation. Le prolétariat se définit dans la totalité des moments de l’exploitation donc en tant qu’elle implique son renouvellement et en produit les conditions. L’accumulation n’est pas une condition externe des victoires ou des défaites, une conjoncture. Définir le prolétariat dans les trois moments de l’exploitation, c’est comprendre que le développement du capital n’est pas la réalisation ou la condition de la contradiction de classe qui oppose le prolétariat à la classe capitaliste, c’est son histoire réelle. Cette contradiction ne revêt pas des formes différentes parce qu’elle n’est rien d’autre que ces formes qui sont la dynamique de leur propre transformation.
L’exploitation est l’identité du développement du mode de production capitaliste et de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Le procès historique du capital est lutte de classes, il est désobjectivé. Nous historicisons la contradiction et donc la révolution et le communisme et pas seulement leurs circonstances.
* La révolution et le communisme sont historiques
Le cours de la contradiction, parce qu’elle ne relie pas symétriquement ses pôles, devient l’histoire du mode de production capitaliste. Ce que sont la révolution et le communisme se produit historiquement à travers les cycles des luttes qui scandent le développement de la contradiction qui n’existe que dans cette scansion. Elle définit ses termes non comme des pôles ayant une nature déterminée se modifiant dans l’histoire, agissant par rapport à un mouvement extérieur de l’accumulation posée comme conditions de leur action, mais elle fait du rapport entre les termes et de son mouvement « l’essence » de ses termes. Si je dis : la période de la Commune de Paris et celle de la Révolution russe ou de la Révolution allemande sont toutes les deux « lutte de classes » (contradiction entre le prolétariat et le capital), c’est une évidence ; mais si je dis : cette abstraction, la contradiction entre le prolétariat et le capital, se réalise ou même seulement existe dans ces périodes concrètes, la relation historique entre ces période et, de façon générale, l’histoire de la lutte des classes deviennent mystiques. L’abstraction générale n’est pas une propriété du concret. La production historique de la révolution et du communisme signifie qu’avec la fin du programmatisme, on passe d’une perspective où le prolétariat trouve en lui-même, face au capital, sa capacité à produire le communisme, à une perspective où cette capacité n’est acquise que comme mouvement interne de ce qu’elle abolit. Cette capacité se situe par là-même dans un procès historique, elle définit le dépassement du rapport et non le triomphe d’un de ses termes sous la forme de sa généralisation.
Ce dernier point est théoriquement discriminant, l’échec des cycles de luttes programmatiques, d’affirmation de la classe, doit être considéré comme un échec historique, il ne faut ni jeter le bébé avec l’eau du bain, ni chercher à « refaire la révolution allemande » en plus « radical » (moins la gestion). Ce n’est pas parce qu’il était gestionnaire que le mouvement dont les Gauches ont été l’expression a échoué, c’est parce qu’il ne pouvait que l’être, en ce que le cycle de luttes était celui de l’affirmation du travail.
Le caractère historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital signifie une relation chaque fois spécifique, dans un cycle de luttes, entre les luttes quotidiennes et la révolution. Cela signifie également l’historicité du contenu du communisme. Le communisme est historique et il est en relation avec le cours immédiat de chaque cycle de luttes. Le communisme de 1795 n’est pas celui de 1848, ni de 1871 ou de 1917, et encore moins de 1968 ou maintenant le nôtre. Quand nous disons que la révolution ne peut être que communisation immédiate, cela ne signifie pas que le communisme se présente maintenant, enfin, tel qu’il aurait toujours été en réalité ou tel qu’il aurait dû toujours être.
e) Parce que l’exploitation est une contradiction, la lutte de classe n’est pas double
* Un drôle de jeu qui abolit sa règle
La définition de l’exploitation comme contradiction entre les classes résoud la contrainte théorique que nous nous étions fixée.
La réalité de la lutte de classe n’est pas double. Il n’y a pas, comme enfouie dans les luttes revendicatives, la réalité cachée d’une tension au communisme se manifestant plus ou moins. Nous sommes tout simplement dans une lutte de classes qui a pour contenu la contradiction qu’est l’exploitation et pour mouvement la baisse tendancielle du taux de profit qui est directement une contradiction entre les classes, entre le prolétariat et la classe capitaliste. A travers la baisse du taux de profit, l’exploitation est un procès constamment en contradiction avec sa propre reproduction ; le mouvement qu’est l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le contenu et le mouvement. Non seulement, nous n’avons pas besoin d’une réalité double, mais encore une réalité double nous empêche de comprendre l’importance révolutionnaire de la lutte pour le partage de la valeur produite et l’aspect ordinaire des batailles en faveur du communisme.
L’exploitation est ce drôle de jeu où c’est toujours le même qui gagne (parce qu’elle est subsomption) en même temps, et pour la même raison, que c’est un jeu en contradiction avec sa règle et une tension à l’abolition de cette règle. Le communisme est le mouvement contradictoire du mode de production capitaliste, le procès de sa caducité. Il n’est pas un sens caché dans une « réalité double » de la lutte des classes. Le dépassement est inclus comme contenu même de la contradiction entre le prolétariat et le capital, et cela en tant que formes les plus immédiates de la lutte des classes.
* Le prolétarait n’existe pas deux fois
La classe n’existe pas deux fois, une fois comme reproductrice du capital et se battant dans les limites de cette reproduction et une deuxième fois comme tension au communisme.
La lutte des classes n’est rien d’autre que le capital comme contradiction en procès, elle produit son dépassement et n’existe qu’en ce qu’elle le produit. Il faut abandonner toutes ces dualités qui ne sont que l’héritage de notre longue incapacité à sortir d’une conception programmatique de la révolution. « Classe en soi » et « classe pour soi », « lutte interne à sa reproduction » ou « lutte externe créant d’autres rapports », « prolétaire » ou « être générique », c’est à la même fausse question que l’on cherche à répondre : quelle est, face ou dans la reproduction quotidienne, la nature révolutionnaire du prolétariat et quelles sont les conditions de l’actualisation de cette nature, comment se manifeste-t-elle ? Il faut définitivement achever le fantôme du programmatisme qui nous contraint à ne pouvoir parler du communisme que dans une dissociation de la réalité de la lutte de classe ou une dualité du prolétariat.
La contradiction comme implication réciproque, outre l’impossibilité de l’affirmation du prolétariat et la critique de toute nature révolutionnaire comme une essence définitoire enfouie ou masquée par la reproduction d’ensemble (l’autoprésupposition du capital), signifie que la contradiction entre prolétariat et capital est histoire.
-# Lutte de classe et abolition des classes
a) Structure et contenu de la contradiction : vers l’appartenance de classe comme contrainte extérieure
* La fin d’une époque
On arrive au point discriminant qui est la compréhension de la situation actuelle : défaite d’un cycle de luttes / restructuration / nouveau cycle de luttes. Mais, il ne suffit pas de dire que, dans les années 1970, il y a eu défaite ouvrière, il faut dire laquelle, la préciser : celle de l’affirmation de la classe, de sa montée en puissance comme marchepied de la révolution, c’est-à-dire du mouvement ouvrier, de l’autonomie, de l’auto-organisation. Le rapport d’exploitation ne contient plus aucune confirmation d’une identité ouvrière, plus aucune base de faire valoir autonome de la classe. Il y a eu une époque de la transcroissance entre luttes revendicatives et révolution, celle du programmatisme, celle du mouvement ouvrier, celle de l’autonomie. Cette époque est définitivement révolue.
De la même façon il ne suffit pas de parler de restructuration à partir des années 1970, il faut la préciser. Sans ces précisions, on ne définit pas comme histoire la contradiction entre le prolétariat et le capital. Cette définition de la restructuration et d’un nouveau cycle de luttes est la condition sine qua non pour concevoir une nouvelle structuration et un nouveau contenu de la contradiction et sortir des apories du programmatisme, sans chercher dans le prolétariat quelque chose qui excède sa stricte relation de classe au capital (être générique, humanité…) et justifierait une action « extérieure » qui brise la fatalité de la reproduction. C’est-à-dire concevoir l’activité révolutionnaire non comme l’expression d’une nature, mais comme situation.
* Une contradiction restructurée
La situation antérieure de la lutte de classe, et le mouvement ouvrier, reposaient sur la contradiction entre d’une part la création et le développement d’une force de travail mise en oeuvre par le capital de façon de plus en plus collective et sociale, et d’autre part les formes apparues comme limitées de l’appropriation par le capital, de cette force de travail, dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. Voilà la situation conflictuelle qui se développait comme identité ouvrière
La nouveauté de la période réside dans la structure et le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital qui se situe au niveau de la reproduction. Tout ce qui pouvait faire obstacle à la fluidité de l’auto-présupposition du capital, tant dans le procès de production immédiat (travail à la chaîne, coopération, production-entretien, travailleur collectif, continuité du procès de production, sous-traitance, segmentation de la force de travail) que dans la reproduction de la force de travail et sa mobilisation (travail, chômage, formation, welfare), ainsi que dans les modalités de l’accumulation et de la circulation est aboli (service public, bouclage de l’accumulation sur une aire nationale, inflation glissante, dématérialisation de la monnaie, “partage des gains de productivité”).
La contradiction peut en cela porter le dépassement immédiat du capital comme abolition de toutes les classes. Etre en contradiction avec le capital cela signifie immédiatement, pour le prolétariat, être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe dans la mesure où il n’existe comme classe que dans son rapport au capital, sans que celui-ci ne permette aucun retour sur lui-même, aucune confirmation. C’est dans le rapport aux luttes quotidiennes de cette restructuration que prend forme la possibilité de la production, par le prolétariat, de son existence comme classe, comme d’une contrainte extérieure dans le capital. C’est alors le dépassement du cours des luttes quotidiennes et l’autotransformation du prolétariat. Produire son appartenance de classe dans le capital, comme une contrainte extérieure, et une contingence, c’est dans la révolution, dans la crise de l’implication réciproque, le dépassement du cours quotidien des luttes revendicatives produit à partir de ces luttes elles-mêmes et en leur sein. C’est la perspective offerte par ce cycle de luttes, non comme une transcroissance mais comme un dépassement produit.
C’est la dynamique de ce cycle de luttes, mais c’est aussi ce qui fait l’identité de cette dynamique avec sa limite. Cette identité nous pouvons la constater quotidiennement, c’est-à-dire constater qu’agir en tant que classe ne contient immédiatement plus rien d’autre que la reproduction des rapports capitalistes. Mais l’identité n’est pas une confusion, elle n’est pas sans médiation, elle contient la différence comme un écart à l’intérieur d’elle-même.
b) Les luttes actuelles : lutter en tant que classe / se remettre en cause comme classe
* Un écart à l’intérieur de la lutte de classe
Les luttes revendicatives ont des caractéristiques qui, réunies, constituent un ensemble impensable il y a une trentaine d’années.
Durant les grèves de décembre 95 en France, dans la lutte des sans-papiers, des chômeurs, des dockers de Liverpool, de Cellatex, d’Alstom, de Lu, de Marks et Spencer, dans le soulèvement social argentin, dans l’insurrection algérienne, etc., telle ou telle caractéristique de la lutte apparaît, dans le cours de la lutte elle-même, comme limite en ce que cette caractéristique spécifique (service public, demande de travail, défense de l’outil de travail, refus de la délocalisation, de la seule gestion financière, récupération des usines, auto-organisation, etc.), contre laquelle le mouvement se heurte souvent dans les tensions et les affrontements internes de son recul, se ramène toujours au fait d’être une classe et de le demeurer, ce que contrairement à la période précédente, il est devenu impossible de positiver comme annonce de l’affirmation de la classe.
Il ne s’agit pas, le plus souvent, de déclarations fracassantes ou d’actions « radicales », mais de toutes les pratiques de « fuite » ou de dénégation des prolétaires vis-à-vis de leur propre condition. Dans les luttes suicidaires comme Cellatex, dans la grève de Vilvoorde et bien d’autres éclate que le prolétariat n’est rien séparé du capital, même pas le travail productif. C’est l’inessentialisation du travail qui devient l’activité même du prolétariat, tant de façon tragique dans ses luttes sans perspectives immédiates (suicidaires) et dans des activités autodestructrices, que comme revendication de cette inessentialisation comme dans la lutte des chômeurs et précaires de l’hiver 1998. Quand apparaît, comme lors de la grève des transports italiens ou des ouvriers de la FIAT à Melfi, que l’autonomie et l’auto-organisation ne sont plus que la perspective de rien, c’est là que se constitue la dynamique de ce cycle et que se prépare le dépassement de la lutte revendicative à partir de la lutte revendicative. Le prolétariat est face à sa propre définition comme classe qui s’autonomise par rapport à lui, qui lui devient étrangère. Les pratiques auto-organisationnelles et leur absence de devenir en sont le signe patent.
La multiplication des collectifs et la récurrence des grèves intermittentes (les grèves du printemps 2003 en France, la grève des postiers anglais) rendent palpable, en cherchant à s’en démarquer, que l’unité de la clase est une objectivation dans le capital. Dans ces luttes, c’est l’extériorisation de l’appartenance de classe qui est annoncée comme caractéristique actuelle, présente, de la lutte en tant que classe. « Aller plus loin », ce serait, dans d’autres circonstances, la contradiction entre ces luttes de classes dans leur diversité et l’unité de la classe objectivée dans le capital. Ce qui se joue dans ces mouvements diffus, segmentés et discontinus, c’est la création d’une distance avec cette unité « substantielle » objectivée dans le capital. L’unité de la classe ne peut plus se constituer sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable à son activité révolutionnaire. L’unité du prolétariat ne peut plus être que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant tout ce qui le divise.
Mettre le chômage et la précarité au coeur du rapport salarial ; définir le clandestin comme la situation générale de la force de travail ; poser - comme dans la Mouvement d’action directe (Black Blocs, etc.) - l’immédiateté sociale de l’individu comme le fondement, déjà existant, de l’opposition au capital ; mener des luttes suicidaires comme celle de Cellatex et d’autres du printemps et de l’été 2000 ; renvoyer l’unité de la classe à une objectivité constituée dans le capital ; prendre pour cible tout ce qui nous définit, tout ce que nous sommes comme dans les émeutes des banlieues françaises en 2005 ; trouver dans l’élargissement revendicatif la remise en cause de la revendication elle-même comme lors de la lutte anti-CPE, sont pour chacune de ces luttes particulières des contenus qui construisent la dynamique de ce cycle à l’intérieur et dans le cours de ces luttes. Dans la plupart des luttes actuelles apparaît la dynamique révolutionnaire de ce cycle de luttes qui consiste à produire sa propre existence comme classe dans le capital donc se remettre en cause comme classe (plus de rapport à soi), cette dynamique a sa limite intrinsèque dans ce qui la définit elle-même comme dynamique : agir en tant que classe.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe. Ce conflit, cet écart, dans l’action de la classe (se reproduire comme classe de ce mode de production / se remettre en cause) existe dans le cours de la plupart des conflits, la défaite est le rétablissement de l’identité.
* La rupture s’annonce dans les luttes quotidiennes
La rupture, le saut qualitatif, entre le cours quotidien des luttes et la révolution s’annoncent dans le cours quotidien comme la multiplication des écarts dans cette identité. Il ne s’agit pas de considérer les éléments qui constituent cette annonce comme des germes à développer, mais comme ce qui rend invivable cette identité chaque fois que le prolétariat, dans son action, extranéise son existence comme classe comme une contrainte existant dans le capital, face à lui. Entre la constitution de la classe dans sa contradiction avec le capital et sa nécessaire reproduction dans la reproduction de celui-ci existe un écart qui est l’existence de pratiques dans lesquelles le prolétariat, contre le capital, n’accepte plus son existence comme classe de ce mode de production, sa propre existence, sa propre définition sociale.
Deux points résument l’essentiel du cycle de luttes actuel :
* la disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital, c’est la fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire ;
* avec la restructuration du mode de production capitaliste, la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective. Dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat se remet lui-même en cause.
Il en résulte que la révolution n’est pas la victoire du prolétariat : il ne peut plus y avoir montée en puissance et transcroissance des luttes immédiates à la révolution. S’il n’y a pas transcroissance, il y a donc un moment de rupture qui distingue les luttes revendicatives de la révolution autant qu’il les coordonne. Cette rupture est un dépassement, mais un dépassement produit, c’est-à-dire qu’il n’est pas sans relation avec les « luttes ordinaires ».
-# Le même contenu historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital structure le cours quotidien et confère un contenu spécifique à son dépassement
a) Des luttes actuelles à l’immédiateté sociale de l’individu
Quand, en Angleterre, en 1854, le cours quotidien des luttes revendicatives aboutit à la constitution, à Manchester d’un « Parlement ouvrier » (avec le soutien enthousiaste de Marx : Oeuvres politiques, Pléiade, p. 754), ce « Parlement » proclame comme son but que « les ouvriers deviennent les maîtres de leur propre travail, afin de s’émanciper un jour tout à fait de l’esclavage salarié » et que « Si l’ouvrier a le droit indiscutable de participer aux profits de l’employeur, à plus forte raison a-t-il le droit d’être son propre employeur... ».
Le cycle de luttes actuel se caractérise par la disparition de l’identité ouvrière, par le fait que toute lutte trouve dans ce qui la définit sa propre limite comme reproduction du capital, c’est-à-dire agir en tant que classe. Actuellement, pour le prolétariat, affronter le capital c’est affronter sa propre constitution et sa propre existence comme classe. Déterminée par la structure de la contradiction entre les classes dans ce cycle, la contradiction au niveau de l’autoprésupposition des rapports de production capitalistes confère au communisme le contenu du libre développement de l’immédiateté sociale de l’individu. Ce n’est que comme produit d’un cycle de luttes où la lutte contre le capital contient pour le prolétariat sa propre remise en cause et sa propre abolition que l’homme ne cherchera pas à demeurer quelque chose qui a été, que la révolution peut être l’abolition de toute particularité sociale à reproduire. L’abolition du prolétariat est l’aboutissement d’un cycle de luttes qui contient, pour cette classe, la remise en cause d’elle-même dans sa contradiction avec le capital et qui définit alors le contenu de son dépassement comme la capacité de traiter tout le développement historique antérieur comme prémisse d’un libre développement : absence de mesure des activités humaines d’après un étalon préétabli (la communisation est une désobjectivation du monde).
L’activité du prolétariat dans la révolution est l’appartenance de classe apparaissant comme une contrainte extérieure, elle est encore une relation entre le prolétariat et le capital, cette relation peut être qualifiée de rapport de prémisse.
b) La révolution : rapport de prémisse
« Mais au fait que sera la richesse une fois dépouillée de sa forme bourgeoise encore limitée ? Ce sera l’universalité des besoins, des capacités, des jouissances, des forces productives, etc. des individus, universalité produite dans l’échange universel. (…) Ce sera l’épanouissement entier de ses capacités créatrices, sans autre présupposition que le cours historique antérieur qui fait de cette totalité du développement un but en soi ; en d’autres termes, développement de toutes les forces humaines en tant que telles, sans qu’elles soient mesurées d’après un étalon préétabli. L’homme ne se reproduira pas comme unilatéralité, mais comme totalité. Il ne cherchera pas à demeurer quelque chose qui a déjà été, mais s’insèrera dans le mouvement absolu du devenir » (Marx, Fondements ... Ed Anthropos, t.1, p.450). Nous n’avons pas affaire là à un état social indépendant du développement même du capital, qui ne ferait que lui succéder, mais à la résultante de ce développement contradictoire. La production de ce devenir s’effectue comme lutte de classes, et plus précisément comme contenu de la contradiction dans laquelle le prolétariat abolit les classes.
Le rapport de prémisse se définit par la simultanéité de l’implication du prolétariat par le capital et de son incapacité qualitative, de par la structure et le contenu de la contradiction (contradiction au niveau de la reproduction) à valoriser la valeur accumulée. Tout le travail passé, toute l’histoire, et toute l’universalité même de la situation du prolétariat, apparaissent non comme quelque chose à reproduire mais comme la prémisse d’un libre développement ne considérant rien de ce qui lui préexiste et rien de ce qu’il pose lui-même comme quelque chose à reproduire. Rapport entre les classes, le rapport de prémisse n’est pas une base objective existant en dehors de la pratique du prolétariat, il ne sera dans ce stade du procès de la révolution qu’activités de fractions communistes de la classe. Fractions, car la classe est par définition prise dans la reproduction du capital, même en crise ; c’est cela entre autre la médiation de l’activité révolutionnaire, quant à son contenu, par l’opposition au capital. La situation révolutionnaire, comme rapport de prémisse, confère au dépassement les caractéristiques suivantes.
c) Une désobjectivation du monde
L’activité révolutionnaire n’est pas à l’extérieur du rapport du capital. En abolissant toute présupposition antagonique d’une particularité sociale à reproduire, l’activité du prolétariat contre le capital est une désobjectivation pratique du monde dans lequel se meut l’activité humaine ; une désobjectivation de tout le travail social accumulé dans le capital, en ce que celui-ci, comme rapport social, est nécessairement objet. Il fallait le capital pour produire ces notions extravagantes d’activité en soi, et de produits en soi, ou conditions de l’activité. Il fallait le capital, pour poser leur rencontre comme ayant pour préalable, et résultat, l’objectivité, contrainte latente à sa reproduction, forme à reproduire du rapport social, et faire de cette rencontre même le mouvement de l’objectivité. La désobjectivation n’est pas une conséquence de la révolution, mais une activité dans la révolution.
L’activité comme sujet, le produit comme objet, dont la séparation présuppose la rencontre et en résulte tout aussi constamment, perdent leur détermination sociale antithétique de travail et de capital. Comme rapport social à reproduire, le capital est nécessairement objet (capital latent, capital en soi), face au travail. La désobjectivation pratique du monde des produits de l’activité sociale antérieure, c’est l’abolition de leur détermination sociale contradictoire face au travail salarié, et de la détermination sociale contradictoire de l’activité comme sujet en soi, en tant que travail salarié. L’objectivité et la subjectivité sont abolies dans ce qui les définit comme objectivité et subjectivité : la contrainte à être reproduites dans leur séparation. Séparation qui, comme préalable et résultat, définit le capital comme objectivité et le travail salarié comme subjectivité.
d) Abolir le travail salarié, c’est attaquer les moyens de production comme capital
C’est l’insuffisance de la plus-value par rapport au capital accumulé qui est au coeur de la crise de l’exploitation, s’il n’y avait pas au coeur de la contradiction entre le prolétariat et le capital la question du travail productif de plus-value (le mode de production capitaliste est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses éléments), s’il n’y avait qu’un problème de distribution et si tous les conflits sur le salaire n’étaient pas l’existence de cette contradiction, la révolution demeurerait un voeu pieux. Ce n’est donc pas par une attaque du côté de la nature du travail comme productif de plus-value que la lutte revendicative est dépassée (on en reviendrait toujours à un problème de distribution), mais par une attaque du côté des moyens de production comme capital.
La remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe consiste non à modifier le partage entre salaire et profit mais à abolir la nature de capital des moyens de production accumulés. L’attaque contre le travail salarié est une attaque contre la nature de capital des moyens de production, c’est leur abolition comme valeur absorbant le travail pour se valoriser, c’est l’extension de la gratuité, la destruction qui peut être physique de certains moyens de production, leur abolition en tant qu’usine dans laquelle se définit ce qu’est un produit, c’est-à-dire les cadres de l’échange et du commerce, c’est le bouleversement des rapports entre les sections de la production qui matérialisent l’exploitation et son taux, c’est leur définition, leur enchâssement dans les rapports intersubjectifs individuels, c’est l’abolition de la division du travail telle qu’elle est inscrite dans le zonage urbain, dans la configuration matérielle des bâtiments, dans la séparation entre la ville et la campagne. « Les rapports entre individus se sont figés dans les choses, parce que la valeur d’échange est de nature matérielle » (Marx, Fondements..., Ed. Anthropos, t.1, p.97). L’abolition de la valeur est une transformation concrète du paysage dans lequel nous vivons, c’est une géographie nouvelle.
e) Abolition de l’économie, abolition du travail
Le dépassement des conditions existantes, c’est le dépassement de l’objectivation de la production. En cela le communisme est le dépassement de toute l’histoire passée, il n’est pas un nouveau mode de production et ne peut se poser la question de la gestion de celle-ci. C’est une rupture totale avec les notions d’économie, de forces productives, de mesure objectivée de la production. Ce que l’on peut résumer (avec beaucoup de précautions) comme abolition du travail. Dans le dépassement du mode de production capitaliste et donc du travail salarié qui est son rapport social fondamental, il apparaît que la production des rapports entre les individus n’est plus soumise à, médiée par, l’activité de l’homme comme être objectif, qui, médiation entre l’activité individuelle et l’activité sociale, est par là-même la maîtresse et l’objet de leur rapport. Le travail est cette activité comme médiation. Le travail est l’activité de l’homme comme être objectif dans la séparation de l’activité individuelle et de l’activité sociale, il devient par là la substance de son faire-valoir social. Cette séparation n’a pas elle-même à être produite (ni à partir du travail, ni de l’activité en général, ni de l’essence de l’homme, ni de l’être générique, etc., il n’y a ni histoire, ni contradiction du travail), sauf à vouloir produire qu’il y a eu « de l’histoire ». Avec l’abolition du capital, c’est l’homme lui-même, le libre développement de son individualité, qui deviennent le but, le moyen, l’objet de cette activité objective.
Le rapport des individus entre eux, comme contenu de la révolution communiste, ne peut avoir pour but que lui-même et ne peut reproduire comme principe de la société la particularisation d’une activité comme le travail qui est la non-coïncidence du caractère social et individuel de l’activité humaine et leur unification en tant qu’abstraction. Séparation, aliénation, objectivation, au cours de l’histoire de la séparation de l’activité d’avec ses conditions, constituèrent celles-ci en économie, en rapports de production, en mode de production. La non coïncidence entre l’activité individuelle et l’activité sociale, autonomise cette dernière comme économie. Cette autonomisation entre, dans le rapport d’exploitation capitaliste, en contradiction avec elle-même. La communisation n’est donc pas une prise du pouvoir sous quelque forme que cela soit par le prolétariat, mais l’abolition par des mesures pratiques de luttes contre la classe capitaliste de toutes les déterminations du mode de production capitaliste. Cette abolition est positivement la communisation des rapports entre individus en tant qu’individus singuliers. Le communisme comme rapports entre individus singuliers, c’est, d’une certaine façon, l’unicité stirnerienne. Cette « unicité » est le mouvement même d’abolition de toutes les classes, c’est-à-dire l’abolition de l’« individu moyen » (Idéologie Allemande, Ed. Sociales, p. 96), elle trouve son origine dans la capacité des prolétaires à s’autotransformer en affrontant, dans le capital, leur propre existence comme classe. « Cette subordination des individus à des classes déterminées ne peut être abolie tant qu’il ne s’est pas formé une classe qui n’a plus à faire prévaloir un intérêt de classe particulier contre la clase dominante. » (Ibid., p. 93). Ne plus faire prévaloir d’intérêt de classe particulier, à partir de sa propre situation et de sa propre lutte comme classe, c’est la définition même de la communisation (nous ne nous faisons aucune illusion sur la problématique essentialiste de cette proposition dans l’Idéologie allemande).
Le prolétariat n’a pas à réaliser le communisme, les caractéristiques générales du communisme que nous venons d’évoquer sont déduites de la situation révolutionnaire comme rapport de prémisse et ne sont que la mise en forme générale des mesures de communisation prises par le prolétariat à partir de sa situation et de sa remise en cause dans sa contradiction avec le capital.
-# Le Prolétariat définit le communisme
a) L’extranéisation de l’appartenance de classe comme forme et contenu
Le prolétariat trouve, dans ce qu’il est contre le capital, la capacité de communiser la société, au moment où simultanément, il traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital. La contradiction entre les classes devient alors la « condition » de sa propre résolution comme immédiateté sociale de l’individu.
Il faut toujours considérer que la forme de la contradiction (se remettre en cause dans la contradiction avec le capital) n’est que le contenu comme forme. Ce contenu nous le saisissons dans le fait que le prolétariat, défini dans l’exploitation, est la dissolution des conditions existantes en ce qu’il est non-capital, il trouve là le contenu de son action révolutionnaire comme mesures communistes : abolition de la propriété, de la division du travail, de l’échange, de la valeur. Nous sommes là sur l’articulation essentielle qui fait de l’abolition du capital un mouvement positif : elle est production du communisme (il est absurde de séparer les deux).
C’est parce que le prolétariat dans son rapport contradictoire au capital est la dissolution des conditions existantes que la contradiction qu’est l’exploitation peut prendre cette forme de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure dans le capital. Cette structure ultime de la contradiction entre le prolétariat et le capital n’est que ce contenu de la contradiction (le prolétariat comme dissolution des conditions existantes sur la base des conditions existantes) en mouvement, ce contenu comme forme. Cette structuration de la contradiction n’est pas le cadre dans lequel se manifesterait un contenu immuable, une nature révolutionnaire de la classe, une définition préexistante. C’est de par ce qui est au coeur de cette situation de dissolution des conditions existantes dans le rapport contradictoire au capital, c’est-à-dire de par la non-confirmation du prolétariat dans la contradiction, de par le fait qu’aucun des éléments de sa définition n’est quelque chose qui le confirme dans ce rapport, que la contradiction entre prolétariat et capital, l’exploitation, peut se structurer comme extranéisation de l’appartenance de classe. Cette structure de la lutte de classe est alors en elle-même un contenu, c’est-à-dire une pratique. Etre la dissolution des conditions existantes comme classe s’impose dans l’extranéisation de l’appartenance de classe comme quelque chose à dépasser, en même temps qu’elle s’impose comme le présupposé de ce dépassement, qu’elle fournit les axes de celui-ci comme pratique, comme mesures communistes dans la révolution.
b) Le prolétariat dissolution des conditions existantes
* Dissolution de la propriété
Le prolétariat est la dissolution de la propriété sur la base de la propriété. Comme propriété, c’est son activité elle-même qui se dresse face à lui. Sur la base de la propriété, il est la dissolution de la forme autonome de la richesse. En tant que négation de la propriété comme rapport interne à la propriété, le prolétariat est la présupposition nécessaire du dépassement de l’appropriation sur le mode de l’avoir, dissolution de l’objectivité face à l’activité comme subjectivité, dépassement de la détermination contradictoire de la richesse comme objectivité et subjectivité.
* Dissolution de la division du travail
Le prolétariat est la dissolution de la division du travail sur la base de la division du travail. L’aliénation que représente la division du travail n’est pas en soi dans le fait de fixer chaque individu dans un développement unilatéral, mais dans le fait que cette fixation n’existe qu’en corrélation avec l’accession à l’indépendance du caractère social de l’activité humaine. Dans le mode de production capitaliste la division du travail parvient à un stade où une classe peut être sa dissolution interne, et comme activité révolutionnaire, la présupposition de son dépassement.
Face au prolétariat l’objectivation du travail social n’est pas représenté dans l’argent et les autres producteurs, car il n’est pas lui même un petit producteur, ni même dans un capital particulier, car producteur de valeur en ce qu’il produit de la plus-value, l’objectivation de ce travail est le capital comme totalité de capitaux dans la péréquation du taux de profit, c’est-à-dire capital social. Producteur de plus-value, le prolétariat se rapporte à chaque capital en tant que partie aliquote du capital total. La capacité du prolétariat à traiter, dans son abolition, la multiplicité des activités comme totalité ne résulte pas seulement de ce que producteur de valeur, son travail n’est par là même attaché à aucune production particulière, mais encore être producteur de valeur cela implique le total développement de la division manufacturière. L’extrême division manufacturière du travail se rapporte au travail concret, mais elle n’existe que parce que ce travail concret doit se prouver comme travail abstrait, que par le double caractère du travail. Ainsi, pour le prolétariat, être la dissolution de la division du travail sur la base de la division du travail, parce qu’il est travail vivant producteur de valeur et de plus-value, le fonde à traiter l’activité humaine comme totalité.
En outre la relation, dans le prolétariat, entre la division sociale et la division manufacturière du travail, le fonde à traiter l’activité humaine comme totalité à partir de chaque activité particulière qui inclut cette totalité. Il ne s’agit plus alors de concevoir l’activité humaine en tant qu’elle est traitée comme totalité, au travers d’une réorganisation de la production, d’une globalisation, d’une planification, qui à nouveau ne ferait que définir les parties comme des accidents de la totalité (cf, la division du travail dans le mode de production asiatique ou la communauté traditionnelle). C’est là que gît, dans ce double aspect du travail qui est divisé (double aspect où chaque aspect se détermine l’un l’autre dans la production capitaliste de la valeur), la capacité à produire cette immédiateté de l’enchaînement général du travail social dans chaque activité concrète, et non comme une globalisation, ou une résultante de ces activités. En fait cela signifie que les activités humaines n’ont alors d’autre but qu’elles mêmes et leurs objets, sur lequel elles s’appliquent, et non plus une finalité externe (capital, valeur, reproduction de l’unité supérieure, etc.), ce qui permet de dire qu’elles ne sont plus travail, ce qui en retour autorise la définition de celui-ci.
* Dissolution de l’échange et de la valeur
Le prolétariat est la dissolution de l’échange et de la valeur sur la base de l’échange et de la valeur. Dans le système de la valeur, la négation d’elle-même passe nécessairement par sa forme en mouvement : l’échange.
Le premier aspect par lequel le prolétariat est négation de l’échange sur la base de l’échange repose sur l’échange du travail vivant contre du travail objectivé, échange dans lequel en définitive le capitaliste ne fait que remettre à l’ouvrier une partie de son travail précédemment objectivé. De là, contre le capital, le prolétariat trouve, dans ce qu’il est, la capacité, abolissant le capital, de produire et traiter l’activité humaine comme son propre processus de renouvellement en dehors de toute autre présupposition.
Le second aspect par lequel le prolétariat est la négation de l’échange sur la base de l’échange repose sur le fait que le capital, pour se valoriser, met en oeuvre du travail promu au rang de travail social mais qui n’est tel qu’ayant son caractère social objectivé en face de lui, ce n’est que dans ce rapport qu’on peut le qualifier de travail directement social. Les caractéristiques de l’accumulation du capital, l’universalisation et la socialisation du travail comme antagonisme au travail lui-même, fondent pour le prolétariat la capacité, abolissant le capital, de produire la situation dans laquelle toute activité trouve sa fin en elle-même, en ce qu’elle est présupposée par toutes les activités contemporaines et passées, et les concentre. C’est l’abolition de tout ce qui pourrait encore être de l’ordre du travail abstrait.
Le prolétariat est donc la négation de l’échange sur la base de l’échange, en ce que l’échange est l’affirmation du caractère social de toute activité, dans l’aliénation, comme extérieure à elle-même. Le processus de production et d’exploitation capitaliste ne peut mettre en oeuvre qu’un travail socialisé en vue de la création de valeur, c’est là une contradiction en procès qui, dans le mode de production capitaliste, prend l’existence bien réelle de l’incapacité pour le travail vivant à valoriser la masse croissante du capital fixe où s’objective, séparé de lui, son caractère social.
* Dissolution des classes
Le prolétariat est en tant que classe, la dissolution des classes. Etre la dissolution des classes n’est pas être autre chose que la dissolution des conditions existantes, mais il ne s’agit pas du même niveau, être la dissolution des classes c’est être la dissolution des conditions existantes comme pratique, comme lutte de classe, c’est la dissolution des conditions existantes en ce que comme classe particulière cette dissolution est un sujet, une pratique révolutionnaire. Le prolétariat n’est jamais confirmé dans sa situation de classe par la reproduction du rapport social dont il est un des pôles. Il ne peut donc triompher en devenant le pôle absolu de la société.
Contre le capital, dans l’aspect le plus immédiat de sa pratique, de ce qu’il fait, le prolétariat ne veut pas rester ce qu’il est ; il ne s’agit pas là d’une contradiction interne. Il agit bien en tant que classe : se changer soi même et changer ces conditions coïncident. On a, à ce niveau, la dissolution des conditions existantes comme action d’un sujet, comme pratique résumant la dissolution des conditions existantes dans une classe, qui est la dissolution des classes simplement parce qu’elle lutte en tant que telle. C’est dans sa contradiction avec le capital que le prolétariat est une classe qui ne se détermine jamais positivement en elle-même, ce n’est donc que contre le capital et non en lui-même qu’il est la dissolution des classes.
L’appartenance de classe n’est pas en soi une aliénation par rapport à un individu isolé, une personne qui devrait se définir, ou non, comme socialement membre d’une classe. L’appartenance de classe, être un individu particulier, est une aliénation dans la mesure où c’est nécessairement poser la classe antagonique, la séparation d’avec la communauté, comme sa propre définition d’être de la communauté. Ce qui est également vrai pour la classe capitaliste à la différence que la classe capitaliste est l’agent de la reproduction générale du rapport et se présente constamment comme concentrant en elle la totalité du processus
Analyser le prolétariat comme dissolution des classes en tant que classe particulière n’aboutit qu’à comprendre comment, abolissant le capital, le prolétariat trouve dans ce qu’il est, dans cette contradiction, la capacité à produire le communisme comme développement de l’humanité ne considérant rien de ce qui a été produit comme limite : auto-production de l’humanité ne posant aucun rapport social comme présupposition à reproduire, auto-production comme manque, passion, destruction et création constante, posant sans cesse le devenir comme prémisse. De la même façon que, dans le prolétariat comme classe particulière qui est la dissolution des classes, on avait la synthèse de toutes les autres dissolutions qu’est le prolétariat (propriété, échange, valeur, division du travail), dans son abolition comme classe, qui est produite dans la révolution, on retrouve le contenu positif du dépassement de toutes les aliénations, qui dans leurs diversités constituent le contenu des mesures communistes prises par le prolétariat au cours de la révolution.
c) L’immédiateté sociale de l’individu
L’immédiateté sociale de l’individu, cela signifie fondamentalement l’abolition de la division de la société en classes, scission par laquelle la communauté est étrangère à l’individu. On peut alors approcher positivement ce que sont les individus immédiatement sociaux, ou plutôt ce que sont les rapports d’individus immédiatement sociaux dans leur singularité (à ce point des choses le terme lui-même de « social » est ambigu). Leur auto-production dans leurs rapports réciproques n’implique jamais une reproduction dans un état qui serait une particularisation de la communauté, ce qui est impliqué par la division du travail, la propriété, et les classes. Les individus immédiatement sociaux traitent consciemment tout objet comme activité humaine et dissolvent l’objectivité en un flux d’activités (dépassement du prolétariat comme dissolution de la propriété sur la base de la propriété) ; ils traitent leur propre activité comme particularisation concrète de l’activité humaine (idem pour la division du travail) ; ils considèrent pratiquement leur production et leur produit, dans leur coïncidence, comme étant leur propre fin en soi et incluant leurs déterminations, leurs possibilités d’effectuation et leurs finalités (idem pour l’échange et la valeur) ; et finalement ils posent leurs relations, en tant que multiplicité diverse de relations ne se ramenant jamais à un étalon ou une norme communs, comme étant à produire constamment dans le rapport entre individus, et chaque relation comme prémisse de sa transformation (idem pour les classes).
Dissolution des conditions existantes du mode de production capitaliste, comme classe, le prolétariat, sans se figurer que toute l’histoire passée n’avait comme but que de parvenir à cette situation est la présupposition dans sa contradiction avec le capital du dépassement de toute cette histoire.
La communisation n’est pas une totalité abstraite, elle n’est que les mesures communistes pratiquées comme simples mesures de luttes par le prolétariat contre le capital.
d) La communisation est un moment de la lutte des classes
* Mesures communistes : mesures de luttes
Le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail, comme capital, valeur autonomisée face à lui et ne le demeurant qu’en se valorisant (c’est la baisse tendancielle du taux de profit). C’est ainsi qu’il est amené à s’attaquer à sa propre situation. Dissolution des conditions existantes, le prolétariat ne l’est qu’en tant que travail vivant, en tant que valeur d’usage face au capital. Il est la négation des conditions existantes sur la base de celles-ci et non en lui-même face à elles. En supprimant les conditions existantes, les rapports sociaux capitalistes, il se supprime lui-même comme leur dissolution interne en se servant de cette situation comme d’un tremplin pour la communisation des rapports entre les individus.
Exprimé concrètement, cela signifie que la destruction de l’échange, ce n’est pas un « décret du soviet suprême », « après qu’on aura réussi la révolution mondiale » ou la libération de ce qu’est potentiellement, en lui-même, le prolétariat : ce sont des ouvriers attaquant les banques où se trouvent leurs comptes et ceux des autres ouvriers, s’obligeant ainsi à se débrouiller sans, ce sont les travailleurs se communiquant et communiquant à la communauté leurs produits directement et sans marché, ce sont les sans-logis occupant les logements et tous les autres transformant totalement la notion d’habitation par l’abolition de la division du travail et de l’échange qui abolit la famille et inclut le « nomadisme ». Il n’y a aucune mesure qui, en elle-même, prise isolément, soit le « communisme ». Distribuer des biens, faire circuler directement moyens de production et matières premières, utiliser la violence contre l’Etat en place, des fractions du capital peuvent accomplir une partie de ces choses dans certaines circonstances. Ce qui est communiste, ce n’est pas la « violence » en soi, ni la « distribution » de ce que nous lègue la société de classes, ni la « collectivisation » des machines ou des usines qui sont dans leur matérialité même des fonctions du capital, c’est la nature du mouvement qui relie ces actions, les sous-tend, en fait des moments d’un processus qui ne peut que communiser toujours plus ou être écrasé. Le mouvement s’effectue à travers ses mesures, il est ses mesures, mais il est aussi plus que la somme des mesures envisagées statiquement. Chaque action du prolétariat s’annonce comme nécessaire et se révèle, dès qu’elle est effectuée, comme insuffisante, comme exigeant immédiatement une autre mesure nécessaire.
On ne peut faire une révolution communiste sans prendre de mesures communistes, sans dissoudre le travail salarié, communiser l’alimentation, le vêtement, le logement, se procurer toutes les armes (destructrices, mais aussi les télécommunications, la nourriture, etc.), intégrer les sans-réserves (y compris ceux que nous aurons réduits nous-mêmes à cet état), les chômeurs, les paysans ruinés, les couches moyennes, et les étudiants marginalisés. Toutes les mesures communistes ne sont pas des mesures que les révolutionnaires prennent entre eux vis-à-vis des objets qui les entourent mais des actions dans leur lutte contre le capital.
En prenant des mesures communistes, c’est-à-dire en produisant des rapports entre individus comme individus singuliers, les ouvriers amorcent un processus qui ne peut que s’étendre. Face à ceux qui s’imaginent qu’après quelques violences la classe capitaliste nous remettra les clés d’un monde dont nous serions en réalité déjà les maîtres ou que nous aurions commencé à constituer contre elle, il faut affirmer qu’il est difficile d’imaginer, dans toute son ampleur, la dimension de catastrophe sociale (et peut-être naturelle et sanitaire) que sera la révolution communiste.
* La communisation : activité du prolétariat comme classe contre le capital
La transformation de la société n’est pas un développement positif face au capital, mais un développement positif contre lui, dans la destruction du capital. La communisation de la société est une activité dans le mode de production fondé sur le capital, activité du prolétariat défini dans son rapport avec le capital. Le communisme n’est produit que par et dans l’abolition du capital, il est cette abolition.
La communisation ne se réalise pas après que les prolétaires ont abandonné leurs vieux habits de prolétaires, la production du communisme s’effectue parce que les prolétaires, en lutte contre le capital comme prolétaires, abandonnent, dans cette lutte, leurs « vieux habits de prolétaires ». « La coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou autochangement ne peut être considérée et comprise rationnellement qu’en tant que pratique révolutionnaire. » (Marx, Thèses sur Feuerbach)
* La communisation : auto-transformation des prolétaires en individus singuliers
L’abolition de la condition prolétarienne est l’auto-transformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux, c’est la lutte contre le capital qui nous fera tels. On ne comprend pas ce qu’est la révolution communiste tant que l’on oppose l’individu et la classe, que cela soit pour dire que la révolution est suspendue à l’abandon préalable par le prolétaire de ses habits de classe, ou pour dire que la révolution est affaire de classe, l’individu est produit après. L’individu isolé ne masque pas l’existence des classes. Les classes sociales et leur contradiction ne se construisent pas et n’apparaissent pas à elles-mêmes en dévoilant le fétichisme de l’individu isolé mais grâce à lui. L’individu isolé ne vient pas refléter et masquer de véritables rapports de classes. Il n’y a pas dans le mode de production capitaliste de classes en dehors, en dessus ou en dessous de ces individus isolés. Dans le mode de production capitaliste, les rapports sociaux que les hommes définissent entre eux apparaissent comme rapports entre individus. Mais ces rapports sociaux n’existent en tant que tels qu’en apparaissant ainsi, qu’à partir du moment où ils sont rapports entre des individus « isolés », ainsi ils apparaissent ce qu’ils sont : une non-immédiateté sociale de l’individu, c’est-à-dire des rapports de classes. L’individu « isolé » ne masque rien. C’est tout le rapport social entre des classes qui est précisément sa propre transposition, sa propre apparition, en rapports entre des individus « isolés », individu « isolé » dont la forme sociale s’étend à l’individu dans toutes les manifestations de sa singularité (comme le montre n’importe quelle enquête sociologique). C’est pour cela que l’action de classe peut produire l’appartenance de classe comme contrainte en tant qu’action de classe même.
Comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? L’histoire du mode de production capitaliste comme contradiction entre le prolétariat et le capital nous donne la résolution de l’énigme. Mais attention, lorsque du doigt on trace sur la carte le chemin à parcourir, on n’est pas pour autant parvenu au but ; c’est dans la lutte des classes de ce cycle de luttes que l’énigme doit être résolue.
-# La rupture comme activité du prolétariat dans la lutte des classes
Si la révolution et le communisme sont bien l’oeuvre d’une classe du mode de production capitaliste, ils ne sont pas, en droite ligne, la victoire d’un des termes de la contradiction en jeu dans l’exploitation. Il ne s’agit pas de la victoire du prolétariat développant et affirmant ce qu’il est dans le mode de production capitaliste et s’érigeant en classe dominante. La proposition fondamentale, principielle, qui en résulte est alors la suivante : il ne peut y avoir transcroissance entre le cours quotidien de la lutte de classe et la révolution, celle-ci est un dépassement produit dans et par cette contradiction.
a) La crise
S’il n’y a pas transcroissance, il y a donc un moment médiateur qui est en même temps celui d’une rupture, d’un saut entre ce cours quotidien de la contradiction entre prolétariat et capital et son dépassement. Ce moment médiateur, c’est la crise. Pour qu’il y ait révolution, il faut qu’il y ait crise, c’est-à-dire la construction pratique d’une non-reproductibilité de l’implication réciproque. Cette non-reproductibilité est encore un rapport entre le prolétariat et le capital, nous l’avons appelé rapport de prémisse. Le rapport de prémisse est la situation limite de l’implication réciproque entre prolétariat et capital, le rapport de prémisse est une pratique dans laquelle le travail accumulée est posé par le prolétariat comme prémisse d’un libre développement de l’humanité dépassant l’aliénation qui est l’existence, comme présupposition, d’une particularité sociale à reproduire, ce qui est la définition des classes.
Tant que l’implication réciproque entre prolétariat et capital se résout dans la reproduction du capital et son autoprésupposition, l’activité du prolétariat dans la contradiction trouve dans cette implication une limite infranchissable. Cette situation de la contradiction à l’intérieur de l’autoprésupposition définit les notions de luttes immédiates et de cours quotidien de la lutte de classes et aucune dynamique interne de chaque lutte particulière ne lui permet, dans ce cadre, de dépasser cette situation. Le dépassement de cette structuration de la lutte de classes, comme cours quotidien, ne dépend pas d’une dynamique interne des luttes, car celles ci sont définies dans cette structuration, mais du changement de la forme générale de la contradiction. Ce changement, c’est la crise de la reproduction du capital qui est une crise économique.
b) Un dépassement produit
Cependant, on ne peut se limiter à une opposition statique entre cours quotidien et révolution, il existe, nous l’avons vu, un lien historique entre le cours quotidien des luttes, la révolution et le contenu du communisme. La nature de ce lien est double : formel et dynamique.
* Une relation formelle : la contradiction au niveau de la reproduction
En ce qui concerne son aspect formel : le cours quotidien de la lutte de classes donne forme à la contradiction telle qu’elle se structure dans la crise et la révolution. C’est la même contradiction, historiquement définie, qui structure le cours quotidien d’un cycle de luttes, qui est la dynamique de l’implication réciproque, et qui est produite comme non-reproductible dans la pratique révolutionnaire. Pour le nouveau cycle de luttes, comme nous l’avons vu, nous pouvons abstraire trois caractéristiques fondamentales, qui le différencient radicalement du programmatisme : disparition de toute confirmation d’une identité ouvrière ; toute lutte trouve dans ce qui la définit ses propres limites comme étant la reproduction du rapport (limites que cette reproduction lui signifie chaque fois de façon spécifique, selon ses propres caractéristiques) ; l’affrontement avec le capital, est pour le prolétariat affronter sa propre constitution en classe. Considéré dans sa plus grande généralité sous l’aspect de ces trois principes, le cours quotidien de la lutte de classe annonce et structure son dépassement en révolution. Dans une période où la lutte quotidienne se structurait comme montée en puissance de la classe à l’intérieur du capital, l’objectif de la révolution ne pouvait être immédiatement le même que dans le cycle de luttes actuels.
Affrontant sa constitution en classe dans le capital, l’activité révolutionnaire du prolétariat est production de rapport entre individus dans leur singularité. Le rapport de prémisse est l’achèvement du cycle de luttes actuel, déterminé par le contenu de celui-ci : la contradiction au niveau de la reproduction du rapport, la coalescence entre la constitution en classe du prolétariat et sa contradiction avec le capital, la disparition corollaire de toute identité ouvrière. La contradiction entre les classes est devenue la « condition » de sa propre résolution comme immédiateté sociale de l’individu. Nous avons déjà développé tout cela.
* Une relation dynamique : l’accumulation du capital
En ce qui concerne son aspect dynamique : la contradiction entre prolétariat et capital qui fonde le cours quotidien de la lutte de classe est pour le capital sa propre dynamique. Toutes les questions rencontrées découlent en fait de cette identité, c’est la contrainte théorique à résoudre contenue dans le concept d’exploitation : le prolétariat n’existe pas deux fois, comme classe du capital, comme classe révolutionnaire ; l’exploitation est un jeu dans lequel c’est toujours le même qui gagne mais qui produit l’abolition de sa règle ; agir en tant que classe c’est n’avoir que le capital comme hoirizon, c’est se remettre en cause en tant que classe, etc. Le capital subsume la contradiction dans son propre cycle, toutes les conditions de reproduction de la contradiction se retrouvent objectivées du côté du capital, la contradiction entre les classes devient par là-même les multiples contradictions internes du procès d’accumulation capitaliste, c’est dans ce mouvement que sont fondées la réalité et la pertinence de l’économie. La contradiction entre le prolétariat et le capital, telle qu’elle est le cours quotidien de la lutte de classes et le cours dynamique des contradictions du capital, constitue et nécessite la crise de la reproduction comme médiation à son dépassement. Cela parce que la contradiction devient nécessairement économie dans son procès, et crise de cette économie sous une forme historique chaque fois spécifiée. Et non de par une fatalité de la détermination économique de la lutte de classe ou d’une constante anthropologique.
Ce deuxième aspect reprend en lui-même le premier. Il fait que, étant données les caractéristiques du cycle de luttes, en produisant le développement du capital comme la médiation à son dépassement, le cycle de luttes produit son dépassement dans la crise du rapport d’implication réciproque.
c)Le prolétariat fait la révolution
Dans cette double liaison, il faut faire apparaître un point essentiel : le passage des luttes du nouveau cycle à la révolution dans l’activité de la classe. Nous savons qu’il ne s’agit pas d’une transcroissance, mais si nous n’abordons pas cette question en tant qu’activité de la classe, nous conférons à la crise un rôle démiurgique, en ne la concevant que comme crise du capital modifiant l’activité de la classe, modification qu’elle ne fait alors que subir. Quel est du point de vue de l’activité de la classe, le contenu de ce passage ? Qu’est ce que la crise de la reproduction du rapport d’implication réciproque en ce qu’elle est l’activité du prolétariat ? Sans réponse à cela, la liaison entre le cours quotidien et la révolution, après avoir été correctement posée, devient au dernier moment, au moment crucial, une liaison externe, celle de la crise délimitant deux moments de la lutte de classe, dont on ne produit pas les connexions internes comme activité de la classe dans la crise. L’irreproductibilité du rapport entre prolétariat et capital serait donnée d’emblée comme contenu prédéterminant les actions respectives des classes.
* L’implication réciproque est activités spécifiques de ses termes
Chaque pôle du rapport d’exploitation a par rapport à la totalité une position différente, la contradiction qui constitue l’exploitation est implication réciproque de ses termes et production de leur autonomie. L’autoprésupposition du capital est l’action contradictoire des sujets de la contradiction. Si l’on enferme la crise révolutionnaire dans le procès d’une impossibilité de la reproduction déjà donnée, même si ce n’est que comme sens, la révolution devient une réaction : nier l’irreproductibilité. L’action du prolétariat a disparu. L’aggravation de l’irreproductibilité du rapport entre prolétariat et capital est en fait illimitée, asymptotique. Ce n’est pas l’action du prolétariat qui met le capital en crise, mais la crise ce sont les situations et les activités respectives du prolétariat et du capital qui se modifient comme résultat de leur contradiction.
Depuis la mort du programmatisme, il est exact que l’activité du prolétariat et la perspective qu’elle peut créer ne vont plus de soi en tant qu’activité révolutionnaire, comme elle pouvait aller de soi dans le programme, où la révolution était la poursuite de façon radicale de son activité d’auto-affirmation dans le mode de production capitaliste. Il nous faut retrouver l’action de la classe partant de ce qu’elle est contre le capital et se déterminant elle-même contre lui. La révolution a lieu non pas parce qu’on arrive au terme du mouvement des contradictions (quelles qu’elles soient), mais bêtement, parce qu’à un moment le prolétariat fait la révolution. Il y a un moment où toutes les déterminations, tous les procès contradictoires, toutes les significations historiques ne suffisent plus, si elles ne posent pas que c’est la lutte du prolétariat, dans sa dynamique, qui produit la rupture révolutionnaire.
* L’action révolutionnaire : moment ultime de l’implication réciproque
La révolution est un conflit entre les classes qui met un terme au capital, elle est la détermination ultime du procès contradictoire du capital comme contradiction entre le prolétariat et le capital. C’est dans cette contradiction de classes, de par son contenu, que le mode de production capitaliste apparaît comme un mode de production historiquement déterminé. Il produit une classe révolutionnaire, c’est à dire portant contre lui le dépassement de ses contradictions, et déterminant par sa situation dans la contradiction le contenu de ce dépassement comme période radicalement nouvelle de l’histoire de l’humanité. La fin est produite, elle n’est pas déjà le sens caché du mouvement : irreproductibilité, socialisation du travail ou de la nature, action ou révélation de l’être générique, caractère irrépressible de la vie ou des désirs, etc. Il ne faut pas concevoir le procès des contradictions capitalistes produisant la révolution, comme étant déjà en lui même le procès de son achèvement comme révolution. Méthode par laquelle on ne conçoit qu’une contradiction est productive de son dépassement, que si on a fait de son dépassement ou de sa fin le principe même de son cours.
Ce n’est pas l’irreproductibilité de la contradiction entre les classes qui produit la communisation. C’est la communisation qui rend la contradiction entre le prolétariat et le capital irreproductible.
d ) La crise de l’implication réciproque : activités du prolétariat et de la classe capitaliste
* Crise finale : deux activités de classe
Qu’est ce qui fait d’une crise, une « crise finale » ? Rien d’autre que son déroulement, et non l’accomplissement d’un sens ou d’une tendance. C’est la crise du mode de production capitaliste dans les termes du mode de production capitaliste, elle résulte de la baisse du taux de profit, contradiction entre des classes (c’est en cela que la question souvent posée : « jusqu’à quel point devra-t-il baisser ? », n’a pas de sens.). Il faut partir du fait que dans tous les conflits, le plus important est la distinction dans la reproduction du capital de l’activité de classes distinctes. C’est dans tout conflit ce qui saute aux yeux. Constamment, de la simple résistance dans le procès de travail, à la grève généralisée ou insurrectionnelle, jusqu’à la révolution communiste, ce sont deux activités de classes qui s’affrontent, celle du prolétariat et celle du capital. C’est constamment que le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale de son travail comme valeur accumulée devant se valoriser dans la reproduction de l’échange avec le travail vivant. C’est constamment, dans le procès de la valorisation, qu’il se constitue comme classe, c’est à dire comme activité socialement distincte contre l’activité du capitaliste.
* Activité de la classe capitaliste
L’activité du capital dans la crise est une aggravation de l’exploitation de toute la classe ; le prolétariat comme d’habitude lutte contre cette aggravation. On est toujours, ici, dans la structure du cours quotidien des luttes. La crise devient crise finale dans le fait que, dans cette lutte, se produit un mouvement double et symétrique.
Du côté du capital, comment, avec quels objectifs (que l’on peut même envisager comme consciemment poursuivis), le capital affrontera-t-il le prolétariat ? Comment se produit le fait que son accumulation ne parvient plus à avoir un sens contre le communisme ? Jusque là, cette capacité résidait pour le capital dans l’approfondissement de son processus contradictoire, mouvement dans lequel son propre développement est qualitativement la réponse adéquate au communisme, au communisme tel qu’il se présente historiquement dans chaque cycle de luttes. C’est cela aussi le capital comme contradiction en procès : la contre-révolution. Le capital est la contre-révolution parce qu’il est capable de répondre à la même question que le communisme : l’impossibilité de mesurer l’activité humaine. Capable de répondre à cette question qu’il a lui même formulée.
Si le capital ne parvient pas à « retourner » la lutte du prolétariat contre celui-ci, à la reprendre en lui, c’est alors l’impossibilité à restaurer le taux de profit qui en résulte (il ne faut pas inverser la causalité entre ces deux termes). Toute crise dans laquelle le capital cherche à restaurer le taux de profit, si elle a pour victime essentielle tout le prolétariat, se déroule immédiatement dans des conflits intercapitalistes, dans lesquels comme classe du capital le prolétariat se trouve embarqué. Le conflit s’achève en ce que l’une des aires capitalistes parvient, au travers de la dévalorisation générale de la crise, à représenter une solution globale pour tous les capitaux, y compris les vaincus, par le mode de valorisation qu’elle est à même de promouvoir. Il ne fait aucun doute que le capital reprendra cette démarche, qui n’est pas une tactique, un machiavélisme, mais une fatalité inscrite dans sa nature (il semblerait cependant que la nature de la guerre change, le « vainqueur » n’organisant plus une vie de vaincu légitime et vivable, il faudrait penser de nouveaux rapports entre crise, guerre et restructuration). C’est dans ce mouvement là que les conditions antérieures de la valorisation, et du cycle de luttes, seront déterminantes : contradiction entre prolétariat et capital se définissant au niveau de la reproduction de leur rapport ; disparition d’une identité ouvrière confirmée dans la reproduction du capital ; identité entre l’existence comme classe du prolétariat et sa contradiction avec le capital. La contradiction au niveau de la reproduction du mode de production capitaliste, c’est à dire au niveau de sa reproduction, pose, dans sa forme et dans son contenu, le rapport de prémisse comme son dépassement, c’est l’impossibilité pour le capital à reproduire en lui sa contradiction avec le prolétariat de par les qualités de l’activité du prolétariat.
L’énoncé même de ces conditions antérieures montre qu’il n’y a pas de situation qui, saisie unilatéralement, soit sans issue pour le capital. La crise du rapport d’exploitation est donnée dans le capital et dans le prolétariat, comme recherche de l’aggravation de l’exploitation et comme résistance à cette aggravation. C’est cette résistance qui dans son déroulement spécifique montre que le roi est nu, que contre le prolétariat et, de par l’activité de celui-ci, il ne peut produire un mode de valorisation supérieur. C’est dans cet instant que la contradiction entre les classes se transforme de moment de l’implication réciproque, en extériorisation de l’appartenance de classe. L’activité du prolétariat peut devenir, dans ses objectifs, dans le cours des mesures de lutte contre l’exploitation, attaque pratique des déterminations mêmes de l’exploitation.
* Activité du prolétariat
Du côté du prolétariat : il n’est amené à agir pour la destruction du système dominant que parce que la défense de ses intérêts immédiats l’y contraint. Mais il ne peut faire de cette destruction une conquête progressive et ne peut la mener à terme que comme l’abolition de toute les classes et de lui même comme classe, cette abolition n’est même pas une résultante nécessaire de celle du capital, mais le contenu des mesures qu’il prend dans cette lutte contre le capital. Le procès de dépassement de la lutte revendicative s’amorce dans la lutte revendicative elle même, lorsque celle-ci, à l’intérieur d’elle-même, pose ses exigences sans tenir compte de la logique de reproduction du système, et par là tend à remettre en question les conditions mêmes de l’existence de l’exploitation. C’est-à-dire simplement lorsqu’elle devient dans son cours de lutte revendicative jusqu’au-boutiste, dépassant par là sa cohérence de lutte revendicative. C’est seulement en cela que les luttes autonomes peuvent être le premier acte de la révolution, la suite s’effectue contre cette autonomie qui défend la classe dans ce qu’elle est en voulant libérer ce qu’elle est dans son rapport au capital.
La crise est ce moment de l’histoire du mode de production capitaliste où se noue l’irréconciliabilité absolue entre la logique de l’accumulation capitaliste et les revendications ouvrières que cette accumulation même implique, parce qu’elle les fait siennes en tant que mouvement nécessairement contradictoire de l’exploitation. La révolution ne procède pas directement de la résistance quotidienne, des luttes revendicatives, elle en est l’aboutissement non comme une transcroissance, mais comme dépassement produit de cette irréconciliabilité. En tant que contenu, cette irréconciliabilité se donne comme production de la contingence de l’appartenance de classe, en ce qu’elle est alors produite au cours de la lutte comme contrainte, extériorisée dans le capital. C’est alors la mise en évidence pratique et la mise en cause du rapport structurel qui fait que la lutte est revendicative (cours quotidien) : le rapport salarial. La crise est avant tout crise de l’implication réciproque, de l’autoprésupposition du capital, elle est par là ouverture intégrant ce qui est, l’histoire passée, comme libre prémisse et non comme détermination nécessaire à reproduire. La classe trouve alors, dans ce qu’elle est contre le capital, la capacité de communiser la société, au moment où simultanément, elle traite sa propre nature de classe comme extériorisée dans le capital.
Quand dans une société capitaliste on remet en cause au niveau social le partage entre salaire et profit, il devient vite évident, pour ceux qui sont dans la lutte, que cette société ne peut aller à l’encontre de ses propres bases, de sa propre logique, ce sont les notions mêmes de salaire et de profit qui peuvent devenir les prochaines cibles. Se trouver dans une situation, où c’est l’abolition de la société dans laquelle nous sommes nous mêmes engagés, définis, qui devient l’objectif du mouvement, de plus dans une situation sociale où en nous-mêmes, que ce soit comme salariés, prolétaires ou travailleurs, n’existe plus une identité à libérer contre cette société, un projet de réorganisation de celle-ci sur la base du salariat ou du travail producteur de valeur, se trouver dans cette situation et agir en conséquence, c’est là que s’amorce le dépassement de la lutte revendicative. Cela signifie que l’appartenance de classe qui était nécessité, définition sociale préalable à reproduire parce qu’impliquant sa reproduction, devient contingente. Il ne s’agit pas d’un processus interne à la classe, mais de son conflit avec le capital et de l’évolution des rapports de forces, donc des objectifs et de la conscience qui se déterminent dans la lutte. C’est un procès dans lequel le capital est lui même acteur, procès auquel il cherche à conférer un sens, dans lequel il construit, comme sa nécrologie, sa signification historique. L’issue de la lutte n’est jamais donnée d’avance. De par sa nature, la révolution ne peut se réduire à la somme de ses conditions, car elle en est le dépassement et non l’accomplissement.
Les rapports sociaux antérieurs, sans que cela tienne à un plan d’ensemble inexistant et impossible, se délitent dans cette activité sociale où l’on ne peut faire de différence entre l’activité de grévistes et d’insurgés et la création d’autres rapports entre les individus, de rapports nouveaux, dans lesquels les individus ne considèrent ce qui est que comme moment d’un flux ininterrompu de production de la vie humaine.
* La révolution n’est pas une réaction
D’abord, le prolétariat ne se distingue pas, formellement, des autres classes révolutionnaires de l’histoire, il n’est amené à agir pour la destruction du système dominant que parce que la défense de ses intérêts immédiats l’y contraint objectivement. Mais, il s’en distingue substantiellement, en ce qu’il ne peut plus faire de cette abolition une conquête progressive, une montée en puissance à l’intérieur de l’ancien système, en ce qu’il ne peut abolir la domination de la classe dominante sans s’abolir lui-même comme classe et toute société de classes. Dans le cours historique du mode de production capitaliste, une telle situation est l’aboutissement d’un cycle de luttes où le rapport entre prolétariat et capital ne porte plus la confirmation d’une identité prolétarienne face au capital, où la contradiction entre les classes se situe au niveau de leur reproduction.
Le prolétariat part simplement de ce qu’il est, pour produire autre chose que le capital. Quand on dit que le prolétariat fait la révolution, c’est ce « faire » qu’il faut fouiller, comme action de la classe. Le point crucial qui définit ce faire, c’est le moment où la lutte arrive à ce climax où, dans la classe en lutte, les rapports contre le capital se tendent à un point tel que la définition comme classe devient une contrainte extérieure, où l’appartenance de classe se construit comme contingente. Cela parce que déjà, dans la lutte, des divergences, des clivages, parfois violents, sont apparus à l’intérieur de la classe, de telle sorte qu’elle n’apparaît plus comme une fatalité, comme un rapport ou une action allant de soi.
Ce n’est pas l’aggravation illimitée de la crise qui produit la révolution, mais l’action du prolétariat dans la crise qui produit le communisme. Il ne s’agit pas d’un simple « il faut manger, il faut survivre » face à la crise de la reproduction capitaliste. C’est un « il faut survivre », qui a un contenu fourni par ce que le prolétariat est contre le capital, ce n’est pas une « réaction », mais une action positive : la production du communisme contre le capital. La défense de ses intérêts immédiats a amené le prolétariat au point où il est conduit à agir pour la destruction du système dominant. Le saut qualitatif est un produit de la relation, dans sa forme et son contenu, avec cette défense. C’est, au cours de cette défense acharnée, la production de l’existence de classe comme contrainte extériorisée dans le capital qui est ce saut, qui est le moment où la défense de ses intérêts immédiats amène le prolétariat à abolir le système dominant. Cela parce que positivement il trouve en lui même la capacité à produire contre le capital, à partir de ce qu’il est comme classe, autre chose.
* De la défense de ses intérêts à la communisation
C’est dans la crise qu’il y a un moment où le jeu réflexif de l’implication réciproque parvient au point de l’extériorisation de la contrainte de classe, c’est là que l’implication réciproque, en crise, devient action d’une classe trouvant dans ce qu’elle est contre le capital, au moment où sa définition comme classe lui est contrainte extérieure, la capacité de produire le communisme. Cette situation n’est pas étrangère à tout le cours antérieur du capital dans sa signification historique comme contre-révolution, comme constant cours et dépassement de ses contradictions en tant que réponse au communisme. A ce moment le prolétariat devient à même de considérer tout le cours antérieur du capital comme la propre condition d’existence de son dépassement.
En fait, la crise aboutit à une situation où le prolétariat est amené à dire (et à faire) : « moi je peux faire autre chose parce que je suis ce que je suis contre toi le capital ». Bien-sûr, on en arrive là par la crise de l’implication réciproque, mais le moment de la communisation ne tient pas à une irreproductibilité produite comme une impasse qui, en tant que telle, ne pourrait être que niée, et donc obligerait à faire autre chose (pour survivre ?), mais à l’action révolutionnaire qui définit cette crise. La révolution n’est pas une activité par défaut.
Le prolétariat met à jour dans sa lutte contre le capital les notions de salaire et de profit, pose par sa lutte la richesse produite et accumulée dans sa forme sociale de capital, c’est à dire impliquant l’existence du salariat, de la plus-value, de la marchandise, qui le définissent lui -même ; il commence à s’emparer des moyens de production comme mesure de sa lutte contre le capital. On est alors au stade où le mouvement comme lutte quotidienne atteint son point de fusion, l’eau va se mettre à bouillir, à changer d’état. Le moment du saut qualitatif est celui où, à partir de là, la classe, dans la lutte contre le capital, produit le propre fait d’être une classe comme une contrainte extériorisée, imposée par le capital. C’est le moment déterminant de la lutte des classes. Mais l’eau a beau bouillir, a beau avoir changé d’état c’est toujours de l’eau, heureusement.
Heureusement, car dans cette situation où l’appartenance de classe est la relation conflictuelle avec le capital, le prolétariat lorsqu’il « s’empare des moyens de production », le fait comme mesure dont la forme et le contenu lui sont fournis par ce qu’il est : abolition de l’échange, de la valeur, de la propriété, de la division du travail, des classes, etc. ; sur la base de l’échange, de la valeur, etc. C’est le moment où son action de classe n’a pour contenu que l’abolition des classes, la communisation de la société. L’eau cesse alors d’être de l’eau, même sous forme de vapeur.
* La communisation n’est pas appropriation
Le prolétariat s’emparant des moyens de production est le point ultime de l’implication réciproque. Il s’en empare, mais ne peut se les approprier comme il ne peut s’emparer de l’Etat. Sa lutte contre les forces sociales défendant la reproduction capitaliste de la société lui impose de les bouleverser dans leur forme sociale, c’est-à-dire dans les formes matérielles immédiates dans lesquelles cette forme sociale existe. Son action est en outre conditionnée par ce qu’il est lui-même. Il est l’abolition des conditions existantes sur la base des conditions existantes. Il est dans le mode de production capitaliste l’abolition de la propriété, de la division du travail, de l’échange et de la valeur, des classes, sur la base et à l’intérieur de leur existence. Toutes les appropriations révolutionnaires antérieures étaient limitées par leur nature même d’appropriations car elles demeuraient dans la division du travail, la propriété, et la division de la société en classes.
Dans le communisme l’appropriation n’a plus cours parce que c’est la notion même de « produit » qui est aboli. Bien sûr, il y a des objets qui servent à produire, d’autres qui sont directement consommés, d’autre qui servent aux deux. Mais parler de produits et se poser la question de leur circulation, de leur répartition ou de leur « cession », c’est-à-dire à un moment donné de leur appropriation, présuppose des lieux de rupture, de « coagulation » de l’activité humaine : le marché dans les sociétés marchandes, la dépose et la prise au tas dans certaines visions du communisme. Le produit n’est pas une chose simple. Parler de produit, c’est supposer qu’un résultat de l’activité humaine apparaît comme fini face à un autre résultat ou au milieu d’autres résultats. Ce n’est pas du produit qu’il faut partir mais de l’activité (infinie).
e) Classe contre immédiatisme
Nous pouvons toujours théoriquement nous approcher à une distance infinitésimale de ce point de fusion de la lutte de classe, mais en tant que tel il échappera toujours à la détermination empirique. Nous pouvons réunir théoriquement toutes ses conditions, déterminer même qu’il ne peut pas ne pas se produire, sans jamais pouvoir déterminer pourquoi là, il se produit. Si ce moment échappe à la détermination empirique, c’est que de par sa nature même ce moment échappe à la détermination théorique, car il met en jeu l’action du prolétariat en tant que classe, au moment où l’appartenance de classe devient contingente. L’Homme étant une hypothèse dont on peut se passer, l’extranéisation de l’appartenance de classe est la limite historique et théorique de la production théorique. Pour une fois nous acceptons la prudence kantienne qui se moque de la colombe s’imaginant voler plus librement sans la résistance de l’air.
La production de l’immédiateté sociale de l’individu est l’autotransformation du prolétariat. Elle est produite dans l’abolition du capital, ultime rapport entre le capital et le prolétariat, et non par des prolétaires qui ne sont plus des prolétaires. Si l’on considère que la production du communisme ne peut être que le fait de prolétaires qui ont au préalable abandonné leur situation de prolétaires, ou si l’on considère que le prolétriat est (potentiellement ?) révolutionnaire, celle-ci peut être entreprise, même partiellement, n’importe quand et n’importe où. Mais, la production du communisme est l’oeuvre du prolétariat en tant que tel, c’est-à-dire comme classe de cette société, alors elle est soumise au développement des contradictions de classes de cette société, à leur histoire, c’est-à-dire à l’économie.
C’est là que nous sommes.
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Commentaires sur le texte de Marcel - Roland Simon and Bernard Lyon
lundi, 14 mai 2007
« Communisme de l’attaque et communisme de la défection » [1]
* « Si, par exemple, le prolétariat est destiné à produire le capitalisme, le capitalisme peut seulement prendre fin lorsque le prolétariat nie son rôle comme prolétariat pour devenir quelque chose de différent. Si, de la sorte, le communisme est un acte libre, alors il est libre parce qu’il signifie que les gens se libèrent de ce qui les détermine… » (Marcel, Communisme de l’attaque et communisme de la défection)
* « …la tentative de la classe ouvrière de se détruire elle-même comme classe ». (ibid)
* « Cette lutte de classe peut-elle nous libérer de la lutte de classe ? » (ibid)
* « C’est d’abord quand cette situation – la situation de travailleur – est remise en cause qu’une rupture révolutionnaire peut se produire ; et cette rupture est le produit d’une classe ouvrière créant une distance à la position qui fait d’elle une classe. » (ibid)
* « Quand les travailleurs, dans leur pratique mettent leur existence en question… ». (ibid)
Nous sommes là sur des affirmations auxquelles il serait facile de souscrire
Il faut partir de ce que nous pouvons considérer comme un point commun entre le texte de Marcel et les positions que l’on trouve dans TC : actuellement agir en tant que classe est la limite de l’action en tant que classe du prolétariat. Marcel (M) met bien le doigt sur la question théorique essentielle contenu dans la révolution comme communisation : la rupture, la non-continuité entre les luttes revendicatives (le cours ordinaire de la lutte de classe, à quoi M limite ce qu’il appelle la dialectique capital-travail, sans voir que cette dialectique n’est pas si ordinaire que cela) et la révolution. Il le fait sans abandonner les classes et la lutte des classes. Mais il le fait en créant et en maintenant une dualité : quand il a les classes et leur lutte, il n’a pas la révolution, quand il a la révolution, il n’a plus la lutte des classes.
« Bien que le communisme ne soit pas produit par le cours du rapport entre le capital et le travail, le mouvement communiste est un phénomène qui se déroule dans et contre le capital. ». Nous étions sur des affirmations auxquelles il aurait été facile de souscrire si ce n’était le refus de ce que le communisme fût produit par le cours du rapport entre le travail et le capital. Comment un phénomène qui n’est pas produit dans ce rapport, peut-il toutefois se dérouler « dans et contre le capital » ?
On peut résumer la thèse centrale du texte de M de la façon suivante : la « dialectique capital-travail » ne nous mène, au mieux, qu’au « blocage du capital » (étrangement baptisé « communisation interne »), le dépassement (« communisation externe ») est un mouvement « externe » à cette « dialectique », il provient de la construction d’ « extériorités », d’un « au-delà » de ce rapport attaquant le capital, la relation entre les deux est naturellement d’une grande confusion, du fait des solutions apportées, mais surtout du problème lui-même que M construit de la façon suivante.
* La contradiction entre le capital et le prolétariat est une contradiction au sein de laquelle le travail mort et le travail vivant constituent une tautologie, cette contradiction, qui n’en est pas une, ne porte aucun dépassement mais est pure reproduction du capital ou au plus sa mise en crise simplement autodestructrice, son « blocage » comme dit M.
* Le dépassement de cette tautologie suppose un troisième terme, une « contradiction » à cette tautologie, une contradiction « externe » à côté de la contradiction interne. Cette contradiction externe n’est pas produite par la contradiction interne (M. insiste, c’est même la raison d’être de son texte) mais ne peut pas exister sans elle. La contradiction externe, et elle seule, est porteuse d’une positivité contrairement à la contradiction interne.
En résumé : la « contradiction interne » ne dépasse pas le capital, elle le reproduit ou le met en crise, elle est négative ; la contradiction externe est positive (constructive) elle peut n’être qu’une alternative si le capital n’est pas détruit par sa contradiction interne, mais elle porte le dépassement si les deux contradictions agissent concurremment.
Cette thèse juxtapose deux théories sans les analyser : le programmatisme [2] vu simplement comme non-dépassement, vu comme le travail en tant que négatif nécessaire du capital ; l’alternative immédiatiste vue comme positivation possible du premier point. En fait, M prend deux situations qui sont des impasses (la simple défense de la condition ouvrière considérée comme prspetive révolutionnaire, le simple immédiatisme de l’alternative) et il pense qu’en les juxtaposant chacune corrigera l’autre. L’affirmation de la classe libère l’immédiatisme de l’alternative de son aboutissement « réformiste » normal ; l’immédiatisme de l’alternative libère l’affirmation de la classe de la période transition qui contient forcement la contre révolution. Les deux impasses réunies deviennent le dépassement.
La raison fondamentale de l’élaboration de cette thèse, c’est l’évidence devenue aveuglante de la fin du programmatisme. A partir de cette évidence l’antagonisme du prolétariat au capital est conçu comme unifiant une tautologie, capital et prolétariat ne sont plus que deux éléments au même niveau, il n’y a plus de « contradiction » à partir du moment où l’affirmation du prolétariat ne peut plus être la médiation de l’abolition des deux termes. Tout au plus le prolétariat pourrait mettre le capital en crise par un mouvement appelé « communisation » interne. Cette situation, dans laquelle le prolétariat ne peut avoir qu’une action négative, implique la nécessité d’un élément autre, un élément extérieur à la tautologie que l’on a posée. Il faut un élément qui ne soit pas un élément de la dite « contradiction », mais un élément s’opposant à cette contradiction qui s’extrait de l’unité de la tautologie. Un élément positif venant corriger l’action du prolétariat comme simplement négative et permettant le dépassement, la production d’un nouveau rapport social. Cette élaboration par Marcel d’une positivité se fonde sur de petits faits relevant de l’immédiatisme et de l’alternativisme, qui viennent réorienter la pratique programmatique cosidérée comme indépassable du prolétariat.
L’ensemble, contradiction interne et contradiction externe, pourrait de loin ressembler à une vraie contradiction, puisque on a contradiction au capital dans le capital et contradiction à la contradiction qu’est le capital, mais c’est faux car on a remplacement de l’affirmation du prolétariat et de la période de transition non par la communisation immédiate mais par deux « communisations » qui sont, en réalité, deux affirmations programmatiques, l’une, destructrice, celle du travail et l’autre, constructrice, hors travail et dont le sujet demeure assez indéterminé (« les gens »). Il n’y a pas d’autotransformation des prolétaires dans l’action de classe contre le capital, ce qui apparaît comme deux variantes de prolétaires s’affirment telles qu’elles sont. Avec l’utilisation du terme de communisation (ce terme est maintenant le seul dicible), c’est le programmatisme ultra-gauche qui n’en peut plus et qui se déguise du mot incontournable.
On est obligé de reconnaître qu’il manque à M deux concepts développés dans TC : l’écart et l’exploitation.
Pour le premier, il s’agit de reconnaître tous les faits que M classe dans la défection, l’abandon, le retrait, ou l’échappement, comme des moments de la lutte de classe contre le capital et même faisant souvent partie des luttes les plus ordinaires. Si nous considérons qu’à l’issue de la restructuration du rapport entre le prolétariat et le capital, dans le cycle de luttes actuel, la contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction respective, il s’ensuit que : agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. La lutte de classe inclut un écart à l’intérieur d’elle-même. La seule façon de prendre au sérieux les mouvements et les tendances (resquille, coulage des cadences, vol, constitution de groupes affinitaires de lutte) dont parle M est de les considérer comme interne à la lutte de classe, comme mouvement contre le capital, comme luttes pour la survie dans le mode de production capitaliste (en exagérant à peine, si l’on poursuit le type de raisonnement utilisé par M, on pourrait démontrer que n’importe quelle lutte salariale, en ce qu’elle attaque l’exploitation, attaque le capital et la valeur, comme abstractions, qu’elle est une volonté de défection vis-à-vis du capital, à y regarder de près, il ne resterait rien de la dialectique capital-travail reproductrice du capital, à moins de ne plus la considérer comme une contradiction, ce qui est tendanciellement le sens du texte de M). Dès que l’on considère les exemples donnés par M comme des « en dehors » constitués ou se constituant comme tels, ils deviennent ridicules et pitoyables.
Pour le second. L’exploitation est le rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital qui est constamment la non-confirmation du prolétariat : la contradiction entre surtravail et travail nécessaire, la baisse tendancielle du taux de profit. C’est dans la contradiction qu’est l’exploitation qu’il faut comprendre pourquoi et comment l’appartenance de classe peut devenir une contrainte extérieure. Quelque chose objectivé dans la reproduction du capital et que les prolétaires trouvent face à eux comme une nécessité à reproduire.
M met le doigt sur le problème (la rupture, la non-continuité) mais, emporté par sa critique de la transcroissance entre la dialectique capital-travail et la révolution comme communisation, il ne parvient plus à produire de relation rationnelle entre les deux, en fait c’est comment se produit le dépassement qui échappe par nature à la problématique qu’il définit. M ne parvient pas à formuler la question à laquelle il cherche à répondre dans ses termes adéquats : comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? Il y répond alors par toutes sortes de subterfuges (cf. le texte de Tarona : Le bochévisme sans parti : une posture révolutionnaire).
Le point essentiel de ma critique portera sur le fait que à un moment donné pour le prolétariat, d’une part, être en contradiction avec, à l’intérieur, et contre le capital, et, d’autre part ce que M appelle la « défection », la construction d’autres relations entre les individus, sont identiques, c’est le moment de la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, le moment des mesures communisatrices. La possibilité de cette identité existe en vertu de la nature de la contradiction entre le prolétariat et le capital, celle là même qui est aussi à l’œuvre comme reproduction d’elle-même. La construction d’autres relations sociales n’existe que comme dépassement produit par la contradiction entre le prolétariat et le capital telle qu’elle est la contradiction interne de leur reproduction réciproque, dépassement dans lequel elle existe encore comme telle et qui peut encore être considéré comme un de ses moments.
L’objet de la critique de Marcel est l’affirmation selon laquelle le communisme serait le résutat d’une contradiction interne des rapports du capital. Il s’agit pour Marcel de ne pas produire le communisme comme un aboutissement du capital, ce développement rejoint chez lui la critique de la téléologie qu’il distingue du déterminisme, la liberté étant l’action contre ce qui nous détermine (« ce que je fais de ce que l’on a fait de moi » aurait dit Sartre).
Dans cette critique de la téléologie et de la conception du communisme comme résultat d’une contradiction interne du mode de production capitaliste, M rejoint parfois ce que TC développe comme une critique du programmatisme. Ainsi, il relève chez Marx le « rêve vain d’un communisme surgissant des contradictions internes du capitalisme ». De même, dans sa critique de l’opéraïsme (critique qui demeure limitée et en conserve l’essentiel : le prolétariat comme sujet de l’implication réciproque entre lui-même et le capital) : « Tronti n’a relevé que le mouvement interne de la communisation et indiqué que ce mouvement pouvait rompre avec le capitalisme, par là créant le communisme. Laissant, par conséquent, le communisme déterminé par les conditions du capital »
M comprend le capital comme essentiellement constitué dans sa contradiction avec le prolétariat lorsqu’il affirme : « la lutte de classe est l’auto-critique du capital », mais il s’arrête en chemin, ne saisissant pas globalement la structure et le contenu de la contradiction, la limitant à une de ses formes d’existence (ou d’apparition) : l’auto-critique du capital, c’est-à-dire sa dynamique. Le point le plus important dans la compréhension de ce qu’est une contradiction est l’exposition du fait que, dans la contradiction entre ses éléments, c’est l’objet qui est en contradiction avec lui-même (la baisse tendancielle du taux de profit, la contradiction entre surtravail et travail nécessaire), c’est seulement ainsi que l’on peut produire le dépassement de l’objet contradictoire et plus immédiatement considérer que le communisme existe au présent et ainsi réfuter en la renvoyant à son néant la question du déterminisme, ainsi que de son contraire lié, le possibilisme. L’un et l’autre ne connaissent que la relation entre le présent et un futur, alors que la question de l’existence du communisme est une question essentiellement présente.
C’est l’objet comme totalité (le mode de production capitaliste, dimension absente de la problématique de M et de l’opéraïsme) qui est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses éléments. M et l’opéraïsme en reste à la contradiction entre les éléments qui si elle n’est pas comprise comme contradiction de la totalité envers elle-même ne constitue pas une contradiction mais un simple conflit d’intérêt, éternellement reproductible, un va et vient interatif qui ne dialectique que celle du « mauvais infini ». Dans la totalité, la contradiction à l’autre est pour chaque élément la contradiction à soi-même, dans la mesure où l’autre est son autre. le dépassement de la totalité n’est pas la réalisation de son devenir car les termes de la contradiction ne sont pas dans une position symétrique. Son dépassement est son mouvement de par la position et l’activité d’un de ses termes qui, de par la contradiction, pose sa reproduction en contradiction non seulement avec lui-même, mais encore avec la dynamique de l’objet comme reproduction de la contradiction de la totalité. (cf. RS : De la contradiction entre le prolétariat et le capital à la production du communisme…). Dans le mode de production capitaliste, c’est ainsi que la contradiction entre le prolétariat et le capital produit son dépassement, c’est ainsi que la règle du jeu peut amener à l’abolition du jeu et des joueurs.
M ne dépasse pas la simple vision du rapport entre prolétariat et capital comme celle d’une relation réflexive autoreproductrice à l’infini et n’étant pas pour elle-même une contradiction car il n’a pas de compréhension des éléments de la contradiction comme particularisation d’un tout. La totalité n’existe pas en elle-même dans la conception de M. Il ne parvient pas au concept de contradiction comme implication réciproque, mais seulemment comme relation d’éléments aux intérêts opposés, sans que cette opposition soit pour chacun une remise en cause de ce qu’il est dans la relation. Dans la contradiction entre le prolétariat et le capital, l’existence de l’un par l’autre est pour chacun une contradiction pour lui-même et une contradiction pour le procès dont elle est la dynamique. Il ne faut pas chercher dans une logique formelle de cette contradiction son dépassement, mais dans le fait qu’elle est une histoire, mais cette histoire ne produirait aucun dépassement si elle n’était celle de cette contradiction. C’est parce que la contradiction est telle que, dans son histoire, le jeu peut être la remise en cause de sa règle de par la position et l’activité des joueurs.
Le concept d’exploitation permet de construire la lutte des classes comme contradiction, c’est-à-dire implication réciproque non symétrique (subsomption), procès en contradiction avec sa propre reproduction (baisse du taux de profit), totalité dont chaque élément n’existe que dans sa relation à l’autre et se définissant dans cette relation comme contradiction à l’autre et par là à soi même tel que le rapport le définit (travail productif et accumulation du capital ; surtravail et travail nécessaire). Il ne suffit pas de distinguer des intérêts opposés, il faut comprendre pourquoi ces intérêts sont opposés. Le mouvement qu’est l’exploitation est une contradiction pour les rapports sociaux de production dont elle est le contenu et le mouvement. Elle est, comme contradiction entre le prolétariat et le capital, le procès de la signification historique du mode de production capitaliste ; elle définit le procès de l’accumulation du capital qualitativement comme inessentialisation du travail, comme « contradiction en procès » ; elle définit l’accumulation du capital comme sa nécrologie, ce qui est simultanément sa capacité à répondre comme contre-révolution, de façon chaque fois historiquement déterminée, à la lutte de classe, parce qu’il y répond sur le même terrain.
Dans cette contradiction c’est son aspect non symétrique qui nous donne le dépassement. En effet, cette contradiction ne porte son dépassement que de par la place et l’activité spécifiques du prolétariat dans cette contradiction. Quand nous disons que l’exploitation est une contradiction pour elle-même nous définissons la situation et l’activité du prolétariat. Défini comme classe dans le rapport d’exploitation, le prolétariat n’est jamais confirmé dans son rapport au capital : l’exploitation est subsomption. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est à dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Il en résulte que le prolétariat est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe car la nécessité de sa reproduction est quelque chose qu’il trouve face à lui représentée par le capital. Toujours de trop, il ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est pourtant un pôle nécessaire. La contradiction est historicisée et donc la révolution et le communisme et pas seulement leurs circonstances. Ce que sont la révolution et le communisme se produisent historiquement à travers les cycles des luttes qui scandent le développement de la contradiction. On passe alors d’une perspective où le prolétariat trouve en lui-même face au capital sa capacité à produire le communisme, à une perspective où cette capacité n’est acquise que comme mouvement interne de ce qu’elle abolit. En s’autotransformant, à partir de ce qu’ils sont, les prolétaires se constituent eux-mêmes en classe révolutionnaire. Les prolétaires ne trouvent pas dans leur situation envisagée de façon contemplative et passive des attributs révolutionnaires. Se constituer en classe révolutionnaire est un produit de la lutte de classe, être une classe révolutionnaire n’est pas une réalité objective de la situation du prolétariat, indépendante de ce que font concrètement les ouvriers. Etre dans le mouvement du capital comme contradiction en procès, la dissolution des conditions existantes (nous n’avons là rien d’autre que le rapport d’exploitation) pousse le prolétariat à se constituer en classe révolutionnaire en abolissant ses conditions d’existence, mais ce qui est là son autotransformation est le produit de sa propre action à partir de sa contradiction avec le capital devenue dans ce cycle de luttes la contradiction avec sa propre existence comme classe. C’est la critique de toute nature révolutionnaire du prolétariat comme une essence définitoire enfouie ou masquée par la reproduction d’ensemble (l’autoprésupposition du capital).
Si la relation entre prolétariat et capital demeure simplement celle d’une réflexivité, nous sommes alors simplement en présence de deux termes qui s’opposent et dont l’opposition ne contient pas la possibilité du dépassement de leur opposition, c’est le problème auquel est confronté M, étant entendu qu’il a bien mis le doigt sur Le Problème de la révolution communiste : la rupture. Mais nous sommes avec M, face à des développements qui peuvent s’apparenter à ceux de Bruno Astarian dans son livre Le Travail et son dépassement : pour produire le communisme, il faudrait un moment où ce ne soit plus la classe, telle que définie dans son rapport au capital qui joue, cette classe, pour Astarian, ne pourrait nous mener qu’à « l’activité de crise » ; pour M, au « blocage » et à la « négation du capital ». « Aucun rapport de classe ne peut évoluer de lui-même vers un tel dépassement » dit Astarian. Chez lui, « l’activité de crise » vient combler l’hiatus et peut le faire par l’énorme appareil philosophique préalablement produit. Il faut reconaître que, pour son bien ou pour son mal, M n’a pas la cohérence d’Astarian, bien que certains passages sur le temps ou sur les « désirs » peuvent jouer un rôle analogue à la « nécesité humaine du communisme » (qui sans être développée systématiquement est la justification permanente de la problématique, comme le montre Tarona).
« Moi, je peux faire autre chose », dit en substance le prolétaire dans la révolution. En quelque sorte, il « s’échappe », se « retire », « fait défection », comme dit M. Mais, c’est précisément ce moment là qu’il faut produire dans la contradiction entre le prolétariat et le capital et dans son histoire, comme le moment particulier d’un cycle de luttes historiquement défini. Et non comme une intervention extérieure venant résoudre un problème que l’on ne parvient pas à poser correctement.
Le texte de M, comme beaucoup d’autres s’attaquant à ces mêmes questions, suppose tous les problèmes résolus car, dans ce type de démarche, est totalement laissé de côté « pourquoi nous disons cela maintenant ? ». M ne peut qu’avoir une pensée non-historique. En effet, si la « communisation externe » était un produit historique, elle ne pourrait qu’être dépendante de la « dialectique entre capital et le travail » qui est l’histoire du mode de production capitaliste, en cela elle se nierait elle-même comme « externe ». La « communisation externe » peut avoir des rapports formels (assez particuliers, simplement négatifs, voir plus loin) dans la construction logique du système avec cette « dialectique » mais pas des rapports historiques. La fin du texte de M le dit expressément : la « communisation externe » est « intemporelle ». En fait elle est l’instance qui vient boucler un système qui sans cela serait absurde au sens le plus fort du terme (Sisyphe).
Cette incompréhension gobale de la contradiction entre le prolétariat et le capital comme mouvement de la totalité essentiellement contradictoire qu’est le capital, la compréhension de M qui en reste à la contradiction entre les éléments d’un tout sans saisir que dans la contradiction de ses éléments, c’est le tout qui est en contradiction avec lui-même, le contraint à chercher, à l’extérieur de la contradiction, ce qui peut amener à la fin de son auto-reproduction : « la seule façon d’arrêter ça réside dans la constitution du second aspect de la communisation avec une force telle qu’elle rende impossible pour le capital son emprise sur le futur. Le communisme, la mort potentielle du capital, ne peut venir d’une dialectique entre le travail et le capital, il peut uniquement se produire si le blocage du capital par la lutte de classe est simultané au processus constitutif qui remplace les rapports du capital par de nouveaux rapports. Notre révolution doit être double ». Bien évidemment, ce n’est pas sur la nécesité de la constitution dans la lutte contre le capital d’autres relations entre les individus, c’est-à-dire la définition même de la révolution comme communisation, que nous sommes en désaccord avec M.
Là où nous sommes en désaccord, c’est lorsqu’il affirme que cette constitution ne peut venir d’une « dialectique entre le travail et le capital ». C’est-à-dire quand M se révèle incapable de comprendre le dépassement de cette dialectique à partir d’elle-même, comme son résultat. Il y a une rupture, il y a un saut, il y a production d’autre chose, mais cette rupture, ce saut, cette production d’autre chose sont le fait du prolétariat contre le capital, luttant encore en tant que classe en s’abolissant en tant que telle pour abolir le capital. Ce saut, cette constitution d’autres relations, sont produits par cette dialectique et en sont même encore, sous bien des aspects, un moment. Cela, simplement du fait que la révolution, la communisation, n’est pas l’oeuvre d’une classe qui a préalablement abandonné ses vieux habits de classe, mais qui ne les abandonne que dans ce mouvement même (ce mouvement même n’étant rendu possible que parce qu’il est action d’une classe). En résumé, pour M, le communsime « ne peut venir d’une dialectique entre le travail et le capital, il peut uniquement se produire si le blocage du capital par la lutte de classe est simultané au processus constitutif qui remplace les rapports du capital par de nouveaux rapports ». Nous serions d’accord s’il s’agisssait simplement de dire que le communisme n’est pas l’effondrement du capital, ou plutôt de dire que l’effondrement du capital c’est la constitution de nouveaux rapports. Mais voilà, déjà la seconde proposition est contraitre aux positions de M, qui pour construire tout son système a besoin de la distinction, ne serait-ce que théorique entre l’effondrement, le blocage, et la « pratique constitutive ». En outre, là où la position de M devient intenable, c’est une conséquence du point précédent, c’est quand il affirme qu’une telle « pratique constituante » d’autres rapports « ne peut venir d’une dialectique entre le capital et le travail ». Non seulement M ne dit jamais clairement d’où cela peut venir, mais le plus grave c’est qu’il enferme la dialectique entre le capital et le travail dans la reproduction du capital. Il faut alors soit, dire que la révolution communiste n’est pas l’œuvre du prolétariat, soit, que le prolétariat ne se défint pas dans cette dialectique, qu’il est autre chose que son rapport au capital, mais alors on ne voit pas pourquoi il se détruit en détruisant le capital. Si la communisation s’inscrit dans la dialectique entre le travail et le capital, c’est que celle-ci est une contradiction, c’est-à-dire bien autre chose que le seule reproduction de l’objet de cette dialectique, sa contradiction à lui-même et par là la possibilité de son dépassement.
M sait cela, c’est pour cela qu’il a énormément de mal à distinguer les deux types de communisation, non seulement dans le cours empirique de ce que pourrait être la révolution, mais encore au niveau de la typologie qu’il propose. Le vol, la resquille, le refus du travail, les groupes de lutte affinitaires… appartiennent à quelle catégorie de la typologie ? Tantôt l’une, tantôt l’autre. C’est lorsqu’il touche ses limites et montre ses incohérences que le texte de M pointe les questions théoriques fondamentales de la révolution comme communisation, c’est-à-dire de la révolution comme action d’une classe qui s’abolit comme classe en abolissant le capital, en créant des relations communistes entre les individus. « Notre révolution doit être double » affirme M, il veut que l’une et l’autre soit l’action du prolétariat, mais sa définition de la contradiction entre le prolétariat et le capital, sa séparation typologique entre les deux communisations, sa définition du prolétariat dans la « dialectique capital- travail » ne lui permettent pas de concevoir la seconde comme action de classe tout en la voulant telle. C’est là qu’il fait appel à des références confuses sur les « désirs » sur l’ « oppression humaine », c’est là qu’il en appelle à Pasolini, Lawrence, Spengler, Camatte etc. Il lui faut un lien entre les deux « révolutions », les deux « communisations », mais il faut simultanément qu’il n’y ait pas de lien, sinon toute sa thèse disparaît.
La « communisation interne », la lutte contre le capital jusqu’à son « blocage » dans le refus de la classe ouvrière de sa « subjectivité » comme « force de travail », ne sort pas, pour M, de la dialectique du capital, l’existence de la classe ouvrière est conditionnée par la force de travail, c’est pour M, à juste titre, la limite de Tronti. Cette lutte contre le capital ne sort pas de cette dialectique parce que « l’ouvrier non seulement incarne le travail, mais aussi le capital, par exemple à travers son rôle de consommateur ». En renouvelant sa force de travail, l’ouvrier renouvelle la condition essentielle du rapport du capital, c’est incontestable. L’ouvrier appartient à la société capitaliste, incarne-t-il pour autant le capital ? Non. Le travail devient capital, mais le capital ne devient jamais travail et encore moins ouvrier Le capital a acheté la force de travail et par là l’usage du travail vivant pendant un laps de temps déterminé, mais ce travail vivant, c’est à l’ouvrier de le fournir et les contraintes dans le procès de travail, la transformation de ce procès de travail en un procés adéquat au capital, témoignent constamment de ce que c’est toujours l’ouvrier qui doit fournir ce travail vivant selon les normes et les règles de la valorisation du capital. Et constamment, on s’aperçoit que les choses ne vont d’elles-mêmes, comme si le capital s’était « incarné » dans l’ouvrier. L’ « anthropomorphose » du capital est une vision de science-fiction qui n’avait, lorsqu’elle fut énoncée par Camatte dans Invariance, d’autre intérêt que d’être une critique du programmatisme. Mais, sa conclusion nécessaire est l’abandon des contradictions du capital comme contradiction entre des classes. L’ « anthropomorphose », c’est la disparition du prolétariat. Le capital ne connaît qu’une seule situation qualifiable d’ « anthropomorphose », c’est celle du débiteur qui est pour le créancier la personnification du capital prêté et qui en répond dans toute la singularité de son individualité (cf. Le Marchand de Venise), c’est en étandant cette situation du crédit à toutes les catégories que Camatte construisit son concept, en étroite relation avec ceux de « surfusion », de « fictivisation » et de « communauté matérielle ».
C’est grâce à cette « anthropomorphose » que M peut dire que « l’ouvrier est devenu la contradiction » et en conséquence que la contradiction ne porte aucun dépassement (nous verrons plus loin que cette position de principe, proprement intenable, sauf à faire de la révolution un miracle, souffre quelques accomodements). En fait la raison en est simple, si « l’ouvrier est devenu la contradiction », il n’y a plus de contradiction. Le capital est devenu alors un monstre automatique. Dans la notion de « communauté matérielle », les deux pôles du rapport capitaliste sont réifiés dans la mesure où la subsomption du travail sous le capital est considérée comme un mouvement du capital appliqué à lui-même. Le pôle travail est réfié, mais le pôle capital tout autant, par voie de conséquence. « Communauté matérielle » et « anthropomorphose » supposent que le capital est le seul sujet agissant, on est passé de la non-symétrie des pôles du rapport dans leur implication réciproque (du fait que l’un subsume l’autre) à une occultation ou une annihilation de la contradiction par laquelle ce mouvement existe. Le résultat, détaché de son propre processus de constitution, est donné comme sa propre cause (réification). C’est l’autoprésupposition du capital sans la contradiction qui la constitue. La notion de « communauté matérielle » renvoit à celle d’individus-personnes qu’il s’agirait de réunir, elle est en fait une notion politique. « La puissance de l’argent est le lien des choses et des hommes ». C’est exact, mais la notion de « communauté matérielle » comprend cela comme la réunification d’individus isolés, isolés des autres individus et de la communauté, puis réunis par un pur mécanisme économique matériel. Les individus du capital n’ont pas plus à être réunis par l’économie que ceux du féodalisme par la religion ou des rapports personnels. Ce sont les liens d’individus particuliers, définis dans et par un mode de production qui prennent la forme de l’économie et/ou de l’argent et non l’argent ou l’économie qui réunit entre eux des individus supposés isolés les uns des autres.
Avec « l’anthropomorphose » et la « communauté matérielle », on peut voir que si M a quelques problèmes à faire de l’histoire une instance de son système, il ne prétend pas pour autant que le capitalisme est toujours identique à lui-même, il introduit l’histoire mais d’une façon non réfléchie, non conceptuelle. M tient compte du passage de la subsomption formelle à la subsomption réelle du travail sous le capital. Même, citant Pasolini ou Camatte, il souligne que l’organisation matérielle des rapports de production devenant « spécifiquement capitalistes » réalise une « révolution anthropologique » : « La révolution anthropologique adapte les besoins des gens avec les besoins du capitalisme,… ». Il s’agit de la « capitalisation des besoins et des désirs humains ». Introduire l’histoire de façon non-historique, cela signifie que l’on ne pense pas le passé comme moment historique, mais seulement la situation actuelle. Le passé n’existe qu’en vertu de son rapport avec la situation actuelle qui est le seul moment historique véritable. « Le procès de personnalisation du capital (process of incarnation) qui a commencé, en occident, il y a environ cinq siècles, est achevé » (Camatte Capital et communauté, cité à l’appui de sa démonstration par M).
A trop vouloir montrer que la « dialectique capital-travail » ne porte aucun dépassement, M ne voit pas que sa conception de la subsomption réelle comme « révolution anthropologique » met tout simplement fin à la récurrence infinie de la réflexivité de cette « dialectique ». Cette fin n’est pas le dépassement de la relation, bien au contraire, elle signifie son impossible dépassement à partir d’elle-même dans la mesure où « durant la subsomption réelle, il n’y a pas de temps et de lieu en dehors du capital. Cela fait que l’ouvrier non seulement personnifie le travail mais aussi le capital, par exemple dans sa fonction de consommateur » ; « Le capital est donc aussi incarné dans l’ouvrier » ; « le travailleur en lui-même est la contradiction ». Mais, M ne semble pas saisir que les choses se compliquent extrêmement pour lui. Ce point final mis à la dialectique capital-travail impose le dépassement comme constitution d’un au-delà, au moment où « il n’y a plus de temps et de lieu en dehors du capital ».
L’ouvrier n’est pas la « personnification du conflit des classes comme totalité. Il y a loin entre le fait que d’une part, il n’y ait aucun en-dehors du capital, que le prolétaire soit, dans la totalité de sa vie, défini par le capital et sa reproduction, que le capital s’approprie (au sens fort) la force de travail et, d’autre part, le fait que le prolétaire soit devenu lui-même la contradiction. M veut montrer que la contradiction ne porte aucun dépassement d’elle-même à partir de ses propres termes, mais si le prolétaire était devenu lui-même la contradiction, il n’y aurait plus de contradiction. Il est étrange, dans ce passage du texte de M, de voir la subsomption se renverser. Ce n’est plus le capital qui subsume le travail, mais le travail qui semble subsumer le capital. Il est exact que le travail devient capital, mais le capital, quant à lui, ne devient jamais travail. L’exploitation est une subsomption du travail sous le capital et non le devenir réciproque de l’un dans l’autre.
Il est devenu indicible de penser la révolution comme émancipation du travail et comme prolétariat devenant classe dominante, la nécessité de la rupture entre le cours quotidien de la lutte des classes tel qu’il est le cours même du développement capitaliste et la révolution s’impose comme une évidence. C’est cela même qui conduit M à fonder cette nouvelle donne révolutionnaire dans la nature même du prolétariat maintenant : il est lui-même la contradiction. Mais ce faisant, la contradiction entre le prolétariat et le capital ne porte aucun dépassement, le prolétariat ne peut qu’être la manifestation vivante de la contradiction et de son impasse. M est tellement marqué par la nécessité de la rupture que ce qu’il peut arriver ensuite doit relever du miracle.
Cependant, pour M, si la « dialectique entre le capital et le travail » (pour autant qu’elle puisse encore exister, après ce que nous venons de voir) ne sort pas du capital (« autocritique du capital »), elle peut préparer certaines médiations entre les « deux communisations ». Elle est même là pour ça dans le système de M. Dans la « Réponse à ses critiques », M déclare qu’affirmer l’identité entre essence et existence du capital est une erreur seulement dans la lecture que cela induit de la critique de l’économie politique de Marx, il ne remet pas du tout en cause les utilisations « pratiques » qu’il fait de cette identité. En fait, la réflexion de M sur la relation entre essence et existence est une réflexion totalement juste qui se renverse en proposition totalement fausse. « Le rapport du capital est son existence matérielle » dit M, il ajoute même « il n’y a pas d’essence derrière l’apparence, pas de contenu derrière la forme ». Cela est fondamental pour concevoir la matérialité de la lutte des classes dans le procès de production et de reproduction (le procès de travail immédiat, le zonage urbain, le « monde de la marchandise »). Cela est également fondamental pour comprendre que la révolution communiste est une transformation tout ce qu’il y a de plus physique du monde, qu’elle est une nouvelle géographie.
Mais ce matérialisme conséquent est aussitôt renversé en idéalisme absolu : « Cela signifie que les abstraction de Marx, comme le travail, l’échange, et le capital, sont des abstractions concrètes et actuelles ». Le problème, c’est que M n’en reste pas à l’essence comme « concret de pensée », s’il n’y a pas d’essence derrière l’apparence, c’est, pour M, que l’apparence est l’essence. Ce serait en fait, à la façon d’Hegel, l’essence qui existe. Ces abstractions concrètes et actuelles sont seulement « déterminées par la période historique, le capitalisme, dans laquelle elles existent ». Cela permet à M de construire une des rares liaison existant, dans son texte, entre les deux instances qui sinon ne se rencontreraient jamais : la contradiction interne à la reproduction du capital et « l’échappement » hors de cette contradiction (la « dialectique » dit M). Le prolétariat est capable d’attaquer le capitalisme au niveau de ces abstractions, puisqu’elles sont « réelles » (mais nous n’aboutissons qu’à un « blocage », une impossibilité qui n’est que l’appel d’air pour « autre chose »). Ainsi pour M, dire qu’il n’y a pas d’essence derrière les apparences, permet de dire que le prolétariat peut attaquer l’essence du rapport, donc lui-même. Mais, pour cela, il faut sous-entendre que l’abstraction, l’essence comme « concret pensée », effectue la culbute spéculative bien connue par laquelle elle s’incarne et fait de la réalité son devenir.
Cette identité permet à M de dire que, dans toute lutte « immédiate », c’est le Capital qui est attaqué dans son essence, la valeur. L’identité entre l’essence et l’existence permet de hisser la « communisation comme attaque » à son niveau de médiation, de préparation du second acte, la « communisation comme défection », elle est là pour préfigurer la sortie de la lutte des classes de la « dialectique capital-travail », de son immédiateté. De là, la possibilité de l’émergence d’ « autre chose » car c’est, dans son objectivité nécessaire (rapports de production et forces productives), le Capital qui est attaqué. C’est à partir de là que peuvent se créer des « extériorités ».
« C’est d’abord quand cette situation – la situation de travailleur – est remise en cause qu’une rupture révolutionnaire peut se produire ; et cette rupture est le produit d’une classe ouvrière créant une distance à la position qui fait d’elle une classe. », ou alors « Quand les travailleurs, dans leur pratique mettent leur existence en question ». Mais : « Bien que le communisme ne soit pas produit par le cours du rapport entre le capital et le travail, le mouvement communiste est un phénomène qui se déroule dans et contre le capital. ». Nous sommes là sur des affirmations auxquelles il serait facile de souscrire si ce n’est le refus de ce que le communisme soit produit par le cours du rapport entre le travail et le capital. Comment un phénomène qui n’est pas produit dans ce rapport, peut-il toutefois se dérouler « dans et contre le capital ». Pour M, il s’agit alors d’une opposition extérieure au capital, qui part d’un extérieur. M a une médiation (grâce à « l’attaque des abstractions »), mais contrairement à la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe, cette médiation du « saut » est chez M purement négative, elle n’a aucun contenu, elle n’est pas un ensemble de pratiques par lesquelles le prolétariat contre le capital fait autre chose, c’est un simple vide qui nécessite autre chose. Cette « autre chose » est une opposition extérieure au rapport capitaliste. La médiation n’est chez M que la nécessité de faire autre chose, elle ne produit pas, en elle-même, la possibilité de faire autre chose. L’ « autre chose », pour M, ne trouve pas son fondement, mais seulement sa possibilité négative, dans la « médiation ». Cet « autre chose » trouve son fondement ailleurs que dans le rapport capitaliste. C’est là que M dérape (cf. Le bolchévisme sans parti : une posture révolutionnaire). Cet ailleurs ce seront les « désirs » qui apparaissent à ce moment là, mais d’où apparaissent-ils ? Il faut à ce moent là faire appel à une certaine conception de l’homme telle que « l’anthropomorphose » la sous-entend : l’individu-personne. Mais M se crée des problèmes insolubles en cascade. L’anthropomorphose doit, pour les besoins généraux de la démonstration, être considérée comme structurelle et achevée et pour les besoins particuliers de « l’ailleurs », de « l’échappement », être considérée comme empiriquement inachevable dans l’irréductibilité du travail vivant). Cette disjonction entre un achèvement structurel et un inachèvement empirique acquiert une existence humaine particulière sous la forme des « révolutionnaires ». M a une médiation mais une médiation qui ne mène qu’à un cul-de-sac (cul-de-sac nécessaire, car sinon c’est toute l’architecture de la « double révolution » qui s’effondre, il faut une médiation, mais il faut que cette médiation n’en soit pas une)
La lutte des classes, le prolétariat contre le capital, ne nous mènerait qu’à un point de rupture, à un « blocage », mais pas au-delà, comme si le contenu de la contradiction n’était plus présent dans le « blocage ». Ce qui échappe à M, dans son dualisme, c’est que s’il y a « blocage », c’est que dans le capital comme contradiction en procès, il y a le prolétariat comme dissolution des conditions existantes en tant que mouvement même de ces conditions. Ce contenu ne s’évanouit pas, il est même la seule réalité du « blocage » qui n’est alors rien de purement « négatif », mais peut, parce qu’il a un contenu, être la possibilité du dépassement du mode de production capitaliste. La situation où tout s’arrête, la situation où l’histoire est suspendue n’existe pas. A la différence de Bruno Astarian qui, à ce moment là, fait intervenir toute la problématique humaniste préalablement et explicitement produite, M veut que la suite soit tout autant affaire de classe, c’est là que sa construction théorique devient confuse, non-maîtrisée et s’effondre. Il veut une action de classe contre le capital, mais qui ne soit plus une contradiction avec le capital, qui soit un « extérieur » contre le capital, plus précisément face au capital. M affirme que la « dimension externe concrète » est déterminée par la lutte de classe, c’est-à-dire la « communisation comme mouvement interne », la « dimension externe » doit donc être à la fois déterminée par une volonté de quitter le « vieux monde » produite par l’action du prolétariat interne à la dialectique du capital et simultanément quelque chose qui n’appartienne plus à la contradiction tout en demeurant action du prolétariat. L’impression d’inachèvement théorique du texte provient de ce qu’en réalité, pour M, ce n’est pas la révolution qui est double, c’est le prolétariat, mais cela M ne le développe pas explicitement car il sent bien qu’il ne ferait qu’exposer quelques niaiseries humanistes. La chose n’est que suggérée au travers de l’insistance récurrente sur les « désirs » qui croissent « spontanément » et « nécessairement » des pratiques seulement « destructives » du prolétariat. « Les en-dehors se créent quand les gens désertent, se retirent de leur rôle de force de travail ». Mais personne n’a la moindre possibilité de déserter, de se retirer, les pratiques qui sérieusement (il s’agit de la catastrophe sociale qu’est la révolution comme communisation et non de la resquille ou du téléchargement pirate) pourront correspondre à ce que M envisage sont réellement les pratiques destructives du capital, il ne s’agit pas seulement d’une simultanéité de fait, mais d’une simultanéité théorique et réelle. Loin d’être un « retrait », une « désertion », une « défection », la communisation comme construction d’autres relation entre les individus n’échappe au capital que dans la mesure où elle est son abolition, dans la mesure où le prolétariat reconnaît toute son existence comme objectivée face à lui dans le capital. Il détruit lui-même ce qu’il est, non en se retournant contre lui-même, mais dans un rapport contradictoire où l’implication réciproque entre le prolétariat et le capital atteint sa plus grande intensité en ce qu’elle est l’enjeu même de la lutte.
M a beau dire que, dans la réalité, tout est interconnecté, c’est pour mieux souligner la nécessité de les séparer dans la théorie, dans la « typologie ». Pour le « premier mode de la communisation », M accepte le point de vue opéraïste, il ne lui reproche que sa finitude, de s’arrêter en chemin. Mais c’est le point de vue opéraïste même qui est faux. M est d’accord avec l’opéraïsme sur la nécessité théorique « d’inverser la polarité » entre le prolétariat et le capital, « le développement capitaliste devient subordonné aux luttes de la classe ouvrière », « nous persistons à considérer le travail comme le point de départ du rapport capitaliste ». Si M ne parvient pas à saisir ce qu’est une contradiction dans l’ensemble de ses déterminations, c’est-à-dire que le processus constitutif d’autres relations est encore dans la contradiction, c’est que sa vision du capital et de l’implication réciproque est encore totalement opéraïste. L’operaïsme ne comprend la subsomption du travail sous le capital que comme une « stratégie » du capital et non comme un processus qui vient tout autant du travail face au capital, travail salarié qui est lui-même transubstantiation. C’est à nouveau la contradiction entre les deux qui n’est pas saisie. M, comme les opéraïstes, ne comprend pas la contradiction entre le prolétariat et le capital comme subsomption, c’est pourquoi il se contente de dire, face à la vision objectiviste traditionnelle, qu’il faut « renverser les termes ». Par là, ils demeurent dans le programmatisme, tout en croyant en prendre le contrepied. Ils ne font que renverser l’objectivisme sans le dépasser, tout au plus on a ajouter une détermination subjective face à l’objectivité. Le rapport n’est pas désobjectivé pour autant, c’est-à-dire que l’on a pas saisi l’objectivité et l’économie comme un moment nécessaire dans la reproduction de la contradiction entre le prolétariat et le capital.
M ne fait qu’accrocher un petit wagon théorique, un petit complément théorique, à l’operaïsme. Il ne comprend pas que c’est toute la vision opéraïste qui est à rejeter. S’il ne la rejette pas, il voit cependant que ça coince car débouchant sur une nouvelle forme d’affirmation de la classe, alors il ajoute le petit wagon de la « nécessaire défection », de la lutte contre mais « face » et non « dans ». « Nous élargissons simplement cette vision » dit-il. M cherche à sortir l’opéraïsme du programmatisme tout en en conservant les fondements théoriques. L’entreprise est vouer au rafistolage, au bricolage et à l’échec.
Il existerait donc deux communisations, une « communisation interne » et une « communisation externe ». Malgré toutes les critiques que l’on peut faire à la problématique générale de M, nous pouvons admettre l’appellation de « communisation » pour la seconde, même si nous ne la comprenons pas de la même façon et même si les activités que dès maintenant il range dans cette catégorie relèvent soit de la lutte de classe la plus immédiate de défense du salaire ou des conditions de travail, telle qu’elle ne peut que se dérouler maintenant avec l’effondrement du mouvement ouvrier et l’insatisfaction permanente que suscite l’auto-organisation en ce qu’elle entérine la situation présente, soit de la débrouille alternative. Il est en revanche difficile d’admettre l’appellation de « communisation » pour la « communisation interne ». Qu’est-ce qui est communiser dans une activité que M lui-même nous décrit comme ne sortant pas de la « dialectique entre le capital et travail » et parvenant, au mieux, au « blocage » du mode de production.
Ce qui est gênant chez M, ce n’est pas qu’il ne parvienne pas ou mal à faire la liaison entre ces deux « communisations », mais surtout qu’il ait deux éléments quelles que soient les liaisons qu’il produise ou non. En outre, si la seconde est « fausse », c’est que « l’erreur » est avant tout dans la première. A la base, c’est la compréhension de la « dialectique entre le capital et le travail » qui est « fausse ». C’est une erreur qui produit en cascade toutes les autres. De son propre point de vue, M ne peut soutenir simultanément que cette « dialectique » ne « fonctionne qu’en tant que moteur du capital » et y voir une sorte de préparation de la seconde en admettant, comme il le fait, que le communisme puisse « se sauver du capital par les trous disjoints créés par la lutte de classe dans le rapport capitaliste », ou alors que « la possibilité de de-subjectivation et de de-objectivation sont produites dans la lutte de classe ». Comment de telles choses peuvent être possible après la description faite de la subsomption réelle et de « l’anthropomorphose du capital ». D’autant plus que la de-subjectivation est chez M le refus par la classe ouvrière de son rôle de force de travail (la subjectivité du travail face au capital), et la de-objectivation est l’attaque du procès de production immédiat en ce que, dans son objectivité, il est l’abstraction même du rapport capitaliste.
Une autre « médiation » résiderait dans le fait que « la communisation interne ce sont les pratiques qui, directement et sans médiation, se tournent contre l’exploitation, l’accumulation de valeur… », mais c’est là tout simplement la lute de classe dans sa réalité la plus triviale, celle qui ne serait que « le moteur du capital ». L’essentiel est, pour M, dans le « sans médiation » : « des actions communisatrices, comme par exemple les grèves sauvages qui évitent la médiation syndicale ». Mais pourquoi « l’évitement de la médiation syndicale » peut-elle être qualifiée de « pratiques communistes » ou, plus loin, de « potentiel communiste » ? Parce que M reprend une structure d’analyse du rapport entre prolétariat et capital héritée de la Gauche germano-hollandaise, comme auparavant il reprenait le « renversement » opéraïste. Dans ces deux cas, M après avoir constaté les impases devenues manifestes de ces théorisations, se contente de leur adjoindre, sans les critiquer, en les conservant, la « communisation externe » comme le supplément qu’elles nécessitent. Il ne s’aperçoit pas que son supplément n’est que le supplément de ces impasses et n’a de sens qu’à l’intérieur même de ces impasses.
Conservant une perspective révolutionnaire d’affirmation de la classe, la Gauche germano-hollandaise avait décalé la question de l’implication réciproque entre prolétariat et capital en problème de l’intégration de la classe et plus pratiquement en problème d’organisation, de chefs, d’organisations-fins-en-soi, de bureaucratie, et globalement de critique de toute « intervention extérieure ». Sa réflexion sur « le vieux mouvement ouvrier », son analyse de la révolution russe, et ses critiques de la politique ouvrière, amenèrent la Gauche germano-hollandaise à penser que le prolétariat faisait la révolution, portait le communisme, en étant en contradiction, en détruisant tout ce qui faisait son existence immédiate dans cette société et tout ce qui l’exprime. On conservait la révolution comme affirmation de l’être de la classe en critiquant toutes les formes d’existence de cet être (le concept d’implication réciproque amène à ne plus considérer cette existence en contradiction avec son être).
Il apparaissait au fur et à mesure de l’approfondissement de la subsomption réelle que les médiations de l’existence de la classe dans le mode de production capitaliste, loin d’être extérieures à cet « être » de la classe devant s’affirmer contre elles, n’étaient que celui-ci en mouvement, que celui-ci dans son implication nécessaire avec l’autre pôle de la société, le capital. L’Ultra-gauche arrivait simultanément, d’une part à la critique de toute relation entre l’existence de la classe dans le mode de production capitaliste et le communisme, et d’autre part à l’affirmation de l’adéquation du communisme et de l’être de la classe, la contradiction était provisoirement dépassée par la compréhension / limitation de l’intégration comme relevant de toutes les médiations posées entre l’être de la classe et le communisme. Pour l’Ultra-gauche il fallait combattre et supprimer toutes ces médiations y compris et surtout l’intervention des « révolutionnaires ». Le prolétariat devait se nier comme classe du capital (acquérir son autonomie) pour réaliser ce qu’il était vraiment et qui dépassait le capital : classe du travail et de son organisation sociale, du développement des force productives. Mais la réalité têtue imposait de voir que ce qu’il était vraiment était précisément ce qui permettait aux médiations d’exister, était dans un rapport nécessaire avec ces médiations. L’organisation autonome de la classe qui se différencie de l’organisation dans le capitalisme part de l’être le plus profond de la classe « de façon naturelle » (que ne doit perturber aucune organisation permanente de révolutionnaire, à laquelle aucun « programme » ne doit être fixé, « programme » considéré à la fois comme nuisible et sans effet) ; mais c’est bien toujours la classe telle qu’elle est dans le capitalisme dont l’être s’affirme comme communisme : « l’organisation d’entreprise est le début du communisme ». Le renversement (révolution) est « possible » parce que l’être pour le capital n’est qu’une aliénation : l’être devenu étranger à lui-même, cette extériorisation ce sont les médiations : syndicats, politique, parlement. La révolution est conçue comme libération et affirmation de l’être de la classe.
Bien sûr M ne parle plus de « l’organisation d’entreprise », de la « classe du travail » et du « développement des forces productives » comme « début du comunisme », mais c’est toujours une rupture avec les « médiations », qui est le « début du communisme ». Si maintenant nous devons sortir des médiations, c’est que, comme le dit M dans une note d’un autre texte (Hamburgers vs Value, disponible sur le site de Trop Loin) : « Le communisme est un mouvement, cela signifie qu’il existe comme une dynamique sous la lutte de classe ou comme tendance en elle. Nous ne voyons pas la société communiste dans la lutte de classe, nous voyons des "potentialités communistes". Chaque lutte contre le capital a un aspect universel car c’est une protestation contre une vie inhumaine, et cela est le germe d’une communauté humaine future. » Tout le monde aura reconnu la paraphrase du texte de Marx sur la révolte des tisserands silésiens (1844). Il est évident que tout cet appareil humaniste est constamment sous-jacent au texte de M, c’est la seule façon de le faire tenir debout. Il faut que la lutte de classe soit autre chose que la lutte de classe pour préparer son dépassement et, pour que ce dépassement soit une lutte « extérieure » contre le capital, à cet extérieur, il faut un fondement, une « dynamique sous la lutte de classe ». Dans ce texte qui relate l’expérience de M au travail dans un fast-food, il lève le cas de conscience que lui pose sa relative sympathie pour son petit patron qui se crève lui aussi à la tâche, en reconnaissant que cette sympathie est le signe que la lutte de classe amorce son dépassement en communisation en ce que cette sympathie manifeste l’humanité de cette lutte. En sympathisant avec le patron, il avait dépassé son strict enfermement dans la « dialectique entre le capital et le travail ».
Qu’est-ce que la classe alors ? Ce sont les « médiations », ce n’est pas une appartenance définitoire et contradictoire au mode de production capitaliste, c’est une intégration. La rupture des « médiations » devient essentielle car elle est la condition d’apparition de cette « tendance », de ces « potentialités communistes » car elle est la rupture de l’intégration, libération au grand jour de la tendance sous-jacente à la lutte de classe. M le confirme à la fin de son texte, nous y reviendrons, lorsqu’il affirme que la « communisation externe » est « intemporelle ». Comment la définition de la « communauté humaine » pourrait ne pas être « intemporelle » ?
« Nous sommes la contradiction » proclame dans son titre un texte cosigné par M et Dauvé. Prenons au sérieux ce qui ramène la lutte de classe au niveau d’une crise de schizophrénie. Ce « nous » c’est bien évidemment le prolétariat et M fait référence au texte de Dauvé et Nésic « Prolétaires et travail, une histoire d’amour » (To Work or not to work, is that the question, en anglais) comme bonne tentative d’ « enquête historique » sur l’ « échappement », sur la « communisation externe ». Ce texte se situe parfois explicitement dans la même problématique que celle du texte de M : « ..les prolétaires agiront (au moment de la révolution, nda) comme s’ils étaient l’en-dehors (en gras dans le texte, mais les « gras » ça fait vilain) de cette société et se rattacheront à une dimension universelle, celle d’une société sans classe, d’une communauté humaine » (Prolétaire et travail : une histoire d’amour ?, p.33). C’est dans ce texte de Dauvé et Nésic qu’il faut aller voir pourquoi « nous sommes une contradiction ». Selon les deux auteurs français, nous somme partagés entre l’adhésion et l’échappement.
adhésion / échappement
(dualité de l’adhésion)
lié au capital provient du travail,
socialisation anthropologique
révolution
L’adhésion elle-même se dédouble en lien avec le capital et travail propre de socialisation anthropologique par le travail ; la possibilité révolutionnaire se trouve alors suspendue à la rencontre de l’échappement avec le second aspect du dédoublement de l’adhésion, la socialisation anthropologique. Marcel et Dauvé, dans leur texte commun, nous le disent : « L’auto-organisation de la vie au travail (et de ses luttes) est paradoxalement aussi une condition pour une possible révolution. ». Pourquoi « paradoxalement » ? Tout leur texte ne cherche à montrer que cela. Mais alors où sont le saut, la rupture, l’en-dehors de la communisation externe qui est maintenant, dans la lutte de classe actuelle, si bien préparée, si bien en germes (dans le même texte nous apprenons que Marcel et Dauvé ne sont pas favorables à l’imposition d’un régime végétarien à l’ensemble de l’humanité).
Derrière « l’échappement » et la « communisation externe », derrière la sortie de la « dialectique entre le travail et le capital », il y a l’actiivté anthropologique, c’est-à-dire l’autogestion. « Le lecteur comprendra que nous n’attendons pas une société où chaque seconde est "fun" » (M et Dauvé, Nous sommes la contradiction). Le lecteur l’avait déjà bien compris, surtout qu’il avait été prévenu : « La signification du mouvement communiste n’est pas de se débarrasser de l’aspect pénible du travail en renvoyant son ennui vers les machines qui travailleront pendant que nous banquetterons, écrirons des poèmes et ferons l’amour… » (ibid). M et Dauvé ne s’aperçoivent pas que les mots qu’ils emploient n’ont de sens que dans une société de classe et dans le capitalisme en particulier (c’est le simple envers de la vision de Vaneigem qu’ils avaient l’intention de critiquer). Rappelons que, en France, dans le texte Prolétaires et travail, Dauvé et Nésic sont d’intransigeants – et intemporels - défenseurs de « l’abolition du travail », …mais, en Suède, ils ne le sont pas de son aspect pénible et ennuyeux. Les Scandinaves qui ont échangé « la certitude de ne pas mourir de faim contre celle de mourir d’ennui » n’ont que ce qu’ils méritent.
Dans la problématique de M, est-ce que l’on peut dire que la communisation se dédouble en communisation « interne » et « externe » ? Que la communisation est en fait un mouvement unique ? Il semble que non. Mais alors, sans cela, il est impropre de parler de communisation au sens « interne ». On ne pourrait désigner ce premier moment comme « communisation » que s’il était déjà, lui aussi, la production d’autre chose, que s’il était, en lui, la production de son dépassement , la « communisation externe » que, d’une certaine façon, il contiendrait déjà. M succombe sans cesse à cette tentation, mais c’est alors toute l’architecture de son discours qui menace de s’effondrer et surtout la nouveauté radicale qu’il veut apporter à la théorie : la communisation externe, l’échappement.
L’ « anthropomorphose du capital », la « communauté matérielle » aboutissent à ce que « le capital est devenu l’être commun, l’oppresseur de l’homme ». C’est de là que naissent la possibilité (« nous sommes la contradiction ») et la nécessité (les « désirs naissants ») de « créer des extériorités », lorsque les gens en ont assez du travail et attaquent le capital : vol, refus du travail émeutes, grèves. Ils créent des « sphères de relations qui abandonnent le capital » ; « le communisme, la dissolution émergente, apparaît lorsque les gens désirent une autre existence. ». Nous pourrions être d’accord avec la dernière phrase à condition que les « gens » (people) soient expressément définis comme prolétaires, mais nous savons qu’il s’agit là d’une des principales ambiguïtés du texte de M qui ne peut produire la seconde forme de communisation comme moment de la contradiction entre le prolétariat et le capital. C’est-à-dire finalement, qu’il ne peut la produire comme action du prolétariat ou alors il lui faut un prolétariat double ce que soutend sans cesse sa critique des médiations. le prolétariat devient, chez M, une apparence. M est enfermé dans une contradiction : si la « dialectique capital-travail » ne produit que son renouvellement, la « communisation externe » ne peut être action de classe, à moins que le prolétariat ne soit qu’une apparence (les médiations). M voit l’essentiel : « l’intervention » qui met fin à la « dialectique entre le capital et le travail » est « la lutte de la classe ouvrière contre elle-même ». Ce que M ne saisit pas c’est que la « lutte de la classe ouvrière contre elle-même » est une lutte contre le capital qui fait que la communisation est action d’une classe, que la lutte de la classe ouvrière contre elle-même est la production d’autres relations dans la lutte de classe contre le capital et que cela n’est possible que de par le contenu de cette contradiction aussi bien dans son fond que dans sa forme.
Il n’y a pas deux communisations, mais une lutte de classe qui contient le moment de son dépassement, qui le produit. M sait que le communisme est l’abolition de toutes les classes et que cela est le processus même de la révolution, en cela M a parfaitement saisi toute l’importance et toute la difficulté du concept de communisation, mais il raisonne de façon formelle : si c’est l’abolition des classes, cela ne peut résulter de la contradiction dans laquelle les classes sont définies. Il faut donc sortir de la contradiction pour abolir les classes, là est l’erreur essentielle. Mais cette erreur n’est pas une simple erreur sur ce qu’est une contradiction et plus particulièrement la contradiction entre le prolétariat et le capital. M veut du positif, du positif dès maintenant. La lutte de classe dans le cycle de luttes actuel crée un écart à l’intérieur d’elle-même, un écart dans le fait d’agir en tant que classe, un écart entre d’une part, n’avoir que le capital comme horizon et comme définition et, d’autre part, par là même, se remettre en cause. Mais on demeure encore à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe, à l’intérieur de la « dialectique » dirait M, c’est-à-dire, en réalité, à l’intérieur de la contradiction. M veut, dès maintenant, du positif
Bien sûr qu’il faut sortir du mouvement de la réflexivité de la contradiction comme implication réciproque, il y a un moment du « je fais autre chose ». Mais la nature même de ce « je fais autre chose » qui, pour le prolétariat, lui vient de la lutte de classe, de sa définition même comme classe, de sa situation dans cette lutte (exploitation qui n’est jamais confirmation), implique que le « je fais autre chose » ne peut être que quelque chose de massif, de catastrophique, une révolution, une réaction en chaîne démontant les rapports capitalistes et en remontant d’autres tout autant en chaîne. Jusque là, personne n’est à l’extérieur ni en réalité, ni en tendance, mais seulement en illusions. Quand M fait référence à quelques aspects des mouvements de luttes en Argentine, il n’y a de « sphères extérieures » que dans la tête des neo-operaïstes comme Holloway. Ces pratiques peuvent montrer la nature du cycle de luttes actuel, annoncer la rupture à venir comme produite à partir de la lutte de classe de notre époque, mais elles ne sont encore qu’un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe contre le capital, elles ne sont qu’un effet de ce que, dans le cycle de luttes présent, agir en tant que classe contient, contre le capital, sa remise en cause en tant que classe. Non seulement, comme dit M, ces moments sont intriqués dans la lutte contre le capital, mais encore ils en sont une détermination interne de cette lutte. M a mis au point une méthode imparable : au niveau des faits, c’est intriqué, inséparable ; au niveau de la tendance, c’est un extérieur, une « dimension externe » de la lutte de classe. Au niveau des faits, toutes les vaches sont grises ; au niveau de la tendance, elles sont blanches ou noires.
Au-delà de l’insignifiance alternativiste des exemples donnés par M de ces « sphéres extérieures », c’est au fondement, pour M, de leur existence qu’il faut aller.
« Les gens (toujours ces people, nda) s’échappent de et attaquent le rapport capitaliste (à partir d’un extérieur, nda) par le développement de désirs et de rapports que le capital ne peut satisfaire » ; « La communauté humaine devient communauté monétaire. Le capital cherche à quantifier tous les phénomènes. (…) La quantification ne signifie pas que toute qualité s’évanouit. ». « Il y aura toujours un extérieur dont le capital ne peut s’emparer (…) le capital dépend d’une variable externe : le travail vivant. (…) C’est le travail vivant qui est le futur, le temps que le capitalisme doit recréer (…) le travail vivant, à un moment donné, existe en dehors de la dialectique du capital (…) toute activité n’est pas encore médiatisée par la valeur. »
Le travail vivant n’est jamais, à partir du moment où le capital se reproduit sur sa propre base, une variable externe, ni dans son emploi, ni dans sa reproduction, ni même dans sa « démographie ». Chaque mode de production a ses lois de population. Le travail vivant est la seule valeur d’usage qui puisse faire face au capital, mais cela n’en fait pas un extérieur, cela fait du capital la valeur en procès. Mais M ne nous parle pas que du travail vivant, il élargit la problématique au « qualitatif », aux activités qui semblent relever de l’ordre du personnel et de l’intime : ces désirs que le capital ne peut satisfaire et en premier lieu celui de la « communauté ».
Aimons-nous comme dans la Grèce antique ? Sommes-nous amis comme dans la Chine des mandarins ? Avons-nous les plaisirs esthétiques de l’Europe médiévale (si une telle chose existait) ? L’amour maternel est-il une invention ? Sommes nous femmes, hommes, ou « de notre choix », comme chez les Indiens des plaines ? Souffrons-nous, mourrons-nous comme un Inuit d’avant l’alcoolisme ? Tout activité ne valorise pas le capital, mais toute activité, tout sentiment, toute émotion est médiatisé par la valeur, car elles sont l’activité, le sentiment, l’émotion de cette chose impensable avant la grande révolution capitaliste : l’individu.
La nouveauté absolue qu’a été l’apparition du mode de production capitaliste permet de comprendre l’apparition de la problématique du sujet et de l’objet, du moi et du monde, de la conscience et de l’objectivité. « Dans cette société (la société bourgeoise, nda) où règne la libre concurrence, l’individu apparaît détaché des liens naturels, etc., qui font de lui à des époques historiques antérieures un élément d’un conglomérat humain déterminé et délimité. (…) Ce n’est qu’au XVIIIème siècle, dans la société bourgeoise, que les différentes formes de l’ensemble social se présentent à l’individu comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité extérieure. Mais l’époque qui engendre ce point de vue, celui de l’individu isolé, est précisément celle où les rapports sociaux (revêtant de ce point de vue un caractère général) ont atteint le plus grand développement qu’ils aient connu. L’homme est, au sens le plus littéral, un animal politique, non seulement un animal sociable, mais un animal qui ne peut s’isoler que dans la société » (Marx, Introduction à la critique de l’économie politique -1857-, in Contribution à la critique de l’économie politique, Ed. Soc., p.149-150). Au XVIème / XVIIème siècles, avec la fusion des éléments proto-capitalistes en système capitaliste, la société fait face à un bouleversement qu’elle doit comprendre, dépasser et résorber et d’où naissent toutes nos qualités. Un bouleversement qui est d’abord saisi comme une fracture, une dissolution de l’obscurité enveloppant l’homme individuel, une annonciation, « le temps revient » avait écrit Laurent de Médicis sur sa bannière, le temps de l’individu, tel que l’homme grec en représentait l’accomplissement imaginaire. Mais, l’inquiétude du Baroque succède à la brève exaltation de la Renaissance. Il fallait cette époque où les rapports sociaux atteignent le plus grand développement qu’ils aient connu et où ce plus grand développement est le plus grand isolement pour qu’apparaisse quelque chose comme nos sentiments, nos émotions et nos souffrances modernes, ainsi que la grande philosophie classique du « sujet ».
Au premier abord, les affirmations de M ont pour elles l’évidence de la subjectivité et de l’idéalisme qui sont notre façon de penser spontanée : nous désirons autre chose. Mais ce désir est on ne peut plus objectif et on ne peut plus inscrit dans la « dialectique entre le capital et le travail », il appartient au mouvement de son abolition, à la contradiction qui la constitue, il ne relève pas d’un « extérieur » s’opposant « en tant qu’extérieur » en tant que « subjectivité », en tant que « qualité », au capital.
En effet, partir des hommes réellement existants, cela signifie que : « Tant que la contradiction n’est pas apparue, les conditions dans lesquelles les individus entrent en relation entre eux sont des conditions inhérentes à leur individualité, elles ne sont nullement extérieures et seules, elle permettent à ces individus déterminés et existant dans des conditions déterminées de produire leur vie matérielle et tout ce qui en découle ce sont donc des conditions de leur manifestation active de soi et elles sont produites par cette manifestation de soi. En conséquence, tant que la contradiction n’est pas encore intervenue, les conditions déterminées, dans lesquelles les individus produisent, correspondent donc à leur limitation effective, à leur existence bornée, dont le caractère limité ne se révèle qu’avec l’apparition de la contradiction et existe de ce fait pour la génération postérieure. Alors cette condition apparaît comme une entrave accidentelle, alors on attribue à l’époque antérieure la conscience qu’elle était une entrave. Ces différentes conditions qui apparaissent d’abord comme conditions de la manifestation de soi, et plus tard comme entraves de celle-ci, forment dans toute l’évolution historique une suite cohérente de modes d’échange. » (Marx, l’Idéologie allemande, Ed. Soc., p. 98).
Du fait de la division du travail (division sociale qui est répartition des moyens de production donc division de la société en classes, division entre travail matériel et intellectuel, formes d’appropriation du produit), ces individus limités voient se dresser face à eux de façon indépendante d’eux-mêmes, du fait même de leur division, leur communauté, tout aussi limitée qu’ils le sont eux-mêmes. C’est cela l’aliénation, non celle de l’humain (qui est toujours la vision de l’époque ultérieure sur celles qui l’ont précédée) mais d’individus déterminés engagés dans des formes historiquement déterminées de production de la vie : leur aliénation est la propre manifestation d’eux-mêmes. Même dans leur aliénation, les individus ne sont jamais partis que d’eux-mêmes. Leur propre limitation avec la communauté toute aussi limitée qui se dresse face à eux (union de la classe dominante ), est « leur manifestation active de soi », leur aliénation.
Si plus rien n’est donné d’avance, plus d’aliénation comme manifestation d’une essence humaine, déjà vraie et déjà là, dont l’aliénation est même la preuve, si nous n’avons qu’une société divisée en classes dans laquelle les prolétaires ne sont pas les porteurs de l’humanité ou de la réalisation de la philosophie, mais seulement de leur exploitation qui les définit dans cette société, c’est la théorie de la révolution qu’il faut reprendre sur des bases entièrement nouvelles. Il ne suffit plus d’abolir les médiations nous séparant de la communauté, mais il faut définir la pratique révolutionnaire. C’est le concept clé des Thèses sur Feuerbach.
La plus grande portée de ce concept, sa radicale nouveauté en tant que théorie de la révolution, c’est d’affirmer la coïncidence du changement des circonstances et de l’activité humaine ou changement de soi-même. Marx dépasse ici, dans le milieu révolutionnaire des années 1840, l’antithèse entre le matérialisme du XVIIIème siècle et le jeune hégélianisme de gauche (travail du négatif comme conscience). Antithèse sur laquelle fonctionne encore le texte de M : nous serions d’une part coincés dans une « dialectique » et d’autre part libres d’imaginer un futur autre. Au cours de la lutte de classe, le prolétariat se transforme lui-même et trouve la capacité, dans son affrontement avec la société capitaliste, dont il est une classe, de construire une nouvelle société.
C’est une auto-émancipation, le prolétariat n’est qu’une classe de cette société, il n’est pas l’humanité souffrante, la perte de l’homme qui contient virtuellement son regain total : « Une transformation massive des hommes s’avère nécessaire pour la création en masse de cette conscience communiste, comme aussi pour mener à bien la chose elle-même ; or, une telle transformation ne peut s’opérer que par un mouvement pratique, par une révolution ; cette révolution n’est donc pas seulement rendue nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de renverser la classe dominante, elle l’est également parce que seule une révolution permettra à la classe qui renverse l’autre de balayer toute la pourriture du vieux système qui lui colle après (souligné par nous) et de devenir apte à fonder la société sur des bases nouvelles. » (ibid, p.68). Non seulement la « pourriture du vieux système lui colle après », mais encore cette pourriture est sa définition : « Stirner croit ici que les prolétaires communistes qui révolutionnent la société et établissent les rapports de production et les formes des relations sur une base nouvelle, c’est-à-dire sur eux-mêmes, en tant qu’hommes nouveaux, sur leur nouveau mode de vie, restent "ceux qu’ils étaient dans le passé". La propagande inlassable que font les prolétaires, les discussions qu’ils organisent entre eux quotidiennement, prouvent à suffisance combien peu eux-mêmes veulent rester "ceux qu’ils étaient" (souligné par nous), et combien d’une manière générale, ils souhaitent que les hommes ne restent pas "ceux qu’ils étaient". Ils ne resteraient "ceux qu’ils étaient dans le passé" que si, avec saint Sancho, ils "cherchaient la faute en eux-mêmes" ; mais ils savent trop bien que c’est seulement lorsque les conditions seront modifiées qu’ils cesseront d’être "ceux qu’ils étaient" et c’est pourquoi ils sont décidés à modifier ces conditions à la première occasion. Dans l’activité révolutionnaire, se changer soi-même et changer ces conditions coïncident. » (ibid, p.242). La dernière phrase répète à l’identique une formule des Thèses. Le thème est récurrent dans l’Idéologie allemande, c’est le cœur de la conception de l’auto-émancipation du prolétariat : les prolétaires, agissant en tant que classe, abolissant leurs propres conditions d’existence qui les définissent, se transforment eux-mêmes. Ils ne se situent dans aucun « extérieur » et ne font que partir de leur condition existante dans cette société. Enfin : « Quant au sens de la formule "se dégager de l’ordre existant" , nous le connaissons déjà. C’est la vieille illusion selon laquelle l’Etat s’effondre de lui-même sitôt que tous ses membres s’en retirent et l’argent perd sa valeur si tous les ouvriers refusent de l’accepter. (…) ce vœu pieux est illusoire et impuissant. C’est la vieille illusion selon laquelle il dépend du bon vouloir des gens que changent les conditions existantes, ces conditions étant des idées. Vouloir transformer la conscience, une conscience séparée des conditions réelles, ce dont les philosophes font une profession, c’est-à-dire une affaire, voilà encore un produit, un élément constitutif de ces conditions existantes. (…) Pour lui (Stirner, nda), il y a d’un côté la "transformation de la situation" et de l’autre les "hommes", et ces deux aspects sont complètement séparés. Sancho n’est même pas effleuré par l’idée que la "situation" a toujours été la situation de ces hommes (souligné par nous) précisément et qu’il n’a jamais été possible de la transformer sans que les hommes se transforment et, pour en arriver là, aient été "mécontents d’eux-mêmes" dans leur situation antérieure. » (ibid, p.416).
Le premier argument de Marx est de dire que ce « retrait » n’est pas possible dans la mesure où cela revient à considérer l’argent, l’Etat, etc., comme des idées et non comme un rapport social dans lequel les « gens » qui sont engagés sont définis, d’où la simultanéité de la transformation des circonstances et de la modification de soi. Le second argument est que l’on ne se « dégage » de l’argent qu’en abolissant le rapport social qui fait qu’il y a échange et monnaie, non en changeant son rapport à l’argent ; on se change soi-même en changeant les circonstances, parce que, proposition fondamentale, nous sommes notre situation sociale. La "situation" c’est notre situation, c’est nous.
Il faut arrêter de parler du « désir d’autre chose » comme relevant d’une humanité ineffable et usurpée, dominée, oppressée par le capital ou la monnaie. En parler, à partir du caractère le plus objectif du rapport contradictoire entre le capital et le travail. Pour M, pour qu’il y ait contradiction, il faut qu’il y ait « extérieur ». En fait, la lutte de classe (la « dialectique entre le travail et le capital ») c’est, pour M, une pure affaire quantitative, « économique », comme il le dit, dans le sens le plus trivial du terme.
Pour « fonder » ces désirs d’autre chose, pour avoir un acteur défini à partir de la « dialectique » interne du mode de production capitaliste, mais qui agisse de l’extérieur de cette dialectique (ce qui est déjà une contradiction difficile à manier), M dit volontairement deux choses contradictoires : d’une part, « le travail vivant est toujours l’extérieur », d’autre part, « la transformation de l’ouvrier en capital ». La « communauté matérielle » est structurellement totale, mais empiriquement inachevable. Cette « incompossibilité » (comme dirait M) permet de rendre possible « l’échappement », de lui fournir une base. Il y a simultanément, dans le raisonnement de M, un mouvement qui semble ne jamais pouvoir s’achever (le travail vivant et les irréductibles qualités), mais qui, tout de même, doit être considéré comme achevé (« nous sommes la contradiction », « l’anthropomorphose », « la domination réelle réalise la révolution anthropologique annoncée »). Nous pouvons nous « échapper », mais cela ne peut être compris que comme un « échappement ».
Les « révolutionnaires » sont l’incarnation de cette « incompossibilité ». L’échappement est leur intervention. « Nous sommes des révolutionnaires » répètent M, et « ce n’est que comme révolutionnaires que nous pouvons abandonner nos rôles de forces de travail prolétaires ». Le « révolutionaire », à partir de son existence de force de travail, ne lutte pas comme travailleur ». M a parfaitement réalisé, c’est même son point de départ, que toute forme de programmatisme est définitivement morte, mais cette mort définitive du programmatisme, M la constate à partir des propres catégories du programmatisme. Celui-ci est la forme indépassable de la lutte de classe, la particularité actuelle est que cette forme ne peut plus déboucher sur rien. « Ce n’est pas une affirmation de ce qui existe déjà, mais de ce qui doit advenir. C’est la production d’aspirations qui portent un nouveau futur, un autre monde ». La mort du programmatisme, de l’affirmation de ce qui existe déjà, est prononcée mais il est conservé comme la seule forme possible de la « dialectique entre capital et le travail ». D’où la nécessité de l’adjonction d’une « extériorité ».
La limite de la critique du programmatisme chez M rejoint la limite générale de son texte, son incompréhension de la contradiction entre le prolétariat et le capital, une incompréhension en définitive de ce qu’est l’exploitation. Quand M critique le « programmatisme » de Tronti en disant que chez lui le communisme est déterminé par les « conditions du prolétariat », la critique est juste s’il s’agit de critiquer le processus d’affirmation de la classe toujours à l’œuvre chez les opéraïstes, bien que d’une façon particulière où la classe ouvrière se crée et s’affirme dans son opposition à sa situation, à son existence de force de travail : « L’ouvrier collectif s’oppose lui-même non seulement aux machines en tant que capital constant, mais aussi à la force de travail elle-même, en tant que capital variable. Il doit atteindre le point où il considère le capital total – et donc aussi lui-même comme élément du capital – comme son ennemi. » (Tronti, Ouvriers et Capital). La critique de l’operaïsme peut paraître juste à la seule condition que l’on accepte tous les présupposés de l’opéraïsme, principalement sa conception de l’exploitation qui demeure une conception programmatique qui ne saisit pas que le prolétariat n’est jamais confirmé dans la contradiction, qu’il n’est le travail productif que pour autant que celui-ci est absorbé dans le capital et que cette absorption est, pour le capital, tout autant une nécessité qu’une limite. En bref : le prolétariat est constamment toujours indispensable, toujours structurellement (essentiellement) de trop. Cette conception de la contradiction qu’est l’exploitation que nous avons développé par ailleurs nous permet de dire que le communisme est déterminé par les « conditions du prolétariat », parce que le prolétariat est la dissolution des conditions existantes sur la base et comme mouvement des conditions existantes : c’est le contenu de la contradiction qu’est l’exploitation. C’est précisément à cette contradiction que le capital, en ce qu’il est la contradiction en procès qu’analyse Marx, principalement dans les Fondements…, est capable de répondre, c’est sa force en tant contre-révolution possible et nécessaire quant à son contenu, réponse contre-révolutionnaire parce qu’adéquate au communisme.
Dans le texte de M la critique du programmatisme demeure une critique formelle se limitant à la constatation de manques et d’erreurs. Marx, dans certains textes, voit le développement des forces productives comme un phénomène neutre dont le développement est entravé par la bourgeoisie, « donc le prolétariat doit libérer les forces de production des entraves imposées par le capital. (…) Ce marxisme productiviste n’est pas seulement commun à la social-démocratie et au Léninisme, il appartient également au communisme de gauche. (…) De cela découle que le communisme est une question de socialisation du système de la production industrielle et le développement d’un nouveau système de distribution. » La critique vise juste, ainsi que celle corrolaire de la période de transition (il est à noter que M n’inclut pas dans sa critique du programmatisme, la critique de la notion même de valeur d’usage, ces dernières sont seulement « révolutionnées »), mais demeure la critique d’une erreur théorique, dans la mesure où, par ses prémisses théoriques, M ne peut y voir une pratique historiquement spécifique du prolétariat dans sa contradiction avec le capital.
Pour M, il s’agit maintenant de construire, dans un mouvement identique à ce qui était la montée en puissance de la classe dans le programmatisme, l’affirmation d’un « nouveau futur » par la production de sphères actuelles qui portent « un autre monde ». Il faut adjoindre au programmatisme, mort mais conservé, « l’élément contre-dialectique » : la « communisation externe », la construction de « sphères extérieures ». Les exemples que donne M de ces « sphères » sont réellement insignifiants, mais ce qui importe est qu’ils existent, l’exemple, dans sa positivité, est nécessaire au système. Il est l’ajout qui permet de dépasser le programmatisme, tout en ayant, de sa mort, conservé la mort de tout dépassement à partir de la contradiction entre le travail et le capital. M jette le bébé avec l’eau du bain, mais il lui jette une bouée. M peut donc s’adresser à un micro-milieu de l’Ultra-gauche en la considérant comme contemplative et désespérant de la révolution car elle n’en voit pas d’ « exemples », en lui disant en substance : « oui, il faut du positif, oui, il faut des exemples, mais c’est nous, les révolutionnaires, qui allons être les propres acteurs de nos exemples ».
D’une façon très immédiate et empirique, ce n’est pas l’impossibilité en soi du programmatisme qui semble être la cause directe de l’élaboration de M, mais plus précisément le caractère désespérant de la position purement contemplative promue par la théorie conseilliste (« les travailleurs eux-mêmes ») et pratiquée par le milieu issu de l’Ultra-gauche. Position contemplative fondée sur l’affirmation d’une nature révolutionnaire transhistorique du prolétariat qui ne peut s’exprimer que de « façon naturelle », c’est-à-dire que rien ne doit perturber sous peine de contrarier son apparition. Le paradoxe ultime étant d’ailleurs que ce milieu se limite maintenant à applaudir à tout mouvement donnant la possibilité de prophétiser l’accession de la classe à « l’autonomie » lui permettant de manifester sa nature révolutionnaire, sans plus jamais évoquer une quelconque perspective révolutionnaire réelle.
Cette théorie est une tentative de sortir de l’immobilisme du milieu ultra-gauche, mais cette mise en mouvement, se révèle n’être qu’un correctif au programmatisme. Chez M sont absents aussi bien l’analyse du programmatisme que celle du démocratisme radical. La tautologie que serait le capital tient lieu d’explication de l’impossible dépassement par l’affirmation du travail, d’où l’absence d’une compréhension historique du programmatisme qui rend à son tour impossible le repérage du démocratisme radical et la critique de l’alternative comme immédiatisme. Cette thèse de Marcel est une critique du milieu ultra-gauche qui demeure dans ce milieu. Elle reste dans ce milieu théorique, elle fait toujours fonctionner des contradictions de formes programmatiques. Si le prolétariat n’a plus de positivité à mettre en avant en affirmant le travail, cette positivité est trouvée dans l’alternative immédiatiste qui oppose au capital la « construction » de nouveaux rapports.
Si sur le plan « théorique » on peut dépasser, ou plutôt contourner, le programmatisme en faisant appel à « L’Homme » cela ne peut être satisfaisant d’un point vue « activiste ». Il faut une positivité concrète, on la trouvera dans les microscopiques pratiques alternativistes. Par lucidité, M dit aussitôt qu’elles sont réabsorbées par le capital, mais ces pratiques sont plus « objectives » que « l’Homme » même si elles relèvent, dans le système, du même besoin, et assument la même fonction d’adjuvant pour qu’une classe puisse abolir les classes, c’est-à-dire produire un monde nouveau. En conséquence, la référence philosophique qui est utilisée par M n’est plus le grand humanisme théorique de Feuerbach et des jeunes hégéliens de gauche, celui de l’Homme comme « Etre générique » et « communauté », c’est Guattari, Foucault, Deleuze, Lyotard, Buttler, c’est l’essentialisme d’un sujet, toujours souverain, une baudruche se gonflant de déconstruction, tout fier de son désassujetissement parce qu’il a réduit les rapports sociaux à des « rôles ». L’humain s’est reconverti dans la libre petite entreprise de soi (cf. Le bolchévisme sans parti : une posture de révolutionnaire).
Marcel ne fait en rien une analyse du rapport de classes et surtout pas de la restructuration qui est la cause directe de la fin du programmatisme. La recherche, à l’extérieur, de la positivité perdue à l’intérieur, entraîne le recours au révolutionnaire pour assurer l’articulation interne / externe. La figure du révolutionnaire, libre petit entrepreneur de soi, de ses besoins et de ses désirs, celui qui transcende l’ « anthropomorphose » et la « communauté matérielle », vient donner figure à cet humanisme activiste qui est fondamentalement la solution de M à la crise du programmatisme. C’est « Lénine en Scandinavie », « le bolchévisme sans parti ».
Il est remarquable que dans cette dernière partie du texte, la partie pratique, la distinction, pourtant constitutive du système, entre « communisation interne » et « communisation externe » devienne de plus en plus floue et mal assurée. Le « bolchévisme sans parti » appartient tantôt à l’une, tantôt à l’autre. « Les deux tendances surviennent dans la résistance autonome de la classe ouvrière à l’exploitation », si cela est vrai tout le texte de M est inutile, sauf à considérer l’autonomie, comme on l’a vu en abordant la question des « médiations », comme la mise en évidence d’un qualitatif, d’un « autre » sous le prolétariat.
L’indistinction est alors nécessaire parce que le système de M repose sur et s’adresse à un programmatisme mort mais conservé, M offre à tout un milieu de continuer à faire ce qu’il a fait jusqu’à maintenant, mais de le comprendre autrement. Les luttes autonomes, contre « les médiations qui désarment la lutte de classe », ce sont, leur dit-il, des « pratiques immédiates orientées par le désir », « ce que nous voulons c’est sortir du capitalisme », « le refus du travail et les grèves sauvages sont deux exemples de la production de cette sphère ». Que ces « sphères extérieures » soient « écrasées » ou « aspirées par les rapports capitalistes », n’empêchent pas d’avoir donné à ce petit milieu « contemplatif » une perspective qui lui donne l’impression de sortir de la « contemplation » sans sombrer dans l’alternativisme. « L’élément contre-dialectique (c’est-à-dire ce qui sort de la dialectique entre le travail et le capital, nda) ne peut être produit que par des gens organisant des relations qui bousculent la lutte économique. Le refus du travail et les grèves sauvages sont deux exemples de la production de cette sphère ». Mais si « l’élément contre-dialectique » est produit dans la « dialectique entre le capital et le travail », comme semble le suggérer ces exemples, c’est toute l’architecture du texte de M qui s’effondre (ou alors il faut prononcer l’abomination suprême : « le prolétariat c’est les syndicats et le parti social-démocrate »).
C’est pourtant cette abomination que suggère le commentaire sur Motorbetaren « Ce qui diffusent et lisent Motarbetaren (petit feuillet inter-entreprise relatant les résistances souterraines et les pratiques de refus du travail, réalisé par des individus par ailleurs en relation avec le l’organisation anarcho-syndicaliste suédoise, nda) prenant son contenu au sérieux, sont aujourd’hui déjà en train de produire de nouveaux rapports construits sur d’autres forces et valeurs que celles représentatives ». Bien sûr qu’il n’y a ni représentation, ni délégation à l’intérieur de Motarbateren, mais est-ce pour autant que de nouveaux rapports sont en train d’être construits avec le sous-entendu provoqué par tout le reste du texte : autre que les rapports dans le capitalisme, autres que des rapports d’ouvriers en lutte contre l’exploitation. Ces membres de Motarbateren courrent les agences d’intérim et, actuellement, leur principal souci provient des restrictions du welfare dont la Suède est maintenant touchée, c’est toute l’importance de leurs luttes et des relations qu’ils en font.
Imaginons un instant que ce dont parle M se mette à exister à une échelle repérable, c’est-à-dire que des « gens » se mettent à abandonner les rapports capitalistes et en construisent de nouveaux contre le capital. Ils n’auraient pas le temps de battre de l’œil que l’Etat les aurait anéantis. Il n’y a pas de « sphères extérieures », de « communisation externe » qui puissent commencer sans être un processus d’extension tel que l’action du prolétariat entre immédiatement dans une lutte sans échappatoire avec tout le monde capitaliste. Jusque là nous demeurons dans la lutte de classe qui peut, par certains de ses aspects, mais tout en restant dans la « dialectique entre le travail et le capital » et parce qu’elle y reste, annoncer la remise en cause de la classe par elle-même.
M amalgame l’immédiateté du communisme, c’est-à-dire l’abolition du capital comme communisation immédiate, dans la lutte même contre le capital, comme définition même de la révolution et seule condition de sa victoire, avec son immédiatisme. C’est-à-dire qu’il occulte la médiation temporelle, c’est-à-dire l’objectivité nécessaire de la lutte de classe comme reproduction du capital (ce sur quoi il insiste sans cesse avec « la dialectique entre le capital et le travail », mais qui serait susceptible dès à présent d’être brisée par la création à tout moment de « sphères extérieures »). La médiation temporelle ce n’est pas fondamentalement une question de chronologie mais de déroulement réel et de compréhension de la contradiction entre le prolétariat et le capital, nous en revenons toujours là. La production du communisme est l’œuvre du prolétariat en tant que tel, c’est-à-dire comme classe de cette société, et alors elle est soumise au développement des contradictions de classes de cette société, à leur histoire. Personne ne peut sortir de ce dilemme. La « production d’autres rapports » face au capital, serait le dépouillement préalable à la révolution par l’individu de ses vieux habits de prolétaire, elle serait la révolution toujours présente. En cela, si les « sphères extérieures » ne sont pas des alternatives, l’alternative est leur horizon et leur limite. Toutes les déterminations du communisme que ce cycle de luttes produit et fait siennes dans le cours de la lutte de classe (essentiellement la remise en cause du prolétariat dans sa contradiction avec le capital et la révolution comme communisation) sont amenées à s’autonomiser comme projet ou pire comme positivité face au capital et ont par là dans l’alternative leur limite. L’immédiateté (la révolution comme communisation) devrait être posée « immédiatement ». A ce moment là nous serions engagés à faire quelque chose sachant que c’est impossible (toute action de ce type ne peut être qu’ « anéantie » ou « absorbée » dit M, ce qui, clairement signifie qu’elle ne peut pas exister). Mais, il faudrait faire comme si, faire semblant de « communiser », tout en sachant que ce n’est pas la réelle « communisation ». Ce n’est pas la construction d’une vie alternative que propose M, mais le supplément d’âme qui permettrait de nous extraire de la mort du programmatisme considérée comme la fin définitive de toute perspective issue de la « dialectique entre le capital et le travail ». Ce « faire comme si » a un nom, c’est le militantisme du communisme, « le bolchévisme sans parti ». Mais le communisme n’est pas un projet, quand on cherche à le construire face au capital à partir de la lutte des classes, on reste avec du vent entre les mains.
Le communisme ne peut « apparaître comme communauté qu’au travers de la désertion, de l’abandon du rapport capitaliste » dit M. Il suppose cette chose vide de sens : le prolétariat construit quelque chose contre sa propre situation de classe, ce quelque chose est une opposition au capital, mais cette opposition au capital n’est pas le mouvement de sa propre définition comme classe en train d’être abolie. Si la production de nouvelles relations entre les individus, la communisation, s’effectue contre le capital, elle est l’ation d’une classe, cette action est absolument identique à l’abolition de celle-ci, elle est le seul et le véritable « blocage » de la reproduction du capital. Il est impossible d’être « à l’extérieur du rapport » pour être contre le rapport. Mais, en conclusion, M en appelle à autre chose que le cours historique d’une contradiction entre des classes lorsqu’il nous parle du communisme : « la dimension externe est intemporelle » affirme-t-il. Contrairement à ce qu’il dit, ce n’est pas une « histoire » que possède alors cette « dimension externe » « à travers toutes les tentatives théoriques de dépasser le présent », mais seulement une série de répétitions. En dernière instance, les prolétaires seraient et auraient toujours été autre chose que leur stricte relation au capital, ils auraient toujours été leur rapport au capital et quelque chose qui excède ce rapport, c’est tout au long du texte le fondement ultime de la double communisation. La « dimension externe de la communisation », dans la perspective de M, est bien une histoire « intemporelle », c’est le communisme des bègues.
Une théorie de la révolution communiste comme communisation inclut comme une « dérive nécessaire » l’expression d’une « existence positive » (actuelle, tendancielle, contradictoire, comme limite…) de la communisation. Cette « dimension » dérive nécessairement de l’enjeu actuel de la lutte de classe : la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action en tant que classe. Considérer que la remise en cause est interne à la limite (l’action en tant que classe), n’empêche pas d’admettre que le cycle de luttes est une tension constante entre l’autonomisation de la dynamique (la remise en cause) et la reconnaissance de l’action en tant que classe comme toute entière dans les catégories du capital.
L’autonomisation de la dynamique qui est une constante de ce cycle suppose que l’appartenance de classe est déjà dépassée ou devra l’être préalablement pour que la révolution soit. La lutte de classe dans sa manifestation immédiate comme classe du mode de production capitaliste ne pourrait sortir de son implication réciproque avec le capital que si des actions sont en elle déjà réellement ou tendanciellement au-delà. On peut faire référence ici, sans les amlgamer entre autres choses, aux débats à l’intérieur de Meeting dont on trouve la trace dans le n°1 avec les différenes approches du concept de communisation et, dans le n°3, avec le compte rendu de la réunion sur l’auto-organisation (des textes publiés sur le site n’ont pas été repris dans la version papier) La « Critique de l’Appel » publiée dans le numéro 2 de Meeting et le concept d’ « aire de la communisation » dans le numéro 1, laissent entendre qu’une action de classe pourrait être un processus qui ne soit pas capitaliste ou d’une certaine façon au-delà, le courant communisateur ne serait pas seulement un « précipité » de la lutte de classe avec « l’écart » qu’elle comporte, mais aurait une possibilité d’existence pratique actuelle positive. Nous devons intégrer que cette question est interne, définitoire, du concept de communisation.
Incontournable, d’autant plus qu’un tel débat n’est pas spécifique aux participants directs de Meeting. C’est la question que soulève Patlocht dans son texte « Une troisième tendance… » (sur le site de Meeting), ce sont les thèses de Bruno Astarian (Le travail et son dépassement, Ed. Senonevero), en partie celle de Dauvé et Nésic (dans une conceptualisation par trop approximative), on retrouve la question (bien que très affadie par un point de vue théorique réduit à la succesion de quelque lieux communs) dans les débats internes à Perspectives internationalistes dans leurs derniers numéros à propos de l’ « Etre Générique », c’est également au travers de la discussion sur les concepts d’aliénation et d’humanisme un des problèmes auxquels se confrontent les copains anglais « ex d’Aufheben ». Enfin, dans le texte de Marcel, la question est soulevée et formalisée à un niveau théorique exceptionnel qui en justifie la traduction intégrale, mais qui en justifie simultanément une critique sans concession.
R.S / B.L
[1] Nous avons eu beaucoup de mal à traduire le terme de « withdrawal ». Bien sûr le sens de retrait paraît au premier abord évident, mais il ne rend pas, en français, le côté volontaire et offensif que le contexte lui donne, il y avait le terme de désertion avec sa connotation militaire et de refus offensif, mais justement cette connotation est très limitative, nous avons opté le plus souvent pour un terme à mi-chemin, celui de défection.
[2] Le programmatisme est cette période de la lutte de classe où, tant théoriquement que pratiquement, la révolution est l’affirmation du prolétariat devenant classe dominante dans une période de transition préparant l’abolition des classes, c’est la libération du travail, sa génnéralisation et l’organisation de la société comme gestion ouvrière.
Comments
Le bolchevisme sans parti : une posture de révolutionnaire - Tarona
lundi, 14 mai 2007
Le bolchevisme sans parti : une posture de révolutionnaire
Au premier abord, le texte de M. est orienté par une question : comment penser l’action du prolétariat dans le mouvement où, partant de ce qu’il est dans le capital , il s’abolit lui-même ? Autrement dit comment concevoir la révolution comme dépassement produit - par le prolétariat - des catégories prolétariat-capital ?
Seulement, il semble qu’il ne cherche pas à résoudre ce problème sur la base de la contradiction qu’est l’exploitation du prolétariat par le capital (cf. De la contradiction entre prolétariat et le capital à la production du communisme). Et si ce n’est pas par ce trajet qu’il construit sa réponse c’est à mon avis parce qu’il ne pose pas cette question pour elle-même mais que sa préoccupation principale est de définir une classe dans la classe qui déjà ne soit plus ou plus uniquement prolétariat : les révolutionnaires. Ou, ce qui revient au même, il cherche à définir et veut repérer dans la lutte des classes actuelle, des espaces extérieurs à la dialectique prolétariat capital, des en-dehors, au-delà, etc.
Evidemment, la tâche est d’autant plus ardue qu’il est équipé du matériel théorique marxiste et on aboutit alors à tout un tas d’affirmations qui se contredisent parfois terme à terme.
L’enjeu premier de ce texte, et M l’avoue très clairement à la fin, est de définir une pratique communiste que seuls quelques révolutionnaires (qui jusqu’à nouvel ordre ne peuvent qu’être auto-proclamés) seraient en mesure de mettre en œuvre et de promouvoir afin de rehausser la lutte des classes telle qu’elle se déroule quotidiennement avec ses revendications triviales sur le prix de la force de travail, la vie de merde et tout…
C’est dans cette tentative qu’il faut comprendre je pense le recours très présent et pas assumé au discours idéaliste, essentialiste, et poético-philosophique ce, parallèlement à une analyse matérialiste des rapports de production et de la lutte des classes. En effet, d’où faire surgir la révolution comme communisation (externe pour M) si elle ne prend pas son sens, ses enjeux et sa dynamique même dans la lutte des classes telle qu’elle est prise dans la contradiction prolétariat-capital ? D’où articuler ce qui serait une posture ou un désir de révolutionnaire si on admet d’emblée pour acquise une séparation entre le prolo (toujours « de base » ou plus pompeusement « entité finie ») et le révolutionnaire qui, lui, porterait, outre les époques, un invariant : la communisation externe ?
Alors M revient sans cesse sur ces désirs, cette volonté, d’en finir avec le capital, comme si la révolution allait se faire sur des déclarations de principe malgré toute la colère et la sincérité matérielle avec laquelle on peut être amené à faire ces déclarations. Il y revient mais ne développe pas... Et pour cause : en général, lorsque des théoriciens de la révolution font appel à ce type de notion, c’est pour combler un vide théorique avec un mot supposé parler à tout le monde mais n’ayant en tant que tel aucun contenu donné à priori sinon à considérer que ce contenu est de toute façon lui-même déterminé par les rapports de production. Or, si la notion de désir est utilisée dans la théorie, c’est souvent pour échapper à une analyse matérialiste jugée trop mécanique ou ne prenant pas en compte l’ « humain » et la révolution comme création ou art. Alors on parle de désir pour humaniser l’analyse. Au final on n’en sait pas davantage et M s’embourbe : ni la pittoresque définition du léniniste qui « refoule ses désirs et ses besoins » ni celle du bolchevisme sans parti comme « pratique immédiate orientée par le désir » ne nous aide à y comprendre quelque chose. Pas plus non plus cette note de bas de page : « Désir n’est pas synonyme de besoin, mais la force que constitue une société, un individu et d’autres entités. Ainsi le désir précède la constitution de la société. Toutefois, cela ne signifie pas que le désir soit fortuit, il est déterminé par la société ou par l’organisation d’un individu. Le désir existe via « les machines désirantes », et ces machines sont les composantes et les formes d’existence que prend le désir. Dans le même moment, les machines désirantes sont déterminées par les désirs qui les constituent. »
« Ce qui est important est que les désirs développés durant une lutte ne peuvent être réalisés dans le capitalisme. Quand les gens attaquent le capital sans mettre en avant des revendications nous pouvons voir que de tels désirs sont allumés. … La seule communication intéressante d’un point de vue révolutionnaire est celle qui survient quand les gens essayent de rompre avec le vieux monde. »
Ainsi il existerait en soi et à priori des désirs ne pouvant être réalisés dans le capitalisme. Le problème est que M ne tire pas conséquence du fait que le capitalisme est un rapport de production pris dans une histoire qui est l’histoire de la lutte des classes. Si la production de plus-value et l’exploitation de la force de travail sont constitutifs de ce mode de production, il me semble que rien d’autre ne l’est à priori : il n’est rien d’autre par nature mais au contraire fondamentalement dynamique. Ainsi, même à supposer que M réussisse à donner un peu consistance à ces « désirs », rien ne pourrait déterminer à priori qu’ils ne soient pas réalisés dans le capitalisme. Rien n’existe en soi et ne porte une signification en soi. Resterait en plus à savoir ce que M entend pas réalisation de ces désirs. Là encore il fait fi de la contradiction ou ne la voit que comme ce qui vient parasiter la volonté de quitter le vieux monde, sans repérer que, du fait que ce ne soit pas que suspendu à une question de volonté, on peut être pris dans une lutte (y compris si elle démarre sur le terrain de la revendication) et dans des pratiques qui, de fait, à tel moment, remettent en cause le capital sans que l’on ait eu l’occasion de se le formuler comme ça et encore moins de le vouloir à priori et par principe.
Et il y revient, mais le tout est dans ces deux notes de bas de page où M, en voulant autoriser son usage de ce terme de désir, M ne fait qu’attester, malgré lui, que cela ne rend que la théorie plus fumeuse :
« … activité dans laquelle les gens s’échappent de et attaquent le rapport capitaliste par le développement de désirs et de rapports que le capital ne peut satisfaire. »
Et en note de bas de page : « Les désirs et les rapports ne sont toutefois pas quelque chose que l’homme produit par lui-même, ni quelque chose produit spontanément. De tels désirs peuvent être le produit de la crise capitaliste et de la conscience anticapitaliste. La théorie communiste et la crise capitaliste peuvent participer de la passion subversive nécessaire aux gens afin de commencer à transformer et attaquer le capital et sa représentation. »
Résumons, dans son texte M précise à juste titre que la révolution n’est pas affaire de conscience ou de prise de conscience lorsqu’il développe sa « réflexivité pratique » (qui soit dit en passant me semble correspondre à tout ce qu’il y a de plus commun et présent dans la moindre lutte). Il dit aussi que la communisation doit venir d’un ailleurs de la lutte des classes qu’il tente de saisir par la question des « désirs » et puis au final il nous dit dans cette note de bas de page que de tels désirs peuvent être le « produit de la conscience anticapitaliste » : c’est à ne plus rien y comprendre et en même temps c’est, du début à la fin, un bon résumé du contenu du texte de M. Et ce que l’on peut lui reprocher, bien plus que ces contradictions elles-mêmes, c’est qu’il feint de ne pas les voir, aider en cela par son usage des notes de bas de page qui lui permettent de ne pas en faire cas dans le corps de l’argumentation.
Enfin si on en sait davantage et c’est bien là le problème : on sait qu’il y a un terrain ou des dispositions humaines sur lequel le social intervient et qu’il subvertit. En l’occurrence, dans le texte de M, le thème de l’annexion par le capital de dispositions humaines supposées correspondre à quelque chose en soi (qu’il s’agisse de besoins, de désirs, d’actes altruistes,..) est très présent.
« La révolution anthropologique met en conformité les besoins des gens avec les besoins du capitalisme, c’est-à-dire que tout ce que nous désirons, le capital tente de nous le procurer avec la valeur comme médiation. […] ont essayé de décrire cette capitalisation des besoins et désirs humains. D’après eux, l’homme lui-même est devenu un être capitaliste et par conséquent souhaite sa propre subsomption »
Que sont donc ces besoins des gens ? Des besoins eux aussi anthropologiques, existant par nature ? Le même problème surgit dans la formulation de l’annexion ou de la « mise en conformité ». Si la subsomption réelle s’est produite de la sorte, ce n’est pas parce que les capitalistes ont voulu mettre en conformité les besoins des gens avec les siens. Les besoins des gens sont ce que la subsomption réelle défini, il n’y a pas d’annexion ou de parasitage, il y a l’histoire et les rapports de production, simultanéité des processus. Ce genre de sorties fait penser aux militants se confrontant à des gens qui les rabrouent dans leur volonté de leur faire prendre conscience que leurs besoins ne sont pas vraiment leurs besoins etc. Les besoins que le capital met en œuvre dans la subsomption réelle SONT les besoins des gens, ils ne sont rien d’autre et il n’y pas de mise en conformité qui tienne. Les besoins, désirs etc., sont toujours ceux qu’une société produit, ni plus ni moins extérieurs aux gens que tout ce qui les constitue.
Et dans cette note de bas de page M prend la pause révolutionnaire : « Au contraire de quoi nous soulignons que nous sommes les parasites, nous parasitons et violons le rapport capitaliste. Le travail n’est pas un corps malade qui doit être guéri de l’ingérence continuelle du capital, mais le communisme est la maladie qui tuera le corps sain du capital, et donc du travail. »
Passons sur la tonalité ultra-radicale que donne la métaphore du viol (qui ne suffira malheureusement sans doute pas à allumer ces fameux désirs révolutionnaires de communisation externe) pour repérer que la métaphore organiciste est souvent utilisée par M. Or, quelques-unes des caractéristiques de cette métaphore est que :
Un organisme n’a pas d’histoire donc pas de dynamique sinon une dynamique cyclique et répétitive qui se produit toujours selon les mêmes lois fixes
S’il y a opposition entre deux organismes, il n’y a jamais contradiction
Elle fait référence à un objet invariant, existant en soi
Même remarque sur la longue métaphore sommeil/éveil qui suit.
Quant à la citation de Camatte sur l’anthropomorphose du capital - « le capital devient homme. Par là, sa domination devient non seulement naturelle mais aussi humaine. » - je n’ai toujours pas compris à ce jour ce qu’était une domination naturelle et une domination humaine donc encore moins la distinction entre les deux …
En gros le problème principal du texte de M est qu’il ne semble pas tirer les conséquences de l’analyse marxiste c’est-à-dire du caractère dynamique, historique, de la lutte des classes et de ses pratiques. Ainsi, abordant la « pratique effective » devant constituer un « mode d’emploi pour notre propre intervention » (entendre celle des révolutionnaires), il isole certaines pratiques des luttes particulières dans lesquelles elles prennent forme : refus ou désertion du travail, grèves sauvages… Ce n’est pourtant pas la même chose de se mettre individuellement en arrêt maladie ou aux assédics ou d’être pris dans une lutte qui implique de ne plus aller bosser. C’est significatif là encore : M, comme les adeptes de la radicalité anticapitaliste, hypostasie ces pratiques et du coup y voit une essence : la distanciation d’avec la dialectique capitaliste. Le problème est que sorti de considérations esthético-artistiques sur la révolution (« la révolution est un art » dit M), aucune pratique ne porte en soi la remise en cause de ce que l’on est dans le capital. Les pratiques sont les décisions prises par les prolétaires dans un mouvement, c’est la « réflexivité pratique » dont parle M qui s’exerce dans toute lutte et qui est liée aux nécessités imposées par l’exploitation telle qu’elle se présente à un moment donné dans l’histoire, au vu des contraintes particulières d’un conflit donné. Alors il n’est pas possible de désigner des pratiques comme étant la voie royale vers la révolution et à l’inverse d’en épingler certaines comme ne faisant que développer le capital. Pas en soi. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi dans un mouvement et les pratiques ne sont pas le produit d’un choix que ferait le prolétariat parmi une palette de toutes les pratiques existantes et ayant exister dans l’histoire, sur la base non contradictoire de leur volonté et de leurs désirs. Chercher un mode d’emploi pour autoriser son existence de révolutionnaire en ce monde n’excuse en rien le manque de rigueur de M.
Le texte de M est motivé par la recherche d’extérieurs à la lutte des classes et de « poches de résistance ». C’est pourquoi viennent à la rescousse son usage des concepts de désirs et de volonté. La lutte contre le capital et l’exploitation serait affaire en premier lieu de volonté et de position morale. Le problème c’est que le capital n’a que faire de la morale et tant qu’on lui oppose ce type d’argument, on ne fait qu’affirmer une norme de la lutte des classes, et comme ce n’est pas la question, ça reste sans effet.
Là encore on peut penser que cette approche de M humanise la lutte des classes et la lecture de l’exploitation. C’est vrai en ce sens que l’humanisme n’est que l’idéologie qui pose l’existence de l’individu isolé et auto-engendré comme moteur de l’histoire, petit entrepreneur de ses désirs, choix, et rébellions.
« Pasoloni réalise que c’est durant la domination réelle que l’on produit des efforts en vue de créer des extériorités, c’est-à-dire des sphères et des relations qui abandonnent le capital. Par exemple cela survient lorsque les gens en ont assez du travail et ce que l’on appelle la société de consommation et attaquent le capital par le vol, le refus du travail, les émeutes, les grèves. Typologie des concepts de développement et de progrès. »
Ainsi, M met dans le même panier des poches de résistances ce qui relève de la débrouille individuelle au vu de la vie de merde et les pratiques nécessitées par certaines luttes. En avoir assez du travail et voler n’a pas grand chose à voir avec en finir avec dialectique travail-capital : on est au contraire en plein dedans et c’est justement pour ça que ces pratiques existent. Il est difficile de repérer des relations qui abandonnent le capital même si on râle quand le réveil sonne le matin pour aller bosser ou aller à l’ANPE ou quand on se fait choper par les vigiles dans un magasin. M nage en plein idéalisme sur des pratiques qu’il suppose minoritaires donc subversives. Elles ne sont ni l’un ni l’autre. De plus, il est aberrant de dire que ces pratiques relèvent de la production d’un effort de créer des extériorités, il faut être philosophe ou artiste pour dire ça. Mettons que ce soit le cas, alors toute la tentative de M pour définir les révolutionnaires et leur intervention tombe à l’eau car tout le monde est révolutionnaire.
« Nous pouvons définir le développement comme les pratiques sociales dont participe la subjectivité et les actions constituantes de la classe ouvrière. Cette subjectivité et ces actions sont bien sûr contaminées et enveloppées par le capitalisme dans ce qui est généralement appelé le travail. Ceux qui souhaitent le développement sont les industriels et les ouvriers. « … D’un autre côté, les consommateurs de ces biens superflus sont tout à fait heureux d’un tel développement. » Mais dans le même temps, Pasolini dit que l’ouvrier, l’exploité, est divisé. Il veut aussi le progrès, c’est-à-dire un développement communiste. … La dichotomie développement/progrès nous donne l’image de ce que l’ouvrier veut en tant que consommateur ou de ce que l’on appellerait force de travail, et dans le même temps que c’est en étant un consommateur et une force de travail qu’il fournit le matériel potentiel pour le production du progrès. »
Le problème de M est qu’il ne comprend l’exploitation que comme antagonisme et pas comme contradiction. Par ailleurs, on ne voit pas bien à quoi fait référence le fait que les ouvriers-consommateurs de biens superflus soient « heureux » : qu’ils soient heureux ou malheureux, ce n’est de toutes façons pas pour cela qu’ils les consomment, et qu’ils croient individuellement pouvoir ne pas les consommer parce que cela les rendrait malheureux n’y change rien.
Puis, : « La communauté humaine devient la communauté monétaire. Toutefois cela ne signifie pas que toutes les valeurs substantielles sont réduites à des valeurs fonctionnelles. La quantification ne signifie pas que toute qualité s’évanouit. Le capitalisme ne rend pas toute chose sans intérêt. La sexualité, comme n’importe quelle autre joie ou enthousiasme, demeure par exemple une pratique qualitative qui peut relier les personnes. »
Mais la lutte de classe n’existe pas au motif que le capitalisme rendrait toute chose sans intérêt, ce n’est pas le problème, d’autant qu’encore une fois l’intérêt ou le désintérêt n’existe pas en soi. On retrouve aussi là le discours actuel (du démocratisme radical entre autres) sur le lien social qui serait altéré ou détruit par le capitalisme, et qu’il s’agirait donc de faire renaître ou de préserver. Il existe un lien social dans le capitalisme actuel comme dans n’importe quelle société ça s’appelle les rapports sociaux de production et ils sont déterminés par les coordonnées de l’exploitation telle qu’elle se présente en subsomption réelle.
« C’est seulement en tant que révolutionnaire que nous pouvons abandonner nos rôles de prolétaires, de force de travail. » Après avoir essentialisé la lutte des classes contre l’exploitation comme ne pouvant qu’être développement du capital et en aucun cas production du communisme il devrait rajouter ici que malheureusement être révolutionnaire n’est pas donné à tout le monde...
Donc, « des sphères en dehors de la lutte économique doivent se créer. Refus du travail et « grèves sauvages » sont deux exemples de création de telles sphères. Même en domination réelle, les gens trouvent des poches de résistance. De cette façon, se créent en permanence des « sphères au-delà », « distanciées » et « extérieures » au rapport travail-capital. »
Comme M ne tire pas la conséquence du fait que les pratiques de lutte s’inscrivent dans l’histoire de la contradiction prolétariat-capital et dans la manière dont celle-ci s’actualise dans la particularité de chaque conflit, il pense que tout peut avoir lieu tout le temps, à 5 ou à des millions. Et le fait qu’il dise que ces sphères « doivent » se créer trahit une conception des pratiques comme issue de la seule volonté des gens en lutte. Par ailleurs, là encore on ne saisit pas bien ce qui est au-delà, extérieur au capital de ce qui ne peut qu’être en plein dedans. Peut être la ligne de partage est-elle pour M cette volonté et ces désirs inconscients et spontanés :
« Ainsi, la dimension externe de la communisation est déterminée par la lutte de classe, c’est-à-dire, la communisation comme mouvement interne. Le mouvement interne est la négation à partir du mouvement du prolétariat au sein et contre le capital, alors que la dimension externe résulte d’une pure pratique constituante. Cette dernière en découle dès lors que la précédente a produit la volonté de quitter le vieux monde. Cette volonté ou plutôt ce désir, qui constitue la dimension de la communisation, grossit « inconsciemment » et « spontanément », et ne survient jamais qu’avec des pratiques destructives. »
Comme si on construisait à partir de rien : il n’y a pas de « pure pratique constituante » dans la lutte des classes car c’est toujours simultanément à la destruction ou à la remise en cause que la nécessité de certaines pratiques surgissent. Ceci du fait que chaque acte posé dans la lutte en exclu nécessairement d’autres et a des implications outre la « volonté » exprimée de ses acteurs. C’est dans la destruction du capital qu’on est amené, parce qu’on n’a pas le choix, à trouver d’autres modes d’organisation et d’autres pratiques que celles ayant cours jusqu’à lors. Et ce, pas pour la beauté du geste mais parce que les pratiques et relations qui avaient cours ne peuvent plus avoir lieu et qu’il faut continuer à être là sans devenir fou ou mort. Cela se présentera aussi comme crise et remise en cause à tous niveaux pour les gens en lutte, pas seulement comme crise pour le capital dans le mouvement de sa destruction, et bien que cela ne nous rendra pas forcément « heureux » on le produira quand même.
« … des extérieurs au capital doivent se créer dans la lutte du prolétariat ; des extérieurs qui soient externes au rapport du capital, des communautés qui ne soient pas marquées des contradictions du capital. »
« Les communautés sont des extérieurs au capital. On ne doit pas les confondre avec la prise en main des espaces capitalistes par les ouvriers eux-mêmes, que sont la socialisation et l’autogestion. … Le communisme est un art »
Il n’y a pas d’extérieur au capital et M nous dit pourquoi lorsqu’il parle de la subsomption réelle. Si M fait référence dans cette citation au mouvement argentin c’est qu’il n’a pas saisi que justement l’intérêt de ce mouvement de nous faire apercevoir que c’est parce qu’elle est dans et contre le capital que la lutte peut déboucher sur autre chose et uniquement sur cette base : les contraintes et enjeux de cette situation qui n’est qu’une façon de « faire avec » les espaces capitalistes même si c’est dans le mouvement menant à leur destruction.
« … l’histoire de l’activité révolutionnaire n’est pas une histoire de ce qui est déjà, mais une histoire à venir sur les tentatives humaines d’abandonner le présent. » Il n’y a pas de mouvement historique sur la base d’abandonner le présent, et pour ce qui nous occupe ici ce n’est pas abandonner le présent qui nous met en mouvement contre le capital mais en finir avec l’exploitation.
Lorsque M cite Butler en disant qu’elle « cherche à montrer que les hommes et les femmes sont des fabrications », le même problème se pose et j’ai l’impression qu’il a à voir avec une position morale quant à la norme et à l’aliénation (au sens courant). C’est toute la faiblesse de la théorie Queer que d’attaquer le patriarcat sur la base de considérations sur les représentations, carcans, normes imposées etc. Et le résultat c’est qu’il n’y a plus aucune articulation du patriarcat aux rapports de production déterminants les rapports hommes/ femmes. En effet, il s’agit simplement de s’affranchir de normes aliénantes pour laisser s’exprimer un « moi » jamais défini mais émancipé du social. Comme si ces normes étaient neutres et s’exerçaient par l’opération du saint esprit. Ainsi le mode d’emploi pour résister à ces normes est de les renverser ou de les subvertir dans notre manière de prendre en charge ce que l’on est… et que l’on reste de toutes façons car si le schéma est inversé les bases/structures matérielles qui les font exister restent intactes.
C’est sans doute la même erreur que fait M, faisant toujours référence à Butler, lorsqu’il dit qu’il s’agit d’ « Une intervention, dès lors qu’il s’agit pour la classe ouvrière d’attaquer son rôle de « force de travail ». Cette intervention c’est le mouvement communiste, la communisation, et ces interventions surviennent continuellement étant donné que la lutte de classe n’est pas indépendante de l’économie et du capital total. »
D’une part la force de travail n’est pas qu’un rôle qu’il s’agirait de prendre en charge ou pas, ça détermine tout ce que l’on est et tout ce que l’on fait, et c’est pour cette raison que les interventions communistes ne surviennent pas continuellement, sans même réagir sur le terme d’intervention.
De la même façon ce n’est pas « la conscience qui peut détruire les rapports sociaux capitalistes » et ce n’est pas parce que « les ouvriers évitent de reproduire les rapports sociaux qui génèrent la plus-value » que « le capital total tombera comme un château de cartes. ». Les rapports de production ne s’évitent pas et on ne s’en éloigne d’aucune façon : soit ils sont et on est pris dedans, soit la production d’autre chose est leur abolition.
M ne fait donc que tenter de résoudre la problématique qu’il crée parce qu’il ne tire pas les conséquences de l’exploitation, c’est-à-dire « réduire la séparation entre révolutionnaires et prolétariat » et autoriser la « tentative de produire dès aujourd’hui (souligné par moi) le terrain et les espaces (au moins en théorie) qui peuvent nous porter loin de la dialectique du capital. »
Tarona
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La restructuration telle qu’en elle-même - Roland Simon
mardi, 25 septembre 2007
Premier point de méthode
Il faut considérer le mode de production capitaliste issu de la restructuration pour lui-même, en cherchant ses propres critères de cohérence et de reproduction, et non le définir ou le juger par rapport à la période précédente (« Trente Glorieuses » ou « fordisme ») promue en norme du capital.
Deuxième point de méthode
Il faut se garder de la confusion entre les contradictions dans lesquelles fonctionne nécessairement le mode de production capitaliste et la « crise » ou même de considérer sa reproduction constamment en tant que « crise potentielle ». Cela reviendrait à imaginer qu’un capitalisme qui fonctionnerait correctement serait un capitalisme sans contradictions, ni tensions.
Troisième point de méthode
Tout se restructure : entreprises, procès de travail, circulation du capital, transports, systèmes sociaux, Etats, classes, cycle mondial, etc. On multiplie les restructurations pour ne pas voir la restructuration de la valorisation du capital, c’est-à-dire de l’exploitation, c’est-à-dire de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Mon but ici est de proposer une synthèse qui puisse être qualifiée de restructuration du mode de production capitaliste. S’il y a restructuration, c’est une restructuration de la contradiction entre les classes : la structure, le contenu de la lutte de classe, la production de son dépassement sont alors modifiés. Plus on multiplie les restructurations, plus on masque cela.
Nous n’envisagerons la restructuration que selon trois déterminations : la transformation du rapport salarial et du marché du travail ; les modifications du procès de production immédiat ; la mondialisation de la reproduction du capital.
La restructuration dans ses déterminations
1 ) La transformation du niveau des salaires et du marché du travail.
A ce niveau, le capitalisme restructuré ne fonctionne plus sur « l’équilibre keynésien » ou « fordiste » entre le salaire comme « coût » et comme « investissement ». Cela ne signifie qu’une chose : la restructuration n’est pas « fordiste » (le fordisme ne pouvait être effectif que dans un nombre limité d’aires nationales centrales).
Le « compromis » dit « fordiste » n’a pas disparu, pas plus que l’Etat-providence, il ne structure plus le rapport entre prolétariat et capital, il est lui-même devenu un élément des nouvelles modalités de l’exploitation. La précarité est générale en ce qu’elle structure l’ensemble du rapport d’achat-vente entre le travail et le capital, et non comme élimination pure et simple de ce qui n’est pas elle. La précarité n’est pas seulement cette part de l’emploi que l’on peut qualifier stricto sensu de précaire. Les emplois « stables » adoptent les caractéristiques de la précarité : flexibilité, mobilité, disponibilité constante, sous-traitance précarisant l’emploi même « stable » des PME, le fonctionnement par objectifs dans les grandes entreprises.
La revitalisation du mode absolu d’extraction de la plus-value passe par un achat global de la force de travail. Avec le développement général de la précarité, de la flexibilité et de toutes les formes de contrats déterminés, le chômage n’est plus cet en-dehors de l’emploi salarié qu’il était durant les « Trente Glorieuses ». La segmentation de la force de travail se résoud en un achat global de celle-ci par le capital et une utilisation de chaque force de travail individuelle selon les besoins ponctuels de la valorisation. La force de travail est alors présupposée comme propriété du capital, non seulement formellement (le travailleur a toujours appartenu à toute la classe capitaliste avant de se vendre à tel ou tel capital), mais réellement en ce que le capital paie sa reproduction individuelle en dehors même de sa consommation immédiate qui pour chaque force de travail est accidentelle. Inversement, la force de travail directement en activité, consommée productivement, voit son travail nécessaire, lui revenant en fraction individuelle, défini non par les besoins exclusifs de sa propre reproduction, mais en tant que fraction de la force de travail générale (représentant la totalité du travail nécessaire), fraction du travail nécessaire global. Il tend à y avoir péréquation entre revenus du travail et revenus d’inactivité et institutionnellement contagion entre les deux. De ce point de vue, dans les « aires développées » (nous verrons plus loin pourquoi ce concept est à manier avec précautions), la dissociation du revenu d’activité et du revenu de subsistance serait une simplification considérable. C’est la voie ouverte dans de nombreux pays par le cumul dégressif des minima sociaux avec une reprise d’emploi, destiné à faciliter le passage des minima aux emplois à temps partiels (qui visent essentiellement la partie « dormante » de la main d’œuvre féminine) ou à durée déterminée. L’augmentation du taux d’activité ou taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion d’emplois rapportée à la population totale, est une des caractéristiques essentielles de la restructuration. Il ne s’agit plus pour la classe capitaliste de réduire la demande de travail (temps partiel, abaissement de l’âge de la retraite, etc.), mais d’encourager l’offre.
Cet achat global modifie de fond en comble le fonctionnement de l’Etat-providence, celui-ci, là où il existait, ne disparaît pas. Il se segmente lui aussi pour assurer l’employabilité permanente de la totalité de la main-d’œuvre disponible, il ne joue plus seulement sur la population salariée, mais sur le taux d’activité et la population disponible. C’est le passage du Welfare au Workfare. Au niveau du surtravail, la création de plus-value sur le mode absolu est activée non seulement parce que, mondialement, un plus grand nombre de travailleurs entre dans le procès de travail pour un travail nécessaire en croissance moindre, mais aussi de par l’intensification du procès de travail qui en résulte, de par l’allongement du temps de travail global, et de par l’accélération de la rotation du capital fixe. Si le travail nécessaire est étendu à la reproduction de la force de travail globale, c’est parce que le surtravail dépend aussi, quant à lui, de cette force de travail globale, facteur de croissance de l’intensité, de la productivité et de l’extension de la main-d’œuvre disponible.
Pour rétablir a minima les conditions de la réalisation, une partie croissante de la plus-value est recyclée, distribuée, via la financiarisation de l’économie, vers les couches supérieures du salariat. La croissance des inégalités n’est pas un défaut du dispositif, que l’on pourrait corriger ou qui serait contraire à l’intérêt bien compris d’un capitalisme idéal, c’est une pièce essentielle, fonctionnelle, de ce nouveau « régime d’accumulation » (si l’on veut employer l’expression). Cela ne résout pas le problème de la réalisation d’une façon aussi « vertueuse » que le « fordisme », mais c’est elle qui existe. Le niveau très élevé du taux d’autofinancement des entreprises dans les pays centraux indique que la plus grande partie de ces revenus financiers est orientée vers la consommation. Ces revenus financiers ont un caractère fonctionnel dans le système d’accumulation actuel, ils sont devenus un élément essentiel de la réalisation.
La situation actuelle recèle une énigme : le taux de profit remonte à un rythme beaucoup plus rapide que le taux d’accumulation. C’est le manque d’opportunités d’investissements rentables qui conduit à recycler autrement la plus-value extraite et à gonfler la sphère financière : le gonflement de la sphère financière n’est pas une entrave à l’ « économie réelle », mais son résultat. C’est mondialement qu’il faut situer le problème, il était facile de parler de « compromis fordiste » quand les quatre cinquièmes de l’humanité en étaient exclus. La croissance fantastique de la force de travail mobilisée par le capital à l’échelle mondiale supprime toute la pertinence de la liaison entre la production, la productivité et la réalisation sur une échelle nationale ou même régionale. Cela signifie que les modifications structurelles dans la relation entre production, profit et réalisation « s’incarnent » en une organisation géographique des échanges (cf. les relations commerciales et financières entre les Etats-Unis et la Chine par exemple). Les risques inhérents au circuit actuel de réalisation sont bien connus : le surendettement des ménages américains, la perpétuation des investissements étrangers de capitaux aux Etats-Unis. Le système est à la merci du moindre « accident ». Mais l’accumulation capitaliste n’a jamais brillé par sa stabilité et son absence de contradictions. L’important est de regarder le système qui existe et d’en mesurer ses limites et non de dire qu’il n’existe pas parce que ses limites résideraient dans le fait de ne pas être comme le précédent (la même chose en « mieux »).
2) Les transformations du procès de travail.
a) Les « limites du taylorisme » : valeur et coopération
On ne peut pas considérer les déterminations mêmes du capital comme des obstacles insurmontables à sa restructuration.
Souvent, en se fondant sur des récits d’ouvriers, on soutient que le taylorisme ne peut fonctionner sans, paradoxalement, une initiative ouvrière. Le taylorisme correspondrait au capitalisme en tant qu’il est en quête de valeur, laquelle doit être sécable, repérable et séparable dans quelque chose d’homogène : le temps. Mais il serait inadéquat au capitalisme en tant qu’il met en œuvre une coopération.
Ce qu’on nous présente parfois comme limites du taylorisme, ce sont tout bonnement des contradictions inhérentes au mode de production capitaliste, il est évident alors que celui-ci ne peut, quoi qu’il fasse, s’en sortir. Soit les « contradictions » qui lui sont inhérentes sont aussi sa dynamique, soit le règne du capital aurait dû s’achever, dès son apparition, avec la manufacture sérielle.
b) Innovations techniques et innovations organisationnelles
Depuis le début des années 1990, le « taylorisme informatisé » a relancé la productivité de façon suffisamment énergique pour qu’elle flirte avec ses taux de croissance des années 1960. La seconde moitié des années 1990 voit disparaître le fameux paradoxe de Solow : « on voit des ordinateurs partout sauf dans les indices de productivité ». L’écart entre exécution et direction est inhérent au capital, ce n’est donc pas en le supprimant mais au contraire en l’approfondissant qu’il surmonte les limites d’une organisation historique du travail. Par l’introduction de l’informatique dans le procès de travail, le capital a répondu au savoir collectif et à la prégnance que les ouvriers développaient sur la chaîne fordiste classique, il a supprimé beaucoup de temps morts en saturant les postes de travail, il a maximisé les temps-machines (accélérant la rotation du capital fixe). Il a donné aux forces sociales du travail développées dans la coopération une existence adéquate à sa propre nature en ce qu’elles sont désormais objectivées dans des organes spécifiques du capital fixe. Le capital n’a pas humanisé la chaîne, toutes les expériences du début des années 1970 sont restées des expériences marginales. Mais, ironie de l’histoire, c’est sur la base de ces expériences organisationnelles que l’électronique et l’informatique donneront, quelques années après, toute leur mesure.
Actuellement, la production en flux c’est la généralisation sociale de la chaîne. Pendant longtemps, les freins sociaux (refus du travail divisé, déqualifié, poids des logiques de métier, services de maintenance) et les freins techniques (complexité des équipements, incapacité à stocker le savoir des spécialistes pour le mettre à disposition de salariés peu qualifiés de façon décentralisée…) ont suffi à empêcher le modèle de la chaîne de s’étendre au-delà de la chaîne d’assemblage final dans l’industrie automobile et dans quelques autres activités, malgré ses avantages déterminants au point de vue des délais et des stocks. Le flux c’est également la possibilité de la substitution à une « grosse usine » de plusieurs unités distinctes installées à proximité de leurs clients principaux. Toute la logique de l’organisation de la production par métiers est déstabilisée, la disparition de l’identité ouvrière n’est une déduction logique de la structure du rapport d’exploitation restructuré que parce qu’elle est une multitude de « micro faits » qui touchent l’ensemble de la reproduction du rapport entre prolétariat et capital.
Ce qui caractérise la période actuelle c’est l’extension massive à tous les secteurs d’activité, dans l’industrie et les services, des principes tayloriens d’organisation du travail. Le taylorisme est maintenant en train de devenir le mode de travail dominant dans la totalité des activités économiques. La nouvelle organisation du travail, c’est le taylorisme.
c) Organisation du procès de travail / collectif ouvrier / cycle de luttes
Les ouvriers se sont révoltés contre le taylorisme. Cette organisation du travail était devenue un formidable dispositif de résistance ouvrière. Ce qui a échoué à Turin et ailleurs, ce n’est pas l’échange des « hauts salaires » contre la réduction à un statut de « pion ». Les « hauts salaires » étaient pour ceux qui n’étaient pas des pions (ouvriers professionnels, employés…) et le statut de « pion » pour ceux qui n’avaient pas de « hauts salaires ». La constante de l’automne chaud de 1969 aux usines FIAT est la revendication par les OS de fortes augmentations salariales alors que la CGIL, s’appuyant sur d’autres catégories ouvrières que les OS, cherche constamment à ramener les conflits... sur le contrôle de l’organisation du travail. Les limites du taylorisme, dans la phase d’expansion antérieure, ne relèvent pas du seul procès de travail, mais de la combinaison de celui-ci avec la création d’une force de travail homogène dans un marché du travail où le chômage est restreint et dans une situation de gains de productivité élevés. Le taylorisme était une machine de guerre contre l’OP, mais il a fini par produire une force de travail à la fois collective au niveau de l’usine et sociale au niveau de la reproduction d’ensemble qu’il s’est révélé incapable d’absorber, ce n’était une limite du procès de travail que parce que c’était une lutte des classes.
Sur tous les fronts, du marché du travail au procès productif dans sa matérialité, en passant par le Welfare et la représentation syndicale et politique, la classe capitaliste a su déstructurer la puissance ouvrière telle qu’elle s’était manifestée et reconstituer d’autres dispositifs de mobilisation productive de la force de travail qui ont fini par faire système. La classe capitaliste était face à deux nécessité : briser le collectif ouvrier ; briser la relation entre hausse du salaire et gains de productivité. C’est à partir de cela, qu’elle a « bricolé », au fil de l’eau, une nouvelle organisation du travail dans le procès de production immédiat.
Que cela soit dans les secteurs anciennement taylorisés où l’organisation du travail est profondément modifiée, ou dans les secteurs, bien plus nombreux, où les méthodes tayloriennes s’imposent de façon différentes mais en conservant les principes de base du taylorisme, le collectif ouvrier est bouleversé. Des catégories sont expulsées ou confinées à des tâches subalternes : les OS, les ouvriers de métier (les anciens « seigneurs des ateliers »), les jeunes issus de l’enseignement technique court. Les ouvriers professionnels dont les acquis techniques sont remis en question et leur autonomie contestée, face aux opérateurs et aux techniciens, ne savent plus ce qu’ils sont (comme la maîtrise). D’autres sont « valorisés » : les ouvriers opérateurs de conduite de système automatisés, les techniciens de production. Ces derniers deviennent le pivot autour duquel s’organise ce processus de déclassement / reclassement du collectif.
Le travail a été réorganisé en groupes ou équipes autour d’un « moniteur » (échelon intermédiaire entre ouvriers et chef d’équipe), un système de primes collectives et individuelles a été instauré, un autocontrôle des équipes est mis en place, la petite maîtrise a été relayée par des jeunes BTS. La prime d’équipe amène le rappel à l’ordre des « déviants » par le groupe lui-même, ceux qui ne veulent ou ne peuvent accepter les formes minimales de « participation » sont marginalisés. En même temps, la présence massive d’intérimaires fait peser une menace permanente sur les ouvriers tout en les déchargeant souvent des postes de travail les plus durs.
La nouvelle organisation du travail a fait disparaître du paysage l’ « élite ouvrière », l’ouvrier professionnel autonome dans son travail. Les OP, figure essentielle de l’ancien cycle de luttes, socialisaient les OS dans le cadre d’institutions proprement ouvrières et représentaient un espoir de promotion. Il existe maintenant un trou entre le niveau des OS et celui des techniciens, totalement coupés des ouvriers malgré leur présence physique dans les ateliers de fabrication.
3) La mondialisation
La mondialisation du capital, n’est pas une caractéristique à côté d’autres caractéristiques, elle est la forme générale de la restructuration, ce n’est qu’ainsi qu’existe la fluidité de la reproduction du capital. Elle n’en est pas la dynamique, qui demeure la plus-value relative, mais la synthèse de toutes les caractéristiques.
La mondialisation n’est pas une extension homothétique des rapports capitalistes sur chaque parcelle des territoires constituant la planète, mais une structure spécifique d’exploitation et de reproduction du rapport, tel qu’il s’est restructuré, comme géographie. Segmentation, flexibilité, abaissement de la valeur de la force de travail dans les combinaisons sociales de sa reproduction et de son entretien, sont devenus en eux–mêmes des processus de diffusion illimités, tout comme la transformation de la plus-value en capital additionnel ou l’appropriation des forces sociales du travail. N’aborder les transformations du marché mondial que comme concurrence entre les capitaux n’est qu’une vision partielle de la mondialisation.
a) Homogénéité, hiérarchie et développement capitaliste endogène
Le capitalisme ne suppose pas un espace homogène où chaque porteur de marchandise équivaudrait à son voisin. Quand il s’agit du porteur de la marchandise bien particulière qu’est la force de travail, le capital se délecte de la diversité des origines de cette marchandise, de ses particularités, de l’originalité de ses modes de formation et de reproduction, de sa segmentation. La fragmentation et l’homogénéité de l’espace de l’accumulation capitaliste résident conjointement dans la transformation de la valeur en prix de production incluant la péréquation des taux de profit.
Le capitalisme ne suppose pas plus un « espace homogène » (c’est-à-dire celui de la petite production marchande), qu’il ne suppose qu’un pays ne devient capitaliste qu’en développant les conditions du capital de façon endogène. Poser la question « peuvent-ils industrialiser le tiers-monde ? » (Souyri), en imaginant que la réponse positive serait la concurrence d’égal à égal entre les Etats-Unis et Taïwan, l’un et l’autre comme ensemble cohérent et autocentré, c’est bien sûr ne pouvoir y répondre que négativement. Au jeu de la concurrence mondiale, pour les chaussures de sport, il est évident que l’Indonésie ou le Vietnam ne peuvent rivaliser avec le fabricant américain Nike (ou inversement… ?). L’entrée sur le marché mondial est contrôlée par un nombre restreint de firmes, il est d’entrée de jeu un « espace maillé » (Michalet). Il s’agit de l’enchevêtrement de trois niveaux : les structures mises en place par les grandes firmes et leurs sous-traitants ; les « marchés » internes hiérarchisés des multinationales ; les alliances entre ces multinationales. L’accès au marché mondial échappe rarement à ce maillage.
b) Capital financier et mondialisation
La mondialisation est un phénomène à trois dimensions : la dimension des échanges de biens et de services, la dimension des investissements directs à l’étranger et la dimension de la circulation des capitaux financiers. Les trois dimensions sont bien sûr interdépendantes et la succession des configurations historiques de la mondialisation est la résultante de la transformation de la hiérarchie des interdépendances entre ces trois dimensions (Charles-Albert Michalet, Qu’est-ce que la Mondialisation, Ed. La Découverte). De là, Michalet construit trois configurations qui sont des « types idéaux » : la configuration inter-nationale ; la configuration multi-nationale ; la configuration globale. La dernière est la configuration actuelle liée à la domination du capital financier. Mais, Michalet ne va pas au-delà de cette typologie, c’est-à-dire ne relie pas organiquement en tant que procès général du capital la hiérarchie des interdépendances et les modalités d’extraction de la plus-value.
Il est tout à fait juste que la circulation financière ne crée ni valeur, ni plus-value. Il faudrait cependant déjà remarquer, ce qui n’est pas négligeable, qu’elle redistribue le profit, qu’elle est le vecteur essentiel de sa péréquation. Elle effectue cette péréquation non seulement entre les capitaux de l’ « économie réelle », mais encore entre les fractions fonctionnelles du capital (capital productif, capital commercial, capital financier). En ce sens, elle est formatrice du cycle mondial du capital. Dans la formation d’un cycle mondial du capital, la circulation financière et sa logique débordent et s’étendent aux autres dimensions dites « réelles » de l’économie : la production et les échanges de biens et de services. Le capital productif passe par des dynamiques financières qui définissent sa rentabilité et comment sa crise s’ordonne à ce niveau.
Dans le système mondial, les Etats et les ensembles régionaux d’Etats se trouvent être maintenant les espaces nécessaires à la définition et à la gestion des différenciations internes à la totalité. Ces zones, dans la logique financière, ont vocation à se confondre avec des zones monétaires (dollar, yen, euro), entre lesquelles pourront jouer les arbitrages entre les différents taux des marchés financiers et les taux des changes qui, s’ils sont dépendants des anticipations (et de la réalisation effective) de profits, traduisent les conditions de la valorisation dans le langage déterminant les déplacements de capitaux. Si le cadre national change de niveau de pertinence en ce qu’il n’est plus l’élément de base d’une multi-nationalisation, il a en charge dans le cadre des regroupements continentaux de gérer, comme moyen terme, la spécialisation régionales infranationales.
On ne peut constater d’un côté la prégnance des logiques financières, et, de l’autre, se contenter de dire que la vérité est dans le capital productif comme si les premières n’informaient pas le second. Le capital ne s’échappe jamais en une valorisation fictive mais la valorisation du capital en tant que valorisation du capital productif (la seule) peut être subordonnée aux règles de la valorisation du capital fictif, c’est-à-dire les règles de la « capitalisation ». Nous avons là tout simplement une tendance contenue dans le concept même de capital qui est une puissance sociale, l’ « indépendance » du capital argent étant la forme achevée de cette puissance sociale.
c) La mondialisation : valorisation des inégalités et dissociation territoriale
Les territoires des pays « sous-développés » devenant des « nouveaux pays industriels » ou « émergents » sont des « territoires dissociés » ou des « systèmes-mosaïques » (Laurent Carroué, Géographie de la mondialisation, Ed. Armand Colin). Un tel territoire national dissocié et à l’extraversion systémique pose pour l’Etat des problèmes d’unité et de construction nationale en même temps que, pour le prolétariat, les contraintes de sa reproduction échappent à toutes nécessités se bouclant sur cette aire « nationale ». La logique de « dissociation des territoires » n’est pas qu’une détermination du rapport Nord – Sud, mais générale de la restructuration, elle transforme également les aires dominantes anciennement constituées.
Pour les nombreux pays qui en vivent, le commerce extérieur n’est pas la juxtaposition d’entités réellement autonomes, mais, le plus souvent, une organisation intrafirme. Aussi bien le développement des industries lourdes que celui d’industries légères produisant des biens de consommation ne s’inscrivent pas dans le cadre national d’une accumulation extensive, seul cadre où l’on pourrait considérer leur développement comme bloqué par rapport à une « variable externe » : le marché mondial considéré comme une constante.
d) Déstructuration et recomposition
La déstructuration de tous les capitaux nationaux paraît évidente, tant dans les économies émergentes, mais aussi, ce qui est beaucoup plus intéressant pour comprendre la nature du phénomène, dans les centres les plus développés. A regarder le cadre national ou local, le capital déstructure, à considérer les trois niveaux d’échelles (mondial, continental, national ou local), quel que soit le secteur d’activités, le capital structure fortement l’espace de sa valorisation, c’est-à-dire de la reproduction des rapports sociaux capitalistes. La structuration est ailleurs, dans les formes étatiques / infra-étatiques / supra-étatiques d’aménagement des territoires et de gestion de la main-d’œuvre, dans la structure des firmes et des réseaux. Si celles-ci n’assurent qu’une fraction minoritaire de la production capitaliste mondiale, elles contrôlent et hiérarchisent les secteurs dans lesquels elles sont actives et, pour la quasi totalité des entreprises, elles sont le passage obligé pour accéder au marché.
La destructuration n’est qu’une illusion d’échelle. Mais la juxtaposition de stratégies de firmes cohérentes, à leur niveau, ne donne pas ipso facto la cohérence de la reproduction des rapports sociaux capitalistes.
e) La mondialisation : disjonction entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail
La nouvelle organisation mondiale capitaliste impose, à l’échelle planétaire, le contenu et la forme du rapport d’exploitation capitaliste tel qu’il est sorti de la restructuration née dans la défaite ouvrière du début des années soixante-dix. Là où il y avait une localisation jointe des intérêts industriels, financiers et de la main-d’œuvre peut s’installer une disjonction entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail.
Il est facile d’imaginer la cohérence mondiale de la valorisation si l’on reste au niveau d’échelle le plus grand : des hypercentres capitalistes regroupant les fonctions hautes (finances, haute technologie, centres de recherche …) ; des zones secondes avec des activités nécessitant des technologies intermédiaires, regroupant la logistique et la diffusion commerciale, zones à la limitation floue avec les périphéries consacrées aux activités de montages souvent en sous-traitance ; enfin, zones de crises et « poubelles sociales » dans lesquelles prospèrent tout une économie informelle sur des produits légaux ou non. Cette économie « noire » non seulement permet la survie de ces zones mais encore par les trafics de main-d’œuvre, d’énergie, de capitaux d’origine « non déclarée », permet la fluidité des régions qui les entourent.
Si la valorisation du capital est unifiée au travers de ce zonage, il n’en est pas de même de la reproduction de la force de travail. Chacune de ces zones à des modalités de reproduction spécifique. Dans le premier monde : des franges à hauts salaires avec privatisation des risques sociaux imbriquées dans des fractions de la force de travail où sont préservés certains aspects du « fordisme » et d’autres, de plus en plus nombreuses, soumises à l’achat global de la force de travail. Dans le deuxième : régulation par de bas salaires imposés par une forte pression des migrations internes et la grande précarité de l’emploi, îlots de sous-traitance internationale plus ou moins stables, peu ou aucune garantie des risques sociaux, migrations de travail. Dans le troisième : aides humanitaires, trafics divers, survie agricole, régulation par toutes sortes de mafia et de guerres plus ou moins microscopiques mais aussi par la revification des solidarités locales et ethniques. Le capitalisme est en train de réussir le tour de force de retravailler clans, ethnies, « sociabilité primaire », à les durcir comme des organes spécifiques de la reproduction de sa force de travail disponible. La disjonction est totale entre la valorisation mondiale unifiée du capital et la reproduction de la force de travail adéquate à cette valorisation. Entre les deux, la relation réciproque de stricte équivalence entre production de masse et modalités de la reproduction de la force de travail, qui définit le fordisme, a disparu.
La mise en abîme de ce zonage est une détermination fonctionnelle du capital, elle maintient, malgré la rupture entre les deux, des marchés mondiaux en expansion et une extension planétaire de la main-d’œuvre disponible, cela en dehors de leur relation nécessaire sur une même aire de reproduction prédéterminée. La rupture d’une relation nécessaire entre valorisation du capital et reproduction de la force de travail brise les aires de reproduction cohérente dans leur délimitation régionale ou même nationale. Dans ce nouveau monde, un peu partout s’installe un système de répression prépositionné dans une étroite conformité entre l’organisation de la violence et celle de l’économie jusqu’à effacer la distinction entre guerre et paix, entre opérations de police et guerres. Un mode de régulation.
f) Une unification de l’espace capitaliste
Cette unification n’a jamais été aussi étroite, parce que justement il n’y a plus d’espaces autonomes et autocentrés et qu’elle est effective, à tous les niveaux d’échelle, par l’interpénétration des espaces les plus modernes et les plus marginaux. C’est précisément cette unité extrême dans l’interpénétration, la fin du chacun chez soi, que souvent, tout à notre nostalgie fordienne, nous ne voyons que comme éclatement.
Disjonction entre reproduction de la force de travail et valorisation du capital ; mise en abîmes dans chaque espace particulier de la hiérarchie mondiale, c’est sur ces deux points liés entre eux que se jouent maintenant la cohérence de la reproduction mondiale des rapports sociaux capitalistes. Le « chaos » saute aux yeux au point qu’il nous éblouit. Mais ce chaos n’est que l’ordre de la restructuration capitaliste. Les déterminations fondamentales du rapport d’exploitation restructuré sont étendues mondialement et partout reproduites à toutes les échelles par la fluidité de la reproduction du capital qu’impose l’extraction de plus-value sous son mode relatif. La localisation, territorialement jointe, de la reproduction de la force de travail et de la valorisation du capital était l’obstacle paradigmatique à cette fluidité et résumait tous les autres.
De la Chine au Mexique, en passant par l’Afrique même, l’extension vertigineuse de la misère urbaine est une formidable extension des échanges, ces masses urbanisées récentes sont happées par les circuits d’échanges, leur misère même en est le résultat.
Principes généraux de la restructuration : un critère, les cycles de luttes.
Ce qui importe pour décider s’il y a eu une restructuration ou non du rapport social capitaliste, ce n’est pas l’accumulation de faits, mais le critère choisi pour les juger. Si l’on choisit la dynamique du système on ne peut que conclure que la restructuration a eu lieu, à la condition de prendre au sérieux ce critère, c’est-à-dire de ne pas demander à un système modifié de remplir les conditions du système antérieur.
Le principe de base synthétique de la restructuration consiste dans l’abolition et la reformulation de tout ce qui peut faire obstacle à l’autoprésupposition du capital, à sa fluidité. Le capital restructuré est toujours le capital, il connaît de graves difficultés, mais ce sont ses difficultés propres et non le fait qu’il n’est plus maintenant ce qu’il était « autrefois ». Dans un système d’exploitation où l’emploi salarié est organisé comme précaire et en rotation sur des masses parfois énormes, le capital libère une masse de travail disponible supérieure à celle qu’il absorbe productivement, c’est à la fois la condition de ces nouvelles modalités d’exploitation et un réel problème de « régulation ». La disjonction entre la valorisation du capital et la reproduction de la force de travail, qui est une caractéristique générale de la mondialisation du rapport d’exploitation, nous donne un régime de développement problématique dans lequel le redressement du taux de profit ne se traduit pas ipso facto par un redressement du taux d’accumulation. Actuellement, dans le procès de travail, la classe capitaliste a du mal à trouver la « combinaison optimale » entre modifications organisationnelles et modifications technologiques. L’économie du néotaylorisme contemporain est parvenue à casser, au moins provisoirement, la tendance séculaire du capitalisme à voir son intensité capitalistique, c’est-à-dire le besoin de capital immobilisé par unité de valeur ajoutée produite, augmenter sans cesse. Cependant, cette « nouvelle jeunesse du capitalisme » (Guillaume Duval), est tout de même problématique : les gains de productivité ne sont plus croissants ; les progrès de l’automatisation qui pourraient les rendre croissants sont en partie bloqués, les investissements matériels et donc la section de la production des moyens de production sont régulièrement en souffrance ; la plus-value dégagée, du fait même des modalités d’accroissement de la rentabilité, trouve difficilement des opportunités rentables d’investissements ; le besoin en capital des entreprises est limité ; la politique salariale restrictive, corollaire des politiques organisationnelles, limite structurellement la réalisation.
Mais, ce critère lui-même n’est pas pertinent, car il demeure dans l’objectivité du discours et de l’analyse économiques. Une restructuration du mode de production capitaliste est une restructuration du rapport d’exploitation, en cela elle est une restructuration de la contradiction entre le prolétariat et le capital.
C’est la façon dont étaient architecturés, d’une part, l’intégration de la reproduction de la force de travail, d’autre part, la transformation de la plus-value en capital additionnel et enfin l’accroissement de la plus-value sous son mode relatif dans le procès de production immédiat, qui était devenue une entrave à la valorisation sur la base de l’extraction de plus-value sous son mode relatif. Contre le cycle de luttes antérieurs, la restructuration a aboli toute spécification, statuts, welfare, « compromis fordien », division du cycle mondial en aires nationales d’accumulation, en rapports fixes entre centre et périphérie. Tout ce qui pouvait faire obstacle à la fluidité de l’auto-présupposition du capital, tant dans le procès de production immédiat (travail à la chaîne, coopération, production-entretien, travailleur collectif, continuité du procès de production, sous-traitance, segmentation de la force de travail) que dans la reproduction de la force de travail et sa mobilisation (travail, chômage, formation, welfare), ainsi que dans les modalités de l’accumulation et de la circulation est aboli (service public, bouclage de l’accumulation sur une aire nationale, inflation glissante, dématérialisation de la monnaie, « partage des gains de productivité »). La nouveauté de la période réside dans la structure et le contenu de la contradiction entre le prolétariat et le capital qui se situe au niveau de la reproduction.
Dans cette restructuration est abolie et dépassée la contradiction qui avait soutenu l’ancien cycle de luttes entre, d’une part la création et le développement d’une force de travail créée, reproduite et mise en oeuvre par le capital de façon collective et sociale, et, d’autre part, les formes apparues comme limitées de l’appropriation par le capital, de cette force de travail, dans le procès de production immédiat, et dans le procès de reproduction. C’était là, la situation conflictuelle qui, dans le cycle de luttes antérieur, se manifestait comme identité ouvrière confirmée dans la reproduction même du capital et qu’abolit la restructuration. De cette identité ouvrière produite et confirmée dans la reproduction du capital découlait tant un puissant mouvement ouvrier que les pratiques de rupture avec lui qu’étaient l’autonomie et l’auto-organisation. Il n’existe pas de restructuration du mode de production capitaliste sans défaite ouvrière. Cette défaite a été celle de l’identité ouvrière, des partis communistes, du syndicalisme, de l’autogestion, de l’auto-organisation, du refus du travail. C’est tout un cycle de luttes qui a été défait, sous tous ces aspects, la restructuration est essentiellement contre-révolution, cette dernière ne se mesure pas au nombre de morts.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause.
Il ne s’agit pas d’un simple changement de forme et même de contenu, mais d’une transformation de la composition de la classe ouvrière et donc de sa pratique. Le nouveau cycle de luttes n’est pas un miracle structuraliste, mais l’action d’une classe ouvrière recomposée. Il s’agit de la disparition des grands bastions ouvriers et de la prolétarisation des employés, de la tertiarisation de l’emploi ouvrier (spécialistes de l’entretien, conducteurs d’engins, chauffeurs routiers, livreurs, manutentionnaires, etc - ce type d’emploi est maintenant majoritaire chez les ouvriers), du travail dans des entreprises ou des sites plus petits, d’une nouvelle division du travail et de la classe ouvrière avec l’externalisation des activités à faible valeur ajoutée (travailleurs jeunes, payés au smic, souvent intérimaires, sans perspective professionnelle), de la généralisation des flux tendus, de la présence de jeunes ouvriers pour qui la scolarisation a rompu le fil des générations et qui rejettent massivement le travail en usine et la condition ouvrière en général, des délocalisations, de la segmentation mondialisée de la force de travail, de son emploi, de sa reproduction.
Ce n’est pas la figure du précaire, en tant que position sociale particulière, qui, en elle-même, est la nouvelle figure centrale de la recomposition ouvrière, c’est cet ouvrier socialement taylorisé et par là même contaminé par toutes les caractéristiques de la précarité.
Le paradoxe de cette nouvelle composition de classe est de faire disparaître la reconnaissance de l’existence de la classe ouvrière au moment même où sa condition s’étend et où cette « disparition » n’est que l’effet de cette nouvelle composition et de sa segmentation. Quand le rapport contradictoire entre le prolétariat et le capital ne se définit plus que dans la fluidité de la reproduction capitaliste, le prolétariat ne s’oppose au capital que dans le mouvement où il est lui-même reproduit comme classe. Cet affrontement du prolétariat à sa propre constitution en classe est maintenant le contenu de la lutte de classe et l’enjeu de celle-ci est la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe et de toutes les classes.
Comments
Organisons-nous pour tout bloquer: Formons des piquets volants
mercredi, 7 novembre 2007
Les médias et les syndicats nous martèlent que cette grève serait exclusivement une bataille contre la suppression des régimes spéciaux des retraites, alors que nous sommes face à une offensive du gouvernement comportant tout un panel de mesures :
— service minimum dans le secteur des transports ;
— suppression de 27000 postes de fonctionnaires ;
— chasse aux sans-papiers ;
— privatisation rampante des universités ;
— attaque contre le salaire indirect (allocation chômage, RMI, instauration d’une franchise médicale) ;
— volonté de supprimer les CDI.
S’il est vrai que chacune de ces mesures entraînent une réaction corporatiste de chaque catégorie concernée, il est également vrai que de plus en plus de gens sont conscients que ces « réformes » forment un tout cohérent et qu’il s’agit de s’y opposer ensemble.
Au-delà des grèves catégorielles se profile un mouvement social contre les mesures du patronat et du gouvernement.
Ces mesures sont prises dans le cadre de la restructuration capitaliste en cours (la « mondialisation »). La mise en concurrence de la force de travail au niveau mondial doit se doubler maintenant de la mise en concurrence de chaque individu au sein même de l’entreprise. Du statut morcelé en une multitude de catégories, on passe désormais au statut individualisé. Chacun doit se retrouver dans l’obligation de négocier seul face au patron son propre « parcours de carrière », en fait les modalités de la vente de SA force de travail. Syndicats et patronat ont déjà programmé la fin des CDI et des conventions collectives, qu’ils l’appellent Flexi-sécurité ou sécurité sociale professionnelle.
Pour le capital, notre force de travail doit être soumise aux pures lois du libéralisme et pour ce faire, l’atomisation doit tendre à être totale.
C’est dans ce cadre que s’inscrit le train de réformes imposé par le gouvernement pour casser les « bastions » où les corporations détiennent encore un rapport de force : supprimer de fait le droit de grève dans les secteurs-clefs que sont les transports et l’énergie ; dégraisser le personnel de la fonction publique pour pouvoir embaucher hors-statut. Il s’agit aussi de précariser encore plus l’ensemble de la force de travail pour l’obliger à se soumettre aux nouvelles conditions draconiennes de l’exploitation.
La grève n’est pas une arme dont peuvent user efficacement tous les prolétaires.
Est ce qu’encore une fois les cheminots, les gaziers, les électriciens, les postiers, les employés de la Ratp vont se retrouver seuls en première ligne ? Les syndicats vont-ils encore une fois mettre en avant la défense de tel ou tel acquis spécifique à une catégorie de travailleurs ? Nous ne voulons pas vivre ce mouvement par procuration, n’être qu’une fraction de l’opinion publique qui se contente d’approuver la grève sans y participer.
La grève est une arme efficace pour ces bastions ouvriers, elle a de réelles conséquences économiques. Mais pour une grande partie d’entre nous, alternant périodes de chômage, d’interim ou de contrats temporaires, ce mode d’action n’est pas envisageable. Une non-moins grande partie d’entre nous ne travaille pas dans un « secteur-clef » où la simple cessation de travail constituerait une entrave suffisante au bon déroulement de l’économie (les professeurs, instituteurs, lycéens et étudiants en sont les exemples types).
Depuis les années 80, la grève (telle qu’elle est juridiquement encadrée) a perdu beaucoup de son efficacité. Le morcèlement des entreprises en de multiples entités, le recours à la sous-traitance et à l’interim laissent chaque secteur de travailleurs isolé dans la contestation des modalités de son exploitation. Depuis de nombreuses années, si l’on veut être entendu, les actions coups de poing, les piquets et occupations (illégaux) sont nécessaires.
Et la situation à venir s’annonce bien pire, puisque chacun, isolé, devra défendre son bout de gras. Les possibilités de se regrouper pour faire grève dans sa boîte vont donc tendre à disparaître.
Nous ne sommes pas désarmés pour autant. Les mouvements sociaux de ces dernières années (en France mais aussi ailleurs, en Argentine notamment) ont démontré que le blocage de la circulation des marchandises, de l’énergie, de l’information et de la force de travail était un moyen efficace de perturber l’économie. Instaurer un tel rapport de force permet de faire reculer les projets patronaux.
Appel à la création de piquets volants
À ceux qui veulent résister !
À ceux qui perçoivent cette résistance non pas comme une somme de grèves corporatistes, mais bien comme un mouvement social d’ampleur contre le train de
réformes imposées par le gouvernement pour les besoins de la restructuration capitaliste !
À ceux qui savent que cette attaque n’est pas la dernière et que, si nous laissons faire, elle sera suivie par d’autres !
À ceux qui savent que leur situation sous le capitalisme ne peut aller qu’en s’empirant !
Aux profs grévistes, aux postiers enragés, aux assemblées lycéennes et étudiantes, aux chômeurs conscients, aux gosses sans avenir, aux retraités sacrifiés, aux travailleurs précaires qui n’attendent plus rien, aux RMIstes qui ont besoin de tout…
À tous ! À tous ! À tous ! À tous ! À tous ! À tous !
Regroupons-nous à l’échelle du quartier, de la boîte ou par groupe d’affinité…
Créons des piquets volants pour bloquer là où cela perturbe le plus, paralysons les voies de circulation et la production, coupons les circuits de flux d’informations, participons aux actions des grévistes, renforçons les occupations des points stratégiques !
Organisons-nous à 5 ou à 100, coordonnons-nous quand nous en avons l’occasion, pour agir selon nos possibilités.
Première Assemblée des piquets volants d’Ile -de-France
Lundi 12 novembre à 18h au C.I.C.P.
21ter rue Voltaire, Métro Rue des Boulets, ligne 9
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ORGANISONS-NOUS POUR TOUT BLOQUER, Pépé, 7 novembre 2007Première réaction à chaud et non concertée à la réception de l’appel aux
piquets volants.Cette demande de réaction des « appelants » me permet de revenir sur un
débat qui, pour moi a fini en eau de boudin du fait de mon départ à
Marseille, lors de la dernière réunion.
Je me retrouve devant cet appel et je sais qu’il n’aura pas de suite autour
de moi. Pourquoi ??
Lorsque je m’opposais aux interventionnistes de tous bords lors de la
réunion et que je disais je ne fais rien « d’en dehors et vers une
situation sociale », il ne s’agissait bien évidemment pas de parler de mon
étage à l’hôpital ou de mon service ni même de ma corporation…Il s’agissait
de dire que j’existe, j’échange, je me bat, là ou je vis, là ou je travaille
en harmonie (même si elle est toujours conflictuelle) avec les gens qui me
connaissent et partagent les mêmes tranches de vie que moi…. Si j’étais père
d’un minot dont le collègue va se faire expulser, je pense que je serai avec
le gens du réseau qui s’opposent physiquement aux expulsions à Marseille. En
revanche, je n’irai jamais dans un squat de sans papier chercher à me rendre
utile.
Bien sur que nous sommes amenés à bouger partout où nous nous trouvons, et
pas seulement dans la mythique « entreprise ». OK, le quartier, la ville,
etc… Mais je le répète, au risque de l’excommunication théorique, de
l’intérieur. Je ne me suis jamais posé la question « d ‘intervenir ici ou là
_ ». Jamais. Je n’irai jamais faire le coup de poing contre la police
anti-émeute de Shanghai ou de Oaxaca, ni même dans la cité Font vert si
l’émeute y couve… Pourtant, je fréquente des gens de Font vert !Pour sortir de cette discussion désagréable sur ce que fait un individu,
discussion sans grand intérêt, j’en arrive à l’appel aux piquets.
La question étant toujours « agir ante ou post festum », je ne pense pas
que l’on puisse appeler à un niveau d’affrontement ante festum.
Les piquets volants, bloquer les flux, les voies sont des outils dont nous
allons avoir à nous servir. En revanche, fixer à l’avance la liste des armes
à utiliser me parait volontariste, militant, déclamatoire. Je ne suis pas en
train de dire qu’il faut attendre sur son cul que le niveau d’affrontement
veuille bien atteindre le niveau que nous jugeons pertinent du haut de nos
certitudes théoriques. Je pense que nous avançons dans le combat avec
l’ensemble des gens avec qui nous combattons. Que ce soit dans l’entreprise,
le quartier, le squat ou la bande de copains. Pourquoi pas, chemin faisant,
amener des propositions qui nous paraîtront plus adaptées, plus combatives,
plus efficaces, plus en phase avec ce que nous analysons de la situation à
ce moment là.
Mais appeler à s’organiser avant même tout mouvement (ici, il s’agit bien
d’un mouvement programmé, pas d’être « en mouvement » en permanence !), en
parallèle des syndicats, me semble…. gauchiste ! Gauchiste au sens d’action
de radicalisation au cul d’un mouvement donné.
Le dernier paragraphe du texte (« regroupons…. ») me parait devoir être
écris à un autre temps que l’impératif.
Pépé. Marseille- ORGANISONS-NOUS POUR TOUT BLOQUER, Pépé, 7 novembre 2007
Le débat "post-festum ou ante festum" est par trop
abstrait, c’est un peu plus subtil. Le moment où nous
publions ce texte s’inscrit dans une "pause" de la
grève. Ce mouvement à démarré le 18 octobre par un
tour de chauffe, de plus il était déjà prévu de
nombreux mois auparavent. La seule surprise fut une
bonne surprise puisqu’on y a constaté : premièrement
que le mouvement de grève était bien plus largement
suivi que prévu dans les secteurs "en première ligne",
deuxièmement que les grèvistes étaent bien remonté et
près à un "mouvement dur", troisièmement que pas mal
de gens (notament les profs et les instits)
cherchaient dts modalités pour se joindre à la lutte,
quatrièmement que les comités de cheminots, bien que
formellement limités au discours corpo ouvraient les
AG à tout le monde.
C’est donc en partant de là, dans le cours de la lutte
et profitant de son interruption momentanée qui laisse
plus de loisir pour réfléchir et s’organiser, que la
proposition à été faite. Il faut noter également que
le texte ne donne qu’une idée vague de la forme
d’organisation et des modalités d’actions. Tout sera à
définir au cours du dévellopement du mouvement.
La France qui se réunie tôt- ORGANISONS-NOUS POUR TOUT BLOQUER, R.S, 13 novembre 2007
attention le second messsage du forum à la suite du tract n’est pas de Pépé mais d’un des auteurs du tract, je crois qu’il était signé a.s (à vérifier. C’est important car on ne comprend rien.
Roland - Commentaires sur les « Piquets volants », R.S, 14 novembre 2007
On peut commencer par critiquer ce texte simplement dans son contenu : syndicalisme plus ou moins radical ; gauchisme.
Syndicalisme plus ou moins radical : affirmation d’une unité des revendications qui n’est, dans le stade actuel de la lutte, rien moins que proclamatoire ; un vocabulaire volontairement flou : « mouvement social » ; la restructuration définie comme « mondialisation » ; capitalisme comme soumission de la force de travail aux « pures lois du libéralisme » ; « bastions » ; « corporations » ; « mesures du patronat et du gouvernement ». Un vocabulaire on ne peut plus consensuel et respectable.
Gauchisme : le mouvement est « corporatif » et son élargissement est considéré a-priori comme une nécessité ; révélation de la véritable nature du mouvement contre le discours syndical et médiatique ; appel à s’organiser préalablement à la lutte.Syndicalisme radical et gauchisme dictent leur contenu aux objectifs : « résistance » ; « faire reculer ». Il s’agit de préserver ou de revenir à un état antérieur, de faire « reculer le patronat et l’Etat ». Il ne s’agit pas, dans ce tract, de dépasser ou simplement d’attaquer la situation présente à partir d’elle-même, mais de revenir ou préserver la situation antérieure (contrairement à ce que pouvait être, dans la lutte anti-CPE une action comme l’occupation de l’EHESS). Situation antérieure qui n’existe plus et qui n’est déjà plus le fondement des luttes actuelles et encore moins de ce qu’elles pourraient comporter de dynamique. Il est obsolète d’envisager la lutte à la SNCF ou à la RATP dans ces termes. Leur action de « résistance » n’a de sens, même en tant que résistance, que dans les conditions actuelles du capitalisme restructuré et qui en tant que tel aura toujours des « rigidités », des « privilèges » à abolir.
On trouve également le souci très louable d’élargir la lutte, il faut que les salariés qui n’ont pas les mêmes moyens de pression participent à cette lutte, mais encore faut-il que cette lutte soit la leur, on ne passe pas directement d’une communauté de situation (qui plus est plus ou moins à venir) à une lutte commune parce que théoriquement nous avons déterminé (même avec raison) que tout cela appartient à un seul et même mouvement qui est celui de la restructuration (qui ici est très symptomatiquement définie comme seulement « en cours »). Tout cela est annoncé à grands coups d’injonctions sur ce qui « doit être fait ». La problématique dans laquelle est engagée cet « élargissement » n’a rien à voir avec le mouvement et la dynamique qui avaient été concrétisés dans l’occupation de l’EHESS.
On s’aperçoit, dans ce tract, à propos de la précarité, qu’il ne s’agit pas de prendre acte de ce qu’elle est l’organisation générale du marché du travail et de l’exploitation de la classe ouvrière ( cela ne devrait pas manquer, sans que l’on puisse prévoir comment, de traverser la lutte des cheminots ou du personnel des secteurs « publics »). Il ne s’agirait que de préserver la classe de cette précarité qui la mine, mais alors nous retrouvons non comme des maladresses mais des expressions nécessaires le vocabulaire et les intonations syndicalistes et gauchistes de ce tract. Le tract est obsolète quant à l’analyse de la situation. On ne peut s’empêcher de penser que la conclusion logique de ce tract devrait être un appel à la reconstitution d’un grand mouvement ouvrier unitaire avec les « publics » en « première ligne ». Il s’agit de revenir ou de préserver un état antérieur, de faire « reculer » le patronat et l’Etat, il ne s’agit pas de dépasser, ni même de lutter contre la situation présente à partir d’elle-même, mais de préserver ou revenir à une situation antérieure (les Conventions collectives et les CDI). Il y a six mois, dans la foulée de la lutte anti-CPE, il s’agissait de se regrouper sous le mot d’ordre : « Ni CPE, ni CDI ».
En admettant qu’un tract était à faire, un autre tract était possible partant de la restructuration comme d’un fait acquis et comprenant la lutte actuelle à la SNCF ou à la RATP dan cette situation, dans ce rapport entre les classes. Cela aurait conduit à ne pouvoir envisager le développement de la lutte que traversé par le rapport actuel entre le prolétariat et le capital. On pouvait ainsi nouer entre eux, même conflictuellement, les différentes catégories au lieu de se retrouver, comme à la fin de ce tract, avec un appel à tout le monde dans une liste de catégories devant se retrouver ensemble du simple fait d’être touchées par le même phénomène. Bien évidemment je n’ai rien à dire ou à critiquer contre de telles luttes de « résistance », mais il y a quelque chose d’étrange à voir là le point où iraient s’articuler des luttes de chômeurs et de précaires ou de catégories déjà éclatées du salariat, tant qu’à l’intérieur de ces luttes ne se manifestent pas de façon pour l’instant imprévisible qu’elles sont soumises et traversées par la situation actuelle. Par exemple, ce ne fut qu’en approfondissant sa revendication initiale et en parvenant conflictuellement à remettre celle-ci en cause que la lutte anti-CPE trouva sa dynamique.
Les vraies raisons de ce caractère revendicatif-défensif (« résistance ») de ce tract résident dans une volonté abstraite d’intervenir. Nous avons ici un cas d’école illustrant ce qu’est l’intervention. C’est-à-dire la construction de la diversité des pratiques dans le cours d’une lutte en une abstraction de la Pratique répondant à la fausse question de la « question de l’Intervention ». L’intervention c’est une activité particulière dans une lutte particulière qui se donne à voir et se comprend elle-même comme répondant à un sens général de la pratique, devenue une abstraction en tant que rôle dans la lutte de classe. Les pratiques que l’on se donne ne sont plus que des effets de la Pratique. Il y aurait obligation à faire quelque chose, à ne pas rester spectateur comme nous y enjoint ce tract. A qui peut s’adresser une telle obligation ? Qui a le choix d’être spectateur ou non ? La lutte de classe devient un supermarché dans lequel on fait ses emplettes, mais parmi les chalands il y aurait un client à l’identité remarquable : le précaire. Cet individu peut être « appelé » à rejoindre n’importe quelle lutte car il n’est pas déterminé par une corporation. Il est, dans le prolétariat, l’équivalent de l’individu libre de la démocratie et pour tout dire un équivalent général. Dans celui qui n’est que l’archétype de la segmentation de la classe, la segmentation de la classe serait comme abolie.
Ce qui est décisif dans ce texte c’est qu’on peut y montrer la conception sur laquelle repose la question de l’intervention. Ce tract est le résultat de l’intervention pensée et posée en général comme une nécessité dans (face à) la lutte de classe, c’est-à-dire pensée de façon abstraite comme question de l’intervention. La question de l’intervention ne se pose qu’à partir du moment où l’on a fait de la diversité des activités une abstraction : la pratique comme abstraction. La question de l’intervention transforme ce que l’on fait dans telle ou telle lutte (ou ce que l’on ne peut pas faire), c’est-à-dire des pratiques toujours particulières en une abstraction de la pratique construisant le dilemme intervention / attentisme. Cette abstraction est quelque chose de bien tangible qui se construit par des activités et des attitudes empiriquement constatables : la « veille pratique » ; la capacité à « choisir » entre les luttes ; la « partie de la société au-dessus de la société » ; le « tout me concerne » ; l’évanouissement de la reproduction du capital dans la lutte des classes, conservé comme cadre mais non comme définition des acteurs ; la question de la stratégie et la révolution comme but à atteindre ; la décision de l’individu comme point de départ méthodologique et non l’existence d’un processus contradictoire ou d’un écart que des activités expriment ; le saut par dessus la reproduction du capital au nom d’une situation jugée comme fondamentalement commune. L’essentiel de la critique de la question de l’intervention réside dans l’abstraction de la pratique et l’objectivation de la lutte des classes qui se répondent réciproquement (par là, son ennemi, « l’attentisme », n’est que le sien). La « Pratique » acquiert en tant que telle, en tant qu’entité, un sens face à son complément, tout aussi abstrait, la lutte de classe comme situation. Les pratiques particulières en tant que telles ne sont plus que des manifestations occasionnelles de la pratique comme abstraction dans le dilemme entre Pratique et Attentisme. C’est là le fondement même de la question de l’intervention, c’est-à-dire de l’intervention comme question.
Un tel tract a pour raison d’être d’avoir fait de l’Intervention une question, de la Pratique une abstraction et de la situation actuelle une situation objective générale comme restructuration et résistance à celle-ci. L’attitude est militante car l’intervention par la validité et la pertinence, pour elle-même, de son action constitue le mouvement tel qu’il existe comme le lieu d’un manque. Ici, ce manque c’est une situation objective d’attaque générale suscitant une résistance dont l’intervention s’accomode parfaitement et qui la conforte dans la mesure où elle va pouvoir en être la radicalisation et la généralisation (les « piquets volants » réalisant la synthèse des deux). Je n’ai rien contre les « piquets volants » si d’aventure ils existent, mais beaucoup contre la façon dont dans ce tract ils sont prescrits, je suis contre les « piquets volants » en tant que prescription de la nécessité de la pratique comme entité abstraite, comme rôle dans la lutte de classe. Ce qui est ici le cas. L’arme de la grève ne pouvant plus être utilisée par tous les prolétaires (ce qui reste encore à prouver), il en résulterait qu’il nous faut « bloquer ». Les formes de lutte ne sont plus ici expression d’un contenu de la lutte et de la place de ses acteurs, mais le résultat d’un tri dans le sac à malices. Le « piquet » argentin auquel il est fait référence n’était pas seulement un moyen mais avant tout l’expression du groupe des piqueteros, une forme de solidarité globale et de reproduction dans la lutte.
L’activité militante façonne la réalité même de son objet d’intervention dans le simple fait de le poser comme objet d’intervention, d’un côté une situation objective, lieu d’un manque, de l’autre une volonté, une activité, des prescriptions. Ce qui peut même amener à écrire des choses que de toute évidence on ne pense pas et qui ne sont là que comme justification de responsabilité et respectabilité. L’intervention à laquelle appelle ce tract n’avait que deux façons de se justifier : soit la proclamation creuse de la révolution dans une démarche normative ; soit la référence à ce qui est pour elle la réalité qui doit être la plus terne possible, mais alors elle est condamnée au discours sur la « résistance » et la généralité de la restructuration devant impliquer tout le monde (considération vraie mais ici également normative en ce qu’elle définit ce que devrait être la pratique de chaque segment de la classe si elle était adéquate à sa situation). Evitant le ridicule du premier terme de l’alternative, le tract est condamné au second terme. Le discours sur la résistance en tant que telle est sa seule justification, dans la mesure où son seul objectif est la généralisation de cette résistance. Si dans cette lutte se créent des ruptures, si apparaît une dynamique, cela ne sera pas sur cette base de « résistance », mais parce que cette « résistance », bien réelle, sera traversée par les conditions générales actuelles de l’exploitation. Dans le tract, l’obsolescence de l’analyse de la situation et l’intervention se justifient mutuellement. C’est le discours et l’analyse de la situation dont l’intervention a besoin pour se conforter elle-même en tant que telle. En l’absence de toutes pratiques ou dynamique dans le mouvement social qui désigneraient ses propres points de ruptures, la pratique est une abstraction en tant que réponse à la fausse question de l’intervention à laquelle nous serions constamment sommés de répondre sous peine d’attentisme.Cependant pour justifier le tract, il faut, en plus, se livrer à une légère surestimation du mouvement tel qu’il est actuellement, surestimation justifiant implicitement une potentialité du mouvement jamais définie autrement que comme celle d’« une grève dure », au nom de laquelle le tract peut exister. Le fait que la grève du 18 octobre n’ait pas été reconduite devient (dans une réponse – sur le site de Meeting - défendant le tract face à quelques critiques) une « pause » ; la journée du 18 devient un « tour de chauffe » (la stratégie syndicale se trouve de fait justifiée). Les grévistes « prêts à un mouvement dur », comme il est dit dans ce commentaire, ont tout de même assez facilement repris le travail, il faut également pour justifier le tract dire que « pas mal de gens (notament les profs et instits) » étaient prêts à rejoindre la lutte (ce qui personnellement ne m’a pas semblé évident : l’Education nationale conserve une certaine rancœur vis-à-vis des cheminots qui, il y a quatre ans, les avaient laissés dans la merde et n’avaient pas été, c’est le moins qu’on puisse dire en « première ligne »). Aujourd’hui, les conducteurs paraissent choisir de négocier à part et le reste du « Public » s’est déjà pris les quarante ans dans les dents. Le fait que le reste du « Public » ne soit malheureusement plus directement concerné ne peut pas être laissé de côté au nom de la « généralité de la restructuration » dont cette attaque est un élément. De son côté, le mouvement étudiant ne me paraît pas, pour l’instant, devoir prendre une ampleur significative, ce qui n’est guère étonnant au vu de son objet même : l’autonomie des Universités. La question actuelle du pouvoir d’achat, donc du salaire, qui pourrait avoir maintenant des déterminations insoupçonnées dans un capital qui ne fait plus du salaire un « investissement », n’est pas évoquée.
Mais ici, dans ce tract, le discours sur la résistance auquel il est de fait condamné n’est qu’un préambule, l’essentiel est dans le moyen de lutte préconisé : les « piquets volants ». Le moyen par son allure radicale, confrontative et autonome est destiné à renvoyer le discours sur la « résistance » à un simple présupposé justificatif qui ne doit pas être pris pour l’essentiel. L’essentiel, ce qui doit être retenu (par celui auquel s’adresse le tract), c’est le moyen. Mais là aussi on retrouve le processus par lequel la pratique se constitue en abstraction. Non seulement, un moyen n’est rien par lui-même, mais encore la façon de puiser dans une sorte de catalogue des moyens pour en sortir un et le préconiser ne peut signifier qu’une chose : le « mouvement social » n’a pas encore désigné ses points de rupture et par là-même les pratiques de cette rupture. Ce qui est prescriptif dans l’intervention c’est de faire de la pratique comme généralité une prescription. La prescription répétitive de pratiques particulières (auxquelles est conféré un sens transluttes comme on dit transhistorique) consistant à piocher dans un catalogue n’a alors de sens qu’en ce qu’elle participe de la construction de l’activité comme abstraction (et comme prescription). Ce que la réponse (déjà citée) à quelques critiques avoue sans malice : « C’est donc en partant de là (c’est-à-dire ce que j’ai considéré précédemment comme une « légère surestimation du mouvement », c’est moi qui précise), dans le cours de la lutte et profitant de son interruption momentanée (c’est moi qui souligne) qui laisse plus de loisir pour réfléchir et s’organiser que la proposition a été faite. ». Depuis quand, la pause et l’interruption d’un mouvement est le moment propice à la réflexion sur la pratique et l’organisation, si ce n’est si l’on considère celles-ci comme des abstractions et des recettes ?
Ici, dans ce tract, les « piquets volants » ne sont rien de plus qu’une recette. Dans la situation actuelle du mouvement, rien ne permet de dire que ce sera là la forme de lutte correspondant aux ruptures que cette lutte pourrait produire (si elle en produit). On pourrait objecter qu’il n’est pas bien grave que telle forme de lutte soit abandonnée ou dépassée si une telle démarche ne reflétait pas une certaine conception de la lutte de classe, de l’intervention et de la pratique.
11 novembre 07
- Commentaires sur les « Piquets volants », , 1er décembre 2007
c’est gauchiste, c’est syndicaliste, ça évoque des recettes… et alors ?
Vous êtes gentils, mais on le savait.
Et alors ? C’est plutôt la réponse qui est normative, encore plus que la proposition.
que dire - gauchiste ? syndicaliste ? et alors !, torpedo, 3 décembre 2007
Les critiques émises sur le texte sont justifiées, mais elles ne nous font pas avancer d’un iota. Partant de la situation, le texte choisit d’en être le reflet… l’alternative étant de faire une déclaration "révolutionnaire" comme tu le dit toi même. Donc gauchiste , syndicaliste, et même d’autres qualificatifs normatifs si tu y tiens. Cela n’apporte rien au débat, reste celui portant sur intervention ou non. L’intervention est un pari, partant d’une appréciation de la réalité d’une situation, certains (dont je suis) pensent pouvoir y influer. En l’occurance les auteurs du texte croient déceler une potentialité dans le ras-le-bol diffus (je sais c’est un terme flou… peut être parce que c’est une situation qui ne peut qu’apparaitre floue, et certainement que c’est pas plus mal), il choisissent de faire une proposition ouverte — dans un cadre non restrictif — pour que des rencontres et des débats aient lieu, en espérant qu’une dynamique se développe dans une praxis qui se construit au fure et à mesure.
Au pire c’est une perte de temps et d’énergie.Je pense qu’un bilan doit être fait de cette (non)expérience de proposition de "piquets volants", mais le bilan ne poura être fait que du point de vue de la praxis (ce que vous vous évertuer à nommer "intervention").
La proposition avancée en 2006 d’occupation de l’EHESS comportait tout autant de syndicalisme et de de gauchisme, cela n’a pas été pour nous un problème. La démarche étaient encore bien plus volontariste. Et à l’époque nous avions mis en avant une putain de recette : occuper à tout prix un lieu de rencontre qui dépasse le corporatisme étudiant. En pensant que de ce dépassement surgirait d’autres dynamique. Pour les "piquets volants" la démarche ne fut pas très différente.
Je pense que c’est sur cette base qu’il faut critiquer ce texte. Et qu’il est éminemment critiquable… d’autant que c’est une initiative qui s’est bien planté. Mais, à mon sens, c’est surtout à cause d’une sous-estimation de la profondeur de l’atomisation et de la segmentation.
Si on discutait plutôt de ça.
- Commentaires sur les « Piquets volants », , 1er décembre 2007
- ORGANISONS-NOUS POUR TOUT BLOQUER, R.S, 13 novembre 2007
- ORGANISONS-NOUS POUR TOUT BLOQUER, Pépé, 7 novembre 2007
-
ORGANISONS-NOUS POUR TOUT BLOQUER, zzulian, 18 novembre 2007Ca fait du bien de voir que le mouvement prend de l’ampleur, et hereusement que certains ont du courage pour bloquer.
J’ai été écoeuré de voir des étudiants aplaudir des CRSS entrain d’évacuer d’autres étudiants. Il y a bien de plus en plus un clivage entre certains étudiants qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et d’autres qui essayent de faire en sorte que notre situation d’étudiant ne soit pas encore pire. Certes il faut des changements mais pour le moment ils ne vont jamais dans le bon sens et il ne faut pas s’étonner avec un gouvernement de droite. Donc à tous ceux et toutes celles qui ont le courage de bloquer, Bloquez et tenez bon, il y a aussi unpeu partout des étudiants solidaires qui pensent à vous et qui veulent frapper là où ça fait mal pour changer les choses.
Pour qu’à terme les peuples puissent ouvrir les yeux. Mais hélas la plupart des gens sont vraiment trop ... et manipulés.
Mais lorsque les différences seront trop fortes, les gens finiront bien par voir qu’il y a un problème. Et que tout ce que le gouverment fait contribue à accentuer les différences, à diviser, à isoler.
Mais certains seront là pour vous aidez, pour s’aider, et être solidaires, tolérents.
Un simple soutien de la part d’un étudiant en master d’informatique de l’université de Savoie.- Pas « démocratique » : et alors ?, , 18 novembre 2007
Déjà, lors du dernier mouvement contre CPE, les assemblées générales qui se sont réunies dans les différentes universités s’étaient mises à voter sur tout et n’importe quoi : pour ou contre le CPE, pour ou contre le blocage des universités, etc. Ce faisant, des étudiants opposés au mouvement trouvaient place dans l’assemblée et pouvaient non seulement s’y exprimer mais encore voter contre les propositions qui y étaient faites : tandis que quelqu’un qui n’était pas étudiant mais qui pouvait être aussi concerné par le CPE ou le CNE que n’importe quel jeune inscrit à l’université se retrouvait exclu du même débat. Parfois même, sous la pression de la direction de l’université, des « consultations » à bulletin secret étaient organisées pour savoir si la fac serait bloquée ou rouverte : et ainsi, un acte illégal se trouvait-il paradoxalement rattrapé par la logique procédurière de la démocratie. À quand des votes avant de balancer des pierres sur les flics ?
Depuis mars 2006, la logique « démocratique » de déligitimation des mouvements sociaux s’est encore approfondie, victoire de Sarkozy aidant. Le summum de la caricature a été atteint par la direction de l’université de Paris I, qui, après avoir posé par Internet une question particulièrement alambiquée, clame partout que 75 % des étudiants s’opposent au blocage. Même procédé à Rennes, après un vote à bulletins secrets.
Doit-on renoncer à agir au vu de ces « résultats » ?
Il faut le dire clairement : ce qui donne sa raison d’être à un mouvement, ce n’est pas la légitimité tirée d’une pseudo-élection qui singe les procédures républicaines. Le blocage n’est pas valide parce que « cela a été voté ». Ce qui donne sa puissance à un mouvement c’est justement sa capacité à remettre en cause les cadres étroits de la domination ordinaire. Il n’y a aucune permission à demander à qui que ce soit avant de s’opposer en actes aux décrets du pouvoir qui nous oppresse. La sédition n’a pas besoin de se justifier. Elle est à elle-même sa propre justification.
À la différence du vote, qui est un acte passif par lequel on approuve ou on réprouve ce qui est et demeure de l’ordre du discours, la révolte se nourrit d’engagements réels. Si des centaines ou des milliers de personnes veulent bloquer une fac, il leur suffit de s’organiser pour le faire. Si elles ne sont que dix, leur petit nombre les empêchera tout simplement d’agir, sans qu’il y ait besoin d’organiser quelque consultation que ce soit pour le constater.
Ceux qui veulent défendre leur « droit à étudier » ou leur « droit à travailler » n’ont à opposer au désir de révolte que leur seule soumission au système : ce n’est pas là un « argument » dont on pourrait discuter démocratiquement dans un salon, c’est une des formes de défense de ce monde et de son système de domination au même titre que les magouilles des syndicats ou les matraques des flics. Seuls l’approfondissement et l’extension de la crise peuvent avoir pour effet, bien plus sûrement que le respect des procédures démocratiques, de rallier au mouvement une grande part de ceux qui ne s’y retrouvent pas au début.
le blog de Leon de Mattis- Du démocratisme en milieu étudiant, uno de nosotros, 19 novembre 2007
une Contribution au débat
Du démocratisme en milieu étudiant
Il est fréquent t’entendre dire, à propos des blocages de facultés, que les « bloqueurs » [1] sont des individus anti-démocratique [2] ; qu’ils ne sont qu’une minorité et qu’ils imposent leurs lois ; que ce sont des « kmers rouges » (suivez mon regard,,,), des révolutionnaires anarchistes,des prophètes du grand soir, etc,,, etc,,,
Pourtant, on ne peut s’empêcher de se poser la question,,, Est-ce que les anti-bloqueurs sont, eux, démocratiques ? C’est à dire, représentent-ils la majorité des étudiants ??? Le nombre d’étudiants par facultés est, en moyenne, de 20000 à 30000,,, Les AG regroupent les plus souvent entre 2000 à 5000 personnes ,,,, Et les résultats de votent sont souvent très serrés,,,
Les anti-bloqueurs ne sont donc pas plus démocratiques que les autres,,,, Juste qu’ils n’arrivent pas à avaler la pilule,,, ;=) Et qu’ils s’autorisent, comme nos politichiens, à être les représentants d’une soit-disante volonté qui ne se limite finalement qu’à la leur,,, D’ailleurs, la volonté peut-elle être représentée comme dirait nos chers profs de philo ?
Nous n’allons pas refaire toute l’histoire de l’humanité, mais, les sociétés ont toujours été conduites par des minorités ( sociétés démocratiques aristocratiques chez les athéniens, monarchie et théocratie au sein de systèmes féodaux au moyen-âge ; démocratie représentative aujourd’hui qui ne sont, finalement, que des oligarchies cachées) ,,,,, Est-ce qu’une personne élue à un instant T, grâce à la démagog’académie ; non révocable pendant des années ; ayant le pouvoir sur des millions d’individus et pouvant donc décider à leur place ; est-ce que cela est démocratique ? ,,,, Est-ce que des députés qui sont élus avec de fort taux d’abstention sont-ils légitimement représentatifs d’une population ??? Les sociétés ne sont, finalement, que la juxtaposition de minorités agissantes,,,
Le problème n’est donc pas celui de la minorité, mais celui du pouvoir,,, La division des étudiants entre bloqueurs et anti-bloqueurs n’est donc qu’un faux problème produit par la fameuse « peur de l’avenir »,,, Renversons la vapeur,,, L’angoisse est mauvaise conseillère et, de plus, elle est la meilleure alliée du pouvoir paternaliste,,, La vie n’est que peur, sauf si l’ont décide de ne pas y souscrire,,, Ne nous résignons pas et agissons ! Ici et maintenant,,, Ne nous laissons pas entraîner par le formatage des mots comme ceux qui sont employés pour qualifier les individus d’ être « otages » des grévistes,,, Les grévistes = terroristes ???? Il n’en faut pas plus pour rendre un pouvoir oligarchique heureux,,, Ils n’ont même plus besoin de faire le boulot, nous le faisons à leur place,,,
Les récentes actions des bloqueurs se produisent justement pour ouvrir un champ de possibilités,,,, Ils est donc important de ne pas se résigner car les luttes sont longues et vont être de plus en plus difficiles,,, Il est donc primordial de toujours s’adapter et de ne pas aussi tomber dans l’erreur de refaire un nouveau anti-CPE,,, Le CPE était quelque chose qui s’est construit petit à petit, en réaction avec l’environnement et le contexte,,,Faisons de même, c’est à dire, n’essayons pas de refaire un nouveau anti-CPE, car, à ce moment-là, nous ne serons plus à l’écoute de l’environnement et la lutte seras finie avant d’avoir commencée,,,
Il évident que, pour nous, anarchistes, que la loi passe ou soit abrogée ne changent rien,,, C’’est avant tout le système qu’il faut changer,,, Et cela est possible par la fraternité, la solidarité entre les individus,,,, Ce sont les meilleurs armes contre un capitalisme qui ne peux exister qu’avec la compétition entre individus et l’atomisation des personnes,,, Libérons-nous de nos propres chaînes et nous nous libérerons du pouvoir,,,
CCBC (Comité contre le blocage des consciences)
Notes
[1] 1On pourrait d’ailleurs s’interroger sur ce mot,,, Les bloqueurs ne seraient-ils pas, après tout, des « débloqueurs » de conscience ? Finalement, par leurs actions, ne permettent-ils pas à un débat d’avoir lieu ? Débat dont les politiques préfèrent se dispenser et préfèrent imposer leur lois aux individus,,,[2] 2Pour le vérifier, demandez autour de vous et vous verrez que les « bloqueurs » sont avant tout des individus qui ont décidé de prendre leur vie en main,,,,
CNT AIT Lille- Du démocratisme en milieu étudiant, rupture, 20 novembre 2007
http://libcom.org/library/introduct...
"Surveys showed that most voters identified both Royal and Sarkozy as ’candidats de la rupture’ meaning that they represented a break, a break from the traditions of working class militancy and France’s revolutionary and socialist past."
- Du démocratisme en milieu étudiant, rupture, 20 novembre 2007
- Du démocratisme en milieu étudiant, uno de nosotros, 19 novembre 2007
- Pas « démocratique » : et alors ?, , 18 novembre 2007
Comments
Etats des lieux - Roland Simon
dimanche, 30 décembre 2007
version reprise après l’assemblée rédactionnelle meeting 4
Il n’y a plus de mouvement ouvrier, plus d’identité ouvrière légitime dans la reproduction du capital, plus de perspective ouvrière d’émancipation. Agir en tant que classe, c’est n’avoir, dans les conditions actuelles du mode de production capitaliste restructuré, comme existence et horizon que la reproduction des catégories du capital ; c’est simultanément et pour la même raison, dans sa contradiction avec le capital, pour le prolétariat, se remettre en cause comme classe. Parce que le capital est une contradiction en procès qui n’a d’autre contenu que l’exploitation, le prolétariat se trouve en contradiction avec sa propre existence comme classe qui lui devient étrangère (bien sûr tout cela est de la spéculation comme les Manuscrits de 1844, l’Idéologie Allemande, les Gloses marginales sur le roi de Pruse et la réforme sociale, les Grundrisse et maints passages du Capital). C’est ainsi que le mode de production capitaliste, dans la contradiction de ses termes, c’est-à-dire de ses classes constitutives, est en contradiction avec lui-même. C’est parce que dans la contradiciton de ses termes, l’exploitation, le mode de production capitaliste est en contradiction avec lui-même que peut advenir, dans le jeu, l’abolition de sa règle.
Dans le cycle de luttes actuel, la simultanéité de la reproduction des catégories du capital et de leur remise en cause, la principale de ces catégories étant l’existence même comme classe du prolétariat, n’est pas une confusion, une identité immédiate de toutes les pratiques. Il y a des pratiques du prolétariat qui créent un écart dans cette identité. La dynamique de ce cycle de luttes (la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence comme classe dans son action en tant que classe) n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de ce qui est produit, dans les luttes, comme une limite (agir en tant que classe), écart qui se crée de par la dualité que contient cette limite ( n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe). Il arrive que la remise en cause soit spécifiquement annoncée, mais non qu’elle existe pour elle-même en tant qu’objet propre. (sur la dynamique du cycle de luttes actuel, cf. dans Meeting 3 : De l’auto-organisation à la communisation).
L’enjeu actuel de la lutte de classe : la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action en tant que classe qui est la dynamique de ce cycle de luttes et qui annonce la révolution communiste comme communisation ; la faillite patente de toutes les perspectives antérieures d’affirmation du prolétariat qui donnaient sens à leur appréhension des luttes immédiates ; plus généralement les caractéristiques du cycle de luttes actuel, tétanisent le milieu théorique issu de l’Ultra-gauche, de l’autonomie, de l’opéraïsme et du mélange à doses diverses des trois. A tel point que certains s’égarent dans des attaques aussi vindicatives que pitoyables contre les « communisateurs ».
Les « communisateurs » dans le collimateur
Les fossilles « vivants »
La palme revient sans doute à quelques publications de rescapés de l’innénarable CCI comme Présence marxiste (R Camoin, Monteipdon 63440 Saint-Pardoux) ou la brochure Critique communiste des « communisateurs » (Michel Olivier, 7 rue Escudier, 75009 Paris) :
« Au sein du courant des communisateurs, il (R.S) s’est fait le plus brillant idéologue du communisme sans révolution prolétarienne ni étape transitoire (…) un resussage du « possibilisme », courant opportuniste français (Paul Brousse) âprement combattu par les marxistes orthodoxes Jules Guesde et Paul Lafargue. » (Présence marxiste, n° 51 / 52, octobre 2006)
« Je n’ai pas de force de police ni pour vous empêcher de jouer au « communisateur » qui veut l’abolition sans transition du capitalisme (par un décret ?), ni vous obliger à redevenir un vrai communiste. Tout ce que je peux faire, c’est de vous dire que vous défendez des idées diamétralement opposées aux conceptions révolutionnaires du marxisme, idées que vous croyez nouvelles alors même qu’elles expriment, somme toute, la vieille invariance de l’inconséquence. Il n’y a pas lieu de vous expulser du marxisme. Vous vous tenez en dehors de lui… » (ibid)
Quant à Michel Olivier : « Nous le caractérisons (le « courant communisateur » nda) plutôt comme une radicalité réformiste ripolinée d’anarchisme new look car il reprend les idées du social-démocrate Hilferding pour lequel les réformes et l’évolution du capitalisme (concentration financière, étatisation, etc…) aboutissaient, d’elles-mêmes, au communisme (…) c’est le fond des idées de la « communisation » d’affirmer que celle-ci peut commencer sans attendre l’abolition du marché mondial »
« Un de mes camarades marseillais a pu assister à une réunion syndicaliste des sympathisants de TC (Théorie communiste dont les membres participent à Meeting) alors qu’ils ne devraient pas être syndicalistes puisque la lutte de la classe ouvrière est considérée comme inutile car elle est intégrée dans le cycle post prolétarien » (Michel Olivier, hébergé dans la revue de Robert Camoin).
Le même : « Le mouvement ouvrier a déjà eu à faire à cette agitation désordonnée d’impatience et surtout petite-bourgeoise avec les anarchistes au XIXème . Et le résultat ? nous savons dans quelles aventures l’anarchisme est capable de sombrer. (…) Ces curieux inovateurs sociaux ont une vision, non seulement parfaitement étroite et étriquée de la nouvelle société communiste, mais encore purement maoïste ou stalinienne. (…) Nous connaissons parfaitement ce type de raisonnements qui prétendaient pouvoir parvenir au socialisme par la progression des plans quinquennaux » (Beaucoup de bruit pour rien – le courant « communisateur » ?! Un nouveau réformisme, texte du Bureau International pour le Parti révolutionnaire)
Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites.
Terminons avec la Ligue des Conseillistes de France qui sur son site publie un texte alarmiste : La théorie de la « communisation » : un danger pour le prolétariat. Texte qui nous explique le fonctionnement de la « démocratie vraie » fondée sur les « conseils d’entreprises de quartiers et de villages » remplaçant le salaire par des bons de consommation selon le temps de travail effectué (pauses incluses ou non ? nda) et la difficulté du travail » et « le remplacement du marché par une distribution planifiée en fonction des besoins » (si je ne travaille pas trop longtemps dans un emploi pas trop pénible, par exemple comptable des heures de travail des autres, qu’arrivera-t-il à la satisfaction de mes besoins ?). Mais ce qui inquiète le plus la Ligue, c’est que pour les « communisateurs », il n’y aura « aucune instance qui pourra faire respecter les décisions de la majorité prise démocratiquement (…) C’est ainsi laisser la place à tout et n’importe quoi et au désordre pur et simple ».
La Ligue, quant à elle, ne représente plus aucun « danger pour le prolétariat » car durant la campagne électorale des présidentielles (2007) elle a interrompu ses activités s’étant scindée en deux fractions : « L’une soutenant le mouvement des collectifs autour de Bové dans le sillage des collectifs unitaires antilibéraux (…), l’autre autour de la LCR qui axe sur les luttes. ». Tout cela ne serait qu’anecdotique si n’était la possibilité pour ce conseillisme pur et dur de se muer en une simple variante du démocratisme radical.
Des exemples, des exemples ! Des faits, des faits !
De son côté, à la suite de la publication aux Editions Senonevero du livre « Rupture dans la théorie de la révolution – textes 1965 – 1975 », Echanges faisait le commentaire suivant de l’introduction à cette anthologie : « …alors que les conseils ouvriers exprimèrent le niveau de conscience de la classe ouvrière à l’époque. Lieux de discussion et d’action, ils portent en eux-mêmes leur propre critique (…). La lutte des classes n’est pas déterminée par le bavardage de ceux qui s’autoproclament révolutionnaires… » (n° 110, automne 2004). La cible essentielle de cette critique était l’idée même de « rupture » : « …la révolution comme dynamique de la classe ouvrière devenant classe dominante, libérant le travail et s’emparant des moyens d eproduction existants est devenue irrémédiablement caduque » (quatrième de couverture de « Rupture… »). Pour ces gens, de « rupture » dans la théorie et la pratique révolutionnaires il y en eut une dans les premières décennies du XXème siècle, celle qui fonda le conseillisme, mais, sous peine de suicide théorique, il n’y en aura plus. Tout change dans le monde, mais ce n’est plus qu’un changement de décor qui n’affecte la pièce, le scénario et les acteurs que dans la mesure où ces derniers doivent s’adapter pour ne pas se prendre les pieds dans les ficelles.
Les mêmes, au printemps 2007 (n°120), publient un texte absolument sans intérêt sur les sectes évangélistes radicales aux Etats-Unis dans lequel l’auteur (professeur à Harvard, journaliste au New York Times) regrette que ces sectes s’adressent à des gens qui « ont même perdu l’espoir que l’Amérique soit un lieu où l’on pourrait construire un avenir », mais où il souligne également que « Tous ces désespérés sont facilement manipulés par les démagogues qui leur promettent des utopies fantastiques (…) Et il sont volontaires pour s’en évader (du « monde réel »), pour entrer dans le monde mythique que leur offrent des prêcheurs radicaux, un monde magique où Dieu a un plan divin pour eux… (…) Le danger de cette théologie du désespoir est qu’elle implique que rien dans ce monde n’est digne d’être sauvé (…) Ils auront derrière eux les dizaines de millions d’Américains en colère, libérés, avides de revanche et de violence pour une utopie mystique… ». Tout cela ne serait qu’un texte respirant le conformisme progressiste bien pensant d’un libéral américain et n’aurait strictement aucun intérêt pour les rédacteurs eux-mêmes d’Echanges, si ceux-ci, en mal de critique du « courant communisateur », ne s’étaient « amusés », jouant de l’amalgame que provoquent, dans leur cervelle, quelques citations, à l’intituler La Communisation made in USA. Il doit y avoir certainement de la critique théorique là-dedans et / ou de l’humour, l’une et l’autre m’échappent. C’est simplement minable.
Dans le n° 121 (été 2007), Echanges se livre à une critique plus nuancée et plus prudente des textes de Meeting 3 sur les émeutes de novembre 2005 en France. Dans Meeting on pouvait lire : « La classe ouvrière dans laquelle ils auraient pu vouloir se confondre (les émeutiers, nda) est déjà morte (abolie) dans leur propre existence et ils le savent » ce qu’Echanges commente de la façon suivante : « Certes les jeunes de cité bien souvent refusent le travail – mais personne n’est révolutionnaire, du moins tous les jours et tel qui refusent de travailler cette année fera les boites d’intérim l’an prochain ». Bien sûr. Nous n’avons jamais dit qu’être révolutionnaire était l’essence permanente de quelque groupe social que ce soit. C’était d’une pratique à un moment donné dont nous parlions et non d’un nouveau sujet révolutionnaire enfin radical en permanence. La critique se poursuit : « On reste sur un fil d’équilibriste, entre revendication et dépassement de la revendication… ». Tout à fait d’accord, mais pourquoi avoir fait une volumineuse brochure « sur les émeutes » sans jamais attaqué des questions de cette importance si ce n’est parce que cette brochure sur les cités ne parle jamais des émeutes. Ce serait de la « glose ». La critique se conclut par cette remarque : « Les analyses de Meeting sont parfois séduisantes, mais résistent-elles à l’épreuve de la réalité ? Elles sont après tout des hypothèses… ». Les faits y sont et ils sont connus de tous : c’est la situation sociale, les transformations du marché du travail et des modalités d’exploitation de la force de travail et enfin les cibles de ces émeutes qui furent leur seul discours. Les « faits » ne parlent jamais d’eux-mêmes (surtout pas dans une chronologie), la réalité ne se lit pas à livre ouvert, la théorie ne se réfère aux « faits » que dans l’analyse qu’elle en donne et dans la construction qu’elle en fait. Quels faits ne sont pas pris en compte dans l’ensemble des textes publiés dans ce n°3 de Meeting. Qu’Echanges le dise clairement : « l’erreur » de Meeting n’est pas dans une « absence » de référence aux « faits », mais dans la volonté d’en dire quelque chose. « Meeting est séduisant mais ne résiste pas à la réalité », voilà une façon séduisante de s’en débarrassé qui ne résiste pas à la réalité de ce que dit Meeting. Ramenant le mouvement à ses causes et à un exposé de sociologie urbaine, Echanges avouent ne rien avoir à en dire, tant, dans un tel mouvement, ce sont ses propres prémisses qui sont battues en brèche.
Pour critiquer Meeting mieux vaut inventer de toute pièce les faits. C’est que fait un des principaux animateurs d’Echanges dans une intervention sur le Réseau de discussion de Paris. A propos des affrontement qui ont suivi l’arrestation d’un sans papier à proximité de l’école Rampal à Belleville (Paris), il invente les faits : une action de Meeting (distribution de tract) et pour faire bonne mesure les « théories de Meeting » qui iraient avec.
Un fabuleux exercice de virtuosité virtuelle : « …je pense que la polarisation événementielle autour des "sans-papiers" ou / et les "émeutiers" de la Gare du Nord, méritent plus d’attention et de réflexion que la simple citation de Meeting que le "postulat des droits sociaux conquis de haute lutte n’est pas autre chose qu’un a priori idéologique."(…) La citation du tract de Meeting et l’échange qui s’est ensuivi est bien tombé entre l’intervention policière de la rue Rampal et les bagarres de la Gare du Nord. Je suppose qu’après avoir dit sur papier tout le mal qu’ils pensaient des suites données à cette réaction autour des "sans-papiers", les moralisateurs de Meeting ont troqué le discours sur tract pour la barre de fer d’un soutien réel des "communisateurs" de la Gare du Nord. (…) Le tract de Meeting, partant de réflexions pertinentes en arrive à condamner toute lutte de classe ou autre qui ne serait pas animée par une volonté révolutionnaire ou qui pourrait déboucher sur une situation de rupture sociale et à fustiger l’idéologie qui animerait l’ensemble d’un tel mouvement de résistance sociale qui se résumerait par une exigence de "respect du Droit" et de "défense des acquis", enfermant tout mouvement de ce genre dans un "citoyennisme" de défense du système assurant sa pérennité. (…) Les "acteurs" du discours de Meeting semblent ignorer que tout dans la société ( et dans le monde vivant) se déroule dans une relation dialectique et que toute contestation, si "révolutionnaire" soit-elle, si elle n’aboutit pas à une révolution mondiale est, ou détruite, ou intégrée dans le système qui lui survit avec les adaptations nécessaires pour cette survie. (…) Ne voyant que le placage idéologique des organisation légales reconnues (qui ne peuvent faire autre chose que cet encadrement), Meeting non seulement fustige cette fonction légale mais en même temps l’ensemble d’un mouvement de résistance parce qu’il n’ouvrirait pas de perspectives révolutionnaires. (…) Je dois ajouter ici que le désaccord fondamental avec les positions de Meeting vis-à-vis des luttes réside dans que fait qu’ils voient dans toutes les luttes qui ne sont pas dès le départ des ruptures des impasses qui ne conduisent qu’à assurer la pérennité du système et qu’ils nient que toute lutte soit dès le départ une rupture et que c’est seulement son extension et les problèmes causés par cette extension qui entraînent d’autres ruptures. »
Il n’y eut jamais de tract de Meeting (et je ne pense pas qu’une telle chose puisse exister), il n’y avait qu’un message de forum sur la liste de Meeting, message communiqué au Réseau. Il fallait une certaine dose de mauvaise foi et avoir envie d’y croire, pour penser que ce montage pouvait faire un tract à distribuer et pire que des camarades de Meeting étaient prêts à distribuer un tract sur une action à laquelle aucun d’entre eux n’a directement participé. L’occasion faisant le larron, on avait quelque chose à se mettre sous la dent. Enfin.
On avait trouvé quelque chose contre ces maudits « communisateurs », ces tenants du « tout ou rien », ces « moralisateurs » ne connaissant que des « principes » à opposer à la réalité réelle.
Mais voilà dans Meeting, on peut lire :
« Personne ne niera que la lutte révolutionnaire s’enclenche dans la lutte revendicative et même est produite par elle. La question est celle de la nature du passage. » (Meeting 3, p.7)
« Une lutte révolutionnaire part des conflits d’intérêts immédiats entre prolétaires et capitalistes et du caractère inconciliable de ces intérêts, elle est, si l’on veut, ancrer dans ces conflits mais si, à un moment de la lutte revendicative, les prolétaires, contraints et forcés par leur conflit avec la classe capitaliste, ne lèvent pas l’ancre, leur lutte demeurera une lutte revendicative et ira, en tant que telle, à la victoire ou malheureusement le plus souvent à la défaite. » (ibid, p.7-8)
« Des luttes revendicatives à la révolution, il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien d’autre à faire que la révolution devant l’échec de tout le reste. (ibid, p.10)
L’essentiel n’est pas de parler de « ruptures » comme d’un mot magique, mais de les qualifier, de dire ce qui doit être rompu, de définir précisément les limites et d’en faire une théorie.
Les « acteurs » de Meeting » sont des « moralisateurs » en ce qu’ils penseraient que la lutte dépend de « principes » à opposer à la triviale réalité. En fait ils ne feraient que lutter contre des « idéologies » les confondant avec la réalité.
Pourtant, à propos de la lutte anti-CPE, on peut lire dans Meeting : « Il ne s’agit pourtant pas de dire à l’opposé des syndicats que tous les contrats sont équivalents entre eux et assimilables à l’ultime horreur du STO. Sans positionnement moral, les différents types de contrat de travail donnent en fait indication sur l’état et l’intensité du rapport d’exploitation, et pour cette raison répondent chacun à des conditions matérielles précises » (Meeting 3, p.78)
« La mise en place du droit est certes l’expression à tel moment de l’histoire d’un rapport de force entre des groupes aux intérêts antagonistes, la formalisation d’un conflit d’intérêt matériel, par exemple entre une revendication ouvrière et la résistance patronale à cette même revendication. Mais cela ne veut pas dire que les prolétaires en lutte le sont pour conquérir de nouveaux droits.
« Même si une grève naît d’une revendication contre des conditions de travail vécues comme insupportables, contre telle ou telle mesure disciplinaire ou en faveur d’une augmentation salariale, ce qui est en jeu est autre chose qu’une simple reconnaissance d’un quelconque "droit à". Le problème n’est d’ailleurs pas le fait en soi de revendiquer, mais les pratiques qui s’agencent à partir et au-delà de la revendication. Ce qui est en jeu, c’est l’exercice d’une puissance de classe et l’élaboration de solidarités offensives concrètes contre les formes du travail salarié ou le travail salarié lui-même. Même le combat pour la réduction de la durée de la journée de travail dépasse la démarche du "droit à" ou du "droit de" : l’aspiration à travailler moins, la mise en cause du surmenage et de l’enchaînement à un temps dicté par les nécessités de la production mettent en jeu autre chose qu’une reconnaissance par un tiers. » (Meeting 3, p.81)
Voilà une conception de la lutte de classe qui « condamne toute lutte qui ne serait pas animer par une volonté révolutionnaire ». Voilà une conception qui confond les suites de la lutte avec la lutte elle-même et condamne pour cela « l’ensemble du mouvement ». Voilà une conception qui « ignore » que toute lutte qui « n’aboutit pas à une révolution mondiale est, ou détruite, ou intégrée dans le système ».
Voilà une conception « moralisatrice ». Tellement « moralisatrice » et ne connaissant que les grands « principes » qu’on lit également dans Meeting 3 : « Il faut se battre pour le retrait du CPE, qui n’est pas seulement une attaque contre la jeunesse mais contre l’ensemble des salariés, précaires et chômeurs. Il va entraîner une précarisation croissante des conditions de travail, et devrait ensuite être généralisé par la mise en place d’un contrat unique. » (ibid, p.83)
Il faut se demander ce qui a pu motiver une réaction aussi rapide, aussi mal venue, aussi imaginative, aussi pleine de sous-entendus malveillants et de rancoeurs mal contenues. Nos « lecteurs » ont trouvé là l’occasion de ramener les notions de limite et de rupture à l’alternative du « tout ou rien », des « principes » et de la « réalité ». Ce dont parle Meeting, un dépassement produit, est illisible, c’est-à-dire hors du champ du visible défini par l’idolatrie de ce qu’ils prennent pour la réalité (« on parle de ce qui existe, nous, Monsieur ! »). Ce que dit Meeting, habituellement refoulé hors du champ du lisible, lorsque sa présence fugitive advient dans des circonstances symptomatiques très particulières, est l’objet d’une bévue, bévue intérieure à leur vue, c’est-à-dire à ce qu’ils peuvent voir, c’est leur interdit. Ils imaginent, mais ce n’est pas volontaire.
Ils veulent bien d’une rupture dans la lutte de classe, des luttes quotidiennes à la révolution, à condition qu’elle n’élimine rien. A condition qu’elle soit là, présente potentiellement comme simple aboutissement de ce qui doit être dépassé. Ils veulent d’une rupture à condition qu’elle soit partout et nulle part, qu’elle ne soit jamais théoriquement définie, pratiquement et spécifiquement existante, qu’elle ne soit pas l’action d’une classe se remettant en cause en tant que telle dans sa lutte en tant que classe, à condition qu’elle ne touche pas à leur petit fond de commerce autonome et auto-organisé : le syndicalisme radical.
Au-delà de ces quelques mesquineries, ce milieu s’enfonce dans l’empirisme le plus plat qui se shoote aux détails de la lutte de classe et aux micro-récits et se refuse à penser la révolution (faisant vertu de son mutisme), cet empirisme ne se situe même pas au niveau de l’induction. On ne considère la lutte des classes que comme la simple rencontre d’intérêts opposés et la « radicalité » consiste à refuser les « grands récits », la « glose spéculative ». Cet empirisme répète la mort du programmatisme (comme l’art moderne, disait l’IS, répète la mort de l’art) sans viser son dépassement ou en croyant que répéter la mort des « grands récits », c’est les dépasser. Il suffirait, consciemment ou non, d’en être le négatif.
Il s’agirait de se contenter de décrire les luttes avec force détails et statistiques (surtout tirées de journaux anglo-américain, cela fait partie de la posture de dévoilement du réel) et de les vouloir les plus « radicales » possibles, c’est-à-dire un syndicalisme qui réussirait. Le reste, c’est-à-dire aborder la question de la révolution et du communisme, tombe sous le feu des injonctions empiristes, de l’amalgame de toute déduction à la spéculation. « Des exemples ! des exemples ! et rien que cela », crient-ils en sautant comme des cabris.
Il s’agit d’occulter la question de la nature de la révolution communiste, comme si les porteurs de ce post-modernisme étaient conscients de la rupture entre leur implication syndicaliste radicale (avec de nombreuses références opéraïstes) – dont le plus souvent ils se contentent et dont leur discours « révolutionnaire » n’est que l’accompagnement – et la révolution communiste, c’est-à-dire l’abolition de toutes les classes. En même temps, ils sont prêts à grapiller de façon éclectique dans les discours passés de la révolution et du communisme pour agrémenter leur position normative vis-à-vis de la lutte de classe dans son actualité immédiate qui est leur horizon indépassable. Car, ils sont en fait des empiristes contrariés qui ne peuvent rien dire du réel tel quel sans dire ce qu’il aurait pu ou du être pour être conforme à lui-même. En réalité, ils ont une « idée » de la révolution et du communisme, mais ils n’osent plus la dire que subrepticement.
L’analyseur novembre 2005
S’il devient incontournable de fixer des lignes de démarcation non pas entre des personnes, des groupes ou des revues mais entre des positions et de cerner l’équivoque interne de la problématique de la communisation (voir plus loin) c’est que parler de révolution comme communisation prend définitivement le large par rapport à la révolution comme affirmation de la classe et à la démarche et aux positions immédiates, dans le présent, que cette position implique.
D’un côté, ceux pour qui la lutte de classe est une défense de la situation de prolétaire jusqu’à ce que les ouvriers, suffisamment unis et puissants prennent en mains la société et affirment leur puissance et leur rôle social de classe en se libérant de la domination capitaliste.
De l’autre, ceux pour qui la lutte de classe s’achève non dans la victoire du prolétariat, mais dans l’abolition de toutes les classes y compris le prolétariat. Il ne s’agit pas d’un suicide social, mais de l’abolition du capital, de la valeur, de l’échange, de la division du travail, de toute forme de propriété, de l’Etat (ce que l’on peut également formulé comme abolition du travail et de l’économie – si l’on a établi toutes les médiations théoriques produisant ces formulations). Le prolétariat abolit tout ce qu’il est, toutes ses conditions d’existence. Cela, immédiatement, dans le processus révolutionnaire à venir, comme condition expresse de sa victoire.
Avec les émeutes de novembre et les péripéties de la lutte anti-CPE, la rupture est consommée avec ceux qui, dans un surprenant renversement, se veulent les derniers représentant du mouvement ouvrier qui était leur ennemi intime quand il existait (Le Mouvement Communiste). Ils sont prêts maintenant à reprendre le flambeau et ramener à la raison ceux qui voient qu’aujourd’hui la révolution ne peut qu’être le prolétariat en finissant avec lui-même. D’autres, parmi les veuves du colonnel Fabien, n’accordent leur « compréhension » qu’avec des pincettes
Dauvé et Nésic dans « Ce que nous voulons : rien » (Lettre de trop loin n°5) n’analysent ces émeutes que comme l’absence de la communauté ouvrière, ils ne les comprennent nostalgiquement que comme le négatif de ce qui n’est plus :
« Les incendiaires de novembre, incendiaires pour rien, à peine pour eux-mêmes… »
« Ils poussent à l’extrême le rejet de la théorie et du passé, typique des révoltes de ces quinze dernières années. (…) Le jeune des cités va plus loin, ou en deçà : non seulement il n’y a pas de grand récit fondateur, mais plus de récit du tout. »
« Partout meurt la ville telle qu’elle a existé pendant des siècles… » ; « Faute de chance raisonnable d’obtenir à long terme une promotion par l’école, la recherche du plaisir immédiat par destruction d’un bâtiment scolaire est cohérente avec la logique sociale mise dans la tête de millions d’enfants depuis quelques décennies. »
« Les brûleurs de voitures sont des darwinistes sociaux »
Enfin : « Ce minimum (la common decency : G. Orwell appelait ainsi "le fait de traiter son camarade de travail ou son voisin de palier, non en concurrent ou en étranger mais comme un semblable") ne fera pas la révolution ; sans ce minimum, aucune révolution ne sera possible. Il ne naît pas par génération spontanée, mais par une vie commune et donc des valeurs communes sur un lieu commun : le quartier populaire et / ou ouvrier. Quelles qu’aient été les différences ou les oppositions entre l’ajusteur, le patron de la petite boulangerie, l’employé de bureau et l’instituteur, ils habitaient un lieu où la majorité vivait (directement ou non) de l’industrie, y compris dans de très petites entreprises, avec un travail relativement proche du domicile. Cet espace était aussi un temps, avec ses fêtes, ses luttes aussi, qui produisaient une appartenance. (…) La common decency était un produit naturel d’un groupe ayant pour seule force le travail et le nombre, le travail coalisé ». Ah ! le jour de l’enterrement de Thorez…
De son côté, Ni patrie ni frontières n°15 (décembre 2005) ne fait pas dans le lamento nostalgique mais plutôt dans la crainte que ces émeutes ne donnent aucune prise, aucune ouverture au militantisme politique révolutionnaire, clé d’une révolution réussie. Ici, le ton est celui de la condescendance paternalo-compréhensive.
« …il y a fort à parier que le fossé actuel qui s’est révélé pendant ces "émeutes" deviendra infranchissable pour les révolutionnaires (c’est qui ça ?, nda), mais malheureusement pas pour tous les démagogues, nationalistes ou religieux, qui chercheront à capter leur colère » (op. cit., p.8)
« Enfin pour les bureaux de poste, les crèches, les théatres, les gymnases ou les écoles qui ont été incendiés, les révolutionnaires ne devraient pas hésiter à critiquer ces actes, même si nous pouvions en même temps les comprendre comme l’expression du désespoir et de la révolte. Il n’était nul besoin pour cela de traiter les incendiaires de "voyous" ou de "crétins", il suffisait de leur expliquer que la destruction d’installations collectives ne pénaliserait nullement la bourgeoisie, ni l’Etat, mais seulement eux-mêmes » (ibid, p.22). Mais c’est bien sûr ! il suffisait d’aller leur expliquer : nous manquons de révolutionnaires de proximité.
« Il ne faut ni considérer tous les "émeutiers" comme des enfants irresponsables (donc mépriser leur révolte dont les fondements sociaux crèvent les yeux) ni en faire des insurgés ayant quasiment une conscience révolutionnaire… » (ibid, p.23).
« Il vaut mille fois mieux que des habitants s’organisent pour discuter avec des jeunes qui veulent brûler une école, les convaincre de ne pas se livrer à cet acte autodestructeur, plutôt qu’ils apellent les flics pour faire le boulot » (ibid, p.28).
La conscience révolutionnaire qui sait si bien juger des choses en arrive enfin au crime suprême après l’attaque des « services publics » : « …les violences commises par les "émeutiers" contre les personnes : passagers des bus incendiés, caissières de supermarché et petit vieux assassiné. » (ibid, p.83). Est-ce une faute d’accord ou un amalgame ? Y-a-t’il eu des caissières assassinées ? Sont-ce les bus ou les passagers qui sont « incendiés » ? Ah ! le « vieux » qui est toujours « petit » (on apprendra par la suite que la mort du « petit vieux » - 61 ans - n’avait rien à voir avec les émeutes). Il ne faut pas « refuser de voir les manifestations de la barbarie capitaliste quand elle se manifeste chez les exploités ». (ibid, p.106). Des événements qui n’ont de sens que dans l’ensemble des émeutes sont isolés alors que c’est l’ensemble des cibles qui fait sens pour chacune prise séparément. Aucune violence n’est inscrite dans l’agenda et les règles de la conscience révolutionnaire (cf. Meeting 3, « La voiture du voisin »). Ces faits (marginaux) existent, c’est en faire le centre de son analyse qui non seulement est objectivement faux mais surtout révélateur d’une répulsion théorique a-priori pour ces « événements » dans leur ensemble.
Un seul texte échappe dans ce numéro aux notes critiques souvent acerbes de Ni Patrie ni Frontières, celui de Mouvement Communiste dont l’essentiel est contenu dans cette citation : « Ces faits déplorables (il s’agit, cités en vrac dans le paragraphe précédent, des voitures brûlées, des écoles « prises d’assaut » - on dirait du Sarkozy - , des « travailleurs ont été dépouillés », etc, dans cette énumération aucun flic n’a été attaqué, aucun commissariat n’a été brûlé, aucune ANPE, aucun parking de Palais de justice, aucune entreprise…) ne se sont pas déroulés en marge d’un mouvement aux objectifs et aux formes de lutte différents et compatibles avec la lutte indépendante du prolétariat. Malheureusement, ils ont représenté l’essentiel des actes recensés. C’est pourquoi nous considérons que ces faits sont dépourvus d’un quelconque fondement politique de classe » (Mouvement Communiste, lettre n°19). Dans le langage de MC, cela signifie qu’il n’y a rien à en tirer pour alimenter ces groupes politiques embryon du futur parti de la classe qui tarde tant à venir et que même les « vrais ouvriers » des « vraies usines », dans de « vraies grèves », comme à Citroen Aulnay (mars-avril 2007) ont négligé de former : « Quant à leur expression politique indépendante dans l’usine, elle est toujours inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d’Aulnay n’a pas produit d’éléments organisés de conscience collective révolutionnaire (…) La voie des comités politiques d’usine, de chantier, de bureau et de quartier est radicalement différente (de celle suivie par Lutte Ouvrière, nda). Elle suppose que des minorités d’ouvriers étendent la lutte jusqu’à lui donner une forme politique explicite, par l’organisation de comités ». (Mouvement Communiste, lettre n°26, octobre 2007). Dans le plan, l’étape suivante est la « formalisation d’un réseau de ces comités ouvriers », lui-même « condition de la formation d’une organisation politiquement centralisée » (Lettre de Mouvement Communiste, n°11, octobre 2003, « Syndicats et lutte politique »). Alors,ceris esur le gateau, le prolétariat purra obtenir la satisfaction de ses revendications « économiques » en abolissant la « tyrannie de la valeur » : ce sera le moment ou jamais.
Le « révolutionnaire » de NPNF, lui va se poser les vrais problèmes qui ne sont que les problèmes du révolutionnaire.
Revenant sur les émeutes de 2005, Ni Patrie ni Frontières (n°21-22, novembre 2007) prend de la distance : « Haïr la police et les flics ne permet absolument pas de résoudre le principal problème qu’ils nous posent : comment obtenir leur soutien ou, au moins, leur neutralité ? Durant toutes les révolutions sociales ou nationales victorieuses, les forces de répression (police, armée, services secrets et police politique) ont connu une crise et des scissions. La ligne de fracture s’est parfois opérée autour de la division entre les éléments profesionnels et non professionnels (les appelés). C’est pourquoi nous devons être attentifs aux dissensions qui peuvent apparaître dans l’appareil de répression et surveiller si elles ne renforcent pas les groupes ou partis fascistes. Alimenter la haine de la jeunesse contre la police ne produit aucun résultat politiquement intéressant. Pour qu’une discussion sur la guérilla urbaine prenne un tournure plus concrète, il faut commencer par identifier l’ennemi et ses moyens matériels. » (op.cit., p.97)
L’alimentation de la haine de la « jeunesse » contre la police n’a pas besoin des « révolutionnaires », la police y pourvoit bien assez elle-même. Seuls des militants révolutionnaires d’une organisation existante ou à venir voulant prendre le pouvoir et instaurer un nouvel Etat peuvent raisonner ainsi. Obtenir le « soutien » ou la « neutralité » des forces de répression n’est pas un but d’un mouvement révolutionnaire, c’est dans ce qu’il fait qu’il affronte ces forces de répression et délite les rapports sociaux qui les soutiennent et dans lesquels elles existent. Seule une « révolution » qui aurait pour contenu l’instauration d’un nouvel Etat peut chercher à obtenir le soutien ou la neutralité de ces forces qui apprennent très vite à se positionner selon les changements de rapports de force et savent pertinemment que le nouveau pouvoir, après une épuration plus ou moins profonde, aura de toute façon besoin d’elles : nouveau pouvoir issu d’une « révolution sociale » et encore plus d’une « révolution nationale ». Une révolution communiste dans son action elle-même a pour contenu non de gagner le soutien ou la neutralité de ces forces en tant que telles, mais de les éliminer socialement, de supprimer leur existence. Une telle révolution ne dépend d’aucun stratège qui aurait placé des hommes au bon endroit de ces forces ou juger le moment opportun où elles sont traversées de dissensions.
Mais là nous touchons pour Ni Patrie ni Frontières à la limite essentielle de Meeting et de toute théorie de la révolution comme communisation : « Une bonne partie des critiques adressées aux courants spontanéistes dans les notes de ce numéro s’appliqueraient sans doute aussi à ces deux publications (Temps Critiques et Meeting, rangées conjointement dans l’élogieuse catégorie des « inclassables » nda). Toutes deux surévaluent le rôle de la violence minoritaire, des squats, du refus du travail, de l’ "appropriation directe" (le pillage), la portée des initiatives "radicales" locales et décentralisées, tout en sous-évaluant à la fois la nécessité d’organisations politiques et les difficultés de réaliser le communisme "immédiatement" comme semble l’affirmer naïvement Meeting dans la citation ci-dessus (il s’agit du texte de l’Invite figurant sur chaque numéro de Meeting, nda). » (n°16-17, septembre 2006, p.123)
Est-ce si « naïf » de penser aujourd’hui non pas que l’on réalise immédiatement le communisme, mais que la révolution est communiste ou n’est pas ? A l’inverse, est-ce vraiment sérieux aujourd’hui d’espérer la constitution d’ « organisations politiques révolutionnaires » menant la révolution (sinon elles ne servent à rien) établissant un pouvoir (un Etat ?) révolutionnaire, instaurant une période de transition ? Ces « fourbes » (contraire de « candide » synonyme de « naïf ») devraient nous dire ce qu’ils pensent conserver « pour un temps » : la monnaie, l’échange, la valeur, l’Etat, le salariat, la division du travail, la propriété. Mais diront ces « savants » tout cela disparaitra progressivement, comme toutes les « révolutions sociales et nationales » jusqu’à aujourd’hui l’ont montré à ces gens qui ne croient pas au père Noël. Tout ce sérieux réside dans le mimétisme de la société actuelle, c’est-à-dire que tout ce sérieux ne consiste qu’à considérer la société actuelle comme la référence absolue. Finalement, disons le : la « naïveté » c’est la révolution. Mais, quels sont les contraires de « naïf » ? Artificieux, astucieux, habile, méfiant, rusé… « révolutionnaire », bolchévique, stalinien, trotskiste, socialiste… Prenons MC que Ni Patrie ni Frontière aime bien, voilà des gens qui ont un plan où chaque étape de la révolution est minutieusement cartographié et doit venir en son temps, qu’importe que ce plan soit délirant, l’essentiel c’est le plan. C’est du sérieux.
Il y a également ceux qui ont vu dans ces émeutes, à contre-cœur (car inintégrable dans la doxa conseilliste), un mouvement prolétarien qui devait se généraliser (Charles Reves dans l’Oiseau-tempête), sans se rendre compte que la généralisation d’un tel mouvement à l’ensemble de la classe ouvrière signifie le dépassement de l’opposition entre le contenu général de ces émeutes et leur forme particulière, une forme sociale définissable dans les catégories de la reproduction et facilement repérable. Un mouvement de contenu semblable, mais touchant l’ensemble de la classe, cela signifie sa propre dissolution en tant que classe, cela n’est rien moins que la révolution communiste.
De même, en tant que mouvement revendicatif, la lutte anti-CPE comme mouvement des étudiants ne peut se comprendre elle-même qu’en devenant le mouvement général des précaires, mais alors : soit, elle se saborde elle-même dans sa spécificité ; soit, elle ne peut qu’être amenée à se heurter plus ou moins violemment à tous ceux qui, dans les émeutes de novembre, ont montré qu’ils refusaient de servir de masse de manœuvre. Faire aboutir la revendication par son élargissement sabotait la revendication. L’élargissement, inscrit dans le code génétique du mouvement, était une contradiction. La généralisation devenait conflit et remise en cause de la revendication dans la dynamique même de la revendication.
De plus en plus une théorie de la révolution comme communisation passera d’un processus déductif à une pure et simple affirmation inductive impliquant des clivages immédiats dans la compréhension et l’action.
Les émeutes de novembre 2005 ont fait fonction d’analyseur théorique. Parler de la révolution comme communisation est devenu une prise de positions immédiates dans la lutte de classe et dans les luttes particulières. Il arrive un moment où il faut laisser les morts enterrer leurs morts (et les pousser dans le trou)
Equivoque de la problématique de la communisation
La spécificité et les caractéristiques du cycle de luttes actuel non seulement induisent un clivage avec tout ce que l’ancien cycle peut encore produire de répétition sclérosée mais encore produisent à l’intérieur même de la problématique de la communisation une équivoque nécessaire. Ce que nous avons appelé l’enjeu actuel de la lutte de classe (la remise en cause par le prolétariat de son existence comme classe dans sa propre action en tant que classe) inclut comme une « dérive nécessaire » la recherche et l’illusion d’exprimer une « existence positive » (actuelle, tendancielle, contradictoire, comme limite, posant les questions…) de la communisation. Cela avait été un des points de discussions lors de la réunion de Meeting à Marseille en mars 2007. Pour une partie des participants à Meeting il est impossible de penser le dépassement révolutionnaire si on reste enfermé dans le « strict » rapport de classe, il ne s’agirait pas de chercher à nouveau une libération de l’ « être révolutionnaire » de la classe, mais de mettre en avant une « pratique vivante » qui « poserait des questions relatives au communisme » (cf. « Compte rendu de la réunion », Meeting 3, p.19).
La lutte de classe dans sa manifestation immédiate comme classe du mode de production capitaliste ne pourrait sortir de son implication réciproque avec le capital que si des actions sont en elle déjà réellement ou tendanciellement au-delà. On peut faire référence ici, sans les amalgamer, entre autres choses, au texte de Marcel Communisme de l’Attaque et communisme de la défection (traduction intégrale sur le site de Meeting), aux débats à l’intérieur de Meeting dont on trouve la trace dans le n°1 avec les différenes approches du concept de communisation et, dans le n°3, avec le compte rendu de la réunion sur l’auto-organisation. La « Critique de l’Appel » publiée dans le numéro 2 de Meeting et le concept d’ « aire de la communisation » dans le numéro 1, laissent entendre qu’une action de classe pourrait être un processus qui ne soit pas capitaliste ou d’une certaine façon au-delà. Le courant communisateur ne serait pas seulement un « précipité » de la lutte de classe avec « l’écart » qu’elle comporte, mais aurait une possibilité d’existence pratique actuelle positive. Bien que critiquant ces développements théoriques, je considère que cette question est interne, définitoire, intrinsèque au concept de communisation et plus fondamentalement à la période actuelle.
Prolétaire et être générique
Incontournable, d’autant plus qu’un tel débat n’est pas spécifique aux participants de Meeting.
Dans un construction théorique approximative, Dauvé et Nésic affirment « …la révolution ne deviendra possible que lorsque les prolétaires agiront comme s’ils étaient l’en dehors de cette société, et se rattacheront à une dimension universelle, celle d’une société sans classe, d’une communauté humaine » (Prolétaires et travail, p.33, Lettre de Trop Loin). Qu’est-ce agir comme si nous étions l’en-dehors ? Remarquons bien toutes les circonvolutions de cette formule : « agir comme si ». Déjà agir « en-dehors » c’est pas évident, mais alors « comme si » on était « en-dehors »… « L’en-dehors » se rattachant à la dimension universelle, on est en pleine fantasmagorie conceptuelle. Ce que la plupart des théories ne parviennent pas à concevoir, c’est ce qu’est une contradiction, c’est-à-dire que ce rapport social capitaliste soit d’une part, totalement le nôtre et que nous ne soyons que lui et, d’autre part, que nous puissions par cela même l’abolir.
L’abolition de la condition prolétarienne est l’auto-transformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux, c’est la lutte contre le capital qui nous fera tels, parce que cette lutte est une relation qui nous implique avec lui. La production du communisme est effectuée par ce qui est encore une classe et qui trouve dans sa propre situation de classe, en l’abolissant, le contenu du communisme, sans nul besoin de se rattacher à une « dimension universelle ». La communisation de la société s’effectue dans la lutte du prolétariat contre le capital. Abolir l’échange, la division du travail, le cadre de l’entreprise, l’Etat..., sont des mesures nécessaires prises dans le cours de la lutte, avec leurs reculs et leurs coups d’arrêt, elles sont autant de mesures tactiques au travers desquelles la communisation se construit comme la stratégie de la révolution. Ce n’est qu’ainsi, au cours de la lutte d’une classe contre le capital, qu’est produit l’individu immédiatement social. Il est produit par le prolétariat dans l’abolition du capital, c’est-à-dire dans la production de l’appartenance de classe comme une contrainte (ultime rapport entre le capital et le prolétariat) et non par des prolétaires qui ne sont plus tout à fait des prolétaires faisant « comme s’ils étaient l’en-dehors ».
Dans une démarche proche de celle de Dauvé et Nésic, le travail autour de la question de l’être générique auquel se livre les participants du groupe / revue Perspective Internationaliste (P.I) est bien symptomatique des abîmes de perplexité dans lesquels tout un chacun (excepté quelques fossiles « vivants » que nous avons répertoriés précédemment) est plongé par l’effondrement de la perspective révolutionnaire programmatique d’affirmation du travail et d’érection du prolétariat en classe dominante. Face à cet effondrement qui s’impose sans que P.I en fasse la théorie, cette revue est amenée à dédoubler le prolétariat en « activité de classe » et « activité humaine ». Il faut que dans le prolétariat existe une tendance, un besoin humain, quelque chose de positif qui, en lui, puisse expliquer qu’il fasse la révolution quand il est devenu bien évident qu’il ne s’affirmera pas en tant que classe dominante réorganisant la société dans la libération du travail.
« Le débat qui suit s’origine dans la tentative de comprendre comment notre classe, sur laquelle la pénétration de la loi de la valeur dans tous les domaines de la vie communautaire et individuelle fait peser tout le poids de l’aliénation, peut se dégager de celle-ci ; comment une classe ayant perdu ses repères traditionnels et réduite de façon caricaturale au statut de marchandise jetable peut encore percevoir son rôle clé dans l’avènement d’une société nouvelle. » (Un débat sur la question de l’être générique, P.I n°43, hiver 2004-2005, p.1)
« L’action politique de la classe révolutionnaire (…) s’enracine dans les besoins humains niés par le fonctionnement actuel. C’est bien en tentant de satisfaire ses besoins fondamentaux que la classe peut prendre conscience de l’absence d’espoir de satisfaction dans la société capitaliste, de sa position de classe exploitée et de son aliénation à ce système et ainsi s’en dégager. Le processus de prise de conscience s’effectue dans la mise sous tension de l’opposition entre être social et être générique… » (ibid, p.2)
Tout le reste à l’avenant. Nous sommes dans le plus plat idéalisme quotidien discutant sur la nature humaine fondamentale et sa perte ou sa réalisation historique, sur l’inné et l’acquis, le « social » et le « générique », etc. Mais là n’est pas le plus important, ce qui importe ce n’est pas le contenu totalement insipide de cette réflexion mais ce qui la motive et qui d’une certaine façon rejoint des interrogations internes au concept de communisation.
Prolétaire et individu
La question de la capacité du prolétariat, agissant strictement en tant que classe, de produire le communisme est également soulevée dans le texte Communisation troisième courant (signé Patlocht, sur le site de Meeting et de l’Angle mort) dont je rappelle quelques extraits :
« Renvoyant dos à dos la "révolution à titre strictement prolétarien" de ce groupe (Théorie Communiste) et la "révolution à titre humain" de Temps Critiques, le texte ci-dessous ébauche les éléments d’une approche théorique différente. »
« La critique marxienne du capitalisme se présente essentiellement, avec le Capital, comme une critique de l’économie politique. Cette critique apparaît aujourd’hui, dans cette phase de la subordination réelle de la société au capital, comme toujours essentielle mais aussi trop partielle pour rendre compte de l’implication réciproque réelle dans toutes ses dimensions, notamment dans le rapport à la nature, question qui fait de la sortie du capitalisme une urgence vitale pour l’humanité et son milieu naturel, et conditionne la possibilité même du communisme. La théorie de la communisation doit intégrer cette problématique de façon conséquente et audacieuse. »
« La révolution communiste sera produite comme dépassement. De quoi ? Des contradictions nouées dans l’implication réciproque réelle. C’est pourquoi ce dépassement ne sera produit ni strictement par des prolétaires en tant que tels (Théorie Communiste), ni à titre humain en excluant cette qualité (Temps Critiques). Le prolétariat ne peut que strictement abolir ce qu’il est et le capital, mais ne peut pas en tant que tel produire le communisme. Sans la dimension prolétarienne essentielle, l’abolition du capital est un non-sens. Le dépassement produit selon Théorie Communiste n’est strictement qu’un anticapitalisme conséquent mais il débouche (théoriquement) sur le vide, car le communisme n’est pas l’envers, l’autre du capitalisme. Théorie Communiste, sur le plan théorique, ne produit pas le communisme, mais une révolution anticapitaliste. Les individus de Temps Critiques, dans leur tension à la communauté humaine déjà présente n’auront pas à abolir le capitalisme, puisqu’ils ne sont déjà plus considérés comme exploités par le travail, ou trop peu, ou trop peu nombreux… »
Ce texte fait ensuite référence à une problématique de la communisation qui serait une amorce du dépassement de l’alternative figée représentée par Théorie Communiste et Temps Critiques, cette problématique de la communisation est celle de Bruno Astarian dans son livre Le Travail et son Dépassement (Ed. Senonevero).
« Bruno Astarian va plus loin que Théorie Communiste mais justifie en partie ses critiques. C’est faute à mon avis de construire les contradictions comme déjà présentes, par une dialectisation en niveaux de généralités et points de vue dont la clé est chez Marx (dans la lecture de Bertell Ollman), et parce qu’il veut passer d’un emboîtement historique de contradictions (du travail au travail dans le capital) à leur dépassement sur un axe temporel linéaire sans lui donner sa dimension spatiale, en demeurant fondamentalement dans une dialectique binaire (le caractère prolétarien de son système). D’où la nécesité de faire surgir d’une théorisation de l’activité de crise le saut dans la liberté… A mon sens il était pourtant très proche d’une élaboration du type que je propose schématiquement, dont il produit les ingrédients essentiels (relativement au travail, il construit mieux que l’abolition du travail salarié, et il dépasse toutes les considérations écologiques même les plus rouges dans la question du rapport homme-nature), qui lui permettent d’aborder une élaboration positive du communisme plus convaincante que les difficultés mises en avant par Théorie Communiste pour le faire. (…) Dans l’activité de crise du prolétariat, les individus qui portent plus spécifiquement telle ou telle de ces contradictions produisent leur dépassement en libérant des énergies jusque-là bridées, qu’ils réinvestissent dans la production positive du communisme. Celle-ci n’est pas la face cachée de la destruction du capital (Théorie Communiste), ni un saut de la liberté humaine dans l’inconnu produit par l’activité de crise du prolétariat (Astarian selon TC)) C’est cette activité qui libère des qualités individuelles sociales et psychologiques déjà présentes dans les relations inter-individuelles bridées au sein du capital ou dans les différents niveaux de rapports évoqués précédemment : il y a en plusieurs points une dynamique d’affrontements et des limites indépassables dans le capital. Il s’agit d’une multiplicité de dépassements à produire dans leurs spécificités, comme dans leur unité au sein de l’implication réciproque réelle comme tout, et dans l’essentialité de sa dimension de classe. Bien sûr, cela ne doit pas être entendu comme "les femmes liquident le patriarcat", "les hommes "de couleur" le racisme", etc. Rapporté à l’individu singulier, c’est sa propre multiplicité d’appartenances aliénés car identitaires qui doivent être dépassées, y compris subjectivement sa qualité de prolétaire. Pour le communisme, l’homme est sans qualité. (…) Si le communisme se construit comme immédiateté sociale entre individus, c’est qu’à un moment donné de sa production ceux-ci doivent agir en tant qu’individus (même associés car associés en tant que tel pour telle activité, sans qu’elle débouche sur la constitution d’un groupe identitaire) et non en tant que classe… ».
On retrouve dans les interrogations sur la communisation soulevées dans ce texte nombre de similitudes avec celles du texte de Marcel et bien sûr avec les thèses de Bruno Astarian. Cependant, alors que la thèse d’Astarian est, comme le dit Patlocht, historiquement linéaire, c’est-à-dire « attend » que la multiplicité des contradictions à résoudre se focalise dans l’ « activité de crise », Patlocht ou Marcel supposent des contradictions multiples déjà existantes et entrainant certaines pratiques individuelles fondées sur des potentialités « bridées » dans le capital et atteignant leur intensité maximum, révélant toute leur force et leur potentialité, dans l’abolition prolétarienne du capital qu’elles permettent de dépasser en tant que telle.
La position fondamentale d’Astarian est que : « Aucun rapport de classe ne peut évoluer de lui même vers un tel dépassement (le communisme, n d a) ... » (op. cit., p.165). La révolution, le « rapport social de crise » vient justement établir, et combler, un hiatus entre le prolétariat comme classe et « le saut dans l’inconnu de la liberté absolue ». Astarian cherche à résoudre une question devenue récurrente dans la problématique de la communisation : quand on a le prolétariat on ne peut avoir la révolution, quand on a la révolution, on ne peut pas avoir le prolétariat, car c’est une classe, et aucun rapport de classes ne peut évoluer vers un tel dépassement.
« Si donc la crise se définit comme éclatement du rapport social capitaliste, il faut se demander ce que devient la socialisation des hommes dans ces crises. L’analyse fera apparaître que la réponse comporte deux éléments. D’une part, on assiste au dévelopement d’une activité sociale propre au prolétariat, à la formation d’un rapport social qui, pour la première fois dans l’histoire n’est pas un rapport entre classes mais entre individus. D’autre part, le rapport des classes qui, dans la prospérité, se reproduisait au travers de l’exploitation du travail, prend ici une forme éclatée et directement conflictuelle, désocialisatrice et non reproductrice. » (Astarian, op. cit., p.131). Si Astarian nous mène au cœur de la question de la communisation, entre la lutte des classes et le communisme il évolue dans une logique absolument binaire et exclusive. Il se formerait, pour combler l’hiatus entre les classes et le communisme un rapport social qui n’est plus un rapport social entre classes, mais qui n’est pas le communisme. Pour Astarian, la crise du mode de production capitaliste met en mouvement des sujets qui ne sont plus ceux du mode de production capitaliste. « L’éclatement de la crise se définit comme cet instant précis où le rapport de classes est dissout par l’activité du prolétariat qui, ainsi que nous allons le voir en constitue un autre » (op. cit., p.133). Le problème auquel toute cette problématique se heurte est que dans cette dissolution du rapport de classes ce n’est pas le communisme qui est produit car « aucune classe de l’aliénation ne peut produire quelque chose dépassant l’aliénation », mais une sorte de nouveau rapport social mettant en relation des individus qui étaient auparavant des prolétaires.
Il nous faut débarrasser « l’activité de crise » de tous ses aspects iréniques et subjectivistes. Dans l’activité de crise l’affrontement entre les classes demeure primordial et constitutif de l’activité de crise elle-même, l’intersubjectivité est une contrainte de la lutte et se construit dans la lutte, elle n’est pas une action de la classe ou des individus sur eux-mêmes, dans un contexte où la classe capitaliste laisserait faire.
L’activité de crise échappe au subjectivisme si l’on considère bien que ce n’est pas une situation et une activité dans lesquelles les rapports entre les « gens » tournent sur eux-mêmes. La lutte contre l’autre classe n’est pas le cadre (le contexte) dans laquelle s’exerce l’activité de crise, elle est l’activité individuelle de ces individus, activité individuelle dans l’extranéisation de l’appartenance de classe qui n’est que la lutte contre la classe capitaliste.
Actuellement, le travail théorique fourni par Bruno Astarian, de son livre Le travail et son dépassement (Ed. Senonevero) à sa brochure Le Mouvement des Piqueteros (Echanges) en passant par ses textes sur les émeutes de Los Angeles, Aux Origines de l’anti-travail (Echanges), son article sur les luddites, et la vision qu’il donne de Mai 68, Les Grèves en France en mai –juin 1968 (Echanges), fournit un matériel très intéressant, mais construit, en pointillés une ligne théorique et historique de la contradiction entre le prolétariat et le capital dont les références ne sont plus que « l’anti-travail » et les mouvements sociaux, qui conçus comme un certain « en-dehors » du rapport capitaliste, ou plutôt du rapport salarial, seraient contraints de ce fait d’expérimenter d’autres rapports sociaux.
Le communisme n’est pas centralement l’abolition du travail, il n’est ainsi défini que dans un système théorique fondé sur l’analyse du travail, c’est-à-dire du rapport entre l’homme et la nature comme point originel de la théorie communiste. Ce qui importe en réalité ce sont les rapports sociaux qui font que l’activité humaine est travail, l’important c’est alors l’abolition de ces rapports et non l’abolition du travail. La « critique du travail » ne permet pas d’aborder le capitalisme comme histoire qu’en termes de « liquidations » ou d’ « inessentialisation du travail ». Cette vision doit nécessairement se fonder sur un humanisme théorique pour passer de cette « critique du travail » au communisme, le prolétariat en tant que classe défini dans le travail devient alors un obstacle à effacer.
Autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes
Dans les cycles de luttes antérieurs, la montée en puissance de la classe, mouvement même de la révolution comme affirmation de celle-ci, était un mouvement « capitalisable », formalisable face au capital, organisable en un mot. En revanche, les aspects actuels qui nous intéressent dans ce cycle de luttes n’annoncent que la négation du prolétariat, sa remise en cause dans sa contradiction avec le capital, ils ne peuvent jamais acquérir une forme stable, qui, pour être un contenu organisable quelconque, doivent nécessairement, d’une façon ou d’une autre, se voir confirmer à l’intérieur de la reproduction du mode de production capitaliste. Des travailleurs révolutionnaires pouvaient se regrouper, s’unifier, quand c’était immédiatement le fait d’être un travailleur productif, c’est-à-dire sa propre existence dans le mode de production capitaliste, qui était immédiatement posé comme nature révolutionnaire. En revanche, des émeutiers ne peuvent pas se regrouper après l’émeute comme « organisation d’émeutiers », ni des grévistes sauvages refusant le travail en tant que « grévistes sauvages refusant le travail ». Il ne peut exister d’« Organisation des Saboteurs ». Quand les pilleurs ou les saccageurs cherchent à former une organisation, c’est pour faire du militantisme politique ; quand les saboteurs s’organisent en dehors de leur pratique même, c’est pour faire du syndicalisme. C’est-à-dire que tout cela aboutirait soit à la tentative de maîtrise et de contrôle des conditions existantes, c’est-à-dire l’alternative, soit au syndicalisme de base, soit au militantisme politique, soit le plus souvent à un mélange de tout cela.
La contradiction avec le capital est maintenant pour le prolétariat sa propre remise en cause, c’est par là qu’apparaît, à l’intérieur du cycle de luttes, son dépassement comme abolition de la société et rapports immédiats d’individus dans leur singularité, mais considérer cela comme l’existence particulière, positive, d’une tendance quelconque dans le cours général de la lutte de classe, c’est autonomiser cette dynamique et ne peut finir par exister que comme alternative. Les pratiques qui constituent cette dynamique s’autonomisent de leur raison d’être : l’action en tant que classe. C’est, à divers degrés, le « mouvement d’action directe », « l’aire de la communisation », l’alternative plus ou moins confrontative de l’Appel et de l’Insurrection qui vient. Aucune pratique (refus du travail, sabotage, émeutes, occupation, convergence des luttes, blocage…) n’a en elle-même un sens de rupture et peut être isolée des luttes particulières dans lesquelles elles prennent forme. Il n’y a pas de mode d’emploi pour une intervention devenant celle des « révolutionnaires », qu’ils se disent « communisateurs » ou non. Les adeptes de la radicalité anticapitaliste, hypostasie quelques pratiques et du coup y voit une essence : la remise en cause de ce que l’on est dans le capital.
Il apparaît alors une exclusion réciproque entre être prolétaires et la production d’autres rapports sociaux. La remise en cause de l’appartenance de classe s’effectuerait à l’extérieur d’elle-même. Cette autonomisation aboutit à une série d’impasses : le capital comme domination et symbole, la question insoluble de sa propre extension, sa référence aux besoins, au plaisir, aux désirs, à un moi humain « authentique » ou tout simplement à réinventer la « question de l’intervention ». On ne peut demander au dépassement du capital qui est forcément activité du prolétariat d’exister « positivement », d’être pour soi. Que ce soit l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, que ce soit la communauté comme relations entre individus dans leur singularité, ce sont des points essentiels de ce cycle de luttes qui trouvent leur limite dans une pratique alternative quand il s’agit de les poser comme existant par eux-mêmes et pour eux-mêmes.
Cependant c’est une « critique positive » de l’alternative que nous devons faire, c’est-à-dire qui prend ce qu’elle indique en considération : non plus une maîtrise par le prolétariat de ses conditions d’existence, mais ce qui distingue radicalement le communisme de toutes les sociétés antérieures, la construction des rapports entre individus en tant qu’individus comme étant leur propre fin et leur propre médiation.
Opposer à toutes les pratiques et les théories qui relèvent de cette autonomisation une vision normative de la révolution au nom d’un programmatisme révolu est sans intérêt. Il ne mène à rien d’écrire : « Le mouvement anti-mondialisation, y compris dans ses franges les plus radicales, reste enfermé jusqu’à présent dans une logique de militantisme politique et se situe dans une extériorité absolue à la lutte réelle de la classe ouvrière, entendue comme la lutte menée par les producteurs selon des modes d’organisation et par des moyens d’action qu’ils définissent eux-mêmes, souverainement, dans le but de s’emparer de l’appareil productif et de le faire fonctionner collectivement (souligné par nous) en vue, non de l’accumulation de plus-value, mais de la satisfaction des besoins sociaux. » (Des black blocs pas vraiment sans Gênes… Zanzara athée, 2001, p.25). A l’inverse, les auteurs des textes publiés dans Cette Semaine (n° 87, février-mars 2004) prennent les mêmes phénomènes pour objet de leur réflexion et de leurs critiques : « confusion entre la lutte contre l’existant et la lutte contre les forces qui le défendent » ; « échapper à la logique : le mouvement contre l’Etat, l’Etat contre le mouvement » ; « l’abandon du terrain fertile mais inconnu des conflits sociaux » ; « le capitalisme est un rapport social et pas une citadelle des puissants ». Mais prenant en compte les mêmes phénomènes, ils mènent une critique non normative de ces pratiques cherchant à les comprendre en les reliant au stade actuel de la lutte de classe : « Tout concourt à isoler les individus (...) myriade de contrats qui donnent aux travailleurs l’impression d’être seuls face à l’entreprise (cet univers de contraintes et de bureaucratie qui tend à s’élargir à la société entière). C’est peut être pour cela qu’émergent des formes de luttes qui consistent à bloquer la normalité sociale en soi, avec des grévistes qui abandonnent toujours plus souvent les lieux de travail pour se rendre dans les artères du capital (autoroutes, aéroports, points sensibles du trafic urbain). (...) Personne ne songe désormais à arracher quelque chose aux patrons pour le faire fonctionner différemment (souligné par nous), comme dans les vieux idéaux d’émancipation ; inconsciemment chemine le sentiment qu’on ne peut que saboter un monde littéralement invivable et y ouvrir ainsi de nouvelles possibilités. » (op. cit., p. 19). Voilà une remarquable vision de l’écart que l’action en tant que classe creuse à l’intérieur d’elle-même par des pratiques qui extériorisent leur propre existence de pratiques de classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital.
Le problème c’est que dans le mouvement même où cette autonomisation de la dynamique de ce cycle indique bien la dynamique de ce cycle de luttes et les caractéristiques de ce qu’est le communisme tel que ce cycle de luttes le produit, l’alternative devient son horizon. Le point central est le refus pratique et théorique de la « médiation temporelle ». La médiation temporelle ce n’est pas fondamentalement une question de chronologie mais de déroulement réel et de compréhension de la contradiction entre le prolétariat et le capital. Soit on a l’identité entre ce qui fait du prolétariat une classe de ce mode de production et une classe révolutionnaire et on a alors une contradiction dont le déroulement de par cette identité est soumis à sa propre histoire comme cours du mode de production capitaliste. Soit on construit une simple opposition parce que le prolétariat possède dans ce qu’il est, de façon interne, son « aptitude révolutionnaire ». L’immédiateté du communisme, c’est-à-dire la révolution elle-même comme communisation, n’est pas son immédiatisme, son caractère toujours présent, toujours possible, ne serait-ce qu’en construction. Or, la communisation de la société ce sera des mesures communistes prises par des ouvriers parce qu’ils sont ouvriers, parce qu’en tant que tels ils existent définis dans et contre toutes les déterminations du capital. On perd le concept même de communisation si l’on ne considère pas que la production du communisme s’effectue parce que les prolétaires, en lutte contre le capital comme prolétaires, abandonnent, dans cette lutte, leurs vieux habits de prolétaires, parce qu’ils sont immergés dans les contradictions du capital qui les constituent comme prolétaires. L’abolition de la condition prolétarienne est l’autotransformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux, dans la lutte contre le capital qui les définit comme classe de cette société.
La façon dont, dans le cours historique de la lutte des classes, son propre dépassement se présente ne doit être considéré ni comme l’aboutissement déjà là, ni comme une ébauche grossière et ridicule qui, coupée de son aboutissement, doit être abandonnée on ne sait où en dehors du vrai que serait son aboutissement. Cet aboutissement, quant à lui, ne doit pas être considéré comme un positif mort, une norme, gisant de l’autre côté.
Si la remise en cause par le prolétariat de sa propre existence en tant que classe est interne à son action en tant que classe, cela signifie qu’elle est interne à ce qui est la limite de ce cycle : agir en tant que classe. C’est là qu’il nous faut admettre que le cycle de luttes est une tension constante entre l’autonomisation de la dynamique (la remise en cause) et la reconnaissance de l’action en tant que classe comme toute entière dans les catégories du capital.
Nous passerons rapidement sur le cas paroxystique de cette autonomisation que représente les publications et les tentatives d’action de personnes se reconnaissant dans les textes come l’Appel ou l’Insurrection qui vient. Nous avons affaire au subjectivisme devenu fou pour lequel chacun se considère, du fait même d’exister comme il existe, de vivre comme il vit, et de penser comme il pense, comme la preuve de la révolution communiste toujours là. Puisque j’existe comme je suis, je suis la preuve vivante de la révolution. Imaginons un instant que ce dont ils parlent se mette à exister à une échelle repérable, c’est-à-dire que des « gens » se mettent à abandonner les rapports capitalistes et en construisent de nouveaux contre le capital. Ils n’auraient pas le temps de cligner de l’œil que l’Etat les aurait anéantis. Il n’y a pas de « sphères extérieures », de « communisation externe » (Marcel), de « communes » (l’Insurrection qui vient) qui puissent être une alternative, c’est-à-dire qui puissent commencer sans être un processus d’extension tel que l’action du prolétariat entre immédiatement dans une lutte sans échappatoire avec tout le monde capitaliste. Jusque là nous demeurons dans la lutte de classe qui peut, par certains de ses aspects, mais tout en restant dans la « dialectique entre le travail et le capital » (Marcel) et parce qu’elle y reste, annoncer la remise en cause de la classe par elle-même.
Nous considèrerons trois textes qui, sans parvenir à mon sens à poser la question dans ses termes adéquats, reconnaissent l’équivoque du concept de communisation et tente de le formaliser.
« Communisme de l’attaque et communisme de la défection »
J’ai déjà plusieurs fois évoqué ce texte suédois signé Marcel, pour plus de commentaires je renvois au compte rendu critique qui se trouve par ailleurs dans ce n° de Meeting.
« Questions préliminaires »
Une contribution sur le forum de Meeting (21 juillet 2005) intitulée Questions péliminaires (signé du pseudo Amer Simpson) partait de la constatation (fausse à mon avis) de deux tendances actuellement dans l’approche de la révolution comme communisation : la tendance « autonomiste » ou parfois « immédiatiste » ; la tendance « cours quotidien de la lutte des classes » (c’est moi qui la désigne ainsi, Simpson ne lui donne d’abord aucune appellation puis vers la fin de son texte la désigne comme tendance de la « perspective révolutionnaire », « perspective » s’opposant à « immédiatisme »).
Si idéologiquement ou théoriquement on peut dire qu’il y a actuellement, dans le « courant communisateur », deux tendances, dans le réel, il n’y a qu’un seul mouvement qui nous autorise à parler de la révolution comme communisation : le cours de la lutte des classes comportant ce que j’ai appelé « l’écart ». Le courant « autonomiste » ou « immédiatiste » est un courant théorique, une certaine conception du rapport entre la situation actuelle et la révolution. En tant que pratiques, il ne constitue pas une autre voie par rapport à ce que Simpson appelle la « perspective révolutionnaire » (le cours de la contradiction comme histoire du mode de production capitaliste – si j’ai bien compris), toutes ses activités sont parties intégrantes de la situation actuelle, non comme les acteurs de ce courant se l’imaginent, en tant que questionnement sur le communisme ou « expérimentation », mais en tant que pratiques dans lesquelles la dynamique de ce cycle s’autonomise et en tant qu’appartenant avec sa spécificité à ces pratiques qui actuellement définissent un écart à l’intérieur de la limite des luttes : agir en tant que classe.
La « tendance autonomiste » peut dire ce qu’elle veut sur le communisme et le désirer autant qu’elle en est capable, elle n’est qu’un élément, parmi d’autres, spécifique mais ni plus ni moins remarquable, du cours quotidien de la lutte des classes. Si « la question de savoir comment se préparer à la révolution se pose en premier lieu à ceux et celles qui la veulent », ce n’est simplement que parce que sortant la dynamique de ce cycle de son cours dans la lutte des classes en tant que cours du mode de production capitaliste (l’autonomisation de la dynamique), leur question n’est que le reflet de la réponse qu’ils ont déjà donnée, elle n’est que la question qu’ils doivent se poser pour comprendre, vis-à-vis d’eux-mêmes, leur existence. Cette « tendance » contient, dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer ». C’est tout à fait exact, mais pas pour les raisons qu’en donne Simpson. Pour lui cette importance provient de ce que cette tendance appartiendrait simultanément à plusieurs moments historiques qu’elle synthétiserait en elle. Elle serait, bien sûr, de notre époque (« d’où on part »), elle serait également du futur puisqu’elle ne s’intéresse à « d’où on part » que parce qu’elle sait « où nous devons arriver », elle appartiendrait aussi à la période intermédiaire (« comment se préparer »). Simpson croit la « tendance autonomiste immédiatiste » sur paroles, il veut seulement qu’elle tiennent un peu plus compte des réalités présentes, il ne voit pas que ses interrogations sur la révolution et le communisme, la forme même qu’elle leur donne et le contenu même de ses réponses tiennent à ce qu’elle ne tient pas compte des réalités présentes autrement que comme un environnement hostile ou favorable.
En prenant cette « tendance » au pied de la lettre, Simpson a séparé la réalité actuelle avec d’un côté des gens qui « posent la question du communisme », « expérimentent » et finalement doivent « trouver un point d’appui » et, de l’autre, les « conditions présentes ». Si cette « tendance » contient, comme le dit Simpson, « des éléments que le mouvement communiste ne peut ignorer » c’est qu’elle est une somme d’activités et de pensées à l’intérieur du présent et ne l’excède d’aucune façon. Il s’agit d’activités qui permettent de définir un écart à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe. La spécificité de cette tendance est d’avoir autonomisé le moment de la remise en cause, par là n’étant pas simplement embarqué dans le cours de la lutte des classes comme reproduction du mode de production, elle est amenée à réfléchir sur elle-même, à devenir théorique, à penser son rapport à la reproduction capitaliste sur la base d’un face à face avec elle, d’où son auto-compréhension comme « expérimentation » et sa question « comment se préparer ? ». D’où également sa confrontation inévitable avec ce qui apparaît face à elle et qu’elle comprend elle-même comme une autre « tendance » : celle de la « perspective révolutionnaire ».
La seconde « tendance », quant à elle, ne ferait que chercher la « perspective » dans les conditions présentes. Elle serait une autre façon de relier « d’où on part » à « où on arrive », elle répondrait non pas par un « immédiatisme » ou une « expérimentation », mais par la nécessité d’un cours historique à accomplir. Mais, cette seconde « tendance » ne répond pas d’une autre façon à la même question que la première. Elle ne cherche pas quel peut être l’entre-deux reliant deux moments de l’histoire déjà connus. Elle cherche comment la situation présente produit autre chose, il ne peut y avoir d’autre « préparation » que le cours de la lutte des classes tel qu’il est et dont la « tendance autonomiste » fait partie. La « tendance autonomiste » croit qu’il y a deux tendances, deux types d’approche du même problème. La tendance « dynamique » ne reconnaît pas la question de la première et la considère comme un élément de la situation présente, c’est-à-dire non comme apportant une réponse mais comme une partie du problème. Accepter la typologie des « deux tendances » c’est accepter la question telle que la pose la « tendance autonomiste » et ne reconnaître qu’il n’y a que les réponses qui diffèrent.
La dynamique de ce cycle de luttes réside dans le fait que la contradiction du prolétariat avec le capital comporte sa propre remise en cause comme classe dans son action de classe. La « tendance autonomiste » fait de la « remise en cause » un moment particulier pouvant exister et être poursuivi pour lui-même. C’est cela l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes. Pour Simpson, les thèmes et les pratique de la tendance sont « bons » mais limités (extérieurement), elle n’a qu’à « se poser la question du point de départ, des conditions présentes » : la question du « point d’appui » (souligné par moi). La « tendance autonomiste » doit savoir qu’il lui faut attendre de concorder avec son temps, c’est seulement en cela que réside pour Simpson la critique de son « immédiatisme ». Les « autonomistes » seraient seulement indifférents aux conditions présentes qui « ne permettent pas de réaliser la moindre initiative communiste à l’intérieur du capitalisme ». Mais le problème n’est pas de ne pas pouvoir réaliser des « initiatives communistes », mais précisément croire en avoir.
Tout le texte de Simpson repose implicitement sur l’existence d’une « tendance » plus ou moins (plutôt plus que moins) en avance sur son temps. Ce que dit Simpson à cette « tendance » c’est qu’elle doit savoir attendre l’arrivée de son « point d’appui » ou, ce qui est tout de même un peu mieux, voir que la lutte des classes ordinaire lui offre parfois ce « point d’appui ». C’est là que le texte de Simpson bascule dans l’objectivisme dans le but de l’éviter. D’un côté, des gens qui savent ce qu’est le communisme, qui sont actifs, qui cherchent par tous les moyens (parfois un peu « immédiatistes ») à le faire advenir, de l’autre : « le prolétariat, tout comme le capital, n’étant jusqu’à ce jour qu’une abstraction qui nous permet de rendre compte de la contradiction dans les termes opposés qui la définissent ne nous en dit pas plus sur la façon de préparer cette révolution qui abolira les conditions présentes. A moins de croire à ces conditions objectives qui feront le job à notre place (...), nous (les "révolutionnaires" nda) avons un rôle à jouer qu’on le souhaite ou non. ». Si nous avons bien lu, le prolétariat, le capital, et à leur suite la contradiction entre le prolétariat et le capital, ne nous disent rien sur la façon de « préparer cette révolution », tout cela n’est que « conditions objectives ». Face à ces « conditions objectives » nous trouvons naturellement « ceux et celles qui agissent de façon à rendre possible cette révolution ». Chez Amer Simpson, l’objectivisme est dans les prémisses. Il est dans les deux questions : « comment se préparer ? » ; « comment saisir les conditions présentes ? ». Des gens « cherchent à se préparer », à partir de là le monde n’est plus l’action elle-même qui prépare (pour employer ce terme), le monde est un environnement que ces gens doivent percevoir de la façon la plus fine pour réaliser leurs fins. Dès que l’on pose un sujet (les « révolutionnaires », les « communistes ») qui se demande « que faire ? », on est dans l’objectivisme. L’activité devient un idéalisme et la multiplicités des pratiques devient une abstraction générale : « la question de l’intervention ».
« Réflexions autour de l’Appel » (Denis, Meeting 2)
Le texte « Réflexions autour de l’Appel » (Meeting 2, pages 33 à 40), cherche une troisième voie entre l’alternativisme de l’Appel et la « position rigoureusement anti-alternativiste (qui) se trouve par exemple chez Théorie Communiste ». Cette troisième voie se reconnaîtrait dans « chaque tentative pratique (c’est moi qui souligne) de poser la question communiste » ; ce qui est exprimé également sous la forme : « il est possible de poser pratiquement (c’est moi qui souligne) des problématiques qui ont à voir avec le communisme… ». Quelques lignes plus loin, la formulation devient : « le mouvement communisateur se caractérise par le fait qu’il se pose déjà dans les luttes des questions qui sont de même nature (c’est moi qui souligne) que celles qui mèneront à la production du communisme au moment de la révolution : mais que les réponses qu’il y donne, bricolées avec ce que le capital rend possible actuellement, ne sont pas elles-mêmes communistes ». Remarquons qu’au long de ce même paragraphe (p. 37), on est passé des « tentatives pratiques de poser la question du communisme » à « poser pratiquement des problématiques » et enfin à « des questions qui sont de même nature ». Ces trois formulations ne sont pas équivalentes et l’euphémisation progressive de la position au cours du paragraphe traduit un certain embarras. Il aurait été intéressant d’avoir quelques exemples permettant de mieux cerner pratiquement ces « tentatives », ces « problématiques » ou ce quelque chose de « même nature ».
Il s’agit, dans cete critique de l’Appel, d’éviter le Charybde de TC et le Scylla de l’Appel en jouant l’un contre l’autre. Après avoir évité le « rigoureux anti-alternativisme » il faut éviter « l’alternativisme confrontatif ». Ces « tentatives pratiques » ou cette possibilité de « poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme » ne doivent pas oublier, c’est la suite du raisonnement, qu’il est « impossible de vivre actuellement quelque chose qui "tende vers" le communisme ou en soi la préfiguration ». Il faut donc arriver à différencier les « tentatives pratiques », les « problématiques qui ont à voir avec le communisme » ou les « questions de même nature » et les « préfigurations » ou les « tensions vers ».
Il serait possible de « poser la question communiste », mais toutes les réponses qui y sont données « ne sont pas elles-mêmes communistes » (p.37). Pourquoi ne sont elles pas « communistes » ? Parce qu’elles sont « bricolées avec ce que le capital rend possible actuellement ». Si elles sont « bricolées » c’est que « effectivement, certains de ceux qui se retrouvent actuellement dans des milieux où à mon sens, on tente de poser la question de la communisation ont pu vivre une forme de "sécession" : mais une telle rupture s’inscrit dans la logique d’une époque où la communisation est une question marginale » (p. 39). Donc, tant que la question de la communisation demeure marginale, toutes les réponses sont « des réponses de notre époque : c’est-à-dire destinées à se périmer dès que la situation sera suffisamment modifiée pour qu’une question jusque là minoritaire soit désormais dans toutes les bouches ».
La critique se poursuit en disant que, par rapport à ce moment là, ce ne sont pas seulement les réponses actuelles qui sont « inadéquates » mais encore la question elle-même qui est « mal posée » car de façon subjective : « Toute pratique actuelle qui se voudrait communisatrice devrait donc garder à l’esprit qu’elle répond de manière inadéquate à une question mal posée » (p. 40). Mais, cette formule radicale doit être lue attentivement, elle n’est pas la critique définitive de toute pratique actuelle qui se voudrait communisatrice, elle n’est que l’énonciation de ses critères de validité. Pour en revenir aux premières formulations, il est « possible de se poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme » ou des « questions qui sont de même nature » ou même des « tentatives pratiques de poser la question communiste », tout cela est possible et existerait, mais il faut le faire en sachant que ce sont « des réponses inadéquates à des questions mal posées ». De cette façon, le « rigoureux anti-alternativisme » et « l’alternativisme confrontatif » semblent avoir été évités. Cette critique de l’Appel ne critique pas l’alternativisme de ce texte mais l’immédiatisme de cet alternativisme. Elle repose sur l’abstraction de quelque chose qui serait le « questionnement » conservant sa « valeur » quelles que soient les réponses apportées et même quelle que soit la façon dont il est formulé.
Il serait « possible de se poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme » parce qu’il y a « forcément un rapport entre ce que sont les prolétaires actuellement et ce qui les rendra capables de produire le communisme un jour… ». La chose est précisée un peu plus loin dans le commentaire d’une proposition de l’Appel, la proposition VI : « d’une manière générale, nous ne voyons pas comment autre chose qu’une force, qu’une réalité apte à survivre à la dislocation totale du capitalisme pourrait l’attaquer véritablement c’est-à-dire jusqu’à cette dislocation justement ». On ne peut considérer cette proposition comme formulant un quelconque début de critique de l’alternative. Il n’y a pas de critique de l’alternative dans tout l’Appel et cette proposition VI non seulement est alternativiste mais, en plus, platement programmatique, cette réalité qui croît dans le mode de production capitaliste et qui est « apte à survivre » cela aurait pu être la Social-démocratie allemande ou la glorieuse classe ouvrière de la Troisième internationale. Le plus important est la suite du commentaire : « toute la difficulté de la théorie révolutionnaire se tient cachée derrière cette phrase (la proposition VI de l’Appel, nda) : il s’agit de comprendre le renversement du capitalisme comme un processus qui ne soit pas lui-même capitaliste, puisqu’au bout du compte il a la capacité de détruire le capitalisme, et qui pourtant prend naissance dans le rapport social capitaliste. C’est en ce sens que l’Appel est représentatif du débat qui traverse l’aire qui pose la question de la communisation » (p. 37).
Toute la difficulté de la théorie révolutionnaire ne se tient pas cachée derrière cette phrase. Cette phrase a même pour vertu de faire disparaître toute difficulté. Si on considère qu’il peut y avoir quelque chose « apte à survivre » ou « un processus qui ne soit pas lui-même capitaliste » et que tout cela existe comme un « rapport entre ce que sont les prolétaires actuellement et ce qui les rendra capables de produire le communisme un jour », alors il n’y a plus de problème, plus de difficulté. Nous avons, dans le capitalisme, une positivité du communisme qui le mine et qui parviendra bien à le surpasser. On ne voit pas comment une action de classe, en demeurant action de classe (dans le raisonnement, nous sommes ici chronologiquement avant la généralisation de la question du communisme et l’effondrement du rapport social capitaliste), pourrait contenir et encore moins être « un processus qui ne soit pas lui-même capitaliste ». Rien n’est dit sur la nature de ce « rapport » ou de ce « processus », mais nous savons qu’il existe. Il existe si bien que les « réponses inadéquates » et « la question mal posée » sont tout de même « tout à fait adéquates pour donner aux luttes actuelles un sens qu’elles ne possèdent pas sans elles (c’est moi qui souligne) et qui peut se révéler ensuite déterminant pour la possibilité de produire le communisme » (p. 40).
Cette ambiguïté sur la question d’une action de classe qui soit un « processus qui n’est pas lui-même capitaliste » se retrouve dans l’appréhension de l’auto-organisation : « Vouloir mener une lutte tout en s’affranchissant de toutes les médiations mises en place par le capital (les syndicats, la politique, les médias, le droit, etc.) est un exemple évident d’une manière de poser des questions qui ont trait à la communisation. » (p. 40). C’est surtout un exemple évident de ce qu’a toujours été, depuis la révolution allemande et la gauche germano-hollandaise, l’auto-organisation dans sa perspective révolutionnaire de libération de la classe comme affirmation de son être véritable qui, dégagé des médiations capitalistes, ne pouvait être que révolutionnaire. Tout cela est devenu maintenant purement formel. Ce qui est maintenant important et ce qu’il est essentiel de repérer et de promouvoir, c’est ce qui, à l’intérieur de ces luttes auto-organisées, va contre (remet en cause) l’existence du prolétariat comme classe du mode de production capitaliste, c’est-à-dire non pas les médiations mais ce qui fait que ces médiations existent : être une classe, c’est-à-dire ne se définir que dans un rapport d’implication réciproque avec le capital.
L’Appel est bien représentatif du débat qui traverse « l’aire de la communisation », mais seulement au sens où ce texte est alternatif, où il exprime une autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes et seulement en ce que l’aire de la communisation est elle-même une idée (ou une réalité imaginaire pour ceux qui pensent y appartenir) qui exprime en elle-même cette autonomisation. Le courant communisateur n’est plus saisi comme un précipité interne (largement ou peut-être même exclusivement théorique en tant qu’objet ayant une continuité) de la lutte de classe la plus générale de la période, mais, devenant « aire de la communisation », comme une existence particulière ayant ses pratiques propres à côté des formes générales des luttes actuelles auxquelles, en tant qu’aire de la communisation, elle donnerait un sens.
La troisième voie que cette critique publiée dans Meeting 2 tente de définir repose une possibilité d’existence actuelle pratique et positive (je qualifie cette existence de positive dans la mesure où ces pratiques auraient le privilège tout en étant des pratique de classe de ne pas être le simple produit du fait que l’action en tant que classe est la limite de ce cycle, de ne pas être un simple écart à l’intérieur de cette limite), de tentatives de poser la question communiste ou des problématiques qui ont à voir avec le communisme juxtaposées au cours général des luttes actuelles. Toute la difficulté à laquelle elle est confronté est de conserver les termes dans leur juxtaposition : « l’aire de la communisation » qui « pose la question communiste » ne doit pas s’émanciper sous peine de tomber dans les « réponses inadéquates à la question mal posée » et le cours général des luttes doit, quant à lui, trouver « son sens » dans les questions que pose cette aire. La principale objection que l’on peut faire à cette théorie est de considérer la façon dont actuellement peut se présenter la question communiste comme des activités propres à une aire particulière qui serait « l’aire de la communisation » dont les questions viendraient « donner aux luttes actuelles un sens qu’elles ne possèdent pas sans elles » et non comme rien d’autre qu’un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe c’est-à-dire de ce qui est la limite même de ce cycle de luttes. Il est bien dit que cette « aire » ne peut « exister à part ou se perpétuer en dehors de la lutte de classe en général » (p. 33), mais la production du communisme devient un processus existant pour lui-même et ayant ses acteurs propres au sein de la lutte de classe en général. Cette critique de l’Appel doit constamment conjurer son propre alternativisme car celui-ci peut « mal poser la question » et « répondre de manière inadéquate », mais cela « en même temps n’enlève rien à sa valeur » (p. 40).
Le cours actuel de la lutte de classe semble être compris comme la juxtaposition de deux sortes (je ne trouve pas de mot plus précis) de luttes : celles posant la question du communisme et les autres. Je pense que cette dualité est le résultat d’une illusion d’optique, à mon avis il n’existe qu’un seul mouvement qui nous autorise à parler de la révolution comme communisation : le cours de la lutte des classes comportant ce que j’ai appelé « l’écart ».
Je persiste à penser que ce que l’on appelle « aire de la communisation » n’est que l’autonomisation de la dynamique de ce cycle et tous les « apports » qui peuvent être les siens n’existent que marqués de cette autonomisation et n’ont de valeur qu’une fois décryptés. Le décryptage porte sur le fait même de poser ces « questions » et non pas sur la manière de « poser la question », sur le fait qu’elles soit « mal posées » ou que les réponses soient « inadéquates » et « bricolées ». Comme pour la « tendance autonomiste » dans le texte de Simpson, il ne faut pas croire « l’aire de la communisation » sur paroles, ses interrogations sur la révolution et le communisme, la forme même qu’elle leur donne et le contenu même de ses réponses sont « bricolées avec ce que le capital rend actuellement possible ». Mais ce ne sont pas que les réponses, ce sont aussi les questions qui sont bricolées de même. On ne peut conserver la pertinence des questions, leur « valeur », en disant qu’elles ne souffriraient finalement que d’un certain immédiatisme. On ne voit pas quelle « valeur » peuvent avoir des « réponses bricolées » à des questions « mal posées ». Dans l’ « aire de la communisation » la « tentative pratique de poser la question communiste » ne pose que la question à laquelle sa pratique « immédiatiste » répond. L’essentiel est dit dans un autre texte de Meeting 2, Un autre emploi de l’argent (sans signature d’auteur) : « Or, ici et maintemant, pour les rédacteurs de l’Appel ce sont les conditions d’accès capitalistes aux biens qui déterminent la mise en commun. En de telles conditions, la mise en commun n’est pas communisation mais socialisation de biens privés entre des individus ayant la possibilité de faire ce choix ».
Parler d’ « aire de la communisation » c’est chercher à relier « d’où on part » à « où on arrive », au travers d’une tendance actuelle qui serait positivement déjà l’existence d’un « entre-deux ». Bien sûr c’est la fameuse question « des luttes actuelles à la révolution », mais le « rapport » entre les deux n’est pas quelque chose définissable et existant pour lui-même à l’intérieur du cours de la lutte des classes. S’il y a dans les luttes actuelles des éléments qui nous permettent d’ores et déjà de parler de courant communisateur et du communisme, ce ne sont que des écarts à l’intérieur de la lutte des classes, à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe. Les pratiques que l’on cherche à rassembler sous la dénomination particulière d’ « aire de la communisation » en font partie, ni plus ni moins que les autres, elles n’ont pas la fonction particulière de « donner le sens ». En fait, elles ne constituent pas une « aire de la communisation ».
Les thèmes et les pratiques de la dite « aire de la communisation » sont un retravail de ce que ce cycle peut nous dire sur la révolution et le communisme, un retravail effectué par ceux qui se comprennent comme ses acteurs, au travers des prismes et des miroirs déformants de leur isolement et de leur existence même entérinant l’autonomisation de la dynamique de ce cycle de luttes (la contradiction du prolétariat avec le capital comporte sa propre remise en cause comme classe dans son action de classe). L’ « aire de la communisation » fait de la « remise en cause » un moment particulier pouvant exister et être poursuivi pour lui-même. Les thèmes et les pratique de cette « aire » seraient « bons » mais limités par leur immédiatisme, « l’aire de la communisation » devrait seulement avoir la patience de concorder avec son temps. Cette « aire » serait seulement indifférentes aux conditions présentes qui « ne permettent pas de réaliser la moindre initiative communiste à l’intérieur du capitalisme ».
Si, encore une fois, nous nous référons à ce qui tend à devenir le « paradigme argentin », il me semble que désigner quoi que ce soit comme « aire de la communisation » tomberait complètement à plat. Les questions qui « ont à voir avec la communisation » ne donnent pas un « sens » à la forme générale des luttes, je serais tenté de dire que c’est l’inverse. Une notion comme celle d’ « aire de la communisation » ne peut qu’être l’idéologie auto-justificative d’une marginalité vécue comme une « sécession » et pour tout dire une avant-garde malheureuse. Dans le cas argentin tout ce qui pourrait être compris comme une positivité existant pour elle-même des « questions qui ont à voir » s’effondre et l’on s’aperçoit que les questions « qui ont à voir » loin d’être le fait d’une « aire » particulière sont la résultante même de la lutte. Il ne s’agit pas de voir cela comme une « aire de la communisation » qui dans la généralisation de la lutte se dissoudrait, avant cette généralisation, nous avons de la théorie et en aucun cas une pratique.
Bien sûr, tout ce qui est regroupé sous le vocable d’ « aire de la communisation » fait partie intégrante de la lutte de classe, l’erreur, à mon avis, est de conférer à ces pratiques un statut particulier. Les thèmes et les pratiques ainsi regroupés n’ont aucune raison d’être propre et surtout pas celle d’exprimer le rapport de la lutte de classe avec le communisme, rapport acquérant en eux une existence propre et positive (malgré toutes les limites que leur reconnaît cette critique). « Il faut bien qu’il y ait un rapport entre le prolétariat actuel et le communisme », oui, bien sûr, mais ce rapport c’est la nécessité à s’abolir qu’il trouve dans sa contradiction avec le capital. Ce rapport n’est pas dans le prolétariat en lui-même (il n’est pas une « nature révolutionnaire ») ou dans un certain type de pratiques repérables et existant pour elles-mêmes. Les liens entre les conditions présentes et le communisme ne sont que des initiatives qui créent un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe et ces initiatives sont tout ce que nous savons pour explorer des perspectives communisatrices. Nous retrouvons dans ce débat sur l’aire de la communisation le clivage récurrent depuis l’effondrement théorique du programmatisme entre opposition et contradiction ou, sous une autre forme le clivage entre la compréhension de la lutte des classes comme, d’une part un affrontement communisme / capitalisme ou, d’autre part, prolétariat / capital. Le communisme n’est jamais dans la lutte de classe une question pratique formulée pour elle-même, ceux qui pensent le faire ne formulent que l’idéologie de leur propension à l’alternative ; le dépassement communiste de la lutte de classe n’est annoncé que comme une contradiction interne du fait d’agir en tant que classe, jamais comme des problématiques, des questions, des pratiques se constituant pour elles-mêmes et en elles-mêmes et se situant dans la lutte des classes comme ayant pour objet propre la communisation. Le courant communisateur est confondu avec l’écart.
Je n’identifie pas ce que dit Denis dans ses « Réflexions… » et ce qu’écrit Simpson dans le texte dont il était question précédemment. Si j’en parle conjointement, c’est que Simpson, bien que présentant d’une autre façon l’existence de cette « aire qui pose la question de la communisation » en arrive également à lui donner une existence distincte de l’écart, bien qu’interne à lui. C’est-à-dire que l’on se trouve également dans une problématique où « poser la question de la communisation » est non seulement le fait d’une fraction identifiable et spécifique dans la lutte de classe mais en outre une activité propre en relation avec les luttes immédiates. Il existerait dans la société capitaliste une activité qui en elle-même consisterait à « poser la question du communisme ». En cela, ces deux textes ont quelque chose en commun, ils supposent que la « remise en cause » se pose pour elle-même, cette « remise en cause » se posant pour elle-même, ce serait alors « l’aire de la communisation ». Si cette critique des « Réflexions… » recoupe des remarques sur le dernier texte de Simpson, c’est pour tenter de mieux faire comprendre ce avec quoi je ne suis pas d’accord.
Chez Simpson, la chose résulte d’un glissement quasi infinitésimal, mais aux lourdes conséquences, dans sa définition de l’écart. Je ne prétends personnellement à aucune propriété sur le concept, mais s’il y a des définitions différentes il faut qu’elles soient clairement identifiées, d’autant plus que Simpson m’attribue cette définition dans laquelle il a introduit un glissement des termes : « …l’écart (…), pour reprendre les termes de R.S, est le produit interne de la limite de ce cycle de luttes : agir en tant que classe, n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction et d’autre part (c’est moi qui souligne), d’être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause ». Or, j’ai toujours défini l’écart de la façon suivante : « Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe ». Que se passe-t-il dans la reprise de Simpson ? « Agir en tant que classe » n’est pas la dualité mais devient un des termes de la dualité, en conséquence on peut rendre autonome une aire de la communisation « qui pose la question de la communisation » dans la mesure où la « remise en cause » devient un terme opposé à « agir en tant que classe ». Il me semble que c’est quelque chose de cet ordre qui se trouve toujours derrière la positivisation comme activité spécifique, pouvant se reconnaître dans son existence pour elle-même, de « poser les questions du communisme ». Aucune pratique ne pose la question du communisme, la lutte de classe se débat dans une contradiction interne à sa limite intrinsèque, c’est seulement théoriquement que de cela nous posons, nous abstrayons la question du communisme. Que l’abstraction soit légitime ne la fait pas pour autant se confondre avec la pratique.
A partir du moment où ce glissement (faire passer ce qui est duel en simple pôle de la dualité) est effectué se pose la question du « rapport », de la « relation » entre « l’immédiateté des luttes » et la « perspective révolutionnaire » (Simpson). Question qui n’a de sens que dans ce glissement. Il faut trouver quelque chose qui pose la question, quelque chose qui soit dans l’écart sans y être, quelque chose qui soit seulement « en rapport » avec lui. Quelque chose qui soit dans l’écart mais ne se confonde pas avec lui, quelque chose qui ne soit pas purement et simplement la contradiction de la limite (agir en tant que classe), quelque chose qui existe pour soi en rapport à « l’immédiateté des luttes » : « l’aire de la communisation ».
Peut-on inclure dans « l’aire de la communisation » le militant piqueteros qui met en avant la subjectivité, la critique du travail et sape l’auto-organisation, le kabyle qui considère les aarchs comme quelque chose qui lui est étranger et par là même qui se transforme lui-même en se considérant comme étranger à ce qu’il est dans cette société, le « sauvageon » de l’entreprise, l’activiste du mouvement d’action directe (à la rigueur), l’ouvrier « suicidaire », le chauffeur de car de Milan ou le métallurgiste de Melfi qui lutte contre le capital sans considérer que ce qu’il est dans la société est la base d’un faire valoir social... Le faire, ce serait la détruire ; ne pas le faire c’est dire qu’elle n’existe pas.
R.S
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A propos d’un article de Meeting : R.S. a beaucoup d’imagination…mais bien peu de rigueur !, , 4 juillet 2008http://mondialisme.org/spip.php?art...
A propos d’un article de Meeting : R.S. a beaucoup d’imagination…mais bien peu de rigueur !- Vous ne parlerez que lorsque vous serez interrogés, RS, 4 juillet 2008
a ) Dans le texte critiqué par Y.C (« Etats des lieux », Meeting 4), il n’est jamais question d’obsession de NPNF vis-à-vis du courant communisateur, ni d’une défense de celui-ci contre les attaques de NPNF, mais des positions expressément développées par NPNF sur les émeutes de novembre 2005.
b ) Je ne comprends pas l’allusion récurrente à la « Pratique Théorique » concernant TC ou Meeting : citation et référence seraient les bienvenues.
c ) Y. C. se défend de ne jamais ou exceptionnellement avoir parlé de « communisation ». Mais c’est sur que dit NPNF sur les émeutes que portait ma critique. N’aurait-on le droit de donner son avis que si l’on est nommément « attaqué » ou cité ? La critique n’est-elle qu’un droit de réponse ? « Il n’avait pas à me critiquer dans la mesure où je ne parlais pas d’eux », semble dire YC. N’étant pas particulièrement visé, R.S. aurait dû comprendre qu’en conséquence il n’avait rien à dire s’il n’avait été aveuglé par « son ego démesuré ». N’est-ce pas Y.C qui liste complaisamment toutes les références à sa publication à la fin des numéros ?
c ) « Acerbe » portait sur le ton de certains commentaires à la suite des textes publiés par NPNF, quelle que soit leur origine. Je soulignais que seuls les textes de Mouvement Communiste échappaient à tout commentaire. Encore une fois, drôle de défense de la part de Y. C. : on ne doit pas critiquer ce qui ne vous est pas adressé.
d ) La critique des positions exprimées par NPNF, dans ces notes ne sont pas à critiquer, parce que « personne n’est obligé de les lire ». C’est exact, on peut même ne pas lire NPNF, ce qui sincèrement serait dommage.
e ) Une suite de critiques n’est pas un « amalgame », tout le texte repose sur une typologie qui est le contraire de l’amalgame.
f ) Y. C. n’est pas « mon sujet », contrairement à la personnalisation malveillante de sa réponse, ce sont des textes que je critique.
g ) « fossé deviendra infranchissable pour les révolutionnaires, mais malheureusement pas, etc. », « les révolutionnaires ne devraient pas hésiter à critiquer ces actes (…) il fallait leur expliquer, etc. ». Si NPNF qui, dans un autre texte écrit « Alimenter la haine de la jeunesse contre la police ne produit aucun résultat politiquement intéressant » (n° 21-22, p.97) ne se place pas dans la perspective d’un militantisme politique révolutionnaire, les mots n’ont aucun sens. Pour NPNF, toute personne qui se « démène » est un « révolutionnaire » et le fait en tant que « révolutionnaire ». Je me démène peut-être, mais je ne suis pas un « révolutionnaire » (ce qui n’étonnera personne).
h ) « Services publics » : aucun doute sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une citation de NPNF, les guillemets sont destinés à dire c’est comme cela qu’on les appelle et c’est devenu une appellation contrôlée. NPNF se contente de dire « installations collectives ». Y.C. a du mal à énumérer les fausses citations à répétition qu’il y aurait dans mon texte.
i ) Ces « faits marginaux » (voitures incendiées) « ne sont pas au centre de ma description » dit Y.C, c’est exact. Mais où dans les 860 lignes restantes qu’il évoque est-il question des autres cibles ? R.S serait adepte de la « politique de l’autruche », est-ce être adepte de cette politique d’avoir intitulé un texte de Meeting 3 : La voiture du voisin ? En outre, pourquoi alors le texte de Mouvement Communiste qui ne parle que de ça et déclare que « ces faits (les émeutes) sont dépourvus d’un quelconque fondement politique de classe » n’est-il accompagné d’aucun commentaire ? Y.C. ne se prive pas de le dire quand il n’est pas d’accord avec ce qu’il publie. Je remarque que la critique pointilleuse de NPNF de mon texte évite soigneusement tout ce qui concerne MC.
j ) A propos de « l’inutilité politique de la haine de la police » (en substance) je n’avais rien le droit de dire puisque les articles ne me concernaient pas. Passons.
k ) Oui : « seuls des militants révolutionnaires d’une organisation existante ou à venir voulant prendre le pouvoir et instaurer un nouvel Etat peuvent raisonner ainsi », c’est-à-dire peuvent se demander « comment obtenir leur soutien (des forces de répression) ou au moins leur neutralité », surtout si on pense s’inspirer des « révolutions sociales ou nationales (c’est moi qui souligne) victorieuses (c’est moi qui souligne) ». Si A = B et si B = C, est-ce faire un procès d’intention à A que de dire A = C ?
l ) « Les fleurs », « les bisous », « le capitalisme qui s’effondre tout seul sous le poids de ses contradictions », Quel humour ! En voilà des affirmations qui ne consistent pas à « inventer des positions à son interlocuteur ». Quand je lis « obtenir leur soutien ou au moins leur neutralité », je comprends : « obtenir le soutien ou au moins la neutralité des forces de répression ». Quand, en outre, je lis « il faudra bien un jour développer une propagande en leur direction » je me demande si Y.C. compte obtenir cela avec des « bisous » et des « fleurs », ou leur faire comprendre que ce n’est pas bien de « tirer sur le peuple » (entre guillemets car expression toute faite). Un mouvement révolutionnaire devra s’armer, mais s’il ne fait que ça il sera inexorablement battu. Fallait-il arrêter la révolution en Espagne pour se concentrer sur la construction d’une armée anti-fasciste ? Bavardages… Une proclamation de l’indépendance du Maroc espagnol aurait-elle « délitée » l’armée de Franco ? Bavardages… Instauration de la gratuité, abolition de l’échange, de toutes les formes de propriété, emparement de tous les moyens de production, de communication, de bâtiments nécessaires à la lutte, sortir de la division du travail, c’est ça « déliter les rapports sociaux qui soutiennent les forces de répression et dans lesquelles elles existent ». Phrases creuses ? C’est cela, si l’on veut, la « propagande » à mener, mais on obtient ni le « soutien » ni la « neutralité » des forces de répression, le but c’est leur effondrement. C’est quoi pour Y.C la révolution communiste si les mesures communistes prises comme nécessités de la lutte ne sont pas son arme principale ?
Y.C soutient n’avoir jamais parlé « d’obtenir le soutien ou la neutralité » des forces de répression, mais « au contraire d’en rallier certains éléments à la révolution ». On peut avoir changé d’avis, on peut accuser son interlocuteur de mensonge, d’extrapolation, on peut dire « c’est une idée loufoque », mais ce n’est pas de ma faute si Y.C. a des « idées loufoques ». C’est « soutien » et « neutralité » qu’on lit noir sur blanc dans NPNF (n° 21-22, p.97). Y.C est à la recherche de « résultats politiquement intéressants » et la haine contre la police n’en produit pas, il devrait essayer les « bisous » et les « fleurs » ou une augmentation des soldes sous le nouveau pouvoir révolutionnaire transitoire.m ) Nul besoin d’une imagination débordante pour conclure à partir de la « nécessité d’organisation politiques révolutionnaires » à leur rôle de « meneur » de la révolution. Y.C. n’en sait rien, il est rare que Y.C ne sache pas. Une « organisation politique révolutionnaire » existe et agit en tant que telle dans les luttes et a fortiori dans une période révolutionnaire. Les mots ont un sens, tout rassemblement de personnes réfléchissant et agissant parfois de concert, n’est pas une « organisation politique révolutionnaire ». Se rassembler pour faire une revue théorique ou même d’agitation ce n’est pas constituer une « organisation politique révolutionnaire » ?
NPNF ne sait pas non plus s’il y aura nécessité d’une période de transition. Mais la période de transition n’est pas un moyen pour parvenir au communisme, sa nécessité est tout simplement le signe de son échec. Quelle naïveté ce R.S ! Quel rapport social, quelle détermination du MPC peut-on se dispenser d’abolir dans l’ « éventuelle » période de transition ?n ) NPNF n’a jamais prôné de « révolutions nationales », c’est exact. Mais NPNF, tout à sa vision « banale », « concrète », pas naïve en un mot, pas « délitant » les rapports sociaux capitalistes, de la révolution pense pouvoir tirer des enseignements des « révolutions nationales victorieuses » (extrait de la même citation que celle où figurent « soutien » ou « neutralité » : la citation qui n’existe pas). Comme si les « affaires militaires » n’avaient rien à voir avec la révolution que l’on mène.
Oui, je pense qu’à un moment il faut laisser les morts enterrer leur morts et les pousser dans le trou, mais il est étonnant pour un lecteur aussi sourcilleux de l’exactitude des textes et des citations que YC oublie de signaler que le passage auquel il fait référence n’occupe que deux pages sur 21 et que les deux tiers de ce texte sont consacrés à des discussions avec des camarades théoriquement très proches (et bien vivants).
Enfin, faisant feu de tout bois et pas très regardant sur le ton de l’ouvrage que l’annonce laisse présager (il paraît d’après JL Roche que comme au Kremlin ou chez Tahar Benjelloun, j’emploie un femme de ménage pour nettoyer mes chiottes), Y.C n’a pas lu le Précis de JL Roche mais il sait déjà que ce sera plus stimulant que du R.S.Je terminerai sur un point qui m’interroge. Ma critique était vive certes mais correcte (comme on dirait au football) et théorique, jamais personnelle (ce qui m’aurait été difficile, trouvant jusqu’à aujourd’hui, YC très sympathique et un agréable compagnon). On pouvait y répondre sans ce déferlement de rancœur, de haine, et de mépris puisé à l’humour convenu de la polémique. On pouvait le faire sans viser la personne (heureusement que Y.C, non plus, n’a pas trouver le moyen de transformer les mots en balles). En « vieux briscard de l’Ultra-gauche » comme dit Y.C, je m’en remettrai, mais j’ai du mal à comprendre les raisons de tout cela. Quel point extrêmement sensible ai-je involontairement touché ?
« Le grand Timonier de la Pratique Théorique »
« Le Nouveau Chantre de la Pratique Théorique »
« Le professeur RS » (plusieurs fois)
« Le grand Communicateur de la Pratique Théorique »
« Le Prince des Communisateurs »
« Le Gourou des Communisateurs »
« L’Apôtre de la Rigueur théorique »
« Le Héraut de l’Anti-Organisation »R.(A).S
- Vous ne parlerez que lorsque vous serez interrogés, RS, 4 juillet 2008
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Commentaires sur le texte de Marcel (synthèse): synthèse pour la publication
samedi, 19 janvier 2008
« Communisme de l’attaque et communisme de la défection »
« Si, par exemple, le prolétariat est destiné à produire le capitalisme, le capitalisme peut seulement prendre fin lorsque le prolétariat nie son rôle comme prolétariat pour devenir quelque chose de différent. Si, de la sorte, le communisme est un acte libre, alors il est libre parce qu’il signifie que les gens se libèrent de ce qui les détermine… » (Marcel, Communisme de l’attaque et communisme de la défection)
« …la tentative de la classe ouvrière de se détruire elle-même comme classe ». (ibid)
« Cette lutte de classe peut-elle nous libérer de la lutte de classe ? » (ibid)
« C’est d’abord quand cette situation – la situation de travailleur – est remise en cause qu’une rupture révolutionnaire peut se produire ; et cette rupture est le produit d’une classe ouvrière créant une distance à la position qui fait d’elle une classe. » (ibid)
« Quand les travailleurs, dans leur pratique mettent leur existence en question… ». (ibid)
Ces quelques citation extraites du texte de Marcel (M) montrent à l’évidence que ce texte se situe dans la problématique actuelle de la révolution qui ne peut plus être conçue que comme communisation : la révolution comme abolition du capital est immédiatement l’abolition de toutes les classes et non la prise du pouvoir, l’affirmation du prolétariat libérant le travail et s’érigeant en classe dominante ; la révolution n’est pas un préalable à l’instauration du communisme elle est l’instauration immédiate du communisme qui est son procès même. Dans ce cadre, M soulève une question essentielle du cycle de luttes présent : la rupture, la non-continuité entre les luttes revendicatives et la révolution.
On peut présenter la thèse centrale du texte de Marcel (M) de la façon suivante : la « dialectique capital-travail » ne nous mène, au mieux, qu’au « blocage du capital » (étrangement baptisé « communisation interne »), le dépassement (« communisation externe ») est un mouvement « externe » à cette « dialectique », il provient de la construction d’ « extériorités », d’un « au-delà » de ce rapport attaquant le capital.
Schématiquement :
a) Au sein de la « dialectique entre le capital et le prolétariat », le travail mort et le travail vivant constituent une « tautologie », cette dialectique ne porte aucun dépassement, elle est une pure reproduction du capital tout au plus sa mise en crise simplement autodestructrice, son « blocage », comme dit M.
b) Le dépassement de cette « tautologie » suppose une « contradiction » à cette tautologie, une contradiction « externe » à côté de la contradiction interne. Cette contradiction externe ne peut pas exister sans la première, mais n’est pas produite par elle. M. insiste sur ce point, c’est même la raison d’être de son texte. La contradiction externe, et elle seule, est porteuse d’une positivité contrairement à la contradiction interne.
En résumé : la « contradiction interne » ne dépasse pas le capital, elle le reproduit ou le met en crise, elle est « négative » ; la contradiction externe est « positive » (constructive) elle peut n’être qu’une alternative si le capital n’est pas détruit par sa contradiction interne, mais elle porte le dépassement si les deux contradictions agissent concurremment.
Le point essentiel de notre critique portera sur le fait que, à un moment donné, pour le prolétariat, d’une part être en contradiction avec, à l’intérieur, et contre le capital, et, d’autre part ce que M appelle la « défection », la construction d’autres relations entre les individus, sont identiques, c’est le moment de la production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure, le moment des mesures communisatrices. C’est dans les luttes actuelles qu’existe un écart dans le fait d’agir en tant que classe, un écart entre d’une part, n’avoir que le capital comme horizon et comme définition et, d’autre part, par là même, se remettre en cause dans la lutte contre le capital. Mais cet écart demeure à l’intérieur du fait d’agir en tant que classe, à l’intérieur de la « dialectique » dirait M, c’est-à-dire, en réalité, à l’intérieur de la contradiction.
Défini comme classe dans le rapport d’exploitation, le prolétariat n’est jamais confirmé dans son rapport au capital : l’exploitation est subsomption. C’est le mode même selon lequel le travail existe socialement, la valorisation, qui est la contradiction entre le prolétariat et le capital. Défini par l’exploitation, le prolétariat est en contradiction avec l’existence sociale nécessaire de son travail comme capital, c’est à dire valeur autonomisée et ne le demeurant qu’en se valorisant. Il en résulte que le prolétariat est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe car la nécessité de sa reproduction est quelque chose qu’il trouve face à lui représentée par le capital. Toujours de trop, il ne trouve jamais sa confirmation dans la reproduction du rapport social dont il est pourtant un pôle nécessaire.
M ne parvient pas à formuler la question à laquelle il cherche à répondre dans ses termes adéquats : comment une classe agissant strictement en tant que classe peut-elle abolir les classes ? Emporté par sa critique de la relation entre le cours de la lutte des classes et la révolution, M ne parvient plus à produire de relation rationnelle entre les deux. La production du dépassement échappe par nature à la problématique qu’il définit.
« Le communisme, la mort potentielle du capital, ne peut venir d’une dialectique entre le travail et le capital, il peut uniquement se produire si le blocage du capital par la lutte de classe est simultané au processus constitutif qui remplace les rapports du capital par de nouveaux rapports. Notre révolution doit être double ». Bien évidemment, ce n’est pas sur la nécessité de la constitution dans la lutte contre le capital d’autres relations entre les individus, c’est-à-dire la définition même de la révolution comme communisation, que nous sommes en désaccord avec M.
Là où nous sommes en désaccord, c’est lorsqu’il affirme que cette constitution ne peut venir d’une « dialectique entre le travail et le capital ». C’est-à-dire quand M se révèle incapable de comprendre le dépassement de cette dialectique à partir d’elle-même, comme son résultat. Il y a une rupture, il y a un saut, il y a production d’autre chose, mais cette rupture, ce saut, cette production d’autre chose sont le fait du prolétariat contre le capital, luttant encore en tant que classe en s’abolissant en tant que telle dans l’abolition du capital. M enferme la « dialectique entre le capital et le travail » dans la reproduction du capital. Il faut alors, soit dire que la révolution communiste n’est pas l’œuvre du prolétariat, soit que le prolétariat ne se définit pas entièrement dans cette dialectique, qu’il est autre chose que son rapport au capital. Si la communisation s’inscrit dans la dialectique entre le travail et le capital, c’est que celle-ci est une contradiction, c’est-à-dire bien autre chose que la seule reproduction de l’objet de cette dialectique. C’est l’objet, le mode de production capitaliste, qui est en contradiction avec lui-même dans la contradiction de ses termes. C’est en cela que le jeu peut amener à l’abolition de sa règle.
M sait cela, c’est pour cela qu’il a énormément de mal à distinguer les deux types de communisation, non seulement dans le cours empirique de ce que pourrait être la révolution, mais encore au niveau de la typologie qu’il propose. Le vol, la resquille, le refus du travail, les groupes de lutte affinitaires, le téléchargement pirate… appartiennent à quelle catégorie de la typologie ? Tantôt l’une, tantôt l’autre. C’est lorsqu’il touche ses limites et montre ses incohérences que le texte de M pointe les questions théoriques fondamentales de la révolution comme communisation. « Notre révolution doit être double » affirme M. Il veut que l’une et l’autre soient l’action du prolétariat, mais sa définition de la contradiction entre le prolétariat et le capital, sa séparation typologique entre les deux communisations, sa définition du prolétariat dans la « dialectique capital- travail » ne lui permettent pas de concevoir la seconde comme action de classe tout en la voulant telle. Il faut un lien entre les deux « communisations », mais il faut simultanément qu’il n’y ait pas de lien, sinon toute la thèse disparaît.
Il veut une action de classe contre le capital, mais qui ne soit plus une contradiction avec le capital, qui soit un « extérieur » contre le capital, plus précisément face au capital. M affirme que la « dimension externe concrète » est déterminée par la lutte de classe, c’est-à-dire la « communisation comme mouvement interne », la « dimension externe » doit donc être à la fois déterminée par une volonté de quitter le « vieux monde » produite par l’action du prolétariat interne à la dialectique du capital et simultanément quelque chose qui n’appartienne plus à la contradiction tout en demeurant action du prolétariat. Pour M, ce n’est pas la révolution qui est double, c’est le prolétariat, mais cela M ne le développe pas explicitement car il sent bien qu’il ne ferait qu’exposer quelques niaiseries humanistes. La chose n’est que suggérée au travers de l’insistance récurrente sur les « désirs » qui croissent « spontanément » et « nécessairement » des pratiques seulement « destructives » du prolétariat. « Les en-dehors se créent quand les gens désertent, se retirent de leur rôle de force de travail ». Mais personne n’a la moindre possibilité de déserter, de se retirer. Les pratiques qui sérieusement (il s’agit de la catastrophe sociale qu’est la révolution comme communisation et non de la resquille ou du téléchargement pirate) pourront correspondre à ce que M envisage sont réellement les pratiques destructives du capital. Loin d’être un « retrait », une « désertion », une « défection », la communisation comme construction d’autres relations entre les individus n’échappe au capital que dans la mesure où elle est son abolition, dans la mesure où le prolétariat reconnaît toute son existence comme objectivée face à lui dans le capital. Il détruit lui-même ce qu’il est, non en se retournant contre lui-même, mais dans un rapport contradictoire où l’implication réciproque entre le prolétariat et le capital atteint sa plus grande intensité en ce qu’elle est l’enjeu même de la lutte.
De son propre point de vue, M ne peut soutenir simultanément que la « dialectique entre le capital et le travail » ne « fonctionne qu’en tant que moteur du capital » et y voir une sorte de préparation de la seconde en admettant, comme il le fait, que le communisme puisse « se sauver du capital par les trous disjoints créés par la lutte de classe dans le rapport capitaliste », ou alors que « la possibilité de dé-subjectivation et de dés-objectivation sont produites dans la lutte de classe ». Comment de telles choses peuvent être possibles après la description faite de la « dialectique entre le capital et le travail » comme « tautologie » et, qui plus est, de son devenir comme « anthropomorphose du capital » ?
M décèle également une « médiation » dans le fait que « la communisation interne ce sont les pratiques qui, directement et sans médiation, se tournent contre l’exploitation, l’accumulation de valeur… ». L’essentiel est, pour M, dans le « sans médiation » : « des actions communisatrices, comme par exemple les grèves sauvages qui évitent la médiation syndicale ». Mais pourquoi « l’évitement de la médiation syndicale » peut-elle être qualifiée de « pratique communiste » ou, plus loin, de « potentiel communiste » ? Parce que M reprend une structure d’analyse du rapport entre prolétariat et capital héritée de la Gauche germano-hollandaise.
La Gauche germano-hollandaise avait décalé la question de l’implication réciproque entre prolétariat et capital en problème de l’intégration de la classe et plus pratiquement en problème d’organisation, de chefs, de bureaucratie, et globalement de critique de toute « intervention extérieure ». Le prolétariat devait se nier comme classe du capital (acquérir son autonomie) pour réaliser ce qu’il était vraiment et qui dépassait le capital : classe du travail et de son organisation sociale (y compris le cadre des entreprises et de leur mise en relation), du développement des forces productives. M ne parle plus d’ « organisation d’entreprise », de la « classe du travail » et du « développement des forces productives », mais c’est toujours la rupture avec les « médiations » et « l’autonomie » qui sont le « début du communisme ».
Qu’est-ce que la classe alors ? Ce sont les « médiations », ce n’est pas une appartenance définitoire et contradictoire au mode de production capitaliste, c’est l’intégration d’un sujet qui ne demanderait en tant que tel qu’à être pour lui-même. La rupture des « médiations » devient essentielle car elle est la condition d’apparition de cette « tendance », de ces « potentialités communistes », car elle est la rupture de l’intégration, c’est-à-dire la libération au grand jour de la tendance sous-jacente à la lutte de classe telle que M la définit dans un autre texte (Hamburgers vs Value, disponible sur le site de Trop Loin). « Le communisme est un mouvement, cela signifie qu’il existe comme une dynamique sous la lutte de classe ou comme tendance en elle. Nous ne voyons pas la société communiste dans la lutte de classe, nous voyons des "potentialités communistes". Chaque lutte contre le capital a un aspect universel car c’est une protestation contre une vie inhumaine, et cela est le germe d’une communauté humaine future ». Il est évident que tout cet appareil humaniste est constamment sous-jacent au texte de M (la citation précédente est, par exemple, une référence explicite au texte de Marx sur la révolte des tisserands silésiens : Gloses marginales sur le Roi de Prusse et la réforme sociale -1844) c’est la seule façon de le faire tenir debout. Il faut que la lutte de classe soit autre chose que la lutte de classe pour préparer son dépassement et, pour que ce dépassement soit une lutte « extérieure » contre le capital.
Mais, avec M, le grand humanisme feuerbachien s’est reconverti dans la libre petite entreprise de soi butlérienne. La recherche, à l’extérieur, de la positivité perdue à l’intérieur, entraîne le recours au révolutionnaire pour assurer l’articulation interne / externe. La figure du révolutionnaire, libre petit entrepreneur de soi, de ses besoins et de ses désirs, celui qui transcende l’ « anthropomorphose » et la « communauté matérielle », vient donner figure à cet humanisme activiste qui est fondamentalement la solution de M au blocage de la dialectique capital / travail ». C’est « le bolchévisme sans parti ».
M indique clairement que l’enjeu premier de son texte est de définir une pratique communiste que seuls quelques révolutionnaires seraient en mesure de mettre en œuvre et de promouvoir afin de rehausser la lutte des classes telle qu’elle se déroule quotidiennement avec ses revendications triviales. C’est dans cette tentative qu’il faut comprendre le recours très présent mais pas assumé au discours idéaliste, essentialiste, et poético-philosophique, en effet, d’où faire surgir la révolution comme communisation (externe pour M) si elle ne prend pas son sens, ses enjeux et sa dynamique même dans la lutte des classes telle qu’elle est prise dans la contradiction prolétariat-capital ? La communisation doit venir d’un ailleurs de la lutte des classes que l’on pourrait saisir par la question des désirs inscrits dans une vision anthropologique de l’homme, mais les besoins et les désirs sont toujours ceux qu’une société produit, ni plus ni moins extérieurs ou intérieurs que tout ce qui constitue les individus.
Le texte de M est motivé par la recherche d’extérieur à la lutte des classes et de « poches de résistance ». Mais, M met dans le même panier des poches de résistances ce qui relève de la débrouille individuelle et les pratiques nécessitées par certaines luttes. En avoir assez du travail et voler n’a pas grand chose à voir avec en finir avec la dialectique travail-capital : on est au contraire en plein dedans et c’est justement pour ça que ces pratiques existent. Il est difficile de repérer des relations qui abandonnent le capital même si on râle quand le réveil sonne le matin pour aller bosser ou aller à l’ANPE ou quand on se fait choper par les vigiles dans un magasin. M nage en plein idéalisme sur des pratiques qu’il suppose minoritaires donc subversives. Elles ne sont ni l’un ni l’autre. De plus, il est aberrant de dire que ces pratiques relèvent de la production d’un effort de créer des extériorités, il faut être philosophe ou artiste pour dire ça. Mettons que ce soit le cas, alors toute la tentative de M pour définir les révolutionnaires et leur intervention tombe à l’eau car tout le monde est révolutionnaire.
Il s’agirait pour la classe ouvrière d’attaquer son « rôle de force de travail » de la même façon que lorsque, citant Butler, M dit qu’elle « cherche à montrer que les hommes et les femmes sont des fabrications ». En effet, il s’agit simplement de s’affranchir de normes aliénantes pour laisser s’exprimer un « moi » jamais défini mais émancipé du social. La force de travail n’est pas qu’un rôle qu’il s’agirait de prendre en charge ou pas, ça détermine tout ce que l’on est et tout ce que l’on fait, et c’est pour cette raison que les interventions communistes ne surviennent pas continuellement (laissons ici de côté la question de l’intervention). Ce n’est pas parce que « les ouvriers évitent de reproduire les rapports sociaux qui génèrent la plus-value » que « le capital total tombera comme un château de cartes. ». Les rapports de production ne s’évitent pas et on ne s’en éloigne d’aucune façon : soit ils sont et on est pris dedans, soit la production d’autre chose est leur abolition. On connaît la vieille illusion selon laquelle il suffirait que les ouvriers s’éloignent de l’Etat, du travail et de la monnaie pour que tout ceci s’effondre. Vieille illusion idéaliste qui consiste à ne pas considérer les individus comme n’étant que leurs rapports sociaux.
Ainsi, abordant la « pratique effective » devant constituer un « mode d’emploi pour notre propre intervention » (entendre celle des révolutionnaires), M isole certaines pratiques des luttes particulières dans lesquelles elles prennent forme : refus ou désertion du travail, grèves sauvages… M, comme les adeptes de la radicalité anticapitaliste, hypostasie quelques pratiques et du coup y voit une essence : la distanciation d’avec la dialectique capitaliste. Le problème est que sortie de considérations ethético-artistiques sur la révolution (« la révolution est un art » dit M), aucune pratique ne porte en soi la remise en cause de ce que l’on est dans le capital. Les pratiques sont les décisions prises par les prolétaires dans un mouvement, c’est la « réflexivité pratique » dont parle M qui s’exerce dans toute lutte et qui est liée aux nécessités imposées par l’exploitation, telle qu’elle se présente à un moment donné dans l’histoire et au vu des contraintes particulières d’un conflit donné. Alors il n’est pas possible de désigner des pratiques comme étant la voie royale vers la révolution et à l’inverse d’en épingler certaines comme ne faisant que développer le capital.
Quand M fait référence au mouvement argentin, il n’a pas saisi que justement l’intérêt de ce mouvement est de nous faire apercevoir que c’est parce qu’elle est dans et contre le capital que la lutte peut déboucher sur autre chose et uniquement sur cette base : les contraintes et enjeux de cette situation qui n’est qu’une façon de « faire avec » les espaces capitalistes même si c’est dans le mouvement menant à leur destruction. Ces pratiques peuvent montrer la nature du cycle de luttes actuel, annoncer la rupture à venir comme produite à partir de la lutte de classe de notre époque, mais elles ne sont encore qu’un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe contre le capital. Elles ne sont qu’un effet de ce que, dans le cycle de luttes présent, agir en tant que classe contient, contre le capital, sa remise en cause en tant que classe. C’est dans la destruction du capital qu’on est amené, parce qu’on n’a pas le choix, à trouver d’autres modes d’organisation et d’autres pratiques que celles ayant cours jusqu’alors. Il n’y a pas d’extérieur au capital et M nous dit pourquoi lorsqu’il parle de la subsomption réelle.
M offre à tout un milieu de continuer à faire ce qu’il a fait jusqu’à maintenant, mais de le comprendre autrement. Les luttes autonomes, contre « les médiations qui désarment la lutte de classe », ce sont, leur dit-il, des « pratiques immédiates orientées par le désir », « ce que nous voulons c’est sortir du capitalisme », « le refus du travail et les grèves sauvages sont deux exemples de la production de cette sphère ». Que ces « sphères extérieures » soient « écrasées » ou « aspirées par les rapports capitalistes », n’empêche pas d’avoir donné à ce petit milieu « contemplatif » (comme il le définit) une perspective qui lui donne l’impression de sortir de la « contemplation » sans sombrer dans l’alternativisme.
M nous engage à faire quelque chose sachant que c’est impossible (toute action de ce type ne peut être qu’ « anéantie » ou « absorbée » dit M, ce qui, clairement signifie qu’elle ne peut pas exister). Mais, il faudrait faire comme si, faire semblant de « communiser », tout en sachant que ce n’est pas la réelle « communisation ». Ce n’est pas la construction d’une vie alternative que propose M, mais le supplément d’âme qui permettrait de nous extraire de la mort de la dialectique devenue « tautologique » entre le capital et le travail. L’effondrement de la transcroissance des luttes revendicatives à la révolution qui, du comité de grève aboutissait à la gestion ouvrière de la société est pour M la fin définitive de toute perspective issue de la « dialectique entre le capital et le travail ». Pour M, cette transcroissance est la forme unique et définitive de cette dialectique, son unique forme possible devenue maintenant stérile. M ne peut concevoir un cycle de luttes où, pour le prolétariat, être en contradiction avec sa propre existence comme classe, la remise en cause de sa propre situation dans son action en tant que classe, s’enracine et se produit dans les luttes immédiates comme l’annonce de leur dépassement. La « dialectique entre le capital et le travail », pour M, est figée dans la forme historique de la montée en puissance de la classe et de son affirmation.
Il n’y a pas deux communisations, mais une lutte de classe qui contient le moment de son dépassement, qui le produit. M sait que le communisme est l’abolition de toutes les classes et que cela est le processus même de la révolution. En cela M a parfaitement saisi toute l’importance et toute la difficulté du concept de communisation. Mais il raisonne de façon formelle : si c’est l’abolition des classes, cela ne peut résulter de la contradiction dans laquelle les classes sont définies. Il faut donc sortir de la contradiction pour abolir les classes, là est l’erreur essentielle. Mais cette erreur n’est pas une simple erreur sur ce qu’est une contradiction et plus particulièrement la contradiction entre le prolétariat et le capital. M veut du positif, du positif dès maintenant.
La production du communisme est l’œuvre du prolétariat en tant que tel, c’est-à-dire comme classe de cette société. Elle est alors soumise au développement des contradictions de classes de cette société, à leur histoire. Personne ne peut sortir de ce dilemme. « L’élément contre-dialectique (c’est-à-dire ce qui sort de la dialectique entre le travail et le capital, nda) ne peut être produit que par des gens organisant des relations qui bousculent la lutte économique. Le refus du travail et les grèves sauvages sont deux exemples de la production de cette sphère ». Mais si « l’élément contre-dialectique » est produit dans la « dialectique entre le capital et le travail », comme semble le suggérer ces exemples, c’est toute l’architecture du texte de M qui s’effondre.
Non seulement, comme dit M, ces moments sont intriqués dans la lutte contre le capital, mais encore ils en sont une détermination interne de cette lutte. M a mis au point une méthode imparable : au niveau des faits, c’est intriqué, inséparable ; au niveau de la tendance, c’est un extérieur, une « dimension externe » de la lutte de classe. Au niveau des faits, toutes les vaches sont grises ; au niveau de la tendance, elles sont blanches ou noires. Sortir du mouvement de la réflexivité de la contradiction comme implication réciproque cela ne pourra être que quelque chose de massif, de catastrophique, une révolution, une réaction en chaîne démontant les rapports capitalistes et en remontant d’autres tout autant en chaîne.
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Que faisons-nous? - R.S.
samedi, 19 janvier 2008
version reprise suite à l’assemblée rédactionnelle de Meeting 4
« Que faisons-nous ? » n’est pas « Que faire ? ». La question n’est ni prescriptive ni normative, ni performative, elle ne suppose aucun but à atteindre, elle ne désigne pas un « rôle » ou des « tâches ». Le communisme, n’est pas pour nous, maintenant, un état social à réaliser ou dont il faut préparer l’avènement, nous ne nous situons pas dans un rapport à un futur. Du communisme nous ne connaissons que les contradictions internes de la lutte de classe actuelle et le cours du capital comme contradiction en procès par lequel le prolétariat, en tant que classe, est constamment en contradiction avec sa propre définition comme classe. Nous n’indiquons aucun chemin car le chemin se fait en marchant.
« Que faisons-nous ? » n’est pas une plateforme, une présentation de l’activité de cet ensemble flou que sont les participants à Meeting. « Nous » ce ne sont pas « les gens de Meeting » qui se reconnaitraient uniment dans ce texte comme le montrent, dans ce numéro, les débats autour de la « question de l’intervention » à l’occasion de l’appel à la constitution des « Piquets volants ». « Nous » est une construction abstraite, mais pas pour autant un être virtuel. Une certaine situation sociale, une contradiction historiquement spécifique entre les classes désignent totalitairement ses pratiques et ses acteurs dans leur diversité. Dans cette assignation, dans cette interpellation, dans cette diversité, il y a « Nous ». « Nous » ne renvoie pas à une groupe d’individus particuliers et ne pouvant en désigner un autre, il ne renvoie non plus à une neutralité objective plus ou moins universelle dans les limites de « la classe ». La singularité de ce « nous » tient au fait qu’il se situe entre les deux, à l’intersection de la somme de particularités et de l’énoncé impersonnel et objectif, car le « nous » n’est pas que fait, il fait.
Analyser, écrire, faire la théorie de l’époque, la rendre publique dans la mesure de nos moyens, la diffuser, organiser des rencontres, des réunions, être dans une lutte lorsque l’occasion directe se présente, rendre nos positions incontournables dans le milieu où l’on discute de révolution et de communisme, tout cela, c’est-à-dire ce que nous faisons, répond à quelques principes simples :
être élément réel des luttes, c’est-à-dire sans les comparer à un archétype de la bonne lutte, sans les insérer dans une quelconque stratégie ;
attacher la plus grand importance à la caractérisation du cycle de luttes ;
être partie prenante des luttes, soit personnellement et directement soit par une attention intense et engagée ;
se sentir intimement investi dans la formation d’un courant pour la communisation ;
être cuirassé contre les accusations d’attentisme ;
ne plus décliner la théorie en « grands travaux » et applications comme « slogans » et « revendications ».
ne parler au nom de personne.
attaquer toute position normative, programmatique, toute propagande, toute vision de la révolution comme suspendue à la diffusion et la reconnaissance préalable de la bonne théorie.
Qu’est-ce actuellement une « position communisatrice » ? S’il s’agit d’une liste de préceptes révolutionnaires sur la révolution comme communisation et le communisme comme moyen même de la lutte révolutionnaire, s’il s’agit d’une forme radicale de : « une seule solution la révolution », alors il est vrai qu’aucune position communisatrice ne peut infléchir de quelque façon que ce soit le cours des luttes actuelles. Mais si les luttes sont théoriciennes cela implique qu’elles sont très « bavardes », on y parle de tout et de n’importe quoi mais jamais par hasard ni à tort et à travers. Une position communisatrice c’est, sur la multiplicité des sujets abordés, n’avoir jamais de position normative et surtout, positivement, être capable de reconnaître, si cela se produit, le moment où, dans une lutte, une action, une façon de s’organiser ou de ne pas s’organiser, de chercher des alliances, d’abandonner ou d’élargir les revendications originelles, une position vis-à-vis des organismes de luttes existants officiels ou non, une position vis-à-vis de la négociation, des activités « suicidaires » ou de dérisions de l’adversaire et partant de soi-même dans son rapport à lui, créent cet écart qui est la dynamique du cycle de luttes actuel.
La dynamique de ce cycle de luttes n’est pas un principe abstrait, mais l’écart que certaines pratiques actuelles créent à l’intérieur même de ce qui est la limite générale de ce cycle de luttes : agir en tant que classe. Mais il ne s’agit que d’un écart à l’intérieur de la limite qui se crée de par la dualité que contient cette limite ( n’avoir pour horizon que le capital ; être en contradiction avec sa propre reproduction comme classe). Il n’empêche qu’imbriquée dans le cours des luttes quotidiennes et ne pouvant exister que dans cette imbrication, la liaison des luttes actuelles à la révolution n’est plus seulement une « abstraction théorique ».
Nous sommes théoriquement et pratiquement les guetteurs et les promoteurs de cet écart, c’est cela avoir des positions communisatrices et si nous ne les avons pas personne ne les aura à notre place.
Que de telles positions n’infléchissent pas le cours des luttes actuelles est loin d’être une évidence. Il faut préciser deux points : « infléchir » et quel est le « nous » en question et dans lequel je m’inclus.
Les luttes, on l’a dit, sont « bavardes » pour la même raison qu’elles sont théoriciennes : le prolétariat n’a pas de conscience de soi, sa conscience est la connaissance de son autre, c’est par là une conscience théorique et dit de façon condensée : une théorie. Dans ces « bavardages », ces affrontements (il ne peut pas y avoir d’unanimité dans les luttes, c’est définitoire de la situation du prolétariat et de la « conscience » qu’il en a), il ne s’agit pas de défendre un credo, mais nous pouvons nous faire entendre et infléchir. L’écart n’existe pas comme une force sous-jacente qui pourrait ou non venir à la lumière, il n’existe que dans des expressions et des pratiques sinon il n’existe pas, ce n’est pas une potentialité. Tout ne peut pas arriver, mais ce qui arrive doit être fait. L’inflexion c’est une action, une attitude, une prise de position dans les affrontements inhérents à toute lutte, c’est reprendre au vol ce qui, parfois très brièvement, est dans l’humeur du moment, le formaliser, insister...Si ce que nous disons du cycle de luttes actuel est valable alors l’inflexion par des positions communisatrices (telles que définies plus haut) existe.
Quel est le « nous » dont je parle et auquel je m’adresse ? Ce n’est pas le cercle très restreint des plus ou moins initiés à la théorie communiste et les « radicaux » par nature et profession. Ce « nous » est trop restreint par rapport aux questions mêmes qui sont ici abordées. Par rapport aux questions abordées, le « nous » qui est ce sujet qui infléchit par ses positions communisatrices (telles que définies) c’est le militant piqueteros qui met en avant la subjectivité, la critique du travail et sape l’auto-organisation, c’est le kabyle qui considère les aarchs comme quelque chose qui lui est étranger et par là même qui se transforme lui-même en se considérant comme étranger à ce qu’il est dans cette société, c’est le « sauvageon » de l’entreprise, c’est l’activiste du mouvement d’action directe, c’est l’ouvrier « suicidaire », c’est le chauffeur de car de Milan ou le métallurgiste de Melfi qui lutte contre le capital sans considérer que ce qu’il est dans la société est la base d’un faire valoir social, etc.
La pratique du prolétariat est toujours une pratique consciente, mais pratique consciente d’une classe qui n’est jamais confirmée dans la reproduction d’ensemble de la société, cette pratique consciente n’acquiert jamais la caractéristique d’un destin (c’est-à-dire du mouvement autoprésupposé de la totalité : la production est reproduction), elle se rapporte toujours à elle-même par la médiation du capital, elle ne se prend jamais elle-même directement pour objet, ce retour médié sur soi qui ne peut jamais être une conscience de soi immédiate (c’est pour ça que les luttes sont si « bavardes ») c’est la théorie dans son sens le plus large, consubstantielle à l’activité même du prolétariat dans la lutte des classes. C’est une différence fondamentale avec la conscience de la classe capitaliste. La classe capitaliste aussi ne se connaît elle-même (et ses pratiques) que dans son rapport à la classe qu’elle a en face d’elle et dont elle peut même reconnaître l’existence en tant que classe ; elle peut même accepter le caractère inconciliable des intérêts de cette classe par rapport aux siens propres. La grande différence c’est que dans l’activité de la classe capitaliste le capital subsume le prolétariat, en cela la propre connaissance de son activité particulière devient la connaissance de la totalité. Le capital se présuppose lui-même, la médiation est dépassée (engloutie). On peut alors, pour la classe capitaliste, parler simplement de conscience, c’est-à-dire de connaissance de soi-même et de l’activité qui définit cet être, parce qu’elle devient un simple rapport de cet être à lui-même. Cela est radicalement impossible du côté du prolétariat, c’est pour cela que nous parlons de conscience théoricienne ou théorique et pour éviter toute ambiguïté, nous dirons que le rapport à soi du prolétariat n’est pas conscience mais théorie en ce qu’il passe par ce qui n’est pas lui et ne peut dépassser la médiation (contrairement à la classe capitaliste).
Ce que l’on entend habituellement par théorie n’est pas la simple formalisation de l’existence théorique générale de la lutte de classe. Dans ce sens restreint, la théorie n’est pas un instrument d’enregistrement passif. C’est d’abord un travail particulier de formalisation intellectuelle plus ou moins systématique s’appuyant sur un corpus déjà existant, le retravaillant pour produire de nouvelles connaissances ; travail difficile et qui ne va pas de soi. En matérialistes scrupuleux, ceux qui s’y livrent ont souvent tendance à prendre cette chose comme non significative, ils aboutissent alors à idéaliser (au sens habituel et au sens philosophique) la réalité dans la confusion du « concret de pensée » et des existences. Nous dirons donc que la théorie (dans ce sens là) n’est pas la simple expression formelle de la détermination théorique consubstantielle à l’existence et à la pratique du prolétariat.
Si, dans ce sens restreint ou formel, la théorie pose problème ce n’est, bien sûr, pas sans rapport avec le sens général. C’est le même mouvement par lequel existe comme théorique l’existence et la pratique du prolétariat dans sa contradiction avec le capital qui est mouvement de reproduction du mode de production capitaliste et se résout dans cette reproduction (qui est aussi reproduction du prolétariat). Ainsi la détermination, nécessairement théorique de l’existence et de la pratique du prolétariat, ne peut se confondre avec le simple mouvement de la contradiction-reproduction de la classe dans sa relation avec le capital qui constamment nie cette détermination (la fait disparaître). Par rapport à ce mouvement, elle s’abstrait en formalisation intellectuelle théorique qui entretient alors un rapport critique avec cette reproduction. La détermination théorique de l’existence et de la pratique du prolétariat parce qu’elle est effective mais se résout dans la reproduction du capital, se précipite (cristallise) en une abstraction critique par rapport à elle-même. Abstraite et critique par rapport à l’immédiateté des luttes, c’est là sa relative autonomie. Aucune théorie se contente de dire « voilà ce qui arrive « , « ça parle ». La théorie transforme, retravaille, ce qu’elle condense, elle a ses propres critères (l’abstraction et la critique). La condensation théorique est un changement d’état.
Dans le mode de production capitaliste l’implication réciproque est subsomption (reproduction), par là ce que nous produisons comme théorie dans son sens restreint est bien une formalisation de l’expérience actuelle des prolétaires, mais elle est loin d’être la conscience immédiate massive de cette expérience, elle est abstraction et critique de cette expérience. Cela ne tient pas à une scientificité mais au mouvement complet de la contradiction entre le prolétariat et le capital. L’expérience nous donne immédiatement et massivement qu’une conscience de l’antagonisme (de l’opposition simple et symétrique dans l’implication réciproque) et seulement médiatement une conscience de la contradiction (c’est-à-dire, à partir de la subsomption elle-même, de l’unité asymétrique et, dans cette unité, parce qu’asymétrique, le procès de son dépassement). La théorie est cette conscience qui n’est pas la conscience immédiate de l’expérience, même si elle y est immergée.
A ce titre, la théorie dans son sens restreint fait tout autant partie de la lutte de classe que n’importe laquelle des activités qui la constituent. La théorie dans son sens général et dans son sens restreint sont des productions constantes au cours de la lutte de classe, elles sont nécessairement liées, elles peuvent tout aussi bien être leur constant passage de l’une en l’autre que s’affronter. Dans son sens restreint, elle ne préexiste jamais comme constituée, ni comme projet, elle se remet en chantier dans la lutte de classe et plus empiriquement dans les luttes immédiates parce qu’elles la remettent en chantier, elle est contredite, elle reprend la contradiction, elle fixe des objectifs, des limites parce qu’elle est produite à ce moment comme objectifs, elle est compréhension et anticipation mais ne se fixe jamais comme compréhension achevée ni comme anticipation à réaliser. En un mot, elle est active, vivante parce qu’elle sait que la condensation n’est pas un reflet, une expression immédiate de l’expérience. Elle ne se place jamais du point de vue d’un but à atteindre pour lequel il faudrait mettre des moyens en oeuvre. Le but c’est ce que produit le mouvement, le communisme c’est ce que produit la lutte des classes et à partir de là je ne suis pas un précurseur du but, toujours un peu orphelin de celui-ci, mais seulement impliqué dans le mouvement, impliqué théoriquement ce qui n’est ni attentisme ni extériorité.
Se poser la question du « rôle » de la théorie c’est admettre que ce sur quoi, ou même dans quoi, elle a un rôle à jouer existe sans elle. C’est admettre la lutte de classe sans théorie ce qui est une contradiction dans les termes, ce qui n’a jamais existé et n’existera jamais.
Nous en arrivons alors à ce « nous » restreint désignant les gens « s’occupant de théorie, se posant dès maintenant la question de la révolution et du communisme ». On ne peut renvoyer au futur de la révolution « l’emparement » de la théorie par la « lutte de classe pratique ». Cette dernière position a toute une histoire, on l’a trouve déjà exprimée chez Marx de la façon suivante : « La théorie n’est jamais réalisée dans un peuple que dans la mesure où elle est la réalisation des besoins de ce peuple (...) Il ne suffit pas que la pensée recherche la réalisation, il faut encore que la réalité recherche la pensée. » (Contribution à la critique de la philosophie du droit).
Faisons un petit retour sur l’IS pour éclairer la question : « Nous avons dit les idées qui étaient forcément déjà dans ces têtes prolétariennes, et en les disant nous avons contribué à rendre actives de telles idées, ainsi qu’à rendre la critique en actes plus théoricienne, et décidée à faire du temps son temps. » (Debord et Sanguinetti, La véritable scission..., p. 14). Il ne s’agit plus alors de mesurer la production théorique à l’aune de son influence : « L’autonomie prolétarienne ne peut être influencée que par son temps, sa propre théorie, et son action propre. » (ibid, p.100). Cette conception demeure, enfermée dans une problématique programmatique. La théorie existe et la lutte de classe vient à sa rencontre. La lutte de classe n’est pas elle-même conçue comme productrice, la théorie existe déjà.
« Contrairement aux vieux micro-partis qui ne cessent d’aller chercher les ouvriers, dans le but heureusement devenu illusoire d’en disposer, nous attendrons que les ouvriers soient amenés par leur propre lutte réelle à venir jusqu’à nous (souligné par moi) ; et alors nous nous placerons à leur disposition. » (IS 11, p. 64). Toute cette conception de la théorie, comme corps constitué et préexistant, est à l’oeuvre chaque fois que l’IS envisage sa production théorique comme le fait de rendre conscientes les tendances inconscientes des luttes : « le mouvement des occupations » (IS 12, p 19), l’émeute de Watts (IS 10). La pratique rechercherait une vérité que la théorie détiendrait et c’est pour cela que cette pratique viendra à sa rencontre.
Le problème, c’est que l’on « oublie » que la théorie est elle-même le produit des conflits de ce monde, que ces conflits ne recherchent pas leur vérité, ils en sont le vrai mouvement théorique producteur. La pratique ne recherche pas sa vérité dans une théorie préexistante ou même se faisant à partir d’elle. On ne peut soutenir que d’un côté, la théorie ne se constitue que dans le cours de la lutte des classes dans sa réalité la plus immédiate ; d’un autre côté qu’elle est un ensemble de vérités constitué dont le prolétariat va s’en emparer. Le temps serait chargé d’effectuer la synthèse : les luttes se dirigeraient d’elles-mêmes, nécessairement vers leur théorie, c’est-à-dire la théorie déjà constituée qu’elles « recherchent » et dont elles « s’emparent » parce qu’elles l’ont produite.
C’est au présent que nous devons penser la relation des luttes de classe et de la théorie au sens restreint. Il ne s’agit pas de proposer un nouveau programme d’actions retentissantes, ni d’aller distribuer des tracts à la porte des usines, ni de nous mettre en communauté. S’il ne s’agit que de faire ce que, plus ou moins, nous faisons déjà, il s’agit de comprendre que cela signifie deux choses : la question de la diffusion de la théorie communiste se pose ; les positions communistes peuvent infléchir le cours des luttes actuelles (si elles ne le pouvaient pas, elles n’existeraient pas). Ces deux points sont foncièrement identiques.
S’opposer à toute attitude normative c’est avoir des idées sur la liaison entre les luttes actuelles et la révolution, ce n’est pas être un bloc de cire vierge. Avoir la capacité d’être surpris par le nouveau, c’est aussi « voir » qu’il y a du nouveau. Cette capacité c’est le précipité de toutes les luttes antérieures, de la lutte des classes en général et de l’histoire du mode de production capitaliste, un précipité systématisé dans la situation actuelle et non une « mémoire », une construction intellectuelle, un concret de pensée, une théorie de la lutte des classes. L’efficience de la théorie qui en fait un élément réel ne se confond pas avec sa propre énonciation, elle n’est pas efficiente du fait même qu’elle est énoncée.
Prenons au sérieux deux choses : les luttes sont théoriciennes, productives de théorie ; la théorie au sens restreint ne se confond pas avec une simple expression (une photographie) de la lutte des classes, elle en est une abstraction et une critique. Ce que nous devons parvenir à penser c’est que comme abstraction et comme critique, la théorie au sens restreint est incluse dans la définition générale (globale) de la théorie. C’est cette inclusion, toujours présente, qui est fort problématique, c’est dans ce rapport que nous sommes à même de fonder nos interventions toujours particulières (en dehors de la « question de l’intervention ») parce que nos positions communistes ne sont pas des positions sur l’avenir (le futur) mais des positions actuelles (l’écart). Le rapport entre la théorie au sens restreint et au sens général est précisément celui de l’écart, la théorie au sens restreint, parce qu’abstraction et critique, est elle-même une pratique de l’écart.
Le guet et la promotion de ces pratiques qui constituent l’écart ne sont ni avant-garde, ni complaisance touours déjà acquise vis-àvis de ce qui arrive pour la seule raison que cela arrive. Il s’agit avant tout de faire exister théoriquement le dépassement communiste de la manière la plus claire possible. La théorie au sens restreint est incluse dans le caractère théorique global de la lutte de classe actuelle, cette inclusion n’est pas une confusion, elle peut même se trouver en opposition frontale avec le caractère dominant de telle ou telle lutte, mais cela n’empêche que nous avons intérêt de ne rien oublier de ce que nous savons par ailleurs et même de s’en souvenir clairement, si nous voulons que ce « ce que nous savons par ailleurs » soit de la théorie, c’est-à-dire quelque chose de vivant parce que repris et travaillé par le nouveau (ressuscité même).
En ce sens, une activité, une prise de position n’a pas, au sens strict, d’objet sur lequel elles s’appliquent. La séparation entre une activité et les conditions sur lesquelles elle s’applique est une illusion rétrospective qui, récurrente, s’impose a priori comme compréhension générale de la « pratique » qui devient alors question de la « pratique », c’est-à-dire la question de l’intervention.
Par exemple, la déception ou un certain sentiment d’échec transparaissent parfois dans les textes du numéro 3 de Meeting sur le mouvement anti-CPE à Paris. Le piège rétrospectif de l’analyse d’activités particulières dans un mouvement se définit par la séparation qui a posteriori semble aller de soi (le mouvement étant clos) entre les conditions du mouvement et les activités ou les décisions de ses acteurs (vues après coup comme des objets particuliers). La déception est une inversion de la méthode, elle sous-entend l’analyse des limites d’actions particulières par rapport au mouvement, et non les limites du mouvement dont ces actions sont constitutives, mais sans lesquelles, c’est exact, il n’aurait pas été ce qu’il fut.
Le piège rétrospectif consiste à séparer ce qui, dans le meilleur des cas, était indissolublement uni : conditions et activités. Termes qui non seulement étaient unis mais absolument identiques au point qu’aucune réalité ne se présente comme la relation de ces deux termes. La séparation des deux est la reconstruction du monde au travers le question de la pratique : un monde objectif face à l’activité.
L’activité auraient pu être autre. Cela semble évident comme critique d’un « ennemi » sur mesure : le « déterminisme ». Mais l’erreur est non seulement dans la séparation des termes mais dans la conception du réel dans ces termes. Le militant qui considère toujours rétrospectivement son action actuelle a des principes à appliquer, une boite à outils toute garnie, en revanche l’acteur du moment fait avec les possibilités (qui sont elles-mêmes des actions), les pensées produites, les initiatives du moment de l’action, parce qu’il est lui-même défini par elles sans, comme tout un chacun, s’y identifier. Le piège rétrospectif transforme un mouvement de luttes qui est une somme ou mieux une interaction constamment changeante d’actions et de décisions prises, en un lieu qui devient l’objet de l’action sur lequel elle s’applique. C’est alors une reconstruction militante du réel dans laquelle l’action est « pure action » et son sujet préexistant « pur sujet constituant la réalité ». L’une et l’autre, l’activité et son sujet, ne sont pas eux-mêmes produits, ils sont face au monde qui est « pur objet ». La relation au monde est alors celle de la réussite ou de l’échec.
La question de l’intervention ou plus précisément de l’intervention elle-même comme question est un produit historique et idéologique. Jusque dans les années 1920, toutes sortes de réponses sont apportées à cette question (néo-babouvisme, marxisme, blanquisme, anarchisme, bolchévisme, réformisme, etc.), mais la question elle-même ne se pose pas. Elle n’existe pas en tant que telle, elle n’a aucun sens et ce que nous considérons comme des réponses à cette question, en réalité n’en sont pas dans la mesure où la question elle-même n’existe pas.
La « « pratique des révolutionnaires » se formalise en tant que telle et devient la question de l’intervention en même temps que l’intervention devient une question dans la mesure où la pratique devient « intervention » à partir du moment où il apparaît historiquement dans la vague révolutionnaire des années 1910-1920 que le prolétariat fait la révolution, porte le communisme, en étant en contradiction, en détruisant tout ce qui fait son existence immédiate dans cette société et tout ce qui l’exprime. On demeurait cependant, pour toutes sortes de raisons (identité ouvrière confirmée dans la reproduction même du capital…) dans une perspective révolutionnaire d’affirmation de la classe. C’est dans la formalisation théorique de la période par la Gauche germano-hollandaise qu’est produite la question de l’intervention. La Gauche décale la question de l’implication réciproque entre prolétariat et capital en problème de l’intégration de la classe et plus pratiquement en problème d’organisation, de chefs, d’organisations-fins-en-soi, de bureaucratie, et finalement et globalement de critique de toute « intervention extérieure ». Sa réflexion sur « le vieux mouvement ouvrier », son analyse de la révolution russe, et ses critiques de la politique ouvrière, amenèrent la Gauche germano-hollandaise à penser que le prolétariat faisait la révolution, portait le communisme, en étant en contradiction, en détruisant tout ce qui faisait son existence immédiate dans cette société et tout ce qui l’exprime. On conservait la révolution comme affirmation de l’être de la classe en critiquant toutes les formes d’existence de cet être.
La Gauche arrivait simultanément, d’une part à la critique de toute relation entre l’existence de la classe dans le mode de production capitaliste et le communisme, et d’autre part à l’affirmation de l’adéquation du communisme et de l’être de la classe, la contradiction était provisoirement dépassée par la compréhension / limitation de l’intégration comme relevant de toutes les médiations posées entre l’être de la classe et le communisme. Il fallait combattre et supprimer toutes ces médiations y compris et surtout l’intervention des « révolutionnaires ». Le prolétariat devait se nier comme classe du capital (acquérir son autonomie) pour réaliser ce qu’il était vraiment et qui dépassait le capital : classe du travail et de son organisation sociale, du développement des force productives. L’organisation autonome de la classe qui se différencie de l’organisation dans le capitalisme part de « l’être le plus profond de la classe de façon naturelle ». Mais c’est bien toujours la classe telle qu’elle est dans le capitalisme dont l’être s’affirme comme communisme, mais rien ne doit pertuber ce mouvement : aucune organisation permanente de révolutionnaire ne doit s’immiscer, aucun « programme » ne doit être fixé, « programme » ou organisation considérés à la fois comme nuisibles et sans effet. Position fondée sur l’affirmation d’une nature révolutionnaire transhistorique du prolétariat qui ne peut s’exprimer que de « façon naturelle », c’est-à-dire que rien ne doit perturber sous peine de contrarier son apparition. Le renversement (révolution) est « possible » parce que l’être pour le capital n’est qu’une aliénation : l’être devenu étranger à lui-même, cette extériorisation ce sont les médiations : non seulement les syndicats, la politique, la démocratie, mais aussi et fondamentalement toute activité dite alors « volontaire » et « extérieure » devenue « intervention ».
La difficulté théorique actuelle réside dans la critique de la question elle-même, c’est-à-dire dans la difficulté à penser en dehors de l’alternative intervention / attentisme, c’est-à-dire à considérer comme caduque le rapport contradictoire entre prolétariat et capital dont cette question avait été une formalisation que nous pouvons maintenant qualifier d’idéologique.
La théorie dans son sens restreint s’inscrit dans les luttes actuelles dans le moment où, intriquées dans l’action en tant que classe, des activités annoncent la remise en cause de la classe dans la lutte contre le capital et se heurtent au fait d’agir en tant que classe comme une limite, quelle que soit la forme qu’elle prend : organisationnelle, prises de positions politiques ou autres. C’est cela des positions communistes au présent, et si nous n’avions pas des positions communistes à défendre au présent, nous ne produirions aucune compréhension de ce présent.
Si nous avons des positions communistes à défendre au présent, alors la question de la diffusion se pose comme conflit à l’intérieur de l’activité de la classe. Feuerbach dit quelque part que le fou fait n’importe quoi n’importe où et Lino Ventura dans les Tontons flingueurs que le fou est capable de tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. Evitons donc d’être fous, pour le reste c’est affaire d’analyses et de flair.
R.S
Comments
Accords et divergences - Denis
samedi, 19 janvier 2008
Dans la compréhension de la société capitaliste comme une société de classe où la classe capitaliste et le prolétariat sont impliqués réciproquement dans un rapport contradictoire gît la possibilité d’engendrer un processus créatif, celui de la production du communisme. Qu’une telle compréhension soit à la fois produite par et productrice de ce qu’elle décrit semble être un point d’accord entre les participants de Meeting. Personne n’y défend l’idée que la lutte des classes ne serait qu’un mythe mobilisateur qu’il conviendrait de froidement abandonner maintenant que la mode en est passée. Mais personne n’y admet non plus la thèse que la compréhension théorique en question n’est qu’un sous-produit du développement des rapports de classes qu’il faudrait quasiment oublier pour ne pas polluer par d’intempestives interventions l’évolution fatale du capitalisme vers le communisme. L’effort de Meeting est tout entier tourné vers une tentative pour penser en dehors de ces deux caricatures. Les développements pris par la discussion entre Bernard Lyon et Roland Simon à la suite du texte d’Amer Simpson ont été l’occasion, à ce sujet, d’une salutaire mise au point, lorsque le second, prenant un peu le contre-pied du premier, a reconnu à la théorie une capacité à infléchir le cours des luttes actuelles.
Il ne reste donc, pour séparer les intervenants de Meeting en deux « courants », qu’une tendance à poser en priorité son regard sur la poule des rapports sociaux ou sur l’oeuf de la compréhension théorique et de ce qu’elle engendre en pratique : autant dire que c’est plus une divergence de méthode que de contenu, même si, bien entendu, les divergences de méthode sont aussi des divergences de fond. Je pense donc que, au-delà des approches qui sont différentes et même opposées sur certains points fondamentaux, les participants de Meeting parviennent à élaborer un contenu commun substantiel, mais qu’en même temps ces divergences d’approche obscurcissent parfois le caractère commun du dit contenu.
Je voudrais donc ici, dans un premier temps, rapidement évoquer ce que j’entends par « divergence d’approche » ou « de méthode », pour expliquer en même temps pourquoi à mon sens Meeting n’est pas l’instrument adéquat pour les creuser, mais plutôt pour les mettre de côté afin de se concentrer sur des points de débats ayant une certaine portée pratique. La suite de mon article sera consacrée à répondre à Roland Simon qui, dans Etat des Lieux, critique certaines de mes positions. J’essaierai alors de montrer comment le contenu commun que l’on peut dégager au prix de certaines reformulations rendent à mon sens inopérantes les lignes de partage dégagées par Roland autour de ce qu’il appelle « l’équivoque de la problématique de la communisation », puis je terminerai par quelques remarques inspirées pas la « théorie de l’écart ».
Les premières lignes d’Etat des lieux sonnent comme un avertissement. Certes, admet Roland, ses thèses principales (le capital comme « contradiction en procès », le prolétariat « en contradiction avec sa propre existence comme classe », etc.) sont de la « spéculation » : mais il ne faudrait pas oublier qu’il en va de même pour des oeuvres comme « les Manuscrits de 1844, l’Idéologie Allemande, les Gloses marginales sur le roi de Prusse et la réforme sociale, les Grundrisse et maints passages du Capital ». Bref, on peut adresser, si on veut, à Roland Simon le reproche d’être spéculatif, mais alors, ce reproche, il faut aussi le faire à Marx. Je suis bien d’accord avec Roland sur ce point. L’origine de ce qui pose problème, actuellement, dans la méthode de Théorie Communiste est à rechercher chez Marx.
Ce n’est pas, cependant, dans le caractère « spéculatif » des propositions théoriques en question que le problème se niche. Si « spéculation » est à prendre ici comme synonyme « d’abstraction », je ne vois pas comment on pourrait le reprocher à une théorie. Il est dans la nature de la pensée qui cherche à se situer à un certain niveau de généralité d’être abstraite et partant spéculative, voire, dans une certaine mesure, schématique. Le schématisme n’est pas en soi un problème. Il est souvent un moment nécessaire de la compréhension des choses. Le danger vient plutôt de la tentation d’en rester là, et de laisser subsister comme des réalités distinctes ce qu’on a seulement séparé pour les besoins de l’analyse. Mais, là encore, Théorie Communiste échappe à cette critique car les concepts que Théorie Communiste emploie sont des concepts dynamiques, qui ne se comprennent pas pris isolément mais au contraire dans les relations qu’ils entretiennent entre eux.
Ce qui est déjà beaucoup plus gênant, c’est la manière dont les développements de Théorie Communiste ne peuvent se trouver admis et même à la limite compris qu’à la condition d’avoir intégré au préalable une certaine démarche conceptuelle non soumise à discussion et tenue, apparemment, pour évidente. J’ai déjà eu l’occasion de soulever ce point en écrivant, dans une contribution au débat sur l’auto organisation organisé par Meeting les 11 et 12 mars 2006, que « beaucoup des raisonnements développés par Roland sont ce que j’appellerais auto-réferentiels : c’est à dire qu’ils doivent avoir été admis d’avance pour pouvoir les suivre jusqu’à leurs conclusions ». Ce reproche méthodologique, je l’avais alors adressé à Roland et plus généralement à Théorie Communiste mais c’est bien à l’usage de la philosophie de Hegel par Marx qu’il faut faire remonter l’origine du problème.
Notre propos n’est pas ici de nier l’influence de la philosophie hégélienne sur Marx, mais de soutenir qu’une telle influence n’est plus la force, mais est devenu la faiblesse de la théorie révolutionnaire. Ceci parce qu’aucune philosophie, aussi brillante soit-elle, ne peut épuiser le champ des possibles et embrasser la réalité dans sa totalité : cette prétention, marque indispensable de toute philosophie d’envergure, est pourtant aussi la limite intrinsèque de son projet. La pluralité irréductible des philosophies est la preuve qu’aucune d’entre elle n’a jamais achevé la philosophie elle-même, dont tout porte à croire qu’elle est inachevable. C’est que la philosophie toute entière ne se tient pas dans la réponse, mais dans la question.
Dès lors, rompre avec la philosophie ne peut se faire qu’en évitant de devoir prendre une position définitive dans des débats qui lui sont structurels. Poser la dialectique comme la seule méthode adéquate à la pensée de la transformation sociale, c’est vouloir soutenir une telle pensée par une prise de position philosophique qui échoue à dépasser la philosophie.
Il ne s’agit pas ici de rentrer dans de profonds débats sur la nature de l’hégélianisme, puisque parachever la rupture avec la philosophie doit aussi conduire à éviter de se conduire en spécialistes de cette forme de pensée. Mais on doit comprendre que quelque soit l’intérêt de la méthode dialectique, il ne peut être question de considérer celle-ci comme un simple instrument, neutre quand à ses présuppositions et déterminations, alors qu’il s’agit nécessairement d’une prise de position, au sens fort, dans des débats fondamentaux (sur ce qu’est l’être, la vérité, la pensée etc...) et proprement indépassables (car prétendre les avoir dépassés, c’est toujours en fait avoir pris fait et cause pour un des termes du débat, et donc ce n’est pas les avoir dépassés).
Bref, on l’aura compris, on ne peut pas exiger comme préalable à la théorie l’adhésion à un certain nombre de présupposés sur la nature de l’être, de la réalité, de la pensée, lesquels ne seront finalement justifiés, dans le système théorique, que par l’effet éloigné de leur admission préalable. Il s’agit de laïciser la théorie par rapport à la philosophie tout comme la philosophie s’est laïcisée par rapport à la religion. La métaphysique n’a longtemps été qu’un appendice de la théologie avant de s’en émanciper : il est plus que temps de voir la théorie communiste quitter véritablement, c’est à dire autrement que par des pétitions de principe, le périmètre de la métaphysique, ce qui ne peut pas se faire en déclarant résolues les questions métaphysiques mais au contraire en les tenant pour irrésolues.
De tout ceci il ne faut pas déduire qu’il faudrait tenir une position « anti-dialectique », puisque, refusant justement de devoir prendre position sur le sujet, il ne s’agit pas d’être plus « anti » dialectique que « pro » dialectique. La solution ne peut donc être d’abandonner la logique hégélienne au profit d’une autre qui lui serait meilleure. Peut-être la théorie doit-elle, à l’instar de la science qui considère certains phénomènes de deux manières différentes et juge pour autant ces deux manières « vraies » toutes deux (la nature ondulatoire et corpusculaire de la lumière, par exemple), être capable d’adopter une attitude à l’égard des questions concernant l’être, la pensée, la vérité, la réalité etc... qui lui permettent d’englober plusieurs conceptions, y compris antagonistes, de celles-ci. La logique hégélienne avec ce qu’elle présuppose comme positions philosophiques pourrait alors servir à exprimer certaines des thèses de la théorie communiste sans que les dites positions philosophiques ne deviennent les préalables nécessaires à toute théorie. Suivant les nécessités propres à la théorie, la pensée et l’être pourraient alors se trouver tour à tour conçus comme identiques, ou séparés, ou pourquoi pas parallèles, etc.
J’ai renoncé à livrer totalement le fond de ma pensée dans cet article, par manque de place et de temps. En deux mots, je pense qu’il est nécessaire de séparer rigoureusement les champs d’activité de la philosophie et de la théorie, mais ce sans prétendre pour autant qu’on aurait ainsi posé les bases d’une critique radicale de la forme d’existence classique de la philosophie ou que les questions de la philosophie ne se poseraient plus parce qu’on les aurait dépassées. On pourrait dire que philosophie et théorie se différencient par des démarches différentes, ce qui doit conduire à les envisager comme deux « disciplines » clairement distinctes : la philosophie, dans ce qu’elle a de plus métaphysique, cherche à embrasser la totalité par la pensée, tandis que la théorie vise à doter la révolte d’une arme dans la guerre du temps.
Bien entendu un tel sujet mériterait des développements bien plus conséquents mais je ne pense pas que Meeting soit le lieu le plus approprié pour un tel débat. Il faudra donc certainement le poursuivre sur le site de l’Angle mort, là où il s’est initié, avec les contributions de Christian Charrier, Roland Simon ou encore celle, plus récente, de Daredevil, qui, tout en critiquant la théorie selon Théorie Communiste se demande s’il est seulement possible d’en faire une autre.
Ce préalable me semblait pourtant nécessaire pour tenter d’expliquer pourquoi les lignes de partage dégagées par Roland dans Etats des lieux ne sont pas forcement pertinentes à mes yeux. Je parle, naturellement, des lignes de partage dégagées dans la seconde partie intitulée, « Equivoque de la problématique de la communisation » puisque pour la première partie, il me parait parfaitement juste, comme le fait Roland, de noter que parler de la révolution comme communisation « prend définitivement le large » par rapport à la révolution comme affirmation de la classe.
Pour commencer, je voudrais revenir sur la critique que fait Roland du texte que j’ai signé dans Meeting 2 et intitulé Réflexions autour de l’Appel. Un mot d’abord sur « l’embarras » qui serait le mien tout au long de ce texte, et que Roland ne manque pas de souligner. Les formulations que Roland tient pour approximatives le sont certainement : mais elle ne sont pas la marque de « l’embarras » que Roland croit y voir, et qui est son angle d’attaque pour avancer son argument selon lequel c’est ma thèse qui est bancale, et pas seulement mon style. C’est qu’en ce qui me concerne, j’ai pris au mot la charte de naissance de la revue. Ce que j’écris pour Meeting est un "work in progress", ce que j’avais d’ailleurs pris soin de rappeler dans l’incipit de Trois thèses sur la communisation. Mes articles pour Meeting ne sont pas la vulgarisation d’une théorie qui aurait pris naissance ailleurs. Il est donc naturel, lorsqu’on avance une thèse entièrement nouvelle, que sa formulation en soit parfois imprécise. On jugera peut-être tout aussi approximatif, bancal, hasardeux ou incomplet le présent article, et on n’aura pas forcément tort dans la mesure où j’ai été conduit à jeter hâtivement sur le papier quelques idées qui demanderaient à être longuement soutenues.
Mais imprécis ne veut pas forcément dire faux, et je ne souscrit pas à ce que dit Roland lorsqu’il tente de transformer la maladresse formelle en trébuchage théorique. Pour Roland, tout en cherchant une voie entre l’alternative de l’Appel et les positions de Théorie Communiste, je ne ferai que succomber « aux chants des sirènes alternatives ». Une telle critique, de la part de Roland, est bien naturelle, puisqu’elle ne fait que s’inscrire dans ce que je décrivais déjà dans l’article en question comme la tendance, chez Théorie Communiste , à « voir dans chaque tentative de poser la question communiste une démonstration du caractère inévitablement alternatif de toute démarche de ce type ». En considérant la réponse comme alternative mais la question comme valable, je ne critiquerai donc que l’immédiatisme de l’alternative, mais non l’alternative elle-même. Pourquoi ? Parce que, nous dit Roland considérer que peut se poser pratiquement maintenant la question du communisme revient à « abstraire quelque chose qui serait le questionnement qui conserverait sa valeur quelque soit les réponses apportées et même quelque soit le façon dont il est formulé ». Une telle abstraction, ajoute Roland, « ne pourrait se fonder que » sur quelque chose d’extérieur au capital, par exemple la « tendance anthropologique au dépassement des conditions existantes » , qui établirait une positivité du communisme dans le capitalisme et qui parviendrait ainsi à surpasser ce dernier .
Pourtant, de traces d’une telle positivité, Roland n’en trouve pas dans mon texte, pour la bonne raison qu’il n’y en a pas. Roland va donc devoir aller chercher ses exemples ailleurs et faire comme s’il les avait vus chez moi.
Il y a donc, tout d’abord, la référence à la « tendance anthropologique au dépassement des conditions existantes » tirée du texte de Joachim Fleur. Quel rapport avec ce que j’ai écrit ? Pourquoi, à l’appui d’une démonstration qui concerne un texte que j’ai écrit, faut-il aller chercher un exemple dans un autre texte écrit par un autre auteur ? Et surtout, comment justifier un tel procédé ? Et bien, par la magie du fameux « ne peut que ». « L’abstraction » que je défends « ne pourrait que » se fonder sur une positivité extérieure au capital, comme par exemple un « besoin humain », une « tendance anthropologique », etc.
Mais il se trouve que l’exemple est mal choisi, car non seulement je n’ai jamais fait référence, dans aucun de mes textes, à une nature humaine anhistorique, mais en plus je pense qu’en effet on ne peut pas fonder sur celle-ci une positivité qu’on n’aurait plus ensuite qu’à brandir face au monde du capital. Toute référence à la nature humaine court évidemment le risque d’absolutiser un contenu socialement et historiquement déterminé. Et pour cause, nous ne connaissons pas l’homme en dehors de la société, et lorsque nous l’imaginons nous ne faisons généralement que projeter sur lui des déterminations de notre temps choisies selon nos présupposés propres. Les tenants du communisme croiront donc voir une tendance transhistorique à la « communauté humaine », mais d’autres, comme Hobbes par exemple, tireront plutôt d’une nature jugée intrinsèquement mauvaise un argument pour la défense de l’ordre social. Ce débat risque donc de n’aboutir qu’à une opposition stérile sur le fond de la nature humaine, bonne ou mauvaise, ou pour ses formes les plus évoluées sur la question de savoir comment bâtir l’organisation sociale conforme à ce qui serait l’être authentique de l’homme.
Cependant, un lecteur attentif aura noté que par l’emploi de formules comme « court le risque » ou d’adverbes comme « généralement », je n’ai pas dénié toute valeur au questionnement sur la nature humaine, mais que j’ai seulement exclu d’y rechercher une positivité sur laquelle fonder nos perspectives de renversement du capitalisme.
Et bien, ce lecteur attentif aura parfaitement raison, et je vais en profiter pour donner ici un exemple de la manière dont on peut délimiter les champ respectifs de la théorie et de la philosophie. Le questionnement sur l’humain est impossible à éviter, parce qu’il est proprement métaphysique. Il est évident que le communisme, s’il est produit un jour, alimentera un tel questionnement de manière décisive : non pas pour l’abolir, puisque encore une fois je pense que les questions métaphysiques ne se dépassent jamais définitivement, mais pour le renouveler. Nous ne savons pas ce tout ce que peut être l’homme. S’il se réalise, le communisme nous montrera une face de l’humain encore imprévisible et ouvrira certainement la voie à de nouvelles questions le concernant. C’est pourquoi il y a dans la réalisation possible du communisme une portée métaphysique certaine, mais, à rebours, ce n’est pas cette portée qui peut servir de base à la théorie d’une telle réalisation, car ce n’est qu’une fois réalisé que le communisme nous fera découvrir sur l’humain ce qu’il peut nous en apprendre vraiment.
Je ne voudrais certes pas me substituer à Joachim Fleur pour la défense du point de vue qu’il développe dans son texte, mais je pense néanmoins ne pas le trahir en affirmant qu’il ne faut pas confondre sa vision avec celle de Dauvé et Nésic, qui affirment clairement, eux, que les prolétaires doivent agir en se rattachant à « une dimension universelle », celle de la « communauté humaine ». Joachim nous engage seulement à retrouver le fil de « cette tendance anthropologique au dépassement des conditions existantes » dont notre idée actuelle du communisme ne serait peut-être que « la forme prise nécessairement ». Il ne nous dit absolument pas que la tendance en question fonde déjà, dans le monde du capital, la positivité du communisme.
Après cette première tentative, Roland essaie ensuite de mettre en évidence l’ alternativisme dont je ferais preuve dans Réflexions autour de l’Appel en allant chercher cette fois son exemple dans le texte même que je critique, à savoir l’Appel.
Parce que la formule que j’emploie, celle d’un « processus qui ne soit pas lui-même capitaliste » et qui pourtant « prend naissance dans le rapport capitaliste » vient en effet en commentaire de la proposition VI de l’Appel, qui parle d’une « réalité apte à survivre à la dislocation du capitalisme », Roland feint de voir ces deux phrases comme absolument identiques, et utilisant indifféremment l’une et l’autre finit par me faire dire ce que dit l’Appel. Dans ce passage, pourtant, j’explique bien que cette proposition VI est ce qui fait de l’Appel un texte qui penche irrésistiblement vers l’alternative, qui est précisément ce que je critique. Je ne peux donc pas reprendre positivement à mon compte la position qui chercherait quelque chose qui « survivrait » à la dislocation du capitalisme et se serait développé indépendamment de lui. Quand à la phrase qui suit, elle n’est là que pour illustrer ce qui, à mon sens, est la « difficulté de la théorie révolutionnaire » : il s’agit pour moi de montrer que la théorie doit se débrouiller avec une apparente contradiction, celle d’un processus à la fois dans et hors du capitalisme, naissant dans le capitalisme mais niant le capitalisme, reproduisant le capitalisme et pourtant dépassant le capitalisme, etc, etc. Il n’y a rien là de bien extraordinaire, je ne fais que rappeler la manière dont le problème apparaît souvent... Je n’ignore évidemment pas la « solution dialectique » qui a été apportée à cette question, mais ce n’est pas la solution qui m’intéresse ici, seulement la question, car c’est en effet la prégnance de la question posée dans les termes que j’ai choisis qui explique à mes yeux que la « solution alternative » paraisse au premier abord si évidente. Je n’ignore pas non plus que l’adoption de la « solution dialectique » conduit en retour à modifier la question, qui devient alors : « comment un processus qui demeure strictement capitaliste peut-il détruire le capitalisme ? », la contradiction étant transposée de la pensée à la réalité selon le principe que les deux sont identiques . Mais si je voulais éviter de poser la question dans des termes qui supposent la solution déjà connue, c’était bien pour montrer qu’elle est et demeure une question, justement.
Peut-on soutenir, sans pour autant être alternatif et sans poser aucune positivité du communisme en dehors du capital, que le processus de production du communisme n’est pas lui même capitaliste, ou en tout cas pas que capitaliste, même s’il prend effectivement naissance dans le rapport social capitaliste ?
Pour répondre à cette question, revenons-en au texte de Joachim Fleur, Prolétaires, encore un effort.... Je suis entièrement d’accord avec la manière dont Joachim caractérise la place du mode de production capitaliste : « la dynamique centrale, totalisante de l’époque » . Totalisante, mais non totalité. Le monde du capital, c’est le monde qui a le mode de production capitaliste comme dynamique centrale, mais ce n’est pas le monde où le capital est totalité, même en période de subsomption réelle. L’histoire est sédimentation, et le processus historique, loin d’être une tabula rasa, n’est que la manière dont la dynamique centrale digère, recompose, réintègre et modifie, dans des degrés, des configurations et des directions incroyablement diverses tout ce que l’histoire antérieure lui a légué. Les formes sociales héritées des mode de production qui l’ont précédés, le capital les a intégrées parfois si fortement qu’elles ont parues lui être consubstantielles : et pourtant la dynamique capitaliste sait aussi les vider progressivement de leur contenu, sans que pour autant celles-ci ne disparaissent totalement, ni toutes à la fois - ce que Joachim Fleur décrit tout au long de son article de Meeting 2 et dont il donne de nombreux exemples. Il y a donc bien, sinon un en-dehors au capital, du moins des positions plus ou moins proches ou plus moins éloignées des effets les plus prégnants de sa dynamique, quand bien même celle-ci ne cesse, avec le temps, d’englober et de remodeler d’avantage le monde où nous vivons. Et il n’est donc pas si idiot d’être alternatif, c’est à dire de s’imaginer pouvoir rompre avec lui. C’est bien en observant la dynamique totalisante s’étendre et s’intensifier encore, c’est à dire ne jamais s’achever comme totalité, qu’on espère en rejoindre toujours un extérieur.
S’il s’agit de ne pas être alternatif, ni d’envisager de positivité du communisme actuellement, ce n’est donc pas seulement au nom d’un capital comme totalité à laquelle on ne pourrait échapper. C’est, de manière plus décisive, parce que la thèse issue de Marx, qui considère qu’il n’y a pas d’autre vision du communisme qu’une vision ancrée dans le mode de production capitaliste, est de loin la plus puissante des positions théoriques. Suivant cette vision, le communisme, « positivement », n’est rien d’autre que de l’anti-capitalisme, la négation terme à terme de ce qu’est le capital. Le capital est domination de classe, valeur, travail, etc, le communisme est le dépassement de toutes ces catégories. Le propre de la théorie communiste, c’est d’être la pensée de la révolte au sein de la dynamique centrale et totalisante de l’époque. Une telle révolte ne peut se comprendre elle-même que dans une relation intime avec ce qu’elle combat. Autrement dit, sans capitalisme pas de communisme, et sans lutte à la fois « au sein de » et « contre » le mode de production capitaliste pas de production du communisme envisageable. « Au sein de » et « contre », et non pas « hors de » et « contre ». Donc pas d’extériorité du communisme par rapport au capitalisme, et pas d’alternative. La révolte contre le capitalisme se découvre comme partie prenante de celui-ci, elle l’analyse dès lors comme un rapport social et elle se voit elle-même comme le produit de la situation de l’un des pôles de ce rapport. C’est la vision de la société capitaliste comme une société de classe.
Le capitalisme est le paradigme de la société de classe. Seul son développement pouvait produire la situation qui inspire la théorie des classes sociales (et donc de l’abolition des classes), à tel point que l’analyse des sociétés antérieures au mode de production capitaliste comme sociétés de classes est anachronique en ce sens que ces sociétés ne pouvaient guère générer en leur temps une telle compréhension d’elle mêmes (ce qui ne signifie pour autant pas qu’il soit faux de les considérer, rétrospectivement, comme des sociétés de classe). C’est là la clé de ce qu’on a appelé parfois le « progressisme » de Marx, qui doit moins se comprendre comme une foi dans le développement de la science ou de la production industrielle (quoi que Marx lui-même aie pu en dire) que comme cette perspective de faire enfanter par la puissance historique du rapport social capitaliste la production du communisme. La seule « existence » du communisme dans le monde du capital, c’est donc dans la lutte contre le rapport social capitaliste à la fois comme une part de ce rapport et contre celui-ci qu’il faut la chercher. Ce n’est en rien une « positivité » qui pourrait se fonder sur un extérieur au capital.
Cependant, l’histoire n’est pas que la résolution logique d’une « contradiction » (même de celle interne au rapport social capitaliste), elle est aussi sédimentation de tout ce que les sociétés antérieures (et donc leur mode de production) ont légué... Le moment ou le processus de la remise en cause du capital aboutira à l’abolition des classes ne sera pas celui, magique, ou toutes les difficultés s’aplaniront, bien au contraire. C’est ici qu’il faut absolument prendre en compte le point de vue développé par Joachim Fleur dans Meeting 2, au lieu de laisser ce texte subsister sans jamais le commenter comme cela a été fait jusqu’ici. Car quand l’abolition des classes et la production du communisme seront réellement en jeu, tout l’extérieur au rapport social capitaliste totalisant mais non total se manifestera et le communisme aura alors à affronter le vieux monde dans sa totalité (totalité réelle pour le coup). Le communisme ne sera pas produit que par le dépassement du capitalisme mais aussi par sa victoire contre tout le reste, ce qui ne se fera que si la communisation devient elle-même une « dynamique centrale totalisante » un peu à l’image de ce qu’est le rapport social capitaliste actuel.
Poursuivant le commentaire de mon texte, Roland en vient ensuite à critiquer l’usage de l’expression « aire de la communisation ». Et il écrit : « La principale objection que l’on peut faire à cette théorie est de considérer la façon dont actuellement peut se présenter la question communiste comme des activités propres à une aire particulière qui serait "l’aire de la communisation" dont les questions viendraient "donner aux luttes actuelles un sens qu’elles ne possèdent pas sans elles" et non comme rien d’autre qu’un écart à l’intérieur de l’action en tant que classe c’est-à-dire de ce qui est la limite même de ce cycle de luttes. »
Je ne voudrais pas paraître pinailler, mais enfin nulle part, ni dans Trois thèses sur la communisation, ni dans Réflexions autour de l’Appel, je n’utilise l’expression « aire de la communisation ». J’ai toujours écrit : « aire qui pose la question de la communisation ». L’aire elle-même se définit par la question qu’elle pose, elle ne se constitue pas préalablement pour ensuite poser la question, autrement dit la question est première et peut se poser dans toutes les luttes, et c’est quand elle se pose qu’elle définit, éventuellement, l’aire. Ce n’est donc pas, contrairement à ce que la construction grammaticale de la phrase de Roland laisse croire, « l’aire de la communisation » qui en posant les questions vient donner aux luttes actuelles « un sens qu’elle ne possèdent pas sans elles » : mais ce sont les questions qui, si elles se posent dans les luttes, à la fois donnent à celles-ci un sens qu’elles ne posséderait pas si les questions ne s’y étaient pas posées, et en même temps définissent une possible « aire ». Bref, l’existence de l’aire n’est pas nécessaire à ce que la question se pose, c’est l’inverse, c’est le fait que la question se pose parfois qui nous donne l’existence de l’aire.
Cette réserve étant posée, il faut pourtant reconnaître que l’expression « aire qui pose la question de la communisation » pose problème. Malgré toutes les précautions prises pour ne pas faire passer cette aire comme productrice de la question de la communisation par elle-même, indépendamment de la lutte qui ne devient plus alors que l’occasion de poser la question, il est quasiment impossible, peut-être à cause de la métaphore spatiale que le terme « aire » induit nécessairement, de ne pas voir celle-ci comme une sorte de spécialiste de la question qu’elle pose. Ce que dit Roland quand il écrit « Il existerait dans la société capitaliste une activité qui en elle-même consisterait à "poser la question du communisme" ». Cette activité évidemment existe, elle est d’ailleurs celle qui nous réunit, Roland et moi, c’est tout simplement faire de la théorie comme nous la faisons (j’y reviendrais). Mais justement je n’entendais pas donner à « l’aire qui pose la question de la communisation » cette définition restrictive que je réservais au « courant communisateur ».
C’est pourquoi je pense qu’il est préférable de renoncer au terme « d’aire ». Effectivement, il n’existe pas de position au sein de la lutte des classes qui pourrait se perpétuer et exister par elle-même par le seul fait qu’elle pose la question de la communisation (ou du communisme). La question se pose, dans les luttes, comme un élément de celles-ci, dans des termes complexes, et c’est bien une des tâche de Meeting que de chercher à voir comment, pourquoi, dans quelles conditions, etc... cela peut arriver. Comme Roland l’écrit lui-même très justement, à propos des émeutiers de novembre 2005, en réponse à une critique d’Echanges : « Nous n’avons jamais dit qu’être révolutionnaire était l’essence permanente de quelque groupe social que ce soit. C’était d’une pratique à un moment donné dont nous parlions et non d’un nouveau sujet révolutionnaire enfin radical en permanence. »
J’en arrive donc à ce qui fait, à mon avis, le point d’accord des participants de Meeting, le « contenu commun substantiel » que j’évoquais au début de cet article. Ce contenu commun est ce qui fait que des positions proches ont pu naître dans Meeting a propos des analyses sur les événements de 2005 et 2006. Roland a raison de noter que le mouvement de novembre 2005 agit comme un révélateur théorique. Les participants de Meeting, loin de se diviser sur cette question, ont trouvé une position commune qui les différencie radicalement de celle, par exemple, du Mouvement Communiste ou même d’Echanges. Ce qui fait l’intérêt de Meeting, c’est de continuer à produire ensemble des analyses comme celles-ci.
Toutefois, un tel contenu commun n’est abordé par Roland que sous l’angle de « la théorie de l’écart » , et c’est par le rappel de ce que c’est que l’écart, comme réponse aux positions d’Amer Simpson et aux miennes, qu’il clos son article. Ce n’est pas un hasard car cette théorie n’a été formulée en ces termes que pour faire tenir ensemble les nécessités propres à la théorie selon Théorie Communiste, liées au présupposés philosophiques pointés au début de cet article, et des analyses sur les luttes actuelles inspirées des rencontres et des débats qui ont tourné autour de Meeting.
Qu’est-ce que la théorie de l’écart ? « Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part n’avoir pour horizon que le capital et les catégories de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même raison, être en contradiction avec sa propre reproduction de classe, la remettre en cause. Il s’agit des deux faces de la même action en tant que classe ». Mais dans un autre texte, Roland nous apprend que la « théorie au sens restreint est elle-même une pratique de l’écart. ». Que faut-il en déduire ? Que la « théorie au sens restreint » (c’est à dire celle que fait Amer Simpson, celle que fait Roland, celle que je fais) n’a pour horizon que « le capital et les catégories de sa reproduction » ? Que donc, lorsque nous avons cru lire, sous la plume de Roland, les mots de « communisme », « révolution », « abolition des classes », etc. tous concepts qui assurément ne rentrent pas dans les « catégories » de la « reproduction du capital », nous n’avons été que le jouet de nos illusions ? Ou bien, plus simplement, n’est-ce pas que Roland ne parvient pas plus qu’Amer Simpson ou moi à ne pas faire de « la remise en cause » un moment à part, identifiable, « autonome » ? Dans la « théorie au sens restreint » la perspective de la remise en cause et donc autre chose que le seul « horizon capitaliste » existe d’une manière continue et pas seulement dans le moment où dynamique (remettre en cause la classe) et limite (agir comme une classe) s’écartent un peu. La théorie produit un écart permanent à l’intérieur de l’action en tant que classe. Et la permanence, c’est précisément ce sur quoi s’appuyait Roland pour voir dans mon « aire qui pose la question de la communisation » une « autonomisation de la dynamique de ce cycle de lutte ».
La théorie de l’écart fonctionnerait parfaitement telle qu’elle est décrite par Roland si la théorie de l’écart elle-même (et toute la théorie communiste) n’existait pas. Alors la « remise en cause » ne serait en effet que fortuitement produite dans ces moments intenses de la lutte où la dynamique prend un peu d’avance sur la limite qui s’essouffle à lui courir après (tout en restant à l’intérieur...). Puis, au soir de la défaite de la lutte, quand viendrait le retour à l’identité entre dynamique et limite, cette remise en cause s’oublierait aussi vite qu’elle était apparue.
Oui mais voilà, la théorie (pas seulement la théorie de l’écart, la théorie en général) existe, et il faut bien en faire quelque chose. Roland a du reconnaître que non seulement la théorie est une pratique de l’écart mais qu’en plus elle « infléchit » le cours des luttes actuelles. Si, donc, je suis d’accord avec lui pour ne jamais voir le fait de « poser la question communiste » comme l’activité spécifique d’un secteur de la lutte de classe ou d’un sujet quelconque, il doit, lui, être d’accord avec moi pour voir dans l’existence du fait théorique la marque de la permanence de la question communiste au sein de la lutte de classe. Dire que la question du communisme se pose dans les luttes actuelles, ce n’est donc pas obligatoirement ressusciter l’Humanité intemporelle et transcendante. C’est, plus simplement, accorder au fait théorique l’attention qu’il mérite.
Le fait théorique, c’est d’abord cette nécessité de réinterpréter ce contre quoi on se bat en fonction des besoins de la lutte, c’est donc doter cette dernière de l’arme de la compréhension du monde à partir de son point de vue. Dans une forme plus abstraite, c’est finalement saisir la réalité sociale comme identique au processus de sa transformation. Mais attention : ce n’est pas parce qu’elle est une « arme » que la théorie ne parvient pas à dire quelque chose de « vrai » sur la société, si ce n’est qu’il faut s’entendre sur la nature du « vrai » dans ce cas précis. Le critère de validité théorique est nécessairement quelque chose qui a à voir avec son caractère effectif, pratique. Si donc la théorie dit quelque chose de vrai sur la capacité du rapport social capitaliste à être dépassé en communisme, alors cette vérité doit se manifester actuellement dans la pratique : non pas comme le dépassement déjà réalisé, évidemment, mais en tout cas comme processus déjà visible quand bien même il demeure inachevé.
C’est de là que vient ce que Roland appelle la « dérive nécessaire ». Ce n’est pas le concept de communisation qui nous y mène à la dérive ou à l’équivoque, c’est le fait théorique qui ne peut trouver de validation que dans son effectivité. La recherche de ce que Roland appelle « l’existence positive » de la communisation est induite par une nécessité propre à la théorie. Comme je le rappelais au début de cet article, la théorie doit se considérer elle-même à la fois comme produite par le processus de transformation sociale ( elle pose la révolte, dont elle est l’expression, comme le produit de la situation d’un des pôles du rapport capitaliste) et comme productrice du processus (c’est dans la saisie théorique du monde social comme dynamique du changement que gît la possibilité d’engendrer le communisme). On ne peut pas avoir l’un de ces deux aspects coupé de l’autre. A ne voir la théorie que comme produite, on court le risque de poser la transformation sociale comme un pur mécanisme. C’est le piège de l’objectivisme, de l’économisme, etc. Mais là, c’est la théorie elle-même, dans sa spécificité, que l’on perd. On s’abstrait dans la contemplation téléologique du monde. La pensée du changement social, pourtant l’origine du phénomène théorique lui-même, devient inutile. Ceux qui pensent ainsi en viennent à trouver suspecte la simple volonté de transformer les choses. Etre animé d’une telle volonté, cela revient à se considérer soi-même comme un « pur » par opposition au reste des prolétaires que l’on ne peut plus que voir autrement que comme des « impurs ». Bref, pour que le changement advienne, il faudrait s’interdire de le vouloir ! D’un autre côté, à ne voir la théorie que comme productrice, on retombe dans un pur volontarisme. C’est le désir de changement social qui motive le changement, et rien d’autre. La société se présente face au révolté comme une simple occasion de satisfaire sa volonté, laquelle parait trouver sa source ailleurs que dans le fait social en lui-même. Surgissent alors les références subjectives à la nature humaine intemporelle, etc. La théorie n’est plus le point de vue de la révolte qui saisit la réalité sociale : elle n’en est que le rêve...
Parce qu’on ne peut pas avoir l’un sans l’autre, parce que la théorie est produite, certes, mais qu’elle est aussi productrice, on est obligé de chercher déjà dans le monde actuel l’effet pratique de la théorie. Mais de quel effet pratique parle-t-on ? S’agit-il de la production du communisme ? Non, bien sûr. Le seul effet pratique de la théorie, c’est de poser la question du communisme, et rien d’autre. Ce n’est pas en effet la théorie qui donne la réponse à la question, c’est le processus tout entier dont la théorie n’est qu’une part. Ce processus ne s’est évidemment pas achevé, sinon la révolution aurait déjà eu lieu. Mais de faire du communisme une question actuelle, lisible dans les luttes, c’est là l’effet pratique actuel de la théorie, et c’est ce qui fonde la même théorie a poser la production réelle du communisme comme autre chose qu’un simple rêve. Il est tout à fait vrai cependant que cet effet réel de la théorie dans les luttes actuelles (poser la question communiste) n’y est pas toujours présent, loin de là. Et aussi que la lutte n’a jamais un point de départ théorique (on ne se met pas en lutte pour le communisme). Et pour cause : la révolte précède la théorie, et non l’inverse. La révolte n’a pas besoin de la théorie pour exister. Mais, une fois entamée, c’est un fait que la lutte rend possible la production d’une manière d’appréhender le monde depuis son point de vue.
Posé ainsi, le « fait théorique » ne se limite pas à une production théorique particulière, et même pas à un type de discours particulier. Les luttes sont bavardes, il s’y dit tout et n’importe quoi, mais quand un discours, une pratique donnée, est reprise sur une échelle significative, cela a un sens. Et donc si la théorie communiste, dans son sens le plus restreint, dit quelque chose de réel sur les luttes actuelles, c’est que dans les luttes il s’y dit la même chose, même sous une forme très différente, c’est que dans ces luttes une interrogation qui a à voir avec le communisme est significativement présente.
Bien entendu, il y a de multiples manières de poser la question communiste dans les luttes actuelles (« tentatives pratiques de poser la question du communisme » , « poser pratiquement des problématiques qui ont à voir avec le communisme », « poser des questions qui sont de même nature que celles qui mèneront à la production du communisme au moment de la révolution », la formulation importe peu, l’idée reste la même). Et d’abord, en effet, cela ne se fait pas actuellement en posant le communisme comme « une question pratique formulée pour elle-même ». Le fait théorique lui-même fait partie de l’entièreté du processus, la question du communisme ne peut être formulée « pour elle-même » par l’ensemble de la lutte des classes que dans un stade très avancé de la production du communisme. Dans le stade actuel, la question du communisme n’est pas formulée pour elle-même, elle est posée négativement dans le cours de la lutte contre le capital, par bribes, par impasses successives dans l’impossibilité de se dégager de lui sans poser son dépassement et sa destruction. Elle est productrice de multitudes d’apories (démocrates radicales, syndicales, alternatives...) qui sont autant de manière de poser la question sans pouvoir y répondre, et finissent en idéologies, vision normative, etc...
La théorie que nous pratiquons ici, et qui parle bien, elle, de « communisme », est une abstraction, une « condensation théorique », dit Roland. Mais attention : ce n’est pas une abstraction du processus futur, ou du fonctionnement de la société (bien qu’elle apparaisse ainsi). Ce dont la théorie qui parle de communisme est une abstraction, c’est du fait théorique actuel. La théorie du communisme condense en un discours abstrait le fait théorique qui, dans le cours de la lutte des classes, pose la question du communisme sous les formes et les propos les plus divers, les plus hétérogènes, les plus contradictoires entre eux parfois. Autrement dit, la théorie au sens le plus restreint qui soit, celle que nous faisons ici, n’est qu’une part du fait théorique plus global qui la fonde.
Pour résumer, et essayer d’être le plus simple possible, je dirai ceci : pour atteindre sa puissance effective, le processus de production du communisme doit devenir lisible. On ne produit pas le communisme parce qu’on a décidé, au départ, de produire le communisme, mais quand on le fait on finit par savoir ce qu’on fait, et savoir ce qu’on faut fait partie de ce qu’on fait. Ce qui conduit le prolétariat à se remettre en cause en tant que classe n’est pas une prise de conscience préalable de la nécessité de se remettre en cause en tant que classe. Soit. Mais, en revanche, que le processus de la remise en cause une fois enclenché soit créateur de la conscience de la remise en cause, voilà qui ne parait pas aberrant. Quand on en est à « abolir l’échange, la division du travail, le cadre de l’entreprise, l’Etat... », quand bien même il ne s’agirait là que de mesures « tactiques », au minimum on découvre à mesure qu’on le fait ce qu’on est en train de faire, et on l’exprime. L’horizon s’élargit. Quand on détruit ce qui fait l’être du rapport social capitaliste, on finit bien par se douter que celui-ci ne va pas y survivre. Incontestablement la connaissance du but (l’horizon communiste) fait partie intégrante du processus. Faire partie du processus, c’est ne pas en être le préalable, donc ne pas le précéder, mais ça n’est pas non plus n’en être que le produit, c’est à dire n’apparaître qu’une fois que le processus lui-même est achevé... Faire partie d’un processus, c’est bien entendu aussi jouer un rôle dans celui-ci, et donc quand on découvre ce qu’on est en train de faire, une telle découverte, évidemment, influence aussi ce qu’on est en train de faire.
Ce qui rend les choses complexes, c’est qu’on doit considérer que le processus comme je viens de le décrire, qui permet de comprendre le rôle qu’il faut assigner à la théorie, à la fois a déjà commencé et en même temps n’a pas commencé. C’est cela, voir la production du communisme comme communisation. Je m’explique.
Que le processus ait déjà commencé, c’est ce que la simple existence d’une théorie comme la nôtre nous apprend. Je ne voudrais pas tomber dans le travers qui consiste à dire que quelque chose existe pour cette seule raison qu’on en parle, sinon je me trouverais contraint d’admettre l’existence de beaucoup plus de choses que je ne le voudrais vraiment. Mais enfin, dans l’hypothèse où tout ce que nous racontons dans Meeting n’est pas pur fantasme (je ne peux jamais m’empêcher d’envisager parfois cette hypothèse : même si, rassurez-vous, je pense qu’il y a de très nombreuses bonnes raisons pour ne pas tomber dans un tel pessimisme), il nous faut bien rendre compte de l’existence de la théorie telle que nous la faisons, et de sa pertinence. La théorie doit se considérer elle-même comme produite par la situation qu’elle veut changer. Donc, puisque comme abstraction du fait théorique multiforme présent dans la lutte de classe, nous avons le communisme et l’abolition des classes, même si cette abstraction est une distillation, condensation, changement d’état, puisqu’il ne peut pas y avoir de préalable théorique à la lutte, c’est que le processus au cours duquel la lutte peut se découvrir comme ce qui peut mener au communisme a déjà commencé.
Mais d’un autre côté le processus final, celui qui peut s’achever dans la production du communisme, doit être considéré comme n’ayant pas déjà commencé. Pourquoi ? Parce qu’un tel processus demeure toujours sans préalable théorique. Que nous ayons déjà une théorie de la production du communisme ne signifie pas que cette théorie sera à l’origine du processus, elle ne sera, elle ne pourra être toujours que produite durant le processus. Le processus final, s’il existe un jour, produira sa théorie du communisme qui sera d’ailleurs peut-être très différente de la notre dans sa manière de s’exprimer (mais pas sans rapport dans son fond substantiel) : car nous n’avons pour le présent que celle issue des démarrages successifs et inachevés des processus qui ont déjà eu lieu, bref notre vision du communisme est un point de vue fondé dans la lutte de classe actuelle et non pas un point de vue sur le futur.
Le processus démarre sans cesse, mais ne s’achève pas, il avorte. Roland traduit cela par un écart qui s’ouvre entre dynamique et limite, puis se referme. Si on veut une concordance entre nos deux manières de poser les choses, je dirai que chaque fois que Roland voit un écart, je vois un démarrage du processus, et chaque fois que Roland voit un retour à l’identité entre dynamique et limite de ce cycle de lutte, je vois un toussotement du moteur et un arrêt du processus. Je suis d’accord avec Roland sur un point. A l’origine du processus, il ne peut y avoir que « l’agir en tant que classe » et celui-ci se fait dans « l’horizon des catégories de reproduction du capital » . Mais là où je ne suis plus d’accord, c’est que cet agir en tant que classe produise la « remise en cause » sans que jamais cet horizon ne bouge. L’horizon bouge car nous le voyons déjà bouger et nous en posons nous-même déjà un autre, celui du communisme. Mais si nous ne le faisons bouger qu’à partir de processus avortés et sans cesse redémarrés, nous le faisons bouger quand même, c’est cela qui importe et nous apprend beaucoup sur la manière dont le processus victorieux de la production du communisme peut avoir lieu, et qui nous donne des indications sur ce que nous appelons la communisation.
Bien sur, quand le processus redémarre, il peut retrouver le fait théorique antérieur des processus qui l’ont précédé. Et comme en fait dans ma conception le processus redémarre sans cesse dans de nombreux points de la lutte de classe, le fait théorique traverse ces processus, traverse les luttes, de part en part. Une pratique, une analyse, un discours, se transmet, se reprend, se reperd, par des écrits, des expériences, le fait que les mêmes personnes participent à des mouvements successifs etc. Mais ce qui est important de relever ici, c’est que la lutte doit toujours retrouver le fait théorique comme sa production propre. C’est pourquoi il n’y a pas de transcroissance, pas de capitalisation de l’acquis des luttes, etc. Rien n’est jamais acquis parce que dans le redémarrage du processus tout doit être redécouvert, même si dans les faits cette redécouverte est rarement de la pure spontanéité.
La théorie telle que nous la faisons n’est pas le point de vue permanent des luttes, c’est un point de vue que les luttes peuvent en permanence redécouvrir, même si dans les faits les luttes ne retrouvent pas la théorie dans des termes aussi abstraits que ceux que nous employons ici (elles retrouvent le fait théorique dont notre théorie est une abstraction). Faire de la théorie comme nous le faisons ne signifie donc pas qu’en tant que « théoriciens » nous occuperions une position particulière qui nous mettrait à même de poser ou de faire poser la question communiste d’avantage que n’importe qui d’autre. Non seulement la position de « théoriciens » ne nous donne aucune position privilégiée, mais elle nous fait même, en fait, occuper une des pires. Car la « redécouverte » du fait théorique par les luttes est toujours une redéfinition de celui-ci, non pas de son rôle mais de son contenu. La lutte de classe remodèle sans cesse le contenu de la théorie, et la plus grand danger qui guette ceux qui en font de manière abstraite est de s’en couper et d’adopter une vision normative de la révolution et du communisme. C’est, si on lit attentivement l’article Réflexions autour de l’Appel, le plus grand reproche que j’adresse aux alternatifs.
Certes, je pense aussi que la connaissance fine de la manière dont les luttes peuvent redécouvrir le fait théorique fonde une conception possible d’un certain type d’intervention : car il se pourrait bien que ce qui rend possible la redécouverte la plus large et la plus profonde possible du fait théorique, c’est aussi un certain rapport à la lutte, une manière de se mettre en lutte qui laisse d’avantage saisir ce que la lutte elle-même ne peut que nous apprendre sur le monde contre lequel et dans lequel elle lutte, sur le rapport social capitaliste, et qui permet par la même que la lutte elle-même se prolonge et s’étende. Quand je parle de « rapport à la lutte », je ne fais pas de la psychologie, je pense là à des pratiques, des dispositifs précis. Il y a eut, lors de la réunion de Meeting de l’automne à Paris, un débat autour de la question de « l’intervention » : ce débat, qui n’a malheureusement été ni enregistré ni retranscrit, tournait autour de ces thématiques, mais a été peu compris je crois par une partie des intervenants. Ce que Roland dit de l’intervention dans Etat des lieux est, par rapport au débat tel qu’il a eut lieu ce jour-là, complètement hors sujet.
Un dernier point avant d’en finir. La vision que je viens de développer conduit-elle à une « occultation de la rupture » nécessaire ? Autrement dit, comprendre la communisation comme je le fais ici revient-il à minorer le rôle de la révolution comme moment essentiel dans la production du communisme ? Je ne le pense pas, bien au contraire. Quelque chose qui a débuté ou qui existe déjà peut nécessiter pourtant encore de nombreuses avancées pour s’achever, et certaines de ces avancées doivent être décisives par la portée de ce qu’elle doive détruire et créer, et ne sont en rien gagnées d’avance. Donc que le processus ait déjà commencé mais ait avorté sans s’achever ne signifie pas que, s’il avait réussit, un tel processus n’aurait pas entre-temps subi de profondes modifications. Que nous ayons le début du processus ne signifie pas que nous pouvions en avoir la totalité. La révolution demeure donc ce moment décisif où le processus de production du communisme passe dans une phase totalement différente, ou le communisme cesse d’être seulement projet plus ou moins clair, plus ou moins compréhensible, pour devenir réalité au travers des mesures communisatrices prises dans la lutte.
La lutte contre le capitalisme nous place dans la situation de comprendre la production du communisme comme son seul débouché : mais réellement nous n’avons que la lutte et une certaine compréhension de celle-ci, et jusqu’à présent nous n’avons encore rien eu d’autre. Faute de l’emporter, faute d’atteindre une taille critique (mondiale... !) qui la transforme en dynamique communisatrice totalisante, la lutte s’achève ou se dilue, les possibilités entrevues s’évanouissent, le moment de la lutte durant lequel la cause première de celle-ci paraissait céder devant la lutte elle-même et les buts nouveaux qu’elle semblait à même de se fixer, est passé. Tout est à recommencer et tout recommence en effet, en un certain sens, à zéro.
Je crois donc que nous ne pouvons avoir le communisme que sous la forme d’un projet. Mais c’est un projet inscrit dans les gênes du rapport social capitaliste, comme la résolution d’une contradiction que nous découvrons interne à celui-ci. Ce projet est donc réel, il est une part nécessaire de la réalité sociale. Cependant, cette réalité là ne possède pas non plus en elle-même la puissance d’abattre le rapport social en question. Ce n’est pas un supplément d’âme humaine qui l’y aidera, mais le déroulement chaotique de l’histoire avec les effets et les contre-effets produits par la dynamique centrale de l’époque auxquels se mêleront les formes héritées d’un passé par bien des aspects toujours présent.
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Accords et divergences, , 30 avril 2008A propos du contenu, à (re)lire A&D dans cette version corrigée(indépendamment de la forme-fichier), je n’ai pas les mêmes réactions qu’à la première, publiée avant la "réponse" d’Alain BL D&C.
Pour moi, ces deux textes sont importants, comme point d’étape, et peut-être tremplin... J’ai des accords et divergences, désaccords et convergences avec les deux, mais sans pouvoir en tirer une synthèse personnelle, pour la bonne raison d’une incomplétude de chacun dans la critique de l’autre.
Il faudrait bien sûr que je parvienne à préciser les points. D’une façon formelle, je questionne ma propre réception des textes -ceux-ci ou d’autres-, car du fait que chacun possède une grande cohérence interne (le mot est faible pour TC-BL-RS), je serais porté à choisir entre une position et l’autre, tant que je ne suis pas capable d’élaborer, de formuler mon propre point de vue, mes propres accords et convergences...
Je crois pouvoir partager essentiellement la critique de BL ( "A&D est fondamentalement une adaptation de la théorie de l’écart à une pratique interventionniste. « L’aire de la communisation » est abandonnée au profit de « démarrages » du processus qui est bien celui de la communisation dans les luttes de la période actuelle...").
La notion même de "processus" me semble dangereuse à manier relativement au fait que la communisation effective, la so-called révolution, s’engage (un beau jour...) avec un début (une lutte radicalement anticapitaliste, au sens fondamental du terme par ses objectifs d’abolition, mais une lutte concrète faisant ce qu’elle dit -la révolution-, ce qui fait toute la différence avec ce qu’on observe aujourd’hui), et une fin (un "projet" communiste au sens fort du terme projet -voir plus bas) qui ne peut se construire qu’une fois engagé ce début en tant que rupture révolutionnaire (communisatrice) connaissant sa volonté (faisant donc de la théorie une arme révolutionnaire effective, une arme pour activistes révolutionnaires qui pourront alors être immédiatistes, alternatifs et communisateurs... la philosophie cesse d’être de la philosophie quand elle participe de la transformation du monde). Pour faire très court, je préfèrerais me contenter de la lutte de classe comme procès (contradiction en procès) avec sa spécificité dans ce cycle de luttes (supposé le dernier puisqu’aboutissant, via une crise de reproduction*, au déclenchement communisateur), et réserver le terme de processus (sous-entendu comme processus de la communisation) à l’engagement révolutionnaire réel (du moins une tentative de l’ampleur nécessaire, par ses contenus et par son étendue).
* Peut-être que le cours de l’économie politique est aspect sous-estimé dans un tel débat, et que le terme de processus ne peut pas en rendre compte, parce qu’il laisse voir les problèmes locaux du capital, certes produits au sein de sa totalité économique, mais comme des petites crises où néanmoins se jouerait l’essentiel, la reproduction : comment imaginer qu’une lutte dans l’enjeu de la reproduction puisse avoir les mêmes formes que les luttes actuelles... encore un pb de forme comme contenu ;-)
D’une certaine façon, le dernier paragraphe du texte de Denis est encore plus troublant, avec le communisme comme "projet" [Je crois donc que nous ne pouvons avoir le communisme que sous la forme d’un projet. Mais c’est un projet inscrit dans les gênes du rapport social capitaliste, comme la résolution de ce que nous avons choisi de décrire comme une contradiction interne à celui-ci. Ce projet est donc réel, il est une part nécessaire de la réalité sociale (...)]. Pour moi, un projet se définit pas son contenu, ses objectifs, un cheminement de mise en oeuvre volontariste, tel acte se donnant tel but vers le projet. Peut-être est-ce davantage le terme que l’idée qui me dérange, puisqu’après tout, je partage l’idée que le communisme n’est, pour ce que nous pouvons en dire, que la négation du capital. Mais comme projet (projection ?), nous ne pouvons envisager que le moment destructeur du capital, l’engagement du processus de la communisation (ce qui pour Denis est une « phase » qualitativement nouvelle du processus). Cette acception du communisme comme projet est parfaitement cohérente avec l’idée d’un processus qui démarre et avorte jusqu’au jour où la dynamique débordera les limites.
Le pb de la critique de BL au texte A&D, c’est qu’allant à l’essentiel, il argumente exclusivement en ce sens, à cette fin, dans la cohérence de TC, et laisse sans réponse, autant dire sans intérêt (non pour BL ou Meeting, mais pour la théorie de TC), bien des choses très intéressantes dans le texte de Denis, par exemple le passage sur le rapport entre "fait théorique" et "théorie comme abstraction".
Bon désolé, c’est pas très élaboré, j’essaierai d’y revenir de façon plus précise.
Peut-être ces questions peuvent-elles suggérer un thème pour le Summermeeting...
Amical’
Patlotch le 24 avril 2008
Salut à tous !
Patlotch dit : « * Peut-être que le cours de l’économie politique est aspect sous-estimé dans un tel débat, et que le terme de processus ne peut pas en rendre compte, parce qu’il laisse voir les problèmes locaux du capital, certes produits au sein de sa totalité économique, mais comme des petites crises où néanmoins se jouerait l’essentiel, la reproduction : comment imaginer qu’une lutte dans l’enjeu de la reproduction puisse avoir les mêmes formes que les luttes actuelles... encore un pb de forme comme contenu ;-) »
Je crois qu’il tout à fait vrai que le cours de l’économie capitaliste, ou mieux, le cours du capital comme économie doit être abordé dans ses spécificités les plus actuelles, c’est un point qui est en discussion dans la perspective du summermeeting la crise du crédit, la crise alimentaire , le retour des émeutes de la faim, chez nous (les riches) le pouvoir d’achat et les luttes sur le salaires qui se multiplient (sans surtout oublier Dacia !) c’est une crise dans le capital restructuré qui peut donner des caractéristiques essentielles des luttes du nouveau cycle, luttes dans lesquelles c’est bien la reproduction immédiate qui est en cause
A+
BL le 26 avril 2008
le cours de l’économie capitaliste, ou mieux, le cours du capital comme économie
Oui, mieux dit
> c’est une crise dans le capital restructuré qui peut donner des caractéristiques essentielles des luttes du nouveau cycle, luttes dans lesquelles c’est bien la reproduction immédiate qui est en cause
« Une crise dans le capital restructuré » n’est pas nécessairement une crise de reproduction du capital global (du "système capitaliste"). D’une certaine façon, le capital en restructuration est toujours "en crise". Mais pour l’heure, ce sont des "crises" (le terme est peut-être à manier avec plus de précaution, vue sa connotation pour la théorie communiste) dans le cadre de la concurrence pour la péréquation du taux de profit (le processus de globalisation/mondialisation n’est jamais achevé, d’une infinie fluidité/ adaptabilité dans le temps et l’espace). Si « c’est bien la reproduction immédiate est en cause », n’est-pas celle et seulement celle de tel capital particulier à tel ou tel niveau ? Si c’est la reproduction globale (mondiale), j’attends des éléments probants, sans solliciter ce qui se passe au niveau de telle lutte particulière, ou dans telle branche en restructuration (au sens de l’économie des économistes, des délocalisations, etc.). Pour l’heure, en l’absence d’une "cartographie" plus générale de ladite crise, à vue de nez, j’imagine qu’il existe des réserves énormes d’exploitation du travail mondial, et faut peut-être pas passer trop vite, en théorie, de crises locales pour la reproduction de tel capital à la crise de reproduction du capital global. Ce qui se passe dans les zones du capitalisme développé est spécifique, je ne vois pas de crise dans les zones où l’exploitation (plus-value) absolue est en pleine expansion. D’une certaine façon on retrouve ici la question du "processus". Je sais pas si la notion de « bond qualitatif » (vs "émergence" etc) a encore une vertu en dialectique appliquée, mais elle répond assez bien à mon besoin d’une image mentale qui ne prend pas ses rêves pour des réalités.
Patloch 26 avril 2008
Quand je dit : « crise dans le capital restructuré » cela ne signifie nullement que je pense que c’est le vrai début de la vraie fin (Tout le monde sait que je suis deux mile vingtiste !) en effet d’une certaine façon la restructuration ne sera jamais finie, mais il semble bien que le rétablissement du taux de profit n’entraîne pas une accumulation comme normalement ce taux devrait le permettre, cela parce que le salaire n’accompagne plus la hausse de la productivité, le taux d’exploitation augmente donc bien mais les capitalistes ne peuvent plus anticiper son maintient et investir en conséquence, les profits se dirigent donc dans la finance pour s’y valoriser si possible au niveau exigé. Le manque de demande de masse induit par la baisse du salaire réel est « compensé » par le développement du crédit à la consommation (subprimes) ce qui ne peut que se casser la gueule au 1ér ralentissement. Bien sûr cette crise n’est pas la dernière et de plus dans le capital restructuré ce sont le crises qui le régulent. Ce dont je parle c’est d’un nouveau type de luttes revendicatives qui en effet vont se trouver au niveau de la reproduction immédiate, évidemment pas d’emblée au niveau mondial (quoique ?) Ce sont sans doute des luttes de ce type qui vont se multiplier, devenir l’archétype des luttes du cycle tout au long de sont devenir, de sa marche à la crise généralisée et systémique à la crise révolutionnaire.
Cours camarade le vieux monde te précède !
Amitiés à tous
Alain BL
mais il semble bien que le rétablissement du taux de profit n’entraîne pas une accumulation comme normalement ce taux devrait le permettre, cela parce que le salaire n’accompagne plus la hausse de la productivité, le taux d’exploitation augmente donc bien mais les capitalistes ne peuvent plus anticiper son maintient et investir en conséquence, les profits se dirigent donc dans la finance pour s’y valoriser si possible au niveau exigé.
Oui, ça recoupe ce que dit Husson dans l’Huma (putain de misère de la communisation !)... > http://www.humanite.fr/Une-crise-st...
> Le manque de demande de masse induit par la baisse du salaire réel est « compensé » par le développement du crédit à la consommation (subprimes) ce qui ne peut que se casser la gueule au 1ér ralentissement. Bien sûr cette crise n’est pas la dernière et de plus dans le capital restructuré ce sont le crises qui le régulent. Ce dont je parle c’est d’un nouveau type de luttes revendicatives qui en effet vont se trouver au niveau de la reproduction immédiate, évidemment pas d’emblée au niveau mondial (quoique ?) Ce sont sans doute des luttes de ce type qui vont se multiplier, devenir l’archétype des luttes du cycle tout au long de sont devenir, de sa marche à la crise généralisée et systémique à la crise révolutionnaire.
L’effet que ça me fait c’est qu’on est en pleine lutte de classe au niveau mondial, mais que nulle part on ne peut saisir le tout, s’emparer du tout dans la lutte, donc pas la peine de singer la révolution. La force du capital est d’avoir cassé les lieux d’enjeu explicite. Quelque chose fuit partout, c’est le jeu du chat et de la souris. On assiste effectivement à des luttes aux limites qui intègrent l’enjeu mondial, mais même si elles se connaissent comme telles, elles ne peuvent nulle part se considérer comme décisives, partie d’un tout. Mise en scène de l’impuissance... Le suicide du prolétaire n’est pas la négation du capital, tant qu’il y aura des prolos de rechange (de la force de travail exploitable disponible).
La reproduction au niveau local est qualitativement mondiale (la péréquation du tx de profit se joue en dernière analyse à ce niveau), mais le seuil quantitatif n’est pas atteint et rien n’indique qu’il le soit. Les "crises" actuelles ne sont que des phénomènes d’ajustement dans la mondialisation/restructuration. Ce bordel, en soi, ne porte aucune perspective communisatrice, seulement des prolos qui se foutront sur la gueule au nom de telle séparation identitaire, quelle qu’elle soit.
(j’affirme ça d’un ton péremptoire, ce n’est en vérité qu’une vue très subjective)
> Cours camarade le vieux monde te précède !
Repose-toi, camarade, le nouveau monde t’attendra !
Amitiés à tous
Patlotch 27 avril 2008
Réponse : « Tout ce que tu dis est vrai, il est certain que lors de l’éclatement de la crise généralisée on aura toutes les catastrophes que tu décris, il paraît évident que la crise révolutionnaire est catastrophe, non seulement du capital au sens restreint, mais bien de la société capitaliste toute entière. La crise révolutionnaire, (où nous ne sommes pas), sera une période du capital dans laquelle les insurrections des prolétaires seront de tous ordres et comporteront des aspects qui, dans leurs échecs, pourront générer des conflits violents avec d’autres prolétaires sur toutes les bases possibles d’ordre communautaire. Le dépassement n’aura pas du tout lieu de manière unitaire et simultanée mondiale. La révolution communisatrice ne sera pas l’ouverture d’une phase de transition entre révolution et communisme (c’est ce qui la définit comme communisation) mais sera bien en elle-même une phase de transition chaotique. C’est le développement heurté (c’est moins qu’on puisse dire) des emparements des éléments de la société capitaliste qui décapitalisera les capitaux, qui produira le communisme mais tout ralentissement sera régression vers des formes de socialisme et/ou de communautarisme. La formation de communautés de lutte contre le capital peut se retourner en communautarismes, l’autotransformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux contiendra comme limite interne à dépasser constamment, la constitution d’ identités particulières locales, se posant comme démocratiques ou populaires voire ethniques. L’expropriation des capitaux portera toujours deux possibles : la décapitalisation, l’abolition de leur nature de capitaux, de valeur à valoriser, et leur réappropriation comme capitaux socialisés. La communisation sera ainsi révolution dans la révolution, l’abolition du prolétariat dans et par l’abolition du capital sera très certainement aussi conflit dans le prolétariat. On peut rajouter aussi (mais ce n’est qu’un aspect de ce que je viens de dire) que la communisation aura une dimension sans doute très importante, voire essentielle, de sauvetage qu’on peut qualifier, aussi gênant que cela puisse paraître, d’humanitaire. La communisation sera produite dans la crise par la crise mais contre la crise. La communisation se produira comme la seule solution à la catastrophe que sera la crise généralisée du capital, que sera la période révolutionnaire, en cela aussi elle sera révolution dans la révolution
Le summermeeting devrait être le cadre de discussions de ce type avec le temps de les mener.
Amitiés
Alain BL 27 avril 2008
salut
petit message principalement destiné à JP et BL. L’échange que vous avez sur les développements actuels du MPC et ses modalités (problèmes) d’accumulation sont intéressants mais ce serait plus facile à suivre si vous évitiez les réponses de réponses, on ne sait plus ce que l’on est en train de lire ou d’imprimer entre l’ancien et le nouveau ; d’autre part ce n’aurait pas été sans intérêt si un tel échange s’était amorcé sur les forums du site Meeting, mais je sais bien qu’on ne peux jamais prévoir.Amitiés
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SNCF: Une grève et des questions
dimanche, 20 janvier 2008
version reprise après l’assemblée rédactionnelle Meeting 4
Une grève et des questions
« Nous n’avons plus de représentation »
(un cheminot de la Gare de Lyon, France Inter 13 heures, 16 nov 07).
La question que pose cette grève est la suivante : comment le fait que la restructuration du rapport d’exploitation entre le prolétariat et la capital a bien eu lieu (transformation des contrats de travail ; privatisation en cours des entreprises publiques ; changement de gestion et de rôle économique du salaire différé dans la reproduction de la force de travail et son intégration dans la circulation financière – d’où mutation des syndicats - …) s’est manifesté dans une grève qui voulait faire comme si cette restructuration n’existait pas pour elle ? On peut bien sûr parler de grève défensive et se contenter d’une lecture en termes d’anachronisme et de résistance. Mais la SNCF ou la RATP ne sont pas des isolats et l’anachronisme est lui-même défini par ce qui le pose comme anachronique.
La grève des cheminots et de la RATP a bien été traversée par le rapport restructuré entre le prolétariat et le capital, mais cela n’est pas venu de là où on pouvait l’attendre : précarité déjà installée à l’intérieur de la SNCF ou de la RATP, rapport avec le mouvement étudiant, ouverture des AG à des comités de chômeurs ou précaires, question du pouvoir d’achat et des salaires qui peut acquérir dans le rapport capitaliste actuel une charge explosive au-delà de la simple extension de la revendication… De toute façon cela se passe toujours sous des formes heureusement imprévisibles...
Il faut toujours avoir en tête que la restructuration achevée aura toujours quelque chose à restructurer. Une fois sa structure posée et acquise, elle devient un processus constant sur sa propre base. En cela la grève des cheminots n’appartient pas à une autre époque, n’est pas un « combat d’arrière-garde ». Le capital restructuré transforme toujours en « combat d’arrière-garde » ce qu’il affronte et dépasse dans son propre mouvement. Il n’y a rien de plus actuel que les anachronismes.
Cette grève a-priori atypique et comme appartenant à un monde révolu appartient bien à la situation actuelle de trois manières.
a) L’extériorisation de l’existence de la classe comme une contrainte objectivée dans la reproduction du capital a été entérinée avant même que la grève ne commence. Mais ce sont les syndicats qui en ont pris l’initiative et qui l’ont proclamée. La grève s’est déroulée comme deux actions parallèles : l’arrêt de travail ; les négociations. Si l’on doit parler d’écart, c’est là que centralement il se situe. Ce qui donnait des déclarations et une façon d’agir du genre : « oh ! mais c’est eux, ils négocient ». Le rapport entre la base et les directions syndicales n’appartenait plus au registre du mariage conflictuel et forcé.
Il faut ranger ici les actions de sabotages et « actes de malveillance » qui ont accompagné la grève tout au long et pas seulement vers sa fin. Pas de mouvement jusqu’à sa « bitter end » à la façon mineurs anglais against Thatcher, mais le ver était dans le fruit de la revendication. Agir en tant que classe c’est être irreprésentable comme classe de ce mode de production. Il y eut simplement divorce entre les deux (parallèlisme) : la lutte et sa représentation. Ce qui a rendu la chose on ne peut plus manifeste c’est que la grève partait « perdue d’avance » dans la tête, c’est-à-dire dans la situation objective, des cheminots et du personnel de la RATP.
b) Le mouvement s’est auto-enfermé. On a bien pu noté quelques AG ouvertes, mais cela sans aucune conséquence. Le fait troublant est la quasi absence des cheminots lors des manifestations de la fonction publique le mardi 20 novembre (quelques délégués syndicaux, quelques banderoles, mais la « base » n’était pas là). L’explication se trouve naturellement dans la volonté de ne pas voir se diluer la revendication unique et centrale sur les régimes spéciaux. Mais alors cela signifie aussi que le « retour au 37 et demi pour tous » personne n’y croit plus, ni même à l’effet de cliquet (favorable à tous) qu’aurait pu avoir la persistance de cette situation dans les régimes spéciaux. L’unité revendicative de la classe n’est plus ce qu’elle était et cela est reconnu sans simulacre et discours lénifiant. La grève ne pouvait se « populariser » sur sa revendication et elle n’a pas chercher à le faire. L’existence de la classe comme unité n’est plus qu’une existence pour le capital (les syndicats l’ont compris et en ont tiré les conséquences au risque de leur représentativité de laquelle ils ont fait leur deuil) que, dans ses luttes, le prolétariat ne reconnaît plus comme étant la sienne. Ce divorce, qu’il faut constater et qui fut l’élément le plus important de cette grève, ne fut cependant la dynamique de rien. Il fut en partie capitaliser et neutraliser par SUD qui ne fait rien de sa force là où il est majoritaire sauf à appeler à voter pour lui. Cela pose la question de la possibilité d’une généralisation des luttes sur une base revendicative. Est-ce que la « généralisation » peut aujourd’hui être autre chose qu’un dépassement, un changement d’état de la lutte revendicative ?
c) Pas d’auto-organisation (coordinations), autrement que comme initiative d’un syndicalisme radical qui n’avait pas lieu d’être de la part de la LCR ou de LO. Cette absence non seulement de tentatives mais même de l’idée elle-même est bien sûr incluse dans les deux points précédents. Les AG de base, dépôt par dépôt, parfois catégorie par catégorie, n’ont jamais dépassé ni le plus souvent cherché à le faire le niveau le plus immédiat du groupe de travail. Chaque jour de fortes minorités déterminées reconduisent la grève, puis chacun rentre à la maison jusqu’au lendemain. C’est une grève qui dure mais sans qu’aucune intiative ne soit prise. Quand des AG comme celle d’Asnière ou de Clignancourt envisagent de bloquer le périphérique parisien, cela fait un « flop ». En fait, il semble que cette minorité qui reconduit la grève envisage le rapport de force vis-à-vis de l’Etat et des directions non sous l’angle de son pouvoir de nuisance mais sous celui de la préservation de l’unité de la profession.
Plus profondément, on peut se demander si en cela, la grève n’exprimait pas une situation au-delà de toute velléité d’ « auto-organisation », dans la mesure où tout ce qu’ils sont apparaissait aux grévistes comme une contrainte extérieure. Leur lutte aurait pu devenir indépendante de tout parti, syndicat, institution, elle n’en aurait pas pour autant été auto-organisée, car elle ne trouvait pas son principe en elle-même sans remettre en cause ce qu’ils étaient en tant que grévistes de la SNCF ou de la RATP, dont l’inanité leur été évidemment renvoyée par leur syndicat et la « corporation ». Cela ne signifie pas que plus aucun mouvement autonome ou auto-organisé ne peut avoir lieu, cela signifie que son auto-organisation apparaîtra comme une de ses limites.
Les prolétaires peuvent lutter de façon très dure pour leurs revendications, mais ce qu’ils sont en tant que salariés, c’est-à-dire définis dans leur rapport au capital s’est éloigné d’eux et n’entretient plus qu’un rapport conflictuel (si ce n’est l’absence de rapport) avec leur lutte. En tant que classe du mode de production capitaliste, le prolétariat est une classe du mode de production capitaliste qui n’en est plus une en tant que légitimée et confirmée comme telle dans la reproduction du capital. Apparaît au grand jour que ce qu’il est comme classe n’est que son rapport au capital qui prend par rapport à lui une forme autonome et maintenant totalement indépendante. Ce qui est arrivé n’a rien à voir avec les mésaventures de Séguy à Billancourt en 68.
Ce n’est qu’un début…
Louis Martin
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